n°878 - 11/06/2018
Sommaire

Chronique d'Evariste

Ecologie

Mode d'emploi

Soutenir et financer

Bien que le journal électronique soit rédigé par des contributeurs non rémunérés, nous devons faire face à des frais (notamment informatique). C'est pour cela que votre aide financière est la bienvenue pour nous permettre de continuer à vous informer sur les combats de la Gauche Républicaine et Laïque. Pour ce faire vous pouvez faire une adhésion de soutien en vous inspirant du barème ci-après et en nous envoyant sur papier libre vos Noms, Prénoms, Adresse et courriel à :

Les Amis de ReSPUBLICA
27, rue de la Réunion
75020 PARIS

Barème indicatif :
Chômeurs, RMIstes, Etudiants : 10 €
SMIC et au-delà : entre 25 € et 100 €

 
Chronique d'Evariste
Rubriques :
  • A la une
  • Chronique d'Evariste
  • COP21
  • Europe
  • lettre 878

EN GUERRE - Saison 1

par Évariste

 

L’alliance ordolibérale1, communautariste et cléricale avance à grand pas, il est temps de déployer notre antidote : l’alliance du combat démocratique, laïque, social et écologique

Nous vivons une accélération de l’histoire. L’actualité américaine et chinoise, l’actualité italienne, le développement de la pression des lobbies religieux, le développement des gaz à effet de serre, la volonté néolibérale de passer de la démocratie vers la démocrature2, l’obligation capitaliste pour se maintenir d’attaquer de front les salaires directs et socialisés pour financer des taux de profits élevés, profitent aujourd’hui au développement du populisme d’extrême droite. Comme dans toute période de crise comme celle que nous vivons (rappelons-nous la crise de 1929 car nous ne sommes pas de ceux qui ont perdu la mémoire historique), le désamour populaire de l’ordolibéralisme européen va engager un combat entre le populisme d’extrême droite qui se développe en Europe et les forces progressistes. Pour mener sérieusement cette bataille, nous devons modifier les lignes stratégiques politiques, syndicale, et culturelle dans les forces progressistes d’émancipation sociale, politique, économique et culturelle.

L’actualité américaine et chinoise

Les décisions protectionnistes de Trump doivent être comprises comme une politique pour répondre à l’exacerbation de la concurrence inter-impérialiste contre le Canada et les pays européens. La guerre que se livre les grandes puissances économiques de la planète, notamment sur l’Acier, ne fera qu’exacerber la division entre les travailleurs, car pour eux, point d’intérêt aux mesures protectionnistes lorsqu’elles n’ont pour objet que de sauvegarder la marge des états et/ou du patronat.
La décision chinoise de créer un nouveau contrat à terme yuan/or à Londres, faisant suite au même type de contrat à Hong Kong doit être comprise comme une volonté chinoise de pouvoir commercer de plus en plus en yuan et non en dollar et permettre alors aux clients et fournisseurs de la Chine d’utiliser la devise chinoise pour garantir des opérations montées par son intermédiaire.

