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Chronique d'Evariste
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La crise globale portugaise continue de plus belle

par Évariste

 

Les Portugais ont été appelés aux urnes pour l’élection législative du 4 octobre 2015. Une nouvelle carte politique a été configurée par leur vote. Comme en Grèce le 20 septembre dernier, comme aux élections françaises de 2014 et 2015, l’abstention grandit dans les couches populaires devant l’avancée inexorable des politiques d’austérité.
Pour cette élection du 4 octobre 2015, plus de 1 % d’abstentionnistes en plus pour arriver à 43,07 % d’abstentions. Auxquelles il faut ajouter 2,09 % de bulletins blancs et 1,61 % de bulletins nuls. A noter que la votation législative portugaise s’effectue à la proportionnelle intégrale dans 22 circonscriptions législatives sur listes bloquées.

Pendant la journée du scrutin, l’ensemble des médias néolibéraux européens n’a cessé de dire que la droite avait gagné, avec l’aide des manipulations des sociétés de sondage – dont certaines disaient savoir que la droite allait garder la majorité absolue. Comme d’habitude. Puis, dès la fin du scrutin, ces sociétés de sondage se rapprochaient petit à petit du résultat final.

La droite subit un recul important de près de 12 % avec 38,44 % des voix et perd donc la majorité absolue  (104 députés). Avec 32,38 %, le PS augmente son pourcentage de près de 4,3 % grâce à une campagne légèrement anti-austéritaire. Il remporte 85 députés. C’est un échec, vu que son objectif était de parvenir à une majorité solitaire. Il ne retrouve pas les voix qu’il avait obtenues aux élections municipales de 2013. Il est vrai que le fait que l’ex-premier ministre socialiste Socrates soit en prison depuis 2014 pour blanchiment d’argent a joué contre ce parti.

L’Autre gauche partait divisé en deux coalitions : l’une avec le PC et Les Verts et l’autre avec le Bloc de gauche. Leur total de voix est légèrement supérieur d’environ 1,6 points à celui de 2011 mais, le Bloc de gauche surpasse cette fois-ci nettement l’alliance du PC et des Verts. Ils passent respectivement de 5,17 % et 11,71 %  en 2011 à 10,22 % (Bloc de gauche : 19 députés) et 8,27 % (PC+Verts : 17 députés) en 2015.

Les 15 partis marginaux ont un total en augmentation mais avec les seuils des circonscriptions, seul le Parti du peuple, de la nature et des animaux aura un député. L’élection présidentielle aura lieu quant à elle en janvier 2016. Force est de constater que ce résultat électoral ne fera qu’approfondir la crise globale européenne et portugaise. Nous y reviendrons en fin de chronique.

Résumé de la situation économique et sociale portugaise

La purge austéritaire est très dure depuis 4 ans. Le SMIC portugais est aux environs de 505 euros, inférieur à  son niveau de 1974 à la suite de la Révolution des œillets. L’endettement des ménages modestes est en forte croissance, les salaires sont en baisse, les loyers augmentent fortement, le coût d’un licenciement a été réduit de moitié. Seule l’activité touristique a progressé tant par le nombre des visiteurs que par les constructions qui en découlent. Cette cure d’austérité et cette politique économique ont permis un retour de la croissance uniquement au profit de l’oligarchie capitaliste portugaise.

L’abaissement du taux de chômage de 17,5 % à 12,4 % en deux ans, n’est que la conséquence directe d’un accroissement phénoménal du taux de précarité au détriment des CDI, d’un accroissement des contrats aidés pour faire sortir les travailleurs des chiffres du chômage, d’une radiation massive des chômeurs aidée par une démotivation des chômeurs eux-mêmes et d’une baisse absolue de la population active de 250 000 personnes en 4 ans : 400 000 Portugais ont émigré dans ce laps de temps

Premières et provisoires analyses

La droite, en tête mais très loin de la majorité, ne pourra donc gouverner qu’avec l’appui des socialistes ce que leur leader avait pourtant repoussé pendant la campagne.

Le total PS + Coordination nationale unitaire (PC+Verts) + Bloc de gauche est majoritaire mais est impensable dans l’état actuel des forces politiques portugaises, le PS étant toujours favorable aux traités européens bien que, pendant la campagne, il ait engagé une certaine critique de l’austérité .

A noter que le Bloc de gauche a presque doublé son score de 2011, retrouvant celui obtenu en 2009 avant son écroulement en 2011. Le Bloc de gauche est une organisation politique de type Syriza prônant un européisme de gauche anti-austérité. Quant au parti communiste, il s’était battu contre le référendum de légalisation de l’IVG.

Le Portugal est actuellement un pays sans stratégie majoritaire à gauche. Le prochain rendez-vous européen reste les législatives espagnoles.

Bien que la gauche de la gauche portugaise ait progressé de près 1,6 % pour atteindre plus de 18 % des voix, elle est handicapée par sa division, par son manque de projet stratégique majoritaire et par un lien encore trop faible avec les couches populaires et le peuple portugais. Elle laisse donc encore un espace trop important au PS, fort loin encore d’une « pasokisation ».1

 

  1. Le Pasok est l’ancien parti socialiste grec qui fut au pouvoir en Grèce dans le cadre du renforcement des politiques austéritaires. En répondant aux besoins immédiats des couches populaires (dispensaires gratuits, restaurants populaires, organisation de la survie, etc.) et en pratiquant des formes d’éducation populaire sur les causes de ces politiques, le travail populaire de Syriza et de ses alliés  a créé du lien avec une large fraction du peuple grec, aboutissant à sa victoire en janvier 2015 et au référendum du 5 juillet. Syriza a alors limité de plus en plus l’espace du Pasok. Mais, acquis sur la possibilité de mener des politiques progressistes au sein de l’Union européenne et de la zone euro, ces succès laissent place à une nouvelle période : voir la dernière chronique d’Evariste. []
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Retraites complémentaires 1 : Le Medef veut se désengager de la couverture sociale des salariés

par François Charpentier

 

