NDLR – Extrait abrégé des pages 186 à 224 de Penser la République Sociale pour le XXIe siècle. I – De la cité à l’atelier (Eric Jamet éditeur, 2015. Voir le Sommaire). Pour une présentation graphique de ce qui suit, voir aussi le diaporama associé : Les vaches de M le comte.
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La socialisation progressive reprend le flambeau des grandes réformes de la propriété, comme l’ont été l’abolition des privilèges féodaux en 1789 ou les nationalisations en 1945 et 1981, et la voie tracée par Jean Jaurès.
« L’expérience montrera que les réformes les plus hardies peuvent être des palliatifs, mais tant qu’elles ne touchent pas au fond même de la propriété capitaliste, elles laissent subsister la racine amère des innombrables souffrances et des innombrables injustices qui pullulent dans notre société. ». La Dépêche, le 18 décembre 1895, cité par Charles Sylvestre
« Nous demandons que tout individu humain, ayant un droit de copropriété sur les moyens de travail qui sont les moyens de vivre, soit assuré de retenir pour lui-même tout le produit de son effort, assuré aussi d’exercer sa part de direction et d’action sur la conduite du travail commun. »
« Quand le prolétariat socialiste aura été porté au pouvoir par les événements, par une crise de l’histoire, il ne commettra pas la faute des révolutionnaires de 1848 : il réalisera d’emblée la grande réforme sociale de la propriété ». Socialisme et Liberté, 1898.
Cette réforme de la propriété serait le résultat de l’abolition, à l’instar de la nuit du 4 août 1789, d’un privilège fondateur du capitalisme et du salariat : ce privilège qui octroie, au capital seul, la propriété de la totalité des moyens de production nouveaux créés par autofinancement, alors qu’ils sont le résultat de la combinaison productive du capital et du travail.
La seule abolition de ce privilège entraînerait progressivement un transfert de la propriété des entreprises du capital vers le travail, d’abord de la minorité de blocage (33% du capital), puis de la majorité du capital des entreprises au bout de quelques années, en l’absence d’apport de capitaux nouveaux par les marchés financiers.
Les salariés ne seraient plus alors des salariés, mais ce que Karl Marx appelait des travailleurs associés.
Ainsi serait assuré le contrôle à la racine de la création et de la répartition des richesses.
Le Socialisme d’État au XXe siècle
La propriété d’ État n’est qu’une des dimensions de l’alternative à la propriété capitaliste.
Au XXe siècle, l’alternative au capitalisme a été longtemps incarnée par le communisme soviétique, le « communisme réel ». Mais ce qui devait être le socialisme s’est avéré être une forme de capitalisme d’État, et a échoué. Cet échec a laissé un grand vide.
En France, la « nationalisation des principaux moyens de production et d’échange », en 1945 puis en 1981, devait aussi être le fondement d’une alternative au capitalisme. Certes, les entreprises nationalisées ont été un formidable moteur de progrès, sur le plan social comme sur le plan économique, pendant la deuxième moitié du XXe siècle. Et les privatisations des années 90 ont livré notre industrie aux appétits du capitalisme financier.
Mais le monde du travail a déjà fait l’expérience des nationalisations et d’être salarié de « l’État patron ». Il ne peut désormais plus croire au seul « socialisme monopoliste d’État » pour changer la société.
La propriété d’État n’est heureusement pas la seule alternative à la propriété capitaliste. Elle n’est qu’une des dimensions de cette alternative, comme le décrivait Jean Jaurès :
« Et par quelle confusion étrange dit-on que, dans la société nouvelle, tous les citoyens seront des fonctionnaires ? […] Les fonctionnaires sont dans la dépendance du gouvernement, de l’État. […] Les fonctionnaires sont des salariés : les producteurs socialistes seront des associés. […] Dès maintenant, le prolétariat répugne à toute centralisation bureaucratique.
Il tente de multiplier les groupements locaux, les syndicats, les coopératives ; et, tout en les fédérant, il respecte leur autonomie : il sait que, par ces organes multiples, il pourra diversifier l’ordre socialiste, le soustraire à la monotonie d’une action trop concentrée.
En fait, il n’y a qu’un moyen pour tous les citoyens, pour tous les producteurs, d’échapper au salariat : c’est d’être admis, par une transformation sociale, à la copropriété des moyens de production. » Socialisme et Liberté, 1898
Le principe de la socialisation progressive
La socialisation progressive des entreprises ferait coexister deux types de propriétaires :
- les actionnaires, qui détiennent des titres de propriété, les actions, donnant droit à dividende.
- Les salariés, qui détiennent des titres de propriété, les actions de travail, ne donnant pas droit à dividende.
Actions et actions de travail donnent les mêmes droits, à l’exception du droit à dividende. Elles ont la même valeur nominale. Elles donnent les mêmes droits de vote en assemblée générale.
Les actions de travail sont incessibles et ne peuvent donc être ni cotées ni mises sur le marché.
Les propriétaires sont propriétaires collectivement. Il ne s’agit pas d’actionnariat : on n’est pas actionnaire de l’ascenseur de son immeuble. Un paysan n’est pas actionnaire de sa terre.
