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Hommage à notre camarade Monique Cabotte-Carillon

Monique Cabotte-Carillon n’est plus. Chrétienne pratiquante, elle a animé depuis 1983 un groupe de militants chrétiens, l’association Chrétiens pour une église dégagée de l’école confessionnelle.

Elle a écrit de nombreux articles (dont certains pour notre journal : https://www.gaucherepublicaine.org/author/cabotte-carillon) et livres. L’un de ces derniers écrits symbolise par son titre sa philosophie de vie : Citoyens d’abord, croyants peut-être, laïques toujours. Son livre fut publié en 2016 chez l’Harmattan dans la collection « Débats laïques » dirigée par notre ami Gérard Delfau.

Je souhaiterais relater notre première rencontre.

Notre Réseau à cette époque, bien avant la création du journal ReSPUBLICA, avait engagé depuis 1989 une gigantesque campagne pour une loi contre les signes religieux à l’école pour contrer l’abrogation de la circulaire du 15 mai 1937 de Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-arts qui dans le premier gouvernement du Front populaire avait instauré cette interdiction laïque suite à un ordre public dégradé dans l’école publique suite à l’introduction des signes politiques d’abord et religieux ensuite dans l’école publique. Cette circulaire fut mise à mal par l’article 10 de la loi du 10 juillet 1989, loi de Mitterrand-Rocard-Jospin. Nous avions alors engagé une campagne pour revenir à cette conquête laïque du Front populaire. À l’une de nos réunions, nous avons vu arriver Monique Cabotte-Carillon. Depuis, elle ne nous a plus quittés jusqu’à la date de basculement des partis de gouvernement le 18 octobre 2003 ouvrant la voie à la loi dite du 15 mars 2004.

Elle restera pour nous le symbole du fait que l’on peut être croyant et laïc, croyant et anti-laïc, athée et laïc, athée et anti-laïc. La laïcité est pour nous un principe d’organisation sociale et non un principe lié à la croyance ou à la non-croyance.

Monique, nous ne t’oublierons pas !

Bernard Teper

Ce fut un choc, même si son état de santé le laissait prévoir depuis longtemps, lorsque, le 9 octobre dernier, j’appris au téléphone, par sa fille, la mort de Monique le matin même. Nous nous connaissions depuis 40 ans, et avions travaillé dans une entente et une amitié totales pour la défense de la laïcité. Monique avait presque 87 ans, et n’avais jamais rien lâché de ses convictions.

Nos chemins, très différents, avaient cependant de fortes ressemblances, et tout ce qui put être fait ne le fut que parce que nous avions autour de nous de fidèles amis, aussi convaincus que nous, auxquels nous devons toutes les réussites de l’association qui fut créée en 1983, le CEDEC, Chrétiens pour une Église Dégagée de l’École Confessionnelle.

Il nous faut là essayer de comprendre d’où nous venons et ouvrir une page d’histoire. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la naissance de cette association de chrétiens militant activement pour la laïcité ne tombait pas du… ciel ! Elle était plutôt le fruit de protestations, souvent sévèrement punies par l’institution catholique, qui ne cessaient de s’intensifier depuis la Révolution.

On se souvient peut-être de l’Abbé Grégoire qui, le premier, contrairement aux ordres donnés, fit alors le choix de la République.

Alors, narrons très brièvement, en citant quelques noms parmi tant d’autres… Au cœur du XIXe siècle, le prêtre Félicité de Lammenais demande en 1830, dans son journal L’Avenir, «la liberté de religion et de conscience», la séparation de l’Église et de l’État, la liberté d’enseignement, de presse, d’association, l’élargissement du système électoral et la décentralisation. Il voudra même créer un mouvement politique inter-européen pour atteindre ces objectifs. On devine qu’il est perçu par l’Église catholique comme un agitateur dangereux, et sera violemment rejeté. Il mourra désespéré et demandera des obsèques civiles.

