La « grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République » : quelle efficacité ? quelle laïcité ?

On doit certainement observer avec intérêt la « grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République », présentée le 22 avril par Najat Vallaud-Belkacem (1)http://www.education.gouv.fr/cid85644/onze-mesures-pour-une-grande-mobilisation-de-l-ecole-pour-les-valeurs-de-la-republique.html, laquelle, parlant sous l’autorité du premier ministre, exprimait le point de vue du gouvernement socialiste néolibéral tout entier. Un gouvernement lui-même héritier non pas de Jaurès, certes, mais des gouvernements socialistes précédents, qui ont mené en matière d’Éducation (de moins en moins) nationale, notamment sous la houlette parfois musclée de personnalités comme Alain Savary, Lionel Jospin ou Claude Allègre, une politique de dénigrement et de démolition de l’école républicaine et plus généralement du système public d’enseignement, qui s’est chevillée dans une remarquable continuité avec celle de leurs prédécesseurs et de leurs successeurs de droite.
Et voilà qu’on découvre ce que tous les enseignants savaient depuis longtemps, que certains essayaient en vain de dire dans les réunions avec les chefs d’établissement ou les inspecteurs et que les décideurs haut placés refusaient d’entendre malgré les avertissements (2)ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/syst/igen/rapports/rapport_obin.pdf : que l’école issue des mutations qui lui avaient été imposées depuis les années 1960, et en même temps battue des vagues de la crise et réduite au « Débrouillez-vous » par l’État, était devenue un lieu favorable aux fanatismes et aux violences. Sans oublier des causes bien connues telles que l’insuffisance de moyens là où ils sont nécessaires, on aimerait entendre aussi des analyses fondamentales familières aux salles des professeurs et développées dans tant de publications sur papier ou en ligne : qu’en substituant à l’école de la transmission de savoirs méthodiquement organisés, qui certes était loin d’être parfaite, l’école dans laquelle selon la formule qui inspirait la loi Jospin, « l’apprenant construit lui-même son propre savoir », on laissait les enfants livrés à eux-mêmes, c’est-à-dire entièrement déterminés par leurs inégalités sociales et que, dès lors, on faisait de l’école le docile reflet de la société néolibérale ; qu’en substituant à des contenus simples et clairs des emballages prétentieux et parfois fumeux, tout en maintenant l’angoisse de la note, de l’examen, de la sélection baptisée orientation, on fabriquait plus que jamais l’échec scolaire et donc la désespérance sociale ; et voilà qu’on finit par constater, grande découverte, qu’une école qui ne livrait au mieux qu’un saupoudrage de connaissances atomisées fabrique naturellement des esprits dénués de sens critique, incapables d’exprimer clairement leurs opinions, leurs raisons ou leurs impressions, et donc un terrain favorable à tous les fanatismes.
Le gouvernement Valls, se penchant sur l’école, revient-il donc sur les erreurs de ses prédécesseurs ? Bien entendu, on peut se demander ce que valent les annonces. Par exemple, quand il est dit que « tout comportement mettant en cause… l’autorité du maître fera l’objet d’un signalement systématique… au chef d’établissement » et qu’« aucun incident ne sera laissé sans suite », on doute jusqu’où ira cette bonne résolution quand on pense à tous les enseignants qui habituellement ne sont pas soutenus par leur hiérarchie parce que le mot d’ordre est « Pas de vagues. Étouffez l’affaire » C’est bien au nom du « Pas de vagues » que Lionel Jospin avait laissé proliférer le foulard dans les établissements et c’est bien en opposition avec sa politique qu’avait été votée la loi de 2004.

Mesures d’exception et conception d’ensemble

Mais l’important est la conception d’ensemble des « onze mesures » : certaines sont des mesures d’exception, ce qui peut se comprendre vu la gravité de la situation : « Un plan exceptionnel de formation continue » pour les enseignants et personnels d’éducation ; « Des ressources pédagogiques nouvelles ». « Accélérer la mise en œuvre du plan de lutte contre le décrochage » (mais on ne se demande pas si les élèves qui décrochent peuvent ne pas décrocher dans une école dans laquelle il est si difficile de s’accrocher). D’autres mesures concernent l’accompagnement des jeunes pendant leur scolarité (« création de nouvelles places d’internat ») « vers l’insertion et l’emploi », ce qui est fort bien sous réserve que les fonds à cette fin soient effectivement débloqués. D’autres encore, non moins souhaitables, ambitionnent de faire contrepoids aux inégalités sociales (« Renforcer les actions contre les déterminismes sociaux et territoriaux »). Tout cela tourne autour de l’école.
Et à l’intérieur de l’école même, quels sont les changements annoncés ? Une restauration de la discipline, avons-nous vu ; la création d’« un parcours citoyen », intégrant l’enseignement moral et civique qui doit entrer en vigueur en septembre 2015, pouvant comporter « des ateliers débats et philosophiques ». Mais quid dans le reste, c’est-à-dire dans l’essentiel des activités scolaires, en français, en histoire, en mathématiques, en physique, en langue vivante, etc. ?

