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Les réfugiés environnementaux et leur protection

Cet article fait suite à celui de Emnet Gebre dans ReSPUBLICA « Du réfugié politique au réfugié(s) climatique(s) : une catégorie de personnes vulnérables en quête d’une protection juridique » et constitue une contribution au débat sur l’immigration au moment des élections européennes de mai prochain.
Le nombre de migrants environnementaux ne cesse d’augmenter et ils demeurent « invisibles » au plan juridique parce que non identifiés dans les textes qui traitent de la protection internationale des personnes. Pourquoi une telle situation et quelles seraient les pistes pour élaborer une protection juridique spécifique qui leur soit dédiée ? Voilà les termes du débat qui devrait avoir lieu.
A la fin du XXe siècle, la Croix rouge estimait le nombre de réfugiés écologiques à 25 millions. A l’horizon 2050, le nombre de personnes déplacées pour des raisons environnementales varie entre 140 millions (Banque mondiale) et 250 millions (ONU). Le changement climatique a un impact migratoire mondial et certaines régions sont particulièrement concernées, notamment les méga-deltas et plaines côtières (Bangladesh, Vietnam, deltas du Nil et du Niger), les zones arides (Sahel africain, régions sèches d’Amérique et d’Asie), les États insulaires de faible altitude (Tuvalu, Kiribati, les Maldives), les régions polaires d’Alaska et du Canada. Les causes de départ des migrations environnementales sont multiples et dépassent le seul changement climatique ; elles englobent des causes exclusivement naturelles (tremblement de terre, tsunami, éruption volcanique) ou humaines (accidents industriels, conflits armés, pollutions), ou des causes naturelles induites par les activités humaines (variabilité climatique, érosion des sols, destruction de la biodiversité). Les migrations environnementales constituent le plus souvent une solution de dernier recours. Les populations migrent non à cause de persécutions individuelles mais du fait d’une situation environnementale ne leur permettant plus de vivre décemment. Un migrant environnemental est toujours un migrant économique.
Si les causes de départ sont multiples, les situations qui en résultent sont tout aussi complexes. La migration se limite le plus souvent au sein d’un État (migration interne) ou au contraire être transfrontière à une échelle régionale ou extra-continentale. Les situations rencontrées montrent la pluralité des migrations environnementales qui peuvent être traditionnelles, lointaines ou de relative proximité, voire circulaires, elle peuvent être temporaires, longues ou définitives. La variabilité climatique dans une même région n’induit pas les mêmes situations : les sécheresses sont synonymes de migrations lointaines et de longue durée alors que les inondations conduisent à des migrations de proximité et généralement temporaires. La réalité des migrations environnementales doit prendre en compte les politiques des États concernés et les politiques de libre échange qui très souvent saccagent l’économie vivrière des pays fragiles. La situation ultime concerne la disparition des territoires pour partie (zones deltaïques) ou en totalité (îles du Pacifique) conduisant des populations à migrer, se retrouvant pour certaines d’entre elles en situation de personnes apatrides.
Nommer juridiquement les victimes des migrations environnementales signifie devoir les identifier pour les protéger. La terminologie est une question importante au vu de la diversité des causes de départ et des situations rencontrées. Une pléthore de termes sont utilisés pour qualifier ceux qui migrent « réfugiés climatiques », « migrants environnementaux », « réfugiés écologiques », « éco-réfugiés », « éco-migrants », « déplacés climatiques », « déplacés environnementaux », La définition adoptée en 2007 par l’Organisation internationale des migrations (OIM) [« on appelle migrants environnementaux, les personnes ou groupes de personnes qui, essentiellement pour des raisons liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraintes de quitter leur foyer ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement, et qui, de ce fait, se déplacent à l’intérieur de leur pays ou en sortent »] met l’accent sur le facteur environnemental (et non seulement écologique (1)Si l’on reprend la définition du terme « écologie », « science des rapports des organismes avec le monde extérieur », force est d’admettre la présence de l’homme et de son influence dans les cycles de la nature et de son influence de plus en plus grandissante sur les autres organismes vivants de la planète. Parmi les facteurs du monde extérieur (ce que l’on appelle à présent l’environnement) qui définissent les conditions d’existence, figurent les caractéristiques physiques et chimiques de l’habitat, le climat, la qualité de l’eau, la qualité de l’air, la nature du sol, etc…. L’homme vit également dans un environnement qui lui est propre et de plus en plus « dénaturalisé » : son lieu de vie, son lieu de travail (80 % de la production industrielle n’est pas liée au climat). Il y a par conséquent une distinction à faire entre les mots « écologie » et « environnement », sur la durée, sur la migration forcée ou volontaire, sur la migration interne ou transfrontière.
Si de nombreux textes traitent de la question du réfugié et de l’environnement, aucun texte juridique contraignant ne lie les deux problématiques. Certains textes offrent toutefois par « ricochet » ou par « extension » des possibilités de protection. La Convention de Genève dans son article 1er (le réfugié est celui qui craint « avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques ») n’évoque pas directement le réfugié environnemental ou écologique. Seul le critère « appartenance à un groupe social » peut être avancé comme possibilité de protection. La Déclaration universelle des droits de l’homme (article 13 « toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ») protège la personne sans la catégoriser. Elle affirme des droits qui ont peu d’effets concrets contraignants. Les migrants qui ne peuvent revenir dans leur pays qui aurait disparu (certains États insulaires), devenant de ce fait apatrides, pourraient bénéficier de la protection au titre de la Convention de Genève.
Les négociations climatiques n’abordent qu’en 2010 (soit 18 ans après la signature de la Convention cadre des Nations Unies des changements climatiques CCNUCC) la « migration induite par le changement climatique ». L’Équipe spéciale sur les déplacements de populations, créée au moment de l’Accord de Paris en 2015, n’a fourni aucun élément concret de protection à la dernière conférence en Pologne en 2018.

