n°817 - 21/06/2016
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Dans quelle crise sommes-nous ? n° 8

par Philippe Hervé

 

« La crise c’est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître. »
Antonio Gramsci

 

Les événements se sont accélérés depuis le dernier article de la série « dans quelle crise sommes-nous ? », daté de juin 2015.

Rappelons que cette série d’articles, au rythme annuel depuis 2009 (voir les précédents n°s 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7) , considère la crise dite des subprimes-Lehman de 2007-2008 comme le début de la fermeture du pli historique du XVIe siècle. Plus qu’une crise systémique, il s’agit en fait de la fin du capitalisme financier tel qu’il a pu évoluer depuis 500 ans. Un nouveau monde « en réseau » est en création et le combat pour son contrôle exacerbe les contradictions actuelles.

Depuis 8 ans, la crise est devenue globale. D’abord financière et économique, celle-ci s’est propagée progressivement à la sphère politique et culturelle des pays développés. L’évolution de ces bouleversements est de plus en plus mal contrôlée par les monopoles financiers.

Mais la crise, par sa dynamique propre, commence à faire apparaître un nouveau monde, avec de nouvelles formes d’organisation d’extraction de la plus-value qui modifient les rapports sociaux d’exploitation. Les monopoles financiers tentent d’en avoir la maîtrise, ce qui s’avère une entreprise délicate.

L’ordre règne à Athènes

Sur le plan politique, l’Europe apparaît comme le « maillon faible » dans l’espace du milliard de riches (Amérique du nord, Europe, Japon-Corée du sud, Océanie) depuis déjà plusieurs années. Elle subit une crise aux multiples facettes : économique, politique et sécuritaire avec l’afflux des réfugiés des guerres du Moyen-Orient. Par ailleurs, le capitalisme US et son « porte-avion » britannique en Europe menacent de quitter ce navire en perdition.

Dans l’ordre chronologique, la crise grecque de juillet 2015 a semblé donner un avantage décisif au capital financier mondialisé. « L’ordre règne à Athènes», telle aurait pu être la formule résumant la défaite de juillet 2015 des peuples et des nations. Elle a eu lieu à la suite de la capitulation du premier ministre Tsipras, imposant à son parti Syriza le diktat du triumvirat FMI-Banque mondiale-Union européenne. Cette position de renoncement, – en contradiction avec le référendum populaire où plus de 60 % du peuple grec refusait les conditions iniques de la finance -, s’appuyait sur une analyse fondamentalement erronée : Tsipras estimait que la sortie éventuelle de la Grèce de la zone euro entraînerait une fuite des liquidités et provoquerait la banqueroute de son pays et de ses habitants. Cette prédiction était fausse car elle ne tenait pas compte de l’existence de ce que nous appelons « le grand radiateur monétaire », c’est-à-dire l’injection par milliers de milliards de liquidités par les grandes banques centrales de la planète. Nous utilisons l’image du radiateur monétaire car l’injection de liquidités « par le haut » est égale (ou peu différente) à la masse monétaire rétractée « par le bas » grâce à l’imposition de la politique de rigueur, particulièrement en Europe (voir « Dans quelle crise sommes-nous ? » n° 7).

De fait, le monde n’est pas à court de liquidités disponible pour l’investissement…ou la pure spéculation mais au contraire en déborde. Au contraire, la sortie de la Grèce lui aurait apporté un afflux de liquidité, comme c’est le cas aujourd’hui à Cuba, pays pourtant détesté par le capital financier. Le manque de courage politique du premier ministre grec au moment décisif a permis au dispositif européen de survivre et de continuer à imposer aux 500 millions d’Européens une austérité permettant la rétractation de la masse monétaire « par le bas ». Ainsi, sans inflation, ce système survit en comblant les déficits chroniques des banques depuis l’implosion de la crise de 2007-2008. 

Les derniers jours de l’Europe ?

Plus largement, l’effondrement sans fin de la Grèce pose le problème de l’Union européenne comme dispositif structurant de contrôle du capital sur les peuples du vieux continent. Bref, l’Europe peut-elle résister encore longtemps ? Portée sur les fonts baptismaux par les Américains dans le début des années 1950, l’Europe va-t-elle mourir par leurs mains ? La décision ne semble pas prise mais « le marché est sur la table ». D’ailleurs, le voyage d’Obama en avril en Grande-Bretagne et en Allemagne a été fort explicite. Le président américain a abordé deux sujets: le Brexit (la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne) et le TAFTA (traité de libre échange entre les USA et l’Europe). Deux thèmes abordés bien sûr séparément, d’après les médias. Toutefois, pour comprendre la situation, les observateurs avisés devaient les relier de la manière suivante suivant une formule du type : « Messieurs les Allemands, si le TAFTA n’est pas accepté, nos petits camarades britanniques quittent l’Europe ! ». Car le capitalisme américain veut créer à court terme un marché européen entièrement protégé des concurrents chinois friands de technologies allemandes, scandinaves et du Benelux, et réservé aux seuls intérêts financiers US, gérés au quotidien par la City londonienne.

Ainsi, l’Europe est au cœur des contradictions du capital financier mondialisé. Si l’Allemagne refuse de s’aligner en perdant son leadership sur les machines outils robotisées, l’Europe va connaître une lente agonie. Cette situation instable, avec un mouvement social faible en Europe du Nord, ne présage rien de bon. Un front droite/extrême droite peut apparaître comme la solution politique pour les bourgeoisies nationales afin de contrôler une situation où l’Union européenne apparaît en fin de vie.

Sur le plan économique, et plus particulièrement macro-monétaire, la formule choc pourrait être la suivante pour résumer cette année écoulée : rétracter la masse monétaire par tous les bouts pour dégager des marges supplémentaires afin de permettre d’injecter des masse de liquidités de plus en plus monstrueuses et soutenir ainsi les banques et la finance …et tout cela sans inflation !

L’uberisation des sociétés occidentales

La crise de 2007-2008 a révélé le caractère structurellement déficitaire du capitalisme financier. Sa survie à l’état de zombie depuis 9 ans exige un assistanat considérable et permanent par les QE (Quantitative Easy, formule américaine pour les injections de liquidités par les banques centrales). Pour cela, il faut trouver de nouveaux gisements de réduction de la masse monétaire globale afin d’éviter l’inflation. Trois nouvelles sources de dégonflement monétaire se sont révélées cette année : « l’uberisation » du travail, la baisse brutale des cours des matières premières et, enfin, la politique des taux négatifs par les banques centrales.

