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Chronique d'Evariste
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  • Crise du capitalisme
  • lettre 823

 Vers une nouvelle crise paroxystique ?

par Évariste

 

Comme le dit le personnage incarné par l’acteur Jeremy Irons dans le film Margin call de Jeffrey C. Chandor, le capitalisme ne peut survivre qu’avec des crises successives d’importance diverse, certaines locales, d’autres mondiales, certaines conjoncturelles, d’autres structurelles, certaines élémentaires, d’autres systémiques, : 1637, 1720, 1788, 1792, 1797, 1810, 1819, 1825, 1836, 1847, 1857, 1866, 1873, 1882, 1890, 1893, 1907, 1923, 1929, 1966, 1971, 1974, 1979, 1980, 1982, 1985, 1987, 1989, 1990, 1992, 1993,1994, 1997, 1998, 2000 ,2001, 2002, 2007-2008, 2009, 2010, 2015… Sans compter les guerres qui sont également un moyen de faire de l’économie et de la politique par d’autres moyens, en permettant de surmonter une crise systémique au profit de l’oligarchie capitaliste et contre les intérêts des peuples…

A chaque fois, «  les chiens de garde  » médiatiques de l’époque participent à l’obscurcissement de la compréhension du réel à l’aide de nombreux livres et journaux qui visent à le rendre invisible derrière le rideau idéologique tendu par le mode de production de la société et qui empêche que l’on comprenne spontanément les causes des maux qui nous assaillent. Cela va jusqu’à l’école, dont les programmes sont modifiés pour n’entraîner in fine que la compassion et l’indignation sans compréhension des causes réelles des phénomènes auxquels nous réagissons.

Alors, nous voici environ 8 ans après la chute de Lehmann Brothers le 15 septembre 2008. Que s’est-il passé durant ce temps ? Beaucoup de choses. Ainsi, la crise des crédits hypothécaires s’est transformée en crise de la dette publique, puisque c’est l’argent public qui a soldé les pertes privées, crise de la dette qui a légitimé les politiques anti-salariales : hausse des impôts sur les ménages, casse des services publics et de la protection sociale, etc.. Mais la crise du profit, c’est-à-dire l’incapacité du capital à produire suffisamment de richesse réelle pour se valoriser en salariant des travailleurs, cause profonde de la crise systémique, est toujours là. Afin de se reproduire en reproduisant le capitalisme, l’oligarchie est ainsi tenue de chercher à restaurer ledit profit en ponctionnant la masse des salaires via l’intensification des politiques d’austérité et en baissant les prélèvements fiscaux sur les entreprises, et de tenter de solidifier autour d’elle les couches moyennes supérieures et intermédiaires.

Pour l’oligarchie, la majorité des entreprises et la majorité des couches moyennes (celles qui n’ont pas encore été totalement percutées par la crise systémique), les crédits sont faciles, ce qui soutient l’adhésion au système. Mais pour la classe ouvrière et employée et les paysans pauvres, la percussion est forte ce qui désagrège le «  vivre ensemble  ».

Les grandes banques centrales ont espéré relancer le système en effectuant des perfusions massives de liquidités dans les marchés financiers, via une baisse des taux directeurs pour arriver aujourd’hui à des taux très, très bas : ils sont proches de zéro aux Etats-Unis, Canada, Grande-Bretagne, Danemark, Israël, quasi nuls dans la zone euro et le Japon et même négatifs en Suède et en Suisse ! Les rachats d’actifs par les banques centrales s’élèvent à des centaines de milliards d’euros. Mais les banques ne financent l’économie réelle que si cela est profitable, et comme l’économie réelle ne l’est pas assez pour rémunérer les services financiers (même si les banques centrales ont racheté une partie de leurs emprunts toxiques, les marges financières des banques s’effritent, et licenciements ou augmentation des frais fixes de tenue de compte risquent de ne pas suffire), le crédit facile ne fait que gonfler de nouvelles bulles financières. certes, la création monétaire permet au capital de fonctionner mais elle n’a aucun effet sur sa capacité à créer de la richesse réelle. Ainsi, la casse des salaires, directs ou socialisés, ampute la demande tandis que le crédit échoue à soutenir l’offre : rien ne peut combattre l’atonie persistante de l’économie quand la crise est systémique.

La finance élude la crise réelle, en achetant du temps, mais prépare inéluctablement une crise financière. Nul ne sait quand aura lieu la prochaine, mais nous savons qu’elle aura bien lieu. Ce sera quand les circonstances liées à la guerre des monnaies obligeront les banques centrales à en venir à l’augmentation des taux directeurs, ce que va peut-être faire la Réserve fédérale étasunienne d’ici la fin de l’année. La dernière fois qu’il y a eu augmentation des taux directeurs, c’était en 2007…

C’est à ce moment-là et à ce moment-là seulement que la bifurcation nécessaire pour sortir à terme du capitalisme est possible. Voilà pourquoi il faut s’y préparer et ne pas faire confiance ni à des volontarismes qui ne tiennent pas compte des lois tendancielles du capitalisme ni à des solutions simplistes et magiques censées nous ouvrir la porte du paradis…

En attendant, continuons nos initiatives d’éducation populaire refondée. Nous avons une dizaine de films à vous proposer en cinés-débats, des livres à lire, des intervenants prêts à intervenir en conférences, du théâtre tradi et du théâtre forum sur divers sujets, des conférences populaires sans conférenciers, etc.

Salut et fraternité !

Laïcité et féminisme
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Émancipation des femmes : Ni identitaire ni communautariste

Interview de Martine Storti, par Francine Sporenda

par Martine Storti

 

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Martine Storti a été professeure de philosophie, journaliste à Libération et inspectrice à l’Éducation nationale. Elle a publié « Le féminisme et ses enjeux » (en collaboration, 1988),  « Un chagrin politique » (1995), « Cahiers du Kosovo » (2001), « 32 jours de mai » (2006), « L’arrivée de mon père en France » (2008), « Je suis une femme, pourquoi pas vous ? » (2010) et « Sortir du manichéisme » (2016).

