Mode d'emploi

Soutenir et financer

Bien que le journal électronique soit rédigé par des contributeurs non rémunérés, nous devons faire face à des frais (notamment informatique). C'est pour cela que votre aide financière est la bienvenue pour nous permettre de continuer à vous informer sur les combats de la Gauche Républicaine et Laïque. Pour ce faire vous pouvez faire une adhésion de soutien en vous inspirant du barème ci-après et en nous envoyant sur papier libre vos Noms, Prénoms, Adresse et courriel à :

Les Amis de ReSPUBLICA
27, rue de la Réunion
75020 PARIS

Barème indicatif :
Chômeurs, RMIstes, Etudiants : 10 €
SMIC et au-delà : entre 25 € et 100 €

 
Chronique d'Evariste
Rubriques :
  • Chronique d'Evariste
  • Débats politiques
  • Education populaire
  • ReSPUBLICA

Pour reconstruire une alternative, rejoignez les collectifs « combat social, combat laïque »

par Évariste

 

La sortie de la période dite « des Trente Glorieuses » s’est effectuée dans une crise sans précédent. Dès les années 70, le capitalisme n’est plus capable d’assurer aux capitalistes un fort taux de profit et une accumulation du capital conforme à son essence. Cela a pour conséquence que l’on ne peut plus penser une alternative dans le capitalisme avec des recettes néo-keynésiennes, comme celles proposées par les stars atterrées et atterrantes de l’Autre gauche.

De plus, le niveau atteint par l’armement n’autorise plus une troisième guerre mondiale permettant (entre autres) une destruction massive de capital et donc la reprise de son accumulation, comme ce fut le cas avec la Deuxième Guerre mondiale, fermant ainsi la séquence ouverte par la crise de 1929-1931 (crise des crédits hypothécaires, bloc-or, crise des débouchés) qu’aucun gouvernement des années 30 n’avait réussi à juguler, à supposer qu’ils aient essayé. Point complémentaire : l’écroulement du communisme soviétique à la fin des années 80 a entraîné les principaux responsables de l’Autre gauche à jeter le bébé nécessaire à la transformation sociale et politique (l’analyse de Marx, d’Engels, de Rosa Luxemburg, de Jaurès, de Gramsci, des communistes républicains de la Résistance, des communistes de gauche du PCI, etc.) avec l’eau sale du bain (le marxisme-léninisme, les trotskismes et le stalinisme).

Floraison des impasses théoriques et pratiques

Le mouvement réformateur néolibéral s’offre alors le monde, avec sa version ordo-libérale en Europe. La guerre inter-impérialiste peut donc produire des guerres de classe à l’intérieur de chaque pays sans opposition à la hauteur des enjeux. Une fois clarifiée le fait que l’alternance des partis de type « UMP-Les républicains » ou de type « Parti socialiste » avec le concours de la société du spectaculaire, n’est qu’un des outils du mouvement réformateur néolibéral, on s’aperçoit malheureusement que la plupart des directions politiques, syndicales ou associatives de l’Autre gauche se fourvoient, soit dans la nostalgie des impasses du communisme soviétique des années 1918 et suivantes, soit dans la croyance religieuse que les solutions techniques néo-keynésiennes sont capables de mener à la transformation sociale et politique, soit dans la brillance inefficace de la seule interprétation du monde et de ses commentaires sans fin participant à la société spectaculaire, soit dans à la croyance qu’une idée simple voire simpliste est à elle seule capable d’entraîner enfin la création du paradis sur terre. Tout cela n’est que chimère. C’est dommage mais c’est ainsi.

Faire reculer l’abstention des couches populaires

Des « comités anti-libéraux » aux « chantiers de l’espoir » et autres tentatives pour refaire ce qui a déjà échoué, ce ne n’est là qu’activisme vibrionnant sans efficacité. La crise du Front de gauche et du mouvement syndical revendicatif est elle aussi patente. Tous deux reculent malgré l’intensification des politiques néolibérales. Un comble ! La raison en est simple : une majorité d’électeurs de gauche des couches populaires ouvrières et employées s’abstiennent, y compris parmi ceux qui luttent dans leur entreprise ! Bien plus que le FN qui n’engrange principalement dans les couches populaires que les ouvriers et employés qui votaient hier à droite, c’est l’abstention des couches populaires qui empêche le développement de l’évolution révolutionnaire par la démocratie. Que font les organisations pour répondre à ce défi ? Rien ou presque !

Pire encore, de nombreuses directions de l’Autre gauche s’allient aux islamistes obscurantistes de l’organisation internationale des Frères musulmans (représentée en France par l’Union des organisations islamiques de France – UOIF), aux organisations musulmanes alliées à l’extrême droite catholique de la Manif pour tous (comme Présence et spiritualité musulmane – PSM) et aux ultra-communautaristes des « Indigènes de la République » (voir une précédente chronique).

Lutter contre tous les racismes et prendre au sérieux le sursaut populaire du 11 janvier

Avant d’en analyser la composition, une manifestation se juge d’abord par son objet, parce que jamais dans l’histoire l’ensemble du peuple n’a été entièrement rassemblé. Faire l’inverse, comme les communautaristes de l’Autre gauche, est une imposture. Une fois critiquée l’instrumentalisation grossière par le gouvernement soutenu par les médias, il reste que cette manifestation aurait eu lieu même sans l’instrumentalisation gouvernementale et qu’elle est la plus importante depuis bien longtemps : 4 millions. Des militants font la fine bouche ? Ne serait-ce pas parce qu’ils ont acté qu’ils étaient définitivement hors du peuple ? L’objet de cette mobilisation était de dire « plus jamais cela, nous voulons vivre sans que l’on touche à un cheveu de quiconque sous prétexte qu’il est : athée, agnostique, catholique, musulman, juif, etc. ». Même si cette réaction ne s’est pas toujours accompagnée d’une réflexion sur les causes des assassinats de janvier et des politiques claires pour sortir de cette crise, tout militant doit prendre la mesure de ce sursaut progressiste.

Il y en a assez du discours des communautaristes de l’Autre gauche, pour qui « le vrai peuple » serait composé de ceux qui n’étaient pas là le 11 janvier, c’est-à-dire les musulmans (ce qui est faux !) et les électeurs FN (ce qui est vrai), tandis que tout le reste serait fait d’infâmes profiteurs bourgeois. Ras le bol ! Pourquoi les communautaristes de l’Autre gauche n’ont-ils pas lancé un appel différent à la manif du 11 janvier ? Parce qu’ils étaient hors sol, déconnectés par rapport à la réaction populaire et en conséquence disqualifiés pour la transformation sociale et politique à venir, qui ne peut s’appuyer que sur des mobilisations populaires et électorales.

