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L’association entre féminisme et laïcité gagne-t-elle du terrain à gauche ? On veut le croire !

Deux rassemblements féministes internationaux plus ou moins comparables se sont succédé dans les dernières semaines.
Le premier a eu lieu à Londres les 11 et 12 octobre 2014. Cette conférence internationale portant sur la droite religieuse, la laïcité (secularism) et les droits civiques http://www.secularconference.com/ s’est conclue par un soutien aux combattants « hommes et femmes » de Kobané et la dénonciation de la violence de la répression de l’État islamique. (1)La conférence a réuni 250 déléguée(e)s d’Afghanistan, d’Algérie et de Tunisie, de tout le sous-continent indien, de Turquie, d’Iran, d’Israël, de Libye, du Soudan et du Yémen.
On lira sur le blog de Maryam Namazie, militante d’origine iranienne et co-organisatrice de l’événement avec l’Algérienne Marieme Helie Lucas,  les premières lignes du Manifeste qui en est issu : « La période est marquée par la montée de la droite religieuse, non pas en raison d’un regain des religions mais parce que des Etats et des mouvements politiques d’extrême droite utilisent la religion pour asseoir leur pouvoir. C’est une conséquence directe du néo-conservatisme, du néo-libéralisme et des politiques sociales inspirées par le communautarisme et le relativisme culturel. »
Le second événement s’est tenu à Paris à l’initiative de Femmes Solidaires, les 7 et 8 novembre, avec une ambition un peu différente : renforcer un récent Réseau International Féministe et Laïque (RIFL) autour de thématiques plus larges qui incluaient également le « féminicide » (en particulier comme arme de guerre) et la marchandisation du corps des femmes (au sens large : GPA, prostitution, pornographie mais aussi mariages précoces ou mariages forcés) et débouchaient sur la notion de violence systémique contre les femmes. (2)A la différence du précédent, il n’était mixte ni en tribune, ni dans la salle. Une dizaine de pays, y étaient représentés. La mise en ligne d’une page consacrée au RIFL est annoncée pour le 25 novembre, sur le site de Femmes Solidaires. Voir aussi des aperçus sur TV5Monde.
Il ne sera question ici que de la thématique de la laïcité commune à ces rencontres, pour noter ce qu’on espère fermement constituer un progrès dans la prise de conscience féministe. Notons au passage que pour les anglophones le terme laicity , de préférence à secularism, ne recueille toujours pas la majorité des suffrages pour traduire « laïcité » mais que, sur le fond, la laïcité n’apparaît plus comme un idéal occidental ou une pratique réservée à l’Occident dont les « autres » auraient à s’inspirer. Beaucoup de témoignages venaient de personnes qui ont payé de leur personne dans des luttes qui étaient globales, associant les droits humains, sociaux, démocratiques, au combat laïque. Certaines, au vu de ce qui se passe en France aujourd’hui, nous ont demandé de « ne pas lâcher » car de tels rassemblements internationaux répondent au besoin de comparaison des situations nationales et de renforcement de la solidarité entre mouvements féministes.

 

 

Ce point m’amène à rappeler que, dans le courant de la décennie précédente, en 2007 et 2009, deux manifestations d’ampleur internationale, les Rencontres Laïques Internationales, s’étaient tenues respectivement à Montreuil et Saint-Denis à l’initiative de l’Union des Familles Laïques (UFAL) : on peut retrouver sur le site laicity.info l’appel résultant de ces initiatives. Pour celles et ceux qui y avaient travaillé, il est encourageant de noter les continuités et de voir qu’une bonne partie des militantes qui avaient participé à ces débats étaient de retour en 2014, toujours aussi mobilisées. Je tenterai de souligner les constantes et les éléments nouveaux des problématiques abordées :
– La notion de blasphème, qu’un certain nombre d’Etats islamiques cherchent à criminaliser auprès des instances internationales, s’est déplacée en Europe du terrain de la caricature (masculine et anticléricale classique de type Charlie-Hebdo) à celui de la provocation des corps dénudés (de type Femen).
– Les Printemps arabes ont montré que, là où la société civile ne pouvait s’ancrer sur des pratiques sociales et démocratiques progressistes, la stagnation du statut des femmes était inévitable ; la Tunisie fait exception à ce jour.
– Dans le groupe des pays émergents, le sous-continent indien, avec ses fanatismes des deux bords (outre la persistance du système des castes), apparaît de plus en plus anachronique et insupportable à l’opinion mondiale et devient plus largement médiatisé.
– Le déploiement de la finance islamique, des pétro-dollars, au service de l’ordre néo-libéral et de la géostratégie états-unienne, a gangrené de nombreux pays et ouvert de nouvelles zones de conflit où la dimension religieuse s’exprime sans retenue, jusqu’en Afrique sud-sahélienne.
– Les pays qui accueillent des immigrés sont particulièrement troublés quand les politiques communautaristes et clientélistes qu’ils ont menées révèlent toute leur nocivité. La Suède découvre des crimes d’honneur sur son territoire ; le Royaume-Uni et le Canada les tribunaux islamiques (3)Voir le texte présenté à Londres traduit dans ReSPUBLICA : L’‘infiltration des principes de la charia au Royaume-Uni. , etc.
– La France, encore relativement préservée de ces excès par les principes républicains, voit la situation se tendre avec la crise économique et la récupération que l’on sait des thèmes laïques par le Front national. D’autant que des actes terroristes isolés et mal analysés entretiennent l’idéologie du Choc des civilisations et du « péril caché au cœur de nos cités ».
– Enfin, phénomène de plus en plus visible, la droite catholique relève la tête et parvient à faire alliance avec d’autres intégrismes pour tenter de rétablir un ordre moral dont les femmes et les enfants sont les premières victimes.

