n°889 - 28/11/2018
Sommaire

Chronique d'Evariste

Ecologie

Combat social

Documents d'histoire

Courrier des lecteurs

Mode d'emploi

Soutenir et financer

Bien que le journal électronique soit rédigé par des contributeurs non rémunérés, nous devons faire face à des frais (notamment informatique). C'est pour cela que votre aide financière est la bienvenue pour nous permettre de continuer à vous informer sur les combats de la Gauche Républicaine et Laïque. Pour ce faire vous pouvez faire une adhésion de soutien en vous inspirant du barème ci-après et en nous envoyant sur papier libre vos Noms, Prénoms, Adresse et courriel à :

Les Amis de ReSPUBLICA
27, rue de la Réunion
75020 PARIS

Barème indicatif :
Chômeurs, RMIstes, Etudiants : 10 €
SMIC et au-delà : entre 25 € et 100 €

 
Chronique d'Evariste
Rubriques :
  • Chronique d'Evariste
  • Politique française
  • lettre 889
  • PCF

Une nouvelle direction au PCF. Qu’en penser dans la situation politique actuelle ?

par Évariste

 

736 délégués au congrès d’Ivry pour un nouveau départ ? Fabien Roussel, 49 ans, nouveau secrétaire national, Pierre Laurent très ému lors de son intervention de vendredi, nouveau président du Conseil national, un nouvel emblème avec une étoile et une feuille bourgeonnante symbolisant la conversion du PC à l’écologie…

Et un nouveau texte d’orientation qui provient de celui emmené par Fabien Roussel (42 % lors du vote des motions) et de très nombreux amendements venant des partisans du texte emmené par Pierre Laurent (37 % lors du vote des motions) qui montre une alliance entre ces deux textes. Les deux textes minoritaires (celui dit du « printemps » – avec 12 % – prônant une alliance avec la France insoumise au nom d’une alliance de la gauche anti-libérale et le texte de Paris 15e préconisant le retour à un PCF « lutte de classe » – avec 8 %) étaient plutôt mécontents du texte d’orientation majoritaire.
A noter aussi la non présence au congrès de plusieurs parlementaires communistes, dont Sébastien Jumel de façon explicite. A noter aussi le score majoritaire mais problématique de la liste du Conseil national avec 442 voix sur 569 votants (127 blancs ou nuls) et 167 non votants. Le vote du texte d’orientation est plus net avec 567 pour.

Le nouveau secrétaire national a soutenu l’action des « gilets jaunes » contrairement à ce qu’avait fait la CGT sur décision du Comité confédéral national (CCN). Fabien Roussel a très justement déclaré qu’il ne fallait pas « opposer les menaces de fin du monde avec les fins de mois difficiles ».

Il est à noter qu’il n’y a jamais eu autant de débats pour un congrès du PCF. Que cela a même entraîné des difficultés ici et là, notamment dans les conférences fédérales, tellement les communistes se sont investis dans ce congrès. Cela a donné lieu, du moins dans le discours, à un retour des termes « anticapitaliste », « internationaliste », lutte des classes, etc. Plusieurs camarades du PC pensent même qu’il faudra bien en passer par un congrès statutaire pour modifier certains éléments aux fins de mieux débattre encore.

Comme d’habitude, le lyrisme avait sa place, que ce soit avec le démarrage par Pierre Laurent (« La planète brûle, les peuples souffrent, le capital multinational se gave, les Gafam veulent diriger le monde. La paix n’est plus un acquis mais une urgence. Le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie et l’exclusion se banalisent à nouveau.») ou avec les JC embrayant le chant de la Jeune garde autour de leur secrétaire générale, ou encore avec Fabien Roussel (« Les gilets jaunes, les blouses blanches, les robes noires de la justice, mais aussi les cols bleus des usines ont des raisons de donner de la voix ! »).

Le texte d’orientation et les perspectives pour les européennes

Très clair sur l’écologie, sur le féminisme, sur l’anti-racisme, et sur l’ensemble des problèmes sociétaux, le texte d’orientation l’est moins sur le projet social du PCF, sur l’analyse de l’Union européenne, sur la stratégie et les alliances, il devient indigent sur des sujets comme la liaison du combat laïque et du combat social pour fédérer le peuple ou sur la nécessaire campagne de l’éducation populaire refondée.

Le nouveau slogan stratégique du PCF est de travailler à « une union populaire agissante » sans bien définir ce que cela veut dire. Sur les alliances, une chose semble sûre : les communistes ne « s’effaceront plus » à aucune élection. Le texte laisse présager une alliance avec « Génération.s » de Benoît Hamon pour les européennes sur une ligne « européiste » (le changement des traités s’effectuant de l’intérieur de l’UE) et reste très ouvert à des alliances avec le PS pour les municipales avec un argument étrange : « Une social-démocratie peut renaître dans le futur, exprimant la recherche d’un changement à “petits pasde la part de certains secteurs de la société et du salariat.»

Par contre l’analyse est plus critique concernant la FI : « Deux dynamiques la traversent : participer de la recomposition d’une nouvelle force social-démocrate, avançant des réponses réformistes sans prendre en compte l’enjeu de l’entreprise et les questions de classe ; s’engager jusqu’au bout dans l’aventure dupopulisme de gauche, au prix d’une rupture consommée avec les traditions de la gauche et du mouvement ouvrier. »

On croit deviner qu’il y aurait alors une social-démocratie négative, celle d’un courant de la France insoumise et une social-démocratie positive, celle que pourrait devenir le PS ! Nous voyons là la concrétisation de la montée des rancœurs au sein de la gauche. La députée communiste Elsa Faucillon résume cela de la façon suivante : « L’affirmation identitaire qui s’est exprimée dans ce congrès ne cache pas le retour à cette politique …d’alliances à géométrie variable ».

Les connaisseurs du PCF reconnaîtront là l’influence des maires et élus municipaux communistes qui dès maintenant préparent les municipales avec des stratégies à géométrie variable ici ou là, comme ils l’ont déjà fait dans les élections locales depuis plusieurs années. Avec un rapport d’orientation comme celui voté en cette fin novembre 2018, ils sont assurés de pouvoir le faire en toute autonomie.

Quant à la façon de reconquérir le vote des couches populaires ouvrières et employés, qui aujourd’hui ont largement abandonné le vote communiste (excepté chez les retraités), les incantations du texte d’orientation ne débouchent pas sur les moyens concrets d’y parvenir. En un mot, on clame sa volonté d’aller au bout du chemin sans décrire le chemin lui-même.

Quant à la thèse de Jean Jaurès, premier directeur du journal l’Humanité, qui estimait que la liaison du combat laïque et du combat social est une condition indispensable du rassemblement du prolétariat puis du peuple, cette thèse est largement absente du texte d’orientation laissant libre cours à des pratiques contradictoires ici et là sur ce sujet. Même la référence avec le combat contre le racisme n’est pas liée avec le combat pour la laïcité.

