n°885 - 21/10/2018
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Bienvenue dans le nouveau monde !

par Évariste

 

Tout s’accélère : la destruction du monde ancien, la lutte des classes implacable qui est menée par les gérants du capital, la suppression un à un des conquis sociaux de la période précédente.
Mais aussi la décomposition des vielles structures du camp du travail : après la pitrerie du passage de témoin entre Thibault et Lepaon à la CGT, voici celle de l’incroyable vaudeville de la sortie de Pavageau à FO. Sans compter la pression des « indigènes de la république » dans le syndicat Sud-Education 93 dans sa complaisance avec le communautarisme voulu par l’islamisme politique. Ces trois farces sont de mauvais augure pour le camp du travail comme l’est la complaisance des syndicats au nom du « dialogue social biaisé » à accepter de ne plus négocier pour uniquement se concerter !
Si on ajoute le manque de visibilité dans l’avenir du PCF après le premier tour du vote qui désavoue la politique de son secrétaire national et qui place en position de leader une motion devenue base commune qui rassemble une hétérogénéité telle sur tous les sujets les plus importants qu’il est difficile de voir quelle sera la ligne stratégique finale (en dehors de la volonté unanime que le PCF ne soutienne plus un candidat hors du PCF). D’autant que le texte arrivé en troisième position souhaite une alliance avec la France insoumise !
Après la sous-estimation trop grand dans notre camp de la montée des alliances populistes d’extrême droite en Autriche, en Pologne, en Hongrie, en Ukraine, en Italie, on a pu voir la percée au Brésil d’un ancien putschiste de l’extrême droite brésilienne utilisant les « erreurs » de la gauche brésilienne. D’autant qu’en France, les droites (macronistes, LR et RN) font depuis 2017 plus de 70% des suffrages exprimés !
En France, après l’évidence de l’existence d’une milice privée au sein de l’Élysée pour assurer la sécurité du président, voilà que ce dernier utilise l’appareil judiciaire pour déconsidérer la principale force de gauche face à lui. Que la justice soit indépendante, soit. Mais ce qui est intolérable, c’est le deux poids, deux mesures vu que de nombreux autres candidats (dont le Président de la république) sont soupçonnés d’entorse à la loi. On reste surpris de la différence de traitement, mise en scène brutale pour l’un, mansuétude pour les autres. Tout cela ne dit rien de bon pour l’avenir immédiat. Les gérants du capital prépareraient, comme dans les années 30, l’union des droites avec l’extrême droite, ils ne s’y prendraient pas différemment. Car le dispositif macroniste a en fait utilisé les 15 jours du remaniement gouvernemental pour coordonner l’arrivée du nouveau ministre de l’Intérieur en même temps que cette « grandiose perquisition ».
Tout cela pour dire qu’il en est bien fini des règles de bienséance et de bienveillance entre hommes et femmes politiques dans cette 5ème république qui n’est plus qu’une imposture de république.

Que faire ?

Prendre la mesure que nos informations doivent être prise en dehors des médias qui nous aliènent. Comprendre que le pouvoir du nouveau monde n’hésitera en rien si il estime que son pouvoir légal mais non légitime est menacé. Comprendre donc que la lutte pour le droit à la sûreté devient un impératif catégorique. Comprendre que c’est le capital qui est à la source des politiques dominantes. Agir pour que les lignes stratégiques et le fonctionnement des organisations qui luttent pour l’émancipation et la conscientisation soient conformes aux intérêts du peuple mais sans oublier les couches populaires ouvrières et employés majoritaires en France et qui peuplent de plus en plus les zones périurbaines et rurales. Agir contre la loi tendancielle de bureaucratisation des organisations y compris celles de notre camp. Agir pour remiser au grenier les vieilles lignes stratégiques qui marchaient avant-hier mais qui sont rendues obsolètes par le « nouveau monde » ubérisé et de plus en plus violent. Agir pour changer les priorités de notre travail politique en fonction de ce « nouveau monde ». Et bien sûr, avec la volonté de créer des centaines de lieux de débat, de formation, d’initiatives d’éducation populaire refondée avec ses formes ascendantes et descendantes qui doivent être dialectiquement conduites.

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En guerre – Saison 2

par Philippe Champigny

 

Rappel des épisodes précédents 

Le salariat doit faire face à des attaques constantes et répétées du gouvernement Macron : droit du travail, retraites, logements sociaux, protection sociale etc. comme même Sarkozy en rêvait. Le tout avec une morgue, un cynisme et un mépris de classe1 de la part du président des actionnaires et de la finance.

Après l’épisode poussif de riposte contre les ordonnances Macron, on aurait pu espérer une contre-offensive vigoureuse du salariat. En particulier à partir du 22 mars 2018 où les manifs de cheminots et de fonctionnaires convergèrent. Il n’en fut rien. Alors que les cheminots démarraient leur grève « loto » le 3 avril, la direction de la CGT lança – malgré les réticences de la FSU et de Solidaires – une grève le 19 avril. Malgré un sursaut intéressant lors du 5 mai de la « fête à Macron », on aboutit à une mobilisation des fonctionnaires très en retrait le 22 mai et une marée humaine de coefficient moyen le 26 mai.

Ce ne sont là que les aspects visibles d’un mouvement social déboussolé et qui répond au coup par coup sans prendre le temps d’analyser les choses et de repenser sa stratégie.

Sabotons les machines à perdre

Quelle est la nature de notre ennemi ?

Nous avons affaire à une offensive des actionnaires et des financiers qui ont mis en place leur droïde comme président. Voir le précédent édito d’Evariste sur les raisons de cette attaque permanente contre le salariat.

Ces actionnaires propriétaires des moyens de production, ces financiers et leurs fondés de pouvoir dans les entreprises, le gouvernement et les hauts fonctionnaires ont un nom de classe : la bourgeoisie. Certes il ya des divisions entre les différentes fractions de la bourgeoisie (voir les articles de Philippe Hervé2 dans ReSPUBLICA). Mais quand il s’agit de cogner sur les droits et conquis sociaux, ils sont d’accord sur l’essentiel. Par contre, les contradictions internes entre fractions de la bourgeoisie peuvent nous faire passer d’une guerre économique à une guerre militaire. L’antilibéralisme ne suffit pas, surtout lorsque des populismes apparaissent comme des alternatives au libéralisme. Les risques sont grands de voir une partie des travailleurs être séduits par des discours populistes et chauvins. Et d’être perméables à des discours guerriers.

