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Mitterrand et Rocard : les idolâtrer ou tourner la page ?

par Évariste

 

Quand un néolibéral, situé à gauche de l’éventail politique, décède, les médias entonnent tous l’hommage du grand homme sans qui nous ne serions pas aussi heureux que nous le sommes. Le décès de Michel Rocard (23 août 1930-2 juillet 2016) a ouvert un concert de louanges dans lesquelles toute critique politique était absente. On se serait cru dans le cadre d’une canonisation de saint bien qu’il soit protestant.

Première gauche mitterrandiste contre deuxième gauche rocardienne : accepter ce conflit est à terme rompre avec la gauche de gauche

On oublie trop souvent que c’est la première gauche mitterrandiste qui assume le tournant libéral de 1982-83 et qui ouvre grandes les portes du néolibéralisme en France. On oublie trop souvent que la deuxième gauche fut organisé en trois pôles : le groupe politico-intellectuel organisé autour de Rocard, la CFDT comme pôle syndical, et la Fondation Saint-Simon comme centre de réflexion. Nous voyons donc où a mené cette deuxième gauche aujourd’hui : au soutien inconditionnel à la loi El Khomri. Et c’est bien parce que Chevènement et Motchane décident de considérer la bataille entre la première gauche et la deuxième gauche en 1978 comme la bataille principale que le Ceres rompt avec la perspective historique qu’il s’était tracée jusque-là.

Rappelons ici l’épisode historique croquignolesque de 19781 qui scella le soutien de Chevènement et de Motchane pour permettre à François Mitterrand de prendre le pouvoir dans le PS face à Rocard, d’être le candidat de gauche à la présidentielle de 1981 pour in fine engager le PS dans le modèle politique néolibéral et dans la soumission au marché avec l’aide soutenue de Rocard.

Difficile ensuite de prendre au sérieux les scrupules de certains de cette deuxième gauche qui se mettent sur le tard à critiquer la gauche de gouvernement qu’ils ont largement soutenue : Rocard et Larrouturou, André Gorz (alias le journaliste Bousquet du Nouvel Obs), Patrick Viveret, Jacques Julliard et quelques autres. Idem dans la première gauche comme celle de Pierre Joxe et de quelques autres. Tout cela pour voir au pouvoir aujourd’hui les enfants de Mitterrand et de Rocard réunis que sont Hollande et Valls continuer la politique de Sarkozy.

Pour arriver à quoi ? A une augmentation incroyable de la pauvreté en France. Dans sa dernière étude intitulée « Les revenus et le patrimoine des ménages » édition 2016, l’Insee note que le revenu médian des Français a diminué de 1,1 % de 2008 à 2013 et de 3,5 % pour le décile des ménages les plus pauvres ! Et on découvre que 50% des Français gagnent moins de 1 667 euros par mois en 2013 alors que le SMIC brut était en 2013 de 1 430 euros par mois ! Quant à la pauvreté, sous le seuil des 60 % du revenu médian, soit environ 1 000 euros, elle concerne 8,6 millions de Français soit 14 % de la population, en augmentation de 0,7 % de 2008 à 2013 ! Si on ajoute que 1,9 millions de travailleurs sont en dessous du seuil de pauvreté ci-dessus, on mesure bien que la croissance des travailleurs pauvres suite aux mesures de précarisation de l’emploi prise par les néolibéraux de droite ou de gauche est un marqueur de la période. Quand on considère que dans la période 2013-2016, nous avons eu une croissance forte du chômage (à condition de cumuler les catégories A, B, C, D, E – et non de regarder seulement la catégorie A comme le font les nouveaux « chiens de garde » médiatiques), on peut dire que la simple publication du rapport de l’Insee est un triste bilan pour Nicolas Sarkozy et ses amis LR et pour Hollande et la direction du PS.

Donc, il est temps de tourner la page néolibérale des amis de Nicolas Sarkozy, d’Alain Juppé et de François Bayrou, du Front national, qui attend le moment de s’allier avec la droite néolibérale et des amis Hollande, Ayrault, Valls, enfants politiques de Mitterrand et de Rocard. Pour cela, une seule solution : une gauche de gauche ! Mais pour cela, il faut reprendre une à une les conditions de la transformation sociale et politique que résume Zohra Ramdane dans ce numéro.

En attendant, passez de bonnes vacances et rendez-vous le 22 août pour notre prochaine livraison !

  1. Notons que le Ceres avait obtenu en juin 1975, plus de 26,9 % des voix sur sa 16e thèse (prônant le mouvement autonome des masses !) lors de la Convention sur l’autogestion après avoir fait lors du congrès de Pau 25,4 % sur une ligne stratégique d’un courant de gauche du PS opposé à la direction majoritaire qui regroupa après le congrès de Nantes de 1977, Mitterrand et Rocard. Le collectif national du Ceres réuni, en face de l’église Saint Germain des Près et à côté du café « Les deux magots », pour définir sa stratégie, eut la surprise d’une introduction de quelques petites minutes de Didier Motchane disant que dans quelques minutes François Mitterrand serait là. Sans aucun débat préalable, voilà ce collectif national du Ceres avec sur l’estrade un seul personnage : François Mitterrand à qui Pierre Joxe qui l’accompagnait avait enlevé le manteau comme au temps de la monarchie absolue. Le voilà parti pour une bonne heure de conférence où il apparût le plus grand révolutionnaire de tous les temps, présentant le PS comme un parti de la rupture avec le capitalisme dans lequel ceux qui n’étaient pas pour cette rupture n’avaient pas leur place ! Dès la fin de son discours, sans aucun débat avec la salle, il se leva, Pierre Joxe lui remit son manteau sur les épaules. Une fois François Mitterrand sorti, Didier Motchane fit un discours de quelques minutes disant en substance que dans la bataille entre la première et la deuxième gauche, le choix du Ceres était clair et que la lutte était de barrer la route à la « gauche américaine » (comprendre la deuxième gauche) et de devenir l’axe du parti (et non plus un courant de gauche du PS) avec le « nouveau révolutionnaire » François Mitterrand. Exit, ceux qui avaient construit le Ceres sur une ligne anticapitaliste ! []
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Le Droit social permet de donner un horizon politique au travail

par Olivier Nobile

 

Cet article a paru dans le n° 65 du trimestriel UFAL INFO, juin 2016. Voir http://www.ufal.org/ufal-info pour s’abonner.
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La loi Travail dite El Khomri en cours d’adoption par l’Assemblée nationale, fût-ce au prix de la négation du débat démocratique via l’article 49-3 de la Constitution, comporte de véritables aspects positifs. Le premier est d’avoir réveillé la contestation sociale, anesthésiée par 4 années de politiques néo-libérales échevelées menées par un gouvernement prétendument socialiste. La mobilisation sociale suscite depuis plusieurs semaines une vague de contestation durable et inédite depuis de nombreuses années. Plus encore, la loi El Khomri est peut-être le détonateur d’une transformation radicale de l’action politique, dont « Nuit debout » n’est que la partie spectaculaire.

Derrière ce mouvement spontané et imparfait émergent les conditions d’une convergence des luttes entre la jeunesse, le mouvement syndical et ouvrier et certains intellectuels. Il traduit par ailleurs l’obsolescence des modes d’expression politique traditionnelle autour des logiques d’appareil. Obsolescence relative néanmoins, car ce mouvement de contestation sera contraint de se structurer autour de nouvelles formes instituées d’expression partisane correspondant à une ligne politique cohérente et poursuivant une stratégie politique de conquête du pouvoir.