Pour l’Union européenne, la proposition faite en 2004 par deux députés Verts d’élaborer un statut communautaire de réfugié écologique n’a pas été adoptée par le Parlement européen. La Directive Qualification (2011/95/UE) qui définit les critères que doivent remplir les ressortissants de pays tiers ou d’apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection subsidiaire (protection alternative à la protection conventionnelle) ne reconnaît pas ce droit aux réfugiés écologiques ou environnementaux (2)Les critères que doivent remplir les ressortissants de pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection subsidiaire pour un demandeur d’asile sont (i) la peine de mort ou l’exécution; (ii) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; (iii) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.. Le dernier document de la Commission européenne « Changement climatique, dégradation environnementale et migration » publié en 2013 n’envisage aucune amendement à la Directive Qualification et renvoie cette question au dialogue avec les pays tiers en matière de coopération au développement. Les migrants environnementaux restent donc « invisibles » dans le droit européen.

En France, le droit français n’envisage pas la question du refuge écologique (cf. la décision du Conseil d’État pour les victimes de Tchernobyl). S’il n’existe aucune protection spécifique, un accueil « régalien » est toutefois possible au titre de l’article 53-1 de la Constitution (3) Article 53-1 : « La République peut conclure avec les États européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d’asile et de protection des Droits de l’homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l’examen des demandes d’asile qui leur sont présentées. Toutefois, même si la demande n’entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ». qui indique que la protection de la France peut être sollicitée pour « un autre motif » (entendu par rapport au droit international et aux directives européennes). L’OFPRA a déjà reconnu (de manière épisodique) comme groupe social des personnes victimes de dégradations environnementales et octroyé une protection écologique (cas d’un berger mauritanien qui a fui la désertification de son pays). Le Pacte de Marrakech adopté en décembre 2018 pour des migrations sûres, ordonnées et régulières rappelle qu’il « établit un cadre de coopération juridiquement non contraignant ». Le Pacte ignore la nécessité de rendre « visible » les migrants environnementaux, c’est à dire leur donner un statut en vue de leur protection.