Soulevons d’abord le point du lancement de l’ «uberisation » des sociétés occidentales.
L’affrontement U
ber vs taxis a fait l’actualité dans plus d’une dizaine de nations développées. Ce conflit emblématique et médiatique est l’expression de la formidable tension pour contrôler le nouveau monde en réseau qui émergera inéluctablement, comme le sait pertinemment le capital financier mondialisé. Il s’agit donc de le maîtriser. Visiblement, le choix est de verrouiller les flux numériques en possédant les HUB, les carrefours stratégiques, en faisant de ces plate-formes des passages obligés permettant aux individus, isolés en particules élémentaires, de travailler. La plate-forme possédée par le capital financier maîtrise l’encaissement et la clef de répartition entre la part du travail et la part du profit réservée au Capital. La part du capital, très importante dans le modèle d’Uber par exemple, est justifiée par l’organisation du dispositif du travail, le contrôle et la sécurité financière et du personnel. Cette nouvelle organisation du travail est possible uniquement par une aliénation totale, une sorte d’auto-contrôle permettant une exploitation sans intervention extérieure. Nous sommes au début d’un processus, sans d’ailleurs savoir si cette forme de rapport social peut être efficiente pour le capital à long terme. Nous assisterions, peut-être, à l’émergence du monde « bio politique » annoncé par Michel Foucault. Ainsi, l’extorsion de la plus-value serait intériorisée grâce à la disparition progressive du salariat et de son caractère coercitif archaïque. Cette forme d’aliénation serait subtile, impliquant une sorte d’évaporation du concept même de Travail, conduisant d’ailleurs à l’émergence d’un travail gratuit, dont la plate-forme serait la seule bénéficiaire en terme de profit. Sur ce dernier point, gageons que la prochaine étape du travail gratuit « à la mode Ikea » serait sans doute de faire réaliser la programmation, c’est-à-dire l’écriture des lignes de codes, par les internautes eux-mêmes. Notons que les systèmes scolaires des pays développés, notamment en France, ont décidé de mettre en place cette formation pour les élèves en fin d’école primaire.

Certaines études, peut-être commanditées à des fins promotionnelles, estiment que 30 à 40 % de la population active sera « uberisée» dans les vingt ans.

Uberisation, récession et rétractation

L’uberisation de la société est tendanciellement récessive et peut entraîner, à terme, une réduction des investissements par une réduction de la production d’objets de consommation. En effet, elle provoque une rétractation de la masse monétaire en circulation …d’où sa promotion actuelle par le capital financier. La mise en place des plate-formes numériques détruit du capital, en l’occurrence des taxis pour Uber bien sûr, mais elle limite aussi son développement en maximisant l’utilisation des objets, par exemple celle des automobiles. Ainsi, l’évolution de la crise et sa tentative de contrôle par la finance ouvrent des espaces nouveaux et des possibilités d’innovation. De manière dialectique, la destruction de capital entraîne le développement de nouvelles technologies et du futur monde en réseau.

L’uberisation en période de crise et de récession a pour conséquence d’ouvrir à d’autres formes de maximisation d’utilisation de l’objet automobile. Partage d’utilisation, co-voiturage, parking partagé… se développent et tendent à faire passer le temps d’utilisation d’un véhicule individuel X de 5 % en moyenne aujourd’hui à 6, 8 ou 10 % ou plus dans l’avenir. Ainsi, l’industrie automobile risque de connaître des jours difficiles dans son expansion ! En “uberisant” la société, le capital financier participe à l’élargissement des bases économiques objectives d’un nouveau monde. La formule de Lénine « le capital vendrait la corde pour se pendre » trouve ici tout son sens.

La fixation idéologique des prix avec l’exemple du cours du pétrole

Autre événement important de l’année entraînant une rétractation de la masse monétaire globale, la baisse phénoménale du prix du pétrole. Elle a entraîné la baisse des cours des matières premières.

Rappelons tout d’abord, qu’il s’agit d’une manipulation financière car le prix du pétrole, comme celui d’ailleurs de toutes les matières premières, n’est pas fixé par un marché « primaire » où l’offre et la demande s’ajusteraient de manière naturelle et en temps réel. Le cours du pétrole est la résultante des marchés des produits financiers dérivés. Si le prix du Brent dépassa les 140 dollars le baril en 2006, c’est parce que les spéculateurs estimaient que la croissance, en particulier chinoise, était assurée sur moyenne période. Croire en la croissance implique une croyance dans le renchérissement du prix des matières premières. En janvier 2016, le prix s’est effondré à 27 dollars le baril. Les produits dérivés tels que les « options » indiquent simplement aujourd’hui que la planète financière ne croit pas à un rebond de croissance, en tous les cas pas à 3-5 ans. En fait, à l’ère financière, les prix sont déterminés par une option, donc par une opinion et non par un ajustement « naturel ». En cela, nous pouvons parler d’une « fixation idéologique des prix », en particulier pour les matières premières.

Cette situation a tout naturellement engendré une dépression dans les pays producteurs de pétrole et, plus généralement, dans tous les pays producteurs de matières premières et entraîné une crise financière et monétaire des pays émergents (BRICS). Notons en particulier la crise dans les pays du Golfe dont la puissance financière s’est réduite soudainement comme peau de chagrin.

Vers une main-mise américaine sur les capitaux flottants du Golfe ?

Cette nouvelle conjoncture a eu pour conséquence de sauver provisoirement le dollar US, en provoquant un rapatriement des capitaux vers les États-Unis, et plus particulièrement en créant un surplus d’achats de la dette US, permettant de la disperser à travers le monde et de faire endosser, au sens comptable du terme, les QE par la planète financière. Autre avantage pour les Américains, la situation financière actuelle ouvre une perspective de prise de contrôle des capitaux flottants des pays de la péninsule arabique. Ces derniers pourraient être victimes d’une attaque, visant à la saisie de leurs avoirs financiers. C’est ce qui s’est passé en Libye, où des centaines de milliards de dollars se sont évaporés, saisis par les banques mondiales sans retour possible dans leur pays d’origine, du moins à moyen terme. C’est en tous les cas une menace implicite qui plane sur les pétro-monarchies. Pour ne pas finir comme Kadhafi, elles peuvent choisir de temporiser avec l’empire américain en privatisant pour partie leurs compagnies pétrolières d’État, à l’exemple d’Aramco pour l’Arabie saoudite qui s’ouvre aux investisseurs occidentaux.

Cet effondrement des prix des matières premières a deux conséquences : le maintien du dollar comme monnaie internationale et la diminution massive des avoirs monétaires des BRICS, par la dévaluation de la plupart des monnaies de ces pays. En cas de besoin, l’évaporation des capitaux flottants des pétromonarchies pourrait être aussi un élément de la réduction supplémentaire de la masse monétaire globale.