L’autre aspect positif de la loi El Khomri est qu’elle marque une fin de cycle politique pour la gauche gouvernementale sociale-démocrate, représentant le point d’orgue d’une trahison de l’ensemble de l’édifice social et républicain de notre pays. La soumission du PS aux intérêts du patronat préfigure une salutaire clarification du champ politique.

Désormais, deux classes vont s’opposer durablement

D’une part celle des tenants des intérêts du capitalisme transnational et financiarisé, prompts à sacrifier les principes républicains de liberté, d’égalité et de fraternité sur l’autel des intérêts de l’oligarchie économique, et trouvant dans le communautarisme, religieux ou profane, l’allié de régulation sociale d’une société atomisée ; d’autre part la classe des travailleurs désireux de renouer avec l’idée même de l’action collective et citoyenne au profit d’une vision de société replaçant l’humain au cœur d’un projet politique social, laïque écologique. Toutefois, cette classe souffre de graves faiblesses qui l’empêchent de peser politiquement en dépit de son importance numérique : la précarisation, la privation d’institutions démocratiques enclines à renverser l’ordre politique dominant, et surtout l’extrême émiettement de la conscience de classe. Aucune transformation politique, sociale ou économique n’est envisageable sans une conscience de classe. Le camp d’en face, celui de l’oligarchie capitaliste, a à l’inverse particulièrement compris cet enjeu comme l’a démontré le milliardaire Warren Buffet : « La lutte des classes existe et c’est notre classe, celle des riches, qui est en passe de la gagner ».

L’absence de conscience de classe résulte de la plus grande victoire idéologique du capitalisme. Conformément à l’adage « diviser pour mieux régner », l’oligarchie capitaliste est en effet parvenue à atomiser les consciences sociales et à saper toute possibilité de convergence des luttes en créant les conditions d’une opposition des travailleurs entre eux. Elle se manifeste autour de la création de nouveaux antagonismes sociaux qui activent le désir très humain de promotion sociale et de sécurisation des modes de vie face aux aléas de l’existence.

L’atomisation du corps social s’appuie sur l’existence d’une prétendue classe moyenne invitée avec virulence à se détourner des combats sociaux collectifs de la classe laborieuse pour privilégier des solutions individuelles : accès à la propriété immobilière, placements, émigration économique, mais également tout le champ du développement personnel et de la consommation distinctive…

Avec l’émergence d’un chômage de masse à la fin de la période de croissance fordiste, la perspective d’accéder à la classe moyenne et au mirage de la consommation de masse n’est plus suffisante. Dès lors, les idéologues néo-libéraux ont théorisé l’existence d’une nouvelle forme d’antagonisme social qui opposerait les « insiders » et les « ousiders » du marché du travail. Les premiers seraient composés des travailleurs à temps plein protégés par un statut salarial stable et durable (CDI) régi par la loi et amélioré par les accords collectifs. Les seconds seraient composés de tous les exclus du statut salarial, tributaires d’emplois précarisés et dénués de garanties sociales faute de capacité contributive suffisante. Empêchés de travailler, les « outsiders » ne peuvent prétendre qu’aux miettes de solidarité nationale, filet de sécurité qui pallie les effets les plus délétères de la pauvreté (minima sociaux, etc.). L’opposition factice entre « insiders » et « outsiders » vise en réalité à faire reposer la responsabilité du chômage et de la précarité sur l’existence des « privilèges » sociaux des « insiders », responsables du chômage et de la précarité de par le Droit du travail et de la Sécurité sociale (le Droit social), amélioré par les garanties issues des accords collectifs de branche et conventions collectives. Cette opposition entre « insiders » et « outsiders » du marché du travail est payante, car tout le monde peut avoir le sentiment d’être l’« outsider » d’un autre. Le salarié du secteur privé dénoncera les « privilèges » prétendus du fonctionnaire employé à vie. Le salarié en CDI d’une petite entreprise regardera avec jalousie les avantages des conventions collectives des grands groupes capitalistiques. Le travailleur pauvre s’offusque des considérables privilèges dont jouit le bénéficiaire du RSA.

Dans la stratégie patronale, l’heure est à la remise en cause du statut même de salarié en le faisant passer pour un statut social dépassé. Le développement d’une horde de travailleurs indépendants précarisés à l’extrême et disposant du statut d’autoentrepreneur constitue le dernier avatar de la destruction du Droit social. Et il est redoutable, car il se pare de l’illusion de la liberté d’entreprendre… alors que la majorité des autoentrepreneurs sont en réalité des salariés déguisés soumis à l’autorité d’un employeur qui leur impose l’intégralité des contraintes inhérentes à l’exercice de leur activité sans en assumer les responsabilités sociales ni les cotisations sociales qui vont avec.

L’intérêt de cette stratégie pour l’oligarchie néo-libérale est qu’elle attise les querelles intestines et mortifères entre les diverses catégories supposées de la classe des travailleurs. Et en premier lieu, elle vise à reléguer le statut de salarié au rang de vieillerie sociale.

Cette hyper-division de la conscience de classe est la cause de l’atomisation des revendications autour de combats de niche : les zadistes, les défenseurs du salaire à vie, le mouvement bio-décroissant, etc… sont voués à mener des luttes à horizon fini et à périmètre borné, dont s’accommode, au final, fort bien le capitalisme. Il est en effet fort intéressant de tirer profit de ces nouvelles formes de revendication en proposant de nouveaux créneaux de consommation (les gammes bio par exemple) au travailleur.

Face à ce constat, il m’apparaît essentiel d’en appeler à repenser les conditions d’une unification de la conscience de classe des travailleurs. Pour ce faire, je souhaite revenir sur la principale conquête sociale républicaine : le Droit social en tant que matrice de Sécurité sociale des travailleurs et des citoyens.

Le Droit social, un concept républicain révolutionnaire

Le Droit social est un principe juridique à multiples facettes et comporte une dimension politique considérable. Il est le fruit de décennies de luttes sociales et repose sur un principe consubstantiel à l’ordre économique et social imposé par l’ordre capitaliste. Les travailleurs sont inscrits dans un lien de subordination avec un employeur. Les rapports juridiques, économiques et sociaux qui régissent les relations entre un travailleur et un employeur sont déséquilibrés et inscrits dans un rapport de domination. La reconnaissance politique de cette relation de domination a abouti à faire reconnaître des droits sociaux et politiques pour les travailleurs en contrepartie de leur acceptation de ce schéma de domination capitaliste.

Le droit du travail s’est attaché à dessiner progressivement les contours de restrictions juridiques à l’exercice d’un contrat de travail (temps de travail, congés payés…) incluant la reconnaissance du droit des travailleurs à s’organiser collectivement dans l’entreprise pour défendre leurs intérêts (syndicats, représentations du personnel…).
Sans dresser un historique de la lente construction de la législation du travail, qui outrepasserait largement le cadre de ma démonstration, i
l est possible de tirer plusieurs lignes de force du processus de constitution de la législation du travail en France.

Primo, la législation du travail a systématiquement été obtenue par les luttes sociales et n’a jamais procédé d’un mouvement spontané de reconnaissance politique du droit des travailleurs. Il en fut ainsi des accords de Matignon sous le Front populaire en 1936 qui aboutirent aux législations sur le temps de travail, les congés payés et la reconnaissance des conventions collectives.

