n°883 - 10/09/2018
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  • Chronique d'Evariste
  • lettre 883

Nicolas Hulot ou l'écologie médiatique

par Évariste

 

Respublica ouvrait la rubrique écologie en début d’année avec un article au titre qui au fond s’avérait prémonitoire « le culot de Nicolas Hulot ». Effectivement il en faut une bonne dose pour se refaire une virginité écologique en démissionnant en direct par un coup médiatique, affirmant qu’il ne pouvait plus assurer sa fonction de ministre, tout en assurant son amitié à tous les membres du gouvernement et au président Macron et en souhaitant le succès à ce gouvernement. Bien sur l’intrusion d’une personnalité de la société civile dans le champ politique n’est pas une mince affaire ; on se souvient du Professeur Schwarzenberg, cancérologue hautement reconnu, acceptant le poste de ministre de la santé sous le gouvernement Rocard et démissionné une semaine plus tard après sa nomination, mais non 15 mois comme c’est le cas pour Nicolas Hulot.

Il semble complètement abscons de vouloir admettre à Nicolas Hulot sa sincérité au titre d’un engagement écologique trompé et d’une bonne volonté mise à mal : il savait où il mettait les pieds en entrant dans le gouvernement ultralibéral d’Emmanuel Macron et il n’en fait pas mystère en évoquant les veux de réussite pour ce gouvernement. Nicolas Hulot est un bateleur remarquable de la question écologique, mais il serait bien naïf de le considérer comme porteur de la cause écologique. On ne sort pas innocemment de l’univers médiatique de TF1 pour incarner la transition écologique et énergétique, comme sortir de la Banque Rothschild pour incarner l’intérêt général et lutter contre les inégalités sociales ! Le système financier et médiatique que l’on sert a sa logique et sa cohérence. Au mieux, peut-on lui décerner, si le personnage vous semble sympathique, le titre de tintin écologique au pays du capitalisme roi.

Le bilan politique de Nicolas Hulot est en effet très faible, la plupart du temps marqué par des postures pour justifier par exemple l’évacuation musclée des 300 zadistes de Notre-Dame-des-Landes par plus de 2 000 policiers avec un dispositif militaire disproportionné en déclarant « l’écologie ce n’est pas l’anarchie », ou par des décisions, au titre de la transition énergétique, qui ne pèsent rien comme l’interdiction (hors des permis en cours) d’exploiter les hydrocarbures en France alors que le niveau de production nationale représente moins de 1 % de la consommation nationale, ou des prises de décision qui frisent l’imposture comme l’interdiction du glyphosate d’ici trois ans sans l’inscrire dans la loi. Peut être que sa seule position courageuse aura été de reconnaître l’impossibilité actuelle de fermer les centrales nucléaires sans pour autant manifester la moindre volonté opérationnelle d’arrêter le nucléaire énergétique.

Cet écologiste, tout feu tout flamme pour expliquer que la planète brûle et que les bonnes décisions politiques ne sont pas prises, accepte en même temps sans sourciller les injonctions ultralibérales de l’Union européenne comme la privatisation des barrages hydroélectriques, la réforme de la SNCF sans évoquer, ne serait-ce que sur le site internet de son ministère, les enjeux écologiques, les incidences de la suppression à terme de plus de 10 000 km de lignes ferroviaires régionales, de laisser la voiture individuelle répondre aux nécessités de déplacement des citoyens, de faire la promotion du transport par autocars (cf. la loi Macron de 2015) et d’abandonner le fret à la route. En 2000, la part modale du fret ferroviaire était de 21 %. En 2016, le rail transporte moins de 10 % des marchandises, plus de 400 gares de fret ont été fermées. Cette stratégie de casse planifiée a conduit à mettre plus d’un million de camions chaque année sur les routes et l’on prévoit un doublement des camions sur ces mêmes routes d’ici 2050 ! Pour Macron et son gouvernement, l’avenir du rail c’est la route et Nicolas Hulot souhaite malgré tout le succès de ce gouvernement ! L’aménagement du territoire et le bilan carbone semblent être des notions inconnues à Nicolas Hulot. Les attributions de son ministère concernent les transports et leurs infrastructures et il est symptomatique que sa démission intervienne peu de temps après l’effondrement du pont autoroutier de Gênes et des interrogations françaises sur l’entretien effectif du réseau routier en France. Nicolas Hulot est porteur de la bonne parole écologique, mais s’est trouvé absolument muet sur les enjeux et les besoins de protection des réfugiés climatiques (de 25 millions à la fin du siècle précédent, ils sont pronostiqués à 250 millions selon les Nations Unies en 2050) au moment de l’élaboration de la loi Asile et Immigration.