Il s’agit ici de la propriété au sens du droit, définie par les trois droits qui la composent :
- Usus : droit de décider de l’utilisation
- Fructus : droit de bénéficier des fruits
- Abusus : droit de vendre et modifier
Les propriétaires disposent de ces trois droits sur l’outil de production (1)Et non du seul fructus (aussi appelé « propriété lucrative ») auquel on réduit parfois abusivement le droit de propriété. Les salariés propriétaires sont donc propriétaires de l’actif de l’entreprise au même titre que les actionnaires : propriétaires des bâtiments, des machines, des stocks, de la trésorerie… La gestion de l’actif est assurée par la direction élue majoritairement par les propriétaires. Mais s’il veut fermer un site en France, un groupe devra restituer aux salariés leur quote-part de la valeur de liquidation des bâtiments, machines, stocks… De quoi y réfléchir à deux fois..
Pourquoi des titres de propriété non rémunérés ?
Parce que l’objectif des socialistes est l’abolition de la rente, qu’elle soit foncière, industrielle ou financière. Toute richesse provient du travail, toute rente est un prélèvement sur le travail d’autrui. Notre objectif est la substitution progressive des capitaux rémunérés par des capitaux non rémunérés, à l’image du paysan propriétaire de sa terre qui vit de son travail sans verser de rente.
Une première étape a été franchie en 1945 lors de la création de la Sécurité sociale, car elle est financée par répartition et non par capitalisation au moyen de fonds de pension rémunérés.
Pour les capitaux nouveaux issus de l’autofinancement des entreprises, la socialisation progressive permettra également la substitution progressive de capitaux rémunérés par des capitaux non rémunérés.
En ce qui concerne les capitaux existants, la proposition décrite ici est associée à une autre proposition de transformation sociale, la « Caisse de Sécurité Sociale et Économique» (2)Voir https://www.gaucherepublicaine.org/respublica/une-grande-reforme-de-la-securite-sociale-son-extension-a-la-securite-economique/7396511. Cette caisse serait l’extension du principe de la sécurité sociale à une caisse de sécurité économique. Elle permettait un financement mutualisé des entreprises, et la substitution progressive des fonds privés propriétaires du capital des entreprises par des capitaux mutualisés non rémunérés (3)Selon une étude suisse, «The Network of Global Corporate Control », un noyau de 50 sociétés, essentiellement financières, contrôle une grande partie des 43060 sociétés transnationales étudiées. Il s’agit d’une concentration sans précédent du pouvoir économique par une caste oligarchique. Les sociétés par actions disposent déjà de la personnalité morale, tandis que les salariés d’une entreprise n’ont actuellement aucune existence juridique collective..
Qui détient les titres de propriété ?
L’entreprise est une communauté de travail. La contribution de chacun s’intègre dans un tout. Les actions de travail ne sont donc pas détenues par chaque travailleur isolément.
Elles sont détenues collectivement par la communauté de travail de l’entreprise, auquel la loi donnera la personnalité morale, dénommée « société des travailleurs de l’entreprise X.
Qui exerce les droits associés aux titres de propriété ?
Les droits de vote en assemblée générale des actionnaires détenus par la société des travailleurs sont exercés par ses mandataires, ainsi que sa représentation au conseil d’administration. Ses mandataires sont élus selon les statuts de la société des travailleurs. Ces statuts sont déterminés par la société des travailleurs dans le cadre de la loi qui réglemente la propriété des entreprises et qui impose une élection au suffrage universel direct du comité de direction des sociétés de travailleurs.
Par l’intermédiaire de la société des travailleurs, les travailleurs sont leur propre employeur, au prorata de leur part. Ils ne sont donc plus des salariés, mais des travailleurs associés.
[…]
L’attribution des titres de propriété
Quel est le principe d’attribution des titres de propriété ?
Quel est ce privilège ? Dans le système capitaliste, la totalité du capital accumulé appartient aux actionnaires, alors que cette accumulation est le résultat de la combinaison du capital et du travail.
Chaque année, en fin d’exercice, les fonds propres (4)Les fonds propres (ou capitaux propres) d’une société sont la différence entre ce que la société possède (bâtiments, machines, titres, prêts, stocks, trésorerie..) et ce qu’elle doit (endettement). C’est la valeur comptable de la société. […]. augmentent par incorporation des bénéfices non distribués. C’est le mécanisme d’accumulation du capital.
Reprenons l’analogie des vaches de M. le comte.
M. le comte de Plessis-Sellière hérite de son grand père et achète 100 vaches. Il embauche des salariés pour nourrir les vaches, les soigner, produire le lait, s’occuper des veaux. M. le comte ne met pas les pieds à la ferme et vit l’hiver à Cannes et le reste du temps à Neuilly.
10 ans après, il y a 200 vaches. À qui appartiennent les 100 vaches supplémentaires ?
Dans le système capitaliste, tout appartient à M. le comte, et c’est légal. Pourtant, en toute justice, c’est du vol. Car ces 100 vaches supplémentaires sont surtout le résultat du travail des salariés de la ferme, et pas seulement du capital initial. Mais pas selon le droit capitaliste.
Ce mécanisme est le moule duquel sort la classe dominante.
Dans les grandes entreprises, l’accumulation du capital provient essentiellement de ce mécanisme : l’autofinancement. Ainsi les sociétés du CAC 40 ont actuellement un taux d’autofinancement de leurs investissements de 120 %.