 

FS : Le philosophe (catholique) Pierre Manent vient de proposer dans un livre récent (« Situation de la France ») que, pour faciliter la coexistence avec les populations dites d’« origine musulmane »1, il faut « céder sur les mœurs ». En termes clairs, il s’agit de céder sur les Droits des femmes : « faites ce que vous voulez avec vos femmes, on s’en fiche, l’important n’est pas là » – commentez-vous dans votre livre « Sortir du manichéisme ». Que pensez-vous de cette proposition? 

MS : Dans les « mœurs », Pierre Manent, met le porc à la cantine et la place des femmes. Sous cet angle, deux interdictions doivent être, selon lui, clairement énoncées : celle de la polygamie et celle du voile intégral. « Pour le reste, nous explique-t-il, les relations entre les sexes sont d’un sujet d’une telle complexité et délicatesse, qu’il est sans doute déraisonnable de damner une civilisation sur cette question. » On appréciera la mise à peu près sur le même plan de la question du porc dans les menus scolaires et celle des femmes, dont la «complexité » n’est soulignée que pour mieux la minorer puisqu’à cette aune-là, on ne peut juger une civilisation.

Le deal entre Chrétiens et Musulmans, ce sont les femmes. Que dit Manent aux Musulmans ? Il ne leur dit pas : réformez l’islam, cessez de légitimer la subordination des femmes, arrêtez de  leur faire porter le poids de l’honneur, de la pudeur, de l’identité aussi bien religieuse que culturelle. Il leur dit : faites-ce que vous voulez avec vos femmes, on s’en fiche !

Manent reconduit de surcroît la sempiternelle réduction de la question des femmes à un enjeu de mœurs, réduction dont la fonction première est de priver l’égalité entre les sexes et la liberté des femmes et plus largement leur émancipation, de leur caractère politique, c’est-à-dire un enjeu qui ne concerne pas que les femmes mais qui a à voir avec l’organisation de la cité, avec la démocratie et avec la République. Plus grave encore, une telle proposition signe l’abandon des femmes musulmanes qui, ici ou ailleurs, hier et aujourd’hui, se battent – quelquefois au prix de leur vie – contre leur assujettissement et pour leur libération.

FS : Que pensez-vous du « féminisme paradoxal » de Houria Bouteldja qui refuse toute critique du « patriarcat indigène »2 et pose que pour les femmes « non-occidentales », l’allégeance communautaire doit passer avant toute autre considération ?

MS : Franchement je ne vois pas en quoi le mot « féminisme » peut être utilisé à propos des considérations de la porte-parole du Parti des indigènes de la République ! J’y vois plutôt une  liquidation du féminisme. Car où est le féminisme quand la réponse à ce qui est présenté comme une « injonction à l’émancipation » par les « Blancs », est l’injonction à « l’allégeance communautaire » ?

Où est le féminisme quand celles qui, de même origine géographique ou de même culture ou de même religion, dénoncent le machisme ou le sexisme de leurs pairs sont considérées comme des « intégrationnistes » – injure suprême – , des vendues à l’Occident, des complices de l’ « islamophobie » et de l’impérialisme, des femmes qui « prennent l’identité de l’autre, l’oppresseur, le raciste, le colonisateur » ?

Où est le féminisme quand leur est refusé le droit à « la politisation de leur intimité » droit conquis par les « féministes blanches » lorsqu’elles affirmèrent le « privé est politique », ce qui a permis de faire sortir de « l’intimité », donc de donner un statut politique – et non de mœurs et non de traditions – à la subordination des femmes, aux violences conjugales, au travail domestique, et tant d’autres choses encore ?

Où est le féminisme quand celles qui ne se plient pas à des traditions sont assurées de ne pouvoir compter sur aucune solidarité de la part des « décoloniales », si peu sensibles à la stigmatisation des « non voilées » et même l’encourageant ?

Selon Houria Bouteldja « le foulard envoie un message clair à la société blanche : nous ne sommes pas des corps disponibles à la consommation masculine blanche ».  Que faut-il comprendre ? Que les femmes qui ne portent pas le foulard envoient un message de disponibilité à « la consommation masculine blanche » et accessoirement « non blanche », raison pour laquelle elles se font traiter, comme le rappellent les militantes du collectif Femmes sans voile d’Aubervilliers, pour ne citer que celui-là, de « prostituées » ou de « pourritures » ? C’est qu’elles doivent payer le prix de leur refus et de leur rébellion. A moins qu’elles ne soient que des fantômes, qu’elles n’existent pas en tant que femmes, que le combat comme telles leur soit interdit, au nom d’autres combats plus importants, la lutte contre le racisme, l’impérialisme.

FS : Le PIR accuse le féminisme occidental d’être un instrument du colonialisme et de l’impérialisme, Kontre Kulture, un site soralien, dénonce le féminisme comme un allié objectif du capitalisme et de sa promotion de l’individualisme consumériste. Que pensez-vous de ces accusations ? 

Rappelons Maurice Thorez déclarant en 1956 : « il nous semble superflu de rappeler que le chemin de la libération de la femme passe par les réformes sociales, par la révolution sociale, et non par les cliniques d’avortement » ? Et Jeannette Thorez Vermeersch affirmant : « Le birth control, la maternité volontaire, est un leurre pour les masses populaires, mais c’est une arme entre les mains de la bourgeoisie contre les lois sociales.» Et demandant :« Depuis quand les femmes travailleuses réclameraient le droit d’accéder aux vices de la bourgeoisie ? Jamais. »

Vous citez Soral mais il est loin d’être le seul. Eric Zemmour et Jean-Claude Michéa, pour ne citer que ces deux-là, font aussi boutique de cette confusion entre tout et en particulier de celle entre libéralisme économique, libéralisme politique, libéralisme culturel.

C’est ainsi que Michéa et Zemmour mettent homosexuels sortis de la clandestinité et femmes émancipées au rang des complices de premier plan du néolibéralisme, parce qu’agents du consumérisme effréné. Sous la plume de Michéa on trouve le lien entre progrès du capitalisme et « meurtre du père », balle que Zemmour récupère bien vite dans ses filets misogynes, homophobes et antiféministes, pour répéter que la lutte contre le patriarcat et  le développement de la « machine consumériste» ne font qu’un.

MS : Le féminisme comme l’autre nom du colonialisme ou de l’impérialisme occidental est un vieux refrain que j’entends depuis longtemps. Je l’ai entendu dans les années 70 en France par exemple lorsque des femmes noires luttaient contre l’excision et que leurs « camarades révolutionnaires » leur expliquaient que c’était ou impérialiste ou secondaire. Je l’ai aussi entendu en Iran, au printemps 1979, lorsque par milliers des Iraniennes manifestaient dans les rues de Téhéran pour signifier leur refus de porter le tchador comme les y obligeait, tout juste rentré dans son pays, l’ayatollah Khomeiny. J’ai gardé en mémoire les arguments utilisés par le pouvoir pour stigmatiser les manifestantes : elles étaient traîtres à leur religion, occidentalisées, vendues au grand Satan américain, complices de la dictature du Shah puisque sa sœur, l’horrible princesse Ashraf dont on disait qu’elle faisait torturer les prisonniers dans les geôles de la Savak, s’affirmait, disait-on aussi, féministe. Que répondaient les manifestantes: « Nous n’avons pas fait la révolution pour revenir en arrière ! » ou encore : « La liberté n’est ni orientale, ni occidentale, elle est universelle ».

Mais vieux refrain aussi celui du féminisme allié du capitalisme et de la bourgeoisie. On revient alors à des conceptions que je croyais définitivement derrière nous, lorsque les revendications féministes, les luttes contre les discriminations liées au sexe et aux sexualités étaient considérées comme ni importantes, ni sociales, ni politiques.

Les mots d’aujourd’hui, libéralisme culturel, sociétal, consumérisme, en remplacent-ils d’autres, par exemple « la tare des classes bourgeoises dégénérées », expressions du procureur Andreï Kirilenko pour qualifier dans l’URSS stalinienne des années 30, « l’inversion sexuelle » ? Ou encore les positions du parti communiste français, qui ne traitait pas le féminisme de « libéral » mais de « bourgeois » ?

Rappelons Maurice Thorez déclarant en 1956 : « il nous semble superflu de rappeler que le chemin de la libération de la femme passe par les réformes sociales, par la révolution sociale, et non par les cliniques d’avortement » ? Et Jeannette Thorez Vermeersch affirmant : « Le birth control, la maternité volontaire, est un leurre pour les masses populaires, mais c’est une arme entre les mains de la bourgeoisie contre les lois sociales.» Et demandant :« Depuis quand les femmes travailleuses réclameraient le droit d’accéder aux vices de la bourgeoisie ? Jamais. »

Vous citez Soral mais il est loin d’être le seul. Eric Zemmour et Jean-Claude Michéa, pour ne citer que ces deux-là, font aussi boutique de cette confusion entre tout et en particulier de celle entre libéralisme économique, libéralisme politique, libéralisme culturel.

C’est ainsi que Michéa et Zemmour mettent homosexuels sortis de la clandestinité et femmes émancipées au rang des complices de premier plan du néolibéralisme, parce qu’agents du consumérisme effréné. Sous la plume de Michéa on trouve le lien entre progrès du capitalisme et « meurtre du père », balle que Zemmour récupère bien vite dans ses filets misogynes, homophobes et antiféministes, pour répéter que la lutte contre le patriarcat et  le développement de la « machine consumériste» ne font qu’un.

Ainsi la réduction des discriminations, la conquête de droits n’auraient pas d’effets d’émancipation, seulement des effets de consommation. Les homosexuels consommeraient-ils, par nature en quelque sorte, plus que les hétéros ? J’ai beau chercher, je ne parviens pas à comprendre en quoi le fait qu’ils se fassent moins tabasser, soient moins l’objet de sarcasmes ou d’injures, puissent ou non se marier, a une quelconque incidence sur le néolibéralisme ! Quant aux femmes dont « les pulsions consommatrices » ne sont plus, selon Zemmour, contenues par les « pères d’avant »,  elles sont des agents du consumérisme et donc du Grand Marché libéral ! Ainsi les femmes qui font souvent et depuis très longtemps le marché et les courses font aussi, qui l’eut cru, le Grand Marché !

FS : Que pensez-vous de l’usage des thèmes de la laïcité et du féminisme par un mouvement comme Riposte Laïque et par d’autres mouvements pro-laïcité récemment apparus comme le Printemps républicain ?

MS : Je ne mettrais pas sur le même plan Riposte laïque, complètement raciste et d’extrême droite et le Printemps républicain, même si je ne suis pas d’accord avec ce mouvement. 
Ce que je conteste, quels qu’en soient les porte-paroles, c’est la manière dont certains transforment la laïcité et l’émancipation des femmes en enjeux d’identité. Rabattus sur l’identité, ils perdent et leur statut politique et leur portée universelle. C‘est un processus que nous avons vu à l’œuvre lors du funeste débat sur l’identité nationale, lancé sous présidence Sarkozy en 2009 et qui n’a fait que se développer depuis.

Proclamer l’égalité et de la liberté des femmes par exemple comme composantes de l’identité française, c’est faire fi du long processus historique et des combats menés durant plusieurs siècles pour leur conquête. Or historiciser cette conquête plutôt que de la concevoir comme un « donné » de la France, ou de la République ou plus largement de l’Occident est décisif car c’est la rendre possible pour d’autres.

 A une affirmation identitaire par les femmes qui se manifeste en France depuis plusieurs années à travers le voile et dans quelques cas la burqa et le « burkini », à travers le refus de la mixité, la condamnation de l’émancipation, il faut répondre par des principes politiques. Et non par une autre affirmation identitaire, qui établit une sorte de nationalo-féminisme et officialise un affrontement qui prend les femmes comme objets et otages.