D’une façon générale, on voit que le débat sur le projet social est difficile. Prenons un exemple pour ne pas rallonger cette chronique. Dans les débats, les partisans du revenu universel, du salaire à vie, de la refondation de la Sécurité sociale sur ses caractéristiques révolutionnaires de 1945-461 se sont déployés alors que les antagonismes entre ces positions sont criants. L’exercice du pouvoir est risqué quand on ne tranche pas ce genre de débat…

Il reste bien sûr que ce sont les électeurs qui trancheront dès la fin mai 2019. Pour l’instant les études d’opinion donnent la France insoumise largement devant une éventuelle alliance PC-Génération.s au sein de la gauche. Mais l’ensemble de la gauche, y compris les écolos et le PS, oscillerait en France entre 25 et 30 % des votants.

L’élection partielle dans l’Essonne

Nous avons eu de ce point de vue une secousse grandeur nature avec l’élection relativement facile (près de 60 % des votants) d’un nouveau député REM, ancien socialiste, à Evry-Corbeil en remplacement de Manuel Valls, démissionnaire. Malgré l’intensification des politiques néolibérales, la candidate de la France insoumise, soutenue par le PCF mais pas par EELV et les socialistes, a terriblement reculé depuis la législative de 2017 (où elle avait fait presque jeu égal avec Manuel Valls) notamment dans sa propre ville Evry. Malgré une campagne importante avec des apports de militants des communes voisines et au-delà, pour les candidats de la FI et du PCF, le deuxième tour a produit un séisme avec 83 % d’abstentions (à peu près équivalent au 1er tour). Pour un deuxième tour qui restait très ouvert, c’est un nouveau record de France – après le record de France de la plus faible manifestation de la fonction publique le 22 mai 2018. Il est clair que des électeurs de gauche ont préféré, politiquement, ne pas participer à ce scrutin. Nous voyons là apparaître le risque contre lequel, dans nos colonnes, nous mettons en garde depuis longtemps, à savoir le fossé grandissant entre les directions des partis de gauche et des syndicats revendicatifs d’une part et les « vrais gens » d’autre part, ces derniers protestant à leur façon soit avec les « gilets jaunes », soit en faisant la grève du vote2. Dans ces conditions, on ne préfère ne pas penser à ce que seraient aujourd’hui des élections locales dans la nation.

Bien sûr, le type de comportement et de prises de position de la candidate FI (notamment son communautarisme revendiqué qui divise le peuple) compte dans le décompte total.

Mais il y a plus grave. Car il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre par rancœur, dogmatisme ou par refus de changer, au-delà du discours, ses habitudes anti-populaires. Le problème est bien là : ceux qui veulent « renverser la table » doivent construire un projet politique et un discours qui puissent fédérer le prolétariat pour ensuite fédérer le peuple. Le débat doit s’ouvrir : nous mettons en débat le projet de la République sociale qui lie le combat laïque et le combat social et qui s’enracine dans le peuple avec, à l’intérieur des luttes sociales, écologiques et politiques, une gigantesque bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle via la pratique d’une éducation populaire refondée. Comme cela s’est passé dans toute révolution émancipatrice, de la grande Révolution française jusqu’à nos jours.

Amitiés et à très bientôt, si vous le voulez bien !

  1. Sur ces questions, souvent évoquées dans ce journal, nous devrons impérativement dans les prochains mois produire des analyses qui sortent de l’entre-soi des spécialistes ou de l’affichage de slogans. []
  2. Derrière l’expression les « vrais gens » nous mettons cette idée que la majorité des militants sont « coupés des masses ». Car il y a une vraie vie pour la majorité qui souffre – en dehors des couches moyennes minoritaires dans le pays – et, malencontreusement, les masses populaires estiment de ce fait que les responsables politiques, associatifs et syndicaux pour la plupart ne font pas partie de leur classe. Ce qui nous ramène à penser la différence entre la classe en soi et la classe pour soi et exige de revenir à la pensée matérialiste et dialectique. []
Ecologie
Rubriques :
  • Combat social
  • Ecologie
  • Energie
  • gilets jaunes
  • lettre 889

L’écologie, le 17 novembre et les “gilets jaunes”

par Sergio CORONADO

 

La polémique bat son plein sur le mouvement du 17 novembre des gilets jaunes. Chez les écologistes, le débat fait fureur. Fallait-il y appeler, pour faire entendre la voix de l’écologie, ou s’en tenir à distance, considérant comme le fait l’ancienne ministre Delphine Batho qu’il s’agit d’une manifestation de soutien à l’industrie pétrolière, ou pire comme la manifestation d’une manifestation poujadiste aux accents d’extrême-droite?
Il me semble qu’il fallait d’abord s’intéresser à ce mouvement d’opposition à l’augmentation de la fiscalité des carburants sur les ménages, qui est né sur les réseaux sociaux, faire un tour justement sur ces mêmes réseaux, et notamment les pages Facebook qui ont été à la fois des lieux d’expression d’une très grande diversité de colères, et des outils d’auto organisation.

Considérer que taxer les seuls automobilistes – tout en laissant de côté le kérosène des avions, le fioul lourd des paquebots de croisière, les aides aux énergies fossiles, l’importation d’huile de palme pour ne prendre que quelques exemples, serait le premier pas d’une fiscalité écologiste verte est une position ubuesque des écologistes passés du côté du capitalisme vert.

Défendre cette mesure, l’augmentation de la fiscalité sur les carburants sur les seuls automobilistes, n’est pas à mes yeux une position d’ écologiste conséquent.

Et s’il me paraît nécessaire de combattre les tentatives grossières de récupération des lepenistes, qui conviennent parfaitement à la communication gouvernementale, elles ne sauraient à mon sens condamner d’emblée un mouvement qui met en exergue le fait que les plus riches bénéficient des cadeaux fiscaux au détriment des plus pauvres. sans angélisme et avec lucidité, il faut refuser l’alternative que Macron tente d’imposer dans le débat public: lui ou l’extrême-droite comme lors de l’élection présidentielle.

La diversité des colères liées tantôt au prix des carburants mais aussi au sentiment de mépris, de déclassement, d’absence de confiance dans l’avenir peut parfois paraître trouble. Des actes de violence, racistes, homophobes ont été commis, mais je crois que nous ferions une erreur de considérer que ces actes que nous devons condamner sont l’essence du mouvement.

Je voudrais expliquer ici pourquoi il me semblait légitime en tant qu’écologiste d’être aux côtés des gilets jaunes, et non pas en surplomb, et dans un second temps présenter les propositions qui me semblent urgentes à mettre en place pour donner corps à un début de transition écologiste.

Cette colère est juste car, sous couvert de lutte contre le réchauffement climatique, la politique gouvernementale est une tromperie écologique et une arnaque sociale. Alors que depuis le début de son quinquennat, le gouvernement d’Emmanuel Macron n’a cessé de concéder des cadeaux fiscaux aux plus riches et aux grandes entreprises, il voudrait faire croire que l’augmentation de la fiscalité sur les carburants pesant sur les seuls ménages et la fin de la niche dont bénéficiait le diesel seraient le prix à payer pour la transition écologique. Il n’en est rien. Seulement 19% de cette fiscalité abusivement qualifiée de verte va à l’écologie, le reste vient combler les manques à gagner des cadeaux fiscaux du macronisme.