L’actualité italienne

Il a fallu quelques jours pour que les néolibéraux dits de gauche grecs avec Tsipras pour rentrer dans le rang de l’acceptation néolibérale. En 7 ans, les alaires ont diminué de 40% ! Dans l’actualité italienne, il a fallu une petite journée, sur injonction patronale, pour que les populistes italiens d’extrême droite remplacent un économiste anti-euro par un économiste zélé pro-euro.
L’oligarchie capitaliste joue deux fers aux feux d’une part avec les néolibéraux de gauche ou de droite (dans la plupart des pays européens) et d’autre part avec les populistes d’extrême droite (en Autriche, en Hongrie, en Pologne, en Italie, en Tchéquie, et bien sûr en France.
Dans l’Union européenne, les traités européens et la zone euro favorisent le développement de déséquilibres économiques et sociaux de plus en plus en plus manifestes qui entraînent les peuples au désamour progressif de l’ordolibéralisme européen. Comme la stratégie des forces progressistes n’est pas à la hauteur des enjeux, c’est les futurs alliés de l’oligarchie capitalisme, les populistes d’extrême droite, qui en profitent. On l’a vu avec l’insuffisance du soutien aux cheminots grévistes, la grève « loto » où les cheminots auront fait plus de jours de grève qu’en 95 sans que le résultat soit le même, avec le fiasco de la manifestation des fonctionnaires du 22 mai et l’insuffisance de la mobilisation du 26 mai, même si que la manifestation du 26 5 mai a redonné espoir à certains militants.
Pourtant, les traités européens et la zone euro vont continuer à faire que les plus riches vont s’enrichir et une masse croissante de pauvres vont s’appauvrir. Tout simplement parce qu’il n’y a plus pour l’instant d’innovations technologiques qui peuvent entraîner des taux de profits élevés dans l’économie réelle, que la montée de l’intensification du travail a atteint une limite, que la troisième guerre mondiale qui aurait pu détruire suffisamment de capital est impossible à cause de la sophistication des armements, et donc qu’il ne reste donc que les politiques d’austérité – la guerre de classes menée par la Bourgeoisie contre le Salariat – qui vont faire baisser de plus en plus les salaires directs et socialisés. Par ailleurs, le développement exponentiel de l’endettement public et privé fait grossir des bulles financières qui ne pourront pas ne pas qu’exploser. Troisièmement, nous avons expliqué à plusieurs reprises dans les colonnes de ReSPUBLICA que l’Allemagne ne paiera jamais les transferts nécessaires pour relancer une Europe puissance. Voilà pourquoi nous allons au devant de crises paroxystiques. Sans attendre ces crises, il convient de façon plus concrète de rompre avec la croyance que l’on peut aujourd’hui socialiser le capitalisme ou même changer l’Union européenne et la zone euro de l’intérieur (partisans du plan A).
Il faut comprendre que le développement de l’UE et de la zone euro a entraîné la désindustrialisation des pays du sud (y compris la France) contrairement à l’hinterland allemand qui a maintenu une industrie puissante. Mais que ces pays du sud (dont la France) ne peuvent pas cesser de consommer et achètent donc de plus en plus au dispositif de l’hinterland allemand. L’Allemagne et son hinterland allemand prennent donc les pays du sud en tenaille : d’un coté une BCE qui ne lutte que contre l’inflation et l’impossibilité de pratiquer des politiques budgétaires pour une reprise durable. Elle n’acceptera jamais de devenir le prêteur en dernier ressort.

Pour les forces progressistes, il est nécessaire de comprendre trois règles :
– L’Union européenne est irréformable de l’intérieur puisqu’il faut l’unanimité des pays pour modifier les traités. L’arrivée de pays satellites des firmes multinationales et des services secrets des impérialismes étasuniens et allemands, comme Malte entre autres, auraient du en inquiéter plus d’un !
– L’explosion du système quoique non souhaitable apparaît inévitable ;
– En déplaise aux partisans du plan A/B(on négocie avec la direction néolibérale pendant un an ou un an et demi en menaçant du plan de sortie appelé plan B) ou du plan B (sortie demain matin à 8h30), on ne peut sortir à froid d’une monnaie unique tant pour des raisons techniques que pour des raisons d’exposition du pays à des effets spéculatifs ravageurs.

Voilà pourquoi il faut former les militants et les citoyens engagés et développer une éducation populaire refondée mais massive. Comprendre les 9 façons de sortir des traités pour comprendre les armes nécessaires de part et d’autre pour assumer le conflit. Nous ne pouvons pas dans un article comme celui-là expliciter ces 9 études de cas. Mais cela peut se faire en formation longue. N’hésitez pas à nous contacter à ce sujet. Un livre et une formation militante sont en préparation.

Les lobbies religieux à la manœuvre

Après le financement sur fonds publics des cathédrales, mosquées, synagogues, au mépris de la loi de 1905 qui semble n’être que l’ombre d’elle-même, après le fait que le financement des écoles privées confessionnelles leur permet d’avoir plus de financement par tête d’élève que l’école public, voilà se déployer de façon exponentielle le soutien des droites au financement public des écoles privées confessionnelles par des voies tordues. La dernière en date consiste au déclassement d’un terrain public de Villejuif près de la future gare du Grand Paris Express pour le vendre au diocèse de Créteil pour une somme dérisoire aux fins de pratiquer un financement public déguisé.
Là encore, on voit le communautarisme et le développement du financement public-privé comme allié et moyen du développement du mouvement réformateur néolibéral.
D’autant que le président Macron a donné son programme de destruction de la loi de 1905 le 22 septembre 2017 devant les églises protestantes, le 9 mars 2018 devant le CRIF, et le 9 avril devant la conférence épiscopale.