Il ne faut pas cesser de le souligner : la question des femmes est au centre des débats et des affrontements entre les uns et les autres. Raison pour laquelle il aurait été pertinent que la Fondation pour l’islam de France soit présidée par une femme et que de nombreuses femmes y soient conviées, en particulier des femmes musulmanes qui se battent contre l’intégrisme et l’islamisme. Mais pour le moment je constate que les deux conseils – d’administration et d’orientation – ont une présidence masculine !

FS : Quelle place doit tenir la défense de la laïcité dans le mouvement féministe ? Est-ce que les féministes doivent s’allier à des mouvements pro-laïques ?

MS : Le combat féministe a toujours eu partie liée avec celui pour la laïcité, qui prône la séparation du religieux et du politique, ou qui défend l’école laïque, publique, gratuite, obligatoire, aussi bien pour les filles que pour les garçons. Ou encore le mariage comme contrat et non plus comme sacrement. Ou encore le divorce. Ces enjeux étaient favorables à l’émancipation des femmes, même si celle-ci ne s’y réduit pas. Et même s’il faut rappeler que la laïcité pouvait parfaitement s’accommoder des inégalités femmes/hommes, de l’interdiction de l’avortement, du suffrage universel confondu avec le suffrage masculin etc.

Aujourd’hui la laïcité est comme je l’ai précédemment souligné, rabattue par certains sur un enjeu identitaire. Cette vision-là de la laïcité n’est pas la mienne. Pour moi elle est un principe politique qui permet la séparation du public et du privé, du politique et du religieux, de la communauté et de l’individu. Ces séparations sont des conditions de la libération, en particulier de celle des femmes.

Il est évident que, depuis quelques années, le « mouvement féministe », pour reprendre votre expression, est divisé, en particulier sur la question du voile, du rapport à l’islam, de la laïcité, de l’articulation avec l’anti-racisme… Ces divisions traversent les générations. Ainsi des féministes des années 70 sont en désaccord entre elles comme peuvent l’être des plus jeunes. Pour ma part, je garde le mot « féminisme » pour sa charge historique et parce que je le trouve parfait pour dire le combat pour l’égalité et la liberté des femmes. Mais je suis bien obligée de reconnaître que sous ce mot, bien des divergences se jouent. Est-ce le propre du féminisme ? Non. D’autres mots en « isme » sont porteurs aussi de différences et de divergences, ainsi le socialisme, ainsi le libéralisme…

 FS : Dans votre livre, « Je suis une femme, pourquoi pas vous ? », vous rappelez que beaucoup d’hommes gauchistes des 70s (Pierre Goldman par exemple) refusaient qu’une femme victime de viol dépose une plainte contre son violeur pouvant déboucher sur un procès, parce que selon eux, c’était se faire complice de la justice bourgeoise. Ils posaient aussi que l’exploitation des femmes était réelle, mais n’était pas le fait des hommes mais du système capitaliste. Pensez-vous que ces attitudes antiféministes ont disparu dans les mouvements gauchistes actuels ?

MS : ll faut en effet se souvenir que le débat sur le viol fut très vif dans les années 70. Et la stratégie du MLF – que les violeurs soient jugés par une cour d’assises puisque le viol est un crime – largement mise en cause au nom de la lutte contre-la-justice-bourgeoise. Le paradoxe – ou l’hypocrisie – était que cette « justice bourgeoise », récusable dès lors qu’elle était invoquée par les féministes, était tout à fait acceptable et même souhaitable lorsqu’il s’agissait d’y faire comparaître par exemple un patron responsable d’un accident du travail ! Dans ce cas il s’agissait d’une juste lutte contre l’oppression du prolétariat, dans celui du viol, il s’agissait d’une validation de la politique répressive et bourgeoise !

D’une certaine manière on retrouve aujourd’hui un mode de fonctionnement semblable lorsque la mise en cause de l’islamisme est assimilée à du racisme ou quand toute critique de l’islam est renvoyée à l’ « islamophobie ». Pour certain-e-s, ne pas défiler aux côtés des Indigènes de la République ou de groupes qui jugent raciste toute réserve à l’égard du voile reviendrait à être indifférent aux victimes, à cautionner l’ « islamophobie », les discriminations, les inégalités, le racisme anti-arabe ou anti-noir.

Nous sommes confrontés à un double processus d’intimidation : intimidation de la part de ceux qui expliquent que les « dominé-e-s » – en l’occurrence les « issu-e-s de l’immigration » – ont toujours raison.  Intimidation aussi de la part de ceux qui affirment que le « peuple » a lui aussi toujours raison, tout en le réduisant comme peau de chagrin à sa composante « blanche », « de souche », masculine, non bobo, non citadine… Pour ma part je refuse cette double intimidation.

FS : Vous avez participé aux luttes du féminisme deuxième vague. Ces féministes historiques ont produit des analyses identifiant clairement  les pratiques et institutions qui opprimaient les femmes–prostitution, pornographie, mariage, etc. Pourtant, il semble que de nouveau, la confusion règne à ce sujet. Que pensez-vous du traitement de l’héritage du féminisme historique par le féminisme néo-libéral ?

MS : J’ai cru comprendre que les féministes ou affichées telles qui défendent à la fois la prostitution, la pornographie et le port du voile au nom de la liberté se proclamaient aussi en lutte contre le néo-libéralisme économique ! Et pourtant dans les deux cas, se déploie une conception semblable de la liberté alors confondue avec le droit pour chaque individu de faire ce qu’il veut sans se soucier des conséquences pour les autres.

Je garde cependant les mots « liberté » et « libéralisme », tout en ayant conscience qu’ils peuvent entretenir en effet nombre de confusions. Qu’ils peuvent aussi être des alibis aux oppressions et aux inégalités. Encore une chose que nous savons depuis longtemps. « Libre choix » pour exclure les femmes du travail ou pour les assigner au temps partiel, « libre choix » d’être enceinte et de ne pas avorter, « libre choix »  de vendre son corps, « libre choix » de porter le voile etc.