Notre projet et nos luttes ne peuvent être seulement anti-libérales, elles doivent être anticapitalistes.

Parler de Président des riches, c’est s’arrêter en chemin. Pour un rmiste, le smicard est « riche ». Pour la smicarde, la prof des Ecoles ou l’infirmière sont « riches » etc. Le vocabulaire « riche/pauvre » relève de la doctrine sociale de l’Eglise. A l’exception notable de la JOC, l’Eglise en France, n’a jamais hésité à être un adversaire des mouvements sociaux émancipateurs, et un pilier des mouvements les plus réactionnaires comme la « manif pour tous ».

La question du revenu n’est pas suffisante pour clarifier les choses et s’unir en tant que classe. La ligne de démarcation est entre ceux qui ne vivent que de leur travail et ceux qui possèdent les moyens de production. Donc les questions centrales se jouent autour des rapports sociaux de production et de la répartition des richesses existantes et produites. La question d’une identité collective est liée à l’organisation des luttes contre les actuels rapports de production.

Une identité collective partagée qui accélérerait considérablement la convergence des luttes. On propose « les gens ». Les « gens » tout le monde en fait partie… Même les bourgeois ! Alors on parle du « peuple » qui regroupe le salariat, les non-salariés et encore les bourgeois et les actionnaires. L’argument est que le salariat serait divisé en classes. La blague ! Parce que le peuple n’est pas divisé en classes ? Les artisans, les petits agriculteurs, les autoentrepreneurs ont-ils une conscience collective pour faire front avec le salariat qui représente  90 % des personnes actives ? Si certains auto-entrepreneurs se mobilisent (livreurs), c’est souvent pour se rapprocher d’un statut de salarié. D’ailleurs ce n’est sans doute pas un hasard si le gouvernement ne traite pas les différentes composantes du peuple de la même façon : les agriculteurs qui bloquent les routes ou les raffineries se font rarement dégager par les forces de l’ordre, comme des cheminots ou des salariés

Quelle est notre identité collective ?

Tout d’abord, il y la « classe en soi ». Ouvriers, employés, chômeurs, rmistes, précaires, fonctionnaires, cheminots, retraités, jeunes en formation ou en apprentissage, etc. Tous ceux qui tirent leurs ressources de leur seul travail présent (salariés), passé (retraités), futur (jeunes) et ceux qui sont privés de leur possibilité d’emploi salarié (chômeurs)…. Pour autant, appartenir sociologiquement à cette classe ne veut pas dire que l’on défend les intérêts de cette classe.

La conscience de classe, cela se construit. Cela s’appelle « la classe pour soi ». C’est-à-dire le sentiment d’appartenance à cette classe, la conscience de classe qui permet mieux de cerner les adversaires et ses alliés. Cela permet aussi de sortir de l’illusion de l’individualisme libéral : chacun contre tous. Pour aller vers le « tous ensemble et en même temps » ! C’est sans doute ce qui nous manque le plus dans la période. Sinon tout le monde se battrait pour avoir les mêmes conquis sociaux que les cheminots. Personne ne tomberait dans le piège du discours libéral où il faut en finir avec les privilèges des fonctionnaires. Nous serions tous dans la rue pour défendre les migrants, les sans-papiers, etc. Tout le salariat se rappellerait que le  bonheur ne vaut que s’il est partagé.

Voilà un sacré boulot d’éducation populaire en vue. Education populaire qui doit certes s’adresser aux « premiers cercles » : les militants, mais aussi et surtout à tous ceux qui luttent collectivement pour consolider / renforcer cette conscience de classe. Les rencontres entre salariés de différents secteurs, avec les usagers solidaires des services publics sont autant d’exemples possibles de concrétiser cette conscientisation du salariat.

Défragmenter le salariat

Le contenu des revendications est essentiel. Par exemple demander des augmentations de salaires est légitime. Mais demander des augmentations en % augmente les inégalités salariales entre nous. Il faut demander d’une part une augmentation uniforme pour tous + une augmentation spécifique pour les bas salaires. L’égalité réelle femmes/hommes, un antiracisme solidaire et de classe (Français/ Immigrés, mêmes patrons même combat), la défense des sans-papiers, la construction d’outils syndicaux donnant toute leur place aux ouvriers, aux employés et précaires etc., voilà bien des pistes à développer. Les outils syndicaux interprofessionnels (unions Locales et départementales, bourses du travail) sont à faire vivre. C’est aux structures syndicales professionnelles, qui ont du temps syndical, de leur donner les moyens de fonctionner.

Nous avons une boussole dans ce domaine : la Charte d’Amiens et sa double besogne. Articulons les revendications immédiates à un projet d’une autre société, tout en restant indépendant des organisations politiques. Ce qui n’empêche pas de coopérer de façon égalitaire.

La démocratie n’est pas un supplément d’âme, mais un outil vital pour que les salariés s’emparent des luttes et les dynamisent. La décision de l’intersyndicale cheminote CGT/UNSA/CFDT3 d’annoncer trois mois à l’avance les jours de grève du « loto », a eu pour effet de vider les AG de grève des cheminots. Résultat, les cheminots ont fait plus grève cette année qu’en 1995, mais il n’y a pas eu d’effet d’entraînement possible dans d’autres secteurs. Vu la détermination de la bourgeoisie à nous faire la guerre sociale, la question de la construction (pas l’incantation) du tous ensemble et en même temps est centrale. Sans oublier qu’une lutte auto-organisée est un formidable moment humain et un temps de formation accélérée dépassant les cercles militants.

L’unité du salariat passe par la rupture avec certaines pratiques

D’abord en finir avec les chefs auto-proclamés et les slogans incantatoires. « Un million sur les Champs-Élysées » ou « la marée humaine » ont eu un effet désastreux sur les salariés. Le sentiment d’échec n’aide pas à avancer. Au même titre que les incantations gauchistes qui déclament « GREVE GENERALE » à chaque manifestation. Banalisant une arme décisive, mais qui se construit.

L’unité, il ne faut pas en parler, il faut la faire.

Là encore, l’unité affichée se confond avec des désirs d’hégémonie, de contrôle de prés carrés. L’unité cela se construit ensemble en acceptant la pluralité, l’altérité comme des ressources et des garanties contre les dérives hégémoniques.