Que faire ? Répondre à l’urgence de la période

Alors que le nombre de sigles organisationnels s’accroît dans les appels à mobilisation, l’efficacité des partis de l’Autre gauche et du mouvement syndical revendicatif décroît, et même le nombre de participants aux manifestations. Acculés par le durcissement inéluctable des politiques néolibérales, face à la confusion mortifère et à l’entre-soi stérile qui règnent dans l’Autre gauche, nous n’avons pas d’autre choix que d’engager un processus pour la refondation et à la reconstruction d’une alternative politique alliant une politique de rassemblement et de sortie de la confusion de l’actuelle Autre gauche.
Pour ce faire, nous estimons nécessaire de renouer avec les intérêts du prolétariat ouvrier et employé dont la majorité s’abstient aux élections, et de partir de leurs préoccupations subjectivement vécues (chômage, précarité, école, services publics, protection sociale – 31 % du PIB excusez du peu ! -, laïcité, peuple et pouvoir, démocratie, etc.), pour aller vers les causes (traité de Lisbonne, zone euro, nouveaux traités ou partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement en discussion, etc.) et non faire l’inverse en commençant par une réunion « Stop Tafta » dont les organisateurs ne connaissent même pas l’acronyme français !

Nous jugeons également nécessaire de lier le combat social au combat laïque parce qu’il n’y aura pas de transformation sociale et politique en France hors de cette culture historique des luttes françaises et parce que les communautarismes et les intégrismes sont liés au mouvement réformateur néolibéral qui leur sous-traite l’objet de la protection sociale publique et de l’école publique au fur et à mesure du processus de privatisation ! Et plus généralement, cette liaison historique combat laïque-combat social doit se lier aussi aux autres combats démocratiques, féministes, institutionnels et écologiques. Il est illusoire de vouloir mener ces combats sans le combat laïque!

Enfin, nous proposons de prendre l’initiative par la création de collectifs « Combat social, combat laïque » pour débattre tous ensemble des conditions de l’émancipation et de développer l’éducation populaire, aujourd’hui largement abandonnée par les organisations de toute nature (sauf dans quelques localités comme à Grenoble avec l’ADES qui a permis une victoire municipale). Cette éducation populaire est une nécessité pour mener la bataille de l’hégémonie culturelle, pour recréer un imaginaire crédible. Elle est antinomique avec l’imposition d’une vérité révélée venue d’en haut par des slogans inaudibles ou jugés non crédibles pour le plus grand nombre. L’éducation populaire vise à développer la prise de conscience, l’émancipation et la puissance d’agir des citoyens par le développement de l’esprit critique. Elle doit dans la période actuelle renouer avec la stratégie de l’évolution révolutionnaire que la majorité de l’Autre gauche semble abandonner.

Hasta la victoria siempre (jusqu’à la victoire finale) !

République
Rubriques :
  • Débats politiques
  • République
  • ReSPUBLICA

Nation, patrie : repères dans un champ sémantique miné

par Monique Vézinet

 

La chronique d’Evariste en date du 13 avril 2015 s’intitulait « Pour sortir de l’impasse, réconcilions la gauche avec la laïcité et la nation ». La rédaction de ReSPUBLICA a reçu par ailleurs le numéro 46 (avril 2015) de La Revue du Projet, publiée par le PCF, contenant un substantiel dossier « Nation. Une voie vers l’émancipation ». C’est l’occasion de revenir vers un concept sur lequel tout semble  avoir déjà été dit, pour le tirer dans des directions contraires : le diable résidant dans les « ismes », nationalisme et patriotisme sont aujourd’hui des termes généralement disqualifiés, et l’on entend dire que les Etats-nations deviendraient obsolètes à l’âge de la mondialisation et des nouvelles entités supra ou infranationales, que les conflits armés du type de ceux qui ont marqué les siècles précédents ne se reproduiront plus à l’identique, à preuve la non-nécessité d’un service national, etc.

Par ailleurs, l’uniformisation des modes de vie et des paysages, la mobilité, nous éloigneraient du sentiment d’appartenir à une « patrie », fût-ce une « petite patrie » comme on a crédité Jaurès de désigner son Tarn natal. Jean Jaurès qui justement, comme l’a rappelé Evariste, a voulu relier la nation et la démocratie. Dans l’Armée nouvelle (chapitre X, « Le ressort moral et social »), après avoir remis en perspective la boutade « paradoxale, et d’ailleurs malencontreuse » de Marx « Les ouvriers n’ont pas de patrie », il écrit : « … en France, en Espagne, en Allemagne, en Italie, depuis la révolution, démocratie et nationalité se confondent. Leur histoire depuis un siècle n’a de sens que par là. La nationalité et la démocratie quoique unies en un même foyer ne se sont pas toujours développées d’un mouvement égal. Mais elles ont toujours été inséparables. »

Ayons soin de ne pas opposer à cette thèse jaurésienne la constatation que, postérieurement à 1914, des périodes d’intense nationalisme (et patriotisme) ont été associées des régimes non démocratiques : c’est là qu’en effet l’héritage des révolutions (bourgeoises) fait la différence. En revanche, en France, à la Libération les progrès démocratiques majeurs se sont manifestés : vote des femmes, amorces de démocratie dans les entreprises et dans les institutions sociales. Le programme du CNR marque en fait l’ébranlement – provisoire – des rapports de classe d’avant-guerre. Car, c’est une ressemblance de plus entre les années 30 et la période de crise du capitalisme que nous vivons à présent, une partie des élites économiques et des couches les plus défavorisées se détachent de la nation et de la démocratie. S’agissant des capitalistes financiers d’aujourd’hui et de leurs associés salariés du haut de l’échelle ou expatriés, c’est encore plus évident que pour des patrons d’usines d’avant-guerre, il en va de leur intérêt de capitalistes ; s’agissant des chômeurs et précaires d’aujourd’hui, immigrés ou nationaux, c’est encore plus évident que pour les prolétaires d’une époque où la paysannerie et l’artisanat jouaient encore un rôle d’amortisseur, la crise du capital les exclut de la société bourgeoise.

Venons-en au dossier du PCF précité. Quant à l’internationalisme prôné par les socialistes il y a un siècle et par les communistes encore (« L’internationalisme des communistes est le refus de la concurrence entre les salariés des différentes nations », écrivent F. Gulli et S. Bessac en introduction), point n’est besoin de s’étendre sur ses faiblesses présentes, en particulier du côté des syndicats, et sur les formes toujours renouvelées et triomphantes de la division internationale du travail. En outre, comme le remarque finement Michel Vovelle, « l’altermondialisme, relais de l’internationalisme prolétarien, a du mal à se remettre des dégâts des décennies passées »… Reste la défense d’une souveraineté populaire ancrée dans la démocratisation des institutions : c’est ce qui fonde d’une part la résistance aux traités de libre-échange léonins et aux politiques imposées par l’Union européenne, d’autre part le soutien à la Grèce de Syriza ou à des initiatives de pays émergents, de type Alba, Mercosur ou Banque de développement des Brics.