Je garde les mots sans confondre, comme je l’ai précédemment indiqué, libéralisme économique, libéralisme politique et libéralisme culturel. Et je constate que le « féminisme néo-libéral » que vous évoquez n’est nullement majoritaire. Ni en France, ni dans le monde.

Tournons nos yeux vers les pays où des femmes de plus en plus nombreuses prennent de grands risques – et parfois celui de leur vie – pour s’engager sur le chemin de l’émancipation. Ces femmes affrontent des pouvoirs politiques, religieux, culturels, familiaux, sexuels, comme d’autres femmes avant elles, en Occident, ont dû les affronter. Et les affrontent encore. L’émancipation comme conquête, voilà ce qui unit les époques, voilà ce qui montre l’universalité des mouvements féministes. Or dans un moment où les affrontements géopolitiques ont la question des femmes (leur place, leur rôle, leur liberté, la maîtrise de leur vie…) comme enjeu majeur, il faut défendre bec et ongles cette universalité, pour échapper aux assignations identitaires et au relativisme culturel.

  1. Nous attirons l’attention des lecteurs/trices sur les dangers d’une telle expression, qui revient à assigner automatiquement les individu-e-s à un groupe religieux, à leur ôter le droit de quitter une confession, à fragiliser la citoyenneté et l’universalisme et à occulter l’existence des laïcs, agnostiques et athées. Une telle expression donne également une visibilité excessive à la religion dans l’espace public et dans les débats, alors que les convictions religieuses relèvent de la sphère privée. []
  2. (Houria Bouteldja, qui est membre du Parti des Indigènes de la République (P.I.R.), emploie l’expression « patriarcat indigène ». Le P.I.R. développe un discours identitaire et communautariste. []
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Sur l’école « de Jules Ferry » : nos lecteurs commentent

par ReSPUBLICA

 

1/ Courrier de Denis Billon

Je voudrais réagir à cet article sur l’école de Fatiha Boudjelhat.
Et donc cela est destiné à celle qui l’a écrit. D’abord, laissez moi vous dire que nous ne sommes pas loin l’un de l’autre.Je fus membre du MDC de sa création en 1992 à sa disparition en 2002. J’ai refusé ce pôle républicain et sa suite, le MRC, qui mélangeait torchons et serviettes, souverainistes de gauche et de droite. J’avais au MRC une belle affichette avec des cerises, et qui disait “Redresser la gauche avec la France”.
Une gauche républicaine eut été indispensable.
Il va de soi que, comme vous je suis très loin de cette NVB, qui est plus dangereuse qu’il n’y paraît.
Toutefois, je voudrais rappeler certaines choses. J Ferry n’a pas tout inventé. La révolution a préparé l’école émancipatrice, laïque, ouverte à tous.
Je suis lorrain, et l’abbé Grégoire a défini le futur de l’Education nationale.
Au cours du XIXe siècle, les révolutionnaires ont lancé de grandes expériences. L’enseignement mutuel a suivi son bonhomme de chemin.
Il n’est pas exagéré de dire que ce qui a été construit lors de la Commune n’était guère apprécié des bourgeois.
Et J Ferry était un grand bourgeois. J Ferry était colonialiste, et qui lui reprocherait à une époque où tous les Français ou presque vantaient les mérites de la colonisation. Il a beaucoup fait pour la formation des garçons et des filles.
Mais l’enseignement de Jules Ferry était un enseignement de classe.
Jusque les années 50, l’enseignement était divisé en deux strates totalement étrangères l’une à l’autre. Le premier degré était pour les ouvriers, le second pour les bourgeois. De la maternelle à la faculté, on avait placé une frontière infranchissable. Longtemps, l’élève du premier degré qui avait atteint le niveau du baccalauréat n’avait pas le droit de le passer. Même l’Ecole normale supérieure avait une école du premier et une du second degré.
Pour autant, l’école de la IIIe République a formé des citoyens conscients et patriotes. Les instituteurs, hussards noirs, n’y ont pas été pour rien et ont payé de leur vie, plus que les autres, leur patriotisme.
S’il faut rechercher des responsables à 1940, il vaut mieux regarder dans l’incurie des gradés de l’époque.
Je suis lorrain et bien placé pour savoir qu’une ligne fixe, comme la ligne Maginot, est faite pour être contournée, avec des chars que les généraux ne voulaient pas construire (Cf De Gaulle).
Mais il y a eu aussi la connivence entre les industriels des deux pays.
Il y avait des De Wendel des deux côtés de la frontière.
Je suis originaire de Longwy. Les usines ont fabriqué de l’acier pour les obus de l’armée française jusque 1940. Puis de 1940 à 1944 pour l’armée allemande. A partir de 1944, ce fut pour l’armée américaine. Et les usines n’ont pas cessé de produire une seule journée.

2/ Les fossoyeurs de l’école laïque

Texte de La Libre Pensée du Gard (transmis par Francis Labbe)

Bien que nous n’adhérions pas à une vision trop idéalisée de l’école de Jules Ferry, et que nous pensions que l’école républicaine doit apprendre à penser plutôt que de transmettre des “valeurs”, par essence relatives et subjectives, nous estimons utile de mettre ce texte de nos camarades du Gard en circulation sur nos réseaux. D’une façon générale, nous estimons que l’école de la République sociale doit s’appuyer sur les principes qui la constituent.
L’école publique laïque, forte de ses valeurs humanistes, a, dès sa création, démontré son efficacité. Hélas ! L’école n’est plus actuellement ce milieu protégé propice à l’étude et à la réflexion comme le souhaitaient les législateurs de la IIIème République. En effet, de nombreux obstacles se sont dressés sur son chemin depuis 135 ans et notre système scolaire et universitaire a été souvent mis à mal, et pas seulement par des gouvernants de droite mais également par ceux, de gauche, qui n’ont plus rien à voir avec Jules Ferry ni avec les penseurs de l’éducation qu’étaient Jaurès ou Jean Zay.

