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Chronique d'Evariste
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Baisse du déficit de la Sécu : le gouvernement se gargarise, les pauvres trinquent !

par Évariste

 

« Je suis en mesure de vous annoncer que les résultats de 2016 seront encore meilleurs que ce qu’on avait envisagé en juin grâce aux efforts que nous poursuivons. L’horizon du rétablissement complet de la Sécu, de l’équilibre des comptes de la Sécu, ce n’est plus une utopie, il est à portée de main (…), pas pour 2016, mais très vite », ainsi s’est exprimée Marisol Touraine avec une emphase digne de Mme El Khomri lorsqu’elle défendait le caractère émancipateur de sa loi.

D’après les prévisions de la Commission des comptes de la Sécurité sociale (CCSS), la branche Retraites serait excédentaire de 500 millions, la branche AT-MP de 500 millions, la branche Famille aurait un déficit de 1 milliard et l’Assurance-maladie d’environ 5,2 milliards. Le déficit total serait alors le plus faible de ces dernières années.

En fait, il y a deux façons de lutter contre le « trou de la Sécu », par le haut en répondant aux besoins sociaux1, soit par le bas en augmentant les inégalités sociales de santé et de protection sociale.

En fait, le mouvement réformateur néolibéral fait le second choix car il a inventé la solution à tous les problèmes de déficit : il suffit de restreindre les dépenses utiles et nécessaires pour les citoyens et leurs familles aux fins d’augmenter les inégalités sociales de revenus, de logement, de santé, de retraites, et d’une façon générale de toute la protection sociale. Comme depuis trente-trois ans, chaque gouvernement a fait pire pour les travailleurs que le précédent, on, voit bien là le projet commun aux néolibéraux solfériniens et de la droite.

Après le BIP 40 et les travaux de l’IRDES, voici le baromètre « IPSOS-Secours populaire »

Au moment même où Mme la ministre développait sa méthode Coué, le baromètre IPSOS-Secours populaire était publié. Et là il y a de quoi alimenter la contre-offensive contre ces ministres néolibéraux qui font passer toute aggravation des politiques austéritaires pour une mesure émancipatrice.

La moitié des Français gagnant moins de 1 200 euros net par mois renonce ou repousse une consultation chez le dentiste (+ 22 points par rapport à 2008 !), 39 % ont renoncé ou repoussé une consultation chez un ophtalmologiste (+ 9 points par rapport à 2008 !), 64 % estiment avoir eu des difficultés pour payer des actes médicaux mal remboursés par la Sécu, 53 % ont des difficultés à payer leur complémentaire santé, 48 % n’ont pas une alimentation saine.

68% des Français estiment que les inégalités sociales de toute nature ont fortement augmenté et 38 % des sondés ont connu la pauvreté (+ 3 points depuis 2015). Qui sont les plus touchés ? les femmes, les ouvriers et les employés ! 55 % des sondés estiment être menacés par la pauvreté. (+ 10 points par rapport à 2007). 83 % des sondés estiment que cela sera pire pour leurs enfants. Si on ajoute que le nombre de travailleurs pauvres augmentent à cause de la précarité, si on ajoute que la protection universelle maladie (PUMA) ne rembourse que la partie Sécu (et non le forfait journalier, les franchises, les dépassements, les participations forfaitaires, etc.), que la généralisation du tiers payant organise le prélèvement des sommes restés à charge sur les remboursements, on voit clairement la réalité matérielle du monde français comme il est.

La pauvreté revélée par l’Insee

Nous savons grâce à l’Insee qu’un million de personnes ont basculé dans la pauvreté en 10 ans. Ils sont maintenant 8,77 millions. C’est-à-dire qu’ils sont sous la barre des 60 % du revenu médian, soit aujourd’hui 1 008 euros pour une personne seule (voir l’INSEE pour le barème pour les familles monoparentales, couples sans enfants, couples avec enfants de moins de 14 ans, et couples avec enfants de plus de 14 ans). A noter que le Smic est à 1 150 euros ce qui montre qu’il ne constitue plus une arme suffisante contre la pauvreté ! Donc un Français sur sept (14 %) est en dessous du seuil de la pauvreté.

Et les contre-réformes néolibérales…

Depuis la réforme Balladur de 1993, les retraites ont déjà baissé de 20 points. Avec les dernières contre-réformes de 2010, 2013 ainsi que celles de l’Arrco et de l’Agirc, nous en serons dans quelques années à une baisse de 30 points.

Les dernières contre-réformes sur les allocations familiales ont baissé la masse des prestations et supprimé l’universalité de la prestation des allocations familiales.

Le déremboursement des soins hors ALD (Affections Longue Durée) a continué pour arriver à ce que la Sécurité sociale ne rembourse plus que 50 % du coût des soins, aboutissant à une croissance des inégalités sociales de santé

Les recettes de la Sécu en berne…

Une forte décélération de la croissance des cotisations sociales (+ 0,6 % pour une croissance de la masse salariale de 1,2 %) empêche la Sécurité sociale de répondre aux besoins sociaux du fait de l’accentuation des dispositifs d’exonération consentis dans le cadre du pacte de responsabilité et qui portent uniquement sur la part patronale. Les recettes de la branche Famille ont été sacrifiées par la baisse des cotisations familiales qui expliquent à elles seules le déficit de cette branche.

Transfert des cotisations patronales vers l’impôt des travailleurs

En revanche les cotisations salariales progressent de 3,5 %, de même que la CSG sur les revenus d’activité et de remplacement, ce qui prouve bien qu’on a orchestré un transfert de financement massif du patronat vers les travailleurs et vers l’impôt car, outre la CSG, les recettes fiscales affectées progressent dans le même temps de 3,1 % : il s’agit d’une double peine.

Et taxation d’une partie des anciens ayants droit…

Concernant l’assurance maladie, peu de commentaires hormis à la CGT, concernant la réforme PUMA (Protection universelle maladie) qui constitue pourtant une révolution considérable en mettant fin au caractère familial de l’affiliation : fin de la notion d’ayant droit, l’un des fondements de la Sécurité sociale, ce qui sert à justifie un renforcement de la part de l’impôt dans le financement de l’assurance maladie. A noter que désormais des assurés dans le cadre de la PUMA, auparavant ayants droit seront assujettis de la taxe de 8 % sur leurs revenus imposables dès lors qu’ils dépasseront le plafond de 9 654 €.