Les choses ne s’arrêteront évidemment pas là, surtout après l’instauration de la IIIe République, qui apportera aux «réformateurs» du christianisme une liberté d’action inespérée avec la loi de 1905… Le Sillon, avec Marc Sangnier, et toute la mouvance des Modernistes (citons, parmi beaucoup d’autres, George Tyrrell, Lucien Laberthonnière ou Alfred Loisy) réclameront au tournant du siècle la liberté de conscience et une «modernisation» de la foi chrétienne grâce à l’analyse historico-critique de ses sources. Ils seront violemment condamnés par le pape Pie X dans l’encyclique Pascendi Dominici gregis. Même si ce christianisme progressiste est mal connu du grand public, rien ne pourra l’arrêter ultérieurement. Au-delà de la pensée d’Emmanuel Mounier et de son «personnalisme communautaire», d’autres chrétiens en mouvement, tel Marcel Légaut ou Pierre Chaillet, fondateur de Témoignage Chrétien pendant la guerre, s’engageront contre un dogmatisme chrétien trahissant, pour eux, le message initial.

Des organisations seront aussi créées dans l’entre-deux-guerres, par exemple la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) et la JEC (Jeunesse étudiante chrétienne), au sein de la mouvance du catholicisme social. Une importante partie des membres de la JEC s’engagera dans la Résistance, et nombre d’entre eux seront fusillés par les Allemands.

Parallèlement, en 1942, sous la houlette de Michel Duclercq, d’anciennes « jécistes » créent un mouvement de «Jeunes enseignantes» qui, avec l’arrivée de collègues masculins, va devenir les «Équipes enseignantes» . Elles revendiquent la valeur de leur engagement de chrétiens dans l’enseignement public, et non pas dans l’enseignement catholique, c’est-à-dire dans l’école de la République. On devine que la défense de la laïcité sera l’un des chevaux de bataille de ces « Équipes ». Et n’oublions pas que bien d’autres mouvements vont, au cours de cette période, scandaliser les fidèles qui suivent aveuglément le dogmatisme ecclésial, par exemple les prêtres ouvriers qui constitueront plus tard une portion intéressante des adhérents du CEDEC.

Alors, notre chère Monique Cabotte-Carillon? Fidèle à sa mère vendéenne, elle deviendra institutrice en Vendée pendant une dizaine d’années, et s’y fera connaître et par sa foi chrétienne et par la vigueur de ses dénonciations du caractère rétrograde du catholicisme local… Devenue membre des Équipes enseignantes, elle y assurera même une responsabilité nationale au siège du mouvement, dans la Région parisienne, à la fin des années 50. Je me dois de vous confier ici que je serai aussi membre des Équipes enseignantes au début des années 60, en affirmant des convictions très proches de celles de Monique. Mais nous ne nous rencontrerons pas avant 1983!

Monique, épouse d’un professeur d’Allemand belfortain, sera aussi très engagée du côté de l’Allemagne, et elle participera jusqu’aux dernières années de sa vie aux fameuses sessions «franco-allemandes», où elle fera régulièrement des interventions, toujours marquées par son christianisme progressiste et laïque. Elle m’en offrira souvent la lecture pour pouvoir en parler avec moi.

Inutile de préciser que, jusqu’à la fin de sa vie, Monique restera une membre fidèle de ce qu’étaient ces Équipes Enseignantes, qui, il y a maintenant pas mal d’années, ont fusionné avec «La Paroisse universitaire» pour devenir le CDEP (Chrétiens dans l’enseignement public). Je ne crois pas que les membres d’aujourd’hui du CDEP renieraient la déclaration de sa présidente, Marie Marty, en 2013 : « Il existe une certaine vision de l’homme qui n’est pas religieuse, mais qui fait partie de la relation enseignante et qu’on retrouve dans les convictions de ceux qui ont créé l’école laïque. Il y a un socle commun qui est suffisamment solide pour qu’on s’y trouve à l’aise