Je ne discuterai pas ici les textes traitant du libre-échange et du protectionnisme – ni bons ni mauvais en soi mais « des outils utilisables dans diverses conditions » (P. Saly) ou « à dépasser » (Y. Dimicoli) – car ils m’ont paru plutôt bâtir un cahier de doléances et de vœux, avec pour principale proposition concrète la mise en œuvre pour les échanges internationaux de normes sociales et environnementales par des pôles publics bancaires.

S’impose aujourd’hui la primauté du cadre national pour « augmenter la conscience sociale et politique des travailleurs ». Ce cadre est combattu par les formes actuelles du capitalisme. C’est par la lutte des classes qu’il gagne en importance. Ce n’est pas l’histoire qui suffit à justifier qu’on y recoure mais le projet de transformation sociale qui doit l’habiter.

Si la Nation française c’est en 1789 « la puissance souveraine d’un peuple et un principe d’unité contre toutes les anciennes divisions provinciales, sociales et d’ordres d’Ancien régime », comme l’écrit Sylvie Wahnich, si en d’autre occasions et pour des raisons plus ou moins justes, la Nation française a été d’abord mue par la lutte contre un ennemi qu’on lui désignait, les symboles peuvent rester une arme révolutionnaire, telles les idées qui « deviennent une force matérielle quand elles s’emparent des masses » (Marx). Pour l’historien Michel Vovelle qui a toujours marié l’histoire sociale et l’histoire des mentalités, les symboles de la nation restent vivants « tant qu’ils nous parlent, ou que nous savons les faire parler » (Voir son article ci-après).

Rubriques :
  • Histoire
  • République

Les symboles de la Nation entre détournement et mépris

Redonner vie aux symboles en leur restituant leur force révolutionnaire

par Michel Vovelle

 

Article publié dans le dossier « Nation, une voie vers l’émancipation ? », La Revue du projet, n° 46, avril 2015.
Reproduit avec l’aimable autorisation de La Revue du projet.
Couv. revue du projet

L’idéologie nationale a besoin de symboles : repères, expressions figurées d’une communion autour de valeurs, en l’occurrence celle de la Nation, à partir d’objets comme le drapeau (mais aussi la cocarde, l’arbre de la liberté, le bonnet phrygien), des monuments, ou simplement des mots, slogans inscrits sur les façades (Liberté, Égalité, Fraternité), ou des statues et représentations figurées des plus modestes estampes aux grandes compositions, mais elle convoque aussi la musique, héritage d’une créativité festive dont témoignent le Chant du départ, Veillons au salut de l’Empire à sa façon et bien sûr La Marseillaise. Sur cet arsenal de symboles veille la figure de Marianne comme représentation de la nation, la République, la liberté… tout à la fois ou tour à tour, et pourquoi pas la France.

L’héritage de la Révolution française

On dira pour faire court que c’est là l’héritage pour l’essentiel de la Révolution française, point origine dont on se dispensera de rappeler les modalités : le drapeau, un compromis entre le blanc de la monarchie, le bleu et le rouge des couleurs de la bourgeoisie parisienne, comme officialisé au champ de mars lors de la fête de la Fédération (14 juillet 1790), recevant le baptême du sang à Valmy. L’aventure de La Marseillaise née à Strasbourg comme Chant de marche de l’armée du Rhin mais remontant de Montpellier à Paris à l’été 1792 en passant par Marseille qui lui donne son nom s’impose, elle aussi, lors des journées révolutionnaires comme cri de liberté autant que d’un patriotisme sans frontières. En ces années, presque obscurément dans un coin du Midi, s’esquisse le personnage de Marianne, figure de la France dont les travaux magistraux de Maurice Agulhon nous ont relaté l’ascension modeste puis irrésistible sur un siècle.

C’est que les symboles dont la création est d’illustrer ou de susciter et promouvoir du consensus, stimulant la continuité et l’affermissement, ont en fait une vie plus agitée si l’on peut dire, sujets à engouements mais aussi proscription momentanée ou durable, captation voire détournement, compromis bourgeois, et finalement aussi déclin, contestation et oubli : les symboles meurent aussi comme j’ai tenté de la décrire (dans 1789, L’héritage et la mémoire).

Ironiquement on pourrait se demander si cette « fragilité » n’est point la conséquence d’un péché original, cette rupture révolutionnaire avec son partage laïque qui différencie nos symboles des héritages anglo-saxons under God  avec la main sur le cœur comme le président Bush (ou Obama) qui font psalmodier aux Anglais un God save the king , reflet d’un long héritage, respectueux d’une monarchie embaumée (jusqu’à la béatification spontanée de Diana).

De l’anathème à la dérision

L’aventure française dans laquelle, malgré quelques concessions et quelques tentations que je suis loin de méconnaître, dès le début « il n’est pas de sauveur suprême », est beaucoup plus accidentée, exposée à des attaques qui vont de l’anathème à la dérision.

Voyez le parcours du drapeau tel que nous l’avons laissé au 14 juillet 1790, le tricolore s’impose dans le pays comme dans les champs de bataille révolutionnaire, il fait école ainsi dans l’Italie et les républiques sœurs, et Napoléon l’adopte et le promène à travers l’Europe. La Restauration a rétabli le drapeau blanc de la monarchie, mais en 1830, le rusé Lafayette, en drapant Louis-Philippe dans les plis du drapeau tricolore ose prétendre : « Voilà la meilleure des républiques ». Du moins le tricolore est ici durablement en place, et explose dans l’Europe des printemps de 1848. Le Second Empire ne se prive pas de s’abriter sous l’emblème des victoires napoléoniennes, et la Troisième République, après une lutte épique contre les partisans de la monarchie, place le drapeau tricolore au cœur de son dispositif symbolique patriotique, autant que républicain. Victoire incontestable encore que controversée. C’est alors que le drapeau rouge, longtemps honni (par Lamartine notamment) comme celui de la loi martiale, est réapproprié par le mouvement révolutionnaire international : dans cette rivalité de fond qui en France n’ébrèche pas encore en profondeur la coloration « tricolore » de l’avant-guerre 1914, il y a une similitude de destin avec celui de La Marseillaise.

Celle-ci a eu un parcours encore plus semé d’embûches. Dès la période directoriale, sous la Révolution, elle a affronté les campagnes hostiles, l’anathème adverse porté par le  Réveil du peuple, ou simplement l’encanaillement d’un refrain trop populaire (« Le jour de la gloire est arrivé »). Napoléon qui ne l’aime pas a osé l’imposture d’utiliser en jouant sur les mots l’hymne révolutionnaire Veillons au salut de l’Empire. Interdite sous la Restauration, réintroduite par la monarchie de Juillet par le même subterfuge que le drapeau tricolore, mais reprenant toutefois après 1830 toute sa signification proprement révolutionnaire à travers l’Europe, son triomphe en 1848 est stoppé par le coup d’État de Louis Napoléon. C’est la Troisième République qui non sans efforts préliminaires assure son statut d’hymne national, celui dont Berlioz avait assuré l’orchestration et dont l’éclat s’impose aux nations, comme les couplets sont populaires par la pédagogie républicaine. Mais dans le mouvement comme dans les partis ouvriers les études qui ont été menées sur les années 1880 au temps des premières grèves et de la naissance de la Seconde Internationale illustrent comment les ouvriers sont réticents à cet hymne bourgeois, fidèles parfois à la Carmagnole, ils trouvent un nouveau point de ralliement dans L’Internationale d’Eugène Pottier.

