Quand l’histoire nous sert à comprendre le présent : deux ouvrages recensés

La surpuissance des médias dominants, la faiblesse de la formation militante et de l’éducation populaire refondée auprès des citoyens, sont des causes de l’incapacité citoyenne à résister à l’hégémonie culturelle néolibérale pourtant largement contestée.

De nombreuses croyances circulent en milieu militant, malheureusement ce ne sont pas toujours les plus efficaces pour agir. Par exemple, aujourd’hui, la majorité des militants pensent que pour « renverser la table », il suffit d’un programme, d’un leader et d’idées. Errare humanum est, perseverare diabolicum ! Jamais dans l’histoire, cela ne s’est passé comme cela, jamais ! Ni la Révolution française, ni la révolution russe, ni la Sécurité sociale, etc. Deux ouvrages, entre autres, en portent témoignage. Ces livres sont de nature totalement différente mais ils mettent tous les deux la focale sur la causalité de la « force des choses » dans la compréhension des phénomènes sociaux et politiques, plutôt que sur celle du pack « idée + programme + leader maximo ». Le premier est un livre d’autodidacte relatant sa propre vie sans analyse politique. Le deuxième est l’œuvre, sans doute, du plus grand historien spécialiste de la Révolution française vivant.

Sergent de l’Armée rouge malgré moi, livre de 164 pages, imprimé à compte d’auteur, relate la propre vie de François Edelstein, sans volonté d’analyse, pour que cette existence singulière puisse au moins être connue de sa famille et de ses amis. Or c’est une tranche de vie totalement extraordinaire au sens premier du terme. Soumis aux flots de la « force des choses », il fut membre de l’armée polonaise, vécut sous l’occupation soviétique, puis déporté au goulag en Sibérie, puis sergent dans l’Armée rouge, puis de nouveau membre de l’armée polonaise, il rencontre sa future femme, rescapée d’Auschwitz-Birkenau, etc. Outre sa vie personnelle, ce livre montre le quotidien d’un juif polonais en Pologne d’avant la guerre, ce qu’était la vie réelle sous l’occupation soviétique, la réalité du goulag, le fonctionnement de l’Armée rouge, etc. En d’autres mots, ce livre renseigne beaucoup sur le réel de cette période, réel qui pour beaucoup n’a été perçu que grâce aux films de type « Hollywood » !

Le deuxième livre, Nouvelle histoire de la Révolution française, de Jean-Clément Martin, professeur émérite de la Sorbonne, ancien directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française (éditions Perrin, 636 pages) devrait être lu par tous ceux qui souhaitent « renverser la table » de l’oligarchie qui nous dirige et constituer « des jours heureux » pour le plus grand nombre. Non pour y trouver des recettes pour produire une révolution mais tout simplement pour comprendre comment fonctionne un processus révolutionnaire commandé principalement par la « force des choses » et non pas par un leader, un programme et quelques idées.

La première partie du livre démarre au milieu du XVIIIe siècle sous un Louis XV qui tente de suivre la tendance des Lumières en pratiquant une Révolution par le haut. C’est pour l’auteur important de comprendre les enchaînements. De la prédiction de la révolution par le marquis d’Argenson, précurseur des physiocrates, en 1751 à ce qui s’est réellement passé, il y a une différence énorme. La poursuite singulière par Louis XVI de cette politique avec Turgot, contré par les ultras du camp aristocratique et par la montée de la bourgeoisie d’une part et des couches populaires d’autre part, a engendré un chemin spécifique qu’aucun intellectuel ou responsable politique n’avait initialement prévu.

Démarrée pour l’auteur en 1787, la Révolution française transforme la monarchie administrative en monarchie parlementaire avec le coup de force des Etats généraux ouvrant la séquence de la prise de la Bastille, de la nuit du 4 août et de la déclaration des droits de l’Homme le 26 août, puis la mise à disposition des biens de l’Eglise à la nation, etc. bien que tout cela n’ait pas été prévu au début de la séquence ! L’auteur montre bien les contradictions de vouloir, en même temps, maintenir la Constitution de 1791, la fidélité à la nation, à la loi et au roi dans un monde où les divisions sont fortes au sein de l’aristocratie, du clergé, de la bourgeoisie, des couches populaires, sans compter l’action importante des femmes largement sous-estimée par l’historiographie.(1)Sur ce dernier point, c’est comme pour la révolution russe qui se déclenche le 23 février 1917 en calendrier julien (correspondant au 8 mars dans le calendrier grégorien) avec une manifestation de femmes du quartier populaire de Vyborg au centre de Petrograd, sans action particulière des bolcheviks.

L’auteur montre bien l’entremêlement des évolutions de la politique religieuse, des monarchies européennes, elles-mêmes divisées ; comment on est passé d’un suffrage non universel régi par la fortune à un suffrage universel masculin ; d’une société esclavagiste à la décision d’abrogation de l’esclavage, plus tard remise en cause par Napoléon Bonaparte. Mais aussi le pourquoi de la révolution dans la révolution par la journée du 10 août 1792 ouvrant la séquence de la création de la 1ère République le 22 septembre 1792 et l’arrivée de la Convention. Puis la séquence de la Constitution de 1793 jusqu’à la chute des robespierristes suivi de la confiscation de la Révolution et enfin la prise du pouvoir par le général Bonaparte.

J.C. Martin illustre l’étendue de la réflexion et de l’action dans des domaines aussi divers que l’école, le droit civil, diverses institutions… A noter par exemple que le droit de la nationalité a été porté à un niveau bien supérieur à celui atteint au XXIe siècle par la gauche dite radicale en France !  L’auteur montre aussi le rôle révolutionnaire des « fédérés », bien oublié par la gauche dite radicale en France ! Il souligne que parmi ceux qui ont animé l’offensive finale contre Robespierre en 1794, certains « terroristes », entre autres Tallien, Fouché, Barras, Carrier ou des hommes agissant dans l’illégalité comme Fouquier-Tinville, sont ceux qui ont été les décideurs d’atrocités en province et qui se sont refait une virginité en en faisant porter au seul Robespierre la responsabilité. « L’encerclement » de Robespierre est très bien montré : les opposants à la fête de l’Etre suprême, ceux qui proviennent de la gauche comme Vadier, Amar, Billaud et Collot, les « terroristes », les « fripons » et les « pervers » et  toute la droite bien sûr.

Pour revenir sur la « Terreur », nous apprenons que la loi du 22 prairial (10 juin 1794) tant décriée corrige par certains côtés la brutalité de la loi du 19 mars 1793, que des massacres de masse sommaires existaient avant le déclenchement de la révolution, mais aussi dans la phase 1789-1791 et que la Terreur dite blanche, c’est-à-dire celle de la droite contre la gauche a été d’une grande violence après l’élimination de Robespierre.
Et l’auteur montre bien que la menace royaliste est constante, y compris après la chute de Robespierre, ce qui pousse certains à soutenir le général Bonaparte contre cette menace.

A lire absolument.

 

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Sur ce dernier point, c’est comme pour la révolution russe qui se déclenche le 23 février 1917 en calendrier julien (correspondant au 8 mars dans le calendrier grégorien) avec une manifestation de femmes du quartier populaire de Vyborg au centre de Petrograd, sans action particulière des bolcheviks.