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Macron, gérant du capital

par Évariste

 

La crise s’approfondit, les bulles financières se développent. La banque centrale étasunienne est donc obligée d’augmenter ses taux directeurs pour éviter l’éclatement. Mais alors, l’argent se renchérit. C’est la conséquence d’une loi tendancielle du capitalisme Après le krach de février dernier, la semaine dernière a été clôturée aux Etats-Unis par une baisse de près de 6 % de l’indice boursier SP500 qui mesure les 500 plus grandes capitalisations boursières étasuniennes. Les taux de profit dans l’économie réelle capitaliste sont faibles et resteront faibles. C’est la conséquence d’une autre loi tendancielle du capitalisme. Après toutes les méthodes utilisées par l’oligarchie capitaliste pour tenter d’augmenter les taux de profit dans l’économie réelle (innovation dans le système capitaliste, intensification du travail, délocalisation, destruction de capital par les guerres, robotisation, etc.), il ne reste que la diminution de la masse des salaires directs et socialisés pour atteindre le taux de profit nécessaire pour accéder à la spéculation financière internationale. Donc la lutte des classes a franchi un nouveau seuil.

Et l’oligarchie capitaliste est obligée, pour maintenir le capitalisme, d’intensifier la lutte pour la diminution des salaires directs et socialisés. Voilà pourquoi l’offensive principale se porte sur les lois Travail, sur la formation professionnelle, sur l’assurance-chômage, sur la Sécurité sociale, etc. L’offensive de CAP 2022 contre les services publics et sur les statuts de la SNCF n’est qu’une accélération de ce qui précède. Dès début mai, le gouvernement précisera pour CAP 2022 les modifications des missions dites de service public qui ouvriront la porte à des privatisations massives des services publics, à la suppression de 120.000 postes de fonctionnaires remplacés par des contractuels et des travailleurs précaires. Pour les néolibéraux, le statut de la SNCF doit être changé pour que la France respecte les traités et les directives européennes qui ouvrent au privé, dès 2019, les trains non TGV, suivis ensuite des trains TGV. Pour les néolibéraux, le statut des cheminots doit être changé pour permettre ensuite leur incorporation dans un régime, unique pour tous les salariés, de retraites en comptes notionnels – ce qui aura pour conséquence une nouvelle baisse de même ampleur que la loi Balladur de 1993 (environ – 20 % en 25 ans). Voilà ce qu’il faut expliquer aux travailleurs : l’attaque contre le statut des cheminots, si elle réussit, permettra ensuite à l’oligarchie capitaliste de baisser toutes les retraites de tous les travailleurs !

En ce qui concerne la SNCF, il faut ajouter que c’est elle-même qui torpille le train en le concurrençant par la route. Le gouvernement et la direction de la SNCF font le contraire de ce qu’il faudrait faire pour engager la transition énergétique et écologique. Mais cela ne se sait pas assez.

Et pour que cela se sache, il faut former les militants, puis les adhérents, et engager une campagne d’éducation populaire massive auprès de tous les citoyens pour expliquer tout cela, qui est complexe, il faut le reconnaître.
Mais attention à ne pas céder aux sirènes des pensées magiques qui ne partent pas du réel pour aller vers l’idéal. Ces pensées magiques vous proposent le paradis dans un altercapitalisme intelligent. Autant dire une impasse. En fait, ils retardent la conscientisation des travailleurs. et donc la mise en mouvement massive nécessaire pour s’opposer au nouveau gérant du capital qu’est Emmanuel Macron.
Rien ne pourra remplacer la mobilisation consciente des travailleurs, ni la chance, ni Dieu, ni les pensées post-keynésiennes ou magiques, ni les stratégies populistes de gauche, ni les cartels d’organisations sans foi ni loi comme nous en avons connu par le passé. Voilà pourquoi il faut articuler les luttes sociales avec la formation massive des militants et une gigantesque campagne d’éducation populaire pour l’ensemble des travailleurs.

De plus, dans notre camp, nous avons une cinquième colonne qui croit combattre l’alliance du néolibéralisme avec les communautarismes et les intégrismes en étant encore plus communautariste que les néolibéraux ! Voilà pourquoi nous devons lier le combat laïque au combat social : pour éviter que la gangrène communautariste nous empêche de rassembler notre camp – qui est celui du plus grand nombre – contre le capital.

Voilà pourquoi le soutien et la participation aux luttes des cheminots, des fonctionnaires et de tous les travailleurs rassemblés sont impérieux. Voilà pourquoi nous avons distribué des milliers de 4 pages « Combat laïque, combat social » dans les manifestations du 22 mars. Voilà pourquoi il faut expliquer nos luttes aux usagers des services publics, pour qu’ils comprennent que c’est eux in fine qui sont visés par le capital. N’hésitez pas à organiser des séances de formation économique, sociale et politique. Nous sommes à votre disposition. Nous participons déjà environ à 400 initiatives par an mais c’est encore par trop insuffisant.

Un peuple uni jamais ne sera vaincu !

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Ordonnances SNCF : l’occasion

par Frédéric Lordon

 

Si ceux qui ont quelque responsabilité dans la « conduite » des mobilisations qui s’annoncent ne comprennent pas que le mouvement ne doit pas être « le mouvement des cheminots » ou le « mouvement contre les ordonnances SNCF », alors le mouvement échouera – une fois de plus. Que le mouvement doive aussi être cela – mouvement des et pour les cheminots –, la chose est tellement évidente qu’elle devrait aller sans dire. Mais si le mouvement n’est que cela, il est perdu d’avance.

Contre l’offensive générale, le débordement général

C’est que, comme on disait jadis, toutes les conditions objectives sont réunies pour que le mouvement déborde de partout – quand, précisément, tout l’enjeu est de le faire déborder. Rarement si grand nombre de secteurs de la société sont arrivés ensemble à un tel point d’épuisement, d’exaspération même, ni n’ont été maltraités avec une telle brutalité par un gouvernement qui, en effet, a décrété l’« offensive générale »1. C’est bien simple : ça craque d’absolument partout. Ehpad, hôpitaux, postiers, inspecteurs du travail, retraités, paysans, profs, étudiants, fonctionnaires bientôt, et surtout l’immense iceberg des salariés brutalisés du privé, dont la pointe a été sortie des eaux glacées par le désormais mémorable Cash Investigation spécial Lidl&Free – et le tout, c’est là l’esthétique particulière de l’époque, pendant que les plus riches sont invités à se goinfrer dans des proportions sans précédent sur le dos de tous ceux-là !
Serge Halimi rappelle cette stratégie vieille comme le néolibéralisme du blitzkrieg généralisé, attaque simultanée sur tous les fronts visant à produire un effet de sidération qui laisse les opposants, totalement désorientés, courir dans tous les sens, avoir toujours un train de retard, pour finir défaits dans tous les compartiments du jeu. À l’évidence Macron en est là. Ce qui est étonnant avec tous ces « modernes », c’est combien ils pensent vieux2. Macron croit dur comme fer à la théorie du ruissellement – Reagan. Faux. Il veut privatiser les chemins de fer – Thatcher. Désastreux (mais c’est également le propre de ce « réalisme », et de ce « pragmatisme », d’ignorer jusqu’aux enseignements les plus élémentaires et du réel et de l’expérience). Le voilà maintenant tenté d’émuler la brillante stratégie d’un ministre des finances néo-zélandais des années 1980. Il n’est pas exclu qu’il se trompe.
Il faut toute la médiocrité intellectuelle des gens de presse pour avoir fait de Macron un « président intellectuel ». Hormis être capable de penser autrement que par recettes et de reproduire mécaniquement un passé disqualifié, un président « intellectuel », disons machiavélien (ce qui n’a rien à voir avec « machiavélique »), prêterait attention au fait que des procédés politiques ne valent que dans les conjonctures qui leur ont donné leurs conditions de possibilité. 2018 n’est pas le 1984 de Margaret Thatcher, ni le 1989 de Roger Douglas, le ministre des finances néo-zélandais. Pas non plus le 1995 des grandes grèves3. Tout a changé et, dans un environnement différent, les mêmes causes ne produisent pas nécessairement les mêmes effets. Ce qui a changé pour l’essentiel tient à dix ans de crise « financière » qui ont produit de sérieux ébranlements dans les têtes, et jusque dans les couches de la population qu’on croyait résistantes, fidèlement acquises au système : les cadres.
Il s’en faut pourtant que des esprits ébranlés deviennent des corps en mouvement. Toutes sortes de choses les retiennent, matérielles notamment. Mais d’une autre nature aussi, une en particulier : l’absence d’une parole assez forte qui saurait les rassembler. Que l’éparpillement soit la première ressource du pouvoir, c’est vieux comme la politique. En 2017, Jacques Chastaing qui, pour le Front Social, surveille le front des luttes invisibles, comptabilisait plus d’un million de journées de grève sur deux mois4 – toutes, ou presque, passées sous les écrans radars. Mais ce million n’est que de la poussière de grève. Il faut le compacter pour en faire une grève générale. Dont en réalité tous les éléments sont là – mais pas le principe unificateur.
À qui reviendrait-il normalement de le fournir ? Aux confédérations syndicales évidemment. Il suffit d’énoncer la réponse pour se voir au bord du désespoir. Faisons un tri rapide : on ne parlera pas de la CFDT (« Yellow is the hottest colour ») ; non plus de FO qui rivalise avec elle au jeu idiot de « l’interlocuteur privilégié ». Des plus grosses confédérations, reste la CGT. Écartons d’emblée tout malentendu : il n’est question ici que des directions, et non des bases. Ce que les bases, spécialement celles de la CGT, recèlent d’admirable combativité, nul ne l’ignore. Si la CGT était un alambic, les vapeurs s’élèveraient. Or ici tout reste à fond de cuve – où d’ailleurs ça glougloute méchamment. Mais dans les tortillons à Montreuil : rien.