C’est-à-dire qu’elles sont financées par autofinancement, et non par la bourse (5)La bourse ne finance pas les entreprises du Cac 40 : les apports en capitaux sont inférieurs aux dividendes versés, auxquels il faut rajouter les rachats d’actions (source : étude annuelle « Profil du CAC 40 », cabinet Ricol, Lasteyrie & Associés)., ni par le crédit (6)L’endettement moyen des entreprises du CAC 40 est en baisse sur longue période (source : idem ci-dessus). En ce qui les concerne, le recours au crédit se limite donc pour l’essentiel au renouvellement des emprunts arrivés à échéance. Ce besoin de refinancement permanent rend néanmoins les entreprises dépendantes des marchés et des agences de notations qui influent sur les taux d’intérêt..
L’idéologie capitaliste est analogue à un célèbre conte pour enfant : l’histoire de Jack et du haricot magique. « L’entrepreneur » sème une graine, un haricot géant pousse tout seul, et tous les sacs d’or sont à lui !
Mais, dans le monde réel, les haricots ne poussent pas tout seul, et les graines magiques n’existent pas, même si certaines poussent plus vite que d’autres.
L’abolition de ce privilège est une exigence universelle de justice. Cette exigence figure même dans la doctrine sociale de l’Église. (7)« […] de nos jours les grandes et moyennes entreprises obtiennent fréquemment, en de nombreuses économies, une capacité de production rapidement et considérablement accrue, grâce à l’autofinancement.
Il serait donc radicalement faux de voir soit dans le seul capital, soit dans le seul travail, la cause unique de tout ce que produit leur effort combiné ; c’est bien injustement que l’une des parties, contestant à l’autre toute efficacité, en revendiquerait pour soi tout le fruit.
Il peut être satisfait à cette exigence de justice en bien des manières que suggère l’expérience. L’une d’elles, et des plus désirables, consiste à faire en sorte que les travailleurs arrivent à participer à la propriété des entreprises, dans les formes et les mesures les plus convenables. » Vatican II, Encyclique « Mater et Magistra » Jean XXIII, 1961.
Quel est en pratique le mode d’attribution des titres de propriété ?
La propriété de l’augmentation des fonds propres est le résultat de la combinaison du capital et du travail. Elle doit donc appartenir au capital et au travail selon leur contribution respective. Celle ci peut se mesurer au prorata des facteurs de production : le capital consommé dans la production, et le travail consommé dans la production. Sur le plan comptable, le capital consommé dans la production est comptabilisé par la rubrique Amortissement (8)Hors amortissement des frais d’études, qui est une opération comptable pour augmenter artificiellement les bénéfices à court terme.. Le travail consommé dans la production est comptabilisé en Frais de personnel.
Ces données figurent dans les comptes des sociétés et dans les comptes consolidés (comptes de groupe). Chaque année, l’augmentation des fonds propres, hors augmentation par apports de capitaux (9) Apport de capitaux par émissions d’actions nouvelles (augmentation de capital)., est donc répartie entre les actionnaires et la société des travailleurs au prorata des amortissements et des frais de personnels, c’est-à-dire de leur contribution respective.
La part de l’augmentation des fonds propres revenant aux actionnaires est incorporée aux réserves, selon le mécanisme comptable en vigueur.
La part de l’augmentation des fonds propres revenant aux travailleurs est incorporée à une réserve spéciale, la réserve spéciale de propriété. La part de l’augmentation des fonds propres revenant aux travailleurs comprend deux parties :
– La part qui leur revient en tant que contribution du travail à l’augmentation des fonds propres,
– La part qui leur revient en tant que propriétaires, au même titre que les actionnaires.
Le nombre d’actions de travail correspond aux fonds propres détenus par les travailleurs. (10)Exemple : M. le comte avait au départ 1000 actions et 100 vaches. Il y a aujourd’hui 200 vaches, dont 150 à M. le comte et 50 à la société des travailleurs (25% du cheptel). M. le comte a toujours ses 1 000 actions, la société des travailleurs à 333 actions de travail (333 = 25% du total des actions, soit 1000 + 333 =1333 actions).
La Contribution relative du travail à l’augmentation des fonds propres est :
Travail consommé / (Travail consommé + Capital consommé)
La part qui revient aux travailleurs en tant que contribution du travail à l’augmentation des fonds propres est :
Augmentation des fonds propres par autofinancement x Contribution relative du Travail
La part qui revient aux travailleurs en tant que propriétaire d’une part du capital à l’augmentation des fonds propres est :
Augmentation des fonds propres par autofinancement x Contribution relative du Capital x Part du capital détenue par les travailleurs
L’augmentation des fonds propres par autofinancement est l’augmentation des fonds propres totale moins les apports en capital (émissions d’actions) plus les rachats d’actions par l’entreprise.
L’évolution dans le temps de la part de capital détenue
Reprenons l’image des 100 vaches initiales de M. le comte :
Une partie du lait (profit) est réinvestie pour nourrir les veaux.
Prenons une hypothèse de 10 % de croissance du cheptel par an (taux moyen du CAC40), une répartition 70%, 30% du travail consommé et du capital consommé (renouvellement du cheptel âgé).
La deuxième année, il y a donc 10 vaches de plus, soit 110 vaches. 7 appartiennent à la société des travailleurs, 3+100 = 103 à M. le comte. La société des travailleurs possède 7/110 = 6,4% du capital.
La troisième année, il y a 11 vaches de plus (10% en plus), soit 121 vaches.
Sur ces 11 vaches nouvelles, 70 % soit 7,7 vaches, appartiennent à la société des travailleurs en tant que contribution du travail à l’augmentation du capital.