Que faire ? les dégager ! donc, construire un processus alternatif

Si on les laisse faire, ils vont réussir à supprimer le déficit de la Sécu mais au prix d’un accroissement phénoménal de la pauvreté, du chômage, de la précarité, du communautarisme, des intégrismes, des zones de non droit, d’une école des compétences sans les connaissances et sans l’ascenseur social, des services publics et de la protection sociale de plus en plus privatisés, de la gentrification, de la ségrégation, etc.

Tout cela doit être mis en débat dans le peuple. Donc développons une éducation populaire refondée pour mener la bataille de l’hégémonie culturelle. C’est le troisième pilier de l’émancipation à côté de l’action syndicale d’abord, partisane ensuite.

  1. Voir nos ouvrages sur http://www.gaucherepublicaine.org/librairie []
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Archaïsme et libéralisme économique : le libre échange

par Pierre Mascomère

 

Traiter d’archaïques leurs opposants est une constante chez les partisans du libéralisme économique. Élément de communication électorale certes mais pas seulement. En effet, nombre de libéraux et néo libéraux le pensent effectivement, faute d’avoir réfléchi à la question. Et pourtant, non seulement ils proposent et mettent en œuvre des thèses totalement dépassées mais encore ils veulent revenir au XIXe siècle pour les conditions de travail. Vous avez dit archaïques ?

Le libre échange qu’ils prônent en permanence est, à cet égard, un excellent exemple.

L’agitation actuelle étrange et bien suspecte1 du gouvernement français sur le Traité Transatlantique, contraste avec l’attitude passée de non communication sur ce sujet.

Cette agitation et les commentaires que cette agitation suscite à la Commission de Bruxelles, dans les autres pays de l’UE et dans les médias2 met bien en lumière la volonté de libre échange des partisans du libéralisme économique.

Il faut se rappeler que le libre échange est une théorie du… XVIIIe siècle !

A l’époque, entre deux produits de deux pays du Monde, jouaient surtout une différence dans le climat de ces pays et un décalage des techniques.

Aujourd’hui, c’est une masse de produits largement standardisés qui circule. Que ces produits soient faits en Chine par exemple ou en France, la différence porte essentiellement sur le « coût » du travail dans chacun des pays et les normes de pollutions respectives à respecter.

A part ces produits standardisés, restent bien sur les échanges concernant des produits qui requièrent un savoir faire spécifique ou une invention.

Les libéraux et néo-libéraux sont très désireux du libre échange le plus élargi possible. C’est en effet le moyen de trouver sans contrainte, des lieux de production où le travail est moins « coûteux » et où on peut produire avec des normes de pollution réduites. Il est ainsi possible – et toute l’actualité le démontre – de peser sur les conditions de travail et les normes.

C’est pour cela que les libéraux et néo libéraux au pouvoir négocient sans relâche des traités dits commerciaux, souvent d’ailleurs, au nom de peuples qui ne leur ont même pas donné mandat à ce sujet.

En plus de la tendance à l’alignement vers le « bas » des coûts du travail et des normes, les multi nationales à l’œuvre jouent d’abord sur ces différences pour écouler vers les pays « hauts » leurs production réalisée dans les pays « bas ». Pour maintenir le plus longtemps possible ces différences, ces multinationales n’hésitent pas à mettre les pays « bas » en concurrence entre eux. Bien souvent, elles interviennent sans vergogne dans les affaires intérieures de ces pays. A moins que ce soient directement les Pays dont elles relèvent qui le fassent pour maintenir « leurs intérêts », voile pudique pour dire les intérêts de ces multinationales3.

Pour une part au moins cela conduit à une désindustrialisation des pays « hauts » et réduit les pays « bas » à un rôle de fournisseurs de matière première.

Les travailleurs des pays « bas » sont exploités au profit des des pays « hauts » (d’abord au profit des multinationales concernées d’ailleurs) alors même qu’il faudrait développer en priorité le marché intérieur de ces pays « bas ». Mais cela provoquerait une élévation trop rapide des « coûts » dans ces pays malvenue sans doute pour les multinationales concernées.

Pourtant chaque pays devrait s’efforcer d’atteindre sa souveraineté alimentaire et industrielle.

Produire à un bout de la planète et consommer à l’autre des produits standardisés entraîne, en plus d’une pollution supplémentaire, une activité de transport inutile et sans valeur ajoutée pour l’intérêt général.

Même à l’intérieur d’un pays, à l’heure actuelle, la tendance va vers une consommation de ce que l’on produit localement.

Certes libéraux et néo-libéraux, à toute atteinte au libre échange tel qu’ils l’envisagent, crieront à la fermeture des frontières. Et il est vrai qu’un pays qui se priverait des inventions et innovations des autres pays serait vite sur le déclin. Mais cela n’a rien à voir avec les coûts salariaux et les normes.

Bien sûr un pays qui achètera des biens innovants -supposons des avions par exemple..- demandera en contrepartie qu’une part de la production, la plus large possible, soit réalisée dans le pays même et que des produits soient achetés en échange dans le pays.

Cette démarche est parfaitement logique. Tout Traité commercial devra prévoir, à coté de la mise à égalité des coûts et normes -travail et pollution-, le cas des produits avec innovation ou invention et les termes de l’échange.

Il s’agira de Traité commercial et de coopération – l’intérêt des travailleurs de chaque pays devant être pris en compte – et non de Traité, comme le projet Transatlantique actuel, marquant la supériorité, l’ hégémonie des multinationales.

Rappelons que B. Obama, à propos de la signature du dernier Traité États-Unis / Pacifique a pu indiqué sans vergogne: cela marque «  le leadership » des États-Unis !

Non seulement ce sont bien les libéraux et néo-libéraux qui sont archaïques, mais leur politique de libre échange sans règle ne vise qu’à favoriser les multinationales au détriment des populations des différents pays.

  1. Après des années de secret sur la négociation de ce Traité, le gouvernement français demanderait un arrêt des négociations, maintenant que ce Traité est mis en lumière, et contrairement à sa position passée.
    Pendant la campagne des primaires aux EU, Clinton, Sanders et Trump ont largement critiqué ces Traités pour leurs conséquences néfastes vis-à-vis des populations… Pour autant il se prononcerait en faveur de la ratification du Traité Canada/Union européenne !
    Pendant la campagne des primaires aux EU, Clinton, Sanders et Trump ont largement critiqué ces traités pour leurs conséquences néfastes vis à vis des populations… []
  2. Par exemple les réactions du Monde, notamment celle du 2 septembre. []
  3. Sans revenir sur la multinationale United Fruit et le Guatemala, on peut relever la très vive réaction des États-Unis quant à l’amende infligée à Apple par la commission de Bruxelles et l’Irlande. []
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Désindustrialisation de la France et cadeaux au patronat en hausse !

par Bernard Teper

 

Article publié dans le quotidien Le Progrès Social du 2 septembre 2016.