L’enlisement institutionnel

Ou plutôt si : un mélange de dégénérescence bureaucratique (prévisible dans n’importe quelle organisation de cette taille) et, plus encore, d’incrustation dans le système institutionnel d’ensemble, mélange qui a fini par produire une sorte de passion de l’échec. Retraites 2010 : échec. Loi El Khomri 2016 : échec. Ordonnances « code du travail » 2017 : échec. Si l’on se contente d’extrapoler à partir de la tendance, l’épisode « SNCF 2018 » ne s’annonce pas au mieux… Mais, précisément, il s’agirait que quelque chose d’autre se passe. Ce qui suppose de déjouer la tendance – donc de commencer par s’en faire une idée.
Il y a d’abord la force de phagocytose propre à tout système institutionnel. C’est d’ailleurs une vérité très générale : tous les malins qui se la racontent en imaginant qu’ils vont courageusement rentrer dans le système pour le « changer de l’intérieur » finissent Gros-Jean comme devant – ou plutôt attablés avec leurs nouveaux amis, serviette autour du cou. Sauf rarissimes exceptions, on ne change pas le système de l’intérieur, c’est lui qui vous change de l’extérieur. On dira que les confédérations n’ont pas le choix et qu’elles doivent bien participer au jeu. On dira ça. Et puis, en longue période, on observera les effets.
Il faut situer convenablement cet argument : que les sections et les délégués d’entreprise aient, eux, à se battre, donc d’abord à négocier, c’est-à-dire à « jouer le jeu », la chose est évidente – pour le coup, pas trop de choix… Mais ça n’est pas de ça qu’il est question ici. Il est question de savoir ce que signifie vraiment « jouer le jeu », au niveau confédéral, quand le jeu, depuis tant d’années, a pris la tournure qu’on lui connait. Soyons coulants et cherchons une position de compromis : il y a des systèmes avec lesquels il peut rester du sens à jouer le jeu institutionnel « de l’intérieur ». Celui auquel nous avons affaire a cessé depuis belle lurette d’appartenir à cette catégorie. À un moment, il s’agit de s’en rendre compte.
La direction de la CGT a d’autant plus de mal à y venir que le système institutionnel ne la tient pas seulement par toutes les pernicieuses onctuosités de la sociabilité des « décideurs », mais aussi par les parties financières. Sur 46 millions de recettes (comptes 2016), 13,5 viennent des cotisations (30 %), le reste de « subventions d’exploitation », de mystérieuses « contributions », et « autres produits » aussi clairement identifiés – en fait, pour l’essentiel, des subsides d’État. Dont on comprend qu’on y regarde à deux fois avant de lui mordre la main.
Sans doute, ce qu’on nomme par facilité « la direction » est-elle en fait un objet bien plus composite, agrégeant dans des rapports en partie conflictuels la confédération proprement dite, les fédérations-baronnies et des structures locales. Paradoxalement, la CGT n’a rien du monolithisme qui lui est prêté par les clichés médiatiques – et il n’y a pas de « bouton rouge » de la mobilisation dans le bureau du secrétaire général à Montreuil. Le pouvoir de mobiliser est assez largement décentralisé, dans les fédérations, parfois plus bas, mais à des niveaux où la chaîne de la dépendance financière n’est pas moins réelle, ni serrée… sachant que la direction proprement confédérale dépend de ces soutiens-là pour se faire élire, et pour se maintenir.
En tout cas, l’habitus institutionnel, que contractent immanquablement ceux qui entrent dans les jeux institutionnels, et qui efface des esprits jusqu’à la possibilité d’attenter au jeu lui-même, se joint à la dépendance financière aggravée pour exclure toute épreuve de force significative qui, au-delà de la gêne pour tel ou tel gouvernement, conduirait non seulement à une modification du rapport de force avec l’État – en général –, mais, plus gravement encore, à la possibilité d’une contestation sérieuse de l’ordre social, dont cet État est le gardien. Rien de cela n’arrivera – « on gère ». Par conséquent on gère l’échec. Et l’on sait parfaitement situer les points critiques, ceux dont il ne faut surtout pas s’approcher, ou desquels il faudrait organiser la déviation dans les sables, ou le reflux, si d’aventure une dynamique « mal maîtrisée » conduisait à les envisager de trop près.
Voilà déjà de quoi revenir à la question des conditions matérielles. Tous les délégués de site ne disent-ils pas la même chose : « on a du mal à mobiliser » ? Et les fédérations s’enveloppent de rationalité : on ne prendra pas le risque de mobiliser si c’est pour faire petit – et échouer. Ici, ne pas céder aux apories de l’œuf et de la poule. Les bases y regardent à deux fois avant de sortir parce qu’elles voient comme tout le monde la série des râteaux. Et qu’elles en sont affectées au premier chef. C’est que dans les stratégies qui servent les passions de l’échec, il entre en particulier de ne jamais appeler pour une journée de week-end, et d’imposer aux salariés de poser un jour de grève qui, pour certains, fait mal dans l’entreprise, pour ne rien dire du salaire perdu. Et à la fin, pour rien. On accordera que ça ne fait pas un système d’incitations formidable. Aussi le million de journées de grève reste-t-il bien comme on veut qu’il reste : à l’état pulvérulent.