Cette colère est juste car la pression de cette fiscalité est beaucoup plus forte par ailleurs sur les populations les plus démunies, dans les zones rurales et péri-urbaines. La fin de la niche fiscale dont bénéficiait le diesel annoncée par le gouvernement pénalisera encore plus fortement les catégories populaires habitant ces zones-là. D’après les données de l’Ifop, le taux de possession de véhicules diesel est bien plus élevé dans ces zones. Il atteint dès qu’on s’éloigne de seulement 10 kilomètres du centre-ville 68 % pour atteindre jusqu’à 77 % pour les personnes habitant à plus de 60 kilomètres d’une grande agglomération. Cette colère est celle des exclus de la gentrification et des agglomérations, qui concentrent transports et services publics.

Aux yeux du gouvernement, jouer sur la fiscalité doit tout régler. Pour lutter contre les émissions de la circulation automobile, on taxe le carburant des ménages, en espérant des changements vertueux. Mais cette logique du marché rationnel et de ses agents ne fonctionne pas. Une grande partie des automobilistes n’ont pas de modes de transports alternatifs, notamment dans les zones rurales. La politique gouvernementale n’en crée pas; elle les détruit même lorsqu’elles existent comme c’est le cas avec les petites lignes ferroviaires.

Ces territoires du tout bagnole, fruits de politiques d’étalement urbain et de suppressions des services publics, nés d’un imaginaire productiviste, sont par ailleurs dépourvus même d’infrastructures liées à la voiture électrique: les habitants doivent se déplacer pour tout. Dans un contexte d’explosion des inégalités et d’écarts de revenus, la politique environnementale de ce gouvernement se réduit à un alourdissement de la facture à la pompe pour les seuls ménages, aggrave la fracture territoriale, et suscite une colère légitime.

Nous partageons donc cette colère contre la politique du gouvernement Macron. Nous savons que cette prétendue «taxe écologique» n’est que l’habituel enfumage promu par le capitalisme vert, car elle ne sert en rien à financer une transition vers d’autres régimes de transport mais participe d’un rééquilibrage de la politique fiscale en faveur des hauts revenus et des grands patrimoines. La taxe perçue abondera les caisses de l’État, qui doit compenser les avantages fiscaux qu’il a offert aux riches et aux entreprises. Sur les 9 ou 10 milliards de taxe carbone perçus en 2018, seulement 1,9 milliards est destiné aux énergies renouvelables. Au-delà, plus grand-chose à voir avec la transition écologique, 3 milliards vont au Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et pour le reste les ressources vont au budget général – un budget marqué en 2018 par le trou créé, entre autres, par la suppression de l’ISF et de ses 4 milliards d’euros de recettes. Le produit des taxes sur le pétrole (le TITCP) n’est alloué que marginalement au financement de la transition écologique, alors qu’il devrait aider les ménages à changer leur voiture, accompagner des transformations des modes de transport, améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments et permettre une planification plus soutenable de la localisation des populations et des activités.

Nous savons que le principe, « pollueur – payeur », que nous soutenons, n’est pas appliqué aux grandes entreprises polluantes chimiques ou pétrolières. Au contraire, ce gouvernement reprend la rhétorique des industriels et entend faire porter la responsabilité des pollutions aux consommateurs et usagers, quand les responsables sont celles et ceux qui s’enrichissent, empêchant toute transformation des systèmes de production, au nom du profit. Ici, l’État est directement responsable, puisqu’il a soutenu la filière du moteur diesel et incité les gens à acheter des voitures au diesel durant deux décennies. L’État est aussi coupable d’avoir permis et encouragé l’étalement urbain qui rend aujourd’hui la voiture si nécessaire. Les adversaires de l’écologie ne sont pas les classes moyennes et populaires, ce sont les intérêts financiers et les pouvoirs publics inertes, c’est ce gouvernement qui octroie de nouvelles autorisations pour des forages d’hydrocarbures, qui subventionne encore la production d’énergies fossiles. La priorité du gouvernement n’est pas la transition écologique, mais l’organisation d’un transfert de richesse vers le secteur privé et les plus riches.

Nous savons que ce gouvernement ne prend aucune des mesures indispensables pour décarboner nos transports et réduire les inégalités face à la mobilité. Pire, ses mesures en la matière sont autant d’attaques contre une organisation soutenable et juste des transports. Sa contre-réforme de la SNCF, par exemple, entraînera la suppression d’encore plus de trains de desserte locale et de petites gares, accroissant la dépendance à l’automobile. De même, le sous-investissement dans le fret ferroviaire est largement responsable de la multiplication des camions sur nos routes.

Nous savons que les constructeurs automobiles, notamment Renault et PSA, font tout pour augmenter les ventes des modèles de type SUV, extrêmement chers et rentables, qui sont des abominations écologiques. Au lieu de chercher des solutions propres à bas coût, l’industrie automobile continue à produire des automobiles hauts de gammes, chères, destinée aux plus riches. Les industriels de l’automobile sont les principaux responsables de conséquences environnementales dramatiques de notre système de mobilité. Ils doivent financer les mutations qui s’imposent.

Nous savons que l’injustice fiscale est la marque de ce gouvernement. Par sa politique fiscale injuste, le gouvernement a lui-même alimenté le « ras-le-bol fiscal » d’autant plus qu’il n’a rien fait contre la précarité énergétique et les difficulté des transports. Sa politique est injuste socialement et inefficace écologiquement.  Une stratégie « pro-climat » doit mettre en cause radicalement les formes du développement des territoires, le modèle agricole, le volume des transports, la masse de marchandises produites, leur qualité et leur utilité réelle. Il n’y a pas d’autre voie pour réduire les émissions de 80 à 95 % d’ici 2050.

Justice sociale et lutte contre le dérèglement climatique vont de pair. La transition énergétique doit être payée par celles et ceux qui ont construit leurs fortunes sur la destruction de notre environnement. Pour mieux s’attaquer à l’imaginaire du tout bagnole, et faire décroître la place de l’automobile dans nos vies, il faut plus de services publics, de transports collectifs, il faut faire décroître les inégalités.

 

Le 17 novembre a mis en lumière des lignes de force :
– la révolte de ceux d’en bas qui n’en peuvent plus de ce gouvernement des riches,
– l’impuissance de ceux d’en haut à gouverner en donnant des perspectives d’amélioration de vie, que les interventions présidentielle et du Premier ministre ont confirmé.
– l’absence de réelle perspective politique alternative immédiate.

Or les jacqueries antifiscales dans l’histoire ne peuvent être réduites au poujadisme. Elles ont parfois été la préfiguration d’aspirations politiques profondes. Nul ne conteste la nécessité et l’urgence de la lutte contre le changement climatique, et ce ne fut pas le message des gilets jaunes. Pour construire les conditions nécessaires d’un soutien populaire à la transition écologique, il est essentiel que les écologistes viennent au dialogue, et la discussion peut parfois être rude. C’est la condition incontournable pour rendre la transition lisible, et populaire. Il n’y aura pas de transition sans justice. Et les premiers dans ce sens peuvent être accomplis si les dix mesures énumérées étaient mises en place:

1. Affecter la totalité des recettes de la composante carbone au compte d’affectation spéciale « Transition énergétique » et pas uniquement l’augmentation d’une année à l’autre. Nous exigeons que les recettes de la fiscalité écolo soient entièrement destinées au financement de la transition écologique sous ses deux volets :
– Energie : économies d’énergie, énergies renouvelables, solutions de déplacement alternatif à la voiture individuelle et aux poids lourds, accompagnement social des ménages à faibles ressources.
– Économie : Reconversion, relocalisation, recyclage, agro écologie, forêts et espaces naturels, biodiversité, éco urbanisme,

2. Redistribuer la taxe en l’inversant : faire payer pour les 2/3 les entreprises, et 1/3 pour les ménages. Création à partir de 2020 d’un Fonds pour la transition juste (accompagnement de la reconversion des salariés des secteurs fragilisés) ; Aider les PME de la transition écologique.