Petit à petit, la France s’est tiré une balle dans le pied par l’accélération de sa désindustrialisation. Les néolibéraux français ont cru qu’en accélérant la désindustrialisation de la France, ils allaient pouvoir se focaliser sur les services et lutter ainsi contre la baisse des taux de profit qui avait surgi à la fin des années 60. Giscard d’Estaing et tous ses successeurs à la présidence de la République jusqu’à nos jours ont favorisé cette politique. Malgré le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et l’ensemble du Pacte de responsabilité de François Hollande, c’est l’industrie qui fait augmenter le déficit de la balance commerciale de la France. En fait, des dizaines de milliards d’argent public en pure perte pour la France sauf pour la poche des patrons. Au premier semestre 2016, le déficit est monté à 24 milliards d’euros (+ 1,5 % par rapport au premier semestre 2015). En un mot, c’est un fiasco ! Malgré la baisse du prix du baril de pétrole de 15 % dans le deuxième semestre 2015 et de nouveau de 21 % durant le premier semestre 2016 (pour un allégement de 4 milliards du coût de l’énergie), le déficit des échanges des produits manufacturés a augmenté de 4,5 milliards. Comme François Hollande n’a pas assez vendu d’avions aux financeurs et soutiens directs ou indirects des islamistes (Arabie saoudite, Qatar et autres monarchies pétrolières, Turquie, etc.), que l’excédent des ventes agroalimentaires diminue, que les déficits augmentent en chimie, dans l’automobile, dans les machines-outils, etc., le désastre est patent.
Mais la direction solférinienne est tellement persuadée de la justesse de son dogme religieux néolibéral, qu’ils ont décidé d’intensifier la politique qui ne porte pas ses fruits sauf qu’ils alimentent les poches du patronat sans contreparties (serait-ce le but caché ?). Alors qu’au départ, le CICE était un crédit d’impôt avec comme assiette la somme des rémunérations versées dans la limite de 2,5 fois le SMIC et comme taux 4 %. Ce taux est passé à 6 % en janvier 2014 et François Hollande souhaite augmenter le cadeau au patronat en le passant à 7 % ! Voilà comment le cadeau au patronat via le CICE est passé de 11,3 milliards en 2013, 18,1 milliards en 2014, 18,7 milliards en 2015, 19,2 milliards en 2016, 23 milliards en 2017. L’année électorale a du bon pour le patronat ! Le rapport sénatorial présenté par la sénatrice communiste Mme Beaufils dit dans le langage châtié de la Haute assemblée que le CICE est un « outil complexe, dispersé, et à l’efficacité incertaine » ou encore qu’une note de la Direction générale des finances publiques du 9 juillet 2013 stipule qu’« aucun rappel ne pourra être motivé par une utilisation à des fins autres que celles énoncées dans la loi »!

Que faire ?

Outre que ces cadeaux au patronat n’ont aucun effet positif sur l’économie mais sont un pur produit de la lutte des classes favorable aujourd’hui au patronat, nous pouvons dire qu’il n’y aura pas de transformation sociale et politique sans une nouvelle politique de réindustrialisation de la France. Bien évidemment cette réindustrialisation devra s’effectuer avec la nécessaire rupture écologique et sa transition énergétique. Mais nous pouvons voir que peu de débats ont lieu sur cette nécessaire réindustrialisation de la France dans la gauche en général et dans la gauche de la gauche en particulier. Il suffit de regarder les ordres du jour des universités d’été pour voir que ce débat est quasiment absent des préoccupations militantes aujourd’hui. Avec la laïcité, l’école, les services publics, la protection sociale, le fossé existant entre les partis et les couches populaires ouvrières et employées, le déficit des pratiques d’éducation populaire refondée, la double besogne, la stratégie de l’évolution révolutionnaire, la République sociale, la politique industrielle est un des nombreux débats qui sortent du conformisme des débats secondaires dont la période estivale nous a gratifiés.

Société
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Ensemble, mais séparés ?

par Descartes

 
Nous reproduisons cet intéressant article bien qu’on puisse trouver excessive la phrase : « Le burkini – comme le voile – n’ont rien à voir avec la laïcité ou la condition de la femme. » Dans l’optique adoptée par l’auteur, cette formule se comprend, mais dans l’absolu bien sûr les points de vue laïques et féministes y apportent un éclairage complémentaire. (NDLR)

« Un problème bien posé est à moitié résolu » (H. Bergson)

Il fut un temps ou les polémiques de l’été touchaient des questions banales. C’était « topless or not topless ? » plutôt que « burkini or not burkini », et les affaires se réglaient rarement devant le Conseil d’Etat. Hélas, trois fois hélas, le temps de l’insouciance est bien derrière nous, et en cette fin d’août des gens qui auraient mieux fait de passer leurs jours les pieds en éventail jouissant du dolce farniente ont préféré passer par les prétoires pour défendre la liberté absolue de chacun d’entre nous de couvrir son corps de la tête aux pieds lors de la baignade.

Pourtant, cela fait de longues années que des arrêtés concernant les « tenues décentes » sont en vigueur dans de nombreuses cités balnéaires. Des arrêtés qui interdisent de se promener en maillot de bain en dehors de la plage, par exemple. A ma connaissance, aucun de ces arrêtés – qui portent une atteinte évidente au « droit d’aller et venir » dont le Conseil d’Etat se fait le gardien – n’a jamais été attaqué, tout simplement parce que tout le monde – y compris ceux qui aimeraient aller en maillot de bain au restaurant ou au concert – acceptent qu’il y a dans notre société des règles de coexistence, qui se manifestent par exemple dans le fait que certaines tenues sont adaptées à certaines circonstances et à certains contextes. Lorsque l’évêque décide de faire un petit plongeon dans la grande bleue, il laisse sa mitre à l’église, et met un maillot de bain comme tout le monde. Et il n’y a pas besoin d’arrêté municipal qui lui interdise de porter ses vêtements sacerdotaux à la plage : le regard de l’autre, la peur du ridicule est bien plus efficace que celle des gendarmes.