Tout ceci n’est pas de nature à rendre plus cohérent et lisible le mouvement féministe actuel. En effet – s’agit-il d’un mal inhérent à la problématique féministe ? – même si l’on s’en tient à la fraction se disant de gauche du féminisme, certains enjeux semblent brouillés :
– La branche « théorisante » (universitaire) du mouvement parle d’intersectionnalité. Ce barbarisme désigne le recoupement des facteurs aboutissant à des situations de domination/exploitation/oppression maximale des femmes se trouvant à la fois du mauvais côté de la barrière du genre, du côté perdant de la lutte de classe et le cas échéant victimes de la couleur de leur peau ou de leur origine ethnique ; la difficulté n’est elle pas alors de se perdre dans l’analyse des déterminismes multiples, sans pouvoir accorder de priorité stratégique à aucune ?
– En termes de stratégie militante de plus, un dilemme persiste : soit se rattacher à un courant politique/syndical/associatif où le courant féministe peine à gagner sa place par rapport à d’autres problématiques – nécessairement « prioritaires »… – ce qui a été plus ou moins accepté par les féministes du milieu du 19e au milieu du 20e siècle, soit revendiquer l’autonomie du mouvement féministe. Dans le meilleur des cas, cette demande d’autonomie n’est pas de nature essentialiste mais elle postule un certain degré de séparation du monde masculin pour en éliminer les effets de pouvoir, fût-ce à titre transitoire ; pour nous, il s’agit d’une impasse à terme.
– La nécessaire globalisation des luttes a été particulièrement bien exprimée par Djemila Benhabib dans sa présentation à la conférence du RIFL : au féminisme des droits individuels (« c’est mon choix »), elle oppose le féminisme des droits collectifs (« des luttes inscrites dans l’histoire »). Comprendre les tendances à l’échelle internationale, a-t-elle ajouté, devra déboucher sur un travail pédagogique qui permette de démasquer les faux laïques et les faux féminismes. D’autres, comme la Polonaise Nina Sankari, ont parlé d’une nécessaire éducation populaire au-delà de l’adoption de lois, pour ancrer la laïcité dans les esprits. Voilà des propositions stratégiques qui vont bien dans le sens de ce que nous voulons à ReSPUBLICA et que nous mettons en œuvre avec nos partenaires, l’UFAL et le Réseau Education Populaire (REP). J’invite donc les ami(e)s qui le souhaitent à se joindre à nous !

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 La conférence a réuni 250 déléguée(e)s d’Afghanistan, d’Algérie et de Tunisie, de tout le sous-continent indien, de Turquie, d’Iran, d’Israël, de Libye, du Soudan et du Yémen.
2 A la différence du précédent, il n’était mixte ni en tribune, ni dans la salle. Une dizaine de pays, y étaient représentés. La mise en ligne d’une page consacrée au RIFL est annoncée pour le 25 novembre, sur le site de Femmes Solidaires. Voir aussi des aperçus sur TV5Monde.
3 Voir le texte présenté à Londres traduit dans ReSPUBLICA : L’‘infiltration des principes de la charia au Royaume-Uni.
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