Une protection sociale pour tous, un financement équitable Réponse à Olivier Nobile

NDLR – Ce texte fait suite à la publication dans le numéro de ReSPUBLICA du 27 septembre 2020 d’un texte d’Olivier Nobile. Il ne reflète pas les positions de notre Rédaction mais a sa place dans un débat argumenté autour de la cotisation. 

 

Olivier Nobile vient de publier un texte : La bataille de la cotisation : renouer avec la dimension salariale de la Sécurité sociale. Bien que je partage beaucoup de ses objectifs, je suis en désaccord avec ses propositions qui me semblent socialement et économiquement erronées.
Deux positions s’opposent, parmi les économistes social-protectionnistes (ceux qui sont attachés au maintien et au développement de la protection sociale), mais aussi parmi les syndicalistes et les forces politiques se réclamant du mouvement social. Pour les syndicalistes, la Sécurité sociale est intimement liée au salariat ; elle ne doit être financée que par des cotisations sociales assises sur les salaires, cela fondant le droit des salariés à recevoir des prestations et le droit de leurs syndicats à gérer la Sécurité sociale. La lutte pour la Sécurité sociale est indissociable de la lutte des travailleurs contre le patronat pour l’augmentation des salaires. C’est la position d’Olivier Nobile. Pour les réalistes, dont je suis, la protection sociale comporte des prestations universelles (comme la famille ou la maladie) et des prestations d’assistance, qui n’ont plus de liens avec le salariat ;l es prestations universelles sont maintenant des droits des citoyens plutôt que des salariés ; il est légitime de taxer les revenus du capital pour financer ces prestations sociales qui ne sont pas liées à l’activité, à la fois pour des raisons de justice fiscale que pour décourager la substitution capital/travail. Par ailleurs, nous sommes dans une économie mixte ; la Protection sociale doit être défendue en elle-même et, je dirai même au risque de choquer, indépendamment du combat pour le partage de la valeur ajoutée.
Il faut étendre le concept de Sécurité sociale à l’ensemble de la Protection sociale et distinguer selon les branches. Aujourd’hui, les prestations maladie en nature et les prestations famille sont heureusement devenues universelles. Elles ne sont plus liées au salariat, ni même à l’activité. Elles bénéficient à tous les résidents. Il est peu justifié de prétendre qu’elles ne servent qu’à reproduire la force de travail, quand une partie importante des dépenses de santé profite à des handicapées ou à retraités, qui ne travailleront plus. La santé est un droit du citoyen indépendamment de son statut de salarié. Les enfants ont droit à un niveau de vie satisfaisant, indépendamment de l’activité de leurs parents. Ces droits font partie du modèle social français, comme le droit à l’éducation gratuite. Le caractère citoyen de ses droits doit être réaffirmé ; ce serait un retour en arrière que de prétendre rattacher le droit à la santé ou aux prestations familiales au salariat. Cette évolution vers l’universalité se justifie indépendamment du développement de la précarité, même si celui-ci la rend encore plus nécessaire.
Contrairement à ce que prétend Olivier Nobile, le financement par l’impôt des prestations universelles (comme de l’éducation) ne fait pas que les bénéficiaires aient moins de droits, ou deviennent des assistés. Ces prestations, comme, par ailleurs, les prestations d’assistance (RSA, ASPA, Allocation logement, ASF, AAH, etc..), font partie des dépenses publiques, qui doivent être financées par chaque contribuable, selon ses facultés contributives.
Il est donc légitime que les revenus du capital y contribuent, au même niveau que les revenus du travail. Dans le système français, ceci est assuré par les 17,2 points de CRDS, CSG et Prélèvements sociaux sur les revenus du capital. Ceux-ci devraient-ils être supprimés ? Ce ne serait pas conforme à la justice fiscale la plus élémentaire. Cela irait à l’encontre du combat de longue date pour que les revenus du capital soient taxés comme ceux du travail. Le scandale est que les revenus financiers échappent à l’impôt progressif et ne soient plus taxés qu’à 12,8%.
Il faut distinguer avec soin les prestations universelles et les prestations d’assistance des prestations contributives (retraite, chômage, accident du travail, prestation maladie-maternité-parentalité de remplacement) qui ont elles un lien direct avec l’activité et qui ont vocation à être gérées par les syndicats. Dans la mesure où ces prestations sont réservées aux actifs et dépendent des salaires (ou des revenus d’activité) antérieurs, il est légitime qu’elles soient financées par les seules personnes couvertes, sous la forme de cotisations assisses sur les revenus d’activité. De ce point de vue, le financement de l’Unedic par la CSG, introduit par Emmanuel Macron, est totalement inacceptable, tant du point de vue des retraités, ponctionnés injustement, que des salariés (dont la légitimité à gérer l’Unedic est affaiblie). Il faudra rétablir les cotisations salariés pour le chômage et les prestations maladie de remplacement.
Sans doute, faut-il reconnaître ouvertement qu’il existe dans le système français une double solidarité, une solidarité citoyenne marquée par l’impôt, les dépenses publiques, les prestations universelles et d’assistance et une solidarité salariale avec les cotisations sociales contributives et les assurances sociales (qui, en tant qu’assurances sociales, tiennent compte des revenus d’activité, mais s’éloignent de la pure contributivité).
Il faut certes regretter la diminution du poids des syndicats dans les décisions concernant l’assurance-maladie et les prestations familiales. Cette diminution pose une question de démocratie sociale ; l’étatisation qui soumet ces prestations aux contraintes budgétaires n’est pas satisfaisante. Mais, il est illusoire de penser que supprimer la CSG et les prélèvements sociaux sur les revenus de capital redonnera automatiquement plus de poids aux syndicats. Il n’est pas évident que ce soit le rôle des syndicats de gérer les prestations d’assistance (dont les salariés ne sont pas les principaux bénéficiaires) ou même des prestations universelles (pourquoi la santé plutôt que l’éducation ?). Comme défendre l’éducation publique, défendre l’assurance-maladie publique, garantir le niveau de vie des enfants, augmenter et étendre les minimas sociaux doivent devenir des préoccupations de l’ensemble des citoyens.
Enfin, nous sommes dans une économie marchande capitaliste. Les entreprises choisissent leurs techniques de production en fonction du coût relatif des facteurs de production. Et les clients (ménages ou entreprises) arbitrent entre les produits en tenant compte de leur prix. Il ne serait donc pas scandaleux que la protection sociale, du moins les prestations universelles ou d’assistance, soit aussi financée par la taxation du capital (par exemple par une taxation de l’EBE) de façon à décourager la substitution capital/travail, à ne pas trop peser sur les entreprises qui utilisent beaucoup de travail, qui versent beaucoup de salaires, à peser aussi sur les secteurs capitalistiques, à rendre moins chers les produits utilisant beaucoup de travail, plus coûteux ceux qui utilisent plus de capital. Autant les exonérations de cotisations sociales sur les heures supplémentaires sont dangereuses en période de chômage de masse (puisqu’elles incitent les entreprises à utiliser les travailleurs en place plutôt qu’embaucher), autant les exonérations bas salaires favorisent les entreprises qui développent des emplois sous-payés au détriment de celles qui versent des salaires satisfaisants, autant faire plus contribuer à la protection sociale les entreprises où la part du revenu du capital est importante, se justifie.