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La mort de Rémi Fraisse est inacceptable, encore faut-il aller au fond des choses

La gendarmerie, en action sous la responsabilité de l’État, a tué Rémi Fraisse. Même s’il semble s’agir plus d’un accident que d’une bavure (la grenade serait tombée entre le dos et le sac à dos), cela reste un drame, et c’est intolérable ! Comment a-t-on pu en arriver là ?
Les causes immédiates de cette tragédie sont certes à chercher dans l’appareil d’État : comment sont formées les forces de l’ordre ? quel rôle leur fait-on jouer ? quelle est la responsabilité de la hiérarchie ? Et de l’armée (les gendarmes sont des militaires) ? Ce qui met en jeu la responsabilité du ministère de l’Intérieur, du Premier ministre, jusqu’au Président de la République.
Mais, au delà, on peut en trouver les causes profondes dans la nature même de la société capitaliste. L’État gère la société pour le compte de la classe dominante, mais quand celle-ci ne peut plus accorder même des miettes pour faire semblant d’intégrer le travail à la société, les politiques néolibérales excluent une part sans cesse plus large de la population de l’accès à la richesse produite. En tentant sous couvert de réformes, de sauver les intérêts du capital en crise, ces politiques écartent les dominés du débat politique et, ce faisant, détruisent à petit feu la République, car la légalité ne s’accorde plus nécessairement avec la légitimité républicaine.
Alors la société civile se sépare de l’État, qui la domine au lieu de la représenter, et la société entre dans le cercle vicieux suivant lequel la non-démocratie réelle induit toujours moins de démocratie formelle, ce qui à son tour… Il en résulte un déboussolement qui fera les uns se réfugier dans l’abstention, d’autres, les « casseurs », tomber dans la violence, d’autres encore aller à la rencontre de messies, Élus de la société civile, ou écouter les sirènes autoritaires, voire totalitaires.
Le défaut de démocratie et l’emprise techno-bureaucratique sur des décisions politiques prises au nom d’intérêts seulement particuliers, fait ainsi qu’il advient que l’État peut être conduit à réprimer, avec parfois de funestes conséquences, des oppositions à certaines décisions certes prises en toute légalité, dans le total respect des procédures, mais dont la légitimité républicaine est totalement contestable (dans le champ de l’écologie, Sivens, mais aussi Ferme des 1 000 vaches, Notre-Dame des Landes, Bure, etc.).
La mort de R. Fraisse le montre une fois de plus, nous ne sommes pas en République au plein sens du terme, c’est-à-dire sociale et non seulement politique, car dans une République réelle, une décision légale est aussi une décision légitime, et l’État n’a pas à intervenir pour réprimer des manifestations qui n’ont aucune raison d’être (son action est limitée aux menées anti-républicaines). Son engagement écologiste sincère a jeté R. Fraisse dans le piège mortel du découplage entre légalité et légitimité républicaine, sa mort est avant tout une conséquence du déni constant de République par les autorités légales.

Tous ceux qui cherchent des causes du drame sans en chercher la racine profonde dans la crise du capitalisme et la faiblesse de la démocratie sont complices de ce déni. Et avec eux les médias dominants, dans lesquels se répandent des penseurs à l’atterrante faiblesse d’analyse, qui ne font que détourner les citoyens d’une analyse concrète de la réalité concrète. Le discours sera globalement de condamner la vieille politique, archaïque, et de préconiser de « faire la politique autrement », c’est-à-dire non plus à travers le vote républicain, mais à travers des actions civiles, légitimées par des « experts », afin de peser sur des choix publics dont seuls les « Élus » peuvent évaluer la rationalité. Cette idée qui peut aller jusqu’au point où n’importe quelle minorité pourrait légitiment faire valoir ses propres droits hors du débat politique conduit tout droit au communautarisme.
Un bon exemple de ce discours est dans ce texte d’Edgar Morin publié par Le Monde : http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/11/04/remi-fraisse-victime-d-une-guerre-de-civilisation_4517856_3232.html.
Ce  penseur labellisé par les médias dominants y développe les banalités d’usage : la société civile porteuse d’avenir contre l’État au service des possédants, la machine qui dévore, qui décervelle, contre l’humain (à mettre au centre, bien évidemment). Mais la machine n’est pas nommée, rien n’est dit sur l’agriculture capitaliste (le mot n’apparaît pas), rien sur la cause du productivisme (alors que le capitalisme est productiviste par nature), rien sur l’aliénation de la paysannerie aveuglée par les promesses de rendements et rien sur les petits arrangements locaux entre amis, autorisés par la pseudo décentralisation. En conséquence, E. Morin magnifie une opposition « écolo » ambivalente : progressiste, contre l’agriculture intensive, mais conservatrice, pour une Nature qui n’a jamais existé en tant que telle. Cette « agro-écologie » petite-bourgeoise, au sens d’idéaliste, défend un « vouloir vivre ensemble » contre le « productivisme aveugle », mais sans jamais dénoncer le capitalisme qui en est la cause, en passant son temps à n’en dénoncer que ses seuls effets. Cette pensée, qui nous dit enfants de la Terre et non de la société, ne peut en rien porter les bourgeons de l’avenir.