Dans la préface du livre Le moteur du changement : la démocratie sociale , paru début septembre 2015, François Hollande évoque sans s’y attarder « les négociations sur les régimes conventionnels Arrco-Agirc et Unedic qui doivent connaître de nouveaux développements dans les prochains mois ».
Le propos est optimiste et hasardeux. De fait, alors que les partenaires sociaux au terme de six séances de négociations avaient, le 24 juin, renvoyé leurs discussions au 16 octobre, il ne semble pas que les mois d’été aient été mis à profit par les uns et les autres pour avancer sur ce sujet des retraites complémentaires. En tout cas, alors que des rencontres bilatérales syndicats Medef vont reprendre dans les quinze derniers jours de septembre, les syndicats sont unanimes aujourd’hui pour observer que le patronat n’a pas bougé d’un iota. Pire, observe Jean-Louis Malys « il a plutôt reculé ».
Plusieurs raisons se conjuguent pour expliquer cet immobilisme patronal. D’abord, le Medef ne dispose plus des compétences nécessaires sur cette matière traitée par l’UIMM depuis la création de l’Agirc en mars 1947. Certes, son chef de file Claude Tendil connaît le sujet. Mais, outre que son passé d’assureur le dessert et le rend suspect aux yeux des syndicats, il est sous la pression de Pierre Gattaz dont le mentor, Denis Kessler, ancien président de la FFSA, a de vieux comptes à régler avec une retraite des cadres qui ampute les marges de progression des assureurs en épargne retraite et assurance vie.
Troisième facteur à prendre en considération, alors que l’on pensait que l’échec de la négociation sur le dialogue social était un accident de parcours et que le Medef aurait à cœur de rectifier le tir à l’occasion d’une autre négociation interprofessionnelle, il apparaît que ce n’est pas le cas et qu’une partie du patronat s’est faite aujourd’hui à l’idée que les entreprises n’ont plus vocation à intervenir dans la couverture sociale de leurs salariés.

Pas de compromis social au sujet des retraites…

Avant même que les négociations reprennent sur les retraites complémentaires, Pierre Gattaz a d’ailleurs été très explicite dans une interview accordée au quotidien économique Les Échos la semaine dernière : en substance le président du Medef qui écarte toute idée de relever les cotisation ou de baisser les prestations ne voit d’autre solution que d’allonger la durée d’activité. Tout se passe donc en somme comme si Pierre Gattaz avait en vue de revenir à la retraite à 65 ans, alors que son père Yvon Gattaz s’était vu imposer la retraite à 60 ans François Mitterrand… Et d’ajouter qu’en tout état de cause, il n’y aura pas pour le Medef de signature pour la signature. En d’autres termes, il ne saurait y avoir un compromis social sur un tel sujet.

Un échec probable

Le patronat ne voulant rien lâcher aux syndicats en demandant plus aux salariés et rien aux entreprises au motif qu’il faut préserver leur compétitivité, il paraît donc vraisemblable aux acteurs syndicaux qu’on se dirige vers un échec le 16 octobre. Pour l’éviter et tenter de sortir le patronat de son immobilisme, tout en lui faisant porter la responsabilité d’un éventuel échec, la CFDT se dit prête à mettre un projet de retour à l’équilibre des régimes de retraite sur la table. le secrétaire général, Laurent Berger l’a confirmé au Monde le 2 septembre dernier dans son interview de rentrée.

Vers une étatisation ?

Mais au-delà ? Personne n’imagine en effet que les pouvoirs publics puissent laisser filer la situation au régime des cadres. Certes il y a encore plusieurs dizaines de milliards d’euros de réserves dans les caisses Agirc-Arrco. mais les experts savent très bien que la stagnation de l’activité économique et les déséquilibres démographiques ne permettent de tenir que deux ou trois ans.
Partant de là, la Cour des comptes, comme la commission sociale du Sénat dans un rapport sur la réforme des retraites publié le 15 juillet dernier, non seulement plaident elles aussi pour un allongement de la durée de cotisation, mais encore souhaitent que les pouvoirs publics s’emparent du dossier. Avec un argument qui vaut qu’on s’y attarde : à partir du moment où les régimes doivent respecter les critères de Maastricht et où leurs déficits entrent en ligne de compte dans les limites fixées, il est normal que la représentation nationale s’en saisisse.

Le risque de faire payer les Français

Étatiser l’Agirc et l’Arrco ? Le mode de gestion paritaire de ces systèmes n’y trouvera évidemment pas son compte. En revanche, à partir du moment où en 2000 ces régimes ont fait le choix d’entrer dans la logique du règlement européen de coordination au motif qu’ils sont obligatoires, rien ne s’oppose juridiquement à ce qu’on les traite au niveau européen au même titre que d’autres régimes publics et que l’État s’en mêle. Avec le risque – on le voit en matière de santé avec la généralisation de la complémentaire – qu’en réalité les Français doivent accepter progressivement de se prendre en charge pour une part croissante de leurs dépenses de protection sociale. En matière de retraite, il n’est pas sûr qu’ils y soient préparés…

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Retraites complémentaires 2 : Comment la CFDT veut les sauver

par ReSPUBLICA

 

Dans le cadre de la négociation sur l’avenir des régimes de retraite complémentaire Arrco (ensemble des salariés) et Agirc (cadres) qui reprendront le 16 octobre, la CFDT a voulu proposer une alternative aux propositions patronales, faisant porter l’effort conjointement sur les retraités, les salariés et les entreprises1. La ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine, a salué ces propositions « constructives ». Voyons-y de plus près.

On ne s’étonnera pas que la CFDT s’arc-boute sur l’âge de départ à la retraite et, bien sûr, la défense de la Sécurité sociale paritaire. Mais, sous couvert de sauver les retraites complémentaires, la CFDT propose ni plus ni moins de les réduire, c’est-à-dire de casser du salaire socialisé. Avec ce syndicat « de gouvernement », pendant syndical allié de la gauche « de gouvernement » dans la gestion capitaliste de la crise, la résistance des salariés n’est pas à l’ordre du jour .

– 1/ Dans un premier temps, jusqu’en 2019, pour contrer la proposition patronale d’abattements dégressifs et temporaires sur les pensions visant à pousser les actifs à travailler jusqu’à 65 ans, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, suggère de limiter la revalorisation des pensions à un montant inférieur à l’inflation (moins 1 % de celle-ci). Mais pourquoi pénaliser tous les retraités alors que la décote correspond bien à l’hypothèse des salariés partant avant l’âge légal de la retraite ? Dans le même temps, il est proposé de mutualiser les réserves des deux régimes Arrco et Agirc dès 2017 et d’ouvrir des négociations de branches pour redéfinir le statut de cadre.

