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Le quotient familial, un privilège de classe bien plus qu’une aide aux familles

Un débat sur le bien fondé du quotient familial s’est engagé dernièrement sur la scène politique. Défendu à droite, critiqué à gauche, le quotient familial… divise. Rappelons que ce terme désigne le dispositif qui prend en compte les enfants dans le calcul de l’impôt sur le revenu. Il procure aux ménages une réduction d’impôt qui augmente – assez logiquement – avec le nombre d’enfants mais surtout – ce qui est problématique – avec le revenu. L’avantage fiscal est en effet très fortement concentré au bénéfice des ménages disposant des revenus les plus élevés : les 10% de foyers avec les plus hauts revenus se partagent 46% du total de la réduction d’impôt liée au quotient familial (soit 6,4 milliards d’euros en 2009) tandis que les 50 % les plus pauvres se partagent seulement 10 % de la somme (c’est-à-dire moins de 1,4 milliard).Il existe bien un plafonnement de la réduction d’impôt par enfant, introduit en 1982 par la gauche. Mais d’une part, il est fixé à un niveau très élevé et ne concerne que très peu de contribuables, environ 2 % d’entre eux. D’autre part, il ne modifie en rien la très inégale répartition de l’avantage fiscal sous le plafond : la réduction moyenne d’impôt par enfant approche de 300 euros par mois pour un enfant dont les parents appartiennent au groupe du 1 % des revenus les plus élevés, alors qu’elle se situe à 35 euros pour les ménages aux revenus médians, et à seulement 3 euros pour les ménages du premier décile, c’est-à-dire les 10 % de revenus les plus bas (ces chiffres traduisent le fait que près de la moitié des foyers n’est pas imposable et ne bénéficie pas de ce dispositif). Il est donc illusoire de penser remédier à l’injustice du système en abaissant le niveau du plafond : le nouveau seuil proposé par François Hollande fera simplement que 5 % (au plus) des familles les plus riches, au lieu de 2 % actuellement, verront leur réduction d’impôt plafonnée (à un niveau restant toutefois disproportionnellement fort par rapport à ce que « rapporte » fiscalement un enfant de foyers modestes). Proposer en parallèle une augmentation de l’allocation de rentrée scolaire s’apparente à une mesure de rapiéçage, très insuffisante, et signifie surtout renoncer à corriger l’inégalité fondamentale de ce dispositif.
Le quotient familial a pourtant des partisans. Ceux-ci le défendent au nom d’une conception de l’équité définie de la manière suivante : les familles avec enfants devraient avoir le même niveau de vie que les personnes sans enfant qui ont les mêmes revenus primaires (c’est-à-dire avant impôts), et ceci quel que soit le niveau de revenu. Pour prendre un exemple, un couple de cadres qui élève trois enfants devrait avoir le même niveau de vie qu’un couple de cadres de même revenu mais sans enfant. C’est tout à fait discutable. Passons sur le fait que la notion de niveau de vie est une affaire de convention qui n’a pas de fondement théorique et donne lieu à des évaluations discordantes. En ce qui concerne le coût des enfants, il n’est pas contestable que les familles riches dépensent plus pour élever un enfant que les familles modestes : qualité des vêtements, de la nourriture, du logement, loisirs, vacances, etc. Viser à assurer aux couples de cadres le même niveau de vie qu’ils aient ou non des enfants, signifie que la collectivité devra financer plus fortement leurs enfants que ceux des familles modestes. On aboutit ainsi à justifier le fait que des foyers modestes avec ou sans enfants contribuent à une prise en charge « de luxe » des enfants des classes aisées, qui n’ont assurément aucun besoin de cette aide !
C’est une étrange conception de l’équité que celle qui prétend expliquer pourquoi une prestation doit être plus importante pour les enfants de familles aisées afin de leur garantir un niveau de vie plus élevé. Cette conception ne fait que théoriser un privilège de classe. On lui préfère une équité qui cible les enfants et qui vise à procurer à chacun d’eux un niveau de vie convenable quel que soit le revenu des parents. Cette option, conforme au principe universaliste, se traduit par une réforme assez simple si on se limite au quotient familial : il doit être supprimé et remplacé, à enveloppe constante, par un forfait égal pour chaque enfant. Mais on peut aussi projeter de remplacer de la même manière l’ensemble des prestations familiales par une allocation unique par enfant, des modulations en fonction de l’âge étant envisageables.
Les partisans du quotient familial soutiennent aussi qu’y toucher mettrait à mal la natalité française. C’est confondre quotient familial et politique familiale. Il n’est pas question ici de réduire le montant global des dépenses publiques consacrées à la famille mais simplement de le redistribuer autrement. Mais surtout, si le taux de fécondité est élevé (il atteint 2) en France, c’est lié avec la disponibilité de modes de garde pour les enfants. Bien qu’insuffisante – de nombreuses femmes renoncent à un emploi ou optent pour un temps partiel, faute de solutions – elle est néanmoins bien plus importante que dans d’autres pays. En Allemagne, près de 70 % des enfants de moins de trois ans sont gardés par leur mère : les femmes doivent choisir entre avoir un enfant ou avoir un emploi, elles choisissent l’emploi et le taux de fécondité est de 1,36…
La question du quotient familial relève avant tout d’un choix politique. Au-delà, sa remise à plat doit prendre place dans une réforme concernant plus globalement l’ensemble de la fiscalité.

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