3. Mettre en place une « commission fiscalité verte » avec des représentants de l’État, des collectivités, des ONG environnementales, des syndicats pour réévaluer la valeur carbone au vu des dernières connaissances scientifiques du climat et et en cohérence avec les contraintes posées par l’Accord de Paris (trajectoire 1,5° C) qui prendra en compte la variabilité des prix des énergies fossiles. Une planification écologique décentralisée organisera un cadre légal de déphasage planifié des combustibles fossiles nécessaire pour ne plus dépendre des fluctuations de marché.

4. Mettre le crédit au service de la transition. Refuser que les 106 milliards d’euros des livrets d’épargne de « développement durable et solidaire » servent encore à financer les 200 entreprises « fossiles » ayant le plus de responsabilités dans le dérèglement climatique.

5. Appliquer le principe pollueur – payeur aux entreprises qui polluent, aux constructeurs automobiles qui truquent les tests anti-pollution, aux sociétés concessionnaires d’autoroute, chimiques, de l’agro business ; Les entreprises pétrolières comme Total doivent notamment être imposées car non seulement elles contribuent à la crise climatique mais elles exploitent un sans vergogne un commun de l’humanité ; Imposer une taxe sur toutes les transactions financières pour renforcer l’économie de pollinisation et la transition énergétique .

6. – Pour une fiscalité verte juste socialement :
Adopter une tarification progressive solidaire (tarification en vertu de laquelle la première tranche est accessible à un coût socialement acceptable et ensuite augmente progressivement, au prorata des quantités consommées) pour les biens environnementaux (eau, électricité…) considérés comme des besoins humains fondamentaux ;
Améliorer la qualité de vie par des bonus cantines bio pour offrir un repas de qualité à tous les enfants scolarisés et aux personnes hospitalisées. Aucun enfant ne doit être privé de cantine.

7. Contre la précarité énergétique, permettre aux consommateurs de se chauffer mieux, pas plus cher.
– Augmenter le chèque énergie perçu par 4 millions de ménages pendant la période de transition par des chèques énergies sur critères géographiques et sociaux. Il est prévu que le montant augmente à 200 euros en 2019. Nous proposons qu’il atteigne les 500 euros en 2022.
– Investir dans l’isolation. Une meilleure isolation conduit aussi à une économie sur les coûts de l’énergie. Pour une rénovation donnant accès à chacun à un logement économe en énergie grâce au recours à un système de tiers payant. L’État avance le montant et les familles remboursent le prêt par tranches à un taux d’intérêt nul, avec de plus un gain sur leur facture énergétique. Les propriétaires d’immobilier commercial devraient obligatoirement conclure un tel prêt à tiers payant.
– Prise en charge du coût de l’audit énergétique dans le cadre de l’accession aux programmes « Habiter Mieux » destinée aux 7 millions de foyers vivant dans des passoires énergétiques ; Rendre plus accessible le CITE pour les habitations isolées, notamment pour sortir du chauffage au fioul ; Doublement du fond “Chaleur” pour favoriser une baisse de la consommation dans les habitats collectifs.
– Développement et amélioration des réseaux de chauffage publics permettant de chauffer des quartiers entiers d’une manière moderne et écologique.
– Octroyer des prêts à taux réduit ou à taux zéro pour des investissements économiseurs d’énergie (à destination des bas revenus).

8. Permettre de se libérer d’une voiture polluante et énergivore :
Réduire la TVA sur les véhicules propres et renforcer le dispositif de la prime à la conversion, transformée en véritable prime à la mobilité, ouverte à l’acquisition de vélos à assistance électrique et à l’adhésion à des services de véhicules partagé. Soutenir le service public du rail fondé sur des trains à la fois confortables, sûrs et accessibles. Cette prime à la conversion, qui accompagne des ménages qui n’ont d’autre choix que la voiture, devrait évoluer pour exclure les véhicules diesels puis essence neufs de la prime ainsi que l’achat de véhicules surdimensionnés et donc, plus gourmands en carburant (comme les hybrides SUV par exemple). Et ce, afin de ne pas maintenir les Français dans le piège du diesel et de l’essence. Via ce recentrage, son montant pourrait être revu à la hausse pour les ménages qui en ont le plus besoin. La logique actuelle d’austérité doit faire place à des investissements à grande échelle dans les TER et la SNCF et la défense des petites lignes de trains menacées :plus de personnel, un maillage plus fin du réseau et une capacité accrue garantiront des liaisons rapides et fréquentes partout et à toute heure. Accès gratuit pour les mineurs, les étudiants, les plus de 65 ans et les demandeurs d’emploi. Rénovation du matériel roulant des trains de nuit. Le transport de marchandises sur des longues distances se fera obligatoirement par voie ferroviaire ou fluviale.
Réduire la TVA sur les transports collectifs pour améliorer quantitativement et qualitativement l’offre de transports en commun
Arrêter la concentration des entreprises, des services et des administrations principalement autour des grandes agglomérations qui oblige les salarié-es à travailler de plus en plus loin de chez eux-elles.

9 – En finir avec les niches fiscales anti-écologiques, estimée à 20 milliards d’euros. Il est temps de fiscaliser le « carburant des riches », le kérosène. C’est dores et déjà possible pour les vols intérieurs. Il faut également l’obtenir au moins au niveau européen pour les vols internationaux (Convention de Chicago) et la fiscalisation du fioul lourd pour les porte-containers et les bateaux de croisière. La cohérence, c’est aussi la réduction des niches fiscales anti-écologiques, mais c’est aussi renoncer à l’augmentation de TVA de 7 à 10 %, pour revenir au taux de 5%, pour tous les secteurs qui sont au cœur de la transition écologique : les transports en commun, la rénovation énergétique, le recyclage des déchets, le bois-énergie…

10. Mettre fin immédiatement à toutes les subventions aux énergies fossiles et engager une sortie programmée du nucléaire, et interdire de nouveaux investissements. Ceux qui travaillent dans le secteur des industries fossile et nucléaire auront droit à un plan de reclassement social équitable.