D’autres obstacles existent : le localisme et le globalisme

Les victoires locales et forcément partielles doivent être valorisées pour combattre la désespérance sociale. Mais il est de la responsabilité des équipes militantes de les resituer dans une perspective globale. En partant du concret, du réel, pour aller vers le global. Par exemple, quand on distribue un tract et que l’on fait signer une pétition pour une école, un bureau de poste, un hôpital, on arrive très aisément à élargir la discussion avec les usagers à l’ensemble des services publics. Donc aux choix politiques concrets qui sont faits par le gouvernement et la bourgeoisie. Evidemment là, la conscience de classe des militants est utile pour que la colère légitime des usagers ne se trompe pas de cible : les fonctionnaires, les étrangers etc. Et que cette colère ne profite pas aux populistes de droite et d’extrême-droite.

Le globalisme. Répandu dans des milieux politisés qui regardent passer les mouvements sociaux en comptant les manifestants. A ces camarades « généraux mexicains », nous disons que leurs analyses – souvent démobilisatrices – n’ont aucun intérêt tant qu’ils ne vont pas au contact des prolos de banlieue (à la sortie/l’entrée des gares de RER par exemple) en menant campagne pour les mobilisations sociales.

Pour autant une perspective globale alternative au capitalisme est nécessaire. Cela exige un travail dialectique permanent entre le « local » et le « global », entre le réel et les analyses générales.

Arrêtons d’être des victimes

Face à un gouvernement cynique et des médias contrôlés par les propriétaires des moyens de production, le discours victimaire n’a aucun intérêt. Il contribue même à la « dépression sociale », qui fait que des milliers de salariés n’y croient plus ou pas. Cela donne des manifestations tristes à pleurer avec des sonos où les décibels de musique écrasent les slogans et les chansons. Or les actions du mouvement social n’ont pas pour seule fonction de rendre visible dans les médias une opposition partagée ou des projets alternatifs. Ces actions ont aussi pour fonction de redonner la pêche aux participants. Pêche nécessaire pour continuer le militantisme de terrain, sans lequel rien n’est possible.

Il faut réinventer nos manifestations, nos actions. Sinon, pas étonnant que nombre de jeunes (ou pas) se précipitent devant le « carré de tête » et deviennent des cibles faciles pour les forces de l’ordre bourgeois.

Des cortèges pêchus, chantants, dansants, utilisant l’humour, la dérision, la moquerie, la caricature plutôt que des slogans gnangnan « OUI, OUI, OUI, NON, NON, NON ». Le râlage, la plainte etc. ne donnent pas envie de se battre. Ils renvoient à l’impuissance. Tout cela se prépare, en amont.

Retrouver les chemins des Jours heureux

Pour continuer les luttes, malgré les difficultés, il faut aussi avoir une perspective globale. Au-delà des quelques pistes que nous proposons dans ce texte, pistes incomplètes et à enrichir. Il est fondamental de reconstruire un projet collectif de transformation de société. Projet ancré dans le réel, qui nous permettrait d’articuler le court, le moyen et le long terme. Les échecs des projets socio-démocrates4, de la gauche autoritaire, les insuffisances de la gauche libertaire nous imposent de réinventer un autre futur ancré dans les combats quotidiens.

Nous ne partons pas de rien (liste non limitative) :

  • Les apports de Marx et Jaurès : pensée évolutionnaire-révolutionnaire qui articule les revendications / mesures immédiates avec la perspective d’une transformation profonde de la société.
  • La Charte d’Amiens : double besogne (articulation des revendications immédiates et changement de société) et indépendance des syndicats vis-à-vis des partis politiques.
  • Irruption du féminisme et de l’écologie dans les mouvements sociaux.
  • La laïcité comme outil d’une unification du salariat et principe de fonctionnement d’une société.
  • Conquêtes sociales issues des grèves générales (36/68) et du CNR.
  • La démocratie directe issue du mouvement libertaire. Mouvement libertaire qui rappelle à toutes et à tous qu’il n’y a pas de transformation sociale sans luttes sociales.
  • Les solidarités internationalistes.

La question d’une authentique République sociale est à actualiser à l’aune des réussites et des échecs des séquences précédentes. Dans le désordre :

  • La démocratie sociale et politique.
  • La socialisation des moyens de production5
  • La répartition des richesses
  • La rupture avec les traités européens
  • La dimensiontransversale de l’écologie de tous nos combats.
  • L’égalité femmes/hommes6

Ces axes sont à retravailler / actualiser collectivement. Ils nous permettraient d’articuler de façon cohérente:

  • Des plateformes revendicatives unitaires (syndicales, associatives, citoyennes etc.)
  • Un projet politique alternatif au capitalisme (quelle que soit sa version). En effet dans la période d’affrontement interne entre les libéraux et les tenants des bourgeoisies nationales, nous ne pouvons pas nous contenter d’une orientation anti-libérale ou laisser passer une ligne populiste-protectionniste. Dans les deux cas, nous serions les alliés objectifs d’une fraction de la bourgeoisie. Alliés de cette fraction qui nous allume dès que possible. Nous devons reconstruire un projet autonome et anticapitaliste, c’est-à-dire à la fois un nouveau projet émancipateur et une grille de lecture qui nous permettent d’éviter les chausse-trappes du système.

Pour cela nous ne partons pas de rien7 :

  • Des axes transversaux universels à la lutte des classes dont le moteur principal reste le salariat : laïcité, féminisme, antiracisme radical, écologie sociale…
  • La redistribution des richesses (par les salaires et l’impôt), la réduction du temps de travail avec les embauches correspondantes.
  • Un code du travail renforcé.
  • Une protection sociale à 100 %8 (100 % pour le remboursement des frais de santé ; et financement des retraites 100 % financées par les cotisations sociales ; 100 % autogérée par les salarié-e-s via leurs élus syndicaux).
  • Poser la question de la propriété du travail et des moyens de production, donc de la place des salariés dans la gestion des entreprises. Finalité de la production et du travail ? Propriété d’usage ? Socialisation ? SCOP ? Il semble que des milliers de patrons de PME vont partir à la retraite. Le mouvement syndical revendicatif ne devrait-il pas imposer aux pouvoirs publics d’aider financièrement les projets de reprise construits par les salariés de ces PME ? L’idée à remettre à l’ordre du jour est que ce sont les salariés qui produisent la richesse et que donc cette richesse produite doit leur appartenir. Et que les choix de production doivent aussi être débattus par les salariés9.
  • Plus globalement, la question de la politique industrielle en France (en lien avec les questions écologiques et sociales) mériterait d’être envisagée.
  • Quelle réponse à la précarité et au chômage? Une nouvelle branche de la sécurité sociale qui, sur la base d’un financement via des cotisations sociales, garantisse le revenu si l’activité de l’entreprise diminue. Et la formation si le salarié recherche ou a besoin d’une nouvelle qualification?10

Au moment où ce texte est écrit, il nous semble que l’année 2018-2019 sera marquée par deux évènements centraux11 que le mouvement social ne peut pas louper.