Misère du syndicalo-syndicalisme

Il a d’autant moins de chance de se compacter qu’il lui manque plus cruellement encore son liant. Or le liant, c’est une signification d’ensemble – bien sûr sous condition que la conjoncture ne prive pas de sens l’idée même d’une telle liaison. Il y a tout lieu de penser que la condition est remplie aujourd’hui : les ordonnances SNCF ont à voir avec les lois travail qui ont à voir avec la managérialisation de l’université qui a à voir avec la sélection des étudiants qui a à voir avec l’emprisonnement des agriculteurs dans le glyphosate qui a à voir avec les suicidés de l’hôpital de Toulouse, avec ceux de Lidl, de Free, avec tous les fracassés de l’entreprise, et avec l’immense cohorte de ceux qui sont à bout. Qu’il y ait toujours eu, dans tout état du monde social, des mécontents, la chose va de soi. Qu’il y ait aujourd’hui, et dans des couches aussi nombreuses, aussi variées, de la population, autant de poussés à bout, c’est peut-être une nouveauté, qu’il reviendrait à une épidémiologie sociologique et historique de documenter – que des DRH se mettent à écrire des livres pour libérer leur conscience des immondices que leur fonction leur a fait faire5, que des médecins, peu connus pour leurs propensions séditieuses, en soient à se jeter par la fenêtre, n’est-ce pas quand même l’indice de quelque chose ?
En tout cas, tout ça sort du même « lieu », de la même matrice – qu’on appelle usuellement « néolibéralisme » pour faire sténographique6. Ce n’est pas parce que ce lieu est abstrait que ces contours ne sont pas nets. Ils sont très bien identifiés même – on ne compte plus les travaux qui se sont attachés à les cerner. Ce sont des idées qui infestent toutes les têtes dirigeantes, dans tous les secteurs où l’on prétend diriger : gouvernement, haute et moyenne administration, universités, entreprises, chefferies médiatiques.
Pour notre malheur, il semble qu’il n’y ait qu’un secteur du système institutionnel où l’on n’accède pas à la généralité de la chose : les directions confédérales (on parle bien sûr de celles qui n’ont pas trouvé enthousiasmant ce nouvel ordre du monde). Qui sait, peut-être qu’on y accède. Mais alors on se retient bien de le dire, et de construire avec le moindre discours – qui précisément, viendrait lier ensemble des fractions du salariat autrement abandonnées à leurs antagonisme catégoriels : « les privilèges des cheminots », éructeront les cadres qui sont devenus eux aussi candidats à la défenestration ! et, en dernière analyse, pour les mêmes raisons qui vont mettre les cheminots à l’arrêt !
Mais, de cette dernière analyse, on ne trouvera trace dans aucune grande confédération. La certitude de la démission intellectuelle et politique a été définitivement acquise avec les très grosses manifestations de janvier et mars 2009. Sans aucune raison « institutionnelle » particulière, aucun projet de loi, aucune attaque gouvernementale vicieuse, des millions de personnes étaient descendues dans la rue, révulsées du désastre bancaire de l’automne 2008 et des conditions dans lesquelles on s’apprêtait à l’éponger. Si l’on peut au moins reconnaître aux confédérations le mérite d’avoir « appelé », elles n’avaient rien trouvé d’autre, pour donner sens à cette colère profondément politique, que de lui adjoindre quelques indigents mots d’ordre à base de « conditions de travail » et « d’augmentation des salaires ». Des mots d’ordre de conventions collectives face à rien de moins que l’ébranlement du capitalisme financiarisé. Des mots d’ordre auxquels, du reste, les gens n’ont prêté aucune attention : eux savaient bien pourquoi ils étaient dans la rue et quel était l’objet réel de leurs écumantes colères. Voilà cependant où conduit immanquablement la pauvreté des appels du syndicalo-syndicalisme : à la volatilisation en deux coups d’une formidable énergie politique qui s’était levée, et qui avait tout pour faire du chemin. À la condition évidemment d’être reconnue et encouragée dans ce qui l’intéressait. Deux mois plus tard, tout était retombé, et le 1er mai 2009 fut atone – comme d’habitude.
Il faut en effet appeler syndicalo-syndicalisme cette incurable maladie confédérale qui fait mettre la tête dans le sable aussitôt qu’apparaît de la politique. Même pas seulement la politique au sens institutionnel du terme – la politique des partis et des élections –, celle dont la charte d’Amiens prohibe le contact. Mais la vraie politique, la politique au plus haut sens du terme, celle des idées qui interrogent dans sa globalité le monde où l’on vit, et qui porte le désir d’en changer – une politique, et cela fait partie de ces nouveautés que Macron, Machiavel de sous-préfecture, ignore complètement, une politique qui depuis 2008 s’est répandue dans les têtes comme jamais. Car, à part les ravis de la « classe nuisible »7, il n’est plus une personne qui ne voie pas que le monde comme il va, va très mal. Mais trouver que le monde va mal, trouver même qu’il est odieux, c’est demander de la vraie politique, c’est vouloir prendre la rue pour de la vraie politique, et pas pour des histoires de tickets-restaurants. Disons-le au cas où : c’est très important les « histoires de tickets-restaurants » (généralement comprises). Il y a un nombre affolant de salariés pour qui ça revêt une importance dramatique. Mais à force de ne vouloir sauvegarder que les tickets-restaurants, en se refusant à parler de quoi que ce soit d’autre, les confédérations arriveront par nous faire perdre jusqu’aux tickets-restaurants.
Or, « quoi que ce soit d’autre », c’est la politique. Et nous y sommes. L’affaire de la SNCF est une affaire de politique : il y est question des principes d’un ordre entier. La racaille éditorialiste, qui n’a pas désarmé depuis 19958, est déjà sur les dents. Le tir de barrage va être immonde, phénoménal. Auprès de la population, il mettra dans le mille à chaque fois qu’on tentera de tenir la crête « des cheminots », si entièrement légitime soit-elle. Il est assez évident que nous ne réussirons qu’à la condition de faire entrer les non-cheminots dans le conflit des cheminots. C’est-à-dire qu’à la condition de lier les cheminots à tout ce à quoi ils doivent être liés, et de les lier politiquement. En produisant les preuves : ce qui agresse les cheminots et ce qui pousse des agriculteurs au désespoir et ce qui transforme des petits chefs en tortionnaires et ce qui suicide des salariés et ce qui réduit l’université à la misère et ce qui brise le cœur de soignants se voyant mal soigner, est la même chose : le même monde. Or : des agriculteurs sont désespérés, des petits chefs sont dans un devenir tortionnaire, des salariés passent par les fenêtres, de l’eau de pluie couledans les salles de classe, des soignants ont le cœur brisé, etc. Beaucoup de gens souffrent, terriblement même. Beaucoup trouvent ce monde haïssable et en passe d’être déserté par toute signification humaine. Ils le sentent. Là est la ressource du combat. Une ressource politique. Mais qui ne jouera qu’à la condition de rencontrer un discours politique.