Je m’en voudrais de ne pas adjoindre à ce survol emblématique de deux des symboles de la Nation (et de la République), ne serait-ce qu’en hommage mérité à la mémoire de Maurice Agulhon, un aperçu sur les aventures de Marianne, sujet d’une trilogie dans laquelle il décrit les débuts d’abord modestes de cette créature personnifiant la liberté, le peuple, la patrie et finalement la France avec un accent différent suivant les époques. C’est à la Liberté guidant le peuple que l’on songe à partir du tableau célèbre de Delacroix sur les barricades de 1830. Mais la Marianne proprement dite s’affirme à partir de 1848, clandestine mais diffusée par l’image et à travers le pays. La Troisième République a assuré son officialisation quand se diffuse spectaculairement dans les mairies et les bâtiments officiels le buste de cette allégorie, que l’on retrouve aussi statufiée sur les places. Non sans ambiguïté certes, car il y a deux Marianne au moins : celle des républicains modérés, notables bourgeois conservateurs, Cérès couronnée de blé, symbole de prospérité et de sagesse. L’autre Marianne, celle des barricades, porte le bonnet phrygien et a le sein nu, elle se mêle à la foule qu’elle guide. Internationaliste autant que patriote, révolutionnaire autant que républicaine, cette autre Marianne porte un message qui n’est point celui des mâles qu’on essaie de lui opposer ailleurs comme Germania. Elle peut être porte-parole des révolutions à venir.

Une rupture dans l’histoire des symboles

Nous voici au tournant majeur de la fin du XIXsiècle, suivi de ce que mes étudiants de 1968 appelaient « la grande boucherie impérialiste ». Les symboles vont prendre un rude coup. Coup de chauffe pour les nations dressées les unes contre les autres à l’âge des affrontements impérialistes. Au temps des défilés, des propagandes échauffées par les mouvements militaristes, les bannières flottent, les hymnes nationaux sont à l’honneur, malgré les efforts de la propagande internationaliste dont Jaurès est le héros et la victime. C’est en 1915 que l’on transfère aux Invalides la dépouille de Rouget de Lisle. L’Union sacrée provoque momentanément une forme de consensus sur les symboles de la nation, malgré les voix discordantes. On ne peut contester les images qui reflètent l’ampleur de l’engagement initial dans les classes populaires comme dans la bourgeoisie, témoignage d’un patriotisme plutôt que d’un nationalisme assumé par une partie des classes dirigeantes, nourri de l’illusion d’une victoire dans une guerre brève. Il n’est pas de notre propos de reprendre le récit ni les étapes tant de la montée progressive de la contestation au sommet dans le mouvement socialiste (conférences de Kienthal, Zimmerwald…) ou plus largement pacifiste, que du refus à la base de ces mutins dont le nombre et le sort ont été si longtemps occultés par l’historiographie officielle : ce serait un chapitre qui est actuellement en pleine redécouverte. Il reste essentiel de marquer la rupture que représente l’issue du conflit dans notre histoire des symboles. En apparence les couleurs nationales sont plus que jamais à l’honneur dans les festivités qui entourant la victoire, au temps de la Chambre bleu horizon. Mais dans la nouvelle génération qui recueille dans les années 1920 les chroniques du massacre (Barbusse, auteur du Feu, et d’autres) un refus collectif se fait entendre, contestant l’appareil et les expressions de l’idéologie nationale. Politisé à la lumière du message apporté par une nouvelle révolution, bolchevique, ou en voie de politisation, on en trouve l’expression spectaculaire dans le poème d’Aragon « Hourra l’Oural », dénonciation virulente de La Marseillaise, chant de guerre et de mort « dans la merde des tranchées », hymne honni, auquel in fine le poète substitue L’Internationale. Dans quelle mesure ce discours est-il l’écho d’un pacifisme assumé par les organisations révolutionnaires qui prennent corps. Nous avons encore fredonné en cachette dans ma génération le couplet « interdit » de L’Internationale :

« S’ils s’obstinent ces cannibales à faire de nous des héros
Ils sauront bientôt que nos balles sont pour nos propres généraux ».

Les fanfares guerrières qui continuent à rythmer la vie et le quotidien du soldat comme les défilés se doublent de leur version dérisoire, en écho à la marche de la garde impériale à Marengo qui accompagne le souvenir de Camerone pour la Légion, le bidasse chante « C’est un soldat d’Afrique, qui tenait la faction, il m’a mis dans la main un gros bâton tout rond ». Et les civils s’ils participent avec zèle aux commémorations qui exhibent les mutilés de la guerre agrémentent in petto le refrain de paroles nouvelles : « C’est pour les vieux cons, c’est pour les vieux culs, c’est pour les vieux qu’ont perdu la vie ».

Cette fibre dérisoire n’était point une nouveauté, elle s’était exercée au XIXe siècle contre les symboles de l’Ancien Régime et de l’aristocratie, ainsi chez Beranger et d’autres, de même que sous l’Ancien Régime les hymnes religieux, avaient souvent une version profane insolente ou grivoise. Mais dans l’après-guerre des mouvements pacifistes, elle a duré autant que le service militaire dirait-on, moins connue que les attaques frontales de l’extrême droite réactionnaire puis fascisante contre la symbolique républicaine, virulente depuis l’Affaire Dreyfus et les combats de la laïcité au tournant du siècle.

La réconciliation des symboles

Il n’est pas excessif de parler d’un tournant majeur dans les années trente, celles du Front populaire et de la mobilisation contre la montée des périls fascistes. Ce qu’on pourrait désigner pour faire simple comme la réconciliation des symboles s’opère autour d’une relecture de la Révolution française, référence majeure. Révolution bourgeoise pour l’extrême gauche représentée par le Parti communiste d’alors, éclipsée par la révolution bolchevique, même si dans ses débuts celle-ci en avait repris quelques thèmes. Les faits sont connus : dès 1934 un discours de Maurice Thorez au stade Buffalo célèbre la réconciliation historique du drapeau rouge et du tricolore, de La Marseillaise et de L’Internationale. En revendiquant l’héritage comme partie intégrante de la mémoire du mouvement ouvrier pour stimuler l’effort patriotique en lutte contre le fascisme, les communistes inaugurent le mouvement de toute la gauche au sein du Front populaire autour des valeurs à la fois patriotiques et démocratiques héritées de la Grande Révolution. Saurait-on ici parler de détournement, ou au contraire de revivification ? Même si ce compromis n’est pas sans équivoque il a prouvé sa vitalité dans la mobilisation des années trente, dont restent des témoignages comme le film La Marseillaise de Jean Renoir.