Cela dit, les cours actuels des matières premières et du pétrole en particulier ne peuvent rester aussi bas sur une moyenne période. Avec un cours à moins de 30 dollars, il s’agissait d’un coup de force qui arrivait au bon moment pour contrer certains gouvernements, comme la Russie de Poutine, le Venezuela de Maduro en passant par le Brésil de Rousseff. Mais un pétrole à moins de 60 dollars bloque l’économie du secteur, en terme d’exploration de nouveaux gisements et de gaz de schiste. Les cours risquent donc de remonter et de se stabiliser dans la fourchette 60-80 dollars le baril.

Ruiner le rentier à la manière de la cuisson du homard

Dernier élément de l’hypothèse d’un « capitalisme régressif » : la généralisation par les banques centrales des pays développés de taux d’intérêt négatifs. Il s’agit là d’une nouveauté historique qui a pour effet direct de déprécier l’épargne et de diminuer la masse monétaire globale. Il s’agit de ruiner le rentier sur le long terme sans recours à l’inflation mais de manière indolore, à la manière de la « cuisson du homard ». Par ailleurs, les taux négatifs obligent les spéculateurs à investir de manière aberrante sur les marchés actions pour soutenir les grands monopoles et s’assurer un minimum de profit. Or, chacun sait que le niveau des cours actions ne correspond plus à rien de rationnel. Si la valorisation reste importante aujourd’hui, c’est parce que les QE rachètent, entre autres, des dettes de grandes sociétés (début, le 8 juin 2016 dernier, des achats des obligations des grandes entreprises par la Banque centrale européenne). Si le cours boursier s’effondre, il est difficile de justifier ce soutien au titre des pouvoirs publics.

Cette entreprise de spoliation ainsi que la mise en place de manière structurante des taux d’intérêts négatifs décrivent ce que nous appellerons un « capitalisme régressif ». Prenons quelques lignes pour conclure cet article sur ce point de vue.

Après avoir hésité en 2009-2010 à relancer la machine économique de manière keynésienne avec une inflation sous-jacente, la direction FMI-Banque mondiale a choisi une voie nouvelle et globale : sauver coûte que coûte ce système qui venait justement de faire défaut, sans tenir compte de son obsolescence. Le renflouement des banques sans inflation exigeait dès lors une coopération mondiale permanente. Nous sommes donc installés dans un « capitalisme récessif » de longue période. Bref, Hayek plutôt que Keynes ! Cela dit, cette politique déflationniste à bien plus grande échelle que celle de Laval en 1932 est-elle viable sur le long terme ? Oui, si, et seulement si, tout le monde joue le jeu du dégonflement monétaire et donc de la récession économique structurelle : un seul modèle, une seule gouvernance.

Et la Chine ?

Or la Chine est-elle prête à participer encore longtemps à cette conservation du capitalisme financier occidental ? Rien n’est moins sûr ! Car la puissance financière de « l’empire du milieu » est devenue considérable, avec une accélération depuis la crise de 2007-2008. Elle lui permet de créer des partenariats en Afrique et en Amérique latine et d’initialiser ainsi une alternative pérenne. Le dispositif monétaire récessionniste mis en place depuis 2010 n’admet pas la compétition systémique. Or deux modèles capitalistes coexistent : d’une part, le capitalisme financier mondialisé, d’autre part le capitalisme d’État chinois. Une nouvelle contraction dialectique prend forme au sein du capitalisme depuis une dizaine d’année.

Il est possible que la Chine se départisse enfin de sa prudence face à l’Occident, refuse ce consensus et passe à l’action pour prendre, ou reprendre, la place de puissance hégémonique qu’elle considère comme la sienne.

Chronique d'Evariste
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Les enseignements de notre agenda culturel, social et politique

par Évariste

 

Six éléments principaux retiennent notre attention dans la période : le sens de la lutte contre la loi El Khomri, la continuation de la poussée de l’extrême droite européenne, la politique anti-sociale du gouvernement grec, le référendum britannique pour ou contre le Brexit, les élections espagnoles, et la campagne présidentielle française.

Approfondissement de la crise sociale en France

La poussée populaire de la manifestation du 14 juin contre la loi El Khomri montre les deux aspects de cette lutte sociale : d’abord la persistance du mécontentement populaire dans la rue et dans l’opinion, dans la volonté de dénoncer ce nouveau palier dans la destruction des conquis sociaux par la gauche néolibérale solférinienne, ensuite le fossé culturel grandissant entre les élites néolibérales et le peuple.
L’acharnement et les mensonges médiatiques ne suffisent plus à décontenancer le mouvement social. Le fait que plusieurs syndicats de policiers (dont un de droite !) aient ouvertement critiqué le gouvernement et la hiérarchie policière pour avoir instrumentalis
é les « casseurs » afin décrédibiliser le mouvement social, les laissant agir sans faire intervenir les forces de l’ordre pour procurer des images au 20 heures télévisé et ensuite les faire intervenir sauvagement sans distinguer les « casseurs » et les manifestants, cela aura largement fait contrepoint à l‘acharnement médiatique des « nouveaux chiens de garde ». Il est donc de plus en plus probable que ce fossé culturel avec le gouvernement ne sera plus comblé d’ici l’élection présidentielle française.

Nouvelle poussée de l’extrême droite en Europe

L’élection présidentielle autrichienne a montré une nouvelle fois la poussée de l’extrême droite en Europe. Nous rappelons ici notre analyse, maintes fois présentée dans ReSPUBLICA : cette poussée est due à la conjonction de la crise économique systémique du capitalisme et des politiques austéritaires (qui en sont la conséquence) de plus en plus massives des gérants du capital que sont les élites néolibérales patronales, nationales et européennes.

La politique anti-sociale du gouvernement Tsipras en Grèce

Nous rappelons ici notre analyse, maintes fois présentée dans ReSPUBLICA, à savoir que vouloir la fin des politiques d’austérité est contradictoire avec la poursuite de la politique de l’Union européenne, de ses traités non-amendables, avec l’appartenance à la zone euro et l’application de la stratégie de Lisbonne (à ne pas confondre avec le traité du même nom). La signature du mémorandum du 13 juillet 2015 avec l’UE a comme conséquence, visible aujourd’hui, l’accroissement des inégalités sociales ; elle divise le peuple et crée un fossé grandissant avec la classe populaire ouvrière et employée.