La mascarade des COP 21 et suivantes

Depuis la COP 21, les émissions des gaz à effet de serre ont bien augmentés, merci pour eux. Les pseudos écologistes qu’ils soient au gouvernement Macron, ou q’ils développent ici et là un soutien inconditionnel à l’UE et à la zone euro vont petit à petit perdre leur aura d’hier. Il ne peut pas y avoir de transition écologique sans rupture avec le modèle de développement imposé par le capitalisme.

La démocrature est en marche

Depuis le 29 mai 2005 et son équivalent aux Pays-Bas jusqu’aux injonctions et pressions sur Syriza et sur les populistes d’extrême droite italiens, on voit poindre le théorème de Junker : dans le capitalisme et l’Union européenne, on ne peut pas faire des choix démocratiques contre les traités européens.
Alors, les idéalistes diront : « mais ils avaient dit qu’ils résisteraient au mouvement réformateur néolibéral » ou encore « ils ne pourront pas faire à la France ou à l’Italie ce qu’ils ont fait à la Grèce ». Nous répondrons aux premiers que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient » et aux seconds « qu’ils ont raison et c’est pour cela que l’Allemagne et son hinterland iront jusqu’à l’explosion de la zone euro ».
Par contre, se préparer à la crise paroxystique est une meilleure idée ! Voilà le plan C !

Il n’y a plus d’issue pour le capitalisme en dehors d’une intensification des politiques d’austérité

D’autant que l’on voit,comme le dit l’historien Jean Séve et le philosophe Lucien Séve dans « Capitalexit ou catastrophe» aux éditions « La dispute », nous vivons sur longue période « une fragilisation extrême des fondés de pouvoir de la classe dominante » qui est due à la politique néolibérale qui est de « tenter d’avoir l’appui du peuple pour gouverner contre le peuple ». Difficile de le faire ad vitam !
Voilà pourquoi nous disons que la transformation sociale et politique ne se fera pas principalement par la violence des armes, ni par le haut qui gagnerait le pouvoir par les urnes.
Face à la démocrature, retrouver le chemin de la démocratie politique avec les 4 conditions de Condorcet, de la démocratie sociale avec les 3 conditions révolutionnaires de la création de la sécurité sociale de 1944-46, et de la démocratie dans l’entreprise par la socialisation progressive des entreprises.
Face au communautarisme et au cléricalisme et aux 3 déviances de la laïcité usurpée de l’extrême droite, de la laïcité d’imposture de la gauche communautariste, et à la tendance néo-concordataire néolibérale, retrouver le chemin du principe de la laïcité
Face au développement des gaz à effet de serre et au risque nucléaire, pratiquons la rupture écologique
Face aux politiques d’austérité et donc aujourd’hui face au capitalisme, retrouvons le chemin de la rupture sociale grâce au débat démocratique autour d’un modèle politique post-capitaliste.
Face aux pensées magiques et surplombantes distillés ici et là, préférons leurs la stratégie de l’évolution révolutionnaire (Marx et Jaurès).

Reste le problème de l’organisation. Si le type d’organisation de la France Insoumise a manifestement renouvelé la mobilisation face à la cartellisation politique démobilisatrice, au Front de gauche perdant des millions d’électeurs, il n’est pas sûr que cela soit suffisant pour mener la transformation sociale et politique. Ce débat reste ouvert et nous invitons nos lecteurs et lectrices à envoyer leurs contributions pour alimenter le débat : evariste@gaucherepublicaine.org

Pour la rentrée deux fronts prioritaires sont devant nous :
– La bataille sur le front du projet ultra-libéral du système DES RETRAITES que prépare La Macronie.
– Une bataille idéologique et concrète pour que la campagne électorale à venir, permette aux citoyens de s’emparer sérieusement de la question Européenne.