Pour un syndicalisme politique

Que la direction de la CGT soit disposée à tenir ce discours, c’est ce dont il y a tout lieu de douter. Dans la situation actuelle, c’est pourtant la seule ligne capable de succès.
On se tromperait beaucoup si on pensait qu’ici l’organisation est prise comme « ennemie ». Il n’en est rien, d’abord parce qu’à la CGT, il y a la base, et que la base n’a jamais démérité – il suffit de se repasser l’histoire des Contis, des Goodyear, des PSA et de toutes les luttes que la postérité a inégalement reconnues, pour savoir ce que l’organisation compte de personnes décidées à se battre. Mais même en la prenant tout d’un bloc, direction comprise, la CGT reste une puissance de mise en mouvement à nulle autre pareille, et c’est là une donnée qu’un minimum de réalisme ne peut en aucun cas négliger. Sauf dans les fantasmes horizontalistes, ou bien en quelques circonstances proprement historiques, donc rares, les mobilisations ne naissent pas par génération spontanée : il y a fallu un germe, quelque chose qui fasse pôle, et autour duquel les gens se rassemblent, parce qu’ils savent alors où aller pour se rassembler – on ne se rassemble pas si on n’a pas un « lieu ».
Lors des lois El Khomri, il y a d’abord eu une pétition qui, sortie de nulle part, a fait deux millions de signatures, et puis un hashtag « On vaut mieux que ça » à 500 000 vues – c’est bien qu’ils avaient touché un nerf et, par-là, la preuve qu’il y avait un nerf à toucher. Et qui oserait nier que le nerf est toujours là, plus à vif que jamais ? Encore faut-il que se fasse connaître quelqu’un pour le toucher de nouveau.
Tout le monde sait très bien qu’après une pétition et un hashtag, il faut du plus lourd pour que ça continue dans la rue. Il y avait la CGT. Le problème, c’est que la CGT nous met dans la rue, et puis nous fait rentrer aussi sec. Si le réalisme commande de ne pas faire l’impasse sur son pouvoir de mobilisation, il commande aussi de regarder la manière dont il est utilisé. Ou retenu. Quand la rétention, déterminée par toutes sortes de mauvaises raisons, fait enquiller les défaites, on a le droit de poser des questions. Spécialement à la veille d’un grand combat.
Or, on ne fait pas le même syndicalisme en 2018, après dix années de crise structurelle mondiale, que dans les années fordiennes. Voilà un moment que le syndicalo-syndicalisme a rencontré, et même dépassé, sa limite. S’il n’est pas capable de faire de la politique, c’est-à-dire de tenir un discours général, où d’ailleurs toutes les luttes peuvent venir prendre un sens d’ensemble, il ne sortira plus vainqueur d’aucun grand affrontement, précisément parce que les grands affrontements emportent des enjeux essentiellement politiques, s’ils sont masqués par la particularité du front attaqué (ici la SNCF).
Mais alors une politique des idées ne détermine-t-elle pas de nouvelles relations avec la politique des partis ? Si. Inutile ici de brandir la charte d’Amiens comme un fétiche. Du reste, sur cette question, elle est aussi brève que ses intentions étaient datées, on en fait donc exactement ce qu’on veut. Dans une situation d’offensive générale, tout est à revoir. Si l’intervention de Jean-Luc Mélenchon lors du mouvement contre les ordonnances « code du travail » a été, dans sa forme, bien faite pour braquer le monde syndical, il n’est pas sûr qu’elle ait été dans le faux quant au fond de l’affaire. D’abord parce que le constat de l’impuissance volontaire du syndicalisme institutionnel commence à se répandre après tant d’échecs. Et qu’il est dans la logique des choses qu’une autre organisation, ici politique, donc, précisément, capable de tenir le discours global que le syndicalo-syndicalisme ne veut pas tenir, fasse mouvement. À plus forte raison quand elle dispose, comme c’est le cas avec la France Insoumise, d’une réelle capacité propre de mobilisation – appelant par conséquent le même regard de réalisme que sur la CGT.
Prenons le risque de l’exercice un peu oiseux de la prédiction rétrospective : un appel conjoint et paritaire CGT-FI (ou tout autre groupement de forces politiques) à manifester un jour de week end contre la réforme « Code du travail » avait de très grandes chances de taper le million : salariés du privé faits aux pattes en semaine, cadres qui n’en pensent pas moins, familles à poussettes, tout ce monde-là serait venu rejoindre les camionnettes sonos et les ballons gonflables. À un million dans la rue, la donne change. Car un million met en joie, et ne demande qu’à recommencer, pour revenir encore plus nombreux le coup d’après. Au lieu de quoi nous avons eu les manifs saute-mouton de semaine vouées à finir à quelques dizaines de milliers. La presse dit « le mouvement s’essouffle ». Les confédérations disent « le mouvement s’essouffle ». Et se pressent de tirer l’échelle. Moyennant quoi, nous avons le nouveau Code du travail.

L’occasion de ne plus être seuls

Or, une occasion se présente. Pour tous ceux qui voient dans leurs vies mêmes ce monde rendu à ses extrémités, le minimum est de la leur confirmer comme telle, c’est-à-dire comme lutte d’intérêt commun, pour qu’ils cessent de souffrir chacun par devers soi. Que peut être la politique sinon la production d’affects communs et de causes communes ? Les pouvoirs eux le savent bien, si c’est de connaissance pratique, qui travaillent en permanence à produire de l’isolement. Mais de temps en temps une fusée vient trouer la chape. Même la presse du capital finit par s’en apercevoir – ou laisse passer entre les mailles un article de dédouanement. Une journaliste du Monde enregistre ainsi l’onde de choc du Cash Investigation sur Free et Lidl9. Dans tous les supermarchés de la région, on commence à parler : « Tu as vu France 2 hier soir ? » s’interrogent des employés d’un Leader Price. Et l’un deux commente : « C’était comme un mot de passe pour dire : tu as vu, on n’est pas les seuls ». Voilà exactement résumée toute l’affaire : n’être pas seuls, arrêter de se sentir seuls. C’est peut-être le paradoxe le plus spectaculaire, et la performance la plus remarquable, du néolibéralisme que d’avoir produit à ce point le sentiment de la solitude quand il maltraite identiquement un si grand nombre de gens. Faire de la politique, c’est défaire la solitude. Et comme elle ne se défait pas toute seule, c’est produire la cause commune – depuis un pôle de rassemblement. C’est ce que le syndicalo-syndicalisme a abandonné de faire – s’il l’a jamais pratiqué. Il est vrai que dans l’état présent de l’ordre social, la politique de la cause commune est nécessairement une déclaration de guerre à l’ordre social…
Redisons que rien de ceci n’enlève de leur importance aux luttes concrètes, pour les avantages matériels, sur le terrain – les luttes bread and butter comme disent les anglais. Un syndicalisme qui l’oublierait se vouerait simplement à la disparition par inutilité, et aussi du fait que – tous les délégués le disent – le syndicalisme commence à la base, dans le contact assidu avec les collègues, donc autour de ce qui les intéresse au premier chef. Mais ça n’est pas de ce côté que se tient le plus grand risque, c’est de l’autre : du côté de la production de la cause commune, qui n’est nullement la prérogative « des partis », mais échoit par le fait à toutes les organisations dont le pouvoir de mobilisation est important – dans cette hiérarchie, la CGT tient évidemment le premier rang –, et en fait comme une condition même de réussite de leurs propres combats. Par définition, d’ailleurs, une lutte dans laquelle la confédération elle-même se trouve engagée est une lutte qui emporte des enjeux globaux – c’est-à-dire politiques. Et demande donc de parler de la politique, like it or not.