La crise n’épargne pas la Grande-Bretagne, d’où l’affrontement sur le vote pour ou contre le Brexit

Il est étonnant d‘entendre les médias néolibéraux, ces « nouveaux chiens de garde médiatiques », présenter le débat présenté comme ayant lieu entre le Premier ministre de la droite néolibérale anti-Brexit et l’extrême droite (largement formée par les mécontents de l’ancienne droite) qui serait la seule force pro-Brexit. On se croirait en 2005 en France lors du référendum pour ou contre le TCE. (Nous rappelons que le non de gauche représentait alors 31,3 % des votants, soit plus que le non de droite et d’extrême droite, que le oui de gauche, que le oui de droite.) Il faut dire que la politique de Corbyn à la tête du parti travailliste est engluée dans la dictature de la tactique souhaitée par les barons du parti, d’où son choix anti-Brexit inaudible vu que son électorat est largement divisé sur ce point et que la majorité de son électorat populaire votera le Brexit.

En fait, le vote voit s’affronter, comme en 2005 en France, les gagnants de la mondialisation et ceux qui en souffrent, les métropoles et les zones périurbaines et rurales. Les « partis de gouvernement » sont largement divisés. Il faut ajouter pour complexifier le réel britannique que les gauches nationalistes irlandaise, galloise et surtout écossaise préfèrent l’Europe des régions à l’Angleterre et à la Grande-Bretagne et sont donc de ce fait pro-UE ! Ce sont donc les régions populaires ouvrières et employées du centre et du Nord qui décideront du vote final.

Poussée dans les sondages du rassemblement Podemos-Izquierda Unida

Aux dernières élections législatives, la droite néolibérale (PP) est arrivée en tête mais sans pouvoir faire de majorité électorale. L’autre parti de droite, Ciudadanos, n’avait pas assez de voix pour faire la majorité avec le PP. A noter que l’économiste de ce parti, Luis Garicano Gabilondo, directeur d’un département de la célèbre London School of Economics, accompagnait lors de la dernière rencontre de Bilderberg (9-12 juin 2016) le président exécutif et directeur général de la Telefónica César Alierta, la présidente exécutive du Banco de Santander Ana Botín et le président exécutif du groupe de presse PRISA et du journal El País Juan Luis Cebrián. Comme artisan de la nouveauté, on fait mieux !

Le parti arrivé en deuxième position, le parti néolibéral de gauche (PSOE), n’a pas voulu s’associer avec Podemos, arrivé en troisième position, dans un gouvernement d’union. D’où les nouvelles élections.

Pour le scrutin du 26 juin prochain, les sondages donnent une deuxième place au rassemblement anti-austérité Podemos-Izquierda Unida, avant le PSOE. Si cela se réalise, ce sera en Espagne la fin définitive du bipartisme du Parti populaire (PP) et du Parti socialiste (PSOE). Le PSOE n’aurait pas d’autre avenir que la pasokisation et il nous faudra analyser la nouvelle situation politique espagnole.

En France, poussée dans les sondages de Jean-Luc Mélenchon

Nous avions largement analysé dans RESPUBLICA les différentes raisons de la phase de décomposition de la gauche de la gauche et la mort du Front de gauche tel qu’il s’était constitué pour la présidentielle de 2012. Conscient que la gauche ne pouvait pas survivre sans avoir une stratégie visant à passer devant le PS néolibéral solférinien au premier tour des élections, Jean-Luc Mélenchon jugea que les stratégies d’alliance au premier tour utilisant le sigle du Front de gauche avec un parti néolibéral que l’on critiquait par ailleurs ne devenaient plus crédible dans le peuple. Il estima que les reculs des élections de 2013 à 2015 étaient dus à ce manque de rigueur stratégique. Il estima que s’il attendait la décision du PCF (prévue aujourd’hui pour novembre 2016), il ne serait plus en mesure de se présenter avec un rassemblement large. Il avança donc avec un discours mêlant le projet d’un écosocialisme, le refus d’une alliance avec les néolibéraux au premier tour, une République alternative à la Ve République, un rassemblement large du peuple.

Aujourd’hui, il fait au moins jeu égal avec François Hollande et serait devant tous les autres prétendants socialistes. D’où le changement de stratégie électorale du couple Hollande-Cambadélis. Finie la chimère d’une primaire de toute la gauche qui n’engageait que ceux qui y croyaient, voilà la primaire néolibérale de « la gauche de gouvernement ». L’acceptation de cette stratégie par les principaux leaders des « frondeurs » les élimine à court terme de toute crédibilité de porter l’alternative. Par contre, la probabilité que Jean-Luc Mélenchon puisse être devant le candidat du PS se renforce. Mais cela ne peut suffire pour être au deuxième tour. Si la droite néolibérale est unie (avec Juppé par exemple sans candidat centriste de type Bayrou), ces mêmes sondages donnent un deuxième tour Juppé-Le Pen avec une victoire de Juppé et un renforcement de l’extrême droite au-delà de 30 % de votants. Dans le cas où la droite est désunie (par la présence d’un candidat centriste de type Bayrou, ce qui semble possible actuellement avec les trois autres candidats – Sarkozy, Le Maire et Fillon), l’écart actuel entre Jean-Luc Mélenchon et la droite néolibérale n’est plus insurmontable.

Bien évidemment, nous sommes à plus de 10 mois du scrutin et il faut se méfier de tirer des plans sur la comète à partir des sondages (rappelons-nous les manipulations des instituts de sondage sur la candidature de Chevènement en 2002 !). Mais force est de constater que l’état-major solférinien prend ces sondages très au sérieux, d’où le changement de stratégie électorale. D’autre part, cela dépendra principalement de la prise en compte par Jean-Luc Mélenchon de cette nouvelle situation et de sa capacité à rompre avec les causes de la décomposition de la gauche de la gauche que nous avons abondamment énoncées dans ReSPUBLICA. Mais aussi des décisions finales des autres partis de la gauche de la gauche et de certaines personnalités aujourd’hui muettes. Prendront-ils le risque de préférer un duel droite néolibérale-FN ?

De l’intérêt d’une intensification d’une éducation populaire refondée

Avec la centralité de la bataille sociale menée par le mouvement syndical revendicatif, avec la nécessaire implication dans la bataille politique électorale, un troisième pilier est indispensable pour mener la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle, celle d’une éducation populaire refondée. Aussi bien pour l’action et les revendications immédiates que pour penser l’avenir au-delà des échéances électorales. La double besogne jaurésienne en somme. Notre axe à ReSPUBLICA pour cette éducation populaire refondée sera Laïcité et République sociale.

Hasta la victoria siempre !

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Traditionalistes et ultra-libéraux à l'assaut de l'école

par Grégory Chambat

 
Article paru dans Le Progrès Social, le samedi 11 juin 2016.
Grégory Chambat est enseignant en collège à Mantes-la-Ville, membre du collectif d’animation de la revue Questions de classe(s), il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les questions scolaires dont, récemment, L’école des réac-publicains, la pédagogie noire du FN et des néo-conservateurs, Libertalia, 2016.

