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Crise de l’euro et lutte de classe

Comme nous l’avons dit à plusieurs reprises, l’introduction de l’euro lors du traité de Maastricht en 1992, réalisée volontairement entre des économies divergentes d’une part et trop inégalitaires d’autre part et sans aucun transfert budgétaire pour compenser la croissance des inégalités économiques, était la pire des choses. L’euro dans ces conditions a été un terrain de jeu pour la finance internationale, pour l’enrichissement de la bourgeoisie internationale au détriment des peuples, c’est-à-dire des couches populaires et des couches moyennes intermédiaires, appelées à chaque accentuation de la crise à éponger les dégâts causés par la bourgeoisie internationale dans la spéculation la plus débridée possible.
Le démarrage du processus d’extinction de la démocratie réelle dès le traité de Rome (voir la fin du discours de Pierre Mendès-France du 18 janvier 1957) pour empêcher les peuples – c’est-à-dire les couches populaires (pour la France, 53% de la population au travail ou ayant travaillé) et les couches moyennes intermédiaires (pour la France, 24% de la population au travail ou ayant travaillé) – de s’opposer aux différents coups d’Etat prévus contre les démocraties européennes, l’organisation de la prééminence de la concurrence libre et faussée, du libre-échange dès l’Acte Unique européen en 1986, puis l’abandon par les Etats membres de la souveraineté monétaire au profit du gouvernement des juges de la Banque centrale européenne (BCE), tout cela menait à la confrontation finale.
Karl Marx développait déjà en son temps l’idée que la direction capitaliste s’appuyait pour régner sur l’exploitation et la domination. L’exploitation était due à l’accaparement toujours plus important d’une partie du travail produit par les salariés à des fins liées uniquement aux intérêts de la bourgeoisie dominante (aujourd’hui pour la spéculation internationale de la bourgeoisie internationale ). Il en résulta en France, à partir du tournant néolibéral de 1983 consécutif à la crise de 1982, le processus de déformation du partage de la valeur ajoutée. Cette déformation du partage de la valeur ajoutée procure à la bourgeoisie internationale française plus de 180 milliards d’euros par an en sus de ce qu’elle aurait eu si la répartition des richesses était restée celle qui prévalait en 1982. La domination, quant à elle, est multiforme. Mais pour ce raisonnement, nous nous polariserons sur la domination de la bourgeoisie internationale contrôlant l’Etat par la dette publique. Le vieux Karl, encore, nous lègue l’idée que la bourgeoisie peut dominer l’Etat par la dette publique à condition que celui-ci soit dirigé par des capitalistes néolibéraux (de droite ou de gauche).

Que s’est-il passé ?