Secundo, la législation sociale du travail s’est bâtie autour du principe de hiérarchie des normes, permettant de créer les conditions d’un ordre public social. Ainsi, le Code du travail constitue le socle juridique commun à l’ensemble des salariés. Les accords d’entreprise, de branche ou conventions collectives négociés entre syndicats et patronat ne peuvent qu’améliorer les normes du Droit du travail. Le Droit du travail a connu une phase d’expansion au travers de garanties généralisées à l’ensemble des salariés. C’est ce principe que la loi El Khomri entend inverser dans son article 2. En posant le principe de l’inversion de la hiérarchie des normes, le Gouvernement entend détruire le principe d’ordre public social qui était à la base de l’édifice social républicain depuis 1945. Le Droit du travail constituera désormais une règle maximale possiblement amoindrie par les accords de branche pouvant être remis en cause par les accords d’entreprise. Les garanties sociales collectives sont accusées de constituer un frein à l’embauche des exclus de la division du travail social. Il s’agit de la plus grave remise en cause du Droit social depuis l’après-guerre. Mais cela n’est malheureusement qu’un avant-goût de ce que les réformateurs néo-libéraux nous réservent. Car, une fois le verrou du Droit social remis en cause, la suite est déjà écrite : suppression du CDI et fin du statut des fonctionnaires. C’est précisément la proposition de notre “éminent” prix Nobel Jean Tirole dont les propositions sont reprises en boucle au sein du Medef et de la droite.

Tertio, la législation du travail s’est accompagnée d’un mouvement de reconnaissance des droits sociaux des salariés qui excèdent largement le champ d’exécution du contrat de travail et a permis de reconnaître socialement et politiquement le temps individuel des travailleurs situé en dehors de l’aire de régulation sociale de l’employeur. Le Droit social inclut le champ de la Sécurité sociale qui entend protéger les travailleurs et leur famille contre le risque de privation de ressources dès lors qu’ils ne peuvent se les procurer par le travail. C’est l’objet de l’article 1 de l’ordonnance du 4 octobre 1945 qui crée les conditions visant à supprimer le spectre de la peur du lendemain comme seule perspective de vie. Comme nous allons le voir, la Sécurité sociale et le Droit du travail participent d’un même édifice juridique et politique.

La cotisation sociale : arme d’émancipation des travailleurs

Le Droit social s’est ainsi attaché à conférer au contrat de travail des modalités de sécurisation juridique des conditions de vie liées à l’emploi tout en incluant progressivement les périodes de vie non immédiatement liées à l’emploi. Au cours de la première moitié du XXe siècle, le législateur a posé les pierres d’un édifice de reconnaissance sociale du temps individuel du salarié tout en créant les conditions de l’érection d’un nouveau droit politique fondamental des travailleurs.

La Sécurité sociale a ainsi joué un rôle d’intermédiation de la lutte des classes en posant les termes d’une reconnaissance salariale du temps hors emploi. En contrepartie de la reconnaissance du lien de subordination inhérent à l’emploi salarié au sein du système capitaliste, les employeurs sont appelés à prendre en charge les besoins sociaux des travailleurs dans un nombre de situations où ils sont éloignés temporairement ou durablement d’une situation d’emploi : retraite, assurance maladie, accidents du travail, invalidité, prise en charge des charges de familles puis ultérieurement prise en charge chômage… La construction de ce continuum de droits sociaux ne s’est pas faite en une fois, mais s’est appuyée sur un mode de financement tout à fait subversif : la cotisation sociale.

La cotisation sociale est au cœur d’un débat politique fondamental qui dépasse largement les questions de financement de la Sécurité sociale. Elle est à la fois le moteur et le fondement d’un affrontement idéologique au cœur du modèle économique et social capitaliste, car elle constitue une arme d’émancipation et plus fondamentalement de transformation de la classe en soi laborieuse en classe pour soi des travailleurs : le salariat.
La perception de la cotisation sociale en tant que salaire indirect est ce qui justifie que les travailleurs puissent prétendre à des prestations de Sécurité sociale au titre d’un droit propre et ce,
indépendamment de toute délibération politique extrinsèque et donc contingente. L’ouverture des droits est conditionnée par le versement de cotisations sociales préalables. Cette dimension d’assurance contre les aléas de la vie est une dimension importante mais sa véritable force réside dans sa dimension salariale. La Sécurité sociale transforme immédiatement et sans recours à l’épargne chaque euro de cotisation sociale prélevé en 1 euro de prestation sociale, sans aucune accumulation inter-temporelle ni recours aux marchés financiers. Ce sont donc 500 milliards d’euros par an, soit 25 % du PIB, qui échappent aux mécanismes des marchés et permettent de financer des prestations sociales versées aux travailleurs sans sélection du risque ni discrimination sociale d’aucune sorte. Mais cela n’est rien à côté du fait que la Sécurité sociale constitue une institution du salaire qui confère aux travailleurs une créance sociale inaliénable et les prémunit contre une remise en cause politique de leur droit à prestation, y compris de la part des majorités politiques inféodées aux intérêts de l’oligarchie.

Autre aspect considérable, la cotisation sociale est le fondement d’un droit politique direct pour ceux qui en sont les destinataires. Le CNR souhaitait faire de la Sécurité sociale le lieu d’exercice d’une véritable démocratie sociale placée entre les mains des travailleurs au moyen des Conseils d’administration de la Sécurité sociale. Le paritarisme est évidemment une dénaturation politique sciemment orchestrée (datant de 1967) de la démocratie sociale et de plus étrangère à l’esprit de 1945.

La pression du patronat pour fiscaliser la Sécurité sociale

L’extraordinaire mouvement de fiscalisation du financement de la Sécurité sociale qui a été mis en œuvre avec la création puis l’augmentation de la CSG n’avait nullement pour objectif de trouver des financements complémentaires. L’objectif recherché était de dessaisir les salariés de leur droit politique au sein des caisses de Sécurité sociale au profit d’un tiers acteur : l’État.

Pour les pans dits « non contributifs » de la Sécurité sociale, le patronat entend détruire le dernier trait d’union entre les salariés dans des zones étrangères à la logique capitaliste. Pour ce faire, il fait pression depuis plus de 30 ans sur le pouvoir politique pour remplacer la Sécurité sociale par l’impôt. La fiscalisation de la Sécurité sociale est l’acte essentiel qui a permis l’immixtion de l’État. dans la gestion des organismes sociaux.

A l’inverse, les pans dits contributifs de la Sécurité sociale sont peu touchés par la fiscalisation, car ils sont prétendument directement liés à l’emploi. En fait tout simplement car le patronat a compris que ces pans de la protection sociale représentaient un vecteur politique extrêmement puissant au sein des Conseils d’administration des organismes sociaux complémentaires. Par leur mainmise sur ces régimes, les employeurs disposent d’une arme de contrôle social des salariés sur les pans directement liés à l’emploi (retraite, formation professionnelle, chômage…). L’objectif du patronat est de détruire le champ du Droit social en insérant les salariés chômeurs, retraités ou malades dans un dispositif de retour rapide et contraint à l’emploi placé dans un cadre juridique et économique régi par des règles contractuelles individuelles.
Le problème est qu’en face, le mouvement politique et social de gauche est désarmé et désuni. La défense de la cotisation sociale n’est plus qu’un totem vidé de sens pour une frange minoritaire de la gauche radicale, et encore, au prix d’une interprétation souvent erronée et dénaturée de son essence salariale. La gauche dans son ensemble est largement tombée dans les chausse-trappes néo-libérales.

Une illustration : la réforme des allocations familiales menée par François Hollande en 2014, qui a abouti depuis le 1er janvier 2015 à la modulation des allocations familiales pour les couples d’allocataires dont les revenus se situent au-delà de 6 000 € par mois. Au nom de la justice redistributive, de nombreux témoignages d’approbation de cette mesure ont été prononcés par des citoyens se revendiquant de gauche. Je rappellerais simplement que les allocations familiales ne poursuivent aucun objectif redistributif, mais uniquement un objectif de distribution de salaire et que le plafonnement des allocations familiales préfigure celui, probable, des remboursements d’assurance maladie.