Moment

On hésite, forcément, à dire tout ça, à la veille d’un mouvement social où la CGT, pour le meilleur ou pour le pire, tiendra un rôle décisif. Mais alors quand faut-il parler ? Avant, ça n’est pas opportun. Après, c’est trop tard. Bref, ça n’est jamais le bon moment. Donc maintenant. Sans doute, nul n’a-t-il à s’arroger le droit (ou le ridicule) de penser la stratégie de la CGT à la place de la CGT. Cependant, il se trouve que notre intérêt bien compris, et ces derniers temps bien douché, passe par elle. Ce qui nous autorise à dire une ou deux choses. D’abord que, si d’aventure la mobilisation du 22 mars est importante, alors il sera de la responsabilité de la CGT de veiller sur elle. Ensuite qu’il est l’heure pour l’organisation de mesurer combien les temps ont changé. Le déchaînement néolibéral ne se connait plus de limite, il va tout emporter, et notamment les centrales qui seront restées les deux pieds dans le même sabot à jouer le jeu idiot sans comprendre qu’une contre-révolution s’apprête à les renvoyer au néant (si elles ne sont pas passées à la franche collaboration) – car, après la SNCF, il y aura la fonction publique, le SMIC, la Sécu, tout ! Après tant de défaites majeures depuis 2010, il se pourrait que la CGT soit rendue à un point de décision : ou bien s’enfoncer dans l’insignifiance, ou bien se porter la hauteur de l’époque, c’est-à-dire à la hauteur d’une crise historique, et du rôle qu’elle peut y tenir. Mais à la condition de devenir capable de dire les choses que l’époque appelle. Si elle y parvient, elle peut devenir le lieu de convergence de toutes les forces qui n’en peuvent plus de ce monde. Et sinon, adieu Berthe — ou le coma institutionnel.
En fait, les syndicats des années fordiennes avaient un assistant politique, un assistant très puissant, qui faisait la politique à leur place et semblait les en dispenser : le Mur. Le Mur, c’était la figure de la différence, c’est-à-dire la figure politique par excellence, le rappel de ce qu’il n’y avait pas qu’une seule forme possible pour l’ordre social (et si calamiteuse fut celle de « l’autre côté du Mur »). Formellement parlant, la possibilité d’une alternative pesait considérablement dans tous les esprits, à commencer par ceux du patronat. Aussi cette pression venue du dehors des syndicats permettait-elle aux syndicats de rester dans le syndicalo-syndicalisme, et d’affecter ne s’occuper que de hausses de salaires et de conventions collectives. Mais cette époque est révolue. Et surtout, le capitalisme, débarrassé des saines régulations de la peur, est devenu fou de violence. Il en est arrivé à un point où sa brutalité globale n’appelle plus que des réponses globales. Les temps ont changé. Il est possible qu’il n’y ait plus de place, et d’espoir, que pour un syndicalisme politique. Et pourquoi pas révolutionnaire.

Source du texte de :  https://blog.mondediplo.net/2018-03-20-Ordonnances-SNCF-l-occasion

Commentaire de Bernard Teper

Face à l’offensive générale de Macron, gérant du capital, on ne peut plus combattre seulement avec des manifestations “saute-mouton” ou en appelant à des manifestations ne mobilisant qu’un type de profession

​L’analyse des conflits de ces dernières années et la poussée enregistrée lors des manifestations des 15 et 22 mars appelle obligatoirement au débat sur la suite du conflit de classes qui vient de démarrer. Soit on continue comme précédemment à savoir on épuise les travailleurs dans une succession de manifestations “saute-mouton” et en appelant à des manifestations qui ne mobilisent qu’un type de profession. C’est dans ce cadre que Frédéric Lordon pose un débat dans le texte ci-dessus. On pourra rétorquer que nous sommes habitués aux enthousiasmes de Frédéric Lordon qui ne durent qu’un temps. On pourra lui reprocher d’être moins sévère  face à toutes les pensées magiques qui nous promettent le paradis pour demain matin à 8h 30. On pourra lui reprocher sa mansuétude face au relativisme culturel et au poison communautariste qui a comme conséquence de diviser radicalement le peuple. On pourra lui reprocher de sous-estimer le travail de lien social préalable nécessaire pour mobiliser. Car dire une chose juste sans avoir de liens sociaux et politiques avec les travailleurs est aussi inefficace que l’inverse.

Mais on ne pourra pas dire que le débat qu’ouvre Frédéric Lordon est un débat hors sol. C’est bien le débat central de la période.

Et pour commencer, montrons que l’utilisation de la Charte d’Amiens (que peu ont lue entièrement) dans le sens d’un évitement du politique est un scandale. La charte d’Amiens dit aussi : « La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat ».
Explication de texte : « Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe qui oppose sur le terrain économique les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière Le Congrès précise, par les points suivants, cette affirmation théorique : dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc. Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme : d’une part il prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste, et d’autre part, il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale.
Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d’avenir, découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait, à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat.
Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors. En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale. »

D’après ce texte, il y a bien une double besogne, celle des “améliorations immédiates” et celle plus politique de “l’émancipation intégrale”. Cette dernière que Frédéric Lordon appelle le syndicalisme politique.

Par ailleurs, rien n’empêche un rassemblement général dans la lutte de toutes les forces progressistes qu’elles soient syndicales, associatives ou politiques. Ecoutons Jean Jaurès : « Le prolétaire doit agir et combattre comme syndiqué, comme citoyen, comme coopérateur. Coopération, socialisme, syndicalisme sont trois forces distinctes et autonomes, mais solidaires. L’abaissement de l’une abaisse les autres. L’exaltation de l’une exalte les autres. Et chacune d’elles périrait d’une prétention exclusive. Pour reprendre la formule récente de Jouhaux je dirai : Chacune de ces trois forces se suffit à elle-même ; mais ce n’est que toutes ensemble qu’elles suffisent à tout. » (Article du 22 septembre 1913, titré « L’Origine »).

Revenir aux fondamentaux de l’analyse d’abord du réel avant de vouloir aller vers l’idéal vaccine contre les pensées magiques et diviseuses et permet de créer le chemin vers l’émancipation. Voilà le débat que nous souhaitons mener.

  1. Serge Halimi, « L’offensive générale », Le Monde Diplomatique, mars 2018. []
  2. Lire Martine Bulard, « Les recettes du vieux monde en échec », « Travail. Combats et utopies », Manière de voir, no 156, décembre 2017 – janvier 2018 []
  3. Voir le dossier « La grande révolte française contre l’Europe libérale » dans Le Monde diplomatique de janvier 1996. []
  4. Jacques Chastaing, « Un tournant dans la situation sociale », Blog Mediapart, 27 mars 2017. []
  5. Didier Bille, DRH, la machine à broyer. Recruter, casser, jeter, Cherche Midi, 2018. []
  6. Lire Pierre Bourdieu, « L’essence du néolibéralisme », Le Monde diplomatique, mars 1998. []
  7. Voir « Situation », Lundimatin, 13 juin 2017. []
  8. Lire Serge Halimi, « Les médias et les gueux », Le Monde diplomatique, janvier 1996. []
  9. Charlotte Chabas, « Dans la grande distribution, “Cash Investigation” a fait “l’effet d’une bombe” », Le Monde, 5 octobre 2017. []
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Quelques réflexions sur la situation du département français de Mayotte        

par Christian Dulieu

 

L’île de Mayotte, ce 101e département français, est sous tension. S’y déroulent quotidiennement des manifestations, contre l’insécurité, l’immigration irrégulière et le manque de moyens pour y remédier. Depuis le 20 février, un collectif de citoyens et une intersyndicale ont déclenché un mouvement social, entré dans sa quatrième semaine. Annick Girardin, ministre de l’Outre-mer s’est rendue dans l’île , et les habitants lui ont dit qu’ils ne veulent pas de « sous-mesures d’urgence », comme ils ont appelé ses annonces.

Les vœux des manifestants sont d’obtenir un plan sur l’avenir et une réponse concernant la lutte contre une délinquance croissante et contre les migrations  clandestines. Vu sa position géographique, la reconnaissance de cette île comme un département français a été le point de départ d’une nouvelle migration des Comoriens. Mettez en balance avec, pour les Comoriens, les avantages donnés aux Mahorais et cela donne un contenu explosif. Et ce ne sont pas les déclarations apaisantes de la ministre de l’Outre-mer qui changeront quoi que ce soit.

Chaque jour ce sont 26 enfants qui naissent dans cette île, c’est-à-dire la totalité des effectifs d’une classe primaire locale. Dans certains endroits afin que tout le monde puisse aller à l’école on voit défiler trois groupes différents, dans la même classe, sur une même journée. Il n’y a jamais eu d’étude sur les besoins en termes de scolarisation et d’éducation. Il y a au moins 1 500 enfants qui ne peuvent pas bénéficier du collège et plusieurs milliers, 3 000 au moins qui ne sont pas du tout scolarisés, y compris en primaire.