Sur ces 11 vaches nouvelles, 30% soit 3,3 vaches, appartiennent aux propriétaires du capital.
Comme 6,4 % du capital appartient à la société des travailleurs et 93,6% à M. le comte, sur ces 3,3 vaches 6,4% appartiennent à la société des travailleurs, soit 0,2 vaches, et le reste à M. le comte, soit 3,1 vaches.
Sur les 11 vaches nouvelles, 7,7 + 0,2 = 7,9 appartiennent donc à la société des travailleurs, et le reste 3,1 à M. le comte.
Sur le total de 121 vaches, la société des travailleurs possède donc 7 + 7,9 = 14,9 vaches.
M. le comte possède donc 100 + 3 + 3,1 = 106,1 vaches.
La société des travailleurs possède 14,9/121 = 12,3 % du capital.
Et ainsi de suite.
Au bout de 10 ans, à partir des 100 vaches initiales, M. le comte possédera 135 vaches et la société des travailleurs 125 vaches, soit 260 vaches en tout.
Rappelons qu’il ne s’agit que d’un principe élémentaire de justice : à chaque facteur de production revient ce qui correspond à sa contribution économique.
Pour mettre en place ce principe il faut une grande loi de réforme de la propriété.
Pour que cette loi soit proposée au parlement il faut qu’elle soit proposée par une gauche de gauche.
Pour que la gauche de transformation propose une telle loi, il faut sortir du tabou de la propriété à gauche.
Pour que cette loi soit votée, il faut une majorité au parlement pour la voter.
Pour avoir une majorité il faut une volonté populaire majoritaire de changer de société.
Ce n’est ni plus facile ni plus difficile qu’en 1789…
« Quand le prolétariat socialiste aura été porté au pouvoir par les événements, par une crise de l’histoire, il ne commettra pas la faute des révolutionnaires de 1848 : il réalisera d’emblée la grande réforme sociale de la propriété ». Jean Jaurès, Socialisme et liberté, 1898
La société des travailleurs devient donc progressivement majoritaire si la famille de M. le comte, propriétaire des fermes de la région, n’apporte pas à la ferme de nouvelles vaches (apport en capital). Plus les actionnaires se comportent en rentier (pas d’apport de capitaux), plus la part de propriété détenue par les sociétés de travail augmente rapidement. Le bénéfice distribué par action est inchangé par la socialisation : seules les actions donnent droit à dividendes, les travailleurs de la société de travail étant propriétaires non lucratif (comme on est propriétaire de sa voiture : c’est une propriété d’usage). Les travailleurs sont rémunérés par leur salaire, ce qui ne préjuge pas de formes d’intéressements aux bénéfices éventuelles dans un cadre défini par la loi, et déterminées par les copropriétaires. Il n’y a pas expropriation : le capital détenu reste propriété de ses détenteurs, la loi n’étant pas rétroactive.
Que se passe-t-il en cas de pertes ?
Actuellement, quand une entreprise fait des pertes, ses fonds propres diminuent, ce qui ne modifie pas la répartition du capital entre les actionnaires.
Dans le système de propriété socialisée, c’est la même chose : les fonds propres diminuent et la répartition du capital entre les actionnaires et la société des travailleurs ne change pas. Si le nombre total de vaches diminue, le cheptel de la société des travailleurs et de M le comte diminuent proportionnellement.
L’évolution dans le temps de la part du capital détenue par la société des travailleurs dépend du taux de croissance des capitaux propres par autofinancement, des apports de capitaux extérieurs, et de l’intensité capitalistique de l’entreprise.
Le taux de croissance annuel des capitaux propres des sociétés du CAC 40 est de 14% entre 1997 et 2007, de 6,5% depuis 2007, et de 12% en moyenne entre 1997 et 2010. Les bénéfices distribués représentent en moyenne 5% des capitaux propres.
Quelques cas de figure
Cas mini : entreprise à croissance dans la fourchette basse (6,5 %), avec apport extérieur en capital important (5%, équivalent à 100% des bénéfices distribués), et une intensité capitalistique élevée (40%, définie par Amortissement/ Amortissement + Frais de personnel).
Dans ce cas, la minorité de blocage est atteinte au bout de 18 ans, et le capital conserve la majorité des droits de votes.
Cas moyen : entreprise à croissance dans la fourchette moyenne (10 %), avec apport en capital moyen (2,5%, équivalent à 50% des bénéfices), et une intensité capitalistique moyenne (30%).
Dans ce cas, la minorité de blocage est atteinte au bout de 6 ans, et la majorité des droits de votes au bout de 11 ans. Cas maxi : entreprise à croissance forte (14 %), sans apport en capital extérieur, et avec une intensité capitalistique faible (25%).
Dans ce cas, la minorité de blocage est atteinte au bout de 5 ans, et la majorité des droits de votes au bout de 8 ans.
Simulation sur PSA, Renault et L’Oréal
Si la loi de socialisation progressive avait été votée en 2000, […]es travailleurs seraient aujourd’hui majoritaires dans les trois entreprises.
Dans le cas de L’Oréal, la contribution relative des salariés à l’augmentation des capitaux propres est très élevée, 85% en moyenne sur la période. Elle est plus faible chez Renault et PSA, 69% et 74% respectivement, qui sont des entreprises plus « capitalistiques », c’est-à-dire qui ont des moyens de production plus importants.