Autre sujet d’inquiétude, certes moindre, le fondement principiel de la cotisation sociale est assez mal compris y compris au sein du camp de gauche républicaine qui la défend. Car pour fédérer autour d’un principe, il faut des idées reposant sur des repères simples et robustes capables de percuter l’esprit du plus grand nombre.

Ne pas réduire l’idée de travail à sa seule acception capitaliste

La cotisation sociale ouvre des droits sociaux aux travailleurs et à leur famille. Mais l’idée de travail n’est en aucun cas réductible à sa seule acception capitaliste. Le travail recouvre de nombreuses situations d’activité essentielles au bon fonctionnement de la société, mais pas forcément valorisées dans un cadre d’économie capitaliste. Ces activités permettent de maintenir les capacités de production de la Nation (un salarié malade doit pouvoir se soigner pour retravailler) et génèrent des externalités positives qui participent des facteurs de croissance endogène qui bénéficient à l’économie dans son ensemble tout en permettant aux travailleurs de jouir de droit collectifs associés à leur insertion dans le salariat.

La cotisation sociale d’assurance maladie a également participé au travail collectif et a joué un rôle déterminant en créant les conditions générales de quasi-salarisation par la Sécurité sociale des médecins libéraux de secteur 1 ou de l’hôpital public. L’assurance maladie a clairement été vectrice d’intégration des soignants dans l’orbite du salaire comme le prouve la prise en charge de leurs cotisations sociales par l’assurance maladie.

Depuis 1978, les allocations familiales ne reposent certes plus sur aucun principe contributif. Pour autant le temps d’éducation de l’enfant contribue évidemment au projet capitaliste. La cotisation sociale finance ce travail qui était auparavant considéré comme hors du champ de l’emploi. Les allocations familiales ont en particulier permis de sortir le travail lié à l’éducation de l’enfant du champ de l’économie domestique et non déclarée. Les allocataires sont inscrits dans le cadre des institutions du droit social et bénéficient des délibérations politiques des conseils d’administration des Caisses d’Allocations Familiales, et en premier lieu de l’action sociale de la branche Famille.

Conclusion

Le Droit social est une arme politique qui permet repenser les notions de travailleur et de salarié. Pour ce faire, il y a lieu de sortir l’acception capitaliste du salariat pour lui substituer une dimension proprement statutaire et politique. Cela nous oblige à mettre fin à l’opposition factice entre catégories de travailleurs et à réhabiliter le salariat. Cela nous oblige à repenser le salariat. Les inactifs au sens capitaliste du terme sont en réalité des travailleurs et doivent bénéficier d’une pleine inclusion dans le champ du Droit social. Les solutions néo-libérales de prise en charge de la pauvreté (RSA, prime d’activité…) visent à transformer les pauvres en produits de la solidarité nationale et à les inciter à accepter par tous les moyens toutes les formes d’emploi, même les plus précarisés. A l’inverse, il y a lieu de repenser les conditions d’accès au champ de droit commun du Droit social en considérant de manière différente les périodes de sortie de l’emploi : les études, le chômage…

En revanche, je dois reconnaître une limite évidente à mon raisonnement, mais que j’assume pleinement : je ne sais pas penser le Droit social en dehors des structures du capitalisme. Le Droit social est une intermédiation de la lutte des classes, un déjà-là possible et accessible du projet de République sociale conférant sécurité sociale, reconnaissance statutaire et politique aux travailleurs. Pour autant, le Droit social s’inscrit de toute évidence dans les schèmes de domination du capitalisme dont il constitue, à mes yeux, le plus puissant anesthésiant mais en aucun cas un dépassement. Qu’en serait-il du statut des travailleurs dans une société régie par une propriété collective des moyens de production, ou dénuée de lien de subordination entre employeurs et salariés ? Je n’en sais rien car cela mettrait fin, par définition, aux relations qui régissent les rapports salariaux. Une société dont le capital social entrepris serait intégralement détenus par les salariés serait à mes yeux une société… dénuée de salariés ! Certains auteurs, tel Bernard Friot, tentent de théoriser avec talent cet horizon utopique au sens littéral du terme. Je les lis avec intérêt mais leur propos dépasse mon horizon de pensée.

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Le communautarisme, un cancer et une honte pour la gauche de la gauche

par Zohra Ramdane

 

ReSPUBLICA a abondamment détaillé les raisons de la décomposition de la gauche de la gauche. Fossé grandissant avec la classe populaire ouvrière et employée (53 % de la population française) sans qui aucune transformation sociale et politique favorable à l’émancipation humaine est possible. Refus de tenir compte des lois tendancielles du capitalisme permettant les impasses volontaristes, solipsistes, idéalistes, simplistes autour d’une seule idée ouvrant tout droit au paradis. Refus d’une pensée globale autour d’un modèle politique global alternatif. Refus du triptyque indispensable : résistance syndicale, action partisane, éducation populaire. Insuffisance dans la lutte pour une nouvelle hégémonie culturelle. Faiblesse d’analyse concernant l’école, la protection sociale et les services publics. Difficulté de penser globalement toutes les ruptures nécessaires : démocratique, laïque et féministe, sociale, écologique. Haine contre la République sociale, ses principes, ses exigences. Refus de lier un anti-racisme radical et universaliste au principe de laïcité. Puis, le honteux engouement autour de ce cancer que constitue la promotion du communautarisme anglo-saxon comme idéal politique !

Nous avons, à de nombreuses reprises, fustigé le communautarisme catholique, notamment de la Manif pour tous, largement soutenu par la droite néolibérale et l’extrême droite en rang serré. Mais aussi le financement public chaque année plus important des écoles privées confessionnelles (à plus de 95 % catholiques) soutenu par tous les néolibéraux de droite et de gauche et par l’extrême droite mais aussi par une partie de la gauche de la gauche ! Et encore le financement public des lieux de cultes et notamment des cathédrales (Evry, Créteil, etc.) soutenu par les néolibéraux de droite et de gauche, de l’extrême droite et même comme pour la cathédrale de Créteil par le PCF !

On a vu à de nombreuses reprises les rassemblements communautaristes favorisés par la direction du PCF, par Ensemble, par de nombreux sociologues de la « gauche américaine », par la direction d’Attac et ses appendices altermondialistes, par de nombreuses associations soi-disant anti-racistes, etc. Souvent, ces « toutous » ne faisaient que suivre les sociologues des « Indigènes de la république ». Et les tacticiens et tacticiennes de ce courant emmenant par touches successives une partie importante de la gauche de la gauche vers un communautarisme chaque jour plus assumé. Voir notre « florilège islamo-gauchiste ». Voir la Jeunesse communiste de Bobigny-Drancy qui organise la rupture du jeûne en fin de ramadan.

Sans compter les pratiques clientélistes communautaristes dans de nombreuses communes (dirigées par l’extrême droite, par les néolibéraux de droite ou de gauche et même dans certaines mairies par les communistes !) où l’on voit la répartition « un cheval, une alouette » des subventions entre les associations communautaristes et les associations laïques !

Pour couronner le tout, un article et un livre ont retenu notre attention.