Mais pour que je ressente le regard de l’autre, encore faut-il que l’opinion de cet « autre » m’importe. Et c’est un peu cette contradiction que l’affaire du « burkini » met en évidence. D’un côté, une société qui avance à grand pas vers un état ou seul mon propre regard compte, et l’autre n’a qu’aller se faire cuire un œuf. En d’autres termes, une société où je suis le seul juge de moi-même, et où tous les autres – politiques, professeurs, opinion publique – sont priés de garder leur opinion pour eux. Mais d’un autre côté, cette insensibilité à l’opinion de l’autre en général s’accompagne d’une hypersensibilité à l’opinion des membres de ma tribu, de mes pairs, de mes « amis » façon facebook. Et surtout, des membres de ma communauté. Celle qui ose défier l’ensemble de la collectivité en portant le voile intégral n’ose pas l’enlever de peur de ce que dirait sa « communauté » ou sa famille.

On a tort de lier le phénomène communautaire à l’immigration. Il existe depuis bien longtemps des « communautés » parfaitement autochtones. Il y a « communauté » là où il y a une collectivité humaine dont les membres partagent des habitudes, des croyances, des règles, une sociabilité particulière, qui aboutissent à la création de solidarités exclusives. Les chasseurs, les skinheads, les militants de certains partis politiques constituent des « communautés ». Cependant, dans ce système les « communautés » issues de l’immigration ont un statut particulier. Cela tient au fait que personne ne naît chasseur ou skinhead, et que tout le monde peut le devenir. En d’autres termes, il s’agit de collectivités d’élection. Leur frontière avec l’ensemble de la collectivité sont perméables. Mais surtout, ces collectivités n’ont pas la prétention – ni les moyens – de proposer une alternative à la collectivité nationale. Elles offrent un complément de sociabilité à personnes déjà socialisées dans une collectivité plus vaste. Les « communautés » issues de l’immigration ont cela de particulier qu’elles constituent une projection d’une société fonctionnelle existant ailleurs, et pour cette raison elles offrent une alternative complète aux règles, aux habitudes, à la sociabilité de la collectivité d’accueil. C’est pour cela qu’elles entrent inévitablement en conflit avec celle-ci, qui a ses propres règles, sa propre sociabilité, ses propres habitudes et qui a les moyens de les imposer.

Il y a chez l’être humain un réflexe de conservation qui nous pousse à préserver les cadres dans lesquels nous avons été élevés et qui nous ont fait tels que nous sommes. C’est pourquoi les « communautés » immigrées craignent avant tout l’assimilation. Car l’assimilation marque la disparition de la « communauté » en tant qu’objet de la sphère publique en rangeant les origines dans le domaine du privé. Les « communautés » développent donc des mécanismes de défense pour empêcher l’assimilation de leurs membres. Et le mécanisme le plus évident est celui qu’on pourrait appeler le mécanisme de séparation. Il consiste en un ensemble de mesures, de règles, d’obligations qui font que les membres de la « communauté » vivent entre eux, séparés du reste de la collectivité d’accueil. Cette séparation peut être obtenue de différentes manières : par l’endogamie, par la concentration géographique suivie d’une occupation du terrain qui fait partir les non-membres de la « communauté » ; par le port de signes apparents destinés à marquer l’appartenance ; par l’observation pointilleuse de règles limitant le contact physique, la pratique de certaines activités sociales et sportives, la consommation de certains mets. Et le tout accompagné d’une attitude agressive refusant tout compromis, de nature à provoquer chez l’autre le rejet. Car il faut toujours garder en tête que le but de ces comportements n’est pas de se faire accepter, mais de se faire exclure, cette exclusion étant la plus sure manière de protéger la « communauté » des influences corruptrices de la société d’accueil. Rien ne protège mieux l’unité d’une communauté que la conviction d’être une forteresse assiégée.

Ce raisonnement explique pourquoi ces « communautés » observent souvent les préceptes sociaux et religieux de leur société d’origine bien plus strictement, plus rigoureusement, plus agressivement dans le pays d’accueil qu’ils ne le faisaient dans le pays d’origine, et que cet intégrisme soit plus présent chez les jeunes nés dans le pays d’accueil – et dont l’identité communautaire est plus faible – alors qu’il est absent chez les immigrants de la première génération, formés dans leur société d’origine et craignant moins la perte des « racines ».

Ces questions ont été particulièrement analysées par les philosophes juifs qui se sont penchés sur leur propre communauté. Car s’il est une « communauté » qui a de l’expérience dans la préservation d’une vie communautaire au sein d’une société d’accueil différente, c’est bien la communauté juive. La grande bataille au sein des juifs français est depuis longtemps celle qui oppose – très violemment quelquefois – les « assimilationnistes » aux « traditionnalistes », les seconds reprochant aux premiers de mettre en danger l’existence même d’une culture juive qui ne peut subsister pour eux sans une séparation stricte – qui implique paradoxalement un certain antisémitisme comme l’avait fort justement analysé Sartre. L’agressivité des expressions du CRIF n’est en rien le fruit du hasard. Elle a la même fonction que la « burkini » ou les prières de rue islamiques : provoquer un rejet qui à son tour isole la « communauté » pour la protéger de l’assimilation. C’est pourquoi les organismes comme le CRIF alimentent l’antisémitisme autant qu’ils le combattent.

Il y a dans l’affaire de la burkini – que ce soit chez les partisans ou chez les adversaires de l’interdiction – une incompréhension fondamentale qui obscurcit tout le débat. La burkini – comme le voile – n’ont rien à voir avec la laïcité ou la condition de la femme. L’objectif de ces symboles est tout autre : c’est de séparer ceux qui sont dans la « communauté » de ceux qui sont en dehors, et d’empêcher les règles de la sociabilité française de supplanter celles héritées de la tradition des pays d’origine. Le burkini, le voile – mais aussi le Ramadan et toute la batterie d’interdits alimentaires, sociaux et sexuels – sont une sorte de « mur de Berlin » dressé autour de la « communauté » pour empêcher les estrangers d’y rentrer et les membres d’en sortir. Combien de collègues hésitent à inviter un musulman ou un juif à leur table, ne sachant pas ce qu’on peut ou non leur servir, ce qu’ils peuvent ou non faire à telle ou telle date ?