A l’intérieur des disciplines

Pas grand-chose. Le nouveau « parcours citoyen » prévoit seulement « l’enseignement aux élèves du jugement, de l’argumentation et du débat… Dans le second degré, toutes les disciplines doivent être mobilisées à cette fin. » Curieuse idée que de vouloir « enseigner » le jugement alors qu’il s’agit de le former, et de former le jugement critique. Le mot « critique », notion clef quand il s’agit de remédier au fanatisme, est d’ailleurs fort peu présent : une fois dans les « onze mesures » et une fois dans le discours qui l’accompagne. En revanche, les élèves de français en collège, puis en lycée, retrouvent l’« argumentation » et de « débat », panacées dont ils ont été largement abreuvés depuis les années 1990 et dont on a suffisamment constaté les dérives, purs exercices rhétoriques, voire sophistiques d’où il ressortait que l’important est de débattre pour débattre, éventuellement sans prendre le temps de bien connaître la question, et que finalement toutes les opinions se valent. Admettons néanmoins que sous une rédaction maladroite il s’agisse bien de former l’esprit critique : il est alors assez surprenant que le gouvernement entende tout d’un coup « mobiliser » à cette fin les disciplines, comme si ce n’était pas justement une de leurs fonctions essentielles, et donc permanente, dans l’école républicaine ; à moins qu’il ne reconnaisse implicitement, comme le constatent depuis longtemps tant d’enseignants au fil des réformes et des programmes, que cette fonction leur a été progressivement retirée, voire interdite.
À un moment, pourtant, Najat Vallaud-Belkacem, suivant les déclarations de François Hollande, s’intéresse à l’une d’elle, le français. En dehors des louables intentions affichées en direction des élèves allophones, le reste du propos ferait rire s’il n’était pas tragique. Sont mobilisées les institutions ministérielles (Direction Générale de l’Enseignement Scolaire, Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance) et leurs appareils qui depuis des décennies ont programmé les réformes par lesquelles ont été soigneusement retardés les apprentissages des élèves, tant en lecture qu’en maîtrise de la langue. La seule contribution qui leur est demandée, ce sont des « études » qui n’engagent à rien, à moins qu’elle ne puissent autoriser quelque démolition supplémentaire. Pas un mot de discussion sur le passé, sur les dégâts produits par la méthode globale en lecture et sur la réduction du temps consacré à la lecture collective à haute voix. Pas un mot sur le fait qu’entre 1976 et 2004 un élève sortant du collège avait perdu 800 heures de français (3)http://www.sauv.net/horaires.php. Pas un mot non plus sur l’interdiction, pendant de nombreuses années, de l’enseignement méthodique, suivi et systématique de la grammaire française, longtemps réputée répressive et réactionnaire, et qui a été remplacé par un enseignement par bribes, au fil de « séquences » où, autour d’un même thème ou d’une même œuvre, on abordait en saupoudrage des sujets et des exercices différents, ce qui était le plus sûr moyen de perdre les élèves et de favoriser la déconcentration. Pas un mot enfin sur la persistance de fait de cette « séquence » en collège, dans les instructions données aux jeunes enseignants à l’encontre des plus récents programmes. On sait pourtant qu’une vraie maîtrise de la langue, non seulement de ses structures, de leurs significations, mais aussi de son vocabulaire, est indispensable aussi bien pour désamorcer les conflits qui, mal exprimés, tournent facilement à la violence, d’autre part pour former cet esprit critique, esprit de nuance et de distinctions, que Najat Vallaud-Belkacem semble vouloir développer sous le nom de « jugement ».
Rien n’est dit non plus sur l’enseignement de la littérature française des siècles passés, décriée comme bourgeoise, ennuyeuse, périmée, à partir du moment où, dans les années 1960 et 70 un plus grand nombre d’enfants risquaient d’y avoir davantage accès, c’est-à-dire ceux précisément à qui elle pouvait ouvrir le plus d’horizons nouveaux. Dans la mesure où il était difficile de la supprimer d’un trait de plume, les réformes ont consisté à la circonscrire ou à la rendre inoffensive : au lieu de familiariser précocement les élèves à un usage de la langue littéraire, reflétant une pensée consistante, on l’a exclue de l’école primaire, on lui a opposé au collège la littérature de jeunesse. À d’autres niveaux, parmi d’autres offensives, sont intervenues les approches formalistes, certes intéressantes en soi, mais qui aboutissaient de fait à considérer comme secondaire le sens des textes, voire à l’ignorer. Dans tous les cas, il s’agissait de lutter contre une vision historique, c’est-à-dire politique, de la littérature : celle qui permet de comprendre comment des esprits se sont opposés à d’autres, soit dans le même siècle soit par-delà les siècles, de discerner ce qui les a divisés, ce qui a pu les unir aussi, tant sur le plan littéraire que, surtout, sur le plan philosophique, politique, social, religieux ; bref, ce qu’on appelle l’histoire des idées, tout ce qui dans l’enseignement du français contribue à forger l’esprit critique de l’adolescent pour les débats de notre temps. Certes ces tout dernières années un retour s’est fait au sens, à l’histoire, retour fragmentaire auquel les prophètes blanchis de la modernité ne se résignent guère. Mais les esprits qu’ils ont (dé)formés sont devenus adultes et beaucoup en veulent à ce français qui les ennuyait tant et auquel ils ne comprenaient rien. Dans un tel champ de ruines, il est louable de citer Voltaire. Mais la tolérance de Voltaire n’est pas la laïcité. Une référence suffit-elle à constituer une pensée organisée ? Et que révèle le fait que ce soient des massacres plutôt que l’école qui incitent les citoyens à le lire ?
Et ne parlons pas du saccage organisé des langues anciennes, malgré l’attachement que leur montrent les élèves de collège et leurs parents : n’est-il pas dangereux d’étudier une littérature qui, même si elle a été produite essentiellement par des hommes libres dans un monde peuplé d’esclaves, rencontre à peu près toujours, de façon plus ou moins visible et plutôt plus que moins, les problèmes relatifs à la justice, à la cité et à la religion ?

