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L’imposture de la création du secteur optionnel

La santé : un capital individuel et collectif

Nous approchons d’une nouvelle année à l’orée de laquelle nous exprimerons peut être ce que l’on considère comme une banalité : « Bonne année, bonne santé ». Banalité ? A la réflexion, c’est bien le facteur le plus important d’une qualité de vie, tant sur le plan individuel que sur le plan collectif, l’état de santé des personnes constituant un niveau de santé général qui sera le meilleur rempart des épidémies et le garant d’une société dynamique.

C’est cette interaction de l’intérêt individuel et de l’intérêt collectif qui a inscrit la protection de la santé au fronton de notre nation. La Constitution (11èeme alinéa du préambule) l’inscrit aux droits fondamentaux des citoyens.

Au sortir de la dernière guerre, le législateur à conçu un dispositif de protection sociale fondé sur la solidarité qui devait permettre à chacun d’être soigné selon ses besoins en contribuant au système selon ses moyens.

Afin de concilier les intérêts du service public de la santé (délégué à la branche maladie de la sécurité Sociale) et le dispositif libéral de production des soins ambulatoires, dès l’origine, l’assurance maladie à proposé aux personnels de santé « un contrat » (la convention) destiné à encadrer les honoraires de telle sorte qu’ils correspondent aux tarifs de remboursement.

Sans une couverture des frais de santé optimale en effet, compte tenu du coût des soins, peu de malades pourraient assurer la charge de leur pathologie.

Encadrer le prix des prestations sanitaires pour optimiser leur remboursement.

En contrepartie de leur adhésion à la convention, l’assurance maladie offre au corps médical des avantages considérables au premier rang desquels se trouve la solvabilité (du fait des remboursements) d’une clientèle qui, à défaut, déserterait les cabinets médicaux. Mais la collectivité assume également une quantité impressionnante d’avantages exorbitants de la règle générale (c’est l’assurance maladie qui paie les 2/3 des cotisations sociales des médecins du secteur 1, qui règle une forte partie des assurances en responsabilités civiles, la formation permanente des médecins, la permanence des soins, etc…, etc…), le tout entraînant une certaine perplexité sur le caractère « libéral » d’une corporation crispée sur le maintien de ce statut.

Dès la création de la Sécurité Sociale, la résistance du corps médical à l’encadrement des honoraires s’est manifestée. Jusqu’en 1960, les dispositions tarifaires ont été ignorées. A partir de cette date, les pouvoirs publics ayant arrêtés quelques mesures contraignantes, le régime conventionnel et, en conséquence, la généralisation des honoraires encadrés a développé l’accès aux soins avec l’élévation corrélative du niveau de santé et …des dépenses de l’assurance maladie. Dépenses ou investissement… ?

La dégradation progressive de l’encadrement des honoraires médicaux.

Toutefois, les syndicats professionnels avaient obtenus l’obtention à un droit à dépassement pour certains praticiens désignés sur des critères de notoriétés très contestables (secteur 1+DP). La proportion de ces médecins devenant préoccupante, cette particularité a été supprimée en 1980, mais ceux qui l’avaient obtenu l’ont conservée. En échange – si l’on peut dire – une nouvelle dérogation a été créée avec l’instauration d’un secteur de « liberté » tarifaire supplémentaire (le secteur 2), les médecins pouvant opter pour cette possibilité tous les ans. L’effectif des praticiens appliquant le tarif conventionnel s’amenuisant régulièrement, la migration vers le secteur 2 a été supprimée en 1990, sauf pour les praticiens dotés de titres universitaires (essentiellement des spécialistes) qui peuvent s’inscrire dans ce secteur conventionnel (ce qu’ils font dans leur grande majorité) lorsqu’ils s’installent. A noter que les médecins qui avaient choisi le secteur 2 avant son « gel », ont conservé leur droit à dépassement.

Il convient d’observer que la « liberté tarifaire » comporte des limites que le code de déontologie médicale, le code de sécurité sociale et la convention déterminent. Si les médecins du secteur 1 ne peuvent se soustraire à l’encadrement tarifaire qu’exceptionnellement (leurs dépassements augmentent pourtant de façon inquiétante), les médecins du secteur 2 doivent fixer leurs honoraires avec « tact et mesure » et, en conséquence, être adaptés aux moyens du patient, ce qui exclut tout systématisme et tout excès. En cas d’irrégularités aux règles énoncées ci-dessus, les caisses d’assurance maladie devraient sanctionner les abus en application des dispositions législatives et conventionnelles. Or, comme l’ont dénoncé la Cour des Comptes et l’Inspection Générale des Affaires Sociales, l’assurance maladie fait preuve d’une stupéfiante inertie en la matière

La dernière convention (2005) a créé deux dispositifs supplémentaires concernant les dépassements d’honoraires :

L’inflation des honoraires, le recul de la protection sociale

Sans être parfaitement actualisé, le tableau figurant ci-dessous présente la répartition des médecins libéraux dans les secteurs conventionnels. On y voit que la convention obtient l’adhésion de la quasi-totalité des professionnels.