D’abord un texte de Norman Ajari où les « Indigènes de la république » théorisent de façon claire et limpide leur essentialisme contre l’universalisme d’une République sociale et de l’émancipation humaine1 dont rien que le titre montre son opposition irréductible à une émancipation humaine globale. Dans ce livre, une charge contre le féminisme, idéologie qu’elle estime liée aux blancs, donc à rejeter pour ceux qui, comme elle, souhaitent une politique « décoloniale ». Elle reprend la vieille idée sexiste du PCF du temps de Thorez-Vermeersch2 en remplaçant « ouvrier » par « blanc ». Le féminisme devient alors pour Houria Bouteldja une parole sexiste mais aussi raciste et réactionnaire !
Elle exhorte les femmes « racisées » (comprendre principalement musulmanes » ) à ne pas suivre les idées féministes des « blanches » afin de ne pas diviser les « racisées » (lire la Oumma musulmane) car le sexisme des hommes « racisées » (lire musulmans) est uniquement dû au racisme des Blancs à leur égard ! Donc les femmes musulmanes doivent accepter le machisme de leurs hommes au nom de la lutte contre les blancs. Pour Bouteldja, la lutte contre les insultes, les coups, le viol est un luxe de « blanches ».

Florilège:

« J’en viens à préférer les bons gros machos qui s’assument. Je vous le dis mes sœurs, il faut trancher dans le vif. Quand les hommes de chez nous se réforment sur injonction des Blancs, ce n’est pas bon pour nous. Parce qu’en fait, ils ne se réforment pas. Ils font semblant. »

« Nous reprocher de ne pas être féministes, c’est comme reprocher à un pauvre de ne pas manger de caviar. »

« La critique radicale du patriarcat indigène est un luxe. Si un féminisme assumé devait voir le jour, il […] passera obligatoirement par une allégeance communautaire. Du moins aussi longtemps que le racisme existera. »

« Mon corps ne m’appartient pas. Aucun magistère moral ne me fera endosser un mot d’ordre conçu par et pour des féministes banches.

« Pour moi, le féminisme fait effectivement partie des phénomènes européens exportés. »

Reconnaissons aux « Indigènes de la république », une cohérence intellectuelle même si cette cohérence est sexiste, raciste, réactionnaire et renvoie les femmes et les hommes à l’essentialisme de leur communauté à l’encontre de l’émancipation humaine pour tous et toutes. Mais quelle honte pour la partie de la gauche de la gauche qui suit servilement les « Indigènes de la république » sans assumer le substrat intellectuel et pratique de ces connivences…

Il est vraiment temps de passer enfin d’une gauche de la gauche à  une gauche de gauche !

  1. « Faire vivre son essence », par Norman Ajari, 22 juin 2016, http://indigenes-republique.fr/faire-vivre-son-essence/)). Et puis le dernier livre d’Houria Bouteldja ((Les Blancs, les Juifs et nous, de Houria Bouteldja []
  2. Pour Thorez-Vermeersch, la lutte contre la domination masculine chez les ouvriers était une diversion pour diviser la classe ouvrière et la seule cause de cette domination masculine ouvrière était l’exploitation capitaliste dirigée par la bourgeoisie. Ainsi la travailleuse devait accepter le machisme masculin au nom de la lutte centrale contre la bourgeoisie. []
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« Brexit » : « J’ai marché de Liverpool à Londres, et le résultat du référendum ne m’a pas surpris »

par Luc Vinogradoff

 

Le Royaume-Uni est toujours en train d’essayer de comprendre les raisons et les conséquences du vote demandant la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.

La presse a rapidement relayé des témoignages d’électeurs regrettant un vote dont ils n’avaient pas pesé toutes les conséquences. Ça a pu donner l’impression que les 51,9 % de Britanniques qui avaient voté pour quitter l’UE s’en mordaient un peu les doigts. Un reportage du Guardian, mis en ligne le 27 juin, rappelle qu’une très grande partie de cet électorat revoterait de la même façon, et que le spectre de la politique économique de Margaret Thatcher, vieux de trente ans, n’y est pas étranger.

Le journaliste Mike Carter a publié, quatre jours après le référendum, un reportage réalisé auprès des Britanniques qui ont massivement voté le « Leave », loin des centres-villes et des grosses agglomérations, dans les campagnes et la périurbanité. Il a marché, pendant un mois, entre St George’s Hall, à Liverpool, et Trafalgar Square, à Londres. La même marche de 340 miles effectuée en 1981 par quelque trois cents chômeurs, dont son père Peter, pour protester contre la politique économique de la Dame de fer.

« A travers les terrains vagues du déclin industriel »

Trente-cinq ans après, Mike Carter a traversé le même territoire, des bassins miniers, d’usine ou d’automobile économiquement dévastés, laissés à l’abandon politiquement. Il a échangé quelques mots ou longuement discuté avec des Britanniques croisés dans des quartiers pavillonnaires, dans des rues où tous les magasins étaient fermés.

28/06/16

« Mon voyage était une tentative pour comprendre ce qu’il était arrivé en Angleterre depuis cette époque-là. Ce que j’ai vu et entendu m’a donné l’impression inquiétante que les immenses changements sociaux provoqués par le thatchérisme ont toujours de profondes répercussions sur des populations partout en Angleterre (…). Lorsque je me suis réveillé vendredi dernier, le résultat du référendum ne m’a pas surpris le moins du monde. »

Mike Carter décrit sa marche « à travers des immenses centres commerciaux à la bordure des villes, les terrains vagues du déclin industriel à Widnes et Warrington (…), les rues où tous les pubs étaient fermés avec des planches. Et les boutiques, si vous pouvez les trouver, avaient pour fenêtres des murs de briques et pour portes et des grilles de métal, comme en prison ».

« A travers Stockport, Macclesfield, Congleton. Le drapeau de St-George flottait, sur des mâts et dans les gouttières. Des posters ’Leave’ étaient partout. Je n’en ai pas vu un seul pour ’Remain’ (…). Les villes changeaient, le message était le même : ’Il n’y a pas de boulot convenable’ ; ’les politiciens ne se préoccupent pas de nous’ ; ’on nous a oubliés’ ; ’trahis’ ; ’il y a trop d’immigrés, et on ne peut pas lutter contre les salaires qu’ils acceptent’. »

En allant vers le sud, Peter Carter s’attend à voir « la situation économique changer ». Mais les rues de Bedford ou Luton, dans le Bedfordshire, sont les mêmes, « des bureaux de paris, des fast-foods, des salons de tatouage. Et la réponse à la question du ’in’ ou du ’out’ n’a jamais changé ». Ce n’est qu’en arrivant à Londres que le rapport s’inverse, et plus il s’enfonce dans la capitale, plus il a l’impression d’être « littéralement et spirituellement dans un autre pays ».

« On les connaît, ces villes sans prestige et presque sans nom »

Le Guardian décrit cette Angleterre du « Brexit » que l’on connaît mal en France. Notre directeur adjoint des rédactions, Benoît Hopquin, rappelle que l’on connaît pourtant « assez bien son équivalent en France ».

« Quand les envoyés spéciaux parlent des fractures du Royaume-Uni, révélées par le référendum du 23 juin, on constate ici les mêmes, exactement les mêmes. On pourrait citer tant de villes qui ressemblent à celles qui ont voté la sortie de l’UE, tant de Thurrock-sur-Loire, de Bolsover-sur-Rhône, d’Ashfield-sur-Garonne. (…)

On les connaît, ces villes sans prestige et presque sans nom. On pourrait les décrire les yeux fermés. A l’entrée, il y a la zone commerciale et le supermarché. Le prix de l’essence est affiché en gros : ses variations dictent en partie l’humeur et les fins de mois.