En premier lieu, les plus grandes atteintes sont venues des choix politiques des gouvernements des années 20 et surtout de la Ve République.
La Loi Debré de 1959 permet de ponctionner environ 10 milliards d’euros dans la poche des citoyens pour financer les écoles privées sous contrats d’associations au point que les élèves de ces écoles sont plus subventionnés que ceux des écoles, collèges ou lycées publics.
Le «  processus de Bologne  » (1999) a commencé à supprimer le monopole des Etats de la collation des diplômes et des grades.
La loi Carle (2009), quant à elle, permet à une famille de faire financer par leur commune de résidence les frais de scolarité de leur enfant inscrit dans un établissement privé d’une autre commune. Jusqu’à présent, certaines communes refusaient de payer, puisque la capacité d’accueil de leur école publique permettait de scolariser gratuitement les enfants concernés.
Un amendement récent à cette loi (2015) oblige maintenant, au nom de «  la liberté d’enseignement  », une commune à cracher au bassinet si une famille scolarise son enfant dans une autre commune, sous prétexte de lui faire étudier une langue régionale qui n’est pas enseignée sur place. C’est comme si, au nom de leur liberté, certaines personnes réclamaient le financement public de leur course en taxi pour éviter de prendre les transports en commun ! Pensons aux petites communes rurales et à leurs habitants, qui devront payer pour la fantaisie d’une poignée d’entre eux. Où est l’égalité républicaine ?

Gageons que les écoles privées vont très vite se trouver un pseudo-professeur de langue régionale, que les services académiques n’en trouveront pas pour les écoles publiques, ou ne les paieront pas, et que nos «  chers  » conseillers départementaux et régionaux voteront des crédits pour soutenir ces « pauvres » établissements privés contraints de scolariser de nouveaux élèves…
Récemment, les attaques se sont accélérées.
En effet, les récentes réformes Peillon-Hamon-Belkacem enfoncent encore plus le clou.
Avec les animateurs des TAP, la «  réserve citoyenne  », bientôt la police (?) et l’intrusion de la publicité de marques, c’est l’invasion par n’importe qui et n’importe quoi sans contrôle sérieux de la valeur laïque des intervenants. L’école, les enfants et leurs enseignants sont à vendre. Quel beau marché juteux ! On ne forme plus des citoyens, on formate des consommateurs !
Des centaines d’heures d’instruction des notions de base ont disparu de l’année scolaire ; la liberté pédagogique de l’enseignant n’existe plus et son statut est menacé.
La territorialisation de l’école va mettre les établissements du premier degré sous la coupe du collège local mais surtout sous celle des maires. Il s’agit là d’une privatisation de notre système éducatif et de son contrôle par les pouvoir politiques locaux. Ce sera la fin de l’égalité du droit au même enseignement de qualité pour tous les enfants de notre pays !.

En fait, la France s’est, depuis une trentaine d’années, ralliée au mouvement européen de la privatisation de l’enseignement avec, pour modèles, les systèmes anglais ou américain dont le côté communautariste et ségrégationniste bien connu forme surtout des ghettos scolaires. Notre système éducatif était un des meilleurs du monde encore dans les années 80. Dans quel état sera-t-il dans 20 ans ?
Pourtant, l’école publique laïque est le seul moyen de former les futurs citoyens responsables et de leur apprendre à vivre ensemble dans le respect de celui qui ne vient pas du même pays et qui croit ou ne croit pas comme lui.
Cette mise à l’encan de l’école est aussi associée à celle des services de santé, des hôpitaux, des services publics, de la sécurité sociale, détruisant ainsi les avancées sociales mises en place par le Conseil National de la Résistance après la Libération.

3/ Commentaire de la Rédaction

Il est vrai que l’école de Jules Ferry n’était pas le nec plus ultra de la république. Etant donné que le verre était à moitié plein, ont tort ceux qui prétendent qu’il était plein, comme ceux qui prétendent qu’il était complètement vide.
C’est un problème que l’on discute depuis le XIXe siècle et qui est pourtant bien simple : contre l’héritage nobiliaire la bourgeoisie pouvait faire et a fait un bout de chemin avec le prolétariat. Elle a aussi utilisé ce bout de chemin pour calmer les revendications du prolétariat et parfois en les récupérant et en les retournant contre lui. Mais il serait absurde que le prolétariat refuse ce bout de chemin au prétexte que la bourgeoisie y apporte une contribution active.
Et il est très vrai que l’idéal d’école républicaine promu par Jules Ferry n’a pas été inventé par lui, que toute une réflexion républicaine sur ce sujet existait depuis la Révolution. Des éléments en ont été repris ; détournés aussi certainement. C’est toujours bon à prendre à condition de rester vigilant. Car ce serait là l’erreur : idéaliser. 
On sait aussi que certaines mesures prises par les gouvernements bourgeois “progressistes” avaient pour but de freiner l’efficacité de l’école : par exemple la suppression des moniteurs par Guizot et de façon générale l’exclusion de l’enseignement mutuel. Comme d’excellentes méthode de pédagogies nouvelles deviennent désastreuses quand elles sont utilisées par le ministère de l’EN. Eh bien, tenons-nous-le pour dit et agissons en conséquence.
L’explication de cette ambiguïté, nous la trouvons encore une fois chez Jaurès dans le fameux discours “République et socialisme” du 21 novembre 1893, où il explique comment naturellement l’école voulue par les républicains appelle un approfondissement de sa mission libératrice au-delà de ce qu’ils ont voulu :

En vérité, vous êtes dans un état d’esprit étrange. (Exclamations au centre.) Vous avez voulu faire des lois d’instruction pour le peuple ; vous avez voulu par la presse libre, par l’école, par les réunions libres multiplier pour lui toutes les excitations et tous les éveils. Vous ne supposiez pas, probablement, que dans le prolétariat tous au même degré fussent animés par ce mouvement d’émancipation intellectuelle que vous vouliez produire. Il était inévitable que quelques individualités plus énergiques vibrassent d’une vibration plus forte. Et parce que ces individualités, au lieu de se séparer du peuple, restent avec lui et en lui pour lutter avec lui, parce qu’au lieu d’aller mendier je ne sais quelles misérables complaisances auprès du capital soupçonneux, ces hommes restent dans le peuple pour préparer l’émancipation générale de la classe dont ils sont, vous croyez les flétrir et vous voulez les traquer par l’artifice de vos lois !

