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Ultra-libéralisme et social-libéralisme, même combat contre les services publics ? L’évolution de l’Enseignement supérieur et de la Recherche depuis 1984

La mise en œuvre de politiques économiques au bénéfice d’un capitalisme globalisé s’appuyant sur une logique de l’offre et non sur la demande sociale, modifie complètement les missions et le rôle des services publics avec des conséquences très négatives pour les agents de ceux-ci (délabrement des conditions de travail, baisse de salaires, …) et en dernier ressort pour tous les usagers (mise en cause de missions, dégradation des services rendus….). L’actualité politique du début de cette année, éclairée par un retour sur l’histoire du Service Public de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (SPESR) depuis 30 ans, illustre parfaitement les attaques que ce service public a eu à subir malgré son importance pour l’avenir de notre jeunesse et le développement industriel, technologique et écologique de notre pays.

Après les déclarations du Président de la République, le 14 janvier 2014, il est indispensable de faire un retour en arrière pour apprécier la pertinence de ses propos. Celui-ci a officiellement reconnu son identité sociale-démocrate. Depuis, les « experts » médiatiques bien en cours, se félicitent de cet aveu pourtant tardif. En effet, par une analyse des 30 dernières années, il apparait clairement que ce tournant social-démocrate a été endossé par les responsables du PS dès 83-84, et que depuis, il y a eu dérive sociale-libérale complètement aboutie et assumée en ce début d’année 2014.
Pour ne pas être taxé de faire un procès d’intention, je vais justifier mes propos sur cette dérive en revenant sur le début des années 80, en montrant que celle-ci s’est faite en parallèle à la transformation libérale de l’UE, impulsée par le PS et la droite. La connivence, à ce sujet, de ces deux forces politiques a influencé depuis 84 le SPESR. Son évolution est en effet un bon marqueur idéologique de cette entente.
Vu le cadre contraint de cette tribune, je suis dans l’obligation d’être très synthétique, au risque d’être schématique, et de ne pas pouvoir aborder certains points pourtant importants.

Lors de son congrès à Metz en 79, le PS, veut accéder au pouvoir, et parce que le PCF a des résultats électoraux au-dessus de 15 %, met en perspective des réformes radicales reposant sur l’idée du rôle déterminant de l’Etat sur le contrôle de l’économie, orientation déclinée en 80 dans les 110 propositions pour l’élection présidentielle. Après la victoire de F. Mitterrand en mai 81, le rapport de forces découlant des résultats du premier tour s’est concrétisé par des réformes importantes, en particulier la loi de programmation du SPESR (loi Savary). Cela dit, il faut noter que le socialisme de transformation sociale n’a pas duré longtemps. F. Mitterrand, en renforçant la dimension présidentialiste des institutions de la Ve République, a imposé au PS le tournant social-démocrate dès 83-84. La cohérence du programme de 81 a été remise en cause profondément, la logique de marché a balayé la volonté politique d’encadrer le capitalisme. F. Mitterrand a astreint son gouvernement à une politique d’austérité en bloquant les salaires, en abaissant les charges des entreprises, en réduisant les dépenses publiques et sociales, pour soi-disant favoriser la compétitivité des entreprises et donc l’emploi, air repris aujourd’hui pour le Pacte de responsabilité. Dès cette époque, le tournant social-démocrate du PS est complet, après les fluctuations des gouvernements socialistes de 3ème force sous la IVème république.

On peut regretter qu’en 1983, deux ministres sur quatre (A. Le Pors et M. Rigout) n’aient pas accepté que les 4 ministres communistes claquent la porte du gouvernement pour manifester leur désaccord sur cette dérive, qualifiée par P. Mauroy d’un « Bad Godesberg rampant » après son remplacement au poste de Premier ministre, par L. Fabius. Ce tournant en 84 n’a plus eu pour objectif de bâtir un compromis entre le travail et le capital, mais d’accompagner, voire d’anticiper les transformations du capitalisme mondialisé.