– 2/ Car dans un 2e temps, la CFDT reprend sa proposition de régime unifié, avec une seule valeur de point pour l’ensemble des salariés. Le statut de cadre devrait être lié aux responsabilités et compétences plutôt qu’au rattachement à un régime de retraite. Mais qui va évaluer ces responsabilités et compétences ? Comment ? Il n’est pas sûr que cette individualisation des retraites complémentaires renforce les salariés.
Par ailleurs il est proposé une hausse des cotisations des entreprises de 0,1% de 2019 à 2021, ainsi que la création d’une contribution patronale en cas de licenciement ou de rupture conventionnelle concernant un salarié de plus de 50 ans. Alors qu’on sait bien qu’on n’a pas les moyens de l’imposer aux entreprises, ça s’appelle comment ?

– 3/ Last but not least, le syndicat propose d’instaurer de 2019 à 2024 (à partir de cette date, promesse de CFDT, tout ira bien, on pourra indexer les pensions sur la croissance…) une contribution de solidarité intergénérationnelle (CSIG) de 4 % pour tous les retraités pendant une durée égale à l’écart entre l’âge effectif moyen de départ à la retraite et l’âge d’équilibre du régime, soit une durée moyenne de deux ans. (Les retraités les plus modestes seraient exonérés de cette contribution ainsi que ceux ayant cotisé plus que la durée légale.) Faire contribuer les retraités, n’est-ce pas redistribuer la baisse des pensions ?
Alors « l’étatisation » des régimes complémentaires de retraite est-elle à craindre par-dessus tout ? D’une part, ne peut-on supposer que certains ne la combattent que pour sauver leurs places de permanents syndicaux ? D’autre part, comporte-t-elle nécessairement un recul sévère pour les assurés sociaux ?
On se souviendra aussi que à partir du moment où en 2000 ces régimes ont fait le choix d’entrer dans la logique du règlement européen de coordination au motif qu’ils sont obligatoires, rien ne s’oppose juridiquement à ce qu’on les traite au niveau européen au même titre que d’autres régimes publics et que l’État s’en mêle, ce que la Cour des comptes n’a pas manqué de faire remarquer2 Avec le risque de plus en plus patent que les Français doivent accepter progressivement – pour les retraites comme en matière de santé – de se prendre en charge pour une part croissante de leurs dépenses de protection sociale !
Poser la question de l’étatisation, que ce soit pour en faire un épouvantail face à la cotisation, ou pour y voir l’acmé de la démocratie, n’a de sens que si on se demande : quel Etat dans quelle période historique ? Pour nous, il est clair que l’État aujourd’hui en Europe, pris dans les déterminations externes et internes des forces néolibérales, ne saurait légitimement incarner la cause des travailleurs. Reste à voir en quelles circonstances il constitue encore une protection. Ce n’est pas une pure question de théorie politique mais une question de stratégie militante à laquelle nous souhaitons réfléchir avec vous.

  1. https://www.cfdt.fr/upload/docs/application/pdf/2015-09/argumentaire_cfdt_retraites_complementaires_2015-09-23_11-18-27_807.pdf []
  2. voir Fil social 20 septembre http://www.fil-social.com/rubrique39.html « 70 ans de la Sécurité sociale : un anniversaire sous haute tension » par François Charpentier. []
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Comment les vieilles molécules font la culbute

Pratiques de l'industrie pharmaceutique

par ReSPUBLICA

 

Dans un article intitulé « Le prix d’un médicament contre la toxoplasmose bondit de 5 400 % en un jour »1, on apprend que l’inflation du prix des génériques aux Etats-Unis atteint des sommets et que le Congrès américain a ouvert une enquête à ce sujet, menée par les démocrates Sanders et Cummings.
On comprend l’inquiétude du législateur à partir du cas du Daraprim (pyrimethamine), traitement de référence pour la toxoplasmose. De 2010 à 2015, son prix a été multiplié par 750. Or cette molécule (sur le marché depuis 1953) a été rachetée en août 2015 par Turing Pharmaceuticals qui a immédiatement fait passer le prix du comprimé de $13,50 à $750 !
Martin Shkreli, fondateur et directeur général de Turing (un ancien gestionnaire de fonds d’investissement de 32 ans déjà mis en cause par la société Retrophin pour des pratiques du même ordre), justifie cette hausse par le petit nombre de patients utilisant le Daraprim et par la nécessité de financer la recherche sur de meilleurs traitements.
D’autres exemples ?

  • La Cycloserine, molécule lancée en1955 et utilisée pour le traitement de la tuberculose, a vu son prix passer de $500 à $10 800 les 30 comprimé après son rachat par Rodelis Therapeutics. Ce laboratoire qui achète des molécules « clé en main » a quand même accepté de restituer la cycloserine à son ancien propriétaire, une organisation à but non lucratif, qui la vendra finalement 1 050 dollars.
  • Valeant Pharmaceuticals après avoir racheté à Marathon Pharmaceuticals deux médicaments utilisés en cardiologie, Isuprel et Nitropress, s’est empressé d’augmenter leurs prix respectifs de 525 % et 212 $. (En 2013, Marathon avait déjà multiplié les prix antérieurs par 5 en rachetant ces molécules.)
  • La Doxycycline, antibiotique très prescrit, a vu son prix s’envoler depuis qu’il a été acheté par West Ward. La boîte de 500 comprimés est désormais vendue 1 849 dollars au lieu de 20 dollars il y a deux ans.

Au-delà des génériques, de nouvelles molécules comme le Praluent et le Repatha sont visées, vendues à des prix jugés sans rapport avec leur bénéfice thérapeutique. Preuve supplémentaire du caractère artificiel de ces prix,  un tweet de la candidate démocrate à la Maison Blanche, Hillary Clinton, annonçant des propositions pour stopper l’escalade des prix des médicaments, a provoqué à Wall Street le 21 septembre une chute brutale des cours des entreprises de biotechnologies (biotechs) .