La BCE autorise les banques privées à but lucratif pour les actionnaires à acheter les bons du Trésor européens en quantité illimitée, sans exiger une forte augmentation des capitaux propres de couverture (n’oublions pas que les banques prêtent un argent qu’elles n’ont pas car s peuvent créer de la monnaie ; beaucoup de banques n’ont que 4 % des sommes prêtés dans leurs coffres !). Avec l’aide des agences de notation créées et financées par les banques privées à but lucratif pour les actionnaires, ces dernières ont principalement acheté les bons des pays les plus faibles pour avoir un taux d’intérêt plus élevé. Les banques privées à but lucratif pour les actionnaires étaient sécurisées de deux façons. 1° par la certitude qu’en cas de coup dur, elles seraient renflouées par les Etats qui se refinanceraient grâce à un nouveau tour de vis austéritaire sur les peuples (« les plus pauvres peuvent payer car ils sont les plus nombreux ! »). Et 2° par la certiitude que, pour lutter contre la résistance des peuples, les Etats aux mains des néolibéraux de droite comme de gauche sont prêts à des mesures césaristes pour restreindre de plus en plus la démocratie et diminuer conjoncturellement la dite résistance.
Dans un premier temps, le crédit facile dans toute la zone euro a été utilisé par la bourgeoisie internationale des pays les moins développés pour produire un boom immobilier et un boom de la consommation. Avec pour conséquence que la déformation du partage de la valeur ajoutée diminuant la part des salaires et des prestations sociales par rapport à la richesse créée n’allait pas tarder à augmenter les dettes des ménages jusqu’à l’impossibilité du remboursement, d’où l’éclatement des bulles et les krachs bancaires et financiers. Puis, la note devient salée car les différentiels de productivité se sont accrus entre l’Allemagne et les pays les moins développés. Car c’est bien l’industrie (y compris agro-alimentaire) et l’industrie seule qui tire le reste de l’économie sur le long terme.
Après le krach bancaire et financier du 15 septembre 2008, les agences de notation, aux ordres des banques privées à but lucratif pour les actionnaires, ont organisé pour le compte de leurs tuteurs bancaires la hausse des taux de financement des dettes publiques en augmentant les primes de risque de façon scandaleuse (taux à 10 ans pour la Grèce à près de 30 % !). Les peuples du Sud sont comme égorgés.
Comme, depuis le début, ce sont toujours les mêmes qui sont avantagés et toujours les mêmes qui sont désavantagés, tous les déséquilibres s’accentuent inexorablement.
A noter que de nombreuses banques des pays européens les plus développés, notamment françaises et allemandes, détiennent des créances sur les pays du Sud. Et même la banque centrale allemande voit augmenter de façon inexorable sa créance auprès des autres banques centrales du Sud de l’Europe et d’Irlande (nous en sommes à près de 700 milliards d’euros). Tout krach aura donc des répercussions dans toute l’Europe, y compris en Allemagne et en France. Et comme la BCE a continué de financer à 1 %, toutes les banques, y compris les banques des pays du Sud, ont pu acheter des bons du trésor des pays du Sud à des taux bien plus élevés et continuer à engraisser leurs actionnaires.

Où en est le débat ?

Il y a ceux qui veulent continuer avec le même paradigme que depuis 30 ans, il y a les réformateurs néolibéraux qui nous font croire que la rustine « euro-obligations » suffirait (la mutualisation de la dette ne ferait que retarder l’échéance en faisant financer cette mutualisation principalement par l’Allemagne), ou la rustine « union bancaire » suffirait (pour recapitaliser les banques), ou que la rustine « autorité budgétaire » suffirait (en contrepartie d’un allégement de la dette des pays du Sud et de l’Irlande)…
Ce que ses réformateurs néolibéraux oublient, c’est que cette crise est aussi le produit de la crise du capitalisme lui-même et de sa profitabilité dans l’économie réelle des pays développés ; si bien que se poser la question du changement de paradigme doit relancer aussi le débat sur un modèle politique et économique alternatif et non se cantonner aux fondamentaux du capitalisme lui-même.
Ce que ses réformateurs néolibéraux oublient ou feignent d’ignorer est que tout cela se fait au détriment des intérêts et de la volonté des couches populaires et des couches moyennes intermédiaires des peuples européens, avec un recul sans précédent de la démocratie (Mécanisme européen de stabilité, Traité pour la stabilité, la coopération et la gouvernance, etc.), avec une augmentation phénoménale des inégalités sociales de toute nature (de pouvoir d’achat, de santé, de logement, scolaires, de services publics, territoriales, etc.), avec une augmentation exponentielle du chômage, de la précarité et de la pauvreté en Europe. Quoi qu’il arrive, l’heure n’est plus à la délégation de pouvoir des citoyens à une élite déconnectée d’eux, l’heure sonne en Europe de l’affrontement entre la gauche de gauche et l’extrême droite. Puisse la gauche de gauche être à la hauteur des enjeux, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Dans la perspective du sommet européen de la fin juin 2012, tout cela va aller très vite. Est-ce que le processus d’éducation populaire tourné vers l’action en cours actuellement permettra rapidement d’éclairer les citoyens, les militants et les responsables des organisations en lutte ? Est-ce que les organisations de lutte agiront en conséquence ?

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