Scolies

1) Le titre veut marquer l’opposition entre la légitime réaction émotive et la nécessaire réflexion rationnelle. Il est ici bien question de causes et non de responsabilité.

2) L’écologie est prise entre le marteau de la « machine » capitaliste et l’enclume de la nature sociale de l’homme. Une écologie non anti-capitaliste, une écologie fondée sur une religion de la Nature, ne peut que se faire écraser. Rémi Fraisse n’est pas mort pour avoir voulu défendre la nature, il est mort victime du capital.

3) Bien que voté en toute légalité, on peut légitimement mettre en cause le projet du Conseil général du Tarn : conflit d’intérêts (la boîte qui a audité les besoins est celle qui, seule candidate, a obtenu le marché) ; mensonges (l’argument de la dilution estivale des pollutions a disparu puisque l’usine chimique concernée a cessé ses émissions ; surdimensionnement, etc.) ; magouilles (l’argument de l’irrigation pour une agriculture diversifiée couvre l’aubaine de passer à une culture mono-maïs, de l’aveu même des agriculteurs) ; etc. Dans une vraie république, ce genre de vote ne peut pas se produire, ce genre d’« erreur », qui résulte toujours de manipulations sous couvert de légalité, ne peut pas se commettre. Il ne faut donc pas tomber dans le piège du vote quand il n’est que formellement démocratique. Par exemple, tant que l’on ne comprendra pas, ou ne voudra pas comprendre, que N-D des Landes est une opération de spéculation immobilière qui consiste à miser le développement de Nantes sur les cadres sup mondialisés contraints par un Paris trop petit et trop cher et qui pourront partir de Nantes plutôt que de Roissy, on se battra tel Sisyphe pour sauver des zones humides sans s’opposer à un système qui les condamne inexorablement.

4) Dans une belle image, Edgar Morin parle de la « machine bulldozérisante », dont il dit quelle est « animée par la soif effrénée du gain », mais cela ne fait guère avancer le schmilblick : comment arrêter la machine pour la transformer si on n’en démonte pas le mécanisme ? Penser qu’il suffirait par simple vœu d’interrompre son œuvre destructrice pour que la vie reprenne, c’est s’en faire complice. Lézernine parlait en son temps d’idiots utiles.

5) Le texte d’E. Morin relève d’un avatar socialisant de l’idéologie libérale, selon laquelle il n’y a pas de société et donc encore moins de classes, seulement des individus. Quand cette idéologie reconnaît explicitement la réalité de la société, elle doit en chercher le ciment dans des valeurs immanentes, païennes, religieuses, laïques, etc. Dans sa version « socialisante » à fondement laïque, la pensée libérale légitime l’État en tant que constructeur d’une société idéale, sur des valeurs « droits de l’hommistes », supposées naturelles, c’est-à-dire petites-bourgeoises. En cela, elle laisse le champ libre aux vraies déterminations de l’action de l’État, les déterminations de classe, elle est donc en réalité une pensée anti-humaine, puisque l’homme n’y fait pas son histoire, et en cela elle est anti-socialiste.

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