Voilà de parfaits exemples de la logique de fixation des prix d’une marchandise capitaliste, qui n’est pas du tout celle qu’on nous serine partout dans les manuels d’économie, selon lesquels le prix est déterminé par l’offre et la demande en référence au coût de production.
Le prix de la marchandise capitaliste dépend du profit qu’elle permet de réaliser, et quand son coût de production est infime, et c’est le cas pour les vieilles molécules (pas de recherche à faire), il n’y a pas de norme de coût pour le taux de profit, juste le jeu sur la demande en fonction de sa réactivité au prix.
Or, en matière de santé, on peut comprendre qu’elle est particulièrement faible et qu’on peut augmenter le prix quasiment ad libitum, jusqu’au moment où les assureurs n’y trouvent plus leur compte et où les pouvoirs publics s’en mêlent. Le fait qu’un simple tweet d’Hillary Clinton ait fait chuter le cours des « biotechs » renvoie au même mécanisme que pour Volkswagen dont le cours a chuté de plus de 25 % sans que la richesse réelle que constitue la firme ait diminué d’un centime : dans le monde du marché capitaliste pur, tout n’est que fiction, et la réalité de la production matérielle est dissimulée derrière un rideau de fumée.
Si elle n’embraye pas sur la critique du capitalisme, la pure dénonciation de la cupidité de laboratoires sans scrupules ne mènera pas plus loin que celle des banquiers ou des paradis fiscaux (c’est tout un : les labos achètent avec l’argent des fonds, de retraite ou autres, qui spéculent sur la possible hausse des prix).

  1. http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/09/22/le-prix-d-un-medicament-contre-la-toxoplasmose-a-bondi-de-5-400-en-un-jour_4767396_3234.html, reprise de http://www.nytimes.com/2015/09/21/business/a-huge-overnight-increase-in-a-drugs-price-raises-protests.html?_r=1. []
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La généralisation de la complémentaire santé aux retraités

par ReSPUBLICA

 

Journaliste social et auteur par ailleurs d’un texte repris dans ce numéro, François Charpentier note dans le Fil social du 20 septembre : « La généralisation de la complémentaire santé, annoncée par le chef de l’État le 20 octobre 2012 et analysée par la CGT et FO comme un désengagement de l’assurance de base au profit d’une médecine plus chère tarde à se mettre en place. Personne ne sait à la date d’aujourd’hui si toutes les entreprises ont pris des dispositions pour être en règle avec la loi au 1er janvier 2016. Par ailleurs, s’observent des cas de démutualisation chez les retraités qui jugent les tarifs proposés par les mutuelles trop élevés au regard de leurs dépenses réelles et qui font le pari qu’en cas de pépin ils relèveront d’une maladie longue et coûteuse remboursée à 100 %. »
Dans le cadre du PLFSS 2016 prévoyant l’appel d’offres pour l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS), la ministre de la Santé Marisol Touraine vient d’annoncer la mise en œuvre d’un appel d’offres pour référencer des contrats destinés aux personnes de plus de 65 ans. Or -apprenons-nous aux termes d’un communiqué de l’UNAM-Alternative Mutualiste – ces contrats « seront sélectionnés par mise en concurrence sur la base notamment de leur rapport qualité / prix ». En échange, les organismes référencés bénéficieront d’une aide fiscale.

« Sous couvert de la généralisation de la complémentaire santé, indique l’UNAM, une fois de plus, nous assistons à une multiplication des dispositifs qui contreviennent à l’encontre du principe d’universalité.Le texte évoque une « meilleure adéquation entre les besoins des assurés et les prestations complémentaires dont ils bénéficient ». Une rédaction qui laisse donc préfigurer la définition d’un nouveau panier de soins, qui viendra s’ajouter à ceux déjà créés pour l’ACS, les contrats responsables ou les contrats collectifs avec l’ANI.

La mise en place de ce dispositif catégoriel va non seulement venir complexifier et segmenter l’offre des contrats santé mais surtout une fois de plus faire entrave à la mutualisation des risques.

Nous nous éloignons surtout de plus en plus, de la mise en place d’un réel droit à la santé pour tous, juste, solidaire et équitable.

Cessons d’accumuler les dispositifs mille feuilles ! La Sécurité Sociale doit reprendre la main sur les remboursements et redevenir l’acteur central de notre protection sociale solidaire et de haut niveau pour tous. Cela suppose que les soins courants soient correctement remboursés, que le secteur 1 soit revalorisé et les dépassements d’honoraires supprimés.

La crise sans précédent de notre système social et l’aggravation de la pauvreté dans notre pays rendent indispensable et incontournable une réelle et profonde réforme du financement de notre protection sociale. »

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L’Isère, terrain d’expérimentation d’une nouvelle pratique politique d’éducation populaire ?

par Bernard Teper

 

ReSPUBLICA a déjà relaté la vraie raison de la victoire municipale de mars 2014 d’une liste de gauche de Grenoble (Isère) : si celle-ci a battu au premier tour la liste PS-PC et au deuxième tour la liste de droite, ce n’est pas l’alliance EELV-PG qui est la cause de la victoire mais bien le travail de terrain et d’éducation populaire de l’Ades et des Réseaux citoyens pendant plus de 30 ans. EELV et le PG ont décidé de répondre oui à la proposition de rassemblement de l’Ades et des Réseaux citoyens et le PC a refusé cette proposition, mais ces décisions n’ont été prises que juste avant la consultation.

Le 3 octobre dernier, le Collectif départemental de défense des services publics de l’Isère organisait une initiative de co-construction d’un projet-type de maison des services publics pour combattre la désertification des services publics en zone rurale. Bien sûr, cette initiative est une conséquence de la politique de décentralisation aboutissant à la loi Mapam, au redécoupage des régions et à la loi Notre. Dans cette dernière, apparaît le projet de Maisons de services au public (MSAP)- à ne pas confondre avec des Maisons des services publics (MSP) -, suscitant de l’espoir et des craintes. Ces MSAP, créés à l’initiative du seul Préfet, sont des structures dont les financements ne sont assurés que pour 3 ans, portés à 25 % par les opérateurs présents dans la MSAP, à 25 % par l’Etat et à 25 ou 50 % par la collectivité locale ou la Poste, selon le porteur du projet.
Il existe actuellement 363 MSAP et 63 Points Information Médiation Multi-services (Pimms). L’Etat envisage la création de 500 MSAP supplémentaires sur toute la France dans les Zones urbaines sensibles (ZUS) et les zones rurales. Autant dire que c’est notoirement insuffisant et que le maillage territorial n’est pas prévu.