Si ce constat peut paraître fâcheux et bien sévère pour un homme qui fait partie des personnalités les plus appréciées par une majorité de Français et se veut incarner le combat écologique, notamment par les travaux de sa Fondation, il convient pour en expliquer les raisons de faire apparaître les silences coupables de Nicolas Hulot sur le combat qu’il entend promouvoir pour la cause écologique car celle-ci mérite une cohérence de pensée et d’action.

La crise écologique et la crise sociale sont intimement liés et les dissocier conduit à un immobilisme écologique tel celui que l’on peut constater. La croissance ne peut être la réponse à la crise sociale et encore moins aux enjeux écologiques ; la réduction des inégalités, le partage des richesses constituent l’une des clés majeures pour sortir de cet impasse et non la théorie du ruissellement qui ne semble pas troubler Nicolas Hulot.

Les politiques ultralibérales de l’Union européenne ne peuvent répondre aux enjeux actuels. Les politiques de libre échange sont désastreuses pour nombre de pays africains, vidant les ressources publiques et déstructurant des sociétés déjà fragilisées par le changement climatique. Le protectionnisme social et environnemental constitue une approche qui mérite une réflexion approfondie, tant au niveau de la production industrielle que de la production agricole. Les politiques monétaires peuvent constituer des leviers importants pour s’orienter vers des nouvelles politiques respectueuses de l’environnement à condition de remettre en cause de l’indépendance de la Banque centrale européenne (BCE).

Sur tous les sujets qui conditionnent un avenir durable, nécessitant de trouver un nouveau système économique et social qui puisse s’installer en harmonie avec l’écosystème de la planète, Nicolas Hulot est absent de ces débats majeurs. S’il reste un excellent vulgarisateur de la cause écologique, son positionnement politique est d’une totale incohérence et sa démission une soumission à l’ordre établi (TINA, « there is no alternative ») en souhaitant le succès à Macron. Cette démission n’incarne aucunement un quelconque courage mais plutôt un reniement à la cause écologique qu’il entend défendre au nom d’un ordre établi dont il fait partie. Son successeur ne fera pas mieux.

ReSPUBLICA a décidé de consacrer ce numéro spécial à l’écologie, en publiant trois textes qui abordent ces thématiques. Bonne lecture !

Ecologie
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La ZAD de Notre-Dame-des-Landes ou l'éloge des mauvaises herbes

par Michel Marchand

 

En 1974, le Conseil général de Loire atlantique préempte 850 hectares sur les 1 650 ha prévus pour construire le futur aéroport Notre-Dame-des-Landes. Ainsi est créée la « zone d’aménagement différé » (ZAD) qui deviendra en 2008 la « zone à défendre » pour s’opposer à la déclaration d’utilité publique du futur aéroport dont la construction est confiée au groupe Vinci. Le mot ZAD, avec cette nouvelle signification, s’installe dans le paysage médiatique pour débattre du projet controversé d’un nouvel aéroport jugé inutile pour les uns, nécessaire pour les autres. Suit alors une décennie durant laquelle le conflit prend une ampleur sans précédent qui dépasse la seule région nantaise. Il se cristallise autour de plusieurs événements marquants : grève de la faim d’agriculteurs et opposants à l’aéroport, opération César d’évacuation et de réoccupation de la ZAD (2012), manifestation « sème ta ZAD » et lancement d’une douzaine de projets agricoles (2013), rejet de tous les recours des opposants par la justice administrative et procédures d’expulsions à l’encontre des occupants de la ZAD (2015), referendum local favorable au transfert de l’aéroport de Nantes à Notre-Dame-des-Landes (2016), abandon du projet par le gouvernement actuel, sur la base d’un rapport de médiateurs (janvier 2018).