  • La nouvelle contre-réforme des retraites. Le projet de Macron est terrible (nous y reviendrons concrètement). S’y opposer est nécessaire, mais insuffisant. C’est la question du financement des retraites qui est en jeu. Donc de la répartition / redistribution des richesses qui est au cœur du débat à poser publiquement.
  • Les élections européennes. L’enjeu n’est pas de savoir quel sera le rapport de force entre les « gauches » au soir des élections. Mais de travailler concrètement à la désobéissance des traités européens, et donc de perspectives de ruptures possibles avec le libéralisme et les populismes.

1 L’affaire Benalla / Crase en est l’illustration.

3 Même cela n’a pas été rendu public, les rapports entre ce trio et SUD RAIL ont été « compliqués » au plan national. Mais notons que s’il y a eu des tentatives de démarrage en grève reconductible, celles-ci n’ont pas réussi à entraîner la majorité des cheminots en grève.

4 En tant que projet émancipateur, pas en tant que mode de gestion du capitalisme, où la sociale démocratie a plutôt « réussi ».

5 Voir le livre de Bernard Teper, Penser la république sociale pour le 21ème siècle.

6 Lire l’excellent Toutes à y gagner. Vingt ans de féminisme intersyndical CGT/FSU/SOLIDAIRES – Ed. Syllepse

7 Liste non exhaustive !

8 Lire l’incontournable livre d’Olivier NOBILE et Bernard TEPER Pour en finir avec le trou de la Sécu, repenser la protection sociale au XXIème siècle.

9 Lire l’excellent livre de Bernard TEPER Penser la république sociale pour le 21ème siècle.

10 En plus de l’ouvrage de Bernard Teper, on peut aussi lire En finir avec les luttes défensives de Bernard FRIOT dans le MONDE DIPLOMATIQUE de novembre 2017.

11 Ce qui ne veut pas dire que d’autres luttes ne sont pas importantes.

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La crise écologique et la constitution française

par Michel Marchand

 

Après l’appel des 15 000 scientifiques il y a presque un an « pour que demain ne soit pas trop tard », le long et intense épisode caniculaire durant la période estivale faisant prendre conscience que nous sommes entrés concrètement dans le contexte du réchauffement climatique lié aux activités humaines, le rapport spécial du GIEC du 8 octobre vient rappeler que la température planétaire a déjà augmenté d’environ 1°C. L’ultime espoir de limiter le réchauffement à 1,5°C par rapport à la période préindustrielle ne peut être envisagé qu’au prix d’un sursaut international dans la lutte contre le réchauffement. Au rythme de réchauffement actuel, le seuil de 1,5°C sera franchi entre 2030 et 2050. Voyons comment l’écologie est entrée dans notre dispositif législatif.

La France célèbre cette année les 60 ans de sa Constitution, une vieille dame qui au moment de sa naissance n’envisageait guère la crise écologique qui allait se mettre en scène à Stockholm en 1972 (première Conférence internationale sur l’environnement) et 20 ans plus tard à Rio (seconde Conférence et conventions internationales sur le climat et la biodiversité). Dans cette mise en perspective, le ministère de l’Environnement voit le jour seulement en 1971 et l’écologie fait son entrée dans la Constitution avec la Charte de l’Environnement qui intègre en 2005 le « bloc de constitutionnalité ».

La République française est ainsi dotée d’une Constitution comportant 153 articles : 108 articles du texte lui-même auquel il faut ajouter les 17 articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, les 18 alinéas du préambule de la Constitution de 1946 et les 10 articles de la Charte de l’environnement.

Selon les constitutionnalistes, cette Charte possède une autorité juridique égale à la Déclaration de 1789 et du Préambule de 1946. Elle rappelle que l’existence et l’avenir de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel, que celui-ci est le patrimoine commun des êtres humains, que sa préservation doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation. Que proclame la Charte ? Tout d’abord que chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (art. 1), confirme le principe du pollueur payeur pour la réparation des dommages (art. 4), adopte le principe de précaution (art. 5) mais son application est conditionnée toutefois « à un coût économiquement raisonnable », affiche la promotion du développement durable et considère que les politiques publiques doivent concilier la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social (art. 6) et affirme que toute personne a le droit d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publique (art. 7). La Charte assigne par conséquent aux autorités publiques (articles 5 et 6) des objectifs à valeur constitutionnelle.

Ces objectifs ne sont pas atteints et les exemples sont suffisamment nombreux pour l’attester : marées vertes sur le littoral breton du fait des apports excessifs en nitrate agricole, usage des pesticides agricoles conduisant à des atteintes à l’état de santé des travailleurs en milieu viticole, développement des maladies chroniques, croissance non maîtrisée des émissions de gaz à effet de serre en dépit des engagements internationaux, etc.

La Constitution constitue à la fois le rempart juridique contre toute dérive du pouvoir politique et un pilier sur lequel repose l’édifice juridique français. Pour y veiller, le Conseil constitutionnel a reconnu l’existence de 10 « principes fondamentaux reconnus par les lois de la république »  : la liberté d’association, la liberté individuelle, la liberté d’enseignement, la liberté de conscience, l’indépendance de la juridiction administrative, l’indépendance des professeurs d’université, la compétence exclusive de la juridiction administrative en matière d’annulation des actes de la puissance publique, l’autorité judiciaire gardienne de la propriété privée immobilière, la proportionnalité des peines applicables aux mineurs et enfin le principe du particularisme du droit applicable à certains départements (Bas-Rhin, Haut-Rhin et Moselle). Très concrètement l’environnement est absent des principes fondamentaux alors que la liberté individuelle et le droit de propriété y figurent. Peut-on à ce titre résumer la situation en affirmant que la Constitution française fait prévaloir le droit individuel et le droit de propriété sur celui de l’intérêt général.