Fort de ce contexte et de la réussite d’une mobilisation populaire très forte contre la fermeture des bureaux de poste en Isère, le collectif départemental a convoqué une initiative à Renage (38), commune dont la mairesse envisage la création d’une Msap. Plus d’une soixantaine de personnes s’y sont retrouvées : des membres du collectif départemental et des responsables des groupes citoyens qui le forment, une douzaine de maires, d’autres élus, et des représentants des organisations du mouvement syndical revendicatif départemental, des observateurs de Meurthe-et-Moselle et de l’Ardèche qui ont eu vent de cette méthodologie innovante et un représentant de la Convergence nationale Services Publics… et même un délégué régional de la Poste, ce qui montre l’attractivité de cette initiative. Mais au lieu de la forme meeting avec le tunnel des discours inefficaces des « leaders » des organisations sur les mérites respectifs des MSAP ou des MSP et de leurs interactions avec les politiques nationales et internationales, une forme d’éducation populaire ascendante a été proposée par un groupe d’une dizaine de membres du Collectif départemental. Tout d’abord, au lieu du tunnel de présentations des discours inopérants en réaction au projet gouvernemental, il a été choisi de monter un processus de définition des besoins des citoyens et de leurs familles en termes de services publics, puis de le traduire en projet ascendant en répondant à de nombreuses questions en groupes restreints, avec restitution en fin de séance et redéfinition de l’ordre du jour de la prochaine rencontre. Les questions portaient sur la nature des services à mettre dans ces lieux, sur leur statut, sur le type de gestion, sur les questions éthiques, etc. On aurait tout loisir à la fin du processus de mesurer le fossé éventuel entre la proposition gouvernementale et le projet ainsi constitué et chacun serait alors libre de prendre position. Le soutien populaire obtenu lors des actions de ce collectif départemental contre les fermetures des bureaux de poste ruraux montre l’adhésion de la population à ce type de processus que nous qualifions d’éducation populaire.

Une anecdote intéressante. Un des animateurs de ce collectif départemental a posé la question au représentant de la Convergence nationale Services publics de ce qu’il entendait par éducation populaire et s’est vu répondre en substance : « c’est très exactement ce que vous faites dans votre collectif ». Tel Monsieur Jourdain en somme ! La formation descendante indispensable dans sa forme traditionnelle n’étant organisée que sur demande de la base mobilisée et non par les dirigeants des organisations constitutives. N’est-ce pas une réponse parmi d’autres au fatalisme de nombreux militants qui se désespèrent de voir que le peuple ne se mobilise pas autour de leurs appels inopérants, autour de leurs lignes politiques peu mobilisatrices ? Pour les en convaincre, nous publierons ultérieurement dans ReSPUBLICA une interview de Claude Rouge, co-animateur de ce collectif départemental, ainsi que les documents de cette initiative.

Notons avec satisfaction que des actions visant à la refondation de l’éducation populaire politique se déploient, comme à Troyes le 22 septembre dernier ou à Limoges le 13 octobre prochain ou encore à Annecy le 21 octobre prochain, tandis que les réunions de travail préalables commencent à germer dans le Jura, la Seine-Saint-Denis, l’Essonne ou le Val-de-Marne. Le comité de rédaction du journal ReSPUBLICA et nos amis du Réseau Education Populaire sont à votre disposition pour travailler dans cet esprit.

Hasta la victoria siempre (jusqu’à la victoire finale) !

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En quoi la dialectique est-elle toujours d'actualité ?

par Hendrik Davi

 

Texte complet de l’article publié dans La Revue du Projet (revue politique mensuelle du PCF), n°49 septembre 2015. Avec son autorisation et un commentaire de la Rédaction de ReSPUBLICA.

Des origines de la dialectique à l’infâme dialectique

La dialectique naît en Grèce avec Héraclite (544-480 av. JC). On trouve dans les fragments qui nous sont parvenus de son ouvrage De la Nature, l’ensemble des éléments qui constitueront la pensée dialectique par la suite. La dialectique ne se définit pas aisément, mais c’est une démarche qui peut se caractériser en cinq points:

  1. La pensée dialectique s’oppose à l’essentialisme qui tend à fixer une fois pour toutes les choses. Héraclite a décrit cela par une métaphore célèbre: « Tout s’écoule. Tu ne peux pas descendre deux fois dans le même fleuve; car de nouvelles eaux coulent toujours sur toi ». Chaque situation est donc différente du fait de l’écoulement du temps. La dialectique s’attache à étudier les processus et les rapports entre les choses plus que les choses en elle même.
  2. Par conséquent, ce qui importe, c’est le devenir des choses. La dialectique est avant tout une philosophie du devenir.
  3. Comprendre l’état présent et en déduire les évolutions possibles pour le futur nécessite d’avoir une approche globale où l’on redéfinit en permanence l’ensemble du système (la totalité) que l’on souhaite étudier en fonction des questions que l’on se pose. La dialectique s’oppose à une recherche réductionniste qui découpe les problèmes et refuse de les connecter entre eux.
  4. Enfin depuis Héraclite, la dialectique met en avant l’importance de l’opposition des contraires. Platon a largement utilisé ces transformations « du même » dans « son contraire » dans ses dialogues. Ce mécanisme est aussi au centre de la dialectique du Maître et de l’esclave chez Hegel ou de la possibilité du communisme à partir des contradictions du capitalisme chez Marx.
  5. Le dernier élément caractérisant la dialectique, concerne le passage du quantitatif au qualitatif. Une accumulation continue de phénomènes peut produire à un moment donné un changement qualitatif d’envergure. On ne comprend pas l’histoire sans tenir compte de ces sauts, qui font qu’il existe des différences de nature entre le capitalisme et le féodalisme ou entre le capitalisme et le communisme. Cette vision non graduelle de l’histoire est fondamentale pour la pensée révolutionnaire.

Après Platon, la dialectique a été au centre de la pensée philosophique de Kant à Hegel. Marx en est imprégné et Le Capital suit donc une démarche dialectique assez subtile, sans qu’il n’en soit jamais vraiment explicitement question. Engels est plus explicite en ce qui concerne la dialectique dans ses écrits, mais aussi plus dogmatique. La dialectique va demeurer un sujet central pour le marxisme jusqu’à nos jours avec notamment, Lénine, Lukacs, Adorno, Althusser ou Sève.

De passage obligé de toute réflexion philosophico-politique, la dialectique est devenue, « l’infâme dialectique » pour reprendre l’expression d’Isabelle Garo. La dialectique a perdu de son attrait au sein de la philosophie et surtout elle a été attaquée très largement dans les différents champs, politiques, scientifiques et philosophiques. J’ordonnerais ces critiques en trois types.

Le premier type est une critique justifiée de ce qu’est devenue la dialectique au sein du socialisme réel. La dialectique s’est progressivement fossilisée à mesure que la pensée marxiste se transformait elle-même en dogme. La critique de cette fossilisation a été admirablement menée par Sartre dans son ouvrage intitulé Critique de la raison dialectique. Si la dialectique va plus loin qu’une pensée empiriste basée sur les seuls « faits », elle devient a contrario obsolète, si elle ignore les faits. La dialectique comme le marxisme se transforme alors en une espèce de religion inopérante à comprendre et à changer le réel. C’était déjà une des critiques que Marx avait faite à Hegel et c’était ce en quoi le matérialisme dialectique différait de la dialectique idéaliste de Hegel.

Le second type de critiques va plus loin, il remet en cause l’idée selon laquelle le monde naturel suivrait un mouvement dialectique . Nietzsche apparaît comme étant celui qui a le plus critiqué les fondements de la dialectique. C’est l’avis de Deleuze et plus récemment de Gérard Lebrun. Parmi leurs critiques, je retiendrais les suivantes : (i) une philosophie du devenir tend à amoindrir le présent et est en fait une variation sur le thème du jugement dernier ; (ii) les contraires ne le sont que d’un point de vue superficiel ; (iii) faire jaillir le positif de la négation, c’est contraindre la novation à ne provenir que de l’ancien. Ces critiques ont d’autant plus porté que la dialectique était fossilisée et que le socialisme réel n’a guère brillé concernant la démocratie et le respect de la liberté individuelle.

Une autre critique fondamentale concerne la relation entre la science moderne, le matérialisme et la dialectique. La science moderne a démontré son efficacité pour comprendre et transformer le réel. Or le mode de pensée scientifique diffère sur de nombreux points de la méthode dialectique (tiers exclu, réductionnisme). Ceci questionne donc l’efficacité de la dialectique pour penser l’émancipation humaine. Pourquoi la démarche scientifique moderne ne pourrait-elle pas être la méthode pour penser l’histoire des sociétés et l’émancipation, jetant ainsi la dialectique aux oubliettes de l’histoire ? Pourtant nous le verrons par la suite, nombre de scientifiques remettent aujourd’hui la dialectique au cœur de leur réflexion. La démarche scientifique et la dialectique ne s’opposent donc peut-être pas.

Pour un retour de la dialectique

Si certaines de ces critiques doivent être entendues, il me semble que renoncer à la dialectique, c’est désarmer la pensée critique d’une de ses boussoles les plus utiles. Les penseurs critiques contrairement aux « chiens de garde » du système capitaliste doivent: penser le devenir, regarder toujours l’ensemble du système et savoir poser les bonnes questions, ausculter les contradictions économiques et sociales qui permettent d’anticiper les évolutions futures, comprendre comment l’accumulation quantitative de phénomènes (journées de grèves, actes racistes) peut préfigurer des changements politiques qualitatifs (situation révolutionnaire, menace fasciste). Bref, ils doivent se comporter en « bons dialecticiens ». Pour cette raison, on ne peut que se féliciter du regain actuel porté sur la dialectique. Il est impossible de résumer l’ensemble des débats actuels concernant la dialectique. Je vais donc me contenter de prendre trois exemples dans trois domaines différents.

Le retour de la dialectique

Commençons par la philosophie de Platon, M. Dixsaut a écrit un ouvrage passionnant intitulé Les métamorphoses de la dialectique dans les dialogues de Platon. Elle y décrit quelles sont les formes prises par la dialectique dans les différents dialogues. Pour comprendre ce que Platon entend par dialectique, il faut analyser la pratique du discours qu’il met en œuvre. La dialectique commence par le dialogue, dialogue avec l’interlocuteur, mais aussi dialogue avec soi-même. Ce dialogue se donne un objectif bien précis, la recherche de ce qui est, l’ousia en grec. Or le type de dialogue, qui sied à cette recherche, exige une brièveté de chaque phase du discours et la multiplication des questions et des réponses. Elle requiert aussi une philia entre les interlocuteurs, c’est-à-dire une orientation semblable vers un but commun. Mais « la dispute » n’est vraiment évitée que si on ne s’en tient pas aux apparences, c’est pour cette raison qu’il ne faut pas « s’en tenir aux mots », mais diviser « selon les espèces ». Le dialecticien sait ainsi le vrai sens des mots, qu’il utilise à bon escient. La dialectique ne se résume donc pas à un art du dialogue, c’est aussi un art de la division.

Concernant les relations entre science et dialectique, je conseille la lecture de The Dialectical Biologist écrit en 1985 par deux grands biologistes Richard Levins et R. Lewontin. Ils y expliquent que les lois de la dialectique ne sont pas analogues aux lois de la physique. Ils se rapprochent plus de principes comme ceux qui sous-tendent la théorie de l’évolution. Ils en énoncent cinq: l’historicité des problèmes scientifiques, l’interconnexion universelle, l’hétérogénéité interne de tout chose, l’interpénétration des contraires et l’existence différents niveaux d’intégration.

Enfin, pour comprendre, la dialectique marxiste, je recommande vivement l’ouvrage de B. Ollman qui décrit comment la lecture du Capital est difficile si l’on ne prend pas conscience que différents niveaux d’abstraction sont utilisés selon les problématiques. Par exemple, un même concept comme celui de classe peut changer de sens en fonction de la question ou du contexte. B. Ollman explique qu’il peut être considéré sous différents angles (i) l’extension dans l’espace (rapport au travail) et dans le temps (histoire de la classe), (ii) le niveau de généralité auquel il opère (l’atelier, la branche, le système dans son ensemble, l’histoire de la praxis…), et (iii) le point de vue concerné (le syndicaliste, le parti de masse, le révolutionnaire…).

Quels chemins pour la dialectique ?

En guise de conclusion, je voudrais donner quelques réflexions pour que ce renouveau de la dialectique serve la transformation révolutionnaire de la société.

D’abord, un des problèmes auxquels nous faisons face est la séparation entre les champs politique et l’intellectuel. La connaissance étant devenue un enjeu capitalistique clé, l’organisation de la science a donc profondément été transformée par l’évolution du capitalisme. La pensée critique s’est institutionnalisée au sein des universités, ce qui a produit une séparation délétère entre le militant et l’universitaire. Les partis politiques et les syndicats doivent résorber cette division. Sinon le renouveau de la pensée critique ne se traduira pas dans un renouveau des programmes et des fonctionnements des forces politiques censés incarner le changement. Afin que la dialectique puisse être utile, il faut que cette façon de penser irrigue le mouvement ouvrier et qu’en retour le mouvement ouvrier l’alimente. L’exigence d’un dialogue entre la praxis et la théorie n’est pas nouvelle, mais il est à redéfinir dans un monde capitaliste où la connaissance devient une marchandise comme les autres. Dans ce dialogue, la forme compte. La pensée théorique se doit d’être rigoureuse et parfois complexe, mais la façon de l’exprimer peut exclure ou non une partie des militants. Pour que la dialectique redescende dans l’arène politique, il faut supprimer une partie du « verbiage » qui la réserve à une élite sans pour autant en perdre la complexité.

