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Chronique d'Evariste
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D’Auroux à El Khomri en passant par Aubry, assouplissement des contraintes patronales et négation de la hiérarchie des normes

Une constante depuis plus de 30 ans

par Évariste

 

Imposée par l’Union européenne1 et par le mouvement réformateur néolibéral, la loi El Khomri tente de finaliser la marche régulière vers la satisfaction des demandes patronales depuis plus de 30 ans. Déjà les lois Auroux montraient la voie. A côté de mesures positives comme la création des CHSCT par exemple, l’idée de la priorisation des accords d’entreprise sur la loi est installée dans les lois Auroux. Si la loi Aubry 1 de 1998 permet la revendication positive des 35 heures, elle engage de suite la possibilité de l’annualisation du temps de travail et l’instauration du forfait jours avec la loi Aubry 2 de 2000.

Puis la droite relève le plafond des heures supplémentaires de 130 à 180 heures par an par décret le 15 octobre 2002. Puis la loi Fillon baisse la rémunération des heures supplémentaires à 10 % pour les heures qui sont effectuées entre 35 et 39 heures par la loi du 17 janvier 2003. La loi du 31 mars 2005 permet par négociation dans l’entreprise de faire jusqu’à 48 heures par semaine, permet l’extension du forfait jours aux non cadres, puis d’échanger leurs RTT contre un complément de rémunération. Toutes ces mesures entraînent un allongement de la durée hebdomadaire de travail.

Puis Nicolas Sarkozy fait voter la loi Tepa le 21 août 2007 qui favorise les heures supplémentaires en les défiscalisant et en diminuant les entrées de cotisations sociales vers la Sécurité sociale. Puis la loi du 20 août 2008 renforce l’autonomie des entreprises en matière de gestion du temps de travail : plus besoin de l’accord de l’inspecteur du travail pour les heures supplémentaires au-delà des 180 heures, le repos compensateur n’est plus automatique mais négocié au sein de l’entreprise, l’annualisation du temps de travail peut être mis en application sans justification.

Sur tout ce travail de détricotage, Hollande n’annule à son arrivée que la défiscalisation des heures supplémentaires.

La loi El Khomri va encore beaucoup plus loin en allant jusqu’au bout du changement de la hiérarchie des normes en faisant en sorte qu’un accord d’entreprise puisse déroger à une loi, à un accord de branche et même à un contrat de travail. La durée de travail permet d’aller jusqu’à 12 heures par jour et même 60 heures par semaine en cas de « circonstances exceptionnelles ». Les forfaits jours sont encore élargis. Toutes les majorations des heures supplémentaires pourront être réduites à 10 % par accord d’entreprise.

Les visites chez un médecin du travail ne seront réservées qu’aux salariés travaillant sur des postes à risque soit pour eux soit pour l’environnement. Tous les autres n’auront droit qu’à une visite d’information qui pourra être animée par un personnel paramédical.

Tout cela est clair comme le nez au milieu de la figure.

Comprendre ce processus

Pour illustrer ce processus, trois citations suffiront :

« Il y a une lutte des classes, bien sûr, mais c’est ma classe, celle des riches, qui fait la guerre. Et nous gagnons. » (Warren Buffet, l’un des hommes les plus riches du monde)

« Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » (Henri Lacordaire)

« Aujourd’hui, c’est dans l’entreprise que le rapport des forces est le plus défavorable pour les salariés. » (Tous les syndicalistes du syndicalisme revendicatif)

On comprend alors mieux pourquoi le patronat et ses serviteurs, les néolibéraux de droite et de gauche, souhaitent par phases successives l’inversion des normes pour que l’accord d’entreprise puisse détruire la loi, l’accord de branche et le contrat de travail.