Combat social
Rubriques :
  • Combat social
  • Histoire
  • gilets jaunes
  • lettre 889

Les gilets jaunes et les « leçons de l’histoire »

par Gérard Noiriel

 

Dans une tribune publiée par le journal Le Monde (20/11/2018), le sociologue Pierre Merle écrit que « le mouvement des « gilets jaunes » rappelle les jacqueries de l’Ancien Régime et des périodes révolutionnaires ». Et il s’interroge: « Les leçons de l’histoire peuvent-elles encore être comprises ? »

Je suis convaincu, moi aussi, qu’une mise en perspective historique de ce mouvement social peut nous aider à le comprendre. C’est la raison pour laquelle le terme de « jacquerie » (utilisé par d’autres commentateurs et notamment par Eric Zemmour, l’historien du Figaro récemment adoubé par France Culture dans l’émission d’Alain Finkielkraut qui illustre parfaitement le titre de son livre sur « la défaite de la pensée ») ne me paraît pas pertinent. Dans mon Histoire populaire de la France, j’ai montré que tous les mouvements sociaux depuis le Moyen Age avaient fait l’objet d’une lutte intense entre les dominants et les dominés à propos de la définition et de la représentation du peuple en lutte. Le mot « jacquerie » a servi à désigner les soulèvements de ces paysans que les élites surnommaient les « jacques », terme méprisant que l’on retrouve dans l’expression « faire le Jacques » (se comporter comme un paysan lourd et stupide).

Le premier grand mouvement social qualifié de « jacquerie » a eu lieu au milieu du XIVe siècle, lorsque les paysans d’Ile de France se sont révoltés conte leurs seigneurs. La source principale qui a alimenté pendant des siècles le regard péjoratif porté sur les soulèvements paysans de cette époque, c’est le récit de Jean Froissart, l’historien des puissants de son temps, rédigé au cours des années 1360 et publié dans ses fameuses Chroniques. Voici comment Froissart présente la lutte de ces paysans : « Lors se assemblèrent et s’en allèrent, sans autre conseil et sans nulles armures, fors que de bâtons ferrés et de couteaux, en la maison d’un chevalier qui près de là demeurait. Si brisèrent la maison et tuèrent le chevalier, la dame et les enfants, petits et grands, et mirent le feu à la maison […]. Ces méchants gens assemblés sans chef et sans armures volaient et brûlaient tout, et tuaient sans pitié et sans merci, ainsi comme chiens enragés. Et avaient fait un roi entre eux qui était, si comme on disait adonc, de Clermont en Beauvoisis, et l’élurent le pire des mauvais ; et ce roi on l’appelait Jacques Bonhomme ».

Ce mépris de classe présentant le chef des Jacques comme « le pire des mauvais » est invalidé par les archives qui montrent que les paysans en lutte se donnèrent pour principal porte-parole Guillaume Carle « bien sachant et bien parlant ». A la même époque, la grande lutte des artisans de Flandre fut emmenée par un tisserand, Pierre de Coninck décrit ainsi dans les Annales de Gand : « Petit de corps et de povre lignage, il avoit tant de paroles et il savoit si bien parler que c’estoit une fine merveille. Et pour cela, les tisserands, les foulons et les tondeurs le croyoient et aimoient tant qu’il ne sût chose dire ou commander qu’ils ne fissent ».

On a là une constante dans l’histoire des mouvements populaires. Pour échapper à la stigmatisation de leur lutte, les révoltés choisissent toujours des leaders « respectables » et capables de dire tout haut ce que le peuple pense tout bas. D’autres exemples, plus tardifs, confirment l’importance du langage dans l’interprétation des luttes populaires. Par exemple, le soulèvement qui agita tout le Périgord au début du XVIIe siècle fut désigné par les élites comme le soulèvement des « croquants » ; terme que récusèrent les paysans et les artisans en se présentant eux mêmes comme les gens du « commun », Ce fut l’un des points de départ des usages populaires du terme « commune » qui fut repris en 1870-71, à Paris, par les « Communards ».

Les commentateurs qui ont utilisé le mot « jacquerie » pour parler du mouvement des « gilets jaunes » ont voulu mettre l’accent sur un fait incontestable : le caractère spontané et inorganisé de ce conflit social. Même si ce mot est inapproprié, il est vrai qu’il existe malgré tout des points communs entre toutes les grandes révoltes populaires qui se sont succédé au cours du temps. En me fiant aux multiples reportages diffusés par les médias sur les gilets jaunes, j’ai noté plusieurs éléments qui illustrent cette permanence.

Le principal concerne l’objet initial des revendications : le refus des nouvelles taxes sur le carburant. Les luttes antifiscales ont joué un rôle extrêmement important dans l’histoire populaire de la France. Je pense même que le peuple français s’est construit grâce à l’impôt et contre lui. Le fait que le mouvement des gilets jaunes ait été motivé par le refus de nouvelles taxes sur le carburant n’a donc rien de surprenant. Ce type de luttes antifiscales a toujours atteint son paroxysme quand le peuple a eu le sentiment qu’il devait payer sans rien obtenir en échange. Sous l’Ancien Régime, le refus de la dîme fut fréquemment lié au discrédit touchant les curés qui ne remplissaient plus leur mission religieuse, et c’est souvent lorsque les seigneurs n’assuraient plus la protection des paysans que ceux-ci refusèrent de payer de nouvelles charges. Ce n’est donc pas un hasard si le mouvement des gilets jaunes a été particulièrement suivi dans les régions où le retrait des services publics est le plus manifeste. Le sentiment, largement partagé, que l’impôt sert à enrichir la petite caste des ultra-riches, alimente un profond sentiment d’injustice dans les classes populaires.

Ces facteurs économiques constituent donc bien l’une des causes essentielles du mouvement. Néanmoins, il faut éviter de réduire les aspirations du peuple à des revendications uniquement matérielles. L’une des inégalités les plus massives qui pénalisent les classes populaires concerne leur rapport au langage public. Les élites passent leur temps à interpréter dans leur propre langue ce que disent les dominés, en faisant comme s’il s’agissait toujours d’une formulation directe et transparente de leur expérience vécue. Mais la réalité est plus complexe. J’ai montré dans mon livre, en m’appuyant sur des analyses de Pierre Bourdieu, que la Réforme protestante avait fourni aux classes populaires un nouveau langage religieux pour nommer des souffrances qui étaient multiformes. Les paysans et les artisans du XVIe siècle disaient : « J’ai mal à la foi au lieu de dire j’ai mal partout ». Aujourd’hui, les gilets jaunes crient « j’ai mal à la taxe au lieu de dire j’ai mal partout ». Il ne s’agit pas, évidemment, de nier le fait que les questions économiques sont absolument essentielles car elles jouent un rôle déterminant dans la vie quotidienne des classes dominées. Néanmoins, il suffit d’écouter les témoignages des gilets jaunes pour constater la fréquence des propos exprimant un malaise général. Dans l’un des reportages diffusés par BFM-TV, le 17 novembre, le journaliste voulait absolument faire dire à la personne interrogée qu’elle se battait contre les taxes, mais cette militante répétait sans cesse : « on en a ras le cul » , « ras le cul », « ras le bol généralisé ».

« Avoir mal partout » signifie aussi souffrir dans sa dignité. C’est pourquoi la dénonciation du mépris des puissants revient presque toujours dans les grandes luttes populaires et celle des gilets jaunes n’a fait que confirmer la règle. On a entendu un grand nombre de propos exprimant un sentiment d’humiliation, lequel nourrit le fort ressentiment populaire à l’égard d’Emmanuel Macron. « Pour lui, on n’est que de la merde ». Le président de la République voit ainsi revenir en boomerang l’ethnocentrisme de classe que j’ai analysé dans mon livre.