Références

Deleuze, G. (1962). Nietzsche et la philosophie. PUF. 232p.
Dixsaut, M. (2001). Métamorphoses de la dialectique dans les dialogues de Platon. Vrin. Bibliothèque d’histoire de la philosophie. 384p
Garo, I. L’infâme dialectique. Marx au XXIème siècle, l’esprit et la lettre.
Garo, I. (2005). La dialectique dans le capital : méthode ou scandale ?
Jameson F. (2009). Valences of the dialectic. Verso. 625p
Lebrun, G. (2004). L’envers de la dialectique. Seuil. 376p.
Lénine (1908). Matérialisme et Empiriocriticisme
Lénine (1915). Sur la question de la dialectique. Tome 38 des Œuvres complètes.
Levins, R. & Lewontin, R. (1985). The dialectical biologist. Harvard University Press. 302p.
Lukacs, G (1923). Histoire et conscience de classe 417p.
Lukacs, G (2001). Dialectique et spontanéïté. En défense de Histoire et conscience de classe 417p.
Ollman, B. (2005). La dialectique mise en œuvre. Syllepse. 139p.
Sartre, J.P (1960). Critique de la raison dialectique, tome 1. 755p
Sève, L. (1998). Sciences & Dialectiques de la nature. La dispute. 419p.
Sève, L. (2005). Emergence, complexité et dialectique. Odile Jacob. 288p.
Sève, L. (2007). Dialectiques aujourd’hui. Syllepse. 241p.
Vincenti, L. (2014). Dialectique et Histoire. Edition Kimé. 160p

Commentaire de la Rédaction

Cette note de H. Davi sur l’actualité de la pensée dialectique rappelle fort opportunément que l’on ne peut guère penser le monde en l’ignorant. Son argumentation présente cependant une faiblesse quant à son rapport à la science moderne. Depuis Engels et Darwin, explicitement ou pas, la pensée dialectique de la nature n’est pas circonscrite à la biologie, ni étrangère à la physique. Si la physique newtonnienne, développée sur la base de la mécanique classique, dite rationnelle, du XIXe, n’est certes pas dialectique, on peut soutenir que la physique moderne, post-Einstein, fondée sur la thermodynamique, l’est devenue.

La science moderne s’est de plus en plus globalement ouverte à la méthode systémique issue de la thermodynamique. Cette méthode, qui a produit les meilleures analyses dans les sciences humaines, notamment en économie avec Marx et Keynes, a progressivement gagné toutes les disciplines de la science dite “dure”, même les mathématiques (avec la théorie dite des catastrophes). Marx décrypta le mode de production capitaliste en lisant A. Smith et les classiques avec les lunettes de sa dialectique matérialiste, Keynes conçut les mécanismes globaux de l’économie capitaliste comme ceux d’un système thermodynamique, c’est ce qui fait la puissance et la modernité de leurs analyses, même si Keynes voulut réduire la question de la crise structurelle du capitalisme à sa dimension financière. Reprenant de la dialectique la démarche par niveaux d’abstraction successifs, la théorie des systèmes a rendu totalement contraire à la bonne méthode scientifique en général la maxime selon laquelle “ce qui est simple est faux, ce qui est complexe est inutilisable”, car désormais le simple est vrai s’il contient le complexe.

M. Zerbato

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« Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes », par Charb

par Zohra Ramdane

 

Ce livre1 a été terminé par Charb deux jours avant son assassinat le 7 janvier dernier au siège du journal Charlie Hebdo par des tueurs français de l’extrême droite islamiste liés à l’Etat islamique (EI).
Charb, dessinateur, journaliste et directeur de la publication de Charlie Hebdo à partir de 2009, signe avec cet ouvrage son premier essai et malheureusement le dernier. Le livre est intéressant aussi pour voir en quoi la ligne éditoriale promue par Charb depuis cette date est très différente de celle de son prédécesseur Philippe Val. Différence que les communautaristes de gauche feignent de ne pas voir, il a organisé un tournant anti-libéral par rapport à la ligne précédente.
La thèse de l’auteur est qu’il faut lutter contre tous les racismes y compris contre le racisme anti-musulman. Mais il estime qu’il faut critiquer l’utilisation du terme « islamophobie » qui est pour lui très dangereux : l’utilisation de ce terme « laisse entendre qu’il est plus grave de détester l’islam, c’est-à-dire un courant de pensée parfaitement critiquable, que les musulmans eux-mêmes. Or, si critiquer une religion n’est pas un délit, discriminer quelqu’un en raison de son appartenance religieuse l’est incontestablement. »
Il frappe fort en disant que l’utilisation « du mot  »islamophobie » contente à la fois les racistes, les islamistes radicaux, les politiques démagogiques et les journalistes fainéants ».