Profitant de la misère sociale, du désarroi d’une partie des classes populaires et du délitement des services publics, les créateurs d’écoles privées « pour les banlieues » tentent d’ouvrir un nouveau front contre l’école publique, qui demeure, pour eux, « l’école du diable ». Différentes personnalités et mouvements proches des milieux traditionalistes catholiques entendent ainsi œuvrer à la « libéralisation » du « marché » scolaire afin de restaurer des pratiques et des méthodes pédagogiques rétrogrades, inspirées du projet éducatif de l’Église (« normaliser le comportement social par l’intériorisation d’une morale pratique aux règles simples : respecter ses parents, obéir aux maîtres, avoir des mœurs pures, fuir le mal », concile de Trente… 1563 !). Les traditionalistes s’inquiètent d’ailleurs du contrôle que le ministère de l’Éducation pourrait exercer, via un récent projet de décret, sur le contenu des enseignements. Comme le souligne Le Café pédagogique : « Anne Coffinier, la fondatrice de la Fondation pour l’école, qui multiplie les écoles traditionalistes, ‘‘si les inspecteurs évaluent le niveau des élèves à chaque fin de cycle, cela conduira les écoles hors contrat à s’aligner sur les programmes de l’école publique’’. »

Les écoles de la Manif pour tous

Souvent qualifiées d’« écoles de la Manif pour tous », ces établissements disposent d’un réseau politique et financier conséquent. C’est à Montfermeil, ville administrée par Xavier Lemoine, bras droit de Christine Boutin et partisan d’une union entre la droite et le FN, qu’a été inaugurée la première école. Aux « Rendez-vous de Béziers » organisés par Robert Médard fin mai 2016, Xavier Lemoine a ainsi été invité à une table ronde intitulée « École : passer au Kärcher l’école de Mai 68, on commence par quoi ? »

Éric Mestrallet, le président fondateur d’Espérance banlieues ne manque jamais de remercier l’élu de Montfermeil, sans toutefois mettre en avant son orientation politique. Ce même Éric Mestrallet participe également aux instances de la Fondation pour l’école d’Anne Coffinier, égérie de la Manif pour tous et par ailleurs dirigeante de l’association « Enseignement et liberté », émanation du Club de l’Horloge. Cette fondation abrite les écoles de la Fraternité Saint-Pie X, des associations proches de l’Opus Dei (l’OIDEL) et en appelle à une union sacrée de tous les mouvements qui s’opposent au projet « totalitaire » et « égalitariste » d’une école publique contrôlée par les socialo-communistes et les « pédagogistes ». On retrouve aussi, dans son sillage, les militants de SOS Éducation, lobby hyperactif, toujours en pointe dans les mobilisations anti-genre, anti-grève, anti-syndicat et surtout « anti-pédagogistes ».

Occuper le terrain médiatique

Rompus aux techniques du marketing et de la com’, les animateurs de ces réseaux soignent leur visibilité médiatique. Grâce au parrainage d’Harry Roselmack, celui qui fût le présentateur vedette de TF1, co-auteur d’un ouvrage Espérance banlieues avec Éric Mestrallet, les écoles bénéficient d’une large audience et prétendent se mettre au service des « enfants perdus de la République et de son école »…

On a pu constater ce brouillage au lendemain des élections régionales. Dans un dossier consacré à la lutte contre le FN, l’hebdomadaire Le 1, associé pour l’occasion au mouvement d’Alexandre Jardin Le Zèbre, ouvrait ses colonnes à Espérance banlieues. Sous la plume d’Éric Mestrallet, on pouvait lire un nouvel éloge de Xavier Lemoine et la promotion du « chèque éducation »…

L’offensive en cours vise en effet à remettre au goût du jour l’instauration du « chèque éducation », appliqué pour la première fois dans le Chili de Pinochet. Imaginé par le penseur néo-libéral Milton Friedman, ce système propose de verser « symboliquement » à chaque famille une somme correspondant au coût de la scolarité. « Libre » à elle d’inscrire ses enfants dans n’importe quelle école (proche ou pas de son domicile, publique ou privée, sous-contrat avec l’État ou hors contrat) et de verser directement le montant du « chèque » à l’établissement. L’idée est de limiter le rôle éducatif de la société au seul financement, écartant toute perspective de démocratisation scolaire et de lutte contre les inégalités. À terme, il s’agit de mettre en concurrence tous les établissements (mais aussi les personnels) dans un marché totalement libéralisé.

On retrouve cette idée dans le programme éducatif d’Alain Madelin, de Philippe de Villiers mais aussi, jusqu’à une période récente, dans celui du Front national. Si ce dernier semble avoir écarté cette revendication, c’est par crainte de voir se développer des écoles musulmanes. Pour les animateurs de la Fondation pour l’école ou d’Espérance banlieues, il s’agit, au contraire, d’en appeler à une alliance des courants religieux les plus conservateurs des trois monothéismes, telle qu’on a pu la voir à l’œuvre par exemple lors des Journées de retrait initiées par Farida Belghoul en 2014. Alors que les courants intégristes ont perdu de leur influence au sein du FN au profit du « national-républicanisme » de Florian Philippot, on assiste au rapprochement des partisans du « chèque éducation » et de Robert Ménard qui annonce vouloir ouvrir une école Espérance banlieues dans sa ville.

Reculs pédagogiques

Dans ces écoles, se dessine une pédagogie pour le moins inquiétante. Salut hebdomadaire au drapeau, retour de la morale avec le sermon quotidien du directeur, port de l’uniforme (un sweat à capuche de couleur différente pour les filles et les garçons), célébration de la France éternelle (et de son roman national), crispation sur les « fondamentaux » (hors contrat, ces écoles ne sont pas tenues de respecter les programmes scolaires ce qui leur permet d’éviter certaines matières ou sujets trop polémiques : les sciences, par exemple) ; on retrouve la panoplie complète du projet réactionnaire de redressement du pays par le redressement des esprits et des corps. Le scoutisme est érigé en modèle pédagogique, ce qui explique peut-être le choix du nom de l’école qui s’installera à Mantes-la-Jolie, la « Boussole » (Boussole est, par ailleurs, le titre d’une revue née dans le sillage des Manif pour tous dont le quatrième numéro paraît ce mois), dans une ville réputée pour la présence d’un réseau de scouts traditionalistes.

Le choix de s’implanter dans les quartiers populaires n’est pas anodin. Il s’agit de renvoyer une image positive, là où justement, l’école publique est déjà mise à mal.