 

 

 

 

  1. Libéralisme politique et gouvernance politique autoritaire. []
  2. Apparemment la démocratie, en réalité la dictature du libéralisme et des marchés. []
Ecologie
Rubriques :
  • Ecologie
  • International
  • empreinte écologique
  • lettre 878

L'emprise mortelle du capitalisme ou "ce que tout écologiste doit savoir à propos du capitalisme"

par Michel Marchand

 

Au moment de la commémoration du bicentenaire de la naissance de Karl Marx, la France a atteint le 5 mai son jour de dépassement, à savoir que si le monde vivait comme la France, il aurait déjà consommé l’ensemble des ressources naturelles que la planète peut renouveler en un an, consommation pour l’alimentation, le logement, le chauffage, le transport, la production. Dit autrement, l’empreinte écologique de la France est de 2,9 planètes (la moyenne mondiale est de 1,7). Nous vivons donc à crédit avec au final une menace la survie de l’Humanité.

En réponse à ce constat, on assiste depuis quelque temps à la (re)découverte de la pensée écologique de Karl Marx, citons « Karl Marx, penseur de l’écologie » par Henri Pena-Ruiz (édition du Seuil)1 qui rend hommage à l’ouvrage de l’américain John Bellamy Foster « Marx écologiste » (édition Amsterdam). C’est dans cette veine que l’on peut lire « Ce que tout écologiste doit savoir à propos du capitalisme », livre publié dans sa traduction française aux Éditions Critiques en 2017 que non seulement tout écologiste devrait lire, mais également tout citoyen un tant soit peu préoccupé par le futur de notre planète et de notre humanité. La thèse des deux auteurs, Fred Magdoff (professeur de sciences naturelles) et John Bellamy Foster (professeur de sociologie) est simple, la coexistence entre un mode de production fondé sur l’accumulation du capital et un environnement humainement viable est impossible. La dégradation de l’environnement n’est pas un accident, elle s’inscrit dans la logique du capitalisme et la voie de destruction planétaire restera ouverte tant que perdurera un tel système. La promesse d’un « capitalisme vert » ou l’espoir d’un salut écologique par de nouvelles technologies conservant l’ordre économique actuel ne sont qu’illusions. L’ouvrage constitue une réflexion salutaire et une synthèse claire sur les finalités non seulement du combat écologique (la durabilité) mais aussi du combat social (l’égalité), les deux ne pouvant se dissocier l’un de l’autre.

Ce qui est appelé crise écologique ne peut être réduite aujourd’hui à une seule question quelle qu’en soit son ampleur, mais à un ensemble de problèmes pour lesquels des seuils sont identifiés comme cruciaux pour le système terrestre: le changement climatique, l’acidification des océans, la dégradation de l’usage des sols, la détérioration de la biodiversité, l’utilisation globale d’eau douce, etc. Ce concept de « limites planétaires » traduit l’irréversibilité de plusieurs aspects de la crise écologique, comme l’élévation du niveau de la mer ou les conséquences de l’acidification des mers. De plus, le changement climatique ne se produit pas de façon régulière mais apparaît au contraire sous forme de points critiques alimentés par des réactions amplifiantes (rétroaction positive) qui peuvent accélérer le changement et ses formes : la fonte des glaces arctiques remplacées par l’eau bleue de la mer est une réaction amplifiante du fait de la diminution de la réflectivité de la terre (effet d’albédo), la fonte du permafrost (sols gelés de la toundra sibérienne) libère le méthane, puissant gaz à effet de serre, est également une réaction amplifiante du réchauffement climatique.

Les mises en garde de la communauté scientifique sont à présent récurrentes, la dernière en date, en novembre 2017, est celle de 15 000 scientifiques signant l’appel « Avant qu’il ne soit trop tard »2. En 1972, le fameux rapport du Club de Rome « Halte à la croissance ? Rapport sur les limites de la croissance » concluait que sans changement, les limites de la croissance sur la planète seraient atteintes dans les 100 ans à venir. Le constat est confirmé par les mêmes auteurs quarante ans plus tard3. Le « business as usual » a amplifié la crise écologique et engendré en même temps un tel niveau d’inégalités qu’environ la moitié des êtres humains vivent dans une extrême pauvreté.