Néanmoins, ces similitudes entre des luttes sociales de différentes époques masquent de profondes différences. Je vais m’y arrêter un moment car elles permettent de comprendre ce qui fait la spécificité du mouvement des gilets jaunes. La première différence avec les « jacqueries » médiévales tient au fait que la grande majorité des individus qui ont participé aux blocages de samedi dernier ne font pas partie des milieux les plus défavorisés de la société. Ils sont issus des milieux modestes et de la petite classe moyenne qui possèdent au moins une voiture. Alors que « la grande jacquerie » de 1358 fut un sursaut désespéré des gueux sur le point de mourir de faim, dans un contexte marqué par la guerre de Cent Ans et la peste noire.

La deuxième différence, et c’est à mes yeux la plus importante, concerne la coordination de l’action. Comment des individus parviennent-ils à se lier entre eux pour participer à une lutte collective ? Voilà une question triviale, sans doute trop banale pour que les commentateurs la prennent au sérieux. Et pourtant elle est fondamentale. A ma connaissance, personne n’a insisté sur ce qui fait réellement la nouveauté des gilets jaunes : à savoir la dimension d’emblée nationale d’un mouvement spontané. Il s’agit en effet d’une protestation qui s’est développée simultanément sur tout le territoire français (y compris les DOM-TOM), mais avec des effectifs localement très faibles. Au total, la journée d’action a réuni moins de 300 000 personnes, ce qui est un score modeste comparé aux grandes manifestations populaires. Mais ce total est la somme des milliers d’actions groupusculaires réparties sur tout le territoire.

Cette caractéristique du mouvement est étroitement liée aux moyens utilisés pour coordonner l’action des acteurs de la lutte. Ce ne sont pas les organisations politiques et syndicales qui l’ont assurée par leurs moyens propres, mais les « réseaux sociaux ». Les nouvelles technologies permettent ainsi de renouer avec des formes anciennes « d’action directe », mais sur une échelle beaucoup plus vaste, car elles relient des individus qui ne se connaissent pas. Facebook, twitter et les smartphones diffusent des messages immédiats (SMS) en remplaçant ainsi la correspondance écrite, notamment les tracts et la presse militante qui étaient jusqu’ici les principaux moyens dont disposaient les organisations pour coordonner l’action collective ; l’instantanéité des échanges restituant en partie la spontanéité des interactions en face à face d’autrefois.

Toutefois les réseau sociaux, à eux seuls, n’auraient jamais pu donner une telle ampleur au mouvement des gilets jaunes. Les journalistes mettent constamment en avant ces « réseaux sociaux » pour masquer le rôle qu’ils jouent eux-mêmes dans la construction de l’action publique. Plus précisément, c’est la complémentarité entre les réseaux sociaux et les chaînes d’information continue qui ont donné à ce mouvement sa dimension d’emblée nationale. Sa popularisation résulte en grande partie de l’intense « propagande » orchestrée par les grands médias dans les jours précédents. Parti de la base, diffusé d’abord au sein de petits réseaux via facebook, l’événement a été immédiatement pris en charge par les grands médias qui ont annoncé son importance avant même qu’il ne se produise. La journée d’action du 17 novembre a été suivie par les chaînes d’information continue dès son commencement, minute par minute, « en direct » (terme qui est devenu désormais un équivalent de communication à distance d’événements en train de se produire). Les journalistes qui incarnent aujourd’hui au plus haut point le populisme (au sens vrai du terme) comme Eric Brunet qui sévit à la fois sur BFM-TV et sur RMC, n’ont pas hésité à endosser publiquement un gilet jaune, se transformant ainsi en porte-parole auto-désigné du peuple en lutte. Voilà pourquoi la chaîne a présenté ce conflit social comme un « mouvement inédit de la majorité silencieuse ».

Une étude qui comparerait la façon dont les médias ont traité la lutte des cheminots au printemps dernier et celle des gilets jaunes serait très instructive. Aucune des journées d’action des cheminots n’a été suivie de façon continue et les téléspectateurs ont été abreuvés de témoignages d’usagers en colère contre les grévistes, alors qu’on a très peu entendu les automobilistes en colère contre les bloqueurs.

Je suis convaincu que le traitement médiatique du mouvement des gilets jaunes illustre l’une des facettes de la nouvelle forme de démocratie dans laquelle nous sommes entrés et que Bernard Manin appelle la « démocratie du public » (cf son livre Principe du gouvernement représentatif, 1995). De même que les électeurs se prononcent en fonction de l’offre politique du moment – et de moins en moins par fidélité à un parti politique – de même les mouvements sociaux éclatent aujourd’hui en fonction d’une conjoncture et d’une actualité précises. Avec le recul du temps, on s’apercevra peut-être que l’ère des partis et des syndicats a correspondu à une période limitée de notre histoire, l’époque où les liens à distance étaient matérialisés par la communication écrite. Avant la Révolution française, un nombre incroyable de révoltes populaires ont éclaté dans le royaume de France, mais elles étaient toujours localisées, car le mode de liaison qui permettait de coordonner l’action des individus en lutte reposait sur des liens directs : la parole, l’interconnaissance, etc. L’Etat royal parvenait toujours à réprimer ces soulèvements parce qu’il contrôlait les moyens d’action à distance. La communication écrite, monopolisée par les « agents du roi », permettait de déplacer les troupes d’un endroit à l’autre pour massacrer les émeutiers.

Dans cette perspective, la Révolution française peut être vue comme un moment tout à fait particulier, car l’ancienne tradition des révoltes locales a pu alors se combiner avec la nouvelle pratique de contestation véhiculée et coordonnée par l’écriture (cf les cahiers de doléances).

L’intégration des classes populaires au sein de l’Etat républicain et la naissance du mouvement ouvrier industriel ont raréfié les révoltes locales et violentes, bien qu’elles n’aient jamais complètement disparu (cf le soulèvement du « Midi rouge » en 1907). La politisation des résistances populaires a permis un encadrement, une discipline, une éducation des militants, mais la contrepartie a été la délégation de pouvoir au profit des leaders des partis et des syndicats. Les mouvements sociaux qui se sont succédé entre les années 1880 et les années 1980 ont abandonné l’espoir d’une prise du pouvoir par la force, mais ils sont souvent parvenus à faire céder les dominants grâce à des grèves avec occupations d’usine, et grâce à de grandes manifestations culminant lors des « marches sur Paris » (« de la Bastille à la Nation »).

L’une des questions que personne n’a encore posée à propos des gilets jaunes est celle-ci : pourquoi des chaînes privées dont le capital appartient à une poignée de milliardaires sont-elles amenées aujourd’hui à encourager ce genre de mouvement populaire ? La comparaison avec les siècles précédents aboutit à une conclusion évidente. Nous vivons dans un monde beaucoup plus pacifique qu’autrefois. Même si la journée des gilets jaunes a fait des victimes, celles-ci n’ont pas été fusillées par les forces de l’ordre. C’est le résultat des accidents causés par les conflits qui ont opposé le peuple bloqueur et le peuple bloqué.