Le secteur 1+DP fermé en 1980 est résiduel. Le secteur 2 généraliste diminue. En revanche, le secteur 2 spécialistes augmente (30% en 1985, 40% en 2004). Ces moyennes nationales recouvrent de fortes disparités : 30% de généralistes en secteur 2 dans l’Ile de France, mais 4% dans le Limousin – 60% de spécialistes secteur 2 en Ile de France, 11,6% en Bretagne. La disparité s’observe dans les spécialités : 82% des urologues sont en secteur 2. Seulement 4% pour les néphrologues.

Sachant que les taux moyens de dépassements s’élèvent avec la proportion des médecins en secteur 2, la diversité règne sur ce plan également au sein des spécialités : Ex : En Ile de France, on observe un taux de 181% pour les neurochirurgiens, 87% pour les chirurgiens, 86% pour le gynécologues. Là aussi, les pratiques individuelles sont très différentes : Ex : pour la moitié des chirurgiens du secteur 2, le taux de dépassement est au maximum de 49%, mais 10% d’entre eux présentent un taux supérieur à 229 % et 0,1% culminent à 630% (!).
Les dépassements tarifaires représentent plus de 6 Mds E. (médecins 2 Mds + dentistes 4 Mds). Ceux des médecins progressent vivement (9% par an en secteur 1 et 14,1% en secteur 2 entre 1980 et 2004).
Dans certaines régions (Ile de France, PACA,…) et d’une façon générale dans les spécialités, notamment pour les soins onéreux (chirurgie en particulier), les dépassements tarifaires constituent désormais un obstacle majeur pour l’accès aux soins. L’IGAS le dénonce en estimant qu’il s’agit d’un « recul de la solidarité ».
Non remboursés par l’Assurance Maladie, les dépassements ne le sont que faiblement par les assurances complémentaires. Ces 6 Mds pèsent donc directement sur le budget des ménages.
C’est un constat d’échec pour le système conventionnel, dans la mesure où l’encadrement des tarifs se dégrade en permanence, les autres finalités de la convention (la gestion du risque par exemple) ne pouvant pas être considérées comme atteintes (Cf. rapport de la Cour des Comptes.).

Vers une libéralisation générale des honoraires médicaux : la création du secteur optionnel. Une mascarade !

Alors que de multiples études et enquêtes viennent corroborer les plaintes des patients qui ne peuvent plus se soigner et que, désormais, une proportion de plus en plus importante de la population renonce aux soins pour des raisons financières, le gouvernement avec la complicité de deux instances crées par la loi « Douste-Blazy » l’UNOCAM (où siègent les organismes d’assurance complémentaires (mutualité, compagnies d’assurance, …) et l’UNCAM (composée des représentants des régimes obligatoires) viennent d’agréer la création d’un nouveau secteur au sein de la convention médicale.
Comme le démontre fréquemment le pouvoir en place, ce délit social est présenté avec une hypocrisie d’un cynisme effarant : « Vous vous plaignez d’être confrontés à des dépassements considérables et bien, nous allons limiter les dépassements… ! » La logique est séduisante, c’est en fait une mascarade !
Au passage, on notera qu’il n’est pas question d’en revenir à un encadrement des honoraires, seul moyen de garantir un accès aux soins pour tous, mais au contraire, d’élargir le cadre, sans majorer bien entendu les tarifs de remboursement.

Car on va permettre, à des médecins (anciens chefs de clinique) actuellement en secteur 1 et contraints de respecter les tarifs conventionnels, de les dépasser de 50%, sous condition de limiter leur facturation avec dépassement à 70% de leur activité (les syndicats professionnels demandaient depuis longtemps que l’on « exfiltre » ces praticiens « coincés » dans le secteur 1 pour s’y être inscrits avant son gel).

On offre aussi cette possibilité aux médecins de trois spécialités (chirurgie, anesthésie, gynéco-obstétrique) du secteur 2 (qui disposent donc actuellement du droit à dépassement) en tentant de les séduire par la prise en charge de leurs cotisations sociales. Or, compte tenu des taux moyens de dépassements constatés dans ces trois catégories (La moitié de chirurgiens et des anesthésistes dépasseraient les tarifs de 50% à 630% (!) pour les premiers et de 50% à 419% pour les seconds, 70% des gynéco-obstétriciens dépassants de 58% à 316%), il semble plus que douteux que beaucoup d’entre eux choisissent une limitation de leurs dépassements à 50% pour 70% de leur activité, quand bien même on leur paierait une partie de leurs cotisations sociales (Cf. le faible succès de « l’option de coordination » – voir ci-dessus-).