  1. La dernière injonction en date est l’avis du conseil de l’Union européenne au Plan national de réforme (PNR, document obligatoire depuis la stratégie de Lisbonne et le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et notamment en son article 121, paragraphe 2, et son article 148, paragraphe 4) proposé par la France au Conseil : voir http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX%3A32015H0818%2815%29&from=FR) []
Face au terrorisme
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« Nommez l’ennemi, nommez le mal, parlez haut et clair »

par Boualem Sansal

 

Si, aujourd’hui, il est un mot à bannir du langage, c’est le mot « résister ». Résister, c’est donner l’avantage à l’ennemi, lui offrir l’honneur de porter le dernier coup, c’est capituler et mourir.

Résister c’est quoi, quand l’ennemi est déjà dans la forteresse et dispose alentour de réserves fraîches qui ne demandent qu’à passer à l’action ? C’est quoi, quand on a si peur de lui qu’on l’appelle ami, qu’on lui trouve toutes les excuses, quand en vérité l’ennemi c’est nous-même ? Il ne faut quand même pas oublier le début de l’histoire  : cet ami qui égorge nos femmes et nos enfants et saccage nos demeures, nous l’avons accueilli, couvé, choyé et même, à tout dire, créé. Ben Laden était le fils de qui, le protégé de quelle compagnie ? Khomeiny habitait où, Bouteflika se soigne où et à l’œil, où Kadhafi a-t-il planté sa tente, etc., etc., etc., etc., etc. ? Ces hommes ne sont-ils pas, n’étaient-ils pas des ennemis de l’humanité, de peuples entiers à tout le moins ?

Résister c’est quoi, quand on travaille à faire taire toute contestation dans le pays et empêcher les citoyens de se mobiliser et de monter au front ? Priver un peuple du combat pour sa vie et son honneur, c’est le tuer et le déshonorer, ses enfants ne le lui pardonneront jamais. C’est un génocide. Ce combat, on le mène soi-même, il ne se délègue pas, ne se reporte pas, le sang du peuple doit couler héroïquement pour que les chants de gloire à venir soient de vrais chants.

Ce n’est pas tout. Contre qui et quoi veut-on résister ? Les Chinois, les Martiens, la fièvre jaune, la pollution ? Qui veut-on éliminer  : des lampistes, des poseurs de bombes occasionnels, la finance internationale, une religion, une organisation secrète, une secte, des émirs ?

Nommez l’ennemi, nommez le mal, parlez haut et clair, tout est là, le reste est détail, il relève de la technique.

Si les autorités manquent de mots, je peux leur prêter les miens  : l’islam radical, l’islam modéré comme son appoint, le salafisme, l’Arabie, le Qatar, les dictatures arabes malfaisantes.

Au stade où en est l’affaire, le seul mot valable est ­ « attaquer ».

Et là se posent deux questions cruciales. La première  : sommes-nous capables de nous battre et de verser notre sang si on ne croit pas à nos valeurs, si on les a déjà trahies mille fois ? La seconde  : quel est ce brillant et courageux chef qui va nous conduire à la victoire ?

Il faut y répondre avant tout ordre de marche, car s’apercevoir en chemin de l’inutilité de son combat et de l’incompétence de son commandant en chef, c’est offrir gratuitement son cou au couteau de l’ennemi.

Quand on sait cela, on sait se battre et on sait aussi être magnanime. La victoire n’est pas tuer mais sauver, aider, accueillir, construire.

« Aux arrrrmes citoyens, formeeeeez vos bataillons… » est-il toujours l’hymne de ce pays ?

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Après les attentats, « le sentiment d’être pris en étau »

par Didier Daeninckx

 

Je vis, dans mon quartier, avec le sentiment d’être pris en étau  : d’un côté, la menace mortelle des nihilistes ; de l’autre, la faillite des institutions.

Dans les jours qui ont suivi le massacre des terrasses et du Bataclan, le chef djihadiste Abdelhamid Abaaoud s’est caché dans un terrain vague, à Aubervilliers, à quelques centaines de mètres de l’endroit où j’habite. Puis il a rejoint la rue du Corbillon, à Saint-Denis, pour y mourir, là où j’ai passé une partie de mon enfance. La proximité avec les tueurs n’est pas que géographique. Pour la première fois dans ma vie, un ami, Tignous, est tombé, fauché par une rafale de kalachnikov.