Est-ce grave, docteur ? Après tout, diront certains, quel est le problème si les gens veulent vivre séparés les uns des autres ? Pourquoi obliger tout le monde à dialoguer, pourquoi socialiser les gens de force si certains veulent s’isoler et vivre exclusivement avec des gens qui leur ressemblent ? Dans la réponse à cette question, il y a implicite un choix de société. Dans notre pays, nous avons mis en place toutes sortes de mécanismes de solidarité et de redistribution : nous avons fait en sorte que le prix de l’électricité ou celui du timbre soit le même partout – ce qui revient à faire payer plus certains, les clients « rentables », pour que d’autres, les « non-rentables », aient la même qualité de service. Chez nous, les citoyens des régions riches continuent à payer pour que les citoyens des régions plus pauvres aient un niveau de vie raisonnable, et c’est la solidarité nationale qui prend en charge les habitants lorsqu’une région est sinistrée, que ce soit par un évènement accidentel ou par une mutation économique. Or, il faut bien comprendre que ces mécanismes n’existent pas ailleurs. En Grande-Bretagne, aux Etats-Unis le mot « péréquation » n’existe pas, et lorsqu’on leur explique en quoi ça consiste, ils sont toujours surpris que les gens acceptent de payer des impôts pour les autres. Car dans ces pays, la solidarité passe essentiellement par la charité. Et c’est là toute la différence : dans la charité, celui qui la fait peut choisir ses pauvres.

Si l’on accepte chez nous ce mode de solidarité inconditionnel et impersonnel, cela tient beaucoup à ce « monisme jacobin » qu’on critique tant. Les citoyens de l’Ile de France acceptent de payer pour ceux de la Corse, les consommateurs urbains d’électricité acceptent de payer pour les campagnes parce qu’ils se sentent membres d’une collectivité nationale, avant d’être membres de telle ou telle « communauté ». Et s’ils se sentent ainsi, c’est parce qu’ils partagent des règles, des institutions, une langue, une sociabilité raisonnablement uniformes et acceptées par tous. Aller vers une société « communautaire », c’est renoncer à cette logique pour adopter celle d’une société fragmentée ou la seule solidarité qui vaille est celle qui s’exprime à l’intérieur de votre « communauté », et ou le débat politique consiste essentiellement à un arbitrage permanent entre les revendications contradictoires des structures communautaires.

Personnellement, ce n’est pas le genre de société que je voudrais ni pour moi, ni pour mes enfants. Je préfère la solidarité nationale, qui par définition est inconditionnelle et impersonnelle, à la solidarité des « communautés » qui, parce qu’elle est conditionnelle et personnelle, donne à la « communauté » un énorme pouvoir sur l’individu. On est citoyen dans la nation, on n’est jamais que « sujet » dans sa « communauté ». Je préfère la politique qui se fait dans un débat entre citoyens à la politique paranoïaque qui résulte de l’affrontement permanent de « communautés » toujours promptes à se poser en victimes pour mieux ressouder leur unité. Je préfère la société ou je peux serrer la main de l’autre ou l’inviter à ma table sans avoir à me demander si ces gestes ne l’offenseront pas.

Les arrêtés anti-burkini ne sont pas une solution. Mais ils ont le mérite de poser le problème. Sommes-nous prêts à accepter une société fractionnée en « communautés », chacune dressant autour d’elle des murs – fussent-ils en tissu – pour s’isoler de l’extérieur ? Et bien, s’il n’y a pas une véritable pression pour l’assimilation, si on laisse se développer les tentatives séparatistes, c’est exactement ce qui nous arrivera. Et plus la société sera fragmentée, moins les mécanismes de solidarité liés à la collectivité nationale seront légitimes et plus ceux qui veulent les démanteler eux trouveront un terreau favorable. C’est cela qui explique pourquoi nos chères « classes moyennes », qui se pourlèchent déjà les babines à l’idée qu’elles n’auraient plus à payer pour les écoles, les hôpitaux, l’électricité des pauvres, se sont si facilement converties à la vision « séparatiste » de la société.

Déjà en 1667, dans son « Essai sur la tolérance », Locke pose le débat : « Il est dangereux qu’un grand nombre d’hommes manifestent ainsi leur singularité quelle que soit par ailleurs leur opinion. Il en irait de même pour toute mode vestimentaire par laquelle on tenterait de se distinguer du magistrat et de ceux qui le soutiennent ; lorsqu’elle se répand et devient un signe de ralliement pour un grand nombre de gens (…) le magistrat ne pourrait-il pas en prendre ombrage, et ne pourrait-il pas user de punitions pour interdire cette mode, non parce qu’elle serait illégitime, mais à raison des dangers dont elle pourrait être la cause?». Je ne sais si les membres du Conseil d’Etat on relu Locke avant de prendre leur décision sur le « burkini », mais toute la problématique est là. Et Locke, dans une Angleterre qui sortait d’une guerre civile entre factions « séparatistes » savait de quel danger il parlait. Le problème est que la France de 2016 est juridiquement très mal outillée pour combattre ces tendances, parce que nous n’avons pas une expérience récente de ce type de phénomène. Pendant les deux derniers siècles, les membres des « communautés » se sont plutôt battus pour être reconnus français « comme les autres » – l’expression elle-même est révélatrice – en effaçant lorsque c’était possible les signes de reconnaissance qui pouvaient les identifier. Et les tentatives de séparatisme culturel ont été ponctuelles et relevaient plus du folklore qu’autre chose. Il nous faut remonter plus de deux siècles en arrière pour trouver une véritable volonté de séparation communautaire. Notre droit moderne, très libéral, a été construit en conséquence : il ne se pose jamais la question de la préservation des liens qui constituent la collectivité nationale, qui sont tenus comme allant de soi. Son seul but est la protection des droits individuels face à l’Etat, sans qu’il existe des sauvegardes lorsque l’action individuelle se met au service d’une aspiration communautaire.

Oui, le problème n’est pas simple. On aimerait que nos juristes, au lieu de se faire les défenseurs de principes immuables et sacrés, fassent au contraire preuve de créativité pour adapter le droit à la réalité, et non l’inverse. Il ne s’agit pas bien entendu de mettre en cause les libertés individuelles, mais de comprendre que la cohésion de la société est la condition nécessaire de leur exercice, et que cette cohésion est un sujet de protection juridique au même titre que les libertés de chacun. Sans sociabilité, il n’y a plus de société, et donc plus de droit. Quant à la LDH, elle ferait bien de réfléchir un peu à ses combats. Car qui est le véritable défenseur des droits de l’homme ? Celui qui défend le droit inaliénable de chacun d’entre nous de s’enfermer dans sa prison communautaire, de se condamner à une servitude fut-elle volontaire ? Ou celui qui au contraire veut sortir les gens des prisons, fussent-elles dorées, fussent-elles choisies ?