Illustration des contre-réformes

On pourrait ainsi dresser la liste des « réformes » (en fait des « contre-réformes » puisqu’il est enfin clairement apparu depuis quelques années que ce que les gouvernements néolibéraux, de droite ou prétendument de gauche, appelaient « réformes » étaient en fait des mesures réactionnaires (4)https://www.gaucherepublicaine.org/ respublica/la-reforme-des-universites-ou-la-coherence-des-contre-reformes/ 7387214 qui, sous couvert de modernité, ont permis de désamorcer l’efficacité critique de l’école.
Ne prenons pour exemple, en rapport direct avec l’actualité qui nous occupe, que la démolition de l’enseignement de l’histoire. Comme en français, l’exploration pas à pas a été transformée en un parcours à marche forcée dans lequel, sans parler de l’histoire de la cité antique ou de la construction de l’État par la monarchie capétienne, des moments aussi importants que la Révolution ou le développement du mouvement ouvrier ne sont qu’un point parmi tant d’autres. Et on ne dira jamais assez à quel point les méthodes de l’école des Annales ont été mises au service d’une dépolitisation de l’enseignement de l’histoire par l’hypertrophie des thématiques et des tableaux d’ensemble. En faisant fonds sur la critique justifiée (car nos démolisseurs s’appuient toujours sur les bonnes intentions des progressistes angéliques) du personnage historique et du « roman national », en dénigrant l’événement, en privilégiant le « temps long », on arrive facilement à gommer tous les conflits : vues de loin, les journées de Juin 1848 ou la Commune ne sont qu’anecdotes dans l’histoire du capitalisme et de son développement ; la Russie soviétique n’est qu’une parenthèse avant le retour à l’ordre définitif de la société sans histoire, celle qui présente aux jeunes un avenir si peu prometteur. Étonnez-vous ensuite si, ne pouvant se situer par rapport à aucune filiation politique puisque de fait on ne leur en a réellement présenté aucune si ce n’est une sorte de résignation molle à l’ordre établi, ils se laissent séduire par le premier prêcheur venu.