Au même moment, F. Mitterrand engage nettement la France dans la construction européenne. S’appuyant sur la Présidence française de l’UE, lors du premier semestre 84 et en imposant en 85 J. Delors à la tête de la Commission européenne (CE), il participe activement à l’objectif du marché unique. Depuis, tous les textes de l’UE ont été votés par la droite et la majorité du PS. Au fil des cohabitations et des alternances politiques, il y a toujours eu accord sur le fond entre ces deux forces politiques, quant à l’évolution libérale de l’UE, avec deux moments symboliques : la Stratégie de Lisbonne signée par J. Chirac et L. Jospin en 2000 et le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance (TSCG) en 2012, dit pacte « Merkozy », devenu pacte  « Merkollande ». La droite gaulliste des années 70 a dérivé vers l’ultra-libéralisme et la social-démocratie des années 80 vers le social-libéralisme. Cette connivence idéologique a eu des effets sur le SPESR avec deux moments également symboliques : la loi Pécresse relative aux Libertés et Responsabilités des Universités (LRU) en 2007 et la loi Fioraso relative à l’Enseignement Supérieur et la Recherche en 2013.

Avant de faire un survol rapide des 30 dernières années pour pointer les étapes significatives des réformes du SPESR, en parallèle avec la construction de l’UE, il est indispensable de dire quelques mots sur la loi Savary du 24 janvier 84 qui abrogeait la loi Faure. Acteur syndical, participant à l’élaboration de cette loi, je peux attester que sa rédaction s’est faite dans de bonnes conditions : après la loi Recherche de 82, les débats sur loi Savary ont duré jusqu’en 84 sans aucune discrimination quant aux participants, sans sujet tabou, avec la volonté d’aboutir à un large consensus avec la communauté universitaire et les acteurs sociaux. Le résultat, malgré quelques limites, a été de qualité, avec référence explicite à la dimension nationale du SPESR avec toutes ses missions traitées à égalité, maillage universitaire du territoire par souci de démocratisation, crédits d’Etat et personnels titulaires à la hauteur des besoins, coopération entre établissements et renforcement de la vie démocratique par la collégialité….

Depuis, tous les gouvernements, de droite ou à majorité PS, ont transformé les valeurs et le rôle social du SPESR :

A ce stade de l’inventaire des répercussions négatives sur le SPESR des différentes réformes citées ci-dessus, il est indispensable de faire un détour par l’évolution de l’UE car tous ces textes ont été influencés par le cadre d’un libéralisme impulsé en 85 par J. Delors, président de la CE, avec des choix institutionnels et macroéconomiques qui répondaient aux préconisations de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et de la Banque mondiale. Ces choix se sont traduits par la construction d’un « Espace européen de l’Education, de la Recherche et de l’Innovation » avec un discours considérant que ces secteurs ont une finalité essentiellement économique. L’« économie de la connaissance » débouchant sur une approche libérale des formations supérieures et de la recherche, avec un enfermement du SPESR dans des activités essentiellement marchandes.

Cette politique libérale s’est renforcée à l’époque de la « vague rose ». Celle-ci a concerné les principaux états de l’UE, avec des figures de proue du social-libéralisme : 96, R. Prodi, Italie ; 97, T. Blair, Angleterre ; 98, G. Schröder, Allemagne,… La convergence sociale-libérale de 11 pays de l’UE sur 15 a permis l’adoption de la Stratégie de Lisbonne dans un large consensus. Elle décline une représentation libérale de la société où la recherche de compétitivité économique est le maître mot. Elle ne propose, au-delà des discours généreux sur la cohésion sociale, rien de concret pour l’amélioration du volet social des salariés. La doxa d’une concurrence par la compétitivité économique est sensée constituer la base du progrès social, alors qu’elle provoque des désastres sociaux et écologiques.

Il faut rappeler que cette Stratégie a été signée lors du Conseil Européen des 23-24 mars 2000 par J.Chirac et L. Jospin. Trois jours plus tard, le 27 mars 2000, lors du premier remaniement du gouvernement Jospin, il aurait été souhaitable que les 4 ministres communistes quittent ce gouvernement vu le contenu et les conséquences prévisibles de la Stratégie de Lisbonne. A ce sujet, lors de ce remaniement, J-L .Mélenchon a été nommé ministre délégué à l’Enseignement professionnel et lors d’un colloque de la FSU en octobre 2000 sur la Formation Professionnelle, parlant de cette Stratégie, il n’a pas formulé de critique de fond. Visiblement à l’époque « la radicalité concrète » n’était pas à l’ordre du jour.

A partir de 2000, les coups de boutoir de C. Allègre contre le SPESR vont provoquer un déferlement de réformes ultra-libérales de la droite et du PS, sous couvert d’harmonisation européenne :

On peut constater une forme de schizophrénie du PS, car lorsqu’il est dans l’opposition, il exprime des désaccords sur les réformes de fond du SPESR, faites par la droite, alors qu’il les reprend en l’état ou même les aggrave, lorsqu’il est au pouvoir. Cette posture s’explique par sa connivence avec la droite sur la politique de l’UE. Les deux derniers Traités ratifiés de concert sont révélateurs :

Après cet inventaire des réformes de l’ESR sur trois décennies, il est possible de faire une synthèse des principales conséquences du libéralisme sur ce SP (en sachant que les mêmes causes provoquent des effets comparables sur d’autres SP). Ces réformes ont pour effet de considérer les connaissances scientifiques comme une marchandise. Elles deviennent un outil de la concurrence au sein du capitalisme mondialisé et, de ce fait, sont limitées aux seuls rapports strictement économiques de l’innovation et de l’insertion professionnelle, au bénéficie quasi exclusif du capital et du grand patronat. Cela remet en cause toutes les autres missions du SPESR, notamment les questions d’émancipation, de citoyenneté et d’enrichissement culturel ainsi que le développement d’une recherche fondamentale détachée du principe de la concurrence et de la marchandisation sur le marché mondial de la connaissance. Ces orientations influencent les étudiants qui limitent souvent leurs choix aux seules formations rentables du point de vue des débouchés à court terme (logique « adéquationiste») en écartant des formations soi-disant inutiles sur le marché du travail actuel. Ce qui écarte toute évolution prospective des formations, et qui hypothèque l’avenir de notre pays et de sa jeunesse.

Devant ce constat alarmant, il est urgent que le peuple de gauche se rassemble autour d’organisations, d’associations et de syndicats, porteurs de propositions alternatives. Bien que la situation soit difficile, les prochaines élections européennes devraient permettre à ces forces anticapitalistes de créer un rapport de force pour imposer un réel changement afin de modifier le cours des choses.

A cet effet, il faut que toutes les composantes se réclamant de solutions alternatives pour l’UE retrouvent le chemin d’une unité pour ces élections européennes et faire de ce scrutin, en mai 2014, un moment crucial pour défendre le projet d’une « autre Europe ». Pour cela, il est important que les forces politiques et sociales prennent des initiatives en France, mais aussi dans les autres pays de l’UE, afin de construire un rapport de force suffisant et créer un front de résistance le plus large possible contre les dérives libérales actuelles, qu’elles soient sociales ou ultra. Cette opposition constructive ne peut avoir que des prolongements positifs sur les formations supérieures et la recherche dans les pays de l’UE, au bénéfice des jeunes et de leur avenir, du développement industriel, technologique et écologique, afin de ne pas avantager exclusivement les activités marchandes sous couvert de compétitivité. Evidemment le mouvement social en France, au-delà des résultats des élections européennes, doit se mobiliser avec la communauté universitaire et scientifique pour imposer le « changement maintenant » dans le SPESR.

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