Quant aux autres, ceux qui restant en secteur 2 facturent parfois des honoraires vertigineux (Ex : 10% des chirurgiens hospitaliers temps plein du secteur 2 pratiquent des taux de dépassement de 275% à 856% – 10% des gynécologues exerçant dans les mêmes conditions démontrent des taux de dépassements de 192% à 525%), ils pourront tranquillement continuer à le faire dans la mesure où, comme à l’accoutumée, la sécurité sociale et le Conseil de l’Ordre regarderont ailleurs (1)Les chiffres énoncés ci-dessus figurent dans les rapports de l’IGAS (avril 2007, Janvier 2009) .

Le pire est certainement devant nous : Outre les anciens chefs de clinique du secteur 1, « l’ouverture » est aujourd’hui réservée à trois spécialités. En fait, sous la pression de la majorité des syndicats professionnels et la volonté du gouvernement (ce dernier avait mis en demeure le conseil de l’UNCAM d’instaurer le secteur optionnel), les trois spécialités choisies constituent le cheval de Troie destiné, par une extension aux autres spécialités dans un avenir plus ou moins proche, à diluer définitivement la notion de tarifs opposables.

La complicité des acteurs sociaux. Une victoire du « marché »

Les organismes complémentaires complices de cette grave atteinte à la protection sociale se sont engagés à prendre en charge (encore faudra-t-il en mesurer la réalité) ces dépassements « optionnels ». Si l’on comprend la logique des compagnies d’assurance qui lorgnent depuis longtemps sur le budget sanitaire (CSBM : 170,5 Mds en 2008), on ne peut qu’être atterrés par l’adhésion du mouvement mutualiste à cette escroquerie sociale.

La course aux parts de marché engagés par les organismes complémentaires (les syndicats président souvent à la gestion des mutuelles) explique-t-elle la scandaleuse caution desdits syndicats aux prémices d’une généralisation de la liberté des honoraires ? Comment de ne pas être effarés de l’accord de la CFDT, de la CFTC, de la CGT-FO joignant leur vote favorable à la CGC, la CGPME et l’UPA, établissant ainsi une forte majorité avec la MSA (agricoles) le RSI (indépendants), la CGT étant la seule organisation à timidement (abstention) refuser de contribuer à cette basse besogne (comment la CGT peut-elle s’abstenir sur une question comme celle-là… !?), le MEDEF ne prenant pas part au vote (sans doute la libéralisation n’allait pas assez loin ?).

Comment expliquer la discrétion des partis « de gauche », le parti socialiste notamment, si prompt à diffuser des communiqués (seulement des communiqués) outrés sur les mesures anti-sociales du gouvernement, mais étrangement silencieux sur le secteur optionnel auquel étaient favorables certains animateurs (médecins) de son département « santé » ?

Dans cette conspiration contre l’intérêt collectif, on trouve la confirmation d’influences occultes au sein de médias (le Monde en particulier) dont on pouvait espérer une information objective et qui contribuent depuis longtemps à relayer les messages subliminaux du lobby médical.

Mais il n’existe aucune incertitude sur les intentions d’un pouvoir politique qui applique sa logique libérale et atteint ses objectifs : satisfaire une clientèle électorale majoritairement favorable (les professionnels de santé libéraux), sans altérer les dépenses de l’assurance maladie qui ne rembourse pas les dépassements et transférer la prise en charge des soins de santé de la solidarité collective vers l’assurance individuelle, source de toutes les inégalités.

Les dindons de la farce ce sont, bien entendu, les citoyens : ils vont « payer plus pour gagner moins » selon la formule consacrée. Ils trouveront de moins en moins de médecins pratiquant les honoraires conventionnels et renonceront davantage aux soins. Ils verront le financement de la sécu auquel ils contribuent régler une facture plus lourde pour le paiement des cotisations sociales des médecins. Leurs contrats d’assurance complémentaire (pour ceux qui en disposent) seront plus chers (Cf. les déclarations des dirigeants de ces organismes qui doivent en plus couvrir le déremboursement des médicaments).

Quelle belle ouvrage ! Cela doit éclairer la communication mensongère qui étourdit notre collectivité. La volonté du pouvoir actuel est bien de nous engager sur les sentiers pourtant battus du libéralisme, notamment sur beaucoup des droits essentiels que nous pensions hors d’atteinte de « la main invisible du marché ». Au moment où les USA, modèle de notre Président, s’efforcent de mettre en place une protection sociale collective rompant avec la sélection naturelle dudit marché, nous y entrons de pleins pieds. Un grand bon en arrière !

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Notes de bas de page
1 Les chiffres énoncés ci-dessus figurent dans les rapports de l’IGAS (avril 2007, Janvier 2009)
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