La question, vous le voyez, est complexe. Personnellement, je n’hésite pas un instant. Dans notre République, nul n’a le droit de se vendre lui-même comme esclave, nul n’a le droit de se mutiler, nul n’a le droit de choisir lui-même l’ignorance. C’est pour cela que nous avons aboli l’esclavage, que nous avons proclamé l’intangibilité du corps, et fondé l’école obligatoire. Et si la LDH veut défendre au nom de la liberté le droit inaliénable de l’individu de s’enfermer lui même dans une prison, ce sera sans moi.

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NVB : Agir contre la République

par Fatiha Boudjahlat

 
Commentaire de la Rédaction : L’école de Jules Ferry, c’était certes l’école de la revanche, mais ce n’était pas que cela. Elle était idéologique, coloniale même si on veut, mais elle dispensait aussi du savoir. Du savoir mâtiné d’idéologie, mais du savoir. Et le travail des enseignants de gauche a consisté à augmenter la part du savoir au détriment de la part idéologique.
Seulement, ce qui fait la fortune des libéro-libertaires, c’est l’idée accréditée que le savoir n’existe pas : il n’est qu’une forme d’idéologie, il est en soi une « violence symbolique ». Cet historicisme est fondamental dans le rapport Bourdieu-Gros, qu’on ne citera jamais assez. Nier la science, c’est une position obscurantiste. Evidemment, de la part de ces libéro-libertaires pétris de religiosité anglo-saxonne, ce n’est pas étonnant. Mais le marxisme étroit diffusé par le PCF et ses satellites a fait son oeuvre : j’ai longtemps entendu dans les années 70 et 80 dénigrer cette école bourgeoise, comme irrécupérable. En voilà la conséquence. JNL 

Lors de sa conférence de presse de rentrée, moment solennel, la Ministre Vallaud-Belkacem a tenu des propos sur lesquels il faut revenir : « L’école idéalisée de la IIIe République était-elle juste ? Capable de transmettre un attachement sincère aux valeurs républicaines, comme l’Histoire l’a montré en 1940 ? ». Derrière cette seconde phrase mal construite, dans l’ellipse vertigineuse de 60 ans et la dilution du contexte européen et mondial, se trouve toute l’idéologie indigéniste et misérabiliste à l’œuvre au Ministère de l’Éducation Nationale et dans la gauche socialiste.

Le point Godwin est atteint sans grande finesse. C’est l’école de la IIIe République qui aurait conduit à ou permis le régime de Vichy ? Qui serait responsable de la défaite ? Du vote des pleins pouvoirs à Pétain ? Du régime de la Collaboration ? C’est cocasse quand on sait que le Conseil d’État base ses avis sur le statut des parents accompagnateurs des sorties scolaires sur un avis émis le 22 Mars 1941, précisément sous Vichy… C’est cocasse quand on sait que cette école a aussi permis, s’il faut la rendre responsable de tout, l’arrivée au pouvoir du Front populaire. Cette école que Pétain s’est attaché à détruire, en raison même des principes que Ferry lui avait fixé.

L’école de la IIIe République, c’est celle de la mise en place d’un enseignement laïque, gratuit et obligatoire par les lois adoptées en 1881 et 1882. C’est cette école que la Ministre moque. La mise en série fait sens : cette Ministre qui a autorisé le port de signes religieux ostentatoires par les accompagnants scolaires. Cette Ministre qui s’est opposée à Manuel Valls sur le sens et la condamnation du burkini. Et si ce qui déplaisait le plus à la Ministre était précisément l’enseignement laïque, gratuit et obligatoire ? Cette déclaration n’est pas une maladresse, c’est l’illustration des choix idéologiques de la Ministre. Elle reprend en fait les critiques adressées à l’école par deux ouvrages emblématiques dont les auteurs ne veulent pas du bien à la France.

Le premier : L’école des réac-publicains ((Grégory Chambat, éd Libertalia, 2016)), sous-titré, tout en nuance, « La pédagogie noire du FN et des néoconservateurs ». Ce livre, produit du courant libéral-libertaire, prend comme adversaires absolus l’École de la IIIe République et Jules Ferry, à qui il est reproché « d’avoir voulu clore l’ère des révolutions », une école décrite comme laïque et colonisatrice, les deux allant de pair. L’auteur, qui ne trouve rien à redire à l’actuelle réforme du collège, écrit d’ailleurs que NVB est attaquée parce qu’elle est une femme, p. 145, puis parce qu’elle est arabe, p 157. Je n’aurai plus qu’à adresser ces deux reproches finauds à tous ceux qui me critiqueront. L’auteur oppose la République, notre République, qu’il qualifie de « nationaliste » à la « République universelle et sociale, celle dont rêvaient les communards avant d’être massacrés par les futurs fondateurs de la IIIe République et de son école… » L’école de Ferry se voulait «  garante de l’ordre social (…) s’appliquant à éduquer séparément les classes sociales » (p 27). C’est pourtant exactement ce que renforce la réforme du collège par la différentiation sociale des enseignements et la ghettoïsation, que la Ministre désignait sous l’aimable expression de « singularités territoriales ». « Instrument de la revanche nationale après la défaite de 1870, rempart contre la lutte des classes et la montée du socialisme, [l’école de Ferry] forge elle-même sa propre mythologie auprès des nouvelles générations élevées dans l’idéal éducatif d’une école « publique, gratuite, laïque et obligatoire ». La Ministre évoque précisément cette idéalisation qu’elle juge indue.