Savez-vous où sont les meneurs, où sont les excitateurs ? Ils ne sont ni parmi ces ouvriers qui organisent les syndicats que vous voulez sournoisement dissoudre, ni parmi les théoriciens, ni parmi les propagandistes de socialisme ; non, les principaux meneurs, les principaux excitateurs, ils sont d’abord parmi les capitalistes eux-mêmes, mais ils sont dans la majorité gouvernementale elle-même. (Applaudissements à l’extrême gauche. – Protestations au centre.)

Tout comme l’aboutissement de la république ne peut être que la république sociale. Rien de bien nouveau dans tout ça.

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Une petite Sainte Alliance

Qui sont les ennemis du Printemps républicain ?

par Anonyme

 

Texte paru dans Arguments pour la lutte sociale n°53 du 18 septembre 2016

Un appel a été lancé à un grand rassemblement contre le « racisme républicain » pour le 21 septembre1. La République, le républicanisme, le « laïcisme », voilà l’ennemi.

Au moment où dans tout le pays la question centrale est l’abrogation de la loi El Khomri et de la réforme du collège.

Au moment où les violences policières du 15 septembre ont souligné encore la centralité du combat pour la défense des libertés publiques et la levée immédiate de l’état d’urgence.

Au moment où dans toute l’Europe les réfugiés du Proche et du Moyen Orient et d’Afrique sont en butte au refus des États de les accueillir comme il se doit et aux attaques racistes.

Au moment où s’engagent en France des élections présidentielles avec en position de favorite pour le premier tour la candidate du FN, parti historiquement construit sur le racisme anti-arabes.

Au moment où les crimes islamistes de masse ne sont pas parvenus à provoquer de vague raciste dans la société française mais ont justifié la reconduction de l’état d’urgence et le projet anti-laïque d’un concordat de seconde zone imposé aux musulmans sunnites, ballon d’essai lancé de concert avec l’Église catholique.

A ce moment précis, plusieurs forces politiques ont découvert leur ennemi n°1 : le « Printemps républicain ». Qu’est-ce que le Printemps républicain ? Un regroupement formé au printemps dernier, sur la base d’un appel qui défendait la laïcité, le refus de toute discrimination et l’égalité hommes-femmes contre le FN et contre les islamistes, et voulait réaffirmer les « valeurs de la République » – sans préciser laquelle. Des personnalités du PS ou proches du PS, du PCF, du PG, du MRC, de République et Socialisme, notamment, en font partie, ainsi que quelques personnalités bourgeoises ou proches du pouvoir. Selon plusieurs des promoteurs du rassemblement « anti-printemps républicain » du 21 septembre, il s’agirait, par un étonnant effet de loupe, d’un fait décisif de toute la situation politique française : rien de moins que l’équivalent du Tea party, qui a pris Marine Le Pen par la droite pour lui permettre de passer pour modérée!

Nous avons affaire là à un délire du type de la dénonciation du « social-fascisme » par le stalinisme au début des années 1930. Et de même que le PC allemand disait fin 1930, à propos du gouvernement réactionnaire Brüning, « le fascisme est là », de même certains promoteurs de cette initiative veulent nous faire croire – avec l’aide du New York Times et du Guardian, ces tribunes ouvrières bien connues ! – qu’en France un régime fascisant interdit aux musulmans d’aller à la plage, confondant le gouvernement bonapartiste en perdition de Hollande et Valls avec un gouvernement fasciste.

Pire encore: la laïcité, l’état de droit, la démocratie, sont dénoncés de fait comme des formes institutionnelles « françaises », « blanches », « occidentales », « coloniales ». Toute critique de la religion est dénoncée et menacée comme devant être interdite car elle serait « islamophobe ». On ne parle plus de racisme anti-arabes, mais d’ « islamophobie ». Et l’on prétend que l’antisémitisme a été remplacé par celle-ci.

Ainsi, la voie est libre pour le racisme anti-arabe et pour l’antisémitisme !

Car, tout en dénonçant comme « islamophobe », raciste ou fasciste quiconque se met en travers de leur chemin, les bonnes âmes du 21 septembre amorcent bel et bien leur propre dérive, crispée dans la haine identitaire envers la figure du« laïcard blanc » qu’ils voient dans bien des militants ouvriers de ce pays.

Ce cartel associe le PIR (Parti des Indigènes de la République), think tank racialiste et antisémite, le NPA, Jean Baubérot, théoricien des laïcités multiples et de la libre occupation de tout l’espace public par les religions que veut mettre en œuvre l’Observatoire de la laïcité auprès du premier ministre (toujours en place, alors que le premier ministre est censé tirer les ficelles du Printemps républicain), les émissaires du CCIF et des islamistes partisans du voilage, de l’enfermement et des coups pour les femmes, et comportait, dans son premier groupe de signataire, un représentant de l’ultra-droite pro-Poutine, enlevé dans un second temps de cette liste.

Pour ce petit cartel le mot « République » est source de toutes les douteuses synthèses. Mais quelle est donc cette synthèse qui s’affiche autour de la haine de la « République »?

La formation d’un cadre politique commun à une partie de l’extrême gauche et des composantes islamistes et racistes proches de l’extrême droite, le liant du tout étant fourni par des chrétiens sociaux sur le terreau de la vieille haine contre « les laïcards », exige d’être suivie avec toute la vigilance nécessaire par quiconque entend combattre le racisme, l’antisémitisme, et défendre les libertés démocratiques et la laïcité.