Cette pacification des relations de pouvoir permet aux médias dominants d’utiliser sans risque le registre de la violence pour mobiliser les émotions de leur public car la raison principale de leur soutien au mouvement n’est pas politique mais économique : générer de l’audience en montrant un spectacle. Dès le début de la matinée, BFM-TV a signalé des « incidents », puis a martelé en boucle le drame de cette femme écrasée par une automobiliste refusant d’être bloqué. Avantage subsidiaire pour ces chaînes auxquelles on reproche souvent leur obsession pour les faits divers, les crimes, les affaires de mœurs : en soutenant le mouvement des gilets jaunes, elles ont voulu montrer qu’elles ne négligeaient nullement les questions « sociales ».

Au-delà de ces enjeux économiques, la classe dominante a évidemment intérêt à privilégier un mouvement présenté comme hostile aux syndicats et aux partis. Ce rejet existe en effet chez les gilets jaunes. Même si ce n’est sans doute pas voulu, le choix de la couleur jaune pour symboliser le mouvement (à la place du rouge) et de la Marseillaise (à la place de l’Internationale) rappelle malheureusement la tradition des « jaunes », terme qui a désigné pendant longtemps les syndicats à la solde du patronat. Toutefois, on peut aussi inscrire ce refus de la « récupération » politique dans le prolongement des combats que les classes populaires ont menés, depuis la Révolution française, pour défendre une conception de la citoyenneté fondée sur l’action directe. Les gilets jaunes qui bloquent les routes en refusant toute forme de récupération des partis politiques assument aussi confusément la tradition des Sans-culottes en 1792-93, des citoyens-combattants de février 1848, des Communards de 1870-71 et des anarcho-syndicalistes de la Belle Epoque.

C’est toujours la mise en œuvre de cette citoyenneté populaire qui a permis l’irruption dans l’espace public de porte-parole qui était socialement destinés à rester dans l’ombre. Le mouvement des gilets jaunes a fait émerger un grand nombre de porte-parole de ce type. Ce qui frappe, c’est la diversité de leur profil et notamment le grand nombre de femmes, alors qu’auparavant la fonction de porte-parole était le plus souvent réservée aux hommes. La facilité avec laquelle ces leaders populaires s’expriment aujourd’hui devant les caméras est une conséquence d’une double démocratisation : l’élévation du niveau scolaire et la pénétration des techniques de communication audio-visuelle dans toutes les couches de la société. Cette compétence est complètement niée par les élites aujourd’hui ; ce qui renforce le sentiment de « mépris » au sein du peuple. Alors que les ouvriers représentent encore 20% de la population active, aucun d’entre eux n’est présent aujourd’hui à la Chambre des députés. Il faut avoir en tête cette discrimination massive pour comprendre l’ampleur du rejet populaire de la politique politicienne.

Mais ce genre d’analyse n’effleure même pas « les professionnels de la parole publique » que sont les journalistes des chaînes d’information continue. En diffusant en boucle les propos des manifestants affirmant leur refus d’être « récupérés » par les syndicats et les partis, ils poursuivent leur propre combat pour écarter les corps intermédiaires et pour s’installer eux-mêmes comme les porte-parole légitimes des mouvements populaires. En ce sens, ils cautionnent la politique libérale d’Emmanuel Macron qui vise elle aussi à discréditer les structures collectives que se sont données les classes populaires au cours du temps.

Étant donné le rôle crucial que jouent désormais les grands médias dans la popularisation d’un conflit social, ceux qui les dirigent savent bien qu’ils pourront siffler la fin de la récréation dès qu’ils le jugeront nécessaire, c’est-à-dire dès que l’audimat exigera qu’ils changent de cheval pour rester à la pointe de « l’actualité ». Un tel mouvement est en effet voué à l’échec car ceux qui l’animent sont privés de toute tradition de lutte autonome, de toute expérience militante. S’il monte en puissance, il se heurtera de plus en plus à l’opposition du peuple qui ne veut pas être bloqué et ces conflits seront présentés en boucle sur tous les écrans, ce qui permettra au gouvernement de réprimer les abus avec le soutien de « l’opinion ». L’absence d’un encadrement politique capable de définir une stratégie collective et de nommer le mécontentement populaire dans le langage de la lutte des classes est un autre signe de faiblesse car cela laisse la porte ouverte à toutes les dérives. N’en déplaise aux historiens (ou aux sociologues) qui idéalisent la « culture populaire », le peuple est toujours traversé par des tendances contradictoires et des jeux internes de domination. Au cours de cette journée des gilets jaunes, on a entendu des propos xénophobes, racistes, sexistes et homophobes. Certes, ils étaient très minoritaires, mais il suffit que les médias s’en emparent (comme ils l’ont fait dès le lendemain) pour que tout le mouvement soit discrédité.

L’histoire montre pourtant qu’une lutte populaire n’est jamais complètement vaine, même quand elles est réprimée. Le mouvement des gilets jaunes place les syndicats et les partis de gauche face à leurs responsabilités. Comment s’adapter à la réalité nouvelle que constitue la « démocratie du public » pour faire en sorte que ce type de conflit social – dont on peut prévoir qu’il se reproduira fréquemment – soit intégré dans un combat plus vaste contre les inégalités et l’exploitation ? Telle est l’une des grandes questions à laquelle il faudra qu’ils répondent.

Source : https://noiriel.wordpress.com/2018/11/21/les-gilets-jaunes-et-les-lecons-de-lhistoire/

Documents d'histoire
Rubriques :
  • Documents d'histoire
  • 11 novembre
  • gilets jaunes
  • lettre 889

Les Champs-Élysées un certain 11 novembre 1940…

par Louis Saisi

 

Source : http://www.ideesaisies.org/champs-elysees-1…mbre-1940-par-ls/

« Depuis 1934, aucune manifestation autre que festive n’a eu lieu sur les Champs-Élysées» a déclaré M. Castaner, ministre de l’Intérieur, samedi 24 novembre 2018, jour de la manifestation des « Gilets jaunes » sur les Champs-Élysées, en réponse à une question d’un journaliste…

Trou de mémoire regrettable ?

Notre zélé Ministre de l’Intérieur, trop enclin à vouloir s’affranchir de la vérité (soit par sa mémoire sélective, soit pour les besoins de son office) – qui est pourtant celle de notre histoire nationale  -, gomme ainsi la manifestation du 11 novembre 1940 sur les Champs-Élysées qui n’avait rien de festif.

Sans être exhaustif ici, rappelons-en au moins deux, mais penchons-nous plus longuement sur l’une d’elles, très significative car se rattachant à la défense de notre liberté.

Encore assez proche de nous, l’on pourrait déjà faire état de la manifestation politique du 30 mai 1968 – bien trop connue pour qu’on s’y attarde ici – organisée par les gaullistes à la suite des avènements du printemps de 1968 (mai 1968). De retour de Baden-Baden, De Gaulle appela ses soutiens à se manifester publiquement, en organisant « partout et tout de suite » pour aider le gouvernement et les préfets, « l’action civique » [1]. Loin d’être improvisée, la manifestation des gaullistes fut préparée à partir du 26 mai par Jacques Foccart en accord avec le chef de l’État. C’est dire que cette « manifestation » était plutôt assez atypique puisque, contrairement aux manifestations habituelles, elle n’était pas dirigée contre le pouvoir en place car elle était, au contraire, organisée et conçue par les gouvernants eux-mêmes en place qui en appelaient au soutien des Français [2].