On retrouve cette aversion pour l’école de la IIIe République dans un autre ouvrage : Fatima moins bien notée que Marianne1, de F. Durpaire et B. Mabilon-Bonfils. Un extrait des plus significatifs se trouve à la page 10 : « Il y a une certaine manière de penser la République qui en fait un monolithe, où l’indivisibilité du collectif doit nécessairement passer par l’invisibilité des individus. Cette conception a été largement portée par l’école de la IIIe République. Chez Jules Ferry, qui fut l’un des pères fondateurs à la fois de l’école publique et de l’empire colonial, tous les peuples allaient, petit à petit, grâce à la Raison universelle transmise par l’école, accéder à la Civilisation universelle incarnée par la patrie des droits de l’homme… Il en était des enfants comme des colonisés ».
Cette école que ceux qualifiés de «  réactionnaires », de « conservateurs » et de «  racistes » veulent ambitieuse, exigeante, égale dans ses attentes, émancipatrice, ces auteurs et la Ministre n’en veulent pas. Eux la décrivent comme autoritaire, nationaliste, conservatrice, ségrégative, colonisatrice. M. Chamblat critique « cet élitisme [qui] ne dissimule même pas ce qu’il doit aux réflexes de classe à travers un éloge appuyé des inégalités et une défiance vis-à-vis de la démocratie teintée de germanophobie ». Le piège classique : l’accusation d’élitisme et de xénophobie. M. Durpaire et Mme Mabilon-Bonfils fustigent ce qu’ils décrivent comme de l’autoritarisme occidental refusant de prendre en compte les communautés et qui se traduit par «Le travail d’inculcation par le « haut » dans l’école, d’une mémoire collective, [qui] correspond à une œuvre de réduction des « indigènes», avec toujours cette haine de la laïcité. Elle est qualifiée par les auteurs de : « conquérante », « d’instrument de conquête coloniale», d’«extensive », elle est « dévoyée» et « pour certains politiques [elle est] devenue un instrument d’agression des minorités ».

La cohérence idéologique est là. La laïcité, c’est la colonisation intérieure d’un État retrouvant ses « mâles accents » de la IIIe.Notre République est à amender. Le mot à la mode ? L’inclusion. Ce thème a même fait l’objet d’un rapport remis à Jean-Marc Ayrault en 2013, titré : La grande Nation. Pour une société inclusive. Son auteur ? Thierry Tuot, un conseiller d’État qui se trouve être également un des auteurs de l’avis du Conseil d’État invalidant l’arrêté anti-burkini. Cohérence, cohérence… En voici un extrait, savoureux : « Encore plus périphérique et stratosphérique même, l’invocation rituelle, chamanique, des Grands Concepts et Valeurs Suprêmes ! Empilons sans crainte –ni du ridicule ni de l’anachronisme !-les majuscules les plus sonores, clinquantes et rutilantes : Droits et Devoirs ! Citoyenneté !Œuvre ! Civilisation Française ! Patrie ! Identité ! France! ». Discours dont le conseiller moque « l’archaïsme et la boursouflure ». Yves Tuot préconise une «société inclusive, parce que la « société qui intègre se transforme autant qu’elle transforme». «Ne parlons pas à ceux qui peinent à s’intégrer avec des mots que nos manuels scolaires ont abandonné depuis cinquante ans. Nous sommes des générations de paix, de prospérité, d’Europe, de liberté : cessons de singer le discours martial de la revanche de 1870…». Où l’on retrouve les propos de l’ouvrage libéral-libertaire de Gregory Chamblat … sous la plume d’un haut-fonctionnaire. L’historien des séries TV américaines Durpaire et la sociologue Mabilon-Bonfils en appellent eux aussi à une « laïcité d’inclusion». C’est bien la République qui est visée. C’est bien le communautarisme qui est valorisé.
Cette ellipse faite par la Ministre entre l’école de la IIIe République et la défaite de 1940, ce lien fait avec Pétain, avec la collaboration, interrogent. La Ministre a fait rapatrier le bureau de Jean Zay lors de la commémoration de son exécution. Elle aurait mieux fait de lire l’ouvrage qu’il écrivit en détention2 Voici un passage entrant en résonance avec les propos de la Ministre, et qui illustre les dérives idéologiques de la gauche et de certains hauts-fonctionnaires comme le conseiller d’État M. Tuot: « Le manque de caractère dont ont fait preuve tant de hauts fonctionnaires républicains depuis Juin 1940, la facilité avec laquelle ils ont subi les nouveaux maîtres, assumé sans révolte de conscience toutes les besognes qu’on leur imposait, ont illustré tristement l’insuffisance de leur formation civique et professionnelle. La République a payé de leur reniement une de ses plus fâcheuses défaillances. Elle avait négligé de surveiller leur recrutement (…) : ils ne l’ont pas défendu. » Les hauts fonctionnaires de 1940 ont trahi, et ce n’est pas dû à l’école de la IIIe République, mais bien à une élite dans la reproduction et l’entre soi, et qui n’avaient pas besoin de l’école laïque, gratuite et obligatoire. Notre Ministre ne défend pas notre modèle républicain. Ses prédécesseurs et elle n’ont eu de cesse de détricoter cet instrument par excellence de l’égalité et de l’émancipation républicaine qu’est l’école publique et nationale.
Cette école qui est encore obligatoire, sauf pendant les fêtes religieuses. Qui est laïque, sauf pendant les sorties scolaires. Qui est gratuite pour les moins riches et les moins mobiles, parce le Ministère de l’Éducation Nationale aura tout fait pour inciter les parents de classe moyenne et supérieure à scolariser leurs enfants dans le privé. Cohérence, cohérence toujours. La sénatrice Benbassa, dans une interview donnée au site Oumma-TV du 16 Décembre 2005, observe que les parents juifs ont massivement quitté l’école publique pour scolariser leurs enfants dans les établissements privés confessionnels. Ce qui pour elle « contribue à réduire les cas d’antisémitisme. Elle ajoute que la solution aux difficultés liées à l’application de la laïcité réside « dans la mise en place d’écoles musulmanes ». C’est exactement ce qu’avait préconisé, il y a deux ans, un groupe de travail du PS, incluant deux secrétaires nationaux. Cette école qui reçoit chacun dans sa diversité et réunit les enfants dans un sentiment d’appartenance à une même Nation, dépassant les attaches communautaires, voilà l’ennemi. Cette école de la Nation ne peut contenter les contempteurs de la Nation.
L’école de la IIIe République était plus juste que celle que ce quinquennat socialiste aura laissé. Plus républicaine. Pourtant, cette école fustigée, c’est aussi celle du Front Populaire. Celle de Jean Zay donc, qui écrivait dans le même ouvrage : “La France de demain ne saurait penser à introduire le catéchisme politique, le militantisme partisan à l’école, comme Vichy n’a pas craint de le faire à l’imitation impie de Berlin et de Rome, mais elle devra chercher l’équilibre nécessaire entre la générosité de sa tradition culturelle et les nécessités vitales du monde moderne. Elle devra cimenter un corps de doctrines françaises, doctrines de la liberté et de la souveraineté populaire, des devoirs librement consentis et d’autant plus fidèlement remplis, les enseigner, les imposer, enrôler à leur service, boucher les fissures par où passaient les abandons et les trahisons, ne plus souffrir qu’on transige avec l’héritage de vie, exiger qu’on le défende comme le corps et l’âme de la patrie. »3
Il n’est pas question ici d’inclusion mais de ces grands mots critiqués par un Conseiller d’État censé défendre notre régime et notre Droit. Il n’est pas question ici d’accommodement, de pluralité de parcours. Cette école de la IIIe République, c’est celle que nous devons défendre. Cette école laïque, publique, gratuite et obligatoire est le lieu du brassage, de la rencontre, elle porte l’ambition que la Nation nourrit pour ses enfants. Elle fait l’objet d’attaques, du Ministère, pour des raisons idéologiques autant que budgétaires. De la part d’Islamistes et de Daesh, plus intéressés par la ghettoïsation ethnique et la mise en coupe réglée de la jeunesse. Notre école est celle de la République.