Il y a les petits commerces souvent franchisés de la rue piétonne, qui baissent leur rideau entre midi et deux, quand ils ne le font pas pour toujours. Il y a les dimanches soir d’ennui, quand tout est fermé, et les lundis de ville morte. Il y a l’usine, à l’abandon ou qui tourne au ralenti, rachetée, revendue, dépecée peu à peu, bientôt carcasse vide. Les machines ont filé ailleurs, les hommes sont restés, qui ont moins de valeur. Les enfants partent aussi. Ils vont étudier dans la capitale régionale et ne reviennent plus. »

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Le Brexit a été voté. Mais que va-t-il se passer ?

par Bernard Teper

 

Beaucoup de commentateurs reprennent la litanie des « chiens de garde » médiatiques sur le chaos qui attend la Grande-Bretagne. Pendant qu’exulte de joie la partie de la gauche de la gauche qui confond le visible et le réel et qui croit qu’il suffit de l’application d’une simple surplombance pour ouvrir la porte du paradis…

Jaurès avait raison de dire qu’il fallait aller du réel vers l’idéal mais cela implique d’abord de détecter le réel qui se cache derrière le visible.
Le référendum britannique a été favorable au Brexit. Que faut-il pour réaliser le Brexit ? Activer l’article 50. Qui peut activer l’article 50 ? Le Parlement britannique dont les membres sont et de très loin défavorables au Brexit. Et rappelez-vous le 29 mai 2005 ! Un référendum a dit non et le Parlement a dit oui. Qui a gagné le conflit ? Le Parlement ! Donc, il faut aussi changer les institutions. Voilà une réflexion dans le réel. Et il y a bien d’autres conditions nécessaires dont nous avons déjà abondamment parlé dans ReSPUBLICA. Comme celle qu’un processus de transformation sociale et politique ne peut pas se faire sans une direction politique animant ce processus. Ou comprendre les lois tendancielles du capitalisme pour savoir quand une mutation peut s’effectuer. Ou le fait qu’aucune avancée émancipatrice ne peut se faire sans la classe populaire ouvrière et employée (majoritaire dans le peuple en France et en Grande-Bretagne). Et ainsi de suite…

En fait, tout ce que l’on peut dire est que le vote du 23 juin n’est qu’une simple étape et que l’histoire n’est pas écrite. Lorsqu’on mène une bataille, il faut la penser jusqu’au bout et ne pas s’arrêter en chemin. Nos amis espagnols disent Hasta la victoria siempre !
En réalité, pour mener une transformation sociale et politique, il faut d’abord comprendre le réel (différent du visible), puis définir l’ensemble des conditions nécessaires à cette transformation, pratiquer une éducation populaire refondée pour mener la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle, et agir dans (et pas en dehors comme le font ceux qui souhaitent se battre avec la peau des autres !) les luttes syndicales et politiques. En ayant bien à l’esprit que seul le peuple mobilisé autour de sa classe ouvrière et employée peut aller aujourd’hui au bout du chemin de l’émancipation. A condition cependant de rassembler toutes les conditions nécessaires.
En fait, l’émancipation se fait toujours au rythme de l’histoire et non des impatiences des couches moyennes supérieures radicalisées. Dommage pour les spiritualistes, les idéalistes, les solipsistes, les volontaristes, les adeptes d’une surplombance simpliste, etc.

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Nous étions à la conférence de presse du Mouvement pour la 6e République (M6R)

par Bernard Teper

 

Mouvement initié par Jean-Luc Mélenchon, il y a deux ans, les porte-parole du mouvement revendiquent aujourd’hui 110.000 soutiens électroniques, 10.000 contributeurs électroniques, 2.000 personnes qui ont participé à la construction de la proposition de loi visant à installer une constituante pour aller vers la 6e République en France et en finir avec la monarchie présidentielle actuelle.

La conférence de presse qui a eu lieu le 29 juin 2016 dans le quartier des Halles était animée par trois des quatre porte-parole, Kahina Ouali, musicienne, 26 ans (94), Pierre-Yves Cadalen, doctorant, 23 ans (94), Tayeb Tounsi, chargé de mission à la ville de Grenoble, 27 ans (38) – la 4e, Emmanuelle Gaziello, agricultrice, 56 ans (04), ancienne conseillère municipale communiste de Nice n’ayant pas pu faire le déplacement pour cause professionnelle – et de deux membres de l’équipe d’animation (qui compte une vingtaine de personnes) Matthieu Dupas et Lucie Kirchner.

Cette conférence de presse est la conférence de lancement de la proposition de loi pour convoquer une constituante. Le M6R souhaite utiliser l’article 11 alinéa 3 de la Constitution tel qu’il résulte de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 et complété par la loi organique n° 2013-1114 du 6 décembre 2013 qui permet l’organisation d’un référendum sur un texte législatif « portant sur l’organisation des pouvoirs publics » dès lors qu’une proposition de loi en ce sens est soutenue par un cinquième des parlementaires (185 députés et sénateurs) et un dixième des inscrits sur les listes électorales (4,5 millions de personnes).

La proposition de loi nous a été distribuée en séance. On peut retenir que les travaux de la constituante ne pourront durer plus de deux ans (article 2) et que ne pourront y siéger ceux qui ont déjà eu un mandat législatif national ou européen ou ont déjà participé à des fonctions exécutives nationales, européennes ou locales (article 6), ceux qui ont une autre activité rémunérée (article 7), enfin que les membres de la constituante ne pourront pas exercer des fonctions exécutives ou législatives lors des premières élections qui suivront (article 8).

A la question posée sur l’importance du défi et à la possibilité que l’initiative soit sans suite, il a été répondu que c’est une fenêtre d’action possible et que ce sera un important moyen pour mener la bataille pour l’hégémonie culturelle. A ce moment-là, j’ai pensé à la célèbre phrase de Mark Twain « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait », devise qui a été reprise dans l’en-tête du nouveau journal « Progrès social ».

A la question sur les liens entre l’équipe de Jean-Luc Mélenchon et le M6R, il a été répondu que Jean-Luc Mélenchon a bien initié le mouvement mais qu’aujourd’hui, le mouvement est d’une part autonome et d’autre part n’a pas le même objet car le M6R n’apparaîtra dans la campagne présidentielle auprès de l’ensemble des candidats républicains que pour promouvoir la proposition de loi sur la Constituante. Le M6R ne prendra donc pas parti dans le cadre de cette campagne présidentielle. On pourrait dire aussi que Nuit debout a été initié par François Ruffin et Frédéric Lordon alors qu’aujourd’hui des tensions existent entre ces deux initiateurs et Nuit Debout.

Sur les moyens, la stratégie et la communication utilisés pour mener cette campagne, il nous été répondu qu’elle serait multiforme : par voie électronique, par action massive ou symbolique sur le terrain, par réunions publiques, etc. et qu’elle aurait vocation à se propager aussi bien dans les villes centres, les banlieues populaires, les zones périurbaines ou rurales. Chacun pourra utiliser le matériel fourni comme il l’entend. Soutenu par Marie-Georges Buffet, le M6R compte avec les parlementaires qui soutiendront la proposition de loi faire du dépôt de la proposition de loi un événement à la rentrée.

Les porte-parole ont tenu a préciser que c’était un mouvement autogéré qui a mis deux ans pour aboutir à avoir des portes paroles et une équipe d’animation et que son fonctionnement horizontal est singulier par rapport aux autres organisations beaucoup plus verticalisées. Ils ont insisté sur leur confiance en l’avenir, dans le sens où ils pensent que le peuple français a la capacité de construire cet avenir. Ils souhaitent rassembler ceux qui veulent changer les règles du jeu et qui pensent que la question du pouvoir et de la démocratie est aujourd’hui centrale. Ils souhaitent faire campagne sur la méthode pour obtenir une Constituante et non sur le contenu de la future constitution qui serait l’objet de la Constituante elle-même. Ainsi pensent-ils pouvoir rassembler large.