Les mouvements de la Résistance, point simplement communistes, entre 1940 et 1944, se sont référés dans leurs appellations comme dans leur rhétorique au souvenir de l’élan national de l’an II, premier combat exemplaire des forces de la liberté contre l’oppression. Éluard ou Aragon évoquent la rencontre, devant le peloton d’exécution de La Marseillaise et de L’Internationale.

Tant et si bien qu’au lendemain de la Libération, dans une République restaurée, sous la caution du général de Gaulle, un consensus semble s’imposer, chacun gardant ses arrière-pensées. Il n’a pas résisté aux changements profonds de la seconde partie du XXe siècle, prolongé jusqu’à nos jours, en passant par la Guerre froide, et plus encore les épisodes de la décolonisation, jusqu’aux grandes ruptures de la fin du siècle à aujourd’hui avec l’implosion du système socialiste, et les révolutions d’aujourd’hui. Au fil de ces étapes, c’est non seulement la nation dans sa réalité comme dans son concept qui ont été mis à l’épreuve, mais l’appareil symbolique qui l’accompagnait.

Main basse sur les symboles

En survol global, le bilan de ce grand demi-siècle est celui d’un déclin continu et prononcé. Mais il a ses épisodes de rupture et de contestation, comme aussi de captation voire de main basse sur les symboles. Le gaullisme a ambitionné un temps de rassembler autour de la personne de son chef, symbole vivant, sous les plis du drapeau et au chant de La Marseillaise, une unité que les réalités ont très vite fait voler en éclats. Le choc des guerres coloniales et singulièrement de la guerre d’Algérie par le nombre de jeunes qu’elle a impliqué dans une aventure qui n’était pas la leur a certainement été profond. Il s’est en tout cas accompagné d’une des premières opérations « main basse » sur les symboles quand l’extrême droite appuyée dans l’OAS par une partie des cadres de l’armée a prétendu s’emparer de La Marseillaise comme des trois couleurs… transmettant cette prétention abusive au Front National jusqu’à nos jours, même si le chœur verdien de Nabucco a pu être essayé un temps, comme moins révolutionnaire que La Marseillaise… À défaut de faire main basse, on a pu assister au lendemain de l’ère gaullienne à une tentative pour « civiliser » l’hymne national, lorsque le président Giscard d’Estaing se mettant en tête de corriger les brutalités de l’orchestration par Berlioz lui imprima le rythme « oratorio » qui fit sourire avant que le président Mitterrand ne lui restitue son rythme antérieur, après 1981. Au-delà de l’anecdote, voilà qui confirme qu’en haut lieu, il est mal porté de toucher aux symboles : après de Gaulle, de droite comme de gauche, les gouvernements et leurs ministres se sont attachés avec une réelle continuité à promouvoir dans l’enseignement les valeurs de la Nation – celles de l’identité à droite, de la République à gauche, pour simplifier.

Et le chant de La Marseillaise tient une place emblématique dans cet enseignement civique. Il y a dans cette politique des séquences particulières : nous les retrouverons. En contrepoint, place aux mouvements de contestation venus d’en bas. Dans la jeunesse, interpellée par les guerres de la décolonisation, ils ont été muselés lors de la guerre d’Algérie, malgré les manifestations initiales, par le carcan de l’institution militaire. Mais, en différé, 1968 a pu apparaître comme une libération de la parole qui, tout en se référant à un certain modèle de la Révolution ne ménageait guère les symboles de la société bourgeoise.

Si l’on s’astreint à un survol global jusqu’à aujourd’hui, il est évident qu’en France le déclin et la déperdition de sens des symboles fondateurs de la nation s’imposent. J’ai évoqué dans 1789. L’héritage et la mémoire le destin de deux d’entre eux, la figure de Marianne et La Marseillaise. Le premier à partir des pages de Maurice Agulhon, les trois tomes sur la figure personnifiée de la Nation ou la République qui s’achève dans les dernières décennies sur le tarissement d’une figuration qui s’est engagée dans la « starisation » quand Marianne a pris les traits de Brigitte Bardot, Catherine Deneuve puis Laetitia Casta. La décennie des années 1980 à 1990, invitation à un renouveau des images de l’héritage révolutionnaire, a certes été propice à une multiplication momentanée des figurations mais a facilité une érotisation parfois poussée de ces icônes vidées de leur contenu civique. Il en va de même pour La Marseillaise, à laquelle j’ai consacré des études (dans Les lieux de mémoire) qui conduisent au constat du déclin avéré de l’hymne national dans la culture familiale. L’application avec laquelle les différents ministres, depuis Chevènement le premier, jusqu’à Jack Lang qui m’a sollicité à plusieurs reprises pour écrire sur le thème, et jusqu’à leurs successeurs de droite ou de gauche (Ségolène Royal) ont réitéré l’obligation d’enseigner La Marseillaise bute sur des difficultés évidentes qui s’imposent à tout cet héritage.

On invoquera Maurice Agulhon pour expliquer l’indifférence, la banalisation de notre regard vis-à-vis de valeurs que l’on peut considérer comme des acquis même s’il s’en faut : l’inscription « Liberté, Égalité, Fraternité » sur nos édifices n’attire plus le regard dans un paysage mural où les tags se substituent à la devise. La nation a sans doute paradoxalement perdu de son contenu référentiel avec la suppression du service militaire. Inversement, l’émergence des régions à partir des revendications identitaires – occitane, corse ou bretonne – a pu contribuer à l’effacement de la conscience nationale, cependant que le sentiment d’une appartenance « européenne » reste peu affirmé, et souvent récusé… et que l’altermondialisme, relais de l’internationalisme prolétarien, a du mal à se remettre des dégâts des décennies passées. Toutefois, au risque de la contradiction, on doit reconnaître que cet effacement de l’appartenance patriotique coexiste avec le renforcement croissant d’un nationalisme dans une partie de la population, réflexe identitaire exacerbé par la crise générale. C’est en Allemagne, mais l’exemple est à méditer, qu’en 1990 le slogan potentiellement révolutionnaire « Wir sind das Volk » [Nous sommes le peuple] s’est transformé en « Wir sind ein Volk » [Nous sommes un peuple], fermant toute perspective subversive.

Éveiller une mémoire perdue

Il y a donc plus que de l’indifférence liée à l’oubli ou à l’ignorance de notre passé d’une histoire qu’il conviendrait d’enseigner en termes appropriés aux nouvelles générations, éveillant une mémoire perdue. S’il a suffi à un imposteur astucieux d’imiter une voix officielle pour que les footballeurs de l’équipe de France entonnent La Marseillaise, avec la main sur le cœur comme le président Bush, il reste que La Marseillaise a été, en plusieurs occasions, sifflée dans les stades et que les plus récents événements de janvier 2015 ont suscité dans les classes des manifestations non méprisables d’un rejet du discours républicain par des jeunes qui se sentent de l’autre côté de la barricade. Ce sont les valeurs de la République tout autant que celles de la Nation qui sont en cause.