Si en février 2018, des milliers de personnes se retrouvent sur la ZAD pour fêter la victoire contre l’aéroport, l’affaire n’en reste pas là. Le 9 avril 2018 à 3h20 du matin, le gouvernement envoie 2 500 gendarmes et véhicules blindés contre 300 jeunes engagés dans un projet de vie collective sur un territoire confetti de 16 km². Les véhicules militaires équipés de lance-grenades écrasent les jardins potagers, des rangées de plantes médicinales, les pelleteuses abattent les cabanes fabriquées en terre-paille et détruisent le lieu de conservation des semences. Dans une telle opération, l’État assume (mot d’usage souvent adopté par le gouvernement d’Emmanuel Macron) le risque de blesser des civils à coup de grenades lacrymogènes et grenades assourdissantes. Un usage tellement disproportionné de la force révèle un lourd sens politique. La question se pose alors : de quoi l’État veut-il à tout prix effacer la trace ?

C’est à cette question que tente de répondre le livre « Éloge des mauvaise herbes, ce que nous devons à la ZAD » (ed. Les Liens qui Libèrent, 2018), coordonné par une journaliste de Mediapart, Jade Lindgaard, en donnant la parole à des intellectuels, écrivains pour qui la ZAD de Notre-Dames-des-Landes est bien plus qu’un bout de bocage. On pourra regretter l’absence de contribution d’un responsable politique local (un maire par exemple) et/ou d’un syndicaliste (des contacts positifs ont eu lieu entre la ZAD et CGT Vinci opposé au projet de Notre-Dame-des-Landes) qui auraient apporté un éclairage supplémentaire à cette réflexion multiforme.

La ZAD est née avec le slogan « Contre l’aéroport et son monde ». Il est possible de percevoir cette expérience comme émanant d’un mouvement anarchiste et libertaire, empreinte d’une utopie et d’un lyrisme révolutionnaire. Mais peut être est-ce aussi autre chose à l’heure où un système social s’effondre tout autour de nous et où beaucoup ont perdu la capacité à imaginer qu’autre choses puisse exister. C’est ce qui rappelle le mot célèbre de Margaret Thatcher « TINA, there is no alternative », message de propagande adressé à notre inconscient sur lequel repose tout l’édifice du système capitaliste. A ce titre, en évoquant l’expérience de la ZAD, toute comparaison gardée, il n’est pas étonnant que deux territoires soient évoqués : les Caracoles zapatistes du Chiapas au Mexique et le confédéralisme démocratique kurde du Rojava au nord de la Syrie où, sur une région plus grande que la Belgique, un avenir se construit contre le capitalisme, en s’appuyant sur l’écologie et le féminisme.

La ZAD pose la question de l’autonomie, la possibilité d’être un lieu d’apprentissage et de déconstruction du pouvoir. Elle revendique le droit à l’expérimentation par rapport aux obligations de la normalisation bureaucratique. A ce titre, elle peut ne pas être vue comme une seule utopie mais comme une expérience concrète, hors de l’emprise du marché, en redonnant un sens au travail, cultivant, élevant des animaux, prenant soin de la forêt et en tentant un « vivre ensemble » toutes générations confondues. La ZAD symbolise également un lieu de refuge par rapport à la cruauté du monde contemporain, un lieu d’accueil de déracinés sociaux rejetés par la société. Elle est aussi le lieu d’une bataille politique bien concrète sur des projets d’agriculture où se profilent le productivisme agricole de la FNSEA et les stratégies d’accaparements de terres par les grands distributeurs alimentaires (Auchan, Leclerc).