Rendez-vous est pris pour la prochaine étape.

Combat laïque
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Comment la ville de Lyon déroge au principe de laïcité

...et subventionne pour un million d’euros une communauté religieuse

par un collectif

 

Le 4 juillet prochain, à l’ordre du jour du conseil municipal de la ville de Lyon sera présentée une délibération prévoyant une subvention d’un million d’euros en faveur de la construction de l’Institut français de civilisation musulmane.

Ce projet présenté avec le visage de la promotion culturelle cache en réalité de réels enjeux religieux que de nombreux éléments démontrent. Tout d’abord nous nous interrogeons sur la définition du terme de « civilisation musulmane. » Par ailleurs, l’ambiguïté volontaire dans l’appellation dudit institut voudrait évoquer un organisme à vocation scientifique et culturelle, comparable à ce que représente déjà, par exemple, la « Maison de l’Orient ». Pourtant, ce projet est clairement un projet religieux. Il a été initié, porté et en partie financé par les fidèles. En première ligne le recteur de la mosquée de Lyon Kamel Kabtane qui parle bien d’un projet « pour les musulmans ». Kamel Kabtane est bien un responsable religieux. Les musulmans sont bien une communauté religieuse. La proximité n’est pas que géographique (La localisation du projet à proximité de la mosquée du 8ème arrondissement), mais s’inscrit dans l’ensemble des orientations du projet. Le site de la mosquée précise d’ailleurs que « L’Institut a reçu le soutien des hautes autorités religieuses de la région »

La confusion entretenue entre le culturel et le cultuel relève de l’hypocrisie. La distinction ne saurait être appréciée en ces termes, puisqu’au dire même de l’initiateur du projet Kamel Kabtane le 25 septembre 2008, l’IFCM est un « complément aux activités de la mosquée ».

Nos trois associations, le Cercle Maurice Allard, le Poing Commun et la Libre Pensée du Rhône, attachées à la République et à son devoir d’exigence et de respect en matière de laïcité, ont décidé de porter une parole commune pour :

  • Alerter les élus, l’ensemble des citoyens, et s’étonner de la responsabilité des pouvoirs publics dans cette nouvelle atteinte au principe de laïcité, en contradiction avec l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 dite de séparation des églises et de l’Etat « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte… »
  • Dénoncer une nouvelle fois, sous couvert de projet culturel, l’aspect véritablement cultuel de cette délibération proposée au conseil municipal de Lyon et tout le culot du Maire de Lyon pour oser tenter de nier la dimension religieuse du projet. Il est vrai qu’après les subventions versées ces dernières années, au nom du dialogue inter-religieux, aux associations Sant’Egidio (catholique), à la Conférence des Eglises européennes (orthodoxes et protestants), et après le financement du Musée du Christianisme, le Maire de Lyon se trouve ainsi embarqué dans une aventure qui l’éloigne de plus en plus de la loi de 1905. Il est temps de respecter la stricte neutralité de l’Etat, et de consacrer l’argent public à ce qui fonde l’intérêt commun.
  • Inviter ainsi les élu.e.s de la ville de Lyon à voter défavorablement ce rapport, au nom du respect de l’esprit républicain et laïque.

Penser la laïcité comme un système de subvention compensatoires entre les cultes, comme le propose le Maire de Lyon, en recherchant un équilibre pour satisfaire telle ou telle communauté religieuse est un réel danger pour le socle républicain et l’idée même de laïcité.

Nous attendons de la part de nos représentants politiques un respect et une fidélité sans failles aux valeurs de la République.

Communiqué de presse du 30 juin 2016

http://lumieres-laiques.frcercle.mauriceallard@yahoo.fr

http://lepoingcommun.fr - lepoingcommun@gmail.com

http://www.fnlp.fr - librepensee69@orange.fr

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Quand le mouvement laïque marocain se manifeste !

par Mohamed Lotfi

 

Devant la montée de l’obscurantisme religieux au Maroc, notamment à l’occasion du mois de Ramadan, des citoyens ont décidé de réagir et de manifester leur colère publiquement.

À l’initiative du « Mouvement progressiste pour une société libre et une patrie pour tous », quelque 200 citoyens, représentants de plusieurs associations et organismes de la société civile, se sont donné rendez-vous le 25 juin à 21h30 devant le parlement de Rabat.

À la fin de la manifestation, le porte-parole de ce nouveau Mouvement, Abderrahim Idoussalah, a tenu un discours fort éloquent sur les libertés individuelles et la laïcité pour justifier l’appel de son mouvement à abolir l’article 222 du code pénal.

Il a rappelé que depuis le début du mois de Ramadan, dans plusieurs villes du Maroc, des citoyens marocains ont été dénoncés et arrêtés au nom de la loi pour avoir contrevenu à l’article 222 du code pénal qui interdit à « tout individu notoirement connu pour son appartenance à l’Islam de rompre ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le ramadan ». Il est passible de un à six mois d’emprisonnement et d’une amende

Le discours de Abderrahim Idoussalah est un appel à un vivre-ensemble selon un mode de gouvernance moderne et rationnel.

Dans la vidéo https://www.youtube.com/watch?v=Ht7b30r8RLk&feature=youtu.be, vous pouvez entendre son discours en arabe.  En voici la traduction de quelques extraits:

« … Ce qui est arrivé dernièrement à Marrakech et dans d’autres villes, notamment à Zagora, où la chaleur peut atteindre 50 degré, un citoyen a décidé de boire de l’eau en public, pour assouvir sa soif, en suivant la Ayat du Coran qui dit «  wala tal9o bi aydikoum ila tahlouka » (Ne provoquez pas vous-mêmes vos propre malheur). Cet homme a été arrêté et mis en prison par l’État.  Il a été jugé! Nous appelons cela aujourd’hui, un jugement religieux.  Aucun pays moderne et progressiste n’accepte aujourd’hui un jugement religieux. Faut-il rappeler que les jugements religieux remontent aux tribunaux de l’inquisition au moyen âge. 

Chez-nous, on veut réhabiliter les tribunaux de l’inquisition. On veut savoir qui jeûne et qui ne jeûne pas. Qui prie et qui ne prie pas. Cela n’est pas l’affaire de personne. État marocain, tu as oublié les traités internationaux que tu as signés. Des traités fondés sur le respect des droits de la personne. 

J’aimerais poser une question à l’état marocain. Est-ce que le Maroc est le pays des musulmans ou le pays des marocains ? Une question à laquelle l’état marocain doit répondre.  Si cet état est l’état des musulmans, nous, ne nous savons pas qui est musulman et qui fait semblant de l’être.  Personne ne peut prétendre avoir accès aux conscience des gens.  Si par ailleurs, l’état marocain et l’état de tous les marocains, alors les marocains sont différents.  Ne nous sommes pas des Qwaleb dial soucar (pains de sucre) pour nous habiller tous pareils, ou comme des bouteilles d’huile. Nous ne sommes pas pareils.  Avec ma carte nationale, je me présente en tant que citoyen marocain.

Nous refusons catégoriquement la daéchisation du Maroc.  L’État marocain doit prendre ses responsabilités devant les pressions que subissent beaucoup de citoyens.  Lorsqu’une personne lève un couteau, vous pousse, vous agresse ou attaque votre maison avec comme justification que vous auriez des comportements qui vont à l’encontre de la religion et la morale, mais de quoi on se mêle ? Qui êtes-vous ? Êtes-vous le représentant de Dieu sur terre ?

Nous voulons une société moderne. Une société démocratique. 

