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Les revendications des Gilets jaunes : un vrai « cahier de doléances » 

Jeudi 29 novembre dernier, jour où une délégation de gilets jaunes devait être reçue par Edouard Philippe et qui tourna finalement au fiasco, les têtes de réseaux des principales pages Facebook faisaient remonter le “cahier de doléances” ci-dessous. Ces revendications, discutables pour certaines, montrent tout de même le profond caractère égalitaire de la base de ce mouvement. Ce cahier revendicatif, pourtant publié sur le site web de Franceinfo, a été très peu médiatisé et l’on comprend pourquoi. L’exécutif pour le moment préfère diffuser l’idée d’un mouvement illisible, incompréhensible et sauvage.

Par ailleurs, les directions syndicales, de la CGT ou de la FSU par exemple, devraient bien lire attentivement ce “cahier de doléances” pour enfin comprendre quelque chose à ce mouvement populaire.

Voici la liste des demandes (Source: Franceinfo) :

• Zéro SDF : URGENT.

• Davantage de progressivité dans l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire davantage de tranches.

• Smic à 1 300 euros net.

• Favoriser les petits commerces des villages et centres-villes. Cesser la construction des grosses zones commerciales autour des grandes villes qui tuent le petit commerce et davantage de parkings gratuits dans les centres-villes.

• Grand plan d’isolation des logements pour faire de l’écologie en faisant faire des économies aux ménages.

• Impôts : que les GROS (MacDo, Google, Amazon, Carrefour…) payent GROS et que les petits (artisans, TPE, PME) payent petit.

• Même système de Sécurité sociale pour tous (y compris artisans et auto-entrepreneurs). Fin du RSI.

• Le système de retraite doit demeurer solidaire et donc socialisé. Pas de retraite à points.

• Fin de la hausse des taxes sur le carburant.

• Pas de retraite en dessous de 1 200 euros.

• Tout représentant élu aura le droit au salaire médian. Ses frais de transports seront surveillés et remboursés s’ils sont justifiés. Droit aux tickets-restaurant et aux chèques-vacances.

• Les salaires de tous les Français ainsi que les retraites et les allocations doivent être indexés à l’inflation.

• Protéger l’industrie française : interdire les délocalisations. Protéger notre industrie, c’est protéger notre savoir-faire et nos emplois.

• Fin du travail détaché. Il est anormal qu’une personne qui travaille sur le territoire français ne bénéficie pas du même salaire et des mêmes droits. Toute personne étant autorisée à travailler sur le territoire français doit être à égalité avec un citoyen français et son employeur doit cotiser à la même hauteur qu’un employeur français.

• Pour la sécurité de l’emploi : limiter davantage le nombre de CDD pour les grosses entreprises. Nous voulons plus de CDI.

• Fin du CICE. Utilisation de cet argent pour le lancement d’une industrie française de la voiture à hydrogène (qui est véritablement écologique, contrairement à la voiture électrique.)

• Fin de la politique d’austérité. On cesse de rembourser les intérêts de la dette qui sont déclarés illégitimes et on commence à rembourser la dette sans prendre l’argent des pauvres et des moins pauvres, mais en allant chercher les 80 milliards de fraude fiscale.

• Que les causes des migrations forcées soient traitées.

• Que les demandeurs d’asile soient bien traités. Nous leur devons le logement, la sécurité, l’alimentation ainsi que l’éducation pour les mineurs. Travaillez avec l’ONU pour que des camps d’accueil soient ouverts dans de nombreux pays du monde, dans l’attente du résultat de la demande d’asile.

• Que les déboutés du droit d’asile soient reconduits dans leur pays d’origine.

• Qu’une réelle politique d’intégration soit mise en œuvre. Vivre en France implique de devenir français (cours de langue française, cours d’histoire de France et cours d’éducation civique avec une certification à la fin du parcours).

• Salaire maximum fixé à 15 000 euros.

• Que des emplois soient créés pour les chômeurs.

• Augmentation des allocations handicapés.

• Limitation des loyers. Davantage de logements à loyers modérés (notamment pour les étudiants et les travailleurs précaires).