La ZAD de Notre-Dame-des-Landes nous interpelle en regard de la société telle qu’elle se crée et se développe. De son côté, l’État a fait le choix de traiter la ZAD avec mépris et brutalité et de n’agir que du point de vue de l’ordre public, et comme le suggère Jade Lindgaard, que c’était aussi en toute légalité, qu’il s’apprêtait à détruire le bocage et la zone humide de Notre-Dame-des-Landes. Cela montre à quel point cet ordre républicain, au service du capitalisme financier, est dépassé et impuissant. Les visions subjectives portées par chacune des quinze contributions de l’ouvrage alimentent une réflexion pour chacun sur une réalité de demain qui prend forme sous nos yeux, tentatives de réponses au bouleversement du climat et au saccage des communs.

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La canicule ou comment les économistes réchauffent la planète

par Michel Marchand

 

Alors que la planète a subi cet été un long et intense épisode caniculaire sur plus des deux tiers des départements français et généralisée à l’échelle de l’Europe et au-delà, la question du changement climatique se pose de manière encore plus accrue. On peut aborder la question sous deux angles : la situation telle qu’elle semble apparaître pour les scientifiques et la façon dont se prévalent les économistes pour répondre à un telle urgence.

La situation au vu de la canicule.

Le réchauffement climatique ne connaît pas de répit : après le record de 2016, 2017 aura été une année très au-dessus de la moyenne historique, selon le rapport annuel « State of the Climate » 2 publié par l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA) 3. Hasard du calendrier, le rapport est publié le 1er août, jour du dépassement 2018, date au-delà de laquelle l’humanité aura dépensé l’ensemble des ressources que la Terre peut régénérer en une année 4. La température de surface des océans continue d’augmenter, ce qui n’est pas sans conséquences sur la hausse du niveau des mers (effet de dilatation), le réchauffement le plus rapide est observé dans les régions polaires et la surface de la banquise (à son maximum) n’a jamais été aussi faible. L’Europe a connu en 2017 sa cinquième année la plus chaude depuis 1851. La tendance perdure, un record absolu de chaleur était enregistré en juillet de cette année en Suède près du cercle polaire avec 32,5°C ! La Scandinavie vit avec des températures inédites et la canicule s’installe au Japon, en Grèce, en Sibérie, en Californie avec des incendies géants et des dizaines de morts. A l’échelle planétaire, 2018 est la troisième année la plus chaude que nous ayons connue, après 2016 et 2017.

Vu le type de développement actuel de nos activités industrielles induit par le capitalisme et la diffusion du modèle de consommation occidental partout dans le monde, le scénario le plus communément envisagé pour 2100 est celui où la concentration en CO2 aura doublé par rapport à l’ère pré-industrielle pour s’élever à 560 ppm. La température moyenne de la Terre s’élèvera alors de plus de 3°C d’ici à 2100, une prévision estimée être un scénario catastrophe.

Jean Jouzel, ancien vice Président du GIEC, estime que l’on est entré concrètement dans le contexte du réchauffement climatique lié aux activités humaines, et les événements – feux de forêts et décès liés aux canicules – vont se multiplier. Le réchauffement en Scandinavie est en moyenne deux fois plus rapide qu’il ne l’est à l’échelle de la planète. L’amplification des températures dans les hautes latitudes nord est liée en particulier à la fonte des glaces de mer et des surfaces enneigées. La perte des surface enneigées diminue la capacité de renvoi d’une large part du rayonnement solaire vers l’atmosphère. A la place, les zones de forêts, de toundra ou de l’océan libre qui remplacent la neige absorbent au contraire largement la chaleur et les rayonnements solaires.