Par exemple, la saisie du Conseil constitutionnel sur un projet inutile à l’environnement risque fort peu d’aboutir même si le motif s’appuie sur l’idée d’un mode de développement non durable. C’est le cas par exemple du complexe EuropaCity à l’Est de Paris qui vient de recevoir un avis négatif après enquête publique. Le projet, porté par Auchan et le groupe chinois Wanda, prévoit, avec un investissement de 3,1 milliards d’euros, le bétonnage de 700 hectares de terres agricoles aux portes de Paris afin de créer à l’horizon 2024 une surface de 230 000 m² de commerces, 20 000 m² d’espaces culturels et 150 000 m² de loisirs avec parc aquatique et piste de ski ! La mairie de Gonesse estime que “les conclusions du rapport ne sont pas de nature à remettre en cause le principe de l’aménagement du Triangle de Gonesse”. Il est peu vraisemblable que le Conseil constitutionnel se prononce au titre de la Charte de l’environnement, sinon de rappeler au respect du droit de propriété et d’entreprise.

La Charte de l’Environnement ne serait-elle donc qu’un chiffon de papier sans réelle portée autre que le droit à l’information environnementale, à l’application du principe pollueur-payeur et du principe de précaution ? Rien n’est moins sur si l’on prend en considération la décision de la cour du district de La Haye aux Pays Bas qui a ordonné le 24 juin dernier à l’État néerlandais de réduire les émissions de gaz à effet de serre, donnant raison à l’ONG Urgenda qui était à l’origine de cette action en justice. Cette décision fait jurisprudence et c’est la première fois qu’un gouvernement se voit ordonner de relever ses ambitions climatiques par un tribunal. Sur la base des connaissances scientifiques acquises sur les effets dévastateurs des émissions polluantes, les juges ont considéré que le gouvernement doit agir pour protéger ses citoyens étant donné son devoir de protection de l’environnement. Il est possible que la décision de La Haye soit infirmée en appel, mais il n’en demeure pas moins de voir l’émergence de l’argument juridique du devoir de vigilance et d’action des États face au réchauffement climatique au nom de l’obligation commune mais différenciée des États à lutter contre le réchauffement. Une autre initiative lancée par un groupe de juristes et de magistrats a adopté en 2015 un document intitulé « les principes d’Oslo sur les obligations du changement climatique » qui énumère les arguments juridiques pour faciliter les recours contre les États mais également à l’encontre des grandes compagnies privées fortement émettrices de gaz à effet de serre. On peut ajouter comme obligation à agir, en prenant directement appui sur l’article 1 de la Charte de l’environnement (« chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé »), les conclusions des travaux de l’hebdomadaire médical britannique Lancet qui affirment que le changement climatique constitue la plus grande menace mondiale pour la santé publique au 21e siècle.

La Charte de l’environnement peut donc constituer un levier non seulement pour des actions positives pour la protection de l’environnement et de la santé humaine, mais également pourrait permettre de dénoncer certaines obligations liées à des conventions internationales pour l’environnement qui tout en avançant des objectifs pertinents les formulent dans un cadre économique représentatif du système mondialisé actuel peu respectueux d’un développement durable. Ainsi l’article 3.5 de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) adoptée en 1992 à Rio stipule « …. il convient d’éviter que les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques, y compris les mesures unilatérales, constituent un moyen d’imposer des discriminations arbitraires et injustifiables sur le plan du commerce international, ou des entraves déguisées à ce commerce », ou en d’autres termes la lutte contre le changement climatique ne peut mettre en cause le libre échange et a fortiori la mise en œuvre de politiques protectionnistes environnementales et sociales.

La Charte de l’environnement constitue un premier jalon à valeur constitutionnelle, une première avancée à la fois positive mais insuffisante à deux titres, d’une part la Charte s’inspire plus du comportement des personnes (ex. principe du pollueur payeur) que de l’intérêt général (la notion de développement durable reste un concept flou, voire un oxymore pour certains), d’autre part l’exigence de protection de l’environnement et de la santé humaine ne s’inscrit pas dans les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la république » (lesquels mettent en avant la liberté individuelle et le droit de propriété au détriment de l’intérêt général).

Quelle perspective alors ? Il est indispensable au préalable de rappeler la nécessité d’une pensée globale et de la gestion du temps long des ressources de la planète, et d’affirmer la priorité écologique sur l’intérêt économique. Nous voyons au moins une perspective pour donner un plein pouvoir constitutionnel à la protection de l’environnement, il s’agit d’inscrire dans la Constitution par exemple la Règle verte prônée par la France insoumise, à savoir l’obligation de ne pas prélever sur la nature plus de ressources renouvelables que ce qu’elle peut reconstituer, ni de produire plus que ce qu’elle peut supporter. Constitutionnaliser cette règle serait de faire prévaloir l’intérêt général sur la liberté individuelle et le droit de propriété et obligerait une politique de planification écologique pour adopter une économie soutenable et socialement juste.

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Marseille : Maltraitances départementales

par Anne Gautier

 

Dans le cadre de la protection de l’enfance, la loi stipule que toute personne se déclarant mineure isolée doit être hébergée et nourrie par le Conseil Départemental (CD) en attendant l’évaluation de sa minorité et de son isolement. Le juge des enfants prononce ensuite une Ordonnance Provisoire de Placement (OPP) qui enjoint le CD de placer le jeune dans un foyer où il sera pris en charge, c’est-à-dire hébergé, nourri, soigné, accompagné dans sa scolarité et sa formation.

À Marseille comme dans la plupart des grandes villes, le Conseil Départemental ne respecte pas ses obligations de protection de l’enfance. Mais le département des Bouches-du-Rhône est un des rares (le seul ?) à ne pas respecter la décision de justice qu’est une OPP. De son propre aveu, il y avait en juin  150 mineurs avec OPP « non pris en charge », et il doit en arriver 50 de plus d’ici la fin de l’année grâce ou à cause de la clef de répartition nationale de ces mineurs. Ce qui ne comptabilise pas ceux et celles en attente d’évaluation, ni ceux et celles non encore répertorié-es par le service chargé de les accueillir. Des dizaines de plus.

