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Le président, le séminariste et le manager

Comment comprendre la popularité en chute libre du président malgré, somme toute, ses prises de parole ciselées, inspirées, exprimées empathiquement « les yeux dans les yeux » ? Il faut tout d’abord convenir que le gouvernement des opinions n’est pas une boussole fiable : un attentat, un recueillement cathartique et quelques paroles fortes suffisent pour inverser la courbe de ces opinions par nature volatiles… mais cette inversion obéit aux mêmes règles systémiques de bifurcation : aussi rapidement croissante que décroissante. Il y a donc autre chose… un phénomène tendanciel, quelque chose de constant difficile à objectiver, une stabilité dans l’instabilité, comme « planter un clou dans un jet d’eau » tel que l’écrivait Robert Musil dans L’homme sans qualités (1930). Ce facteur, probablement désespérant vu d’en-haut, de l’émetteur qui – reconnaissons-le – y met du sien jusqu’au pèlerinage, pardon : l’itinérance mémorielle, est un profond désenchantement… à vrai dire, deux désenchantements.

Le premier est celui de la sécularisation. La « fille aînée de l’Eglise » a claqué la porte de ses parents, elle ne croit plus aux sermons, les « affaires » de pédophilie s’ajoutant et non pas expliquant ce désamour : seuls 4% de nos compatriotes se déclarent pratiquants catholiques, cette pratique étant d’ailleurs bien moins exigeante qu’elle ne le fût, auparavant hebdomadaire désormais mensuelle. Un président inspiré par la doxa du catholicisme, fût-il « social » (cf. Ricoeur, la revue Esprit), et s’exprimant en séminariste ne rencontre plus ses fidèles qui, par la force des choses, ont parfaitement compris que l’axiologie n’était plus à rechercher auprès de prédicateurs promouvant le « vivre ensemble » alors que le modèle érigé est celui de la compétition, du combat de chacun contre tous… in fine du marché, cette transcendance païenne qui tombe si bien pour combler la vacuité des idéaux collectifs. Une communion ou un égrégore ne peut être un agrégat d’individualismes.

Le second est celui du management, abusivement précédé de l’expression « science du ». Dans une société où les inégalités croissent, au sommet de la pyramide se trouvent les 1% ou 0,1% de récipiendaires jouissant des bénéfices d’une croissance hémiplégique, les « manipulateurs de symboles » dont parlait Reich, et, bien en-dessous et nombreux, les pioupious qui le plus souvent rament, parfois brament excédés par des évènements a priori marginaux, quelques centimes d’augmentation de l’essence, une APL rognée… Ceux-ci n’y croient plus, même divertis par La Française des Jeux ou Netflix. Ils ont perçu, sinon compris, que le temps n’est pas aux loosers, à ceux qui ne sont pas bien-nés pour un curriculum vitae sans « Sciences Po-ENA », pour des questions de patronyme, de résidence, d’excentricité spatiale synonyme d’excentricité spatiale. Ils ont aussi entendu que le temps n’est pas aux « gens de peu » (Sansot, 1992) qui comptent peu puisque « il y a ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien. » Cela a été dit et cela dit tout. Ces pioupious, du moins les chanceux pas les surnuméraires eux hors-course, travaillent et sont saturés de l’antienne de leurs managers, depuis des lustres, « On est dans le même bateau »… en constatant que les chantres voyagent en première classe pendant qu’eux, en soute, piétinent face à un ascenseur social en panne, désormais descenseur. Le management peut marcher s’il offre une espérance. Dans le cas contraire, il ne faut pas longtemps pour que son discours génère le soupçon, que le mythe méritocratique soit traduit en mystification. Une « société de défiance » (Algan, Cahuc, 2007) que le « Plus près de toi, mon dieu » de l’orchestre des communicants élyséens n’apaise pas, non plus les semi-regrets d’un président reconnaissant ses expressions trop cash.

Ce président, paraît-il adepte de la pensée complexe, a bien compris une vieille – cinquante ans – leçon de l’école de Palo Alto, « Aujourd’hui, on ne peut pas ne pas communiquer ». Peut-être devrait-il aussi se souvenir d’une règle de communication pas totalement accessoire enseignée par Carl Rogers : l’empathie ne suffit pas mais s’accompagne de la « congruence », c’est-à-dire de l’authenticité ou de la cohérence entre ce que l’on dit et ce que l’on fait. Et, là, ce n’est plus de la com’, c’est de la politique qui se juge sur pièces puisque, hélas pour lui, les faits têtus sont imperméables à l’eau bénite du séminariste et au sirop psychoaffectif réconciliateur du manager.

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