Pour le climatologue, les records de chaleur vont devenir la règle à mesure que le réchauffement climatique va se mettre en place. Si les températures record tournent autour de 42, 43 degrés en France, elles pourraient arriver à 45 degrés d’ici une dizaine d’années et aller au-delà de 50, voire 55 degrés dans certaines régions, dès la seconde moitié de ce siècle si le réchauffement climatique n’est pas maîtrisé, tout ceci sans compter l’augmentation des décès et des feux liés aux périodes de canicule, et plus globalement aux impacts sur le cycle de l’eau et sur les activités agricoles. Pour Jean Jouzel, il y a un risque qu’il ne soit trop tard pour lutter contre le réchauffement climatique de façon efficace.

La réponse des économistes.

On est entré dans un autre monde, et si c’est maintenant qu’il faut agir, cette urgence relève des politiques et des économistes. La France s’est fixée comme objectif de diminuer ses émissions polluantes d’un facteur 4 en 2050 par rapport à 1990, année prise comme référence 5. Si l’on regarde 2017, les émissions ont augmenté de 3% par rapport à l’année précédente et nous ne sommes plus du tout sur la trajectoire dans laquelle notre pays devrait s’inscrire. La situation n’est évidemment pas propre à la France mais se retrouve à l’échelle mondiale 6, et certains chercheurs internationaux, selon l’étude américaine précitée, estiment que nous sommes arrivés à un point de rupture dans le changement climatique : le réchauffement est tel qu’il entraîne un effet domino, sans retour en arrière possible.

Si une transition écologique apparaît indispensable, celle-ci est-elle vraiment possible ? Est-elle même concevable dans le système économique capitaliste actuel que nous connaissons ? Pour répondre à cette question, Antonin Pottier 7 apporte un éclairage pertinent sur la manière dont les économistes abordent la question du réchauffement climatique. Au préalable à toute action, le coût de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ne peut s’inscrire que par rapport à des objectifs et ceux-ci sont de nature diverse : objectifs en émissions 8, en concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère 9, en température 10.

Il est demandé à l’économiste de rechercher la meilleure trajectoire possible pour répondre à l’objectif préalablement fixé. L’analyse « coût-efficacité » détermine alors la trajectoire d’émissions qui minimise les coûts, tout en respectant l’objectif. Dans cette approche, c’est le consensus scientifique et/ou politique qui détermine l’objectif et l’économiste n’est là que pour conseiller sur les moyens de la politique climatique à mettre en œuvre. A titre d’exemple, le dernier rapport du GIEC estime que pour une stabilisation de la concentration autour de 450 ppm (élévation de la température limitée à 2°C), le coût des investissements, par rapport à un scénario du laissez-faire (absence de politique de réduction des émissions) entraîneraient des pertes de produit intérieur brut (PIB) de 2 % en 2030, 3,5 % en 2050, 5 % en 2100. L’analyse économique est centrée sur les coûts de réduction des émissions et les chiffres donnent l’image d’une lutte contre le réchauffement accessible et à portée de bourse. Ces estimations pointent que les politiques de réduction des émissions sont faisables d’un point de vue économique.

