Les citoyens français ont fourni par leur vote du premier tour des législatives du 10 juin 2012 un nouveau message. Il vient renforcer ceux, toujours valables, donnés lors des deux tours de l’élection présidentielle d’avril-mai 2012. (1)“Notre impératif catégorique : gérer, en même temps, le court et le long terme“, Publié le 6 mai 2012 et “Quelques enseignements du premier tour de la présidentielle : du court terme aux débats incontournables“, Publié le 24 avril 2012
Participation médiocre et analyse des voix exprimées
Mauvaise nouvelle pour la démocratie mais significatif, le retour à une abstention massive principalement dans les couches populaires ouvriers-employés. Avec près de 43 % toutes classes confondues (contre 35 % en 2002 et 39 % en 2007 au premier tour), on voit qu’une partie du peuple, principalement les couches populaires (53 % de la population), s’est mobilisée contre Nicolas Sarkozy et sa politique pour ensuite s’abstenir aux législatives. Malgré cela, il est probable que le gouvernement PS-EELV obtiendra la majorité absolue et disposera de toutes les manettes pour appliquer la politique de son choix.
Notons aussi que la droite néolibérale UMP compte encore beaucoup de soutiens malgré sa politique désastreuse pour le pays et ses citoyens. L’implantation en conviction du FN se poursuit. Les candidatures « gauche de gauche » hors du Front de gauche et les candidatures communistes anti-Front de gauche (de type Gérin) ont été balayées.
Les saltimbanques de « l’extrémisme de l’extrême centre » nous ont montré a contrario que le centre ne relevait que de la croyance religieuse et que plus que jamais, c’est l’affrontement gauche-droite qui structurera la vie politique française. Les nostalgiques du gaullisme vont sans doute comprendre qu’ils ne peuvent plus avoir d’horizon depuis que les couches sociales qui en faisaient la base sont en extinction (petits commerçants, artisans, bourgeoisie nationale, etc.).
Bien que souhaitant la victoire du gouvernement PS-EELV au soir du 17 juin 2012 pour en finir avec le cycle Sarkozy (pas une voix ne doit manquer au candidat de gauche le mieux placé…), la question politique centrale va devenir très vite de savoir si ce gouvernement sera capable de tenir la barre dans le cyclone de la zone euro qui s’annonce. Car comme le dit Eric Toussaint, « le cyclone poursuit sa route dévastatrice ».
Malgré mille milliards d’euros prêtés pour 3 ans à 1 % par la Banque centrale européenne (BCE) aux banques privées travaillant pour leurs actionnaires pour garantir le calme lors de la présidentielle française, malgré 150 milliards pour l’Irlande et le Portugal, 250 milliards pour la Grèce, voilà les 100 milliards pour l’Espagne(4e puissance économique de la zone euro) et ses banques dans le trou noir du krach immobilier espagnol ; et la question commence à se poser pour la 3e puissance économique de la zone euro, l’Italie. Est-il besoin d’être bac +35 pour comprendre que cela ne pourra pas durer éternellement ? D’autant que tous ces prêts n’ont absolument pas réglé la crise des liquidités pour l’économie réelle. Et la planche à billets ne pourra pas fonctionner ad vitam pour colmater les dégâts dûs aux néolibéraux de gauche et de droite.
Eh oui, il ne suffit pas que la gauche gagne les élections (même si nous souhaitons la victoire de la gauche le 17 juin en France, faut-il le rappeler !), il faut rompre avec les politiques antisociales et austéritaires en Europe, ces politiques antidémocratiques et césaristes, ces politiques d’alliances internationales antilaïques et de soutien aux intégrismes religieux.
Tout va se jouer très vite. Le 17 juin, nous verrons si le peuple grec donne le bonus électoral des 50 députés supplémentaires à Syriza – gauche anti-austéritaire grecque s’opposant au bloc néolibéral formé par la Nouvelle démocratie (droite néolibérale) et le Pasok (gauche néolibérale) – puis ce qui se passera au Sommet européen de la fin juin.
L’arrière-plan de la crise en Europe
Car la triple crise économique, financière et de la dette publique est en développement exponentiel et les rebouteux néolibéraux de droite comme de gauche ne font que courir après elle. Ces derniers organisent en spirale une succession de coups d’Etat contre la démocratie et la souveraineté populaire. Car les termes fédéralisme, démocratie, mutualisation ne sont utilisés par les médias aux ordres du néolibéralisme (les « nouveaux chiens de garde ») que pour masquer la réalité : le nouveau César européen mène la lutte de classe contre les peuples européens. Le Mécanisme européen de stabilité (MES) voté fin février 2012 grâce à un accord UMP-PS et le Traité pour la stabilité, la coopération et la gouvernance (TSCG en cours de ratification et de discussion à la fois) sont les premiers éléments de cette politique césariste européenne. Des propositions encore plus liberticides et austéritaires sont en préparation au prochain sommet de fin juin 2012.
Il est important de dire ici que la nouvelle étape espagnole de la crise n’est en rien due à une dette publique provoquée par un Etat qui dépense trop, mais bien au transfert des dettes privées des banques à but lucratif pour leurs actionnaires vers la dette publique.