Ainsi, alors que la presse annonçait l’ouverture de l’école « La Boussole » avec des classes à 15 élèves (grâce à son financement via des exonérations fiscales et des allégements d’impôts, en particulier sur l’ISF), parents et enseignants du collège La Vaucouleurs, à quelques encablures de là, se mobilisaient contre la perspective de classes à 30 / 31 élèves l’an prochain, de quoi désespérer les banlieues… en (re)donnant espoir aux pires conservatismes.

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Mal nommer les choses ajoute au malheur du monde (Camus)

par Bernard Teper

 

A chaque assassinat, à chaque meurtre de masse, se pose la même question : quel sens politique donner à cet événement ?

Sur le meurtre de masse perpétré par un militant de Daech tuant une cinquantaine de personnes dans un bar homosexuel à Orlando aux États-Unis, les médias néolibéraux ont estimé que le sens politique de l’assassinat était donné par l’assassin tandis que Jean-Luc Mélenchon estime que le sens politique du crime est donné par les victimes. Je pense au contraire que le sens politique est donné par l’événement global et donc aussi bien par l’assassin que par les victimes.
Il est donné par les victimes car c’est d’abord un meurtre de masse mais aussi un crime raciste anti-homosexuel abominable. Aucune transformation sociale et politique émancipatrice ne peut se concevoir sans un anti-racisme radical et universel. Et de ce fait, nous devons avoir de la compassion pour ces victimes d’un « racisme ordinaire » mais aussi une détermination à lutter contre toutes les causes de ce racisme-là en particulier et de tous les racismes en général. Et donc de combattre toutes les structures religieuses, ethniques et politiques qui alimentent ce racisme comme tous les autres.
Mais ce meurtre de masse a aussi un sens politique lié à l’assassin. D’abord parce qu’il s’agit d’un criminel de masse, mais aussi parce que ce meurtre de masse est revendiqué par une organisation d’une part fasciste et d’autre part qui relève de l’extrême droite islamiste.
La comparaison avec l’assassinat de policiers à Magnanville, intervenu juste après Orlando, avec un caractère non moins odieux même s’il n’a fait « que » deux victimes, permet de dégager les caractères communs aux deux entreprises alors même que les cibles ont été choisies sur la base de caractéristiques différentes par les deux meurtriers.
Et nommer cela permet aux militants et citoyens éclairés de combattre les causes du développement de cette organisation, comme de toute autre organisation d’extrême droite religieuse, ethnique ou politique.

Bien nommer les choses aide à la bataille culturelle, sociale et politique

Bien évidemment le fait de bien qualifier l’assassin permet à tout militant ou citoyen éclairé attaché au développement de l’émancipation humaine de faire une différence stricte entre islam et islamisme, comme il le fera entre catholicisme et partisan de la manif pour tous ou du saccage des centres IVG, ou encore entre le judaïsme et l’extrême droite juive. Car l’émancipation ne peut s’effectuer que sur la base de la liaison de tous les combats émancipateurs (laïque, social, écologique, féministe. républicain, etc.). Si le principe de laïcité, c’est d’abord la liberté de conscience et donc la liberté de culte, refuser de caractériser la différence entre l’islamisme et la grande majorité des musulmans, c’est ne pas rendre service aux personnes de culture musulmane pratiquantes ou pas qui sont nos frères et soeurs en humanité et qui militent avec nous pour l’émancipation humaine. De ce point de vue, saluons par exemple Soheib Bencheikh et bien d’autres et combattons toutes les extrêmes droites, y compris islamistes.
Voilà pourquoi il convient comme l’ont fait en leur temps Condorcet, Marx, Jaurès, Gramsci et bien d’autres, de chercher le sens politique des choses dans une démarche holistique, matérialiste et rationnelle. Car il convient de penser le sens dans le global et non seulement dans une seule partie d’un tout !
C’est le rôle de l’éducation populaire refondée de faire ce travail culturel pour une transformation sociale et politique afin que tout citoyen, tout salarié devienne acteur et auteur de sa propre vie.

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Islamophobie, le nouveau tabou

À propos du rapport « sur l’islamophobie en Espagne en 2015 »

par Ilya U. Topper

 

Publié en espagnol dans M’Sur le 4 juin 2016, traduction d’Alberto Arricruz (http://msur.es/2016/06/04/topper-islamofobia-tabu/)

On ne va pas être en reste, se sont-ils dits. Voyez Israël, comme ça leur est facile : n’importe qui voulant critiquer ses politiques se fait accuser d’antisémitisme et le tour est joué. L’occupation de la Palestine ? Le lobby sioniste aux USA ? Netanyahou fasciste ? Antisémite celui qui le dira ! Je lisais aujourd’hui que le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) demandait l’interdiction du mouvement BDS, celui qui veut le boycott d’Israël tant que continuera l’occupation… en l’accusant d’antisémitisme !

L’intouchabilité d’Israël et de ses défenseurs est un paradoxe du système démocratique européen et américain, basé sur le principe que tous les citoyens sont égaux devant la loi : un pays, une religion, un collectif sont placés au dessus de ce principe dans des sociétés qui ont acquis, après des siècles de lutte contre l’Église, le droit de se passer du Divin. De nos jours, en Europe, on peut caricaturer le Pape mais pas Netanyahou ; on peut caricaturer Dieu sauf quand on le nomme Jéhovah.

Ce deux poids deux mesures, d’aucuns le dénoncent ; d’autres veulent dupliquer cette exception. Si ça marche pour eux, pourquoi pas nous ? Roulement de tambours… le concept d’islamophobie est né !

Tout citoyen a le droit d’avoir ses phobies : des araignées, du football, de la musique rock, des messes chrétiennes, des livres de développement personnel ou des prêches islamistes… Ah mais non, ceux-là non : parce que c’est de l’islamophobie ; est alors c’est illégal.

Dans ceux qui défendent cette vision en Espagne, on trouve la Fondation de culture islamique (FUNCI), dirigée par des convertis espagnols et généreusement financée par plusieurs fonds publics. Cette institution présentait fin mai son « rapport sur l’islamophobie en 2015 ». On y utilise sans rougir cette nouvelle expression comme si un nouveau crime était déjà constitué. En 2015, assurent-ils, « environ 200 plaintes pour délit d’islamophobie ont été déposées ».

Je ne dois pas me tromper de beaucoup en disant qu’il se sera agi d’insultes, de peintures sur des murs de mosquées et d’agressions commises contre des musulmans du seul fait qu’ils soient musulmans. Autrement dit, tout ce que le code pénal punit des chefs de racisme et de discrimination. Ne pas servir un noir dans un magasin parce qu’il est noir, ou ne pas lui louer un appartement, cela peut et doit être poursuivi en tant que racisme. Idem s’il s’agit d’un Chinois, d’un Aymara, d’un Maori.