Il en est tout autrement lorsque le monde économique adopte, avec l’accord implicite du monde politique, le parti pris du fonctionnement du marché et de son optimisation. La quête d’une solution optimale pousse l’économiste à réaliser une analyse « coût-bénéfice » qui renverse la perspective adoptée précédemment : les coûts consentis n’ont de sens qu’au regard des bénéfices qui leur correspondent. Cette nouvelle approche donne à l’économiste une position centrale, il devient le référent du calcul, le juge de paix de l’arbitrage éventuel entre le scientifique et le politique. Pour mener à bien le calcul, il s’agit d’évaluer le surcoût pour fournir un service sans émettre de gaz à effet de serre et le bénéfice correspond aux dommages évités par l’absence d’émissions de gaz à effet de serre. Les dommages causés par le changement climatique sont de deux ordres, les dommages marchands (pertes de production) et les dommages non-marchands (disparition de paysages, pertes d’espèces emblématiques comme l’ours polaire, …). La plupart des études attachées à l’estimation des pertes de production distingue (i) les secteurs indépendants du climat (productions manufacturières, services commerciaux, administrations publiques) pour lesquels le changement climatique n’occasionne aucune perte, (ii) les secteurs modérément sensibles aux conditions climatiques (production énergétique via le chauffage et la climatisation, le travail en plein air, les loisirs), (iii) enfin les secteurs très exposés aux conditions climatiques (agriculture, pêche, bois , …). Cette approche économique conduit à estimer comme très faibles les dommages liés au réchauffement climatique puisque les secteurs non exposés aux dommages représentent 87 % du PIB et a contrario les secteurs très exposés ne représentent que 3 % du PIB. Les conclusions de l’approche « coût-bénéfice » sont frappantes : le changement climatique n’a pas la gravité que le non-économiste lui prête. Entre 1 et 2°C, les dommages sont faibles (1 à 2 % du PIB), avant 5°C, les dommages sont en dessous de 5 % du PIB. A titre de comparaison, la crise de la dette a provoqué une diminution de 25 % du PIB de la Grèce. L’évaluation des dommages du changement climatique dans une économie de marché est dépeint comme un phénomène anodin. Face à une telle situation, on comprend à quel point l’autisme du monde économique qui délibérément ignore l’avertissement des scientifiques 11 et les conséquences du point de vue de la biosphère (bouleversement de la biodiversité) et des sociétés humaines (santé publique, migrations forcées, ….).

Pour démontrer l’inanité d’une telle l’approche, Antonin Pottier fait l’hypothèse non pas du réchauffement mais du refroidissement de la planète. Les neuf dixièmes de l’économie non sensibles au climat ne seraient pas touchés par cette baisse, comme il ne l’étaient pas par une hausse. Or, une baisse de 4°C de la température globale correspond à la période de glaciation qui régnait il y a plus d’une dizaine de millénaires !

Il n’est donc pas étonnant que les stratégies climatiques des multinationales du CAC40 adossées aux seules logiques financières conduisent à un réchauffement de 5,5°C , bien au-delà des 2°C maximum fixé par l’Accord de Paris 12. Le capitalisme et sa logique financière de marché constituent à présent une emprise mortelle 13 pour une humanité menacée par des bouleversements climatiques dont nous avons eu un aperçu en cet été 2018. C’est par un changement de modèle politique qui lie l’ensemble des combats actuels que la crise écologique doit être abordée.

1 Le titre est emprunté, qu’il en soit remercié, à l’ouvrage d’Antonin Pottier (cf. note 7)

2 Collaboration scientifique de plus de 450 climatologues issus d’une soixantaine de pays : http://www.noaa.gov/news/2017-was-one-of-three-warmest-years-on-record-international-report-confirms

3 Il faut noter qu’en matière d’étude du réchauffement climatique, la NOAA est l’une des dernières institutions gouvernementales américaines à tenir bon face à la politique de Ronald Trump ; la Maison blanche, l’agence américaine pour la protection de l’environnement (EPA) et le ministère de l’Intérieur ont éliminé cette thématique de leur site internet.

4 Si le monde entier vivait comme les Français, ce jour de dépassement aurait eu lieu le 5 mai 2018,

5 La trajectoire de réduction des émissions conduisant au facteur 4 signifie des réductions de 20% en 2020, 30% en 2030, 50 % en 2040, 75 % en 2050.

6 Les émissions de gaz à effet de serre sont reparties à la hausse en 2017, après 3 ans de stagnation.

7Antonin Pottier (2016) Comment les économistes réchauffent la planète. Ed. Seuil.

8 Le protocole de Kyoto (COP3) se fixait une diminution en pourcentage d’émissions (5,3%) par rapport à une année de référence (1990), le « facteur 4 » précédemment évoqué.

9 L’échelle des concentrations peut se décliner ainsi : 280 ppm (ère pré-industrielle), 350 ppm (élévation de la température de 1,5°C, cette concentration est dépassée depuis les années 90), 450 pppm (élévation de la température de 2°C), 560 ppm (le double de la concentration à l’époque pré-industrielle et réchauffement autour de 3°C). La concentration en gaz carbonique était de 315 ppm en 1960, 350 ppm en 1990, 400ppm en 2015, 405 ppm en 2016.