Où trouver aujourd’hui la juste voie pour affronter les problèmes de l’appartenance et des héritages tels qu’ils s’inscrivent dans nos mots et dans nos rites ?

Suffirait-il d’une pédagogie adaptée et d’un toilettage en matière d’aggiornamento de nos couplets vieillis, historiquement datés prétend-on ? Dans mes batailles pour La Marseillaise, combien de fois n’ai-je pas eu à affronter l’argument du « sang impur » dont l’abbé Pierre comme Danielle Mitterrand et d’autres bonnes âmes voulaient expurger l’hymne national, jusqu’à ce que d’autres (Badinter) s’appuyant sur la caution de Victor Hugo arbitrent en faveur du respect du texte. S’il a vieilli dans ses mots, dans certaines références datées, il n’a pas vieilli dans son message qui est celui d’une nation en armes pour défendre la liberté, la sienne et celle des autres, ce qui lui a valu d’être repris en tous lieux, d’hier à aujourd’hui. Redonner vie aux symboles en leur restituant leur force révolutionnaire n’implique pas, il s’en faut, de respecter une orthodoxie mortifère. Les symboles sont faits pour être brocardés, preuve de vitalité. Détournements, accaparements, dérision… les symboles résistent tant qu’ils nous parlent, ou que nous savons les faire parler.

 
Ecole publique
Rubriques :
  • Ecole publique

Réforme des collèges et « liberté pédagogique »

par Catherine Kintzler

 

La réforme des collèges et son projet de nouveaux programmes fait des vagues – enseignement des langues anciennes mis sous tutelle et noyé dans les « EPI » (enseignements pratiques interdisciplinaires), programmes d’histoire avec de possibles (et donc plus que probables) impasses. La presse s’en fait l’écho, notamment France Inter le 24 avril, où un membre du Conseil national des programmes avance la notion de liberté du professeur … à contresens.

Pour libérer du temps en vue des enseignements « interdisciplinaires » il faut rogner sur les disciplines… c’est tout simple ! Et quelle bonne occasion de s’en prendre à ceux qui se sont engagés dans l’enseignement par intérêt pour une discipline et par désir de la faire partager à autrui (les élèves) – au lieu de s’intéresser comme ils le devraient à l’épanouissement de l’enfant, au « vivre-ensemble » et au « savoir-être ». Ainsi les professeurs d’histoire se voient confrontés à un « allégement » de programmes qui procède par distinction entre questions obligatoires et questions facultatives. Cette probabilité de l’impasse reçoit la caution de la « liberté pédagogique » exercée par chaque professeur.

Hubert Tison, secrétaire général de l’Association des professeurs d’histoire-géographie1 résume la supercherie avec un exemple lourd de signification, pris dans le projet de programme du cycle 4, classes de 5e et de 4e : « les Lumières » sera une question facultative. Les grands philosophes, la question de la citoyenneté… négliger cela, c’est, précise-t-il, « amputer la culture d’un élève ».

Liberté du professeur ?

D’abord on se demande de quelle liberté le Conseil supérieur des programmes s’autorise lui-même, en décidant que, par exemple, les Lumières c’est secondaire (voir ci-dessous l’extrait du projet de programme).

Ensuite, la notion de liberté pédagogique du professeur ne concerne pas les programmes, c’est-à-dire les contenus, mais seulement les méthodes. En France, seule l’instruction est obligatoire (il faut donc des programmes nationaux s’imposant à toutes les écoles tant publiques que privées et au préceptorat). En revanche les méthodes d’enseignement sont libres, dans le cadre du droit commun et du code de l’éducation : jusqu’à nouvel ordre, il n’y a pas de pédagogie officielle. Or c’est exactement le contraire qu’explique sur l’antenne de France Inter le 24 avril  Denis Paget, membre du Conseil supérieur des programmes, au sujet de ce projet de programme d’histoire, et avec une pointe d’agacement perceptible dans la voix :

« Il faut savoir ce qu’on veut, on nous dit tout le temps que les programmes sont trop lourds. Donc le choix qui a été fait c’est qu’il y ait des points de passage obligés et puis des questions au choix. Alors évidemment on ne traitera pas toutes les questions, c’est le professeur qui choisit en fonction de l’intérêt des élèves, de la logique même de son cours, de traiter une question plutôt qu’une autre, ce qui permet de dégager beaucoup plus de temps pour enseigner l’histoire de façon plus active et intelligente et notamment en travaillant des études de documents. »

Que conclure de cette déclaration ?

1° Que le Conseil supérieur des programmes décide, on ne sait sur quels critères, qu’il existe en histoire des questions principales (par exemple l’islam) et des questions secondaires (par exemple les Lumières). La responsabilité de pans entiers d’ignorance est reportée sur la liberté des professeurs. Seuls des esprits chagrins pourront penser que la répartition subtile entre questions obligatoires et questions au choix puisse être idéologique ou obéir à des motifs clientélistes (en novlangue : « intérêt des élèves »).

2° Qu’il existe une manière « active et intelligente » d’enseigner l’histoire – comprendre : celle que recommande le CSP. Car bien sûr, on aura compris aussi que les professeurs formés à la connaissance de disciplines, ceux qui s’arc-boutent de façon archaïque sur des savoirs constitués, ne la pratiquent pas – préférant probablement une manière d’enseigner « passive » et « bête ». Il est donc opportun de les mettre au pas. Comment ? En les noyant autant que possible dans l’interdisciplinarité et en leur conseillant de se plier aux méthodes de ce qui ressemble fort à une pédagogie officielle.

Ci-dessous un extrait du projet de programme d’histoire (cycle 4) ; seules les questions en gras sont obligatoirement traitées2.

ProgrHistoire5e

  1. Association signataire du communiqué de la Conférence des Associations de professeurs spécialistes sur le projet de réforme du collège qu’on peut lire sur son site internet. []
  2. Document consultable intégralement sur le site du café pédagogique. []
Religions
Rubriques :
  • Débats laïques
  • Religions

Marxisme, religions et laïcité

par Thierry de Larochelambert

 

Il est parfois nécessaire, dans les époques troubles où certains peuvent perdre leurs repères et d’autres ajouter à la confusion des esprits, où une certaine extrême-gauche rejoint le terrain douteux anti-laïque, anti-républicain des intégristes religieux et du totalitarisme obscurantiste, de revisiter les textes fondateurs et historiques de ceux qui ont participé à la construction de la pensée socialiste et communiste, du matérialisme, du combat contre les oppressions, les féodalismes, l’exploitation de l’homme et de la nature.

Il est devenu aujourd’hui nécessaire, voire urgent, de procéder à ce retour réflexif pour contrer ceux qui, intentionnellement ou par confusion idéologique, confondent la lutte pour les opprimés, pour la justice sociale avec le soutien aux cultures oppressives et rétrogrades contre les Lumières.