Nous sommes ainsi une multitude à voir l’ombre portée des fossoyeurs du Néant s’étendre sur nos existences. Les choses les plus insignifiantes sont aujourd’hui gorgées de sens et de sang. Un kiosque où l’on achète le journal du mercredi, une table ronde et deux chaises cannées posées sur un trottoir de Paris, la réservation d’une place pour un concert, le frottement du passe Navigo sur le lecteur avant de descendre dans le labyrinthe du métro.

Les signes avant-coureurs de la catastrophe étaient visibles. En ce qui me concerne, depuis trois ans, ici, j’ai vu les corps s’éloigner, les embrassades se raréfier, les barbes et les voiles pousser, les regards s’aiguiser, les murs s’élever. Il a fallu s’habituer à croiser des imams rétrogrades installés dès le petit matin dans les commerces, pour y faire pression sur les fidèles.

Et ce n’est pas par hasard que l’accélération a coïncidé avec les dernières élections municipales. Par son importance à Aubervilliers, la communauté musulmane a été l’une des clés et l’un des enjeux du scrutin. Le Parti de gauche local n’a pas hésité, par exemple, à placer sur les rangs un futur maire adjoint qui engageait le dialogue avec les troupes d’Alain Soral sur le site conspirationniste MetaTV, la Palestine servant de ciment. Un autre futur maire adjoint, membre du Parti communiste, s’amusait à relayer les messages de La Manif pour tous afin d’inciter les « frères » à se détourner des socialistes, vecteurs de décadence. La réalité n’a pas tardé à leur rendre la monnaie de leur pièce.

La semaine dernière, l’un des principaux agents électoraux du Front de gauche local, promu responsable d’un des services municipaux les plus importants au mépris de toutes les règles administratives, a été condamné à six mois de prison. Il avait menacé de mort un voisin, lui promettant de l’égorger, tout en brandissant un bonnet siglé Daech. Une perquisition à son domicile a permis de trouver des drapeaux de la même organisation djihadiste.

Dans une telle situation, chacun cherche à conjurer le désespoir, se met en quête de solidarités. De plus en plus, l’écriture m’apparaît comme un espace de résistance, de ré-existence. Continuer à interroger l’Histoire au moyen de la fiction, immerger des personnages dans les villes chancelantes, aller à la rencontre des habitants provisoires des décharges de Calais pour y entendre les traumatismes centenaires nés des tracés franco-anglais des frontières… Ramasser les éclats du temps un à un. Une écriture qui ambitionnait de changer le monde et qui peine, aujourd’hui, à simplement le dire.

Débats politiques
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Réussite du lancement du « Printemps républicain »

par Bernard Teper

 

L’après-midi du dimanche 20 mars 2016, la salle de la Bellevilloise (Paris 20e) était pleine à craquer. Des centaines de personnes ont du y assister debout. La question était de savoir si les choses seraient dites. Car comme le disait Camus, « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Trois choses importantes ont été dites.

D’abord la lutte contre les deux dérives de la laïcité à savoir l’ultra-laïcisme anti-laïque, fortement représenté à droite et à l’extrême droite qui utilise le mot laïcité contre une seule religion, l’islam. Tout simplement parce que la laïcité n’est pas anti-religieuse. Mais aussi contre la laïcité d’imposture ou laïcité adjectivée, fortement représentée dans la gauche néolibérale (Jean-Louis Bianco, la majorité de l’Observatoire de la laïcité et leurs soutiens qui sont nombreux par exemple) mais aussi dans la gauche de la gauche, dont les propos servent de cache-sexe à un concordat qui ne dit pas son nom mais aussi au communautarisme anglo-saxon éventuellement gauchi pour la gauche de la gauche.

Ensuite, il a été dit par Laurent Bouvet lui-même qu’il ne s’agissait pas d’un Printemps laïque mais d’un « Printemps républicain » regroupant donc de fait l’ensemble des principes républicains et donc pas seulement la laïcité.

Enfin que le dispositif du « Printemps républicain » se déploierait d’abord dans d’autres métropoles françaises puis dans la France entière.