10 Deux seuils sont avancés :2°C énoncé à la Conférence de Copenhague (COP15) en 2007 et adopté à la Conférence de Paris (COP21) en 2015, ces 2°C représentent la moitié de la différence qui sépare la température globale moyenne actuelle de celle de l’ère glaciaire ; 1,5°C demande récurrente des États les plus vulnérables au réchauffement climatique, notamment les petits États insulaires.

11Collectif (2015) Crime climatique, stop ! L’appel de la société civile. Paris, ed. Seuil

12 G. Menahem (2017) Les stratégies climatiques des multinationales du CAC40. Respublica, 23 décembre 2017.

13 M. Marchand (2018) L’emprise mortelle du capitalisme ou « tout ce qu’un écologiste doit savoir du capitalisme ». Respublica, 11 juin 2018.

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Le jour du dépassement

par ReSPUBLICA

 

Nous renvoyons vers l’article d’Amar Bellal publié dans l’Humanité. Nous entendons participer participer à la bataille contre le réchauffement climatique et nous estimons que le jour de dépassement et l’empreinte écologique sont des marqueurs qui nous montrent l’état actuel de la situation qui est grave.

L’article montre que la crise écologique ne peut être résolue que par l’écologie seule. C’est par une rupture écologique et énergétique qui aille de pair avec un changement de modèle politique qui lie l’ensemble des luttes que le combat doit être mené.

 

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Nous avons lu et aimé cet été...

par ReSPUBLICA

 

1/ Comment être socialiste aux États-Unis et gagner les élections sans perdre son âme

Paru le 31 juillet 2018 dans le blog de Marc Saint-Upéry
https://blogs.mediapart.fr/saintupery/blog/310718/comment-etre-socialiste-aux-etats-unis-et-gagner-les-elections-sans-perdre-son-ame

ReSPUBLICA vous propose ce texte de stratégie dont il est possible de s’inspirer en France ; les militants déçus parce qu’ils utilisent des stratégies inefficaces y trouveront l’idée qu’une reconquête des classes populaires est possible et que les réseaux sociaux, qui sont utiles pour les premiers cercles, ne remplacent pas le travail de terrain. Trois points en ressortent :

– il n’y a pas d’alternative (le TINA est toujours en vigueur)

– si vous envisagez une alternative, il y a la dette

– si vous envisagez une alternative et de contourner la dette, vous serez inaudible et non pris au sérieux par les medias dévolus au système…

Alors autant les ignorer, mais se souvenir la transformation sociale opère sur le temps long avec l’éduc’ pop et tant pis pour les pressés !

Dans le même ordre d’idées, nous vous invitons  aussi lire  l’article de François RUFFIN “Déjouer la résignation, retour sur une victoire électorale” paru dans Le Monde Diplomatique – Juin 2018.

 

2/ La Déclaration universelle des Droits de l’Homme et l’accueil des réfugiés libyens de l’Aquarius

par Louis SAISI : http://www.ideesaisies.org/la-declaration-u%E2%80%A6-par-louis-saisi/

 

3/ Le 4 pages de la CGT résumant ses propositions concernant l’évolution de la Sécurité sociale

Et notamment ce qu’il faut entendre derrière le slogan de la “SS à 100 %” – le PDF : 20180703_SecuriteSociale_CGT

 

4/ Une tribune de Francis DASPE sur le site de Politis intitulée “De quoi Parcoursup est-il le nom?”.

https://www.politis.fr/articles/2018/08/de-quoi-parcoursup-est-il-le-nom-39258/

 

5/ Retraites des femmes, un enjeu décisif pour toute réforme

par Christiane MARTY – juillet 2018 : http://www.fondation-copernic.org/index.php/2018/07/25/retraites-des-femmes-un-enjeu-decisif-pour-toute-reforme/



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