Pourquoi aurait-on besoin d’une catégorisation spécifique quand le client est originaire d’un pays qui définit l’Islam en tant que religion d’État ?

C’est l’un des deux versants de la campagne « contre l’islamophobie », une campagne promue depuis des années au travers d’un immense déploiement dans les réseaux sociaux, dans la presse et dans les cercles académiques, alimentée par une quantité énorme de fonds dont l’origine n’est connue que pour la partie publique. Que « Casa Arabe », une institution publique espagnole, aujourd’hui instrument des diverses ambassades de pays arabes, se soit prêtée à accueillir la présentation du rapport de la FUNCI montre à quel point est engagée la complicité entre les gouvernements européens et les missionnaires wahhabites.

Voilà une façon de se distinguer des noirs – les pauvres, ils souffrent seulement de racisme – et de réclamer l’appartenance à une sorte de race supérieure, un statut de victime de première classe. Presque au même niveau que les Israéliens juifs, victimes de ce crime unique, incomparable, inégalable dans l’Histoire que fut l’holocauste (ça c’est le dogme) et son expression quotidienne, l’antisémitisme.

À l’image de l’épaisse liste des « délits antisémites » publiée chaque année en Europe, on trouvera aussi dans la catégorie d’islamophobie les graffitis et leur version moderne : Twitter. Si les graffitis et les tweets étaient mis à exécution, il n’y aurait sans doute plus de banquier ni de politicien en vie en Espagne. Mais il faut faire du volume pour être victime, même l’année où les néonazis ont fait une si belle faveur à l’islamisme en lançant des fusées contre la mosquée de la M30 (le périphérique) de Madrid.

L’autre versant de la campagne contre l’islamophobie est plus préoccupant : il naît de l’idée que le rejet envers les personnes de foi musulmane ne peut être considéré comme étant du racisme s’il s’agit d’Espagnols convertis ou bien simplement de personnes que rien ne distingue d’un Espagnol – si ce n’est sa religion. Cela devient du racisme quand on montre publiquement sa religion, car dans des conditions normales elle est aussi invisible que le Saint-Esprit. Il y a discrimination parce que le citoyen a décidé d’exhiber sa foi.

Je dis citoyen, mais lisez citoyenne. Parce que dans l’Islam de nos jours, ou plutôt ce qui se fait appeler Islam, les hommes n’ont pas – sauf quelques rares exceptions – à subir la gène physique et sociale qu’implique de devoir marcher dans la rue en tunique, barbe fournie et turban pour ressembler à une illustration de la biographie de Mahomet. Ils laissent aux femmes cette tâche ingrate d’exhiber publiquement un dogme, comme ils leur laissent toutes les tâches ingrates.

C’est aux femmes que revient, dans la conception portée par le collectif islamiste qui fait campagne en faveur du concept « d’islamophobie », la charge d’exhiber la présence de la foi dans l’espace public, moyennant – vous l’aurez deviné – le voile, l’hidjab.

Il n’aura échappé à personne que l’hidjab est une exhibition volontaire d’un uniforme idéologique moderne, standardisé au cours des dernières décennies afin d’identifier les femmes de l’Indonésie au Maroc et au delà sous un unique signe distinctif. Seules quelques converties, drapées dans une ignorance à l’épreuve de toute lecture, soutiennent qu’il s’agit d’une « tenue traditionnelle islamique » (mais : quelle est la tenue traditionnelle chrétienne ?). Cela n’a pas de sens puisque les traditions appartiennent aux cultures tandis que l’Islam est une religion et, comme telle, doté d’une théologie.

La théologie qui s’est emparée du monopole dans cet éventail de croyances appelé Islam, c’est la théologie wahhabite. Celle qui recommande de cacher la femme le plus possible, le mieux étant de cacher jusqu’au visage, affirmant (sans perdre la face de honte) que « dans l’Islam » il est obligatoire de couvrir au minimum les cheveux. Et comme c’est obligatoire, par définition, une musulmane n’est pas responsable de cette décision puisqu’elle ne peut agir autrement : par conséquent critiquer le fait qu’elle porte un voile est une discrimination, c’est de l’islamophobie.

Parce que si c’était volontaire, si exhiber le voile reflétait la libre décision d’adhérer à une secte proclamant que la vision des cheveux d’une femme incite les hommes à la violer – et que c’est pour ça qu’elle doit les voiler puisqu’on ne peut pas exiger des hommes qu’ils contrôlent leurs pulsions de violeurs (ne riez pas : c’est l’explication théologique officielle) – alors dire à une convertie voilée que l’on abhorre son idéologie ne serait pas un délit, ce ne serait pas pire que de crier quelques insultes à des Témoins de Jéhovah quand ils sonnent à ta porte. Car on n’appelle pas cela de la christianophobie.

S’il s’agissait d’une décision volontaire, et non d’un commandement divin s’imposant à toute femme née musulmane et d’application automatique et obligatoire, le port du voile tomberait dans la catégorie des idéologies et ferait comme tel partie du débat public, avec défenseurs et détracteurs. Porter un badge avec la faucille et le marteau est aussi légal, comme agiter le drapeau de la CNT, se coudre le drapeau espagnol pré-constitutionnel sur la manche, se tatouer une croix gammée, défiler sous les insignes de la Légion du Christ ou accrocher le drapeau catalan à son balcon.

Et, au vu de ce qui se publie chaque jour dans la presse espagnole, il est tout aussi légal de traiter les communistes de poubelles ou de brûleurs d’Église, les syndicalistes de beaufs et de fanfarons, Franco d’assassin de masse, les nazis de génocidaires, les évêques de complices des pédophiles et les indépendantistes catalans de connards. Si attribuer un tel adjectif à quelqu’un peut être une injure, dénigrer une idéologie ne l’est pas. Il n’y a pas de délit de christianophobie, de communistophobie, d’anarchistophobie, de phalangistophobie, de naziphobie. Il y a bien judéophobie, appelée antisémitisme et assimilée au racisme grâce à la confusion séculaire entre la religion juive et l’ethnie ashkénaze.

Les idéologies n’ont pas de protection juridique. Elles peuvent être promues, défendues, critiquées, disqualifiées. C’est une dimension essentielle du débat démocratique et de la liberté d’expression.