À Mayotte, 47 % des résidents sont d’origine étrangère. Une personne sur deux n’y est pas née. L’île doit faire face par contre à 10 000 naissances par an. Mayotte accueille 256 000 habitants, et voit s’installer 50 000 habitants en plus en par an, tandis que 60 % des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté. Se perpétue un réel déficit d’équipements scolaires. Mais ce qui a provoqué la révolte, c’est la présence de 2 à 3 000 mineur(e)s exilé(e)s isolé(e)s qui se sont retrouvés abandonné(e)s sur l’île par leurs parents originaires de toutes les îles proches et dont la plus part ont été expulsés. (En guise de comparaison un petit département comme le Tarn, de 384.500 habitants accueille avec beaucoup de difficultés 250 mineurs isolés !)

Ces mineur(e)s, devenus enfants des rues, n’ont pas d’autres solutions pour exister, que de dormir dans la rue, se débrouiller plus ou moins légalement, ce qui provoque souvent des vols, des agressions, et même des meurtres. Ces enfants des rues, exclus de tout système de scolarisation et d’éducation, quand ils voient  les jeunes de leur même classe d’âge passer en bus pour aller à l’école, n’arrêtent pas de les caillasser. Souvent pour se faire un peu d’argent, ils n’hésitent plus à racketter d’autres jeunes devant les collèges ou lycées. Organisés en bande, ils s’aventurent même parfois, à agresser des adultes et souvent les personnes les plus vulnérables. Quand ils se voient refoulés des villes, ils se regroupent en bandes et deviennent des « coupeurs de route ». L’insécurité provoquée par la présence agressive de ces jeunes incontrôlés est donc réelle et permanente.
On a aussi à faire à une traite d’enfants abandonnés, ayant acquis la nationalité française, contre gains financiers. Là-bas les enfants deviennent un marché. Il suffit d’accoucher en France, à Mayotte comme ailleurs en métropole, et la nationalité est acquise pour l’enfant. La mère reste, puis se pose alors le cas la question du regroupement familial. C’est alors  que se déroule une course à l’acquisition d’un statut envié, avec ses corollaires que sont les avantages sociaux et son cortège de difficultés quand ce statut est refusé. La maternité de Mayotte est la première de France avec quelque 10 000 naissances par an, soit deux fois plus que la plus grosse maternité d’Île de France !

L’urgence existe depuis plusieurs années, plusieurs décennies. C’est l’ensemble de la situation et du contexte socio-économique de Mayotte qui aujourd’hui sont mis en situation. Le collectif de citoyens, appuyé par un mouvement syndical, lutte de manière comparable à ce qui se déroule en Guyane, avec le collectif “La Gwiyann dékolé”. La « gouvernance » est en faillite dans cette affaire. La Cour des Comptes, en 2016 dans son rapport « Mayotte 2025 », concluait qu’il y avait un besoin urgent en matière de logement, plus de la moitié de la population vivant dans des cabanes de tôles et de cartons.
Le deuxième enjeu pour Mayotte c’est la certitude d’avoir accès au droit commun, celui attaché au droit du sol. Le gouvernement, lui, réfléchit à un impossible statut d’ « extraterritorialité », mais uniquement pour l’hôpital. L’objectif serait de faire en sorte que les naissances qui interviennent sur l’île ne permettent pas d’obtenir obligatoirement la nationalité française. Les Mahorais eux ne veulent pas apparaître comme des cas particulier soumis à des accords provisoires et limités. Les vraies questions sont : Comment peuvent s’organiser la scolarité, la santé, le logement sur ce territoire français ? Se pose aussi en parallèle le problème des Comores qui freine l’attractivité de Mayotte. La présence excessive et permanente d’étrangers pose, certes, la question du droit du sol. Doit-on adopter pour autant un régime d’extra-territorialisation particulier pour Mayotte, ou du moins de nouvelles règles concernant le droit sanitaire et le droit à une scolarité pour toutes et tous ?

Ce sont ces questions de survie que posent tous les jours, au gouvernement français ceux qui descendent légitimement dans la rue pour manifester.

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Du réfugié politique au réfugié(s) climatique(s) : une catégorie de personnes vulnérables en quête d’une protection juridique adéquate

par Michel Marchand

 

Ennemi ou hôte, la question de l’étranger est plus que jamais d’actualité. Certains pays de l’Union européenne ont choisi l’hostilité. Pour la France, avec le projet de loi du Gouvernement « Asile et Immigration », les demandeurs d’asile deviennent indésirables : empêchement d’entrée, expulsion, bannissement du territoire. Le film « Human Flow » du dissident chinois Ai Weiwei permet de se rendre compte de l’ampleur planétaire du drame des migrants à travers le monde qui risque de s’aggraver sous le poids des facteurs politiques, économiques et écologiques. Pour ces derniers, réfugiés écologiques, réfugiés environnementaux, réfugiés climatiques, aucune protection juridique ne peut être invoquée malgré de multiples tentatives (cf. L’Appel de Limoges sur les réfugiés écologiques – et environnementaux ). À la fin du XXe siècle, 25 millions de personnes étaient forcées de quitter leurs habitations, leurs régions ou leurs pays d’origine en raison d’une « cause écologique ». Les prévisions des Nations-Unies évoquent le chiffre de 250 millions de migrants écologiques à l’horizon 2050. Ni la France, ni l’Union européenne ne sont à la hauteur des enjeux migratoires des prochaines décennies. Nous publions ci-dessous le texte d‘Emnet GEBRE chargée d’enseignement à l’Institut Catholique de Toulouse et consultante.

 

Si aujourd’hui les déplacements provoqués par les situations de violence ou des conflits s’imposent comme une évidence, ceux dus aux aléas environnementaux, notamment ceux dus aux impacts des changements climatiques n’en sont pas moins réels et préoccupants. Il faut convenir que les changements climatiques sont réputés être l’une des causes majeures de déplacements de personnes du XXIe siècle. De la submersion des fameuses îles du Pacifique à la désertification qui ne cesse de progresser en Afrique, les impacts des changements climatiques bouleversent le quotidien, les moyens de subsistance des communautés, menacent la vie des personnes et les obligent à quitter leur lieu d’habitation habituel.

En 2016, d’après l’Internal displacement monitoring centre, 24,7 millions de personnes ont été déplacées à cause des catastrophes naturelles dont la grande majorité est liée aux facteurs climatiques1. Entre 2008 et 2016, près de 26,4 millions de personnes se sont déplacées chaque année : ce qui signifie qu’une personne se déplaçait chaque seconde. Il faut rappeler que 95 % de ces déplacements se produisent dans les pays en développement. Les prévisions sont tout aussi alarmantes : on estime que 200 à 250 millions de personnes vont potentiellement être déplacées2. Un récent rapport de la Banque Mondiale3 estime qu’en l’absence d’importantes mesures en matière climatique et dans le domaine du développement, l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud et l’Amérique latine pourront compter près de 143 millions de migrants internes d’ici 2050, soit 2,8 % de la population de ces trois régions. À l’instar des îles du Pacifique qui sont menacées par la submersion, de nombreux États d’Asie du Sud dont le Bangladesh font désormais figure de laboratoire des changements climatiques. L’élévation d’un mètre du niveau de la mer, scénario possible, est susceptible de submerger 1/5 du territoire et de pousser 30 millions de Bangladais à se déplacer dans leur propre pays. La Banque mondiale avance également que les régions du bassin du Gange au Bangladesh, notamment les régions des terres cultivées, pourront subir une forte pression démographique et seraient susceptibles d’accueillir près de 1,3 million de personnes d’ici 2050 et 10 % de la population dans ces zones pluviales seraient des migrants climatiques.

De la difficulté à estimer avec précision les migrations environnementales futures à la difficulté à isoler avec exactitude le facteur « environnemental » et à cerner les schémas migratoires, de nombreuses zones d’ombre subsistent à plusieurs niveaux rendant ainsi nécessaire la poursuite des études empiriques sur le phénomène. Les études menées jusqu’à présent montrent que les déplacements liés aux changements environnementaux globaux sont davantage de nature interne qu’internationale. C’est notamment une des raisons pour laquelle le droit international des réfugiés ne permet pas de protéger une grande partie des personnes qui fuient leur lieu d’habitation habituel à cause des aléas environnementaux, car ce droit ne s’applique qu’aux personnes traversant les frontières étatiques.