Donc beaucoup de choses ont été dites par de très nombreux témoignages intéressants dans les trois tables rondes. A noter que Gilles Kepel a fait une intervention qui clarifie les enjeux en donnant de nombreux arguments aux militants de l’émancipation humaine face aux adeptes du communautarisme. Nous y reviendrons.

Beaucoup d’autres choses n’ont pas été dites. Il n’était pas possible de tout évoquer sur les trois heures de l’initiative déjà très dense et intéressantes.

Mais ces choses devront être évoqués plus tard. D’abord, pour aller dans le sens de Laurent Bouvet lui-même dans le Progrès social n°10, « A l’oubli des classes populaires, s’ajoute désormais celui d’un certain nombre de principes républicains. » La question centrale du lien jaurésien du combat laïque et du combat social reste à développer. D’autant que la loi scélérate d’insécurité sociale dite « loi El Khomri » est aujourd’hui un projet de loi qui ne nous permet pas d’entrer dans une République sociale.

Il y a aussi les contournements de l’article 2 de la loi de 1905 qui permet aujourd’hui aux collectivités locales de financer directement les lieux de culte (par exemple, la cathédrale de Créteil après celle d’Evry) par la suppression de la différence entre le cultuel et le culturel pourtant bien prévue initialement dans la loi promulguée le 9 décembre 1905.

Il y a aussi les 5 départements qui sont hors du principe de laïcité comme les trois départements d’Alsace-Moselle, celui de Mayotte et celui de Guyane. D’autant que pour ce dernier, le gouvernement a refusé la proposition du président du conseil départemental de Guyane de ne plus payer les salaires des clercs catholiques et demandait de ce fait l’abrogation de l’ordonnance du roi Charles X de 1828. Jusqu’aux décrets Mandel qui datent de la colonisation et qui permet encore aux TOM de ne pas appliquer le principe de laïcité.

Sans compter le fait qu’il y a aujourd’hui plus d’argent par tête d’élève dans l’école privée que dans l’école publique et qu’il y a toujours plus de 500 communes sans école publique mais avec une école privée confessionnelle.

Mais à chaque jour suffit sa peine dit l’adage populaire. Cette initiative du « Printemps républicain » aura eu le mérite d’engager une dynamique émancipatrice face au communautarisme, à l’obscurantisme, à la réaction et à la négation de l’égalité hommes–femmes.

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« Peuple ! Les luttes de classes au XXIe siècle », par Patrice Cohen-Séat

par Monique Vézinet

 

A l’initiative de l’association Espaces-Marx, dont l’auteur est président d’honneur, ce livre1 paru il y a quelques mois a fait l’objet le 31 mars 2016 d’un débat au cours duquel le philosophe Etienne Balibar présentait et discutait les thèses de Patrice Cohen-Séat. Le compte rendu qui suit procède non seulement de la lecture de l’ouvrage mais emprunte aussi aux questions et réponses entendues lors de ce débat.

Comme la vigoureuse préface de Gérard Mordillat, la première partie du livre est surtout consacrée à l’analyse – sombre – des effets de la période néolibérale concomitante de « l’épuisement » du socialisme d’Etat » avec l’agonie de la démocratie parlementaire remplacée par la gouvernance, avec la mondialisation qui met les salariés en concurrence, avec l’effacement de la classe ouvrière au sein de couches populaires désormais divisées alors que les classes dominantes, malgré l’opposition entre celles qui profitent de la mondialisation et celles qui y perdent, disposent d’une hégémonie culturelle inégalée.

Dans le champ politique, l’auteur s’appuie sur les données de l’abstention pour montrer le cercle vicieux dans lequel s’est enfermée la gauche social-démocrate qui cherche au centre un électorat de remplacement et se coupe ainsi d’une gauche radicale trop faible pour peser sur le cours des choses. Crise de la démocratie : quand la moitié de l’électorat ne soutient plus le système, le « gagnant » ne gouverne plus qu’avec le quart des citoyens et la tentation populiste se renforce. L’urgence pour les hommes de gauche est de prendre leurs responsabilités face à ce péril. Mais comment ?