Et s’il est légal d’exiger des employés d’un commerce et des fonctionnaires qu’ils n’exhibent pas leurs idéologies aux heures de travail, on peut tout autant rejeter le port du voile. Oui : c’est légal. La Cour européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg a soutenu en 2004 (Leyla Sahin vs. Turquie) la décision du ministère turc de la santé – décision contestée par une étudiante turque élevée en Autriche – d’imposer aux étudiantes en stage un uniforme sans hidjab. L’État turc rejeta la prétention selon laquelle le Coran imposerait le voile et nia que l’exclure de l’espace professionnel ou éducatif soit une discrimination. Ce que la plaignante voulait imposer, c’était définir le fait de ne pas permettre de différencier visuellement les croyants des infidèles comme constitutif de discrimination.

C’est pour cela que la finalité de la campagne « contre l’islamophobie » n’est pas – contrairement à ce que croient les suprématistes chrétiens – de soumettre l’Europe par les lois islamiques : sa finalité est d’y soumettre toute personne née musulmane. Les victimes de la campagne « contre l’islamophobie » ne sont pas les femmes européennes : ce sont les musulmanes.

Parce que l’on prétend inscrire dans la conscience collective que l’hidjab est une partie indispensable à toute femme musulmane, que couvrir les femmes et les distinguer de la masse des non croyantes, les impures, est un « droit humain ». Et que cette idéologie islamiste moderne, qui a usurpé le nom d’une religion ancienne et diverse, doit être blindée juridiquement contre toute critique rationnelle.

Si le rejet suscité par le port de l’hidjab est inclus dans le rapport sur « l’islamophobie », c’est parce que ses promoteurs rejettent la jurisprudence de la plus haute institution des Droits de l’Homme en Europe, et placent au dessus de la Loi les fatwas de quelques cheiks islamistes qui ont leur préférence.

Vous me direz que je suis obsédé : nous parlons de l’Islam et je ne cesse de ramener sur le tapis ce maudit foulard. Mais ce n’est pas de mon fait : voyez le site web de « Twist islamophobie », financée et diffusée par la fondation FUNCI et la banque La Caixa. En une ? « Toutes voilées » : une exhortation à toutes les femmes à porter durant un jour le voile islamique pour protester… contre les laïques appelant au boycott des marques qui le vendent ! Autrement dit, le port du voile comme campagne de soutien aux entreprises qui cherchent à faire de l’argent avec la « mode islamique ». Parce que « les différences additionnent ».

Dommage que ce slogan sur les différences ne soit pas valable pour les pays qui ont l’Islam comme religion officielle, et où le même voile s’impose par la loi ou par une énorme pression sociale. Ni la FUNCI, ni aucune autre organisation musulmane d’Espagne n’a jamais demandé que toutes les musulmanes enlèvent leur voile durant une journée pour défendre le droit des musulmanes à ne pas le porter si elles ne le veulent pas. Jamais, qu’à Dieu ne plaise.

Le même site web met en avant une vidéo traitant de « dix mensonges à propos de l’Islam », compilation des plus énormes stupidités diffusées aux USA : pour combattre l’islamophobie, il faut bien entendu d’abord la diffuser. Le point 5 est intéressant : « on vous a dit que l’État islamique Daesh représente l’Islam, mais c’est totalement faux ». Je suis totalement d’accord. Ça fait dix ans que je le dis (« Confondre les communiqués de Daesh et ses semblables avec l’Islam, c’est confondre la tuerie de Waco avec une messe dominicale et confondre David Koresh avec Jean-Paul II »).

Mais les dogmes de Daesh sont ceux de l’Arabie saoudite, ceux qui sont enseignés dans la mosquée de la M30 ; on ne peut pas les distinguer, si ce n’est par le fait que Daesh pose des bombes et pas le gouvernement saoudien.

Les attentats : c’est tout ce qui dérange les dirigeants musulmans espagnols dans Daesh ? Si ce n’est pas le cas, si la FUNCI et les organisations semblables, outre qu’elles rejettent la violence, sont en désaccord avec l’idéologie de Daesh, j’espère qu’elles feront preuve de cohérence et déclareront que la religion officielle d’Arabie saoudite, les autorités de Al Azhar et pratiquement tout ce qui se diffuse par internet aujourd’hui, que tout cela n’est en rien l’Islam. J’espère qu’ils cesseront de relayer le mensonge selon lequel Charlie Hebdo « vilipende et méprise l’Islam » et qu’ils soutiendront les efforts de ce magazine pour combattre une idéologie – celle de Daesh et d’Arabie saoudite – qui « ne représente absolument pas l’Islam ».

Mais, évidemment, si l’idéologie saoudienne ne représente pas l’Islam, alors l’attaque contre la mosquée de la M30 ne peut pas non plus être qualifiée d’islamophobe…

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Le couloir des miracles

par Audrey B.

 

Changement à la station Place de Clichy.

Des familles entières installées avec leur pancarte « Syrian » pour mieux se distinguer des autres ? Ce mot qui résume la gravité de leur situation ? Ce mot qui justifie leur détresse ? Comme si était écrit « nous ne sommes pas des mendiants comme les autres, nous avons fui l’horreur » ? Une famille, deux familles, trois… cinq familles dans ce couloir qui n’en finit pas. Celui ou celle qui porte la pancarte proclame sa plainte en arabe comme pour prouver sa distinction.

Comme si nous étions à une brocante, la brocante du plus en besoin…

Au bout du couloir, un homme joue du violon et tente avec ce qu’il sait faire d’obtenir quelques euros.

Nous arrivons sur le quai et attendons le métro, il arrive, les portes s’ouvrent et c’est une fanfare qui nous éclabousse de notes. Nous restons quelques stations et passons du jazz manouche à la samba brésilienne et toujours ces mains tendues pour des centimes.

Changement à la station Stalingrad.

Une femme avec un nouveau née dans les bras assise par terre sans pancarte. Sur cette absence de pancarte est écrit « Roms ». Une petite fille, à côté d’elle, de cinq ou six ans peut-être berce elle aussi un bébé.

Et nous, de passage, tantôt penaud(e)s, agacé(e)s, indifférent(e)s, sensibles, impuissant(e)s, en colère, mais de passage…

Sur les affiches du métro, on nous parle des Galeries Lafayette, du dernier blockbuster avec ses actrices et ses acteurs magnifiques, d’un voyage en Martinique avec Promovacances, de bien dormir sur un bon matelas Dunlopillo…

Alors, mesdames et messieurs les responsables politiques élu(e)s par le peuple et pour le peuple, si vous manquez d’inspiration pour proposer une politique socialiste au sens historique, politique, noble du terme, prenez le métro.

Venez regarder toute cette misère qui résiste pour vivre et que vous ne savez pas empêcher. Venez écouter ce cri du peuple qui ne vous parvient pas jusqu’à Versailles.

Audrey B.
16 juin 2016



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