L’expression « non pris en charge » est d’une neutralité qui ne rend aucun compte de ce que ces jeunes vivent au quotidien. Ils passent des semaines voire des mois dans la rue avant d’être mis à l’abri dans des hôtels pas toujours recommandables, pas toujours accueillants, curieusement là où les touristes ne vont pas. Tant qu’ils ne sont pas mis à l’abri, alors même qu’ils sont connus et que leur OPP a été enregistrée, ils n’ont pas droit aux tickets repas. Même ceux et celles qui sont à l’hôtel manquent de produits d’hygiène élémentaire, de vêtements de rechange, et d’accès aux soins. Certain-es se plaignent de douleurs depuis des mois, ont des séquelles visibles et avérées de mauvais traitements subis sur la route ou en Lybie, et on leur dit d’attendre, quelques mois de plus, que leur carte CMU soit opérationnelle. Il va sans dire qu’ils et elles n’ont aucun accompagnement éducatif ni psychologique, quand certain-es ont des parcours qui les marqueront à vie. Ils ne voient personne, ils ont peur, ils ont faim, ils se sentent méprisés et abandonnés. Ceux qui sont scolarisés (souvent grâce aux militants et solidaires) n’ont pas de tickets de transport pour se rendre dans leur établissement, certains ont raté leur rentrée alors qu’ils avaient une place parce qu’ils n’en ont pas été prévenus par « leur » éducateur…
Tout ce qui précède n’est que la synthèse de dizaines de témoignages que nous avons recueillis et envoyés au Conseil Départemental, qui ne dément pas.
Ceux et celles qui ne sont toujours pas mis-es à l’abri se retrouvent au commissariat central le soir, en attendant qu’on leur trouve une place, ou pas. S’ils se montrent trop insistants ils se font agresser, gazer, par des policiers. Quand la réponse est négative il ne leur reste plus qu’à errer toute la nuit par peur de se faire agresser, ou à trouver un coin pour s’allonger par terre. En général à la gare St Charles, pourtant connue pour ses dealers, ses pervers-es en quête de chair fraîche, et autres réseaux prêts à profiter de leur détresse.

De temps en temps, dans la presse, il est fait mention de la découverte par les services sociaux (les mêmes…) d’enfants maltraités qui dorment par terre, privés de soins, d’hygiène, de scolarité. Tollé général et indigné, et poursuites devant les tribunaux des parents indignes, condamnés le plus souvent pour maltraitance aggravée. Il est clair qu’en ce qui concerne ces mineur-es non seulement délaissé-es mais objectivement mis-es en danger par les services-même chargés de leur protection, il s’agit bien de maltraitance aggravée.

Parmi ces jeunes, un certain nombre, non négligeable, arrive d’autres départements, selon la fameuse clef de répartition nationale. Or tous les départements commencent à savoir que les jeunes envoyés à Marseille se retrouveront au mieux en hôtel, le plus souvent à la rue, alors qu’ils étaient pris en charge, parfois scolarisés, dans leur département d’origine. Pourquoi alors continuer à les y envoyer ? Soit la cellule de répartition nationale est mal renseignée sur les places vacantes, par le Conseil Départemental donc, soit il y a des places dans les maisons d’enfants à caractère social (MECS), mais qui ne bénéficient pas à ces jeunes-là. Dans les deux cas, ces jeunes sont victimes d’une maltraitance institutionnelle supplémentaire, d’un système qui les balade comme de vulgaires patates chaudes : ils sont brutalement coupés de leurs foyers d’accueil ou de la famille à qui ils avaient été confiés, au mépris des liens affectifs parfois très forts qu’ils avaient noués, leur scolarité interrompue, leur projet professionnel anéanti, on les met dans un train sans avoir la certitude qu’ils seront accueillis à leur arrivée, et de fait ils ne le sont pas.
Ce qui conduit les éducateurs les plus engagés dans leur métier à faire ce qu’ils peuvent pour essayer d’éviter la rue à ceux qu’ils ont protégés pendant des semaines et des mois: Nous voyons arriver des jeunes de Mâcon, de Rodez, de Gap, de Grenoble, de Carcassonne et d’ailleurs, qui présentent une fiche de transfert avec la mention : « en cas de problème s ‘adresser au Mamba » (collectif Soutien Migrant-es 13), adresse et téléphone suivent. Quand ce n’est pas le nom et le téléphone personnel d’une militante du RESF, dûment imprimé sur les papiers officiels ! Soyons clairs, ce ne sont pas ces travailleurs sociaux ni ces services qui dysfonctionnent : aucun éducateur n’a choisi ce métier pour envoyer un-e jeune dormir dans les rues. Ils essaient seulement de compenser les carences notoires du CD 13 .
Ce ne sont d’ailleurs pas les seules circonstances où les institutions font appel aux solidaires : Le téléphone du RESF 13 est appelé régulièrement par des travailleurs sociaux, les services du rectorat appellent les militant-es pour trouver les jeunes qui doivent passer les tests de niveau scolaire, d’autres départements pour savoir où sont les jeunes qu’ils ont envoyés, dans la mesure où le CD 13 ne répond pas ou ne sait pas… Les mêmes solidaires hébergent et nourrissent, collectent les vêtements, accompagnent ceux et celles qui ont besoin de soins, organisent des cours, inscrivent dans les clubs de sport, prennent les RV au CIO, tiennent une permanence pluri-associative une fois par semaine, proposent un groupe d’écoute et de soutien animé par trois psychologues tous les lundis…

Et certains s’étonnent que les jeunes aient confiance en nous.