L’analyse du temps présent est une cruelle contradiction : soit la gauche radicale « choisit la voie de la confrontation politique avec la social-démocratie et risque d’y perdre des positions électives ; soit elle tente de les conserver par une stratégie d’union de la gauche et voit fondre progressivement ce qui lui reste de crédit. Ce qui conduit d’ailleurs, comme on le voit parfaitement en France, au résultat inverse de l’objectif poursuivi : un lent mais inexorable déclin des positions électorales » (p. 143). Pourtant, mobilisant les analyses de Gramsci sur « guerre de mouvement » et « guerre de position », P. Cohen-Séat semble dire que la conquête du pouvoir n’est pas la priorité, ce qui ressemble fort à l’annonce pour le PCF d’une traversée de désert dont il n’est pas sûr de ressortir après les présidentielles, mais l’alliance avec les socialistes n’offre pas mieux comme perspective, celle de feu le PCI. Les difficultés d’union au sein de la gauche radicale (ou gauche de gauche, comme nous disons à Respublica) ne sont pas abordées.

Il faut admettre le parti pris de l’auteur de se placer au-delà de ces échéances dans une perspective non de refondation des appareils ou des pratiques et des programmes de l’ordre du court terme, mais – toujours dans le cadre de « l’idée communiste » (Badiou) qui, elle, est intemporelle – dans la perspective du projet (projet politique au service d’un « projet de société », de nature culturelle, lui). Ce projet, nécessairement nouveau, devra tirer les leçons du passé et laisser place à l’imagination politique pour remplacer celui qui a été disqualifié (le socialisme d’État). P. Cohen-Séat n’est pas convaincu d’une « nécessité historique » mécaniste ni d’une « crise finale » (Wallerstein), d’où sa référence à une possible « bifurcation » pour penser la sortie du capitalisme.

Quoi qu’il en soit, seul le projet permet pour lui de relier l’idée à l’action concrète, lui seul permettra aux classes dominées de reprendre la conscience dont le système cherche à les priver, d’organiser la lutte et de parvenir à des résultats conformes à leurs intérêts.

L’observation montre que la société française paupérisée est aujourd’hui « éruptive », traversée de très nombreuses manifestations d’indignation, de refus… qui ne parviennent pas à converger, outre que leur expression politique est inhibée. P. Cohen-Séat va scruter attentivement toutes les formes émergentes de l’expression du sentiment d’injustice, tous les germes porteurs d’organisation sur de nouvelles bases : la fabrication de « commun », le bien-vivre faisant place à l’écologie, le réseau de réseaux, les primaires citoyennes, et bien sûr les expériences de Podemos et Syriza. Cette partie de l’ouvrage ne m’a pas paru être la plus convaincante.

En revanche, on lira avec intérêt sur un plan plus théorique les développements qu’il consacre à la lutte de classes car dire que la solution d’une reprise de la marche vers l’émancipation, c’est le projet, nécessite qu’on dise qui peut en être le porteur, à défaut de dire ce que doit en être le contenu.
Ils comportent notamment une intéressante adaptation des thèses de La Boétie sur la servitude volontaire à la domination de classe. Les notions de « sujet historique », « bloc social », sont aussi convoquées avec une tentative d’application à la France et dans le but de définir la possibilité (future) d’une stratégie de front populaire. Ce sujet, c’est le peuple, suivi dans le titre du livre d’un point d’exclamation, auquel E. Balibar a fait remarquer qu’un point d’interrogation pourrait être accolé car pour sa part, s’il voit des convergences dans les luttes, il s’interroge sur les « contradictions au sein du peuple ». On peut en effet souhaiter que l’ouvrage se complète d’une analyse concrète des catégories sociales et de leurs besoins. On devra aussi le compléter par l’analyse des tendances économiques du capitalisme, qui en est absente.