L’Oréal est une véritable « vache à lait pour actionnaires » : non seulement elle est très profitable, mais elle fait beaucoup de rachats d’actions, c’est-à-dire qu’elle « rend des capitaux au marché ». En conséquence, la part de capital détenue par les actionnaires diminue particulièrement vite, et celle des salariés augmente corrélativement (de même pour PSA en début de période).
Aucune des trois entreprises n’a fait appel significativement au marché boursier pour se financer (pas d’apport des actionnaires, c’est-à-dire pas d’augmentation de capital par émissions d’actions).
Ces trois entreprises sont un cas d’école d’actionnariat 100 % rentier.
Elles ont accumulé des capitaux propres en utilisant leurs ressources pour baisser leur taux d’endettement plutôt qu’investir, les investissements n’étant pas assez rentables par rapport aux taux de rentabilité exigés. En conséquence, la socialisation progressive joue pleinement.
Rappelons qu’il ne s’agit en aucun cas d’expropriation.
Les actionnaires conservent leurs actions, et reçoivent toujours la totalité du bénéfice distribué par l’entreprise, qui est inchangé dans cette simulation. Les actionnaires n’y perdent rien financièrement. L’impact sur le cours, d’ordre psychologique, est plus difficile à déterminer. Si le cours baisse, le PER baissera (Price Earning Ratio, prix de l’action par rapport au bénéfice par action), c’est-à-dire que ce sera un placement plus intéressant. Ceux qui vendront feront une mauvaise affaire…
Comme la socialisation est basée sur le partage de la croissance des fonds propres, les entrepreneurs conservent la totalité du contrôle de leur entreprise dans les sociétés qui n’ont pas de croissance significative de leurs fonds propres (ce qui est en général le cas dans l’artisanat, le petit commerce, les petites entreprises de service). À l’inverse, ce mécanisme de socialisation joue pleinement dans les entreprises qui concentrent la plus-value : les grandes entreprises capitalistes. Il entraîne progressivement l’abolition du salariat (11)Par définition du salariat, un salarié est un travailleur qui met pendant un certain temps sa force de travail à disposition d’un employeur propriétaire de l’outil de travail, en échange d’un salaire. Le temps de travail est le « temps pendant lequel le salarié est soumis aux directives de l’employeur sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles » (définition du code du travail). Un travailleur isolé qui est son propre employeur est par contre un travailleur indépendant (auto entrepreneurs, professions libérales…). Les travailleurs propriétaires de leur outil de travail sont des associés et non des salariés. et son remplacement par les travailleurs associés, c’est-à-dire une transition du capitalisme au socialisme tel que défini par Karl Marx.
La socialisation, dépassement dialectique de la crise du salariat
La socialisation n’est pas seulement une exigence universelle de justice. C’est aussi le sens de l’histoire, c’est-à-dire le mouvement de dépassement des contradictions croissantes du système productif capitaliste.
Pourquoi ? Le PCF, à propos du communisme soviétique, mettait en exergue dans les années 80 «la méconnaissance de l’exigence universelle de démocratie dont le socialisme est porteur ».
Plus largement, cette exigence est celle du développement économique lui-même.
Le salariat, base du capitalisme, est aujourd’hui en crise. Cette crise a deux dimensions : mal-vivre et crise d’efficacité, comme nous l’avons analysé dans un chapitre précédent. En synthèse :
Le mal-vivre au travail
La volonté d’échapper au salariat, à l’entreprise privée, est très présente chez les jeunes générations, et le mal vivre au travail est devenu un fait de société.
Réduire ce mal vivre au travail aux seules conséquences du « mal travailler »1 ne prend pas en considération son autre composante : la liberté.
Mutations arbitraires, évaluations arbitraires, nominations arbitraires, réorganisations arbitraires, décisions arbitraires… Ce que les salariés vivent de plus en plus mal, ce n’est pas seulement leurs conditions de travail : c’est leur condition tout court ; leur condition de salarié.
Car être salarié, c’est être soumis aux ordres et directives de l’employeur (un employeur illégitime qui a une finalité autre que l’entreprise), à son pouvoir de contrôle, à son pouvoir discrétionnaire de récompense et de sanction.
Plus les salariés sont qualifiés, moins le travail est prescrit ; seul le résultat l’est. Avec l’individualisation des salaires, les « primes de performance » liées à des objectifs de résultats et de délai fixés lors des entretiens annuels, tout se passe comme si les salariés étaient, pour la part variable du salaire, de faux travailleurs indépendants payés pour leur prestation ; et pour la part fixe, des salariés (c’est-à-dire payés pour le « temps pendant lesquels ils sont soumis aux directives de l’employeur » selon la définition du code du travail).
Le salariat est à la fois en crise et en transformation.
Les salariés subissent aujourd’hui une double domination : la domination liée à la condition de salarié, et la domination commerciale du « donneur d’ordre » hiérarchique sur de faux travailleurs indépendants qu’il met en concurrence, mais qui ne maîtrisent ni leurs moyens ni leurs délais ni leurs tarifs.
Les nouvelles méthodes de management ne sont pas un signe de force du capitalisme. C’est un signe de faiblesse : une tentative pour garder le contrôle d’un salariat de plus en plus qualifié, de plus en plus autonome, et qui accepte et reconnaît de moins en moins son autorité, perçue comme illégitime et arbitraire. Et le patronat n’a pas la mémoire courte : 1936, 1944, 1968…
La crise d’efficacité du salariat
Plus le processus de production devient socialisé, coordonné, plus l’efficacité provient de la coopération, et plus les employeurs développent des méthodes de management par l’individualisation qui ont l’effet inverse.