LA MIGRATION ENVIRONNEMENTALE ET LE DROIT INTERNATIONAL DES RÉFUGIES

Au-delà du critère de franchissement des frontières, le critère central de la notion de réfugié est la crainte d’être persécuté. En effet, bien que les personnes victimes des dégradations environnementales puissent démontrer qu’elles ressentent une crainte raisonnable, il faut qu’elles prouvent que l’origine de leur crainte est uniquement la persécution. La Convention de Genève ne donnant aucune définition du terme « persécution », les États possèdent un pouvoir d’appréciation discrétionnaire leur permettant d’interpréter cette notion de manière plus ou moins large en fonction des circonstances de chaque cas. La persécution est, en principe, reconnue lorsqu’il y a une atteinte directe et grave aux droits les plus fondamentaux. Or, au regard de cela, les atteintes à l’environnement comme les impacts des changements climatiques4 ne semblent pas atteindre le seuil d’intensité requis par la notion de persécution.

Par ailleurs, seules les personnes, victimes de persécution en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un groupe social sont éligibles au statut de réfugié. S’agissant des impacts des changements climatiques, ils frappent de manière indiscriminée, certaines personnes en sont plus affectées que d’autres non à cause de leur race, de leur religion ou de leur nationalité, mais plutôt en raison de leurs positionnements géographiques ou de leur niveau de développement.

De même, l’existence d’une protection de la part de leur État d’origine, fût-elle imparfaite, peut les rendre inéligibles au statut de réfugié. En effet, les réfugiés ne peuvent espérer obtenir aucune protection adéquate de leur pays d’origine ou de résidence, car leur gouvernement est lui-même responsable par action ou par omission des persécutions dont ils sont victimes. Ainsi, ces derniers n’ont d’autre choix que de demander une protection internationale en se tournant vers la communauté internationale. Les victimes d’aléas climatiques ou environnementaux, quant à elles, peuvent du moins théoriquement aspirer à une protection nationale.

Des États comme la Nouvelle-Zélande avaient récemment manifesté leur volonté de créer une nouvelle catégorie de visa pour les déplacés climatiques. Cet appel du gouvernement néo-zélandais est intervenu à la suite du rejet par les tribunaux néo-zélandais des demandes d’asile introduites par des habitants des îles de Kiribati et Tuvalu fuyant les impacts des changements climatiques. Ce dispositif destiné pourtant à combler les lacunes de protection résultant d’une application restrictive des critères définis par la Convention de Genève ne concernerait qu’une centaine de personnes par an.

L’UNION EUROPÉENNE ET LES DÉPLACEMENTS ENVIRONNEMENTAUX

En vertu de la directive 2011/95 UE du Conseil de l’Union européenne du 13 décembre 2011, dite « directive qualification », les aléas climatiques ou environnementaux de manière générale ne sont pas considérés comme des causes admissibles de départ justifiant la reconnaissance du statut de réfugié ou l’attribution d’une protection internationale au titre de la protection subsidiaire. Néanmoins, la directive prévoit la possibilité pour les États membres de maintenir ou d’adopter des normes qui assouplissent les conditions d’octroi du statut de réfugié. Cette disposition n’a toutefois été concrétisée que par la Suède et la Finlande qui restent les rares États membres dont la législation interne prévoit un droit d’asile aux victimes de catastrophes naturelles. Bien qu’il ne prévoie pas explicitement dans sa législation « l’asile environnemental », le Danemark a déjà accordé l’asile à des personnes de nationalité afghane fuyant la sécheresse. En dehors de ces initiatives étatiques isolées, il faut relever qu’à ce jour, aucun instrument de l’Union européenne n’envisage la protection des déplacés environnementaux même si quelques tentatives de reconnaissance ont été entreprises.

En 2001, les députés membres du groupe des Verts avaient essayé en vain d’insérer une référence aux « réfugiés environnementaux » dans un rapport du Parlement européen relatif à la politique commune d’asile. En 2004, Marie-Anne Isler-Béguin et Jean Lambert, deux députés membres du parti écologiste avaient demandé dans une Déclaration écrite au Parlement européen la mise en place d’un statut communautaire de « réfugié écologique ». En 2008, le directeur général des relations extérieures de la Commission européenne avait toutefois laissé sous-entendre que le sort des déplacés environnementaux n’est pas la priorité de l’Union européenne pour le moment5. Dix ans plus tard, la situation n’a pas évolué car l’Union n’a toujours pas apporté de réponses concrètes au phénomène malgré l’appel de certaines institutions notamment du Parlement qui ne cesse de rappeler la nécessité de repenser les mécanismes de protection existants.

Le 10 octobre 2016, le Parlement européen a adopté un rapport sur « les droits de l’homme et la migration dans les pays tiers » dans lequel il « insiste sur la nécessité pour l’Union et ses États membres de soutenir les pays les moins avancés (PMA) dans le cadre de la lutte contre le changement climatique afin d’éviter […] de voir s’accélérer le nombre de déplacés environnementaux ». Il poursuit en demandant à « l’Union de participer activement au débat sur le terme de réfugié climatique ainsi qu’à l’élaboration éventuelle d’une définition au regard du droit international6 ». Plus récemment, dans un rapport du 22 février 2017 sur la gestion des flux de réfugiés et de migrants, et sur le rôle de l’action extérieure de l’Union, le Parlement européen a réitéré la nécessité pour l’Union européenne et ses États membres de reconnaître les effets du changement climatique sur les déplacements de masse. Il demande à tous les États « d’étendre la définition du statut de réfugié pour inclure les personnes déplacées contre leur volonté par la pauvreté extrême, le changement climatique ou des catastrophes naturelles ». La nécessité de prévoir un statut spécifique en faveur des déplacés climatiques a été également soulignée7.

En France, à la veille de la conférence de Paris (COP21) en 2015, le Sénat avait adopté une résolution visant à la promotion de mesures de prévention et de protection des déplacés environnementaux dans laquelle il « invite la France à promouvoir, dans le cadre de la COP21 ainsi qu’au sein des institutions européennes et internationales, la mise en œuvre de mesures de prévention et de protection des déplacés environnementaux présents et à venir, qui ne bénéficient aujourd’hui d’aucune reconnaissance 8». Le projet de loi immigration et asile présenté au Conseil des ministres du 21 février 2018 n’apporte aucun changement d’ordre substantiel à la conception de la protection internationale accordée jusque-là par la France.

LA PROBLÉMATIQUE DES DÉPLACEMENTS CLIMATIQUES DANS LE CADRE DU RÉGIME INTERNATIONAL DU CLIMAT

Après le refus des États d’insérer la question migratoire dans l’Accord de Copenhague, il a fallu attendre les Accords de Cancún (COP 16) en 2010 pour que les déplacements dus aux impacts des changements climatiques attirent l’attention de la communauté internationale. C’est à partir de la Conférence de Cancún que le régime international du climat a commencé à envisager la migration comme une stratégie d’adaptation aux impacts des changements climatiques. Cela signifie donc que les États développés doivent en principe aider les pays en développement, parties particulièrement vulnérables, à faire face au coût des migrations au titre de leur obligation en matière d’adaptation posée par la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). La prise en compte de la question migratoire par le régime climatique au titre de l’adaptation aux changements climatiques peut aussi laisser ouverte des perspectives de financement des programmes de protection destinés aux déplacés climatiques.