Ce qui crée sans aucun doute le plus de souffrance, c’est le manque de considération dont ils sont l’objet de la part de l’institution chargée de les protéger. Non seulement comme partout ailleurs ils sont soupçonnés de tricher sur leur âge, leur identité ou leur parcours, mais ils sont traités comme des délinquants alors qu’ils sont avant tout en danger : Quand un jeune, dans une crise de désespoir, casse une table ou balance une chaise, on appelle la police, ils partent en garde à vue et sont poursuivis pour dégradation de matériel. Quelle bienveillance de la part de « techniciens de la protection de l’enfance », envers des jeunes qui ont besoin de soutien, d’accompagnement, et peut-être de soins ! Un autre s’est défenestré récemment depuis sa chambre d’hôtel (il va mieux, ses jours ne sont plus en danger) : son compagnon de chambre et un autre qui avait essayé de l’aider ont été emmenés 24h en garde à vue. Aucun accompagnement psychologique n’a été proposé, ni pour eux, ni pour la vingtaine hébergés dans le même hôtel et qui ont assisté à la scène. C’est encore une fois les psychologues bénévoles qui ont organisé en urgence un groupe de paroles. Et quand ils se sont spontanément rassemblés devant le Conseil Départemental plusieurs jours après pour demander des nouvelles de leur copain (ils ne savaient même pas s’il était encore en vie), personne n’a daigné venir leur parler, mais la police a été appelée pour les disperser à coups de matraques et d’insultes…

La liste est encore longue des exemples de la façon dont ces mineurs sont traités. Et le manque de moyens ne justifie en aucun cas le regard porté sur eux.
Le manque de moyens ne justifie d’ailleurs rien du tout. Il n’y a pas de manque de moyens, il y a un manque de volonté politique de les accueillir, et même une volonté délibérée de ne pas les accueillir.
Mme Vassal, Présidente du CD13 et candidate adoubée à la succession de M. Gaudin, ne lésine pas sur les subventions accordées à la Mairie de Marseille, 50 millions d’euros en plus des 100 millions déjà accordés. Mais n’a pas les moyens de prendre en charge 300 mineurs.
L’appel de Mme Vassal (et avec elle les Président-es des autres départements) au gouvernement pour prendre en charge ces jeunes, au prétexte que c’est à l’État de gérer la politique migratoire, relève de la plus pure hypocrisie : Un gouvernement qui vient de faire adopter cette nouvelle loi sur l’asile et l’immigration, pendant que certains barbotent en Méditerranée et que d’autres s’y noient, n’a pas plus de considération pour les mineurs migrants que pour leurs aînés. Tous sont refoulés en toute illégalité à la frontière italienne, à l’aide de moyens humains et matériels dignes d’une guerre (là on n’a pas de problème pour financer), au mépris des lois et de leurs vies. Les solidaires qui leur viennent en aide sont poursuivis, les petits fachos qui s’arrogent le droit de faire leur cinéma à la frontière ne le sont pas. Mme Vassal et M. Macron sont en parfait accord, lui qui du haut de sa suffisance ne fait que perpétuer et amplifier la politique de brutes, ouvertement raciste et xénophobe, de ses prédécesseurs. En 2017, la France a opéré 86 000 refoulements à la frontière, dont 17 000 concernant des mineur-es, 43 % des refus d’entrée terrestre en Europe (chiffres DCPAF et Eurostat). De quoi cocoriquer et regarder de haut Orban et Salvini.

Mme Vassal dans les Bouches-du-Rhône, M.Collomb et M. Macron qui l’a nommé sont bien directement responsables de maltraitance institutionnelle aggravée en bande ô combien organisée. Et ne pourront plus ignorer longtemps la colère de solidaires de plus en plus nombreux qui s’opposent farouchement , en paroles et en actes, à cette politique migratoire qui se veut dissuasive et qui n’est que meurtrière.

Anne Gautier, avec le soutien de
RESF 13
Collectif Soutien Migrant-es 13 El Mamba
Association Katilla
La CIMADE Marseille
Médecins du Monde Collège Régional PACA

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Les mineurs isolés à Quimper : vous avez dit intégration ?

par Roseline NEDELEC

 

La France, à travers les discours de ses politiques nous rappelle à l’envie son attachement indéfectible à notre « État de droit ». Ce système qui engage la responsabilité de ses gouvernants face à leurs actes ou décisions, est fondé sur le principe essentiel du respect des normes juridiques, sur la séparation des pouvoirs, sur l’égalité de tous devant les règles de droit et sur la soumission de l’État au respects de ces règles. Quid de ces règles pour nos jeunes migrants arrivés à Quimper ? Par quels tours de passe-passe, nos institutionnels tordent-ils le cou aux règles les plus élémentaires de protection de l’enfance dès lors que cette enfance a la peau noire (majorité d’africains subsahariens)? Un régime dérogatoire aurait-il été validé pour nos jeunes migrants ? A Quimper comme partout ailleurs, nos institutionnels font montre d’un zèle à ne pas accueillir qui force l’admiration ! Pas moins d’une vingtaine de jeunes mis à la rue en l’espace de 2 mois sur Quimper par simple décision de la vice-procureure, sans que ces jeunes aient pu être entendus par le juge des enfants. Le droit à un procès équitable et aux droits de la défense serait-il malmenés ?

La mise à l’abri des MNA : une zone de non-droit : “Tout enfant” privé de son milieu familial ou en danger au sein de celui-ci a droit à une protection.

Aucune condition de nationalité ni d’origine n’est donc prévue (article 20 de la Convention Internationale relative aux droits de l’enfant). Complété par l’art. L 111-2 du Code de l’Action Sociale et des Familles qui confirme l’absence de condition de nationalité dans le cadre des mesures de protection de l’enfance: «Les personnes de nationalité étrangère bénéficient dans les conditions propres à chacune de ces prestations : 1° Des prestations d’aide sociale à l’enfance ». Protection de l’enfance signifie, prise en charge psychologique, administrative, scolaire et médicale. Pour les MNA, cette prise en charge ne peut être effective que lorsque le jeune, mis à l’abri par les services du Conseil Départemental, est reconnu mineur. A Quimper, comme dans beaucoup d’autres départements, les évaluations propre à déterminer la minorité présumée des jeunes entendus par les services du CDAS, et transmises au parquet et/ou au juge des enfants qui statuent in fine (quand le CDAS lui-même ne conclue pas unilatéralement à sa majorité!), n’aboutissent bien souvent que des mois après sa mise à l’abri. Le droit à une protection effective se trouve ainsi bafoué puisque le jeune n’a accès à aucune prestation attachée à sa minorité puisqu’elle est non-déterminée. Nous notons, à cet égard, que si la suspicion sur la date de naissance est de mise pour la reconnaissance de minorité, elle ne semble, par contre ne plus être un obstacle à l’approche de la majorité. Certains voient ainsi leur majorité arriver avant même d’avoir obtenu de décision sur une minorité pourtant présumée par les textes. Deux poids, deux mesures ?