C’est une contradiction montante du système capitaliste du fait même de la socialisation croissante du procès de production.
Un ancien dirigeant de Renault décrit ainsi les conséquences de cette complexité croissante, complexité des techniques, des produits, des marchés, des organisations : « l’efficacité vient avant tout de la dimension collective ; or il y a un trou noir qui absorbe la productivité collective. On n’a pas trouvé de solution pour faire face à la complexité ». (12)Patrick Pelata, intervention au colloque « Soigner le travail », Sénat, décembre 2011. C’est normal, cette solution est hors de portée du patronat !
Car la résolution dialectique de cette contradiction débouche sur l’abolition du salariat et du patronat, formes devenues dépassées du développement historique, comme l’esclavage le fût en son temps. Elle débouche sur « ces vastes organisations de travailleurs, qui, devenues maîtresses du capital, s’administreront elles-mêmes sous le contrôle de la nation » selon le rêve de Jaurès.
Tavailleurs, État, collectivités, actionnaires : des formes de propriété mixtes et diversifiées
La socialisation permet cette « diversification de l’ordre socialiste », ces « organes multiples » préconisés par Jean Jaurès.
La socialisation n’est pas la propriété exclusive des travailleurs, ni celle de la nation, ni celle des actionnaires : c’est la propriété de tous, au prorata de l’apport de chacun :
- les pouvoirs publics, les collectivités locales, la « Caisse de Sécurité Sociale et Économique » au prorata de leurs apports en capitaux,
- les actionnaires au prorata de leurs apports de capitaux,
- les travailleurs au prorata de leur contribution à l’accumulation de capital par autofinancement (part du travail dans le total des facteurs de production utilisés, travail et capital).
Si les pouvoirs publics n’investissent pas dans l’entreprise, si les actionnaires ne sont que des rentiers, les travailleurs deviennent progressivement majoritaires. À l’inverse, si les pouvoirs publics investissent dans un secteur stratégique, par exemple l’énergie, les entreprises restent sous contrôle public. Il s’agit d’un choix du pouvoir politique qui détermine les secteurs stratégiques pour l’intérêt général. Car l’intérêt des travailleurs d’une entreprise donnée ne se confond pas avec l’intérêt général.
Quel financement pour le « contrôle de la nation » ?
Les aides publiques aux entreprises s’élèvent aujourd’hui au total à 170 milliards d’euros.
Il s’agit d’une contribution publique à fonds perdus à l’accumulation du capital privé, contribution directe quand il s’agit d’aide à l’investissement. En effet, l’outil de production résultant, bien que financé par des prélèvements sur les richesses crées par le travail, appartient en totalité au capital !
Le principe « fonds public, propriété publique », c’est-à-dire l’apport de fonds par des prises de participation au capital, et non par des subventions ou des exonérations de charge, permettrait aux pouvoirs publics et aux collectivités locales d’assurer que « ces vastes organisations de travailleurs, qui, devenues maîtresses du capital, s’administrent elles-mêmes », soient « sous le contrôle de la Nation », conformément au projet socialiste de Jean Jaurès, sans dépenses supplémentaires.
De même, la « Caisse de Sécurité Sociale et Économique», avec ses caisses primaires, ses caisses régionales, sa caisse nationale, financée par la cotisation, contribuera, en prenant des participations, à la diversification des formes de propriété et de contrôle.
[…]
Des licenciements vers le plein emploi
En effet, avec la socialisation, les acteurs économiques, en particulier les travailleurs, co-détermineront la politique des entreprises : politique industrielle, emploi, salaires.
Et si un groupe multinational voulait fermer un site en France, il devrait restituer aux travailleurs de la filiale, copropriétaire du site, mais aussi aux pouvoirs publics et aux collectivités locales s’ils ont apporté des fonds, leur quote-part de la valeur de liquidation des bâtiments, machines, stocks….
Et s’il abandonne ses parts, le site appartient mécaniquement aux propriétaires restant ! De quoi y réfléchir deux fois…
De plus, les travailleurs, qui possèdent déjà une part de l’entreprise, peuvent assurer la continuité de l’activité si elle est viable, sans les actionnaires, avec éventuellement le concours de la Caisse de Sécurité Économique et Sociale.
Par exemple, les travailleurs de Sea France, reprise en scop en 2012, auraient déjà été propriétaires d’une partie des ferries, et n’auraient pas eu besoin de louer leurs propres bateaux à Eurotunnel…
« M. Mittal ne peut pas produire d’acier sans nous. Mais, nous, nous pouvons produire de l’acier sans M. Mittal. » Syndicaliste de Florange, Arcelor-Mittal, 2011
Rapport de force : le socialisme dans un seul pays, une utopie réalisable
Quel rapport de force politique ?
Cette transition nécessite une « grande loi de transformation sociale », qui ne peut être le résultat que d’un rapport de force social, à l’instar de l’abolition des privilèges féodaux en 1789. Comme la proposition de socialisation progressive représente une alternative identifiable et opérationnelle au capitalisme, elle contribue par elle-même à ce rapport de force, en incarnant un projet de société, et une perspective pour les luttes sociales.