Certains écologistes pensent qu’il serait possible de résoudre la grande majorité des problèmes en remaniant le système économique dans le sens d’une plus grande efficacité énergétique et par l’invention de nouvelles technologies. Mais ce type d’ajustement ne répond pas à la question essentielle posée par les auteurs « Pourquoi la destruction du monde naturel se produit-elle ? » ajoutant qu’il est impossible de trouver des solutions réelles et durables, si nous ne sommes pas capables de répondre à cette question. La réponse se trouve dans la question et le titre de l’ouvrage.

L’impératif de croissance du capitalisme est lié à son fonctionnement intrinsèque à savoir une production et un échange dans le seul but de terminer avec plus d’argent qu’au début, c’est à dire de générer du profit, un dispositif d’autoproduction de l’argent selon la formule de Marx « Argent – Marchandise – Argent+ ». Le capital devient ainsi une valeur qui se développe de manière autonome sans limites à sa propre expansion et sans aucune considération des limites d’un monde fini. Au cours des trois derniers siècles, le capital s’est accru d’un facteur 1344. Cette dynamique d’accumulation du capital a secrété une « seconde nature » faite de tout ce qui constitue la société humaine mondialisée (routes, chemins de fer, plantations, métropoles, places financières, banques) dont il est si difficile de s’en extraire au point de citer la phrase de Slavoj Zizek « il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme ». Et l’accent mis sur la consommation a fini par produire un changement dans l’usage du parler quotidien. Au lieu de parler de « personnes », de « population », de « public », il est d’usage d’employer le terme de « consommateur » et « la demande du consommateur » est une autre façon de créer une demande artificielle dans le but d’induire de nouveaux achats.

Les deux auteurs États-uniens puisent dans leur propre pays l’illustration du fonctionnement du système capitaliste et il est intéressant d’y noter quelques différences notamment par rapport au fondement de notre système de santé. Si l’essence du capitalisme n’est que l’accumulation du capitalisme, ils notent que « l’agriculture ne concerne pas la production de nourriture mais celles des profits ; la nourriture en est un effet collatéral. …. La sécurité sociale est un bien de consommation, la santé un produit dérivé ». La Sécurité sociale, mise en œuvre au lendemain de la Libération, montre bien la possibilité de s’extraire d’un système purement capitalistique et illustre le combat social actuel autour de la question de la santé et plus largement de la protection sociale.

Face à la crise écologique, l’argument est avancé que la croissance, même si celle-ci est déjà en état de stagnation dans les pays capitalistes développés, devrait être encore plus ralentie, voire arrêtée, pour avoir la possibilité de créer un environnement durable, ce que Marx nommait la « reproduction simple » ou « état stationnaire ». Les auteurs pointent dans cette « utopie de la croissance zéro » le fait qu’elle transgresse la force motrice qui est la base du capitalisme, c’est à dire un droit personnel pour le détenteur du capital à faire des profits au lieu de chercher à étendre la richesse produite. Une économie capitaliste à état stationnaire n’est concevable que par abstraction de la réalité des relations sociales et du pouvoir du système lui-même, ce qui rend indissociable la question écologique et la question sociale. Les auteurs illustrent ce propos en prenant l’évolution du chômage aux États-Unis en fonction du taux de croissance sur six décennies entre 1949 et 2008. Sur une décennie qui a vu une croissance très lente (moins de 1,1 % par an), le chômage n’a cessé d’augmenter tous les ans et c’est seulement lorsque le PIB augmente de plus de 5% annuellement que le chômage régresse en cours d’année. De tels taux de croissance ont été difficilement atteints dans l’économie américaine sauf en temps de guerre (le plein emploi arriva aux États-Unis lors de la seconde guerre mondiale). A l’opposé, pourrait-on dire, la qualité de l’environnement s’améliorera en période de récession : moins d’émissions d’usines, de rejets dans l’eau, moins d’extractions de ressources naturelles. Mais une telle vision pêche par un excès d’optimisme ou de naïveté car le système tentera de revitaliser l’accumulation du capital en retirant les protections environnementales, jugées comme un luxe trop cher dans des temps économiquement difficiles. On le voit directement et actuellement en France avec le projet de loi ELAN5 sur le logement qui envisage de revenir sur les fondamentaux de la Loi Littoral votée à l’unanimité en 1986 pour la protection du bord de mer (rempart contre les bétonneurs) et d’assouplir l’exigence d’accès aux handicapés pour les logements sociaux.