Significatif des interrogations d’intellectuels marxistes résolus à une remise en perspective, pessimiste et lucide mais aussi plein de volontarisme pour l’avenir, ce livre ne donne pas au militant le chemin à suivre mais, dans un parcours hasardeux, peut servir à garder le cap en ouvrant les yeux sur les formes nouvelles de luttes qui nous environnent.

 

  1. « Peuple ! Les luttes de classes au XXIe siècle », par Patrice Cohen-Séat, éd. Démopolis (2015, 160 p., 20 €). Voir aussi l’interview http://www.humanite.fr/patrice-cohen-seat-nous-ne-sommes-pas-dans-une-societe-apathique-mais-eruptive-598062 []
Ecole publique
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Vers une disparition des notes à l’école justifiée par la science ?

par Alain Planche

 

Si l’on en croyait la grande majorité des quotidiens et hebdomadaires du début du mois de mars 2016, avant que l’actualité ne devienne tragique et fasse oublier cet attrape-nigaud, une étude du CNRS, menée en 2014-2015 dans 70 collèges et lycées de l’académie d’Orléans-Tours, aurait montré que le remplacement de la notation traditionnelle par une évaluation, plus encourageante pour les élèves, de l’évolution de leurs compétences, tend à améliorer leurs résultats et surtout à réduire les inégalités sociales de la réussite scolaire. C’est plus précisément en mathématiques que cet effet positif serait notable. Il n’y aurait, en revanche, aucune différence sensible en français et en histoire et géographie, les deux autres matières prises en compte dans l’étude.

J’utilise le conditionnel, car cette étude n’a pas été publiée, il est donc impossible de la critiquer scientifiquement et d’apprécier ainsi avec précision le degré de confiance que l’on peut accorder à des conclusions aussi catégoriques que surprenantes : a-t-on jamais entendu dire que la suppression du thermomètre améliorait l’état d’un malade ? Mais cela n’a pas empêché le responsable de l’étude, Pascal Huguet, directeur de recherche au CNRS, de se répandre sans aucune prudence dans les médias, cautionnant ainsi implicitement des titres dithyrambiques dont l’exemple le plus saisissant est donné dans Le Point, qui affirme que, « selon le CNRS », la suppression des notes est « un vrai ascenseur social »1.
Rappelons que l’enseignement par compétences a émergé en France dans les années 1980 sous l’influence (néolibérale) de l’OCDE avec le soutien actif de partisans des pédagogies dites actives inspirées de Piaget. Il s’est progressivement imposé dans les textes officiels2 jusqu’à justifier la caricature des futurs programmes d’enseignement de l’école élémentaire et du collège (publiés au BO en novembre 2015) et du socle commun de connaissances, de compétences et de culture associé. On chercherait vainement une définition précise de ces compétences scolaires que l’on est censé exiger des élèves, il faut se contenter de l’idée qu’il s’agit en principe non seulement de leur enseigner des connaissances, mais aussi et surtout comment les utiliser, ce qui doit théoriquement élever le niveau d’ensemble des élèves et rendre le système éducatif plus égalitaire. Il y a malheureusement loin de la théorie à la pratique. Si les textes officiels sont comme Pascal Huguet et débordent de confiance dans l’efficacité des méthodes d’enseignement par compétences3, toutes les enquêtes montrent qu’il n’en résulte qu’une baisse générale du niveau et une augmentation des inégalités sociales4

Malgré cette absence persistante de réussite, la pédagogie par compétences continue de s’imposer dans notre système éducatif. Une des clefs de son succès réside dans l’idée, simpliste mais séduisante, qu’avec cette méthode, l’élève acquiert progressivement des compétences, facilement évaluables grâce à la qualité de réalisation de certaines tâches. Mais il y a malheureusement loin, ici aussi, de la théorie à la pratique et ce couple est en réalité un couple infernal, qui oblige les professeurs à multiplier les évaluations en classe au détriment de l’efficacité de leur enseignement et rend les bulletins scolaires proprement illisibles pour les parents non initiés. Ceci explique que la notation traditionnelle existe toujours, au grand dam des promoteurs de la méthode. Il était donc temps que la science s’en mêle et enfonce le clou. C’est le rôle qu’a endossé Pascal Huguet, pour qui il n’y a aucun doute, même si, surtout en l’absence de publication, il ne s’agirait que du doute scientifique le plus élémentaire, « l’évaluation par compétences doit s’imposer pour faire reculer les inégalités sociales à l’école »5. Pourtant, même en se contentant des conclusions officielles de l’étude6, il est facile de voir que cette affirmation péremptoire mériterait pour le moins d’être fortement nuancée.