Elle peut fédérer au delà de la gauche de transformation, car elle fait résonance à des préoccupations du mouvement chrétien et du mouvement gaulliste, de part leur filiation avec les forces du CNR et le projet de « troisième voie » alternative à la fois au capitalisme et au communisme d’ État. Cette proposition fait également résonance avec la tradition autogestionnaire, celle du mouvement des coopératives, et l’écologie politique, qui sont attachés à la diversification des formes de propriétés.
Elle fait également écho aux traditions du monde du travail, du syndicalisme CFTC, CFDT et CGT, et à cette aspiration à la reprise en main de l’outil de production par les salariés qui émerge spontanément des luttes sociales pour l’emploi.
Le rapport de force politique n’est donc pas hors de portée. Un de ses principaux handicap est peut être à l’intérieur de la gauche de transformation elle-même, dans le « tabou de la propriété » qui règne à gauche. Après s’être opposé au courant anarcho-syndicaliste qui donnait la primauté à la conquête du pouvoir économique par les travailleurs en occultant la nécessité de la conquête du pouvoir politique, la gauche de transformation a donné à l’inverse la primauté à la conquête du pouvoir politique au détriment de la conquête du pouvoir économique « de l’intérieur » des entreprises.
Sa stratégie s’est centrée sur la maîtrise publique du crédit aux entreprises, une fiscalité incitative, une réglementation sociale plus contraignante, c’est-à-dire sur l’action sur les entreprises « du dehors » comme le disait Jean Jaurès. Après l’échec de la propriété d’État et du communisme au XXe siècle, devant la difficulté à « nationaliser les multinationales », la question de la propriété, et plus largement, celle du travail, a progressivement perdu de sa centralité dans la gauche de transformation à partir de la fin du XXe siècle.
Ce mouvement peut aujourd’hui s’inverser.
Quel rapport de force juridique ?
Il s’agira sans doute d’un des terrains de la résistance de la bourgeoisie rentière à la socialisation progressive.
Une des questions qui se posera est la conformité de cette loi à la constitution, en l’occurrence au droit de propriété, issu de la Déclaration des Droits de l’Homme qui a valeur constitutionnelle : Les propriétés étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité (Article XVII).
Ce texte a été la base de la bataille sur les indemnisations lors des nationalisations de 1981.
Mais la socialisation progressive ne prive pas les propriétaires de leur propriété. Elle restaure au contraire dans leurs droits ceux qui en sont injustement privés, car les biens nouveaux créés par la combinaison du travail et du capital sont aujourd’hui injustement accaparés par une des parties. Dans l’absolu, c’est nous qui serions légitimes à réclamer une juste indemnité pour l’expropriation passée, mais cette expropriation était alors conforme à la loi. La socialisation progressive n’est pas une atteinte au droit de propriété. C’est une extension du droit de propriété, dans l’esprit de la déclaration des droits de l’homme !
C’est une extension de la République, la République Sociale. La bourgeoise rentière, en particulier par l’intermédiaire de la commission européenne, pourra aussi arguer que la socialisation progressive est une « entrave à la concurrence libre et non faussée ». En effet, les entreprises socialisées ont un avantage compétitif en n’ayant pas à rémunérer la totalité de leurs capitaux propres (ce qui est d’ailleurs un des buts recherchés). Mais c’est un droit des propriétaires légitimes de ces capitaux, les sociétés de travailleurs…
Quel rapport de force économique ?
Les entreprises socialisées seront toujours en concurrence sur le marché mondial, dans un monde dominé par le capitalisme financier, et le mécanisme de cotation en bourse des entreprises.
Les entreprises socialisées pourront-elles résister à la pression des marchés financiers ? Oui. En effet, le bénéfice distribué par action étant inchangé par la socialisation (seules les actions « privées » sont rémunérés, tout le bénéfice distribué leur revient) les actions des entreprises de droit français, soumises à la loi sur la socialisation, n’ont pas de raisons objectives d’être significativement sous cotées par rapport aux autres actions en tant que placement. Cela ne signifie pas que cela n’entraînerait pas néanmoins de baisse des cours, car une partie de l’accumulation du capital échappe aux actionnaires.
Mais une baisse des cours n’a pas de conséquences autres pour une entreprise que le risque de prise de contrôle hostile, or pour les entreprises socialisées, la société de travail en détient une part incessible qui échappe à toute prise de contrôle. Et une baisse des cours facilitera à l’inverse la montée au capital de la Caisse de Sécurité Économique et Sociale et la substitution des capitaux rémunérés par des capitaux non rémunérés.
[…]
Prévenir l’apparition de nouvelles formes de domination
Il serait illusoire de croire que la suppression de la domination principale, la domination de classe, celle des possédants sur les travailleurs, suffirait pour se prémunir de toute forme de domination.
Comme le constatent souvent les praticiens de la santé au travail, des cas de comportements de domination, de harcèlement, de comportement claniques, existent partout, y compris dans des directions élues d’associations à but non lucratif ou dans des coopératives.
Les entreprises socialisées n’en sont pas protégées par leur seul principe.