On pourra regretter dans l’essai des deux auteurs l’absence de développement sur le libre échange et le protectionnisme écologique et social, alors que les stratégies dominantes contre le réchauffement climatique se préoccupent davantage du capitalisme que de la préservation de la planète, dans ce qu’ils appellent « l’inversion du réel » dans la mesure où le capitalisme est perçu comme plus réel que l’environnement. Concrètement, ce type d’inversion figure par exemple dans l’article 3.5 de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) adopté en 1992 qui stipule que le climat doit s’adapter au système économique capitaliste et non l’inverse : « il appartient aux Parties de travailler de concert à un système économique international qui soit porteur et ouvert et qui mène à une croissance économique et à un développement durables de toutes les Parties, en particulier des pays en développement, pour leur permettre de mieux s’attaquer aux problèmes posés par les changements climatiques. Il convient d’éviter que les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques, y compris les mesures unilatérales, constituent un moyen d’imposer des discriminations arbitraires et injustifiables sur le plan du commerce international, ou des entraves déguisées à ce commerce ».

Dans la dernière partie de l’ouvrage, il est proposé des pistes pour une révolution écologique nécessaire pour aborder une crise qui ne peut être résolue en restant dans la logique du système économique/politique/social actuel. C’est bien à une transformation des relations sociales, aux rapports aux autres êtres humains et à la planète, et non à la recherche de moyens technologiques ou de solutions dictées par les lois du marché qu’il est fait appel. Les auteurs n’ont pas la naïveté de croire à la mise en œuvre effective d’une telle transition vers une économie écologique et démocratique demain matin à 8h30 (selon la formule consacrée) et l’urgence de la situation demande des actions immédiates à l’intérieur même du système capitaliste, dans les domaines de l’énergie (taxe carbone, arrêt des nouvelles centrales à charbon et de la production des huiles et gaz de schiste, recours aux énergies renouvelables, amélioration de l’efficacité énergétique), des transports et de l’urbanisme (développement des transports collectifs, réduction à la dépendance aux voitures et de l’expansion urbaine au détriment des zones rurales), de l’agriculture (orientation vers des systèmes non productivistes de cultures et d’élevage), de l’eau (bien commun non privatisable), des pêches (limitation des pêches par les navires-usines), mais également aux droits sociaux (droit à un travail utile et à un juste revenu, accès aux soins médicaux et droit à la santé, accès aux services publics).

Plus fondamentalement et à long terme, le besoin d’un développement humain durable nécessite de réduire non seulement l’empreinte carbone, mais également l’empreinte écologique, ce qui signifie que l’expansion économique mondiale et spécialement dans les pays riches doit être réduite. Une telle transition ne peut être abordée que par une planification écologique. Si le terme « planification » porte en lui-même une mauvaise réputation en souvenir de l’économie dirigée soviétique fortement bureaucratique, les auteurs ne se privent pas de rappeler que les grandes sociétés multinationales planifient leur production et leur distribution régulièrement pour leur propre profit. L’expérience des pays d’Amérique latine (Venezuela, Bolovie, Cuba) est source d’inspiration. On retrouve une telle approche en France par la proposition la France insoumise de constitutionnaliser la « régle verte » ouvrant à une politique de planification écologique6. Les expériences de transition vers un système non capitaliste montrent que rien ne sera facile. L’échec n’est pas inéluctable, il est utilement rappelé que la planification à Cuba a contribué à faire en sorte de créer un système éducatif et de santé très développé. En même temps, le Rapport planète vivante de 2006 de l’organisation WWF indiquait que Cuba était le seul pays au monde avec un niveau élevé de développement humain et une empreinte écologique par habitant en dessous de la moyenne mondiale.

3 Donella Meadows, Dennis Meadows & Jorgen Randers 2012. Les limites de a croissance (dans un monde fini). Ed. Rue de l’Echiquier, Paris.

4 Thomas Piketty 2013. Le Capital au XXIe siècle. Seuil, Paris.



Si vous ne souhaitez plus recevoir cette lettre, désinscrivez-vous en cliquant ici.

ReSPUBLICA, le journal de la gauche républicaine est édité par l'association :
"Les Amis de ReSPUBLICA"
27, rue de la Réunion
75020 PARIS
Courriel : respublica@gaucherepublicaine.org
Site: gaucherepublicaine.org