Tout d’abord, il n’est question, dans ces conclusions qui sont des « premiers résultats », que des mathématiques en troisième. Si l’expérimentation académique a porté sur toutes les disciplines au collège et au lycée7, les chercheurs se sont penchés uniquement sur la classe de troisième et plus précisément dans cette classe, si l’on en croit les médias, sur l’évaluation dans trois matières : les mathématiques, le français et l’histoire-géographie. Or, les seuls résultats pris en compte sont ceux qui ont été obtenus en mathématiques alors que pour la démocratisation de la réussite scolaire le français est au moins aussi important, sinon plus, que les mathématiques. Et il faudrait bien plus qu’une modification de l’évaluation, si positive soit-elle, pour compenser l’influence du milieu familial dans la maîtrise de la langue. L’évaluation par compétences n’est donc certainement pas la panacée annoncée !

Mais même en mathématiques, on peut avoir quelques doutes sur la validité de l’étude. Dans sa chronique du Café pédagogique citée plus haut, François Jarraud, que l’on ne peut pas soupçonner d’être réactionnaire, fait lui-même remarquer que « les professeurs qui se sont engagés dans le protocole sont des enseignants volontaires qui ont aussi décidé de travailler ensemble. Ce sont de facto des militants pédagogiques ». Quant aux élèves, qui n’ignoraient certainement pas qu’ils étaient impliqués dans une expérimentation, il est extrêmement probable qu’ils se soient sentis particulièrement motivés. Autant de conditions favorables à de meilleurs résultats qui disparaîtraient dans le cadre de l’enseignement de masse. Il n’y a pas qu’en médecine qu’il faut se méfier de l’effet placebo.

D’ailleurs, comme le fait aussi remarquer François Jarraud, « l’évaluation par compétences [ainsi d’ailleurs que l’allégement corrélatif des notes] est déjà largement répandue au primaire, un niveau éducatif où les inégalités sociales sont bien là et où le niveau scolaire des élèves ne s’améliore pas ». Conclure que « l’expérience montre que tous les élèves tirent bénéfice d’une introduction de l’évaluation par compétences et d’un usage raisonné, et plus restrictif, de la note »8 ne relève donc pas de la raison mais de la croyance. Les médias auraient dû se montrer plus méfiants : même estampillé CNRS, un chercheur peut leur livrer des résultats d’étude qui ne présentent aucune garantie de scientificité.

  1. http://www.lepoint.fr/societe/suppression-des-notes-un-vrai-ascenseur-social-selon-le-cnrs-04-03-2016-2023057_23.php []
  2. Pour une critique détaillée de cette évolution, voir Alain Planche, L’imposture scolaire – La destruction organisée de notre système éducatif pa la doctrine des (in)compétences, Presses Universitaires de Bordeaux, 2012. []
  3. On pourra lire avec intérêt Simon Perrier, « Démocratisation, « socle commun », et miracle des compétences » Revue Skholé, http://skhole.fr/democratisation-socle-commun-et-miracle-des-competences-par-simon-perrier []
  4. Voir L’imposture scolaire, op.cit. []
  5. http://www.cafepedagogique.net/LEXPRESSO/Pages/2016/03/09032016Article635931027011308054.aspx []
  6. http://www.ac-orleans-tours.fr/actualites/detail/article/conclusions-de-lexperimentation-academique-sur-levaluation-positive/ []
  7. http://eps.ac-orleans-tours.fr/evaluation_experimentation_academique/ []
  8. http://www.ac-orleans-tours.fr/actualites/detail/article/conclusions-de-lexperimentation-academique-sur-levaluation-positive/ []


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