Au lieu de la reconstruction du cœur même de l’école, indispensable à la lutte contre le fanatisme, que nous annonce Najat Vallaud-Belkacem ? la mise en place de nouvelles activités scolaires qui s’ajouteront à la charge de travail des élèves et des personnels. Certaines, telles que l’élaboration d’un journal ou d’un blog d’établissement, sont fort souhaitables, mais il n’est pas précisé si elles seraient obligatoires pour tous les élèves, et dans l’affirmative il n’est pas dit si cela ne rognera pas encore le temps nécessaire pour lire Zadig ou le Traité sur la tolérance. D’autres supposent carrément qu’à certains moments les activités d’enseignement doivent céder le pas à d’autres activités ponctuelles et spectaculaires (« semaine de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, semaine de l’engagement », « commémorations patriotiques, participation collective à des concours et à des “olympiades” »).

Formation de l’esprit critique ou embrigadement vertueux ?

On se demande alors s’il est bien question de former l’esprit critique de la jeunesse, ou s’il n’est pas question de répondre à l’embrigadement djihadiste par un autre embrigadement qui se voudrait vertueux, mais bien moins efficace parce qu’il pousse plus facilement à la révolte, du fait justement qu’il est imposé par l’autorité officielle. Il est prévu que « les projets d’écoles et d’établissements [vous savez, ces projets d’établissement issus du rapport Soubré qui sous Savary ont été un des premiers coups de pioche dans le système public d’enseignement et qui ont favorisé l’éclosion des communautarismes] détailleront les modalités de la participation active des élèves aux journées ou semaines » suscitées. Du côté des enseignants, promesse est donnée d’évaluer « systématiquement dans les concours de recrutement » « la capacité des candidats “à expliquer et à faire partager les valeurs de la République” », gage de bien-pensance qui avait soulevé à juste titre un tollé au temps de la réforme des concours en 2009, précisément parce que les professeurs n’ont pas à être des prêcheurs. Dans le même sens, c’est la célébration de la « culture de l’engagement », comme s’il était obligatoire pour un individu de s’engager et antirépublicain de ne pas le faire, comme s’il n’arrivait pas parfois qu’une action individuelle serve l’intérêt commun plus qu’une action collective, et surtout comme si l’engagement avait une valeur en soi avant de savoir pour quoi l’on s’engage et les raisons de s’engager. Voilà comment on forme les sinistres « rassemblements unanimes » dont parlait Jean-Claude Milner. Voilà surtout de quoi plaire aux entreprises, pour lesquelles un des critères d’« employabilité » est l’« aptitude à travailler en équipe », et qui trouveront ainsi une main d’œuvre docilement formée à l’occasion de ces nobles sujets.
Mais le sommet est atteint avec la participation obligée à des « rites » qualifiés de républicains » ; car les « onze mesures » ne craignent pas d’accoler ces deux mots en principe incompatibles, en citant pour illustration les « symboles de la République (hymne national, drapeau, devise) ». Si rites il y a, alors la déclaration de guerre à l’islamisme radical devient un affrontement de croyances et non plus une affaire de laïcité. Ou plutôt c’est bien une falsification de la laïcité, malgré l’hommage qui lui est rendu avec insistance, comme si elle était la simple conviction symétrique de l’islamisme radical : il ne s’agit plus d’armer l’intelligence des élèves contre tous les discours obscurantistes, mais d’opposer à l’offensive d’un discours religieux une éducation comportementale et une religion civile. Robespierre et Saint-Just l’ont tenté, avec le succès que l’on sait. Et le personnel socialiste, qui a pratiqué si docilement la collaboration de classe depuis 1983, n’a pas leur vertu.

Quelle efficacité pour ces mesures ?

