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« La face cachée du pape François », par Paul Ariès

Paul Ariès est sans doute connu de nos lecteurs comme théoricien de la décroissance (« objecteur de croissance »), de la « simplicité volontaire », pourfendeur de la mal-bouffe et la publicité, mais il a aussi écrit sur les sectes, le satanisme, la scientologie. Athée, il est proche des catholiques de gauche et a beaucoup publié aux éditions Golias.

Son nouvel ouvrage, « La face cachée du pape François », publié début 2016 aux éditions Max Milo, témoigne de la proximité de l’auteur avec les thèses de la  théologie de la libération telle qu’elle fut pensée par Gustavo Gutiérrez dès 1971, développée en Amérique latine et combattue par les néo-libéraux : la pauvreté n’est pas voulue par Dieu mais résulte de l’exploitation économique ; il faut participer aux luttes populaires ; et pour cela l’Eglise doit se transformer en développant des communautés de base qui remettent en cause la distinction entre clercs et laïcs. Si François a reçu Gutiérrez avec honneur en 2013 et si la théologie (révolutionnaire) de la libération ne représente plus un réel danger, la reprise aujourd’hui du thème de « l’option préférentielle pour les pauvres » masque en fait une acceptation des inégalités sociales et l’idéal d’une réconciliation entre les riches et les pauvres. Ariès démonte finement la façon dont Benoît XVI a enclenché cette récupération de théories revues à la sauce vaticane et plus particulièrement de ce qu’est devenu l’amour (tout évangélique) des pauvres dans les mains de l’Opus Dei.

Quant à la réforme de l’Eglise, elle est bien la mission que l’évêque Bergoglio a reçu de ses mandants lors de son élection : la rendre plus efficace sans remettre en cause le centralisme, pour faire oublier les scandales financiers, sexuels, donner une image de pape frugal… Opération de communication confiée à un bon communicant, mais, note Ariès, « François ne réforme pas l’Eglise pour en faire une Eglise pauvre au service des pauvres, il réforme l’Eglise pour lui permettre de passer le mauvais cap actuel et la mettre en état de remporter sa part de marché du retour du religieux. »

Sur les conditions de cette élection, Ariès rappelle d’abord la « jeunesse cachée » du jésuite argentin et ses relations avec l’organisation péroniste de la Garde de fer (éponyme d’une organisation fasciste en Roumanie) puis avec l’OUTG pour assurer le transfert de l’Universidad del Salvador des religieux aux laïques ; il y voit la volonté de réaliser en Amérique latine une opération comparable à celle de Solidarnosc en Pologne : constituer une alternative populaire aux gauches bolivariennes. Les réseaux ayant appuyé Bergoglio font l’objet d’une analyse précise : outre l’Opus Dei, Communion et Libération, les Chevaliers de Colomb ou les Légionnaires du Christ. L’un des ultra-conservateurs appartenant à cette dernière organisation, Massimo Introvigne, a droit à un portrait particulièrement soigné car il est spécialiste non seulement de la réfutation des luttes anti-sectes, mais encore de la défense de l’Eglise contre les accusations de pédophilie.
Dans les pages où se manifeste le plus clairement l’indignation de l’auteur, on trouvera également la canonisation d’un prêtre génocidaire, évangélisateur de la Californie au 18e siècle, Junipero Serra, et la béatification d’un prêtre français antisémite, Léon Dehon.

Mais la cible essentielle de Paul Ariès, c’est « l’écolo-catholicisme » qui prend sa source dans l’encyclique Laudato si’ de 2015 sur la « sauvegarde de la maison commune ».  Il y consacre un grande partie du livre, au prix parfois de redites et d’une présentation touffue. La lecture qu’il fait de ce texte se lit ainsi : la cause ultime de la dégradation de l’environnement étant la « perte de Dieu » et sa cause proche le « consumérisme », « combattons d’abord les causes profondes de l’effondrement écologique comme la contraception ou l’IVG plutôt que les causes superficielles comme le capitalisme et le productivisme ! »

A cet égard, la partie du livre consacrée aux droits des femmes ne compte qu’une dizaine de pages et n’apportera pas d’éléments très nouveaux aux féministes, sinon un savoureux commentaire sur la casuistique appliquée aux cas d’avortement, puisque les catholiques l’ayant pratiqué se trouvent toujours automatiquement excommuniées ; il est vrai que la confession peut conduire à la rémission de ce péché mortel et  le « progressiste » François s’en fait attribuer le mérite en le rappelant !

Il est impossible de résumer le détail des analyses de Paul Ariès sur la question de l’anticapitalisme de François (il semble opter pour un penchant de celui-ci pour le bon vieux corporatisme). L’ouvrage est très convainquant lors qu’il expose, avec de nombreuses citations à l’appui, les thèses les plus extrêmes des plus réactionnaires tenants de la doctrine du Vatican, ainsi lorsqu’il démonte la rhétorique nouvelle droite de « Tradition Famille Propriété » (présente en France via  Avenir de la culture). Cependant, on regrettera que, dans sa fougue, l’auteur passe parfois d’un pontificat à l’autre ou d’un cercle à l’autre de la sphère vaticane sans clairement marquer l’importance et l’impact des différents réseaux. Occupé qu’il est à ferrailler contre la droitisation de l’Eglise, on lui saura gré de l’argumentaire – accablant – qu’il livre contre l’évolution actuelle de celle-ci sous François, à l’opposée de l’image d’un pape sympathique, ouvert à la modernité et aux intérêts des peuples.

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