A Quimper, la majorité des jeunes est dans cette situation d’attente anxiogène et de désœuvrement, sans accès à l’éducation pas plus qu’aux services d’une collectivité qui conditionne pourtant leur protection à une intégration qui leur est, de fait, refusée ! Nous avons interpellé à plusieurs reprises les responsables du CDAS sur cette situation, lesquels nous disent ne jamais mettre plus de 3 mois à réaliser les évaluations transmises aussitôt au

Parquet. Le Parquet traînerait-il les pieds ? Aucune condition de nationalité ni d’origine disiez-vous… Des enfants privés de leur droit à la scolarisation :

Là aussi, les textes sont pourtant clairs, mais nos institutionnels semblent frappés de cécité. L’art. L 131-1 du Code de l’Éducation dispose que « l’instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six ans et seize ans ». La scolarisation des mineurs isolés étrangers est donc une obligation (et non seulement un droit). De plus, la circulaire du 25 janvier ajoute que : « La scolarisation des mineurs isolés étrangers âgés de six à seize ans résidant sur le territoire français relève donc du droit commun et de l’obligation scolaire, dans les mêmes conditions que les autres élèves. Il n’appartient pas au Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche de contrôler la régularité de la situation des élèves étrangers au regard des règles régissant leur entrée et leur séjour en France. L’inscription dans un établissement scolaire d’un élève de nationalité étrangère, quel que soit son âge, ne peut être subordonnée à la présentation d’un titre de séjour ».

Nous sommes loin du compte à Quimper puisque les inscriptions à l’école sont systématiquement refusées pour les mis à l’abri, que les tests au CIO sont conditionnés par la reconnaissance de minorité, et que, cerise sur le gâteau, le CDAS a signé une convention avec la DIVEL (service chargé de la répartition des élèves dans les écoles) sur les inscriptions scolaires.

Nous avons réclamé un accès à cette convention bipartite qui semble mettre en place un système de sélection des prétendants à la scolarisation au mépris des dispositions légales précitées. Nous attendons. Résultat, aucun enfant en attente d’une décision du CDAS, et pourtant présumé mineur, n’a accès à l’éducation : nous avons donc mis en place des cours d’alphabétisation 3 fois par semaine et animés par des bénévoles, tout comme nous forçons les portes des écoles pour inscrire les jeunes sortis du dispositif. Priver ces jeunes de leur droit à l’éducation revient à leur refuser une intégration basée sur l’apprentissage et sur le vivre ensemble. Une recrudescence des contrôles : confiscation systématique des papiers, convocations à des tests osseux…

Nous assistons, depuis quelques mois à une recrudescence des contrôles et confiscation des papiers des jeunes de l’hôtel. Nous saluons, à cette occasion, la disponibilité sans faille des travailleurs sociaux pour conduire les jeunes convoqués au commissariat (500 m entre l’hôtel et le commissariat). Disponibilité pour le moins défectueuse lorsqu’il s’agit d’accompagner les jeunes appelés à passer des tests osseux à l’hôpital de la Cavale Blanche à Brest… Idem pour les jeunes hospitalisés ou pour ceux qui doivent se rendre à l’hôpital et repartir seuls après une hospitalisation. Leurs papiers ne leur sont jamais restitués (sauf de très très rares exceptions pour lesquelles nous n’avons pas plus d’explication), projetant ces jeunes dans un désarroi qui nous laisse à chaque fois plus désarmés. Nous aidons la plupart à la reconstitution de leur état civil, par des contacts au pays et des allers/retours aux Ambassades. Nous obtenons des résultats, tant et si bien, que même les cartes NINA, cartes consulaires et autres passeports enfin en poche, le Parquet de Quimper n’hésite pas à diligenter des investigations et enquêtes complémentaires de vérification et de confiscation. Ce contrôle, digne d’un régime totalitaire, s’accompagne depuis quelques mois également de convocations à des tests osseux pourtant décriés et condamnés par les professionnels de la santé eux-même. Et malgré une recommandation du 29 mars dernier du comité d’éthique de Brest condamnant fermement à nouveau ces pratiques, le rythme ne faiblit pas. Bien au contraire, puisque même les jeunes reconnus mineurs sont à leur tour convoqués. La convocation à ces tests laisse le choix au jeune d’accepter ou de refuser de s’y soumettre. Formidable, quand l’on constate que le seul refus suffit à condamner les jeunes à la rue, soit 48h après leur décision !

Une politique affichée : Force est de constater que rien n’est fait ni dans la transparence ni dans le souci d’intégrer une population pourtant soucieuse d’apprendre et de partager. Tous nos bénévoles qui hébergent les jeunes du dispositif en attestent. Monsieur Jolivet, Maire de Quimper ne tarit d’ailleurs pas d’éloges à l’endroit de ces jeunes! Pour preuve les propos des journaux Quimpérois de juillet dernier nous informant que Quimper va se doter, à compter du mois d’octobre prochain, d’un dispositif de vidéo-protection en centre ville. Et Monsieur Jolivet de nous expliquer que « si nous ne sommes pas en mesure de protéger les Quimpérois, il y aurait un délitement majeur. Il y a des cocktails explosifs en ce moment avec des publics venant de l’Est et de Roumanie. Et je pourrais aussi évoquer les mineurs isolés… ». Et d’enfoncer le clou: « la France est un pays d’Asile, avec le droit d’accueil, mais on se fourvoie dans ce système. On confond immigration du droit d’Asile. Il faut que l’État la reprenne en main. Ils sont de moins en moins mineurs et de moins en moins isolés. C’est difficile pour le Conseil Départemental de les gérer. On les retrouve désormais dans les bagarres, des histoires de stupéfiants … ».

Que Monsieur Jolivet se rassure, l’État est vigilant, les décisions récentes du Parquet de Quimper en attestent. Ces propos sont affligeants, surtout lorsqu’ils émanent d’un responsable politique garant de la sécurité et de la paix publique ! Vous, Monsieur le Maire qui refusez systématiquement les tarifs solidaires des transports en commun aux mineurs sortis du dispositif (ceux que nous hébergeons) alors qu’ils en ont besoin pour se rendre à l’école. Les préférez-vous à l’école ou livrés à eux-même dans la rue ? Car, Monsieur le maire, les cocktails explosifs en question, sont bien plus la résultante d’un obscurantisme dont vous vous faites le porte-parole, que la présence d’une population migrante qui dans sa grande majorité n’aspire qu’à participer à la vie de votre cité. Cette stigmatisation n’est pas à votre honneur Monsieur le maire et démontre, si besoin était que les relents nauséabonds de notre histoire ont, hélas, encore de beaux jours devant eux.



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