L’amour du Peuple contre les oligarchies, de la République contre la Monarchie, c’est se battre pour les libérer des chaînes idéologiques qui les entravent et les instrumentalisent, des injustices qui les rabaissent, des intégrismes religieux qui les abrutissent, les maintiennent dans l’ignorance, la résignation et l’acceptation de leur oppression.

Karl Marx et Engels, contrairement à ce que certains curés d’un nouveau genre écrivent, avaient clairement analysé les religions comme l’opium des peuples qui les aident à supporter indéfiniment leur misère et leur condition d’opprimés, mais ce n’était pas pour défendre les religions ou les recommander comme moindre mal!

Le dogme, la pression idéologique et morale, le négationnisme anti-scientifique et la dictature par essence des religions « révélées » sont fondamentalement, par nature, opposées à la liberté de pensée, au libre-arbitre, à la connaissance scientifique (sauf à induire une forme de schizophrénie: la « Révélation » n’a aucun sens physique; « Dieu » n’est pas une hypothèse scientifique ni une explication du monde, de l’univers, des univers; le galimatias des textes et versets prétendument « sacrés », écrit par des humains pour imposer aux humains des pseudo-« vérités » et « lois divines » est contraire à l’élaboration critique de la pensée et de l’émergence de l’auto-gouvernement démocratique): ils constituent l’oppression religieuse.

Mais l’oppression n’est pas que religieuse; elle peut être sociale, économique, politique, écologique et à ce titre, toutes les idéologies sont des formes d’oppression, dans la mesure où elles inversent et maquillent plus ou moins sciemment la (les) réalité(s), masquent les causes, nient les oppressions et leurs conséquences.

Ceux qui défendent les religions, que ce soient celles des prolétaires ou des bourgeois, des immigrés ou des autochtones, participent de cette confusion idéologique et mentale, de cette oppression et font le jeu, volontairement ou par sophisme idéologique, des ennemis de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

Si Marx constate que « La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur », c’est en sociologue qu’il l’écrit, après de longues analyses sur les mécanismes de l’aliénation religieuse dans le prolétariat, non comme un soutien implicite à une introuvable nécessité de la religion comme expression des masses opprimées ! Je m’interroge sur les intentions de ceux qui détournent la pensée et les analyses profondes, argumentées, documentées de Marx et Engels en sortant une ou deux phrases de leur corpus. Si vous avez lu Marx et Engels, vous connaissez leur philosophie matérialiste et leur critique fondamentale des religions prétendument « révélées » (pas seulement chrétienne, mais judaïque et islamique).

Citons donc Marx et Engels pour éviter de leur faire dire le contraire de ce qu’ils ont dit:

« La bourgeoise « liberté de conscience » n’est rien de plus que la tolérance de toutes les sortes possibles de liberté de conscience religieuse, tandis que le parti ouvrier s’efforce de libérer les consciences de la fantasmagorie religieuses » (Marx, Neue Zeit, 1890-91, tome 1)

« En général, le reflet religieux du monde réel ne pourra disparaître que lorsque les conditions du travail et de la vie pratique présenteront à l’homme des rapports transparents et rationnels avec ses semblables et avec la nature. La vie sociale, dont la production matérielle et les rapports qu’elle implique forment la base, ne sera dégagée du nuage mystique qui en voile l’aspect, que le jour où s’y manifestera l’oeuvre d’hommes librement associés, agissant consciemment, et maîtres de leur propre mouvement social. » (Marx, Das Kapital)

« Seule, la connaissance réelle des forces de la nature chasse les dieux ou le dieu d’une position après l’autre. » (Engels, Anti-Dühring, 1876-1878)

A propos de Kriege et des « révolutionnaires religieux »: « Ces prophètes « enseignent » leurs disciples, qui se présentent ici avec une remarquable ignorance de leurs propres intérêts, de la meilleure façon « de travailler et jouir en commun », et cela non pour « travailler et jouir en commun », mais uniquement au contraire afin que l’Ecriture s’accomplisse et que quelques rêveurs d’il y a 1800 ans n’aient pas prophétisé en vain. » Mars et Engels, Circulaire contre Kriege, 1846, chapitre IV)

« Quand le monde antique était à son déclin, les vieilles religions furent vaincues par la religion chrétienne. Quand, au XVIIIème siècle, les idées chrétiennes cédèrent la place aux idées de progrès, la société féodale livrait sa dernière bataille à la bourgeoisie, alors révolutionnaire. Les idées de liberté de conscience, de liberté religieuse ne firent que proclamer le règne de la libre concurrence dans le domaine du savoir (…). Rien n’est plus facile que de donner une teinture de socialisme à l’ascétisme chrétien. Le christianisme ne s’est-il pas élevé lui auss contre la propriété privée, le mariage, l’Etat? Et à leur place n’a-t-il pas prêché la charité et la mendicité, le célibat et la mortification de la chair, la vie monastique et l’Eglise? Le socialisme chrétien n’est que de l’eau bénite avec laquelle le prêtre consacre le dépit de l’aristocratie. » (Marx, Engels, Manifeste du Parti communiste, ch II et III).

Pour finir, citons donc aussi la Critique de la philosophie du droit de Hegel un peu plus longuement:

« Cet Etat, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers. La religion est la théorie générale de ce monde (…), elle est la réalisation fantastique [au sens de fantasme, fantaisie] de l’être humain, parce que l’être humain ne possède pas de vraie réalité. Lutter contre la religion, c’est donc indirectement lutter contre ce monde-là, dont la religion est l’arôme spirituel. La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour l’autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme est l’est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple. L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole (…). C’est en premier lieu la tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, une fois dénoncée la forme sacrée de l’auto-aliénation de l’homme, de démasquer l’auto-aliénation dans ses formes non-sacrées. » (Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843-1844)

C’est clair, net et précis: il faut cesser de faire croire à une compassion, voire un soutien de Marx aux aliénations religieuses.

Vive la Laïque et les Lumières! Vive l’égalité de tous et de toutes devant la loi humaine, égalité des femmes et des hommes, égalité des peuples, sans particularisme ni communautarisme diviseur, inégalitaire et anti-républicain. Contre la propagande religieuse, pour l’éducation scientifique et humaniste de toutes et tous, le partage du savoir, des connaissances et de l’histoire.

Combat féministe
Rubriques :
  • Combat féministe

Rebsamen jette l’égalité professionnelle à la poubelle !

par un collectif

 

⇒ Le site de la pétition : http://www.sosegalitepro.fr/les-associations-feministes-montent-au-creneau/

Le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi porté par le Ministre du Travail François Rebsamen prévoit de déconstruire, entres autres, les outils fondamentaux de l’égalité professionnelle entre femmes et hommes.

Les inégalités professionnelles et salariales entre femmes et hommes sont pourtant toujours d’actualité : les femmes gagnent encore 24% de moins que les hommes, leurs carrières sont freinées par la maternité, elles occupent 80% des emplois à temps partiel et restent minoritaires dans les emplois cadres malgré un niveau moyen de formation supérieur aux hommes. Les inégalités salariales sont l’expression de la domination masculine; elles constituent une violence économique qui rend les femmes plus dépendantes et plus vulnérables.

