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Débat national sur la laicité

Aux instances dirigeantes des partis politiques français

Madame, Monsieur,

Sur proposition de M. Coppé, secrétaire général de l’UMP, M. Sarkozy, président de la République, a décidé d’organiser une réflexion nationale concernant la laïcité dans la France d’aujourd’hui. Nous craignons – vu le contexte – que cette décision soit prioritairement une façon d’interroger la place de l’Islam dans notre pays. Or de fausses inquiétudes sont délibérément entretenues – y compris par des responsables politiques éminents – et surtout par des tendances et des mouvements xénophobes, concernant les menaces que feraient planer nos concitoyens musulmans sur la culture française.

L’Observatoire Chrétien de la Laïcité (OCL) soutient qu’une réflexion sur la laïcité en 2011 ne saurait se confondre avec un combat contre une prétendue islamisation de la France ! Nous considérons que les croyants de l’Islam ont droit au même respect que les catholiques, les protestants, les juifs, les bouddhistes mais aussi les agnostiques ou les athées, etc., et que la loi doit les traiter également. Telle est la base du vivre ensemble, ainsi que la possibilité même d’une démocratie de citoyens.

Certes, la situation des convictions, qu’elles soient religieuses ou non, dans la société française d’aujourd’hui est différente de ce qu’elle était en 1905 au moment du vote de la loi de séparation, qui se voulut et fut, de fait, malgré certaines résistances conservatrices temporaires, une loi d’apaisement. Mais on ne saurait prétendre pour autant que le concept de laïcité est dépassé et que le toilettage de cette loi doit être envisagé !

L’OCL souligne que la loi de 1905, dans ses principes de base, reste d’actualité (1)TITRE PREMIER DE LA LOI DE 1905
Principes.
ARTICLE PREMIER. – La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
ART. 2.- La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites aux dits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.
Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l’article 3.
. En effet les principes de liberté de conscience, de liberté des cultes, de non « reconnaissance » de ces derniers qui implique que l’État ne saurait les subventionner, sont à nos yeux toujours valables. Il n’y a donc aucune raison de mettre en cause ces fondements de la loi.

L’OCL souligne en particulier que, contrairement à certains arguments juridiquement erronés, garantir la liberté des cultes n’implique aucunement de fournir aux organisations religieuses – sur les deniers de l’État – les moyens matériels de fonctionner, mais affirme la reconnaissance du droit pour les citoyens qui le désirent de se rassembler à des fins cultuelles et religieuses. L’objet du verbe « garantir » dans l’article 1 de la loi n’est pas l’exercice des cultes lui-même, c’est-à-dire une activité dont l’État fournirait éventuellement les moyens, mais le libre exercice des cultes C’est la liberté de cet exercice qui est donc l’objet de la garantie. Ainsi la loi fonde à la fois l’indépendance de l’Etat à l’égard des religions et l’autonomie des religions à l’égard de l’Etat, dans les limites démocratiques du respect de l’ordre public.

On objecte souvent que les municipalités, les départements, l’État – selon le cas – ont en charge l’entretien des églises catholiques datant d’avant 1905. Cette décision a été prise conjoncturellement du fait du refus obstiné de l’Église catholique, à la différence des juifs et des protestants, d’entrer dans le cadre de la loi, et dans le souci de ne pas brimer les fidèles à cause de l’entêtement aveugle du Vatican.

Du fait de cette malheureuse exception, faudrait il donc revenir à une situation antérieure où l’État reconnaitrait de jure la qualité religieuse de telle ou telle organisation afin de subvenir à la construction de lieux de culte ? Cette situation est impensable au regard de ce qui devient de plus en plus une mosaïque de communautés, voire de chapelles ou de groupuscules, prêts pour certains à se faire « reconnaître » comme cultes pour en retirer des avantages financiers.

On peut au contraire souhaiter que, petit à petit, l’exception catholique soit en voie d’extinction du fait des nouvelles structures ecclésiastiques qui laissent vacantes et inoccupées de très nombreuses églises, souvent trésors du patrimoine culturel français, dont l’État et les collectivités territoriales sont propriétaires. Il reviendrait alors aux propriétaires de ces lieux de prendre en considération leur intérêt artistique, culturel, ou seulement architectural, pour aider à l’entretien de ce qui fut un lieu de culte attribué à l’Église catholique, en vue d’assurer divers services à la communauté citoyenne dans son ensemble. Ces lieux anciens, puisque construits avant 1905, ne seraient plus alors des lieux de culte, et pourraient être affectés à d’autres fonctions d’intérêt général.