En effet, comme le soulignait Montesquieu : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le dirait ! La vertu même a besoin de limites. Pour qu’on ne puisse point abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »
Les entreprises socialisées peuvent aussi être tentées d’exploiter des positions dominantes vis à vis de leurs sous-traitants ou de leurs clients, par intérêt corporatiste. C’est pourquoi, pour que le pouvoir des représentants des « sociétés de travailleurs » trouve des limites, il est important que des formes multiples de propriété et donc de contrôle coexistent : travailleurs certes, mais aussi pouvoir publics, collectivités locales, Caisse de Sécurité sociale et Économique, afin d’éviter ce que Jaurès appelait la « verrerie aux verriers, simple contrefaçon ouvrière de l’usine capitaliste. » (République et Socialisme, 1901)
C’est pourquoi également il est essentiel que des syndicats, indépendants des instances syndicales dont peuvent être issus les dirigeants des « sociétés de travailleurs », assurent la représentation et la défense des « travailleurs associés » vis-à-vis de leur direction, fût-elle élue par eux.
« La notion vraie et le respect absolu de la liberté sont ce qu’il y a de plus rare en ce monde : nous sommes ainsi faits que nous nous sentons bien débarrassé du joug que si nous l’avons mis sur la tête d’un autre. L’histoire de plus d’un syndicat ouvrier contient de ces entraînements et de ces méprises. […] Les hommes se grisent vite du plaisir de faire sentir leur force. Les syndicats doivent toujours se rappeler à eux-mêmes, doivent toujours rappeler aux travailleurs que la seule vraie force, c’est le droit, et que le droit est en autrui comme il est en eux. » Jean Jaurès, La dépêche de Toulouse, 24 juin 1888
Notes de bas de page
↑1 | Et non du seul fructus (aussi appelé « propriété lucrative ») auquel on réduit parfois abusivement le droit de propriété. Les salariés propriétaires sont donc propriétaires de l’actif de l’entreprise au même titre que les actionnaires : propriétaires des bâtiments, des machines, des stocks, de la trésorerie… La gestion de l’actif est assurée par la direction élue majoritairement par les propriétaires. Mais s’il veut fermer un site en France, un groupe devra restituer aux salariés leur quote-part de la valeur de liquidation des bâtiments, machines, stocks… De quoi y réfléchir à deux fois. |
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↑2 | Voir https://www.gaucherepublicaine.org/respublica/une-grande-reforme-de-la-securite-sociale-son-extension-a-la-securite-economique/7396511 |
↑3 | Selon une étude suisse, «The Network of Global Corporate Control », un noyau de 50 sociétés, essentiellement financières, contrôle une grande partie des 43060 sociétés transnationales étudiées. Il s’agit d’une concentration sans précédent du pouvoir économique par une caste oligarchique. Les sociétés par actions disposent déjà de la personnalité morale, tandis que les salariés d’une entreprise n’ont actuellement aucune existence juridique collective. |
↑4 | Les fonds propres (ou capitaux propres) d’une société sont la différence entre ce que la société possède (bâtiments, machines, titres, prêts, stocks, trésorerie..) et ce qu’elle doit (endettement). C’est la valeur comptable de la société. […]. |
↑5 | La bourse ne finance pas les entreprises du Cac 40 : les apports en capitaux sont inférieurs aux dividendes versés, auxquels il faut rajouter les rachats d’actions (source : étude annuelle « Profil du CAC 40 », cabinet Ricol, Lasteyrie & Associés). |
↑6 | L’endettement moyen des entreprises du CAC 40 est en baisse sur longue période (source : idem ci-dessus). En ce qui les concerne, le recours au crédit se limite donc pour l’essentiel au renouvellement des emprunts arrivés à échéance. Ce besoin de refinancement permanent rend néanmoins les entreprises dépendantes des marchés et des agences de notations qui influent sur les taux d’intérêt. |
↑7 | « […] de nos jours les grandes et moyennes entreprises obtiennent fréquemment, en de nombreuses économies, une capacité de production rapidement et considérablement accrue, grâce à l’autofinancement. Il serait donc radicalement faux de voir soit dans le seul capital, soit dans le seul travail, la cause unique de tout ce que produit leur effort combiné ; c’est bien injustement que l’une des parties, contestant à l’autre toute efficacité, en revendiquerait pour soi tout le fruit. Il peut être satisfait à cette exigence de justice en bien des manières que suggère l’expérience. L’une d’elles, et des plus désirables, consiste à faire en sorte que les travailleurs arrivent à participer à la propriété des entreprises, dans les formes et les mesures les plus convenables. » Vatican II, Encyclique « Mater et Magistra » Jean XXIII, 1961. |
↑8 | Hors amortissement des frais d’études, qui est une opération comptable pour augmenter artificiellement les bénéfices à court terme. |
↑9 | Apport de capitaux par émissions d’actions nouvelles (augmentation de capital). |
↑10 | Exemple : M. le comte avait au départ 1000 actions et 100 vaches. Il y a aujourd’hui 200 vaches, dont 150 à M. le comte et 50 à la société des travailleurs (25% du cheptel). M. le comte a toujours ses 1 000 actions, la société des travailleurs à 333 actions de travail (333 = 25% du total des actions, soit 1000 + 333 =1333 actions). |
↑11 | Par définition du salariat, un salarié est un travailleur qui met pendant un certain temps sa force de travail à disposition d’un employeur propriétaire de l’outil de travail, en échange d’un salaire. Le temps de travail est le « temps pendant lequel le salarié est soumis aux directives de l’employeur sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles » (définition du code du travail). Un travailleur isolé qui est son propre employeur est par contre un travailleur indépendant (auto entrepreneurs, professions libérales…). Les travailleurs propriétaires de leur outil de travail sont des associés et non des salariés. |
↑12 | Patrick Pelata, intervention au colloque « Soigner le travail », Sénat, décembre 2011. |