• Interdiction de vendre les biens appartenant à la France (barrage, aéroport…)

• Moyens conséquents accordés à la justice, à la police, à la gendarmerie et à l’armée. Que les heures supplémentaires des forces de l’ordre soient payées ou récupérées.

• L’intégralité de l’argent gagné par les péages des autoroutes devra servir à l’entretien des autoroutes et routes de France ainsi qu’à la sécurité routière.

• Le prix du gaz et de l’électricité ayant augmenté depuis qu’il y a eu privatisation, nous voulons qu’ils redeviennent publics et que les prix baissent de manière conséquente.

• Fin immédiate de la fermeture des petites lignes, des bureaux de poste, des écoles et des maternités.

• Apportons du bien-être à nos personnes âgées. Interdiction de faire de l’argent sur les personnes âgées. L’or gris, c’est fini. L’ère du bien-être gris commence.

• Maximum 25 élèves par classe de la maternelle à la terminale.

• Des moyens conséquents apportés à la psychiatrie.

• Le référendum populaire doit entrer dans la Constitution. Création d’un site lisible et efficace, encadré par un organisme indépendant de contrôle où les gens pourront faire une proposition de loi. Si cette proposition de loi obtient 700 000 signatures alors cette proposition de loi devra être discutée, complétée, amendée par l’Assemblée nationale qui aura l’obligation, (un an jour pour jour après l’obtention des 700 000 signatures) de la soumettre au vote de l’intégralité des Français.

• Retour à un mandat de 7 ans pour le président de la République. L’élection des députés deux ans après l’élection du président de la République permettait d’envoyer un signal positif ou négatif au président de la République concernant sa politique. Cela participerait donc à faire entendre la voix du peuple.

• Retraite à 60 ans et, pour toutes les personnes ayant travaillé dans un métier usant le corps (maçon ou désosseur par exemple), droit à la retraite à 55 ans.

• Un enfant de 6 ans ne se gardant pas seul, continuation du système des aides Pajemploi jusqu’à ce que l’enfant ait 10 ans.

• Favoriser le transport de marchandises par la voie ferrée.

• Pas de prélèvement à la source.

• Fin des indemnités présidentielles à vie.

• Interdiction de faire payer aux commerçants une taxe lorsque leurs clients utilisent la carte bleue. Taxe sur le fuel maritime et le kérosène.

Les revendications des « Gilets jaunes » sont-elles vraiment illisibles ?

La tornade qui s’abat sur la France, véritable levée populaire à l’encontre d’un président des riches qui annonce peut être la destruction psychologique et politique d’un jeune homme qui voulait jouer à la start-up avec son pays, ignorant les puissants ressorts de la population française à une aspiration à l’égalité. Est-ce un profond mouvement qui s’exprime à l’encontre d’une caste moderniste et financière, analogue à une nouvelle aristocratie hautaine et méprisante qui a voulu imposer sans aucun discernement un modèle politique néolibéral anglo-saxon européiste incarné par Emmanuel Macron qui se prend les pieds dans le tapis. Les résultats des futures élections européennes en diront plus sur ce qui est en train de se jouer sur la scène politique actuelle.

Les revendications des « gilets jaunes » dépassent désormais la question du prix des carburants. Le mouvement a envoyé une liste d’une quarantaine de revendications qui est présentée dans les médias comme une liste hétéroclite, alors qu’elle illustre la variété des revendications du mouvement. Rien n’est moins sur. La France insoumise s’est livrée à un comparatif instructif (https://lafranceinsoumise.fr/2018/11/29/demandes-des-gilets-jaunes-les-propositions-de-la-france-insoumise-toutes-rejetees-par-en-marche/) entre les revendications portées par les « Gilets jaunes », le programme « L’Avenir en commun » et la position de la majorité macroniste actuelle. La comparaison montre évidemment la similitude de la plupart des propositions entre les deux mouvements et le rejet intégral des revendications par les élus macronistes au Parlement. Difficile à ce stade d’imaginer un dialogue et une négociation proposée par le gouvernement Macron. Comment sortir par le haut devant une telle situation : dissoudre le Parlement, « Macron démission », « nous avons entendu les revendications de la population, nous maintenons le cap, mais en même temps …. ». Pour démarrer, regardons d’abord les revendications.