Ce simple exemple montre que le « paysage » religieux en France en 2011 a profondément changé par rapport à celui qui prévalait au moment du vote de la loi de 1905. Le christianisme s’est diversifié, a parfois éclaté, des églises ou communautés nouvelles (évangéliques par exemples, progressistes ou intégristes en d’autres cas), des religions, comme les baha’is, les différentes écoles du bouddhisme, des communautés spirituelles très diverses, jusqu’à des mouvements ou groupuscules sectaires, sont apparus.

D’aucuns pensent néanmoins qu’il faudrait faire un geste particulier en faveur de nos concitoyens musulmans désormais très nombreux dans notre pays, et qui n’étaient pas pris en compte dans la loi de 1905. De plus en plus de musulmans vivant en France sont en accord avec ce passage du rapport de la commission Stasi:

“L’islam, religion la plus récemment implantée en France et qui compte de nombreux fidèles, est parfois présentée comme inconciliable avec la laïcité. Pourtant la théologie musulmane a produit, dans sa période la plus brillante, une réflexion novatrice sur le rapport entre politique et religion. Les courants les plus rationnels en son sein refusaient la confusion entre pouvoir politique et spirituel. La culture musulmane peut trouver dans son histoire les ressources lui permettant de s’accommoder d’un cadre laïque, de même que la laïcité peut permettre le plein épanouissement intellectuel de la pensée islamique à l’abri des contraintes du pouvoir.”

Dans le sens de la loi de 1905, il revient à toutes les Églises et institutions religieuses, d’envisager les moyens de leur propre financement. En ce qui concerne la construction des lieux de culte, des formules juridiques (telles que des fondations privées favorisant le recueil des fonds nécessaires) sont tout à fait envisageables. Il revient aux pouvoirs publics d’étudier, comme pour toute implantation architecturale nouvelle, les conditions urbanistiques d’implantation de ces lieux de culte. A ce propos, construire des minarets dans le cadre d’une mosquée n’a rien qui puisse choquer la culture française. Seuls quelques fanatiques irrationnels s’élèvent par exemple contre le minaret de la Grande mosquée de Paris.

Il devient d’autant plus impératif que l’État, tout en connaissant cette diversité, et sans oublier que de très nombreux Français athées ou agnostiques ne souhaitent pas que leurs impôts subventionnent des religions, se refuse à « reconnaître » quelque culte que ce soit sous aucun prétexte. Il n’a pas vocation à le faire, et nous ne voyons pas quels critères il pourrait se donner pour en décider.

Veiller à ce que des groupuscules prétendument religieux, voire des sectes n’attentent pas à la liberté des personnes ou ne servent pas de paravent à des manœuvres financières plus ou moins occultes ou à des crimes sexuels, par exemple – comme cela s’est vu – est en revanche de son rôle comme le soulignait très clairement le rapport de la commission Stasi:

“L’État laïque, garant de la liberté de conscience, outre la liberté de culte ou d’expression, protège l’individu : il permet librement à tous de choisir, ou non, une option spirituelle ou religieuse, d’en changer ou d’y renoncer. Il s’assure qu’aucun groupe, aucune communauté ne peut imposer à quiconque une appartenance ou une identité confessionnelle, en particulier en raison de ses origines. Il protège chacune et chacun contre toute pression, physique ou morale, exercée sous couvert de telle ou telle prescription spirituelle ou religieuse. La défense de la liberté de conscience individuelle contre tout prosélytisme vient aujourd’hui compléter les notions de séparation et de neutralité centrales dans la loi de 1905.”