 

 

  1. https://www.change.org/p/agir-contre-l-islamophobie-et-les-racismes []
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Citoyens d’abord, croyants peut-être, laïques toujours

Ouvrage collectif sous la direction de Monique Cabotte-Carillon 

par Charles Arambourou

 

Assistant un jour, chez nos amis chrétiens des réseaux Parvis, à la présentation de l’excellent livre de Luc Chatel (pas l’ancien ministre !) Civitas et les Nouveaux fous de Dieu, je me suis laissé aller à dire (plein de l’excessive révérence à laquelle se croient obligés les laïques incroyants devant les croyants), «  Nous ne sombrerons pas dans l’anticléricalisme primaire  ». Je fus aussitôt repris par un Monsieur respectable qui me lança «  Au contraire, il faut savoir être anticlérical  », ajoutant «  Je suis dominicain  ».

Et voilà pourquoi il importe de lire ce petit livre, issu du CEDEC, «  Chrétiens pour une église dégagée de l’école confessionnelle  »1 – association dont le titre nous dit tout ! Il ne suffit pas en effet de proclamer que la laïcité est le cadre qui «  permet toutes les convictions  », si l’on n’est pas prêt soi-même à accueillir les plus proches des nôtres, parce qu’elles nous semblent paradoxales. Il faut reconnaître que le titre de cet ouvrage, qui sonne comme un slogan, a de quoi surprendre… pas seulement les cléricaux. Pour qui veut comprendre que la foi chrétienne ne se confond pas avec le cléricalisme catholique, voilà une lecture utile. Rassurons-nous : la collection «  débats laïques  » est dirigée par notre ami Gérard Delfau (auteur de La laïcité, défi du XXIème siècle), qui intervient d’ailleurs dans le corps de l’ouvrage.

Le livre comprend deux parties. La première est consacrée à rendre compte d’un colloque organisé à Tours le 14 novembre 2015 par le CEDEC, «  acte de résistance  », maintenu au lendemain de la tuerie du Bataclan. Après chaque intervention, les questions et réflexions du public sont relatées.

Didier Vanhoutte, organisateur, souligne notamment dans son introduction comment la citoyenneté est d’abord reconnaissance de la singularité, et cite le Manifeste de l’Observatoire Chrétien de la Laïcité, (dirigé par Jean Reidinger) : «  aucune Révélation ne doit prétendre avoir la primauté sur la loi commune, elle-même fondée sur les Droits de l’homme  ».

Le premier intervenant, Michel Deheunynck, «  un prêtre d’abord citoyen  », est à la fois médecin de santé publique et prêtre (aumônier en milieu psychiatrique). On retiendra sa distinction nette entre foi – qui est d’abord foi en l’humanité, ensuite foi en Dieu – et religion, qu’il place au second rang, avec les dérives dogmatiques dont elle est capable. A sa dénonciation du catholicisme «  identitaire  » fait pendant sa célébration de l’école laïque. Comme nous, il lie d’ailleurs combat laïque et combat social, et déplore la situation précaire des prêtres retraités, ainsi que le peu de conscience sociale de ses collègues.2

Deuxième intervenant, Rachid Benzine, islamologue (IEP d’Aix-en-Provence, Faculté protestante de Paris) dénonce lui-aussi l’identitarisme religieux. Son propos («  Religion et laïcité, entre critique et conviction  »), toujours intéressant, est à notre avis plus centré sur l’interconfessionnel que sur la laïcité. Notons une remarque stimulante sur la «  judéisation  » de l’islam (poids croissant des interdits rituels), en même temps que sa «  christianisation  » (divinisation du Prophète, alors qu’il n’y a qu’un Dieu).

Enfin, Gérard Delfau, complice de longue date du CEDEC, livre les réflexions que nous lui connaissons, solidement étayées sur l’histoire, à propos de «  la laïcité dans le vivre-ensemble républicain  ». On lui sait gré ici de son insistance sur ce qu’il appelle «  la laïcité humanisme  », que nous désignons nous-mêmes comme «  les convictions laïques  » – au grand dam des dogmatiques qui souhaiteraient réduire la laïcité au cadre juridique actuel, oublieux de l’histoire et négateurs du permanent combat des idées.

La deuxième partie de l’ouvrage présente le CEDEC. Né d’une réaction à la campagne politique de l’Eglise contre la loi Savary (2004), il souhaite, sans remettre en cause la liberté de l’enseignement, que l’Eglise cesse de se confondre avec l’école confessionnelle. Le Manifeste (2003) de l’Observatoire Chrétien de la Laïcité (dont fait partie le CEDEC) est présenté in extenso. Sont rappelées ensuite quelques prises de position (notamment approuvant la Charte de la Laïcité à l’école, dénonçant l’engagement de l’épiscopat contre la loi sur le «  mariage pour tous  », ou le verrouillage par la hiérarchie ecclésiale du nouveau statut de l’enseignement catholique, condamnant l’apartheid scolaire qu’aggraverait l’enseignement privé musulman.)

Un chapitre «  témoignages  » reprend deux conférences de Monique Cabotte-Carillon sur «  laïque et chrétien  » (l’ordre des termes est volontaire) et contre le statut scolaire (et concordataire) en Alsace-Moselle. On apprécie que des croyants se prononcent comme elle contre les «  accommodements raisonnables  » et pour la loi du 15 mars 2004.

La conclusion de Jacques Haab est un «  petit cours de laïcité à des catholiques de bonne volonté  », dont on retiendra la dénonciation très nette de l’usage du terme «  laïcisme  », qui n’est en rien le pendant du «  cléricalisme  », mais sert (à celui-ci !) à dévaloriser la laïcité.

Ma foi, j’aime bien l’expression «  croyants peut-être  » : je me sens en communion avec ces citoyens-là.

  1. 2016, Ed. L’Harmattan, coll. Débats Laïques []
  2. Une information intéressante page 18 : «  les prêtres ne cotisent pas à la caisse d’allocations familiales, mais peuvent bénéficier de l’allocation logement, pourtant financée par elle  ». []


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