Plusieurs d’entre elles ne peuvent aboutir dans la législature actuelle au titre de l‘article 40 de la Constitution « les propositions et amendements formulés par les membres du parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique » ; il s’agit concrètement de la retraite à 60 ans, la revalorisation des retraites à 1 200 € minimum et l’augmentation du SMIC à 1 300 €.

Si de telles revendications s’avèrent impossibles à l’heure actuelle, il faut donc envisager la satisfaction de tout ou partie des autres revendications. Plutôt que de les aborder comme une liste à la Prévert, il est possible de les présenter en différents thèmes, ce qui permet de mieux illustrer la nature du mouvement des « Gilets jaunes », de montrer sa singularité par rapport à la révolte « poujadiste », mouvement de la IVe République dans lequel Jean-Marie Lepen débutait sa carrière politique

Les questions de société pointent une urgence sociale à savoir zéro SDF, mais également la nécessité d’accorder des moyens conséquents à la police et à la justice, et de limiter dans le système scolaire au maximum à 25 le nombre d’élèves par classe.

La politique sociale est au cœur des revendications. Si la revalorisation des retraites et du SMIC s’avèrent impossible dans la législature actuelle, il est proposé l’arrêt de la hausse des taxes sur le carburant, l’indexation des salaires sur l’inflation, la fixation d’un salaire maximum à 15 000 €, la limitation du nombre de CDD dans les grosses entreprises, la limitation du montant des loyers, notamment pour les étudiants et travailleurs précaires, la renationalisation des services du gaz et de l’électricité pour qu’ils redeviennent des services publics, l’interdiction de faire du profit sur l’accompagnement des personnes âgées.

La protection sociale est le second volet clé des revendications pour une vie digne : la mise en place d’un même système de Sécurité sociale, un système de retraite solidaire et socialisé et non une retraite à points, l’augmentation des allocations des personnes handicapées, des moyens conséquents apportés à la psychiatrie, la poursuite des aides pour la garde des enfants jusqu’à 10 ans.

Le système fiscal, source des inégalités criantes, est à réformer pour permettre par l’augmentation du nombre des tranches une meilleure progressivité dans l’impôt sur le revenu, une justice fiscale entre les niveaux d’imposition appliqués aux grosses sociétés multinationales et les artisans, moyennes et petites entreprises, l’abandon du prélèvement à la source, l’abandon de la taxe aux commerçants lorsque les clients utilisent le paiement par carte bancaire.

L’aménagement du territoire et les préoccupations écologiques sont loin d’être absentes, en voulant favoriser l’installation des petits commerces et de cesser la construction des grosses zones commerciales à la périphérie urbaine, l’utilisation des péages des autoroutes pour assurer leur entretien et des routes nationales, l’arrêt immédiat des fermetures des petites lignes, bureaux de poste, écoles et maternité, la priorité au transport des marchandises par voie ferrée, la mise en place d’un grand plan d’isolation des logements permettant à la fois de favoriser la transition énergétique et limiter les coûts aux ménages, la taxation du fuel maritime et du kérosène de l’aviation.

L’économie et les politiques européennes font l’objet de plusieurs revendications qui remontent au précédent gouvernement de F. Hollande : la protection industrielle, c’est à dire la protection d’un savoir faire et des emplois en mettant fin aux délocalisations, la fin du statut du travailleur détaché véritable moteur du dumping social, mettre fin au CICE et de créer plutôt des emplois pour les chômeurs, l’arrêt des politiques d’austérité par le refus de continuer à payer les intérêts illégitimes de la dette et de mettre fin aux quelques 80 milliards de fraude fiscale, interdire la vente des biens communs du pays que sont les barrages hydrauliques et les aéroports.

La question migratoire est également abordée avec des revendications qui abordent les causes des migrations forcées, l’accueil digne des demandeurs d’asile, la mise en œuvre d’un réelle politique d’intégration ainsi que la reconduction des déboutés du droit d’asile dans leur pays d’origine.

Les institutions de la République ne sont pas absentes des revendications lorsqu’il est demandé que tout représentant élu se limite à un salaire médian (1 800 €, 20 % inférieur au salaire moyen), l’insertion dans la Constitution du droit au référendum, le retour au septennat pour le président de la République et à la fin des indemnités présidentielles à vie.

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