Site icon ReSPUBLICA

Nadia Geerts : « En Belgique, la confusion entre laïcité et athéisme est toujours bien présente »

Nadia Geerts, agrégée de philosophie et professseure de morale, préside, depuis sa fondation en 2000, le Cercle républicain : une association qui milite pour l’abolition de la monarchie en Belgique. Elle est membre également, depuis de nombreuses années, du comité de rédaction de RésistanceS, l’observatoire de l’extrême droite en Belgique. Nadia Geerts a écrit deux ouvrages : Baudouin sans auréole (en 2003) et l’Ecole à l’épreuve du voile (en 2006). Elle vient également de diriger un ouvrage collectif, la Laïcité à l’épreuve du XXIè siècle (en 2009) aux éditions Luc Pire (voir notre article). Elle a créé, en 2007, le Réseau d’actions pour la promotion d’un Etat laïque (R.A.P.P.E.L.) dont l’objectif principal est de faire introduire le principe de laïcité dans la Constitution belge.

Hakim Arabdiou : On s’attendait à voir dans, la Laïcité à l’épreuve du XXIe siècle, l’ouvrage collectif que tu as dirigé, et qui vient d’être édité, abandonner définitivement l’expression « laïcité politique » et surtout la grande mystification, qui a pour nom «laïcité philosophique » pour désigner de surcroît l’athéisme, qui est étrangé au concept de laïcité. Cela n’a pas été fait. Pour quelle raison ?
Nadia Geerts
: Je pense qu’en Belgique, la confusion entre laïcité et athéisme est toujours bien présente, et s’explique pour des raisons historiques qui sont en lien avec l’histoire du mouvement laïque lui-même. Aussi, si nous n’avions parlé que de “laïcité”, aurions-nous couru le risque que nombre de lecteurs traduisent ce mot par “athéisme”. Cependant, dès le lexique introductif rédigé par Gisèle de Meur, nous précisons ce que nous entendons par laïcité, et les raisons pour lesquelles nous préférons parler de “libre pensée” plutôt que de “laïcité philosophique”. Personnellement, je parle toujours de “laïcité” sans adjectif, en rappelant chaque fois qu’il s’agit d’un principe politique.

H. Arabdiou : Philipp Bekaert fait dans son article un lien pertinent entre la « laïcité positive », chère au président français, Nicolas Sarkozy, et un certain « racisme positif ». Peux-tu nous en dire davantage ?
N. Geerts
: Le “racisme positif” désigne cette propension de certains prétendus progressistes à accorder à certains de nos concitoyens un quelconque privilège uniquement motivé par le fait qu’ils appartiendraient à une supposée “race”. Il s’agit là d’un phénomène qui mine la conception de la société, en tant que communauté civique, et que Philipp Bekaert nomme “racisme positif”. En effet, une telle attitude ne peut s’expliquer que par la conviction que certains groupes ethniques auraient droit à un traitement différencié en raison de caractéristiques qui leur seraient propres. Il y a bien là une essentialisation caractéristique du racisme, même si elle est adroitement camouflée en discrimination positive. De même, la laïcité “positive” imaginée par Sarkozy constitue une rupture du pacte républicain, dès lors qu’elle prône la reconnaissance du fait religieux dans la sphère institutionnelle.

H. Arabdiou : L’article de Charles Susanne est un brillant exposé de la théorie anti-Darwinienne et antiscientifique du Dessein intelligent, que les fondamentalistes chrétiens tentent par tous les moyens d’imposer l’enseignement dans les écoles publiques d’Occident. Néanmoins, beaucoup ne voient pas suffisamment le rapport entre un tel enseignement et l’atteinte à la laïcité qu’il représente.
N. Geerts
: J’aime beaucoup, pour définir le concept de laïcité, parler de “territorialité”: la laïcité, en tant que séparation des Eglises et de l’Etat, a en effet délimité les territoires de chacun d’eux. La démarche scientifique suppose pareillement que les scientifiques laissent leurs convictions au vestiaire (comme le disait Louis Pasteur, par ailleurs chrétien : « Quand j’entre dans mon laboratoire, je laisse mes convictions au vestiaire. »). Or le créationnisme traduit une volonté englobante des religions, qui prétendent dire le vrai jusque dans le domaine scientifique. Il faut réaffirmer clairement que la religion, quelle qu’elle soit, n’est pas qualifiée pour cela. L’enjeu symbolique est essentiel.

H. Arabdiou : Michèle Peyrat et Lara Herbinia montrent dans leur contribution les tensions que provoquent chez les élèves belges le choix qu’on leur impose entre le suivi du cours de morale et le suivi du cours de religions (à ne pas confondre avec l’enseignement du fait religieux), et également les conséquences à terme sur le vivre ensemble, surtout quand nombre de ces derniers cours sont prodigués par des enseignants intégristes ou conservateurs, comme elles l’indiquent : apologie du créationnisme, justification de l’inégalité homme-femme, homophobie… La racine du problème ne se situe-t-elle pas dans l’enseignement-même de cours de religions, dans des établissements publics d’un Etat censé être laïque ?N. Geerts : L’existence des cours de religion et de morale non confessionnelle dans l’enseignement public belge constitue un archaïsme, hérité des guerres scolaires du siècle dernier. Le Réseau d’action pour la promotion d’un Etat laïque (R.A.P.P.E.L) s’est prononcé pour le remplacement de ces cours par un cours commun à tous les élèves. Il y a deux raisons à cela. Tout d’abord, le rôle de l’école ne nous paraît pas être de transmettre un corpus dogmatique via des cours de religions: l’école doit viser l’émancipation par l’instruction. Ensuite, si nous voulons construire un vivre ensemble dans une société de plus en plus multiculturelle, nous avons d’urgence besoin d’un lieu où nous rencontrer, et où confronter nos idées, nos référents, nos principes et nos valeurs. Dans l’enseignement, aujourd’hui, un tel lieu n’existe pas. Le cours commun que nous proposons pourrait pallier cette lacune, tout en promouvant les principes fondamentaux d’un Etat de droit.

Quitter la version mobile