Le livre démarre sur une charge contre la parole raciste libérée par Sarkozy et son débat sur l’identité nationale. Il poursuit à propos des discriminations en notant par exemple que, pour obtenir une location d’appartement, elles touchent plus la visibilité d’arabe (qui peut-être chrétien, musulman ou athée !) que celle de musulman. Mais « l’anti-islamophobe criera à la discrimination religieuse au lieu de s’insurger contre le racisme ». Après un rappel du Code pénal, il fustige le fait que l’on ne parle pas assez des discriminations sociales. S’ensuit une critique des religions et donc aussi de l’islam. Avec l’idée que tous les courants de pensée sont critiquables.
Puis, vient une critique des journalistes et de la politique au service de « l’islamophobie », des élites qui infantilisent les musulmans au nom de la lutte contre « l’islamophobie ». Charb revient également sur l’affaire des caricatures de Mahomet. Partant d’une étude de l’Institut national d’études démographiques (Ined) et de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), il montre l’écart entre le nombre de personnes se déclarant de religion musulmane (2,1 millions pour 11,5 millions se disant de religion catholique et 125.000 de religion juive) et les chiffres des journalistes et des politiques qui amalgament tous les Français et étrangers d’origine arabe comme étant de religion musulmane. Il écrit alors que « la foi ne se transmet heureusement pas par les gènes, comme aimeraient nous le faire croire les communautaristes et… l’extrême droite ». Il fustige les politiques qui « jouent contre la république en flattant le croyant supposé plutôt que le citoyen. ». Il reproche à François Hollande de se rendre ès qualités à la Grande Mosquée (et dans les autres édifices religieux des autres confessions) pour faire du clientélisme religieux. Il critique François Hollande qui honore les musulmans en tant que héros de la Grande Guerre « alors qu’ils sont avant tout des victimes. Devant eux, il y avait les balles allemandes, derrière eux, les baïonnettes françaises. »
Ensuite, il revient sur « les héros de la lutte contre « la prétendue islamophobie de Charlie Hebdo ». Puis explique que pour les communautaristes « Charlie Hebdo est devenu plus dangereux qu’Al Qaïda ». Ensuite, l’auteur montre que les catholiques jaloux de ne pas avoir pensé les premiers d’un concept aussi porteur tentent de développer le concept de cathophobie ! Il critique le journaliste Alain Gresh quand il fait l’amalgame entre les intégristes religieux et l’ensemble des croyants de ladite religion. Il critique Plantu qui réclame « une trêve des blasphèmes ». Il critique toutes les lois contre le blasphème, y compris celles concernant l’outrage au drapeau français (décret du 21 juillet 2010) et à l’hymne national (loi du 18 mars 2003), pour conclure que l’athéophobie comme critique de l’athéisme est un droit pour tous !
Ce livre est un bon support, facile à lire pour toute opération d’éducation populaire.

  1. 13,90 euros, 93 pages, paru chez Les Echappés []
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« Pour en finir avec le trou de la Sécu, repenser la protection sociale au XXIe siècle », par O. Nobile

par Noam Ambrourousi

 

Cet ouvrage, rédigé par Oliver Nobile avec la collaboration de Bernard Teper1 devrait à n’en pas douter devenir un classique pour les militants et citoyens s’intéressant à la protection sociale et désireux non seulement de comprendre les « réformes » qui se succèdent depuis plusieurs années, mais aussi de connaître les mesures qui permettraient d’inverser la tendance actuelle.

L’une des qualités premières de ce livre, au-delà du fait que c’est un des rares ouvrages à traiter de l’ensemble du secteur de la protection sociale, est de s’adresser à un public très large, du néophyte jusqu’au spécialiste. En effet, l’effort de pédagogie qui est déployé dans l’ensemble des chapitres n’empêche pas les auteurs de rentrer dans des détails techniques, ce qui leur permet ensuite de présenter des propositions concrètes.

Traiter de l’ensemble du secteur de la protection sociale plutôt que d’un domaine en particulier permet rend d’autant plus efficace le « dévoilement » de la stratégie néolibérale à l’œuvre, celle-ci ayant pour unique but de transférer au secteur privé les 600 Mds € (montant des prestations de protection sociale versées en dehors de toute logique marchande) qui lui échappent aujourd’hui. En effet, dans une période où les perspectives de profit dans les secteurs habituellement investis par le capital, se font plus incertaines, il est insupportable pour ce dernier de ne pouvoir mettre la main sur cette manne. Comme le montrent les deux auteurs, les contre-réformes qui rythment l’agenda politique à un rythme de plus en plus fréquent, ont donc pour but d’organiser une privatisation rampante des secteurs les plus rentables de la protection sociale. L’objectif non avoué des fossoyeurs de notre dispositif de protection sociale est  ainsi de privatiser les profits en proposant des assurances privées aux populations solvables et de socialiser les pertes, en laissant le soin à la puissance publique de s’occuper des plus pauvres selon la fameuse logique du « filet de sécurité » chère aux pays anglo-saxons.

Mais cet ouvrage n’en reste pas au stade de l’analyse et de la dénonciation. Pour chaque secteur de la protection sociale, des propositions argumentées et opérationnelles, voire très techniques, sont exposées. Ces propositions qui tordent le cou au « syndrome TINA », dont semble être frappé la majeure partie si ce n’est la totalité du PS, ne devraient pas manquer d’inspirer les acteurs politiques qui n’ont pas renoncé à réaliser le projet de ceux qui ont créé la sécurité sociale. Si certaines de ces propositions, peuvent être connues des militants qui s’intéressent à ces questions, d’autres le sont moins, à l’image de celle consistant à financer notre système de retraite à l’aide de nouveaux prélèvements sur le patrimoine immobilier (piste extrêmement logique puisque la constitution d’un patrimoine immobilier, rendue en partie possible par des dispositifs fiscaux dont les moins fortunés ne peuvent profiter, permet à leur détenteur de s’assurer une retraite plus confortable).

Bien sûr, on peut ne pas partager toutes les orientations préconisées par les auteurs ou du moins s’interroger sur certaines d’entre elles, mais elles ont le mérite de susciter le débat.

Ainsi, on peut être sceptique sur la modulation sectorielle des taux de cotisations, envisagée pour favoriser des secteurs d’intérêt général ou employant une main d’œuvre importante. En effet n’est-ce pas dévoyer la cotisation que d’en faire un outil d’aide à certaines entreprises ? Les néolibéraux ne risqueraient-ils pas, de plus, d’utiliser cette modulation pour rétablir les niches sociales ? Par conséquent, il serait peut être plus efficace pour accroître les ressources de la protection sociale et toucher les entreprises employant peu de main d’œuvre, d’envisager d’élargir l’assiette des cotisations sociales afin que ces dernières « frappent » l’ensemble de la valeur ajoutée.

Les spécialistes de la santé pourront pour leur part regretter que notre système soit vu avec une certaine bienveillance alors qu’il souffre de lacunes importantes (ne serait-ce qu’en matière d’inégalités sociales de santé, lesquelles ont toujours été élevées, ce qui montre qu’il n’y a jamais eu d’âge d’or) et qu’il est caractérisé par un gaspillage de ressources important (surcoûts lié à notre architecture assurance maladie/complémentaires santé, remboursements de médicaments inutiles pour soutenir certains industriels…). Les propositions tout à fait pertinentes qui sont faites dans ce chapitre auraient par ailleurs pu être complétées par une refonte du circuit du médicament.

Mais, comme cela a été dit, ces questions constituent une invitation au débat et ne remettent en rien en cause la qualité de cet ouvrage.

  1. Eric Jamet éditeur, 20 €. A commander sur la Librairie militante du Journal. []


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