À la Conférence de Varsovie (COP 19) en 2013, la mobilité humaine a été aussi reconnue comme l’un des principaux types de pertes non économiques liées aux changements climatiques. Par la même occasion, les États se sont également mis d’accord pour la mise en place d’un mécanisme international relatif aux pertes et préjudices liés aux incidences des changements climatiques (Mécanisme de Varsovie). Toutefois, nous sommes encore loin de la mise en place d’un véritable système d’indemnisation des préjudices résultant des changements climatiques. Au titre des arrangements institutionnels qui doivent être renforcés pour soutenir la mise en œuvre des obligations relatives aux pertes et préjudices, la Conférence des Parties à Paris avait prévu la mise en place d’une équipe spéciale (Task force) qui a été établie en mars 2017. Si l’équipe spéciale a été pour l’instant chargée de développer des recommandations afin de prévenir, minimiser et répondre aux défis posés par le déplacement lié aux impacts des changements climatiques, elle pourrait dans le futur acquérir certaines compétences notamment opérationnelles nécessaires à la protection des déplacés climatiques.

L’Accord de Paris de 2015 a également introduit dans son préambule une référence expresse aux droits de l’homme accompagnée d’une référence aux « migrants ». Cette disposition reste la moins ambitieuse parmi les options proposées aux États dans le texte de négociation. Elle ne dispose pas non plus de force obligatoire contraignante. Mais, il n’empêche que les COP à venir pourront effectivement l’exploiter et la rendre opérationnelle au service d’une protection en faveur des déplacés climatiques.

Enfin, beaucoup d’espoir avait aussi été placé sur le Pacte mondial sur les migrations sûres, ordonnées et régulières qui sera adopté à l’ONU en 2018. On avait espéré que le futur pacte mondial mît en œuvre des mécanismes innovants à la hauteur des défis posés par les déplacements climatiques. Mais il semble qu’à la lecture du projet, les causes profondes des déplacements de personnes, notamment les dégradations environnementales et les changements climatiques, n’ont pas obtenu une attention suffisante. Reste à savoir si la piste d’un instrument international portant spécifiquement sur les déplacements environnementaux ne mérite pas d’être explorée davantage.

  1. http://www.internal-displacement.org/global-report/grid2017/. A titre de comparaison, il faut rappeler que 6,9 millions de personnes ont été déplacées à cause des conflits. []
  2. http://www.unhcr.org/fr/news/stories/2008/12/4acf01c919/mise-garde-hcr-deplacements-dus-changement-climatique.html []
  3. World Bank report, Groudswell: Preparing for Internal Climate Migration, 2018 (86 millions en Afrique subsaharienne, 40 millions en Asie du Sud et 17 millions en Amérique latine). []
  4. Immigration and Protection Tribunal New Zeland, AC (Tuvalu), NZIPT 800 517-520, 4 juin 2014; Immigration and Protection Tribunal New Zeland, AF (Kiribati), NZIPT 800 413, 25 juin 2013. []
  5. A. Sgro, « Towards recognition of environmental refugees by the European Union », Exodes écologiques, Revue Asylon(s), n° 06, novembre 2008. []
  6. Parlement européen, Rapport sur les droits de l’homme et la migration dans les pays tiers, 10 octobre 2016, § 77 et 78 []
  7. Parlement européen, Rapport sur la gestion des flux de réfugiés et de migrants : le rôle de l’action extérieure de l’Union, 22 février 2017. []
  8. Sénat n°17, Résolution visant à la promotion de mesures de prévention et de protection des déplacés environnementaux, 21 octobre 2015. []
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Quel avenir immédiat pour la Palestine ?

par Zohra Ramdane

 

L’état de santé de Mahmoud Abbas (83 ans) devient si préoccupant que le comité central du Fatah, principale organisation palestinienne de l’OLP, vient de désigner celui qui le remplacerait à la tête du Fatah, si Mahmoud Abbas ne peut plus gouverner. Il s’agit de Mahmoud Al-Alloul. Avant cette réunion, on parlait d’un trio regroupant outre Mahmoud Al-Alloul,  Jibril Rajoud et le général Majid Faraj, chef du service de renseignement de l’Autorité palestinienne. Mahmoud Al-Alloul a récemment déclaré qu’il était d’accord avec une solution à un seul Etat si l’égalité totale était réalisé entre citoyens israéliens et citoyens palestiniens mais qu’il ne pourrait pas accepter la situation d’apartheid actuelle.
Mais on apprend que les pays arabes (Egypte, Arabie saoudite, les Emirats) souhaiteraient le retour de Mohamed Dahlan, ancien chef de la sécurité d’Arafat , mis en disgrâce par Mahmoud Abbas, et qui vit actuellement aux Emirats.

Ajoutons à cela que la situation n’a jamais été aussi tendue entre le Fatah et le Hamas depuis que le premier ministre palestinien a subi un attentat à la bombe alors qu’il entrait à Gaza pour dialoguer avec le Hamas. Difficile dans ces conditions d’organiser, par exemple,  un scrutin à Gaza et en Cisjordanie en même temps.
Il y a donc beaucoup d’incertitudes sur la succession éventuelle de Mahmoud Abbas.

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« Robespierre et la République sociale », par Albert Mathiez

par Bernard Teper

 

Ce livre édité par les Editions critiques (20 euros) est en fait écrit par le grand historien Albert Mathiez (1874-1932), fondateur de la Société d’Etudes robespierristes. Il est préfacé par Yannick Bosc et Florence Gauthier, tous deux maîtres de conférences, spécialistes de la Révolution française.

Malgré ses 368 pages, je l’ai lu rapidement en deux fois tant il remet les pendules à l’heure. Car après la chute de Robespierre, ce sont les thermidoriens qui ont donné le ton d’une histoire à charge contre Robespierre. Mais sans études historiques suffisantes ! Comme souvent, beaucoup d’écrits sont des ouvrages de propagande anti-Robespierre. Il a fallu attendre le grand Jaurès qui dans son Histoire de la Révolution française a étudié à partir des sources existantes pour remettre l’histoire de Robespierre dans le chemin de la raison historique. Puis vient le grand Mathiez pour étudier alors d’autres sources pour mieux comprendre encore cette période.

Pour tous ceux qui travaillent sur les conditions de la révolution, sur les conditions d’une transformation sociale et politique, les écrits de Mathiez et ce livre en particulier sont importants. Mathiez a été jusqu’à faire, dans un autre ouvrage publié par le même éditeur, un parallèle entre les révolutions française et russe, estimant que la seconde a tenu compte des erreurs réalisées dans la première. Comme il est nécessaire que nous tenions compte des erreurs de cette deuxième pour la prochaine…

Ce qui est fascinant dans ce livre, c’est le contre-pied du discours de l’auteur – appuyé sur des sources partout présentes tout au long du livre – par rapport à la doxa propagandiste et falsifiée des historiens bourgeois préférant les intérêts de leur classe à la vérité historique.

On  a droit d’abord dans les premiers chapitres à une synthèse de l’histoire même de cette Révolution. Puis viennent des chapitres passionnants comme celui intitulé “La terreur, instrument de la politique sociale des robespierristes” ceux consacrés aux 8 et 9 thermidor où on a l’impression de revivre l’histoire heure par heure, tellement Mathiez montre sa capacité d’avoir un discours holistique quoique chronologique de ces deux jours. Il montre clairement les erreurs réalisées par Robespierre et les raisons des divisions dans les Comités de gouvernement. Il montre bien aussi le rapport qu’entretient Robespierre avec la démocratie et la souveraineté populaire.

Bien que nous ayons trouvé le chapitre sur le culte de l’Etre suprême très intéressant, bourré de renvois aux sources, nous ne suivrons pas jusqu’au bout Albert Mathiez sur ce sujet.

Mais une chose est sûre : vous devez lire ce livre. Et alors, quel beau débat nous pourrions avoir en réunion publique ! Nous attendons vos avis…



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