En vérité, les onze propositions se caractérisent pas la confusion et l’équivoque. C’est évidemment le meilleur moyen de rassembler l’opinion, de faire oublier le fait que le terreau essentiel de l’islamisme dans le monde est la mise en œuvre des politiques néolibérales, et plus particulièrement en France la restrictions progressive et programmée des crédits publics et des droits sociaux de tous ordres. Pour éviter de distinguer les choses, mieux vaut faire appel à l’irrationnel. Mais alors, quelle efficacité ?
Par exemple, en mobilisant sans autre précision les « commémorations patriotiques », l’« hymne national » (ainsi appelé et non La Marseillaise, qui malgré ses couleurs guerrières se veut un chant de liberté) ou le « drapeau », Najat Vallaud-Belkacem semble confondre un peu rapidement la République et la France en tant que puissance militaire. Certes, la France peut en partie s’identifier au modèle républicain issu des Lumières, puisqu’elle a été la première historiquement à faire sa Révolution (référence qui, curieusement, ne figure pas dans les « onze mesures », ni dans le discours). Mais, qu’on le veuille ou non, la France a été aussi une puissance colonisatrice ; la propagande islamique utilise abondamment ce souvenir. Et il n’est pas sûr que les enfants d’Africains que la politique de la Françafrique a obligés à émigrer pour fuir la famine, s’ils ont certainement toutes les raisons d’adhérer aux principes républicains, soient prêts à rendre hommage sans distinction à la France en tant que puissance.
Il y aurait bien à dire aussi sur cette citoyenneté « européenne » qui, dès la première mesure, est mise sur le même plan que la citoyenneté française ; bien à dire quand on sait à quel point le gouvernement de l’Union Européenne échappe aux citoyens ; à quel point il s’identifie aux directives d’austérité qui sont la cause essentielle des révoltes de la jeunesse ; à quel point le refus du TCE par le peuple français en 2005 a été traité avec mépris par ses propres dirigeants et les dirigeants européens ; quand on sait aussi que la citoyenneté en Europe n’implique aucunement la laïcité et que celle-ci est une spécificité française.
Mais surtout, le langage ministériel confond, comme le font tant de commentateurs et de discoureurs bien intentionnés, les principes républicains avec des « valeurs ». Le mot est omniprésent dans les « onze propositions » comme dans le discours. Par définition, des « valeurs » sont relatives, peuvent valoir ici et non là, en un temps et non en un autre. Les principes républicains sont une construction politique soigneusement pensée, dont le but est que chaque individu retire de son appartenance à la république le maximum d’intérêt, de sécurité et de liberté ; ou pour dire les choses autrement c’est un compromis destiné à pacifier la loi de la jungle des intérêts individuels. On pourrait étendre aux principes républicains la formule de Catherine Kintzler (5)http://www.mezetulle.net/article-existe-t-il-une-spiritualite-laique-38579412.html à propos de la laïcité : c’est un dispositif rationnel. Contrairement à toute une mystique dans laquelle les hommes de 89 pataugeaient déjà, et qui a envahi encore plus le discours politique sous l’influence du romantisme et avec l’émergence du catholicisme de gauche, ce n’est pas une affaire de sensibilité, ni de pitié, ni de charité, ni de cette « empathie » que le sirupeux projet de programme d’« Éducation morale et civique » soumis à consultation (6)http://eduscol.education.fr/consultations-2014-2015/events/programmes-denseignement-moral-et-civique/ entend faire inculquer aux élèves, dans la lignée de l’autre projet, ô combien obscurantiste, de nouvelle version du « Socle commun de connaissances, de compétences et de culture » (7)https://www.gaucherepublicaine.org/respublica/la-reforme-des-programmes-scolaires-pour-faire-pire-que-la-droite/7387299. C’est une affaire de raisonnement, et même de calcul pratique, valable pour tous les hommes quelle que soit la couleur de leur peau, leurs origines ou leur situation géographique. Les principes républicains, comme la laïcité qui en fait partie, ne sont pas de bonnes vieilles coutumes d’un certain terroir particulier de climat tempéré : c’est ce qui permet que des citoyens puissent coexister tout en ayant des valeurs différentes, dès lors qu’elles n’oppriment pas l’individu. Si vous affirmez que ce sont des « valeurs » fortuitement transmises par tradition, ancêtres, parents, maîtres ou autre autorité quelconque, et encore plus si vous les pourvoyez de « rites », étonnez-vous qu’ici où là des élèves un peu plus audacieux opposent à vos « valeurs » celles qu’on leur a inculquées, ou qu’ils croient qu’on leur a inculquées, ou qu’ils ont choisies ou cru choisir.

Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem auraient donc beaucoup à faire pour que leur stratégie de « mobilisation » ait l’efficacité d’un vrai mouvement de fond. Mais ce serait redonner à l’école, et bien plus encore qu’autrefois, sa vraie fonction républicaine, qui est de former le citoyen libre et critique comme le proposait Condorcet. Un gouvernement socialiste le peut-il ? Pour cela, il faudrait qu’il renie son allégeance néolibérale et qu’il s’écarte du principe fondamental du patronat, qui est « Surtout pas trop d’instruction ! » (8)https://www.gaucherepublicaine.org/respublica/lecole-et-le-capital-deux-cents-ans-de-bouleversements-et-de-contradictions/7392111