On se souvient que tout va exploser au début de la présidence de François Mitterrand, avec l’échec du projet Savary, qui devait unifier l’éducation en France dans un seul système en permettant à l’enseignement public d’absorber l’enseignement privé sous contrat. L’enseignement catholique se prépare au combat, crée de nouveaux établissements. C’est précisément ce qui est en cours dans la vallée de l’Indre où j’habite, au sud de Tours. Notre groupe de chrétiens progressistes local commence à montrer son hostilité à cette tentative. Que cela se produise en Touraine n’est pas un hasard puisque l’archevêque de Tours est Jean Honoré, président de la Commission épiscopale auprès du monde scolaire et universitaire, qui défend bec et ongles l’école catholique. Fin 1982, je tombe sur quelques lignes publiées dans la Nouvelle République, le journal local, envoyées… par l’Équipe Enseignante de Tours! On devine qu’il s’agit d’une protestation contre les actions menées par Jean Honoré pour défendre l’enseignement confessionnel. Une amie qui connaissais des membres du groupe me permet d’entrer en contact avec… Monique Cabotte-Carillon! Nous suscitons l’organisation de plusieurs rencontres de chrétiens progressistes d’Indre-et-Loire, essentiellement des membres de l’Équipe enseignante et des chrétiens de la vallée de l’Indre. La création du CEDEC est le fruit de ces rencontres début 1983, et depuis 40 ans il suit sa route pour défendre la laïcité du système éducatif français. Etant donné le manque d’engagement efficace de la plupart des chrétiens dans ce domaine, il élargira très vite son action à une défense totale de la laïcité républicaine.

En 1984, c’est la grande manifestation parisienne des tenants de l’école catholique, avec le soutien de deux évêques, dont Jean Honoré. Elle mettra à bas le projet de loi Savary. On devine que le CEDEC fera alors vivement entendre sa voix pour proclamer qu’en tant que chrétiens ses membres soutenaient ce projet. Nous recevrons des bordées d’insultes.

En 1992, Monique, à cette époque vice-présidente, a gardé des contacts à La Roche-sur-Yon. Elle nous annonce que le maire de la ville, Jacques Auxiette, invite le CEDEC à organiser un colloque ayant pour thème la laïcité dans sa commune. Nous serons évidemment très heureux de saisir cette occasion. Et pendant presque une vingtaine d’années nous nous retrouverons, habituellement tous les deux ans, à La Roche-sur-Yon pour un colloque. Nous y inviterons des intervenants réputés de convictions très diverses, des chrétiens, des athées, des musulmans, des protestants, des agnostiques… Tous seront évidemment d’ardents défenseurs de la laïcité.

Monique devient présidente du CEDEC fin 2001, étant donné que je suis appelé à d’autres lourdes responsabilités. Mais cela ne changera pas, au fond, la façon dont nous fonctionnons. Il n’y a jamais eu dans notre groupe la moindre recherche de pouvoir personnel, et Monique a toujours été très investie dans les activités du CEDEC. Elle le sera plus encore. C’est à ce moment-là le déclenchement de la révolution informatique, qui sera pour elle une souffrance, mais qui permettra au CEDEC de se faire connaître plus largement. Les colloques sont obligés d’émigrer vers Tours (la nouvelle municipalité de La Roche-sur-Yon ne nous accorde plus les mêmes facilités) et tendent à s’espacer davantage. Mais Monique s’y investira toujours beaucoup. L’avant-dernier, en 2015, se tiendra le 14 novembre, le lendemain de l’attentat du Bataclan ! Inutile de dire que son organisation fut complètement chamboulée, mais qu’il fut d’une qualité exceptionnelle. Il fut illustré par le premier livre du CEDEC publié par les éditions de L’Harmattan dans la collection Débats Laïques.

Jusqu’à son dernier souffle, Monique aura gardé le CEDEC à l’esprit. Elle ne le quittait jamais des yeux. Ce qui explique qu’elle soit un peu devenue l’emblème bien visible de ces chrétiens militants de la laïcité. Nous en retrouvions d’autres dans un groupe que nous avions contribué à créer au sein de la fédération «Réseaux du Parvis», à savoir l’Observatoire Chrétien de la Laïcité… Au sein de cet OCL, Monique Cabotte-Carillon ne sera jamais oubliée. Elle ne le sera non plus jamais parmi les militants de la laïcité non croyants qu’elle a pu côtoyer, dans une citoyenneté totalement partagée.

Et le CEDEC, lui, est orphelin…

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