Et pour conclure, je déclare ici que notre « Mouvement progressiste pour une société libre et une patrie pour tous », est au début de son action. Nous annonçons ici sa naissance en tant que mouvement laïque. Oui, nous avons osé! Nous le disons ici dans la rue et publiquement: Nous sommes des laïques.  

Et la laïcité ne veut nullement dire l’athéisme, le judaïsme ou l’islam.  Dans notre Mouvement, nous considérons que la laïcité est le seul chemin à prendre pour réaliser le développement de cette société.  Nous considérons la laïcité comme une forme de militantisme politique et intellectuel qui protège toutes les religions (toutes les consciences).

Je vous invite à rejoindre notre mouvement pour soutenir notre résistance. Nous annoncerons bientôt d’autres manifestations dans d’autres villes ».

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Bac et ramadan : quand l’administration est si peu laïque que même l’Observatoire de la laïcité la tacle !

par Charles Arambourou

 

La Maison des examens, service du ministère de l’Éducation nationale qui gère l’organisation du baccalauréat en Île-de-France, a envoyé une note aux proviseurs des lycées pour leur demander de « s’assurer de la présence effective » des élèves convoqués au rattrapage le 6 juillet, jour de l’Aïd-el-Fitr (fin du ramadan). « Ceux invoquant la fête de l’Aïd-el-Fitr devront être reconvoqués le lendemain. Vous voudrez bien indiquer le plus rapidement à mes services le nombre de candidats concernés ».

Il s’agit d’une directive (« devront ») parfaitement illégale. En effet :

  • elle porte atteinte aux droits fondamentaux. En effet, la « liberté de pensée, de conscience, de religion »1 comporte également, selon la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), un « aspect négatif » : le droit de ne pas être obligé de déclarer sa religion2.
  • elle impose aux proviseurs de discriminer les élèves en fonction de leur religion supposée (ou déclarée) —ordre auquel ils doivent refuser de déférer, car il est contraire à la loi (art. 225-1 à 225-4 du Code pénal).
  • elle perturbe l’ordre public scolaire, et le bon fonctionnement du service public.

Le SNPDEN (Syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale) a d’ailleurs soulevé les deux derniers points.
Quant à Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, il n’a pas hésité à déclarer au journal Le Parisien : « Il n’y a pas lieu pour la Maison des examens de proposer une éventuelle adaptation en amont, qui assigne les élèves à leurs pratiques religieuses. » (…) « L’administration n’a pas à anticiper les éventuelles demandes, pour la bonne raison que cette démarche revient à assigner les élèves à leurs pratiques religieuses. C’est contraire à l’approche laïque ». On saluera cette réaction ferme et rigoureuse, appuyée depuis par le Président de l’ODL, Jean-Louis Bianco.

L’UFAL, de son côté, a réagi de même dans une interview au Figaro-Étudiant :

« On anticipe une revendication qui n’a pas encore été formulée : l’administration fabrique elle-même le problème, on marche sur la tête ! », s’indigne Charles Arambourou, responsable laïcité de l’Union des familles laïques (Ufal). (…) « Sous couvert de respect des religions, on aboutit en réalité à ficher les élèves en fonction de la leur, ce qui est clairement discriminatoire ! », juge l’Ufal.

Faut-il que l’administration ignore la laïcité pour mettre d’accord l’UFAL et l’Observatoire de la laïcité !

Mais allons plus loin, puisque certains ont soutenu que la Maison des examens aurait appliqué « une loi » (!) ou « un texte voté par la droite ». Or le texte en question est… tenez-vous bien, la circulaire du 18 mai 2004 pour la mise en œuvre de la loi du 15 mars 2004 réglementant le port de signes religieux par les élèves des écoles publiques (votée par la droite et la gauche républicaines) ! Que dit-elle ?

« (…) L’institution scolaire et universitaire, de son côté, doit prendre les dispositions nécessaires pour qu’aucun examen ni aucune épreuve importante ne soient organisés le jour de ces grandes fêtes religieuses. »

Observons qu’il s’agit d’une circulaire d’application : elle n’a donc pas le pouvoir d’ajouter à la loi une obligation supplémentaire. Le verbe « doit » s’interprète donc de façon toute relative comme une simple directive interne à l’administration : il eût été préférable d’ajouter « dans la mesure du possible »3.

En effet, selon le directeur de la Maison des examens, « Comme la date de l’Aïd-el-Fitr n’est décidée que quelques jours avant, elle n’a pas pu être prise en compte dans le calendrier du bac établi des mois à l’avance ». Face à une telle impossibilité, la solution était donc de ne pas modifier ce calendrier, la perturbation en résultant pouvant porter atteinte aux droits et libertés de l’ensemble des autres élèves, et revêtant ainsi un « caractère disproportionné » — ce sont les termes de la jurisprudence de la CEDH. Ainsi, un avocat italien de confession israélite n’a pu exiger, au nom de sa pratique religieuse, le report d’une audience fixée le jour du Kippour4.

Nous faisons nôtre sans hésitation l’affirmation suivante, émanant « d’une source proche de l’Observatoire de la Laïcité » : « Les convictions religieuses ne sauraient être opposées ni à l’obligation d’assiduité ni aux modalités d’un examen. »

Mais qu’il nous soit permis de penser (in cauda venenum) qu’à force de répéter que la France n’aurait pas de problème avec sa laïcité et que toute intervention législative ou réglementaire nouvelle en la matière serait forcément contre-productive, on a instillé, notamment dans l’administration, une culture du principe de précaution qui conduit à anticiper la moindre demande possible, même non formulée, dès qu’elle a un soupçon de caractère religieux !

  1. Art. 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. []
  2. Cf. CEDH, 17 février 2011, Wasmuth c. Allemagne. []
  3. Comme le font les textes administratifs relatifs, notamment, à la prise en compte des demandes religieuses particulières des patients les hôpitaux publics (alimentation, consultation d’un médecin d’un sexe donné, etc.) []
  4. CEDH, 3 avril 2012, Francesco Sessa c. Italie []
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Nous avons aimé

par ReSPUBLICA

 

1/ Une interview d’Annie Thébaud-Mony par Médiapart : « L’Etat protège les intérêts des coupables » où il est question d’amiante, mais aussi de pesticides, de nucléaire… Le PDF
La Cour de cassation a cassé le non-lieu obtenu par le dernier PDG d’Amisol, cette usine de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) emblématique du scandale de l’amiante. Si la lutte pour l’inscription du risque industriel comme crime social et environnemental dans le code pénal se mène en premier lieu devant les tribunaux la sociologue de la santé au travail Annie Thébaud-Mony reste inquiète « de la violence qui ne cesse de se développer » contre les travailleurs.
Voir aussi un court film sur  : https://vimeo.com/153098095

2/ Sur le revenu universel, Denis Collin sur le blog La Sociale : « La question du revenu universel est à nouveau sur le tapis. Défendue par les courants hostiles au travail, par tous les partisans de la « fin du travail », la revendication d’un revenu universel pour tous est aussi soutenue par de nombreux libéraux. Le revenu universel se substituerait dans leur esprit à toutes les prestations sociales et pourrait permettre, paradoxalement en apparence, de balayer l’édifice de « l’État providence » et du code du travail. Je donne ici un extrait consacré à cette question dans mon livre Morale et Justice Sociale (Seuil, 2001). J’y qualifiais le revenu universel de « petit paradis néolibéral de gauche. » Je n’ai rien à changer. »
Lire la suite : http://la-sociale.viabloga.com/news/le-revenu-universel-est-il-une-mesure-de-gauche (28 avril 2016)



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