La protection des migrants environnementaux se heurte à deux types d’obstacles, l’un juridique, le second de mise en œuvre. La protection internationale est enserrée dans les deux principes du droit international, la souveraineté des États et le principe de non ingérence, alors que la crise écologique ignore les frontières. La mise en œuvre d’une protection pose également plusieurs difficultés au juriste, (i) la première difficulté tient à la durée de la migration, temporaire (inondations), longue (sécheresses) ou définitive (disparition d’États insulaires), (ii) la seconde difficulté doit aborder la question du « va et vient » dans le pays sinistré (à l’inverse du réfugié politique), permettant au réfugié de quitter temporairement le pays d’accueil tout en continuant à bénéficier de ses droits, (iii) le statut de protection doit être suffisamment large pour bénéficier également aux migrants internes et aux migrants transfrontières, (iv) la dernière difficulté concerne les droits au regroupement familial et au travail.

Trois orientations se dessinent autour de la protection à construire pour les migrants environnementaux. Certains préconisent l’amendement de l’article 1er de la Convention de Genève en ajoutant au persécuté, la victime « de conditions environnementales dégradées menaçant sa vie, sa santé, le moyen de subsistance ou l’utilisation de ressources naturelles ». La seconde orientation est de privilégier les protections alternatives comme la protection subsidiaire en amendant la Directive européenne Qualification permettant aux migrants environnementaux de pouvoir bénéficier de cette protection internationale. La pratique montre aussi que les protections alternatives sont souvent synonymes de précarisation des droits. La troisième orientation, issue de l’Appel de Limoges en 2005 est de créer un statut international spécifique au « réfugié écologique ».
La proposition de la France insoumise faite en avril 2018 de créer un « statut de détresse climatique et humanitaire » demeure, semble-t-il, au stade d’une intention non argumentée. Cette proposition pourrait s’appuyer en droit français sur l’article 53-1 de la Constitution qui évoque la possibilité d’accorder l’asile pour « un autre motif ». Cette proposition pourrait également s’inscrire dans la demande de modification de la Directive Qualification en amendant les critères permettant aux migrants environnementaux de pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire. A plus long terme, le statut juridique pour la protection internationale des migrants environnementaux (cf. Appel de Limoges) est un chantier de travail.
Si un statut juridique pour la protection des migrants environnementaux qui traversent les frontières est à rechercher, la question demeure pour la protection des victimes qui migrent à l’intérieur de leur propre pays, ceux-ci sont les plus nombreux et c’est là le plus gros problème.

Références utilisées

Notes

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Si l’on reprend la définition du terme « écologie », « science des rapports des organismes avec le monde extérieur », force est d’admettre la présence de l’homme et de son influence dans les cycles de la nature et de son influence de plus en plus grandissante sur les autres organismes vivants de la planète. Parmi les facteurs du monde extérieur (ce que l’on appelle à présent l’environnement) qui définissent les conditions d’existence, figurent les caractéristiques physiques et chimiques de l’habitat, le climat, la qualité de l’eau, la qualité de l’air, la nature du sol, etc…. L’homme vit également dans un environnement qui lui est propre et de plus en plus « dénaturalisé » : son lieu de vie, son lieu de travail (80 % de la production industrielle n’est pas liée au climat). Il y a par conséquent une distinction à faire entre les mots « écologie » et « environnement »
2 Les critères que doivent remplir les ressortissants de pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection subsidiaire pour un demandeur d’asile sont (i) la peine de mort ou l’exécution; (ii) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; (iii) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
3 Article 53-1 : « La République peut conclure avec les États européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d’asile et de protection des Droits de l’homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l’examen des demandes d’asile qui leur sont présentées. Toutefois, même si la demande n’entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ».
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