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Les enseignements du premier tour de l’élection présidentielle 2017

Cette élection est d’une certaine façon historique car elle rompt en bonne partie avec les séquences électorales passées. Mais aussi parce que le vote Mélenchon permet de garder l’espoir d’une transformation sociale et politique ultérieure, notamment par le grand rajeunissement de cet électorat. Mais ce n’est qu’une étape.

Intéressons-nous à ceux qui, nombreux, n’ont pas voté…

D’abord, il reste 11,4 % de l’électorat potentiel qui est non-inscrit sur les listes électorales, ce qui fait encore beaucoup. Et 15,1 % des inscrits qui sont mal inscrits, c’est-à-dire qui ne sont pas inscrits où ils habitent. L’abstention de 22,7 % est la deuxième plus forte abstention des élections présidentielles de la Ve République. Autre analogie avec le passé  : il y a moins d’abstention dans des zones à forte implantation syndicale.

…et à ceux qui ont voté

Pour l’analyse sociologique, nous reprenons par commodité la classification INSEE malgré les critiques que nous avons formulées envers cette classification. Nous nous sommes appuyés sur le sondage à la sortie des urnes d’IPSOS.

Ce qui a changé est que les ouvriers et les employés d’une part et les jeunes d’autre part se sont moins abstenus que lors des élections précédentes. 29 % des ouvriers, des employés, et des jeunes de moins de 24 ans se sont abstenus. 28 % des jeunes de 25 à 34 ans se sont également abstenus. 25 % des salariés et des chômeurs se sont abstenus. L’abstention reste moins forte dans les couches moyennes et supérieures.
Autre caractéristique : la droite s’est plus mobilisée. 88 % de ceux qui se disent de droite ont été voter contre 83 % à gauche.

Le vote Mélenchon arrive en troisième position chez les couches moyennes supérieures derrière Macron et Fillon avec 19 % des voix, en deuxième position chez les couches moyennes intermédiaires derrière Macron avec 22 %, en deuxième position chez les ouvriers et les employés derrière Le Pen avec 24 et 22 % (Le Pen à 37 et 32 %), en quatrième chez les retraités. En ce qui concerne l’âge, Mélenchon est en tête pour les 18-24 ans devant Le Pen avec 30 %, deuxième après Macron pour les 25-34 ans avec 24%, 2ème sur les 35-49 ans et les 50-59 ans avec 22 et 21 % après Le Pen, quatrième chez les 60-69 ans et les plus de 70 ans avec 15 et 9 %.

A noter que Mélenchon a un vote davantage masculin (plus de 21 % , en troisième place alors qu’il est en quatrième chez les femmes avec  17 %).

Chez les salariés, le vote Mélenchon arrive globalement en troisième position et en deuxième position dans le public derrière Le Pen. Chez les non-salariés, le vote Mélenchon est premier ex aequo avec Macron avec 24 %. Les chômeurs mettent en premier le vote Mélenchon avec 31 % devant Le Pen.

Sur l’échelle des revenus, le vote Mélenchon est en deuxième position derrière Le Pen sur les moins de 1 250 euros et sur la tranche des 1 250 à 2 000 euros avec 25 % et 23 %. Sur les tranches 2 000-3 000, le vote Mélenchon est en troisième position derrière Macron et Le Pen avec 18 % et pour les plus de 3 000, il est troisième derrière Macron et Fillon avec 16 %.

Il est intéressant aussi de voir les proximités syndicales. D’après Harris Interactive, 51 % des sympathisants CGT, 53% des sympathisants Sud, 43 % de la FSU et 32 % de FO ont voté Mélenchon. 48% des sympathisants CFDT et 42 % des sympathisants Unsa et 21 % des sympathisants du Medef ont choisi Macron. Le vote Fillon a été produit avec 58 % des sympathisants du Medef, 43 % de la CGE et 34 % de la CFTC. A noter que  Le Pen mord peu mais sur tous les syndicats sauf FO avec 24 %. Benoît Hamon également mord peu mais sur tous les syndicats avec une pointe sur 18 % des sympathisants FSU

Dernier point, 47 % du vote Hollande de 2012 s’est reporté sur Macron, 24 % sur Mélenchon, 15 % sur Hamon.

Les enseignements pour le moyen terme

En tenant compte du fait que les ouvriers et les employés forment 53 % de la population, retraités et chômeurs compris, 24 % pour les couches moyennes intermédiaires et 15% pour les couches moyennes supérieures, le vote Mélenchon semble arriver à un excellent score chez les CSP+ et pour la première fois chez les jeunes. Bien que le vote Mélenchon  ait augmenté son audience chez les ouvriers et les employés, c’est principalement sur ces couches populaires que réside le gisement futur pour ceux qui s’intéressent à la transformation sociale et politique. Car la percée du FN est plus forte dans ces couches-là que celle de la France Insoumise.

Secondairement, le déficit du vote féminin dans le vote Mélenchon pourrait accréditer l’idée d’une insuffisance de préoccupations sur ce qui touche plus directement les femmes (petite enfance, laïcité dans les quartiers, complaisance avec l’obscurantisme religieux et communautariste, etc.).