C’est pourquoi nous sommes fermement attachés à l’école publique, creuset de citoyenneté. Nous voyons avec beaucoup d’inquiétude que la loi Debré qui a favorisé essentiellement les établissements catholiques sous contrat serve désormais de plus en plus à la mise en place d’établissements d’autres obédiences (protestante, juive, et récemment musulmane). La diversité des cultures dont la rencontre, le dialogue et les échanges réciproques forgent historiquement les civilisations, aussi bien en France qu’en Europe ou dans l’ensemble du monde, est une richesse pour toute l’humanité. L’école publique laïque est ouverte et doit s’ouvrir toujours plus au dialogue et à l’échange, et assurer la formation de citoyens se reconnaissant comme concitoyens. En revanche, la sectorisation confessionnelle accrue de la vie scolaire favoriserait le passage d’une société fraternelle, riche de la diversité de l’humanité, à une société déstructurée communautariste où se dresseraient des frontières de toute nature entre citoyens de convictions différentes. C’est ce que précisément déplorent de plus en plus de responsables politiques dans des pays proches ayant fait le choix de ce qu’on a appelé le multiculturalisme, et qui souffrent de plus en plus d’une situation d’éclatement social, culturel et politique.

Il est tout à fait souhaitable à nos yeux que, dans le cadre de la société civile, des espaces de dialogue et d’échanges inter-religieux et, de façon plus générale, inter-convictionnels puissent se constituer. Mais ces espaces ne sauraient participer en tant que tels ni à l’élaboration, ni à l’application des lois de la République, qui relèvent du pouvoir politique et de lui seul .Quand des questions d’éthique sociale se posent, les autorités publiques peuvent réunir un comité d’experts réputés pour leur compétence et leur liberté d’esprit ; s’ils sont connus pour adhérer à un groupe de conviction, cela ne peut être un motif d’exclusion ni d’appel.

La commission réunie en son temps par le président Jacques Chirac sous la direction de Monsieur Stasi est un exemple de ce genre de comité, à la fois indépendant et capable de faire des propositions utiles au pouvoir. Il est d’ailleurs fort regrettable que le rapport de cette commission n’ait été que fort peu suivi d ‘effets.

Quelques mots de la lettre d’introduction adressée par Monsieur Stasi au président Jacques Chirac pour présenter le rapport de la commission (11/12/2003) attestent de l’attachement indéfectible de son auteur à la loi de 1905, base juridique du principe de laïcité : [que le] « principe de laïcité, fondement de l’unité nationale, soit reconnu et respecté par tous ceux qui habitent sur notre territoire” Il permet “la qualité de notre vivre ensemble, aujourd’hui et demain ».

“Nous avons pu constater, écrit le rapporteur – l’attachement de la grande majorité de nos concitoyens au principe de la laïcité. Instinctivement, ils reconnaissent dans ce principe une valeur sur laquelle est fondée l’unité nationale, en même temps qu’un garant de la liberté individuelle. C’est dire combien il leur paraît important que cette valeur soit respectée et chaque fois qu’elle est menacée défendue”.

J’attire aussi votre attention sur cet autre passage du texte de ce rapport:

“La laïcité, pierre angulaire du pacte républicain, repose sur trois valeurs indissociables : liberté de conscience, égalité en droit des options spirituelles et religieuses, neutralité du pouvoir politique… L’égalité en droit prohibe toute discrimination ou contrainte et l’État ne privilégie aucune option. Enfin le pouvoir politique reconnaît ses limites en s’abstenant de toute immixtion dans le domaine spirituel ou religieux”.

La force de conviction qui transparaît à travers ces lignes reste pour nous une référence. C’est pourquoi nous nous permettons de vous envoyer le texte de ce rapport, dont vous avez sans doute connaissance et qui figure à coup sûr dans vos archives, mais il nous semble opportun de vous inviter à l’exhumer, en ces temps où le débat sur l’actualisation de la laïcité est menacé par la tentation de la démagogie populiste dont les musulmans de France seraient les cibles privilégiées.
A moins que certaines pressions inverses d’origines variées – religieuses ou non – profitent de ce débat pour remettre en cause, sous le nom très ambigu de laïcité « ouverte », les principes fondamentaux de la laïcité telle qu’elle assure jusqu’à présent la paix sociale en France.

Je vous prie de croire, madame, monsieur, en l’expression de ma considération.

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1 TITRE PREMIER DE LA LOI DE 1905
Principes.
ARTICLE PREMIER. – La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
ART. 2.- La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites aux dits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.
Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l’article 3.
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