Pourtant, le projet de loi prévoit de supprimer un des outils indispensable à la mesure des écarts entre les femmes et les hommes en entreprise et servant de base à la négociation collective en matière d’égalité professionnelle: le Rapport de Situation Comparée sur la situation des femmes et des hommes d’ entreprise.

Ce rapport instauré dès la première loi sur l’égalité professionnelle de 1983 d’Yvette Roudy est obligatoire depuis la loi de 2001 et a été renforcé par la loi du 4 août 2014 qui durcit les sanctions à l’égard des entreprises hors la loi. En revenant sur cette disposition, le gouvernement actuel, en pleine incohérence,  est ainsi le premier à faire marche arrière en matière d’égalité professionnelle.

Ces données devant être élaborées par les employeurs en matière d’égalité professionnelle et soumis au comité d’entreprise seront désormais susceptibles de varier d’une entreprise à l’autre, par accord d’entreprise. Le diagnostic identique pour toutes les entreprises deviendra donc un outil à géométrie variable.

L’absence du rapport de situation comparée aura d’autres conséquences graves : Comment les partenaires sociaux négocieront-ils les accords égalité sans données sexuées ? L’instauration de la pénalité envers les entreprises n’ayant pas négocié pourra-t-elle continuer d’être appliquée ? Celle-ci, mise en œuvre en 2012, a permis une certaine augmentation de signatures d’accords collectifs en matière d’égalité professionnelle, or son socle juridique repose sur celui du rapport de situation comparée. A ce jour, beaucoup de doutes existent sur ces deux questions.

Le Président François Hollande qui a inscrit l’égalité femmes-hommes comme un enjeu prioritaire de son mandat est donc le premier Président à revenir  sur la loi de 1983 en supprimant l’un des principaux outils (insuffisant certes) de l’égalité professionnelle :

– alors même que le 1er mai a été l’occasion de souligner une fois de plus la persistance d’inégalités pérennes entre les femmes et les hommes,

– alors même que le Rapport de Situation Comparée commençait à peine à être intégré et compris par les entreprises,

– alors même que la Loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes venait d’enrichir les indicateurs du rapport de situation comparée,

– alors même que Marisol Touraine et Pascale Boistard, ministres en charge des droits des femmes, se félicitent d’avoir renforcé les sanctions envers les entreprises hors la loi,

– alors même que la loi vient d’étendre ces obligations au secteur public…

Comme d’habitude en période de crise, les femmes sont les premières à en subir les conséquences. Sous prétexte de « simplification » des procédures pour les entreprises, ce projet de loi supprime en catimini un des seuls outils concrets pour l’égalité professionnelle.

C’est un recul incompréhensible en matière de lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes et le Haut Conseil à l’Egalité a fait part de son inquiétude à ce sujet dans un courrier adressé au Ministre du Travail.

Actuellement examiné en commissions, ce texte sera présenté officiellement par le gouvernement lundi 11 mai au Conseil Supérieur de l’Egalité Professionnelle entre les femmes et les hommes. Pour nous, organisations qui luttons au quotidien pour l’égalité, il y a urgence et nous demandons à être entendues : les articles concernant les obligations en matière d’égalité professionnelle doivent être rétablis et la lutte contre les inégalités doit se poursuivre.

Osez le féminisme !, Femmes Solidaires, Le Planning Familial, la CGT, Coordination pour le Lobby Européen des Femmes (CLEF), Elu/es Contre les Violences faites aux Femmes (ECVF), Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF), Collectif Féministe Contre le Viol (CFCV), Collectif Les Georgettes Sand, Femmes pour le Dire Femmes pour Agir, FIT une femme un toit, FEMEN, Les efFRONTé-e-s, le CNDF, Macholand, Réussir l’égalité femmes hommes, Elues Contre les Violences Faites aux Femmes, L’Assemblée des Femmes, ATTAC – commission genre, La ligue du droit international des femmes, BPW France, Association Mémoire Traumatique et Victimologie, Association 40 ans de mouvement, Les Chiennes de Garde, Association nationale des études féministes, Réseau Féministe « Ruptures », LibresMarianneS, Féminisme et géopolitique, Association Entraide et Mouvement des Femmes, Féminisme et Géopolitique, SOS Sexisme, Du côté des femmes, Elles aussi, Elles imaginent, L’escale, Femmes Migrantes Debout !, Forum Femmes Méditerranée, GAMS, Le Monde à travers un regard, Voix de Femmes, Rajfire, Résistances de femmes

Rubriques :
  • Combat féministe
  • Politique française
  • Protection sociale
  • Service Public

Appel : « Demain plus un bébé à la consigne, pour développer des modes d'accueil de qualité c'est maintenant qu'on signe ! »

par Collectif Pas de bébés à la consigne

 

Avec 33 praticiens, universitaires, chercheurs, formateurs, des militants de la cause des jeunes enfants lancent un appel à signatures

Extraits de l’appel :

Après avoir pris l’engagement de revenir sur les mesures du précédent gouvernement, les plus préjudiciables au bon accueil des tout-petits (comme le surbooking des bébés et la moindre qualification globale des équipes), en abrogeant notamment le décret « Morano », l’équipe gouvernementale d’après 2012 n’a pas donné suite. (…)
Nous ne nous résignons pas à une telle situation. Créer massivement de nouvelles places dans des modes d’accueil de qualité, ce n’est pas répondre aux sirènes économistes de « l’investissement social », c’est faire œuvre de considération pour l’humanité, la dignité et les droits des tout-petits et de leurs parents, c’est faire société autour des principes de justice sociale et de solidarité dès la prime enfance.

Nous nous adressons au président de la République et au gouvernement qui ont érigé la jeunesse, et donc ses prémisses, en priorité de leur mandat, et nous leur demandons la mise en œuvre d’un plan d’urgence pour l’accueil de la petite enfance (…) et d’une politique (…) digne d’une société qui considère ses bébés, citoyens du futur, et leur offre la bienvenue dans des berceaux hautement accueillants pour s’engager dans l’existence.

Cliquez ici pour lire le texte intégral de l’appel

Cliquez ici pour le signer en ligne

Merci de diffuser largement cet appel dans votre entourage, aux parents, aux professionnels, aux citoyens et aux élus.
Pour le collectif « Pas de bébés à la consigne »,
Birgit Hilpert, Dominique Ratia-Armengol, Françoise Favel, Pierre Suesser



Si vous ne souhaitez plus recevoir cette lettre, désinscrivez-vous en cliquant ici.

ReSPUBLICA, le journal de la gauche républicaine est édité par l'association :
"Les Amis de ReSPUBLICA"
27, rue de la Réunion
75020 PARIS
Courriel : respublica@gaucherepublicaine.org
Site: gaucherepublicaine.org