En effet, selon le Dictionnaire Maxipoche Larousse de 2019, et dans le sens et selon la pratique modernes que nous lui donnons, une manifestation est un « rassemblement collectif, défilé de personnes organisé sur la voie publique pour exprimer une opinion politique, une revendication : Participer à une manifestation contre la guerre. » (cf. p. 848, 4).

Manifester, c’est donc habituellement, aux 20e et 21e siècles, s’opposer à des mesures ou des orientations politiques prises par le Pouvoir politique en place en mettant en avant des insatisfactions, des revendications, des demandes sociales, comme le font les « Gilets jaunes » aujourd’hui. Mais la contestation peut parfois prendre aussi une ampleur plus radicale visant la légitimité de l’ordre politique et social établi. La manifestation gaulliste du 30 mai 1968 était, au contraire, une manifestation d’adhésion au régime gaulliste et un acte d’allégeance à son chef prestigieux. Elle se traduisit par le rassemblement de plusieurs centaines de milliers de Français remontant l’avenue des Champs-Élysées, de la place de la Concorde à l’Arc de Triomphe.

Tout autre fut la manifestation, bien antérieure, du 11 novembre 1940 sur les Champs-Élysées qui fut une manifestation de lycéens (surtout) et d’étudiants, patriotes et extraordinairement contestataires (déjà, bien avant 1968!). Et cette manifestation eut bien lieu aux Champs-Élysées, devant l’Arc de Triomphe de l’Étoile, pour commémorer l’armistice du 11 novembre 1918 dont ni le régime de Vichy ni l’occupant nazi ne voulaient entendre parler.

En effet, à la suite de l’annulation du jour férié traditionnel du 11 novembre, il avait même été annoncé que pour les étudiants et lycéens ce serait un jour travaillé comme un autre. La lecture d’une circulaire interdisant les manifestations et commémorations devait même être faite par les recteurs d’université aux étudiants et les proviseurs aux lycéens, les prévenant ainsi du caractère sensible du sujet…

Mais, loin d’être intimidée, la jeunesse française, qui n’était pas « moutonne », fit circuler un tract apolitique et rassembleur – depuis le début du mois de novembre 1940 – appelant le 11 novembre 1940 au soir à une manifestation devant la tombe du Soldat Inconnu. Transmis de la main à la main et manuscrit, l’un de ces tracts – qui fut trouvé dans le hall de la faculté de médecine de Paris et conservé à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC) – était rédigé ainsi :

« Étudiant de France !
Le 11 novembre est resté pour toi jour de Fête nationale
Malgré l’ordre des autorités opprimantes, il sera Jour de recueillement.
Tu n’assisteras à aucun cours.
Tu iras honorer le Soldat Inconnu, 17 h 30.
Le 11 novembre 1918 fut le jour d’une grande victoire.
Le 11 novembre 1940 sera le signal d’une plus grande encore.
Tous les étudiants sont solidaires pour que
Vive la France !
Recopie ces lignes et diffuse-les. »

Vers 17 h, la manifestation rassembla, selon les estimations habituellement admises, près de 3 000 jeunes, lycéens, étudiants ou jeunes actifs, présents sur la place de l’Étoile et devant la tombe du Soldat inconnu.

Une note de police a rapporté qu’on y chanta La Marseillaise et qu’on y cria « Vive la France », « Vive De Gaulle »…

Ce fut le premier acte de résistance collective contre l’occupant nazi et le régime vichyste, et, signe d’espoir, il venait de la jeunesse française nourrie, depuis les bancs de l’école primaire, de l’amour de la liberté.

Il semble que la plupart des étudiants et lycéens qui participèrent à cette manifestation étaient relativement apolitiques et que ceux d’entre eux qui étaient politisés provenaient des deux bords de l’échiquier politique : droite nationaliste et gauche communiste.

A la suite de cette manifestation, plus de 200 arrestations furent effectuées, par la police française ou directement par les Allemands. Les étudiants et lycéens qui furent arrêtés furent conduits dans les prisons de la Santé, du Cherche-Midi et de Fresnes. Une semaine plus tard, il restait encore plus de 140 personnes incarcérées.

Des rumeurs parlèrent même d’étudiants fusillés, ou déportés. Radio-Londres évoqua le chiffre de 11 tués et de 500 déportés le 28 novembre.

Veillons tous au respect de notre mémoire nationale, c’est au moins ce que nous devons à tous les combattants de la liberté qui nous ont précédés et auxquels nous devons être reconnaissants et fidèles!

NOTES

[1] Dans son allocution du 30 mai 1968 prononcée à 16h30 à la radio et à la télévision, de Gaulle s’exprima ainsi : « En tous cas, partout et tout de suite, il faut que s’organise l’action civile. Cela doit se faire pour aider le gouvernement, d’abord, puis localement, les préfets devenus ou redevenus commissaires de la République, dans leur tâche qui consiste à assurer, autant que possible, l’existence de la population, et à empêcher la subversion à tout moment et en tout lieu. La France, en effet, est menacée de dictature. On veut la contraindre à se résigner à un pouvoir qui s’imposerait dans le désespoir national, lequel pouvoir serait alors évidemment et essentiellement celui du vainqueur, c’est-à-dire celui du communisme totalitaire. »

[2] Voir à cet effet l’article de Frank Georgi : « Le pouvoir est dans la rue. 30 Mai 1968 la ’’manifestation gaulliste’’ des Champs-Élysées » qui analyse la genèse, le déroulement et la signification de cette manifestation dans la Revue Vingtième Siècle – Revue d’Histoire, Année 1995, N° 48, pp. 46-60.

 

Courrier des lecteurs
Rubriques :
  • Courrier des lecteurs
  • Politique française
  • ReSPUBLICA
  • Emmanuel Macron
  • lettre 889

Le président, le séminariste et le manager

par Philippe Labbé

 

Comment comprendre la popularité en chute libre du président malgré, somme toute, ses prises de parole ciselées, inspirées, exprimées empathiquement « les yeux dans les yeux » ? Il faut tout d’abord convenir que le gouvernement des opinions n’est pas une boussole fiable : un attentat, un recueillement cathartique et quelques paroles fortes suffisent pour inverser la courbe de ces opinions par nature volatiles… mais cette inversion obéit aux mêmes règles systémiques de bifurcation : aussi rapidement croissante que décroissante. Il y a donc autre chose… un phénomène tendanciel, quelque chose de constant difficile à objectiver, une stabilité dans l’instabilité, comme « planter un clou dans un jet d’eau » tel que l’écrivait Robert Musil dans L’homme sans qualités (1930). Ce facteur, probablement désespérant vu d’en-haut, de l’émetteur qui – reconnaissons-le – y met du sien jusqu’au pèlerinage, pardon : l’itinérance mémorielle, est un profond désenchantement… à vrai dire, deux désenchantements.

Le premier est celui de la sécularisation. La « fille aînée de l’Eglise » a claqué la porte de ses parents, elle ne croit plus aux sermons, les « affaires » de pédophilie s’ajoutant et non pas expliