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Comment les néolibéraux attaquent la sphère de constitution des libertés pour restaurer les profits

Si nous voulons comprendre ce titre pour ensuite appliquer la 11e thèse sur Feuerbach de Karl Marx « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, mais ce qui importe, c’est de le transformer », il convient d’abord de comprendre la cause des actuelles politiques néolibérales pour ensuite voir le lien entre le processus d’émancipation d’une part et le développement de la sphère de constitution des libertés (école, protection sociale et services publics) et enfin détailler le rôle de la bataille pour l’hégémonie culturelle.

Pour combattre la crise du profit, l’oligarchie détruit la sphère de constitution des libertés

C’est bien la crise du profit, qui oblige aujourd’hui les gouvernements, à la solde du capital, à couper les moyens de développement de la sphère de constitution des libertés. Dans le cadre du capitalisme, l’oligarchie a tout essayé : la relance keynésienne dans un seul pays, l’inflation, le développement du crédit, la financiarisation de l’économie. Pour continuer à accroître son profit et sa richesse, l’oligarchie est, dans le cadre du capitalisme, obligé d’entrer dans un processus d’austérité, c’est-à-dire de diminution relative de la masse globale des salaires directs et socialisés. Ce n’est que la résistance des salariés en général et de la classe populaire ouvrière et employée en particulier qui vient limiter cette prédation. Mais pour faire redémarrer de nouveau le processus d’émancipation, il faut plus que de la résistance, il faut changer les rapports de production donc changer de système. Bien sûr, tout cela ne pourra se faire que dans la durée du temps long. Il conviendra au mouvement syndical revendicatif d’une part et au mouvement politique progressiste d’en préciser le chemin.

Tout ce que nous pouvons dire ici et maintenant, est que le contenu de ces luttes et mouvements est déterminant pour s’intégrer dans un processus de transformation culturelle, sociale, économique et politique. Par exemple, toute lutte pour une répartition plus équitable des richesses produites est légitime mais n’est pas suffisante aujourd’hui pour gagner la bataille culturelle, économique, sociale et politique. Il sera par exemple nécessaire de convaincre qu’il faut en même temps, attaquer le mode des rapports de production par la revendication de faire entrer la démocratie dans l’entreprise par exemple par la socialisation progressive des entre prises. Mais aussi lier les libertés individuelles mais également collectives. Nous y reviendrons.

Nous devons aujourd’hui aller bien plus loin qu’en 1945

Dans l’histoire, le processus d’émancipation s’appuie sur le développement autonome de la sphère de constitution des libertés. Ce processus d’émancipation permet le passage des libertés formelles aux libertés réelles. Dit autrement, l’ensemble des libertés formelles (des droits de l’homme et du citoyen) ne sont qu’un leurre si les conditions associées aux libertés réelles ne sont pas priorisées. En langage populaire, à quoi sert l’égalité formelle de la formule « les hommes naissent libres et égaux en droit » s’il y a incertitude du lendemain, si le citoyen ne peut se déplacer, se soigner, acquérir des savoirs émancipateurs pour autonomiser sa vie des conditionnements des puissances économiques et religieuses ? Ou dit encore autrement, à quoi sert l’égalité formelle si nous n’installons pas un processus continu et autonome d’augmentation des droits culturels, économiques et sociaux pour chaque citoyen ? Disons-le encore autrement : le développement de la sphère de constitution des libertés porte en lui la lutte de classe contre les phénomènes d’exploitation, de domination et d’expropriation. Combien de temps allons-nous accepter le discours du moins de cotisations et d’impôts pour aller vers plus d’école émancipatrice, de système de santé et de protection sociale solidaires et de services publics répondant aux besoins des assurés sociaux et de leurs familles ? Et n’appartient-il pas à la République sociale de concrétiser des principes qui doivent aller bien au-delà du simple triptyque républicain « liberté, égalité, fraternité » ?

Voilà pourquoi nous devons avoir en ligne de mire le lien entre le processus révolutionnaire de temps long de la République sociale avec bien sûr ses nouveaux paradigmes et les projets d’une nouvelle école qui partant de Condorcet et de Jaurès pense et élabore l’école pour le XXIe siècle, d’un projet d’un nouvelle protection sociale solidaire pour le XXIe siècle, et des nouveaux services publics. Avec l’idée qu’il n’y a jamais eu d’âge d’or et que tout projet doit être contingent à la période et donc que tout cela doit se construire en tenant compte des déficiences de ce qui a été construit avant nous.
Une fois que nous avons dit cela, il convient de porter au débat la priorité stratégique : est-il plus efficace de lier les combats sectoriels à la transformation globale, culturelle, sociale , économique et politique ou de radicaliser les combats sectoriels à l’intérieur du capitalisme et donc de sa phase actuelle, le néolibéralisme ?
Ce point est d’importance. Nous avions émis l’idée stratégique qu’à la fin des années 80, il était encore possible de faire des avancées sur les problèmes de société même si cette possibilité n’existait déjà plus pour les questions économiques et sociales. Les derniers événements ont montré que la séquence Sarkozy-Hollande voyait le renforcement de la réaction de droite et d’extrême droite dans le peuple, que depuis Valls 2 le social-libéralisme n’était plus capable de tenir une quelconque promesse de gauche et que l’Autre gauche, et c’est un euphémisme, n’était pas à la hauteur des enjeux dans la mesure où elle n’a pas entièrement rompu avec des pans idéologiques qui appartiennent au corpus du modèle réformateur néolibéral (1)Communautarisme, pédagogisme, élitisme, ségrégation spatiale, privatisation des profits et socialisation des pertes, déni et exclusion de la classe populaire ouvrière et employée de la vie politique française, acceptation béate de la gentrification, tabou de la propriété lucrative, acceptation du recul de la démocratie et de la souveraineté populaire y compris dans la pratique des organisations syndicales et politiques, croyance que le capitalisme est aujourd’hui amendable, alliances électorales opportunistes, etc., à moins qu’elle ne se fourvoie dans des solutions simplistes qui font croire à ceux qui y croient qu’une seule idée, qu’un seul mot magique est en mesure de changer le monde, tout en laissant les fondamentaux du capitalisme en place et sans définir les conditions subjectives de son application.
Voilà pourquoi nous estimons aujourd’hui que les nécessaires améliorations sectorielles doivent être aujourd’hui indissolublement liées à un nécessaire processus révolutionnaire. Il n’est plus d’alternative réformatrice partielle possible ; c’est le Grand Tout qui doit être remis en chantier !
Plutôt que de nous faire croire par romantisme ou enthousiasme messianique que 2017 peut ouvrir le paradis si on accepte telle ou telle proposition simpliste, promouvons l’idée que nous nous inscrivons dans une bataille de temps long et qu’il faut commencer par le commencement : soutien et intensification nécessaire des luttes et mouvements revendicatifs des salariés, notamment ceux de la classe populaire ouvrière et employée et des couches moyennes intermédiaires. Mais pour aller dans ce sens, d’autres nécessités conséquentes se font jour : critique radicale mais réaliste, rationnelle et globale du modèle réformateur néolibéral et du capitalisme qui le porte, construire une pensée alternative globale en rupture avec le mode de pensée dominant y compris dans l’Autre gauche, ne jamais proposer un bout du chemin sans proposer en même temps le chemin pour y parvenir (ligne stratégique portée par les couches sociales qui ont intérêt au changement et qui permet le rassemblement majoritaire autour d’eux), priorisation de l’éducation populaire locale, de proximité dans des processus démocratiques liant l’instruction et surtout la co-éducation, engager localement une pédagogie de la victoire même partielle, combattre le déni de classe en priorisant la lutte pour la parité sociale, lier l’ensemble des questions politiques , institutionnelles, sociales, laïques, écologiques, féministes, etc.
Il faut donc mener la lutte de classe et pour cela s’aider de la bataille nécessaire contre l’hégémonie culturelle de la « bourgeoisie » car sans cette dernière bataille la classe populaire ouvrière et employée, alliée aux couches moyennes intermédiaires, ne pourra pas émerger de classe dominée aujourd’hui en classe révolutionnaire demain. Il est donc nécessaire de se battre contre les « idéologues actifs et conceptifs qui ont la spécialité de forger les illusions de la classe dominante sur elle-même » (Marx dans l’Idéologie allemande), illusions qui gagnent et dominent la société entière et donc aussi une partie de l’Autre gauche. Mais « dès qu’apparaît une collision pratique qui met en danger la classe elle-même » (Marx, id.), la crise actuelle par exemple, la lutte idéologique n’est plus, pour la classe dominante la dimension principale de la lutte des classes, le problème immédiat de la classe dominante, qui la mène, étant d’assurer matériellement son avenir en tant que classe. Voilà pourquoi nous devons être attentifs à la restructuration actuelle de la classe bourgeoise et au risque de voir, à la suite d’alternances entre les Sarkozy et Cie et les Hollande et Cie qui ne feront qu’accompagner et approfondir la crise globale, l’oligarchie capitaliste, poussée par les lois tendancielles du capitalisme, passer à l’étape ultime : à savoir, comme dans les années 30, promouvoir une nouvelle alliance autoritaire entre la droite et l’extrême droite. Les dernières propositions de Fillon s’inscrivent dans cette évolution.

Pas de bataille contre l’hégémonie culturelle sans processus d’éducation culturelle

Que faire ? Renforcer, unifier le syndicalisme revendicatif tout en formant ses militants pour mener la lutte de classe. Idem pour le parti du prolétariat et de ses alliés. Tout cela doit aller de pair avec un processus visant à ce qu’une classe dominée devienne une classe révolutionnaire, ce qu’elle n’est pas aujourd’hui.
Comment aider cela ? En œuvrant à provoquer le maximum d’initiatives d’éducation populaire sur ce thème avec des formes différentes : conférences traditionnelles, interactives, gesticulées, ateliers de lecture, conférences populaires sans conférenciers, ciné-débats, théâtre-forum, débat par la controverse active, etc. (2)Contacter par exemple le Réseau Education Populaire.
Avec les pensées de Marx, Jaurès, Gramsci et du programme du CNR, actualisées par une analyse la plus fine possible de la période actuelle, gageons de prendre la mesure de la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle ! Tout ce qui restera à faire en sera facilité !

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Notes de bas de page
1 Communautarisme, pédagogisme, élitisme, ségrégation spatiale, privatisation des profits et socialisation des pertes, déni et exclusion de la classe populaire ouvrière et employée de la vie politique française, acceptation béate de la gentrification, tabou de la propriété lucrative, acceptation du recul de la démocratie et de la souveraineté populaire y compris dans la pratique des organisations syndicales et politiques, croyance que le capitalisme est aujourd’hui amendable, alliances électorales opportunistes, etc.
2 Contacter par exemple le Réseau Education Populaire.
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