  1. Pour une laïcité d’inclusion, éditions de l’aube, 2016 []
  2. Souvenirs et solitude, Paris, Belin, 2010, p 367 à 369. []
  3. Souvenirs et solitude, 1943, Paris, Belin, 2010, p. 468. []
Courrier des lecteurs
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A propos de « Pour une école de l’exigence intellectuelle. Changer de paradigme pédagogique »,

par ReSPUBLICA

 

Objet : Recension du livre de Jean-Pierre Terrail,  par Alain Planche (dans le n° 820)

En grande partie d’accord avec l’article et je pense même que nous en sommes arrivés à un niveau difficilement rattrapable tant en matière de niveau que de ségrégation mais là comme ailleurs on fait l’autruche. Il est exact que les réformes calamiteuses n’ont jamais été sérieusement évaluées mais ses ont poursuivies en dépit du bon sens. On en voit le résultat aujourd’hui !

Mais à mon avis vous minimisez le rôle des parents ; lorsque j’étais encore en activité j’ai entendu de nombreuses fois des mères d’élèves de maternelle demander à leur rejeton « elle a été gentille la maîtresse ? ». Que devient l’autorité de l’enseignant ?

Pour en revenir aux réformes, j’ai quitté la France de 1962 à 73   pour enseigner en coopération et lorsque je suis revenu en plein dans les maths modernes, grammaire fonctionnelle, activités d’éveil je me suis demandé où allait notre pays et je me le demande encore ! Il me semblait souvent que mes collègues avaient perdu tout bon sens.

D’autres pays ont connu ces errements mais ils redressent la barre ; je doute que nous y arrivions aussi  car nous refusons de voir la réalité ; ce sont les classement qui sont fautifs, pas nous !

J. Champetier

Réponse de l’auteur de l’article, Alain Planche

Vous avez raison de mettre en valeur le rôle des parents dans ce que vous appelez avec quelque raison “l’évolution calamiteuse” de notre système éducatif, mais je vous rappelle que mon article est une note de lecture sur le livre de Jean-Pierre Terrail, Pour une école de l’exigence intellectuelle. Or, si Jean-Pierre Terrail n’ignore pas ce rôle des parents, il ne le minimise pas, ce n’est simplement pas l’objet de son livre, qui est centré sur le changement de paradigme pédagogique lui-même et non la recherche systématique des responsables de toutes les dérives actuelles. Il se contente donc de souligner que l’on ne peut pas comprendre les orientations pédagogiques modernes si on les isole des évolutions sociales que nous avons vécues depuis l’après-guerre, et notamment la  montée en puissance des nouvelles classes moyennes et des valeurs dont elles sont porteuses (conception de l’enfant comme sujet autonome, recours à la libre initiative et au jeu plus qu’à l’autorité, etc.).

Ceci dit, j’ajouterai de ma propre initiative que les associations de parents d’élèves ne sont sans doute pas très favorables à l’école de l’exigence intellectuelle que propose Jean-Pierre Terrail. J’ai donc, comme vous, beaucoup de doutes sur la possibilité de « redresser la barre ».

Commentaire de Jean-Noël Laurenti, membre de la Rédaction de ReSPUBLICA

Sans doute on peut déplorer l’attitude de bien des parents (pas tous). Mais pourquoi faudrait-il que le rôle des parents soit déterminants ? dans la destruction de l’autorité des enseignants, il ne l’est que grâce à l’aval de l’institution. Quand Jules Ferry a obligé tous les enfants à aller apprendre à lire et à écrire au lieu d’aller traire les vaches, c’était pour une grande part contre la volonté des parents. Si les parents bobos demandent à leur rejeton si la maîtresse a été gentille, c’est à l’Etat à faire comprendre à l’enfant que la maîtresse n’a pas à être gentille (ni méchante). Or les méthodes officielles, et même les programmes, imposent le ludique, la gentillesse, l'”empathie”, bref, ce qui relève de l’affectif et non de la formation de l’esprit critique. On peut même dire que les pédagogies officielles ont soufflé aux parents ce mépris de l’enseignant dont fait si largement preuve sa hiérarchie.
Si nous vivions dans un régime où prédomine le souci du bien public, évidemment les réformes devraient être évaluées. Mais dans le système actuel, pas plus que les “réformes” de la SNCF ou de la poste il n’est question de les évaluer, puisque leur premier objectif est de saboter l’école publique. Si on les évaluait cet angle, l’objectif est atteint : il est inutile d’évaluer.
Car ces réformes ne sont poursuivies en dépit du bon sens : elles sont au contraire très cohérentes et très bien pensées en fonction d’un objectif simple : détruire l’institution républicaine qu’est l’école publique, réduire à quasi néant sa fonction émancipatrice et “adapter” les individus à la société capitaliste. L’habileté du pouvoir, qu’il soit bleu ou rose, consiste à estomper cet objectif réel et profond, à procéder par touches successives, quitte à se déconsidérer en donnant l’impression du n’importe quoi. Quant aux enseignants, ils peuvent suivre pour des motivations multiples, la première cause étant la dégradation de leur statut, qui les rend plus dépendants de la hiérarchie.
Une histoire reste à faire : celle de la convergence entre les idéologies pédagogiques et pédagogistes d’inspiration libertaire (« décoloniser l’enfant », etc.) et aussi très largement chrétienne (l’école de Genève), et les idéologies officielles libérales qui visent à préserver le système social, voire à détruire les acquis sociaux et politiques.
Cela ne nous autorise pas pour autant à sombrer dans le défaitisme et le renoncement. Mais ayons bien conscience que la reconstruction de l’école républicaine suppose une analyse et un combat social beaucoup plus plus généraux.



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