Ecoutons Eric Toussaint : « En 2007, au moment où la crise a éclaté aux Etats-Unis et avant que l’Espagne n’y soit entraînée, la dette publique espagnole ne représentait que 36 % du Produit intérieur brut. L’Espagne était l’un des meilleurs élèves de la zone euro avec un taux d’endettement public nettement inférieur au 60 % prescrit par le traité de Maastricht, son solde budgétaire était positif (+1,9 % du PIB alors que Maastricht impose un maximum de 3 % de solde négatif). La dette publique espagnole ne représentait que 18 % de la dette totale du pays. Ce n’est pas du côté de la dette publique qu’il faut chercher, car la crise qui affecte l’Espagne a été directement provoquée par le secteur privé : le secteur immobilier et le secteur du crédit. »
Une seule solution pour protéger l’épargne populaire des actifs toxiques – qui arrivent à échéance au fur et à mesure mais à flots continus – et financer l’économie réelle : il faut, entre autres, exproprier (sans indemnités pour les grands actionnaires mais en indemnisant tous les petits actionnaires) les banques privées à but lucratif pour les actionnaires et les transférer au secteur public sous contrôle citoyen. Et cet impératif va bien plus loin qu’un pôle public financier !
Est-ce que cela sera la position de François Hollande au sommet européen de la fin juin ? Nous le souhaitons mais admettez que nous pouvons nous interroger !
Quelles conséquences, quelles tâches pour la gauche de gauche ?
Revenons à la France. Les institutions de la Ve république vont araser la représentation légitime du Front de gauche qui a fait plus de 11 % à l’élection présidentielle et qui sera très loin de la soixantaine de députés qui représenterait ce pourcentage. Mais l’autre raison de la faible représentation du Front de gauche dans la prochaine assemblée nationale est la faible intégration tant des centaines de candidats du Front de gauche que des partis constitutifs du Front de gauche dans la proximité populaire. Le ratio votes législatifs / votes des présidentielles est de 62 % pour le Front de gauche (malgré les bastions communistes municipaux et départementaux) contre 77 % pour le Front national (sans bastions municipaux). L’ancrage du Front de gauche est donc insuffisant par rapport à celui du Front national, et on voit que les bastions municipaux du PCF n’ont pas eu l’influence attendue. Voilà qui devrait faire réfléchir ceux qui ont pour seul horizon les municipales de 2014 !…
Il y a deux attitudes face à cette situation : soit arrêter la politique de rupture envers le néolibéralisme et rejoindre EELV, le PRG et le MRC et devenir un nouveau satellite du système PS, soit réorienter la stratégie du Front de gauche. Car c’est bien la stratégie qu’il faut réorienter et non pas la ligne politique sur le fond.
Cette réorientation stratégique appelle à définir l’éducation populaire comme priorité de la période avec comme objectif d’ancrer des centaines de candidats potentiels et des milliers de militants dans les couches populaires (53 % de la population) et les couches moyennes intermédiaires (24 % de la population). La gauche de gauche n’est plus crédible si elle pense qu’elle peut marquer sa différence sur le fond des sujets traités sans également repenser sa stratégie et donc la façon dont elle intervient. La priorité n’est pas de convaincre le gouvernement et ses clubs (Terra Nova ou similaires) d’idées meilleures. Il faut armer politiquement le peuple et donc commencer par s’armer soi-même.
Pour cela, quelques pistes :
- Il faut répondre sérieusement aux demandes d’adhésion au Front de gauche qui ont pullulé dans la campagne présidentielle autour du candidat du Front de gauche Jean-Luc Mélenchon et qui ne sont pas satisfaites de la réponse « il suffit d’adhérer à l’une des organisations du Front de gauche ». Et aussi donner à ceux qui ne se retrouvent pas dans les partis existants mais sont actifs dans les fronts de mobilisation ou de refus divers des raisons de croire aux possibilités d’action et de représentation de la militance.
- Il faut ne plus se satisfaire de la distribution de tracts sur les marchés, de la réunion publique électorale sans suite et des « grands-messes » au coin du feu entre adhérents. C’est donc d’une vraie campagne multiforme d’éducation populaire dans la proximité – tant vers les responsables politiques, militants et adhérents que vers les sympathisants et citoyens éclairés – que nous avons besoin : clarification de la bataille pour l’hégémonie culturelle et pas seulement politique, stages de formation opérationnels y compris sur les formes d’intervention, multiplication des réunions de type “Tupperware” animées par un-e militant-e local-e formé-e, interventions culturelles et politiques sur tous les médias à notre disposition, élargissement vigoureux de l’action militante dans le mouvement social qui restera la base de la résistance au néolibéralisme dans les mois qui viennent, etc.
Nous lançons donc cet appel à nos lecteurs pour débat, et plus !
Notes de bas de page
↑1 | “Notre impératif catégorique : gérer, en même temps, le court et le long terme“, Publié le 6 mai 2012 et “Quelques enseignements du premier tour de la présidentielle : du court terme aux débats incontournables“, Publié le 24 avril 2012 |
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