Autre enseignement, le vote Mélenchon est un vote urbain comme celui de Macron. Les quelques départements ruraux qui donnent un vote Mélenchon important correspondant aux endroits où une action syndicale et politique forte et une activité intense d’éducation populaire se sont inscrites dans le paysage depuis longtemps  Ce qui se verra clairement lors des législatives en zone urbaine et dans ces quelques départements périphériques et ruraux.. Le vote Mélenchon est plus faible dans la France périphérique, périurbaine, rurale et déclassée où vivent de très nombreux ouvriers et employés. Cela pourrait accréditer l’idée d’une insuffisance de préoccupations pour l’aménagement du territoire et sans doute de l’insuffisance de militants dans ces zones.

Sur l’avenir, comme sans doute Macron sera élu président de la République, et qu’il va durant son mandat continuer de conforter, par une politique de plus en plus austéritaire, le développement ultérieur du vote Front national comme l’ont fait ses prédécesseurs, c’est bien à une confrontation entre les électeurs du FN renforcés par une partie de la droite et ceux de Mélenchon que nous allons vivre dans les années 20 de ce siècle comme dans les années 30 du précédent. De ce point de vue, le FN a une longueur d’avance. Puissent les électeurs de Mélenchon et leurs organisations rattraper ce retard pour terminer victorieusement. Mais, pour cela, des inflexions et changements importants sont nécessaires dans la ligne stratégique suivie. Nous en avons abondamment parlé dans les colonnes de Respublica et nous y reviendrons bien sûr ultérieurement. Par ailleurs, c’est sur ce point que vont se concentrer nos interventions dans le cadre du Réseau Education Populaire (400 interventions par an).

En attendant, une fois la séquence électorale terminée, c’est le mouvement syndical revendicatif qui devra se porter en première ligne dans la résistance au mouvement réformateur néolibéral.

Le deuxième tour

Si le FN est notre ennemi principal, il ne peut être question pour nous d’appeler à voter pour Macron « pour faire barrage sans suite » car nous ne pouvons pas voter pour ceux qui comme Sarkozy, Hollande ou Macron sont ceux qui conduisent les politiques néo-libérales favorables à la montée du FN. Car nous sommes bien au milieu du trend qui fait monter inexorablement l’extrême droite vers le pouvoir, comme dans les années 30. Et comme dans les années 30, ce n’est pas un barrage électoral qui empêchera le FN d’accéder au pouvoir (se rappeler que c’est la Chambre du Front populaire qui vote les pleins pouvoirs à Pétain), c’est la fin des politiques néolibérales qui peut produire la décrue du FN.

Pour en finir avec l’illusion du barrage électoral au profit de ceux dont les politiques poussent à terme le FN au pouvoir, nous voterons donc blanc ou nul mais nous voterons. Ce vote devra être un vote positif avec un engagement à mener la bataille centrale contre les politiques néolibérales, tout en sachant que ces politiques sont aujourd’hui les seules politiques possibles dans le cadre du capitalisme. Car les politiques néo-libérales ne sont pas l’effet d’un mauvais choix fait par de mauvaises personnes, mais l’effet de la crise du capitalisme, de son profit et du capital. Dit autrement, la sortie de crise ne résultera pas uniquement d’un volontarisme de type post-keynésien mais bien d’un processus de rupture.

Marx expliquait que l’idée socialiste ne peut pas se développer quand le capital a les moyens d’embourgeoiser les travailleurs, mais qu’elle renaîtrait avec leur assèchement. Cet embourgeoisement a été le fruit des combats du socialisme réformiste sous la forme des « conquis sociaux » (services publics, protection sociale) lâchés par les gouvernements de droite des Trente glorieuses. Mais, comme a dit Thatcher, « le socialisme [réformiste] ne dure que jusqu’à ce que se termine l’argent des autres » et quand la crise du profit fut venue, la gauche social-démocrate accéda au pouvoir et devint « moderne » pour gérer la reprise desdits conquis. De Mitterrand à Hollande elle tenta de concilier réformes néo-libérales et progrès social, ce qui finit par opposer deux gauches « irréconciliables », selon le mot de Valls ; organiser une primaire avec Valls, Hamon et Montebourg ne pouvait que se terminer que par une décomposition. Avec l’implosion de la gauche pas de gauche, ce peut être l’heure d’un socialisme vrai, anticapitaliste, l’heure de la République sociale. Mais d’ici là nous connaîtrons d’autres paroxysmes.

Nous devons donc travailler pour viser la transformation sociale et politique en même temps que de combattre les politiques néolibérales. Mais cela ne pourra se faire que si les conditions de la révolution citoyenne sont réunies (conditions de la sortie de l’UE et de la zone euro, processus de transfert de propriété vers les travailleurs, etc.)

Voter Macron pourrait être légitime au deuxième tour car on peut toujours craindre sa défaite et vouloir acheter du temps avant d’affronter le FN, mais il faut que ce soit dans la perspective de mieux se préparer à faire face à lui et non, comme par le passé,  continuer à défendre des lignes stratégiques perdantes.

Si la poussée du processus JLM2017 est due à la rupture avec les lignes stratégiques de décomposition de la gauche de la gauche, si cette poussée a pu être faite dans cette séquence grâce au mouvement de la France insoumise (qui n’est pas un parti), force est de constater pour  la séquence suivante la nécessité :

Tout cela devra nous entraîner à réfléchir à l’émergence d’une nouvelle recomposition et restructuration organisationnelle capable de porter ces nouvelles exigences. Voilà le « prix à payer » pour gagner à terme la confrontation avec la future alliance de l’extrême droite et de la droite autoritaire, une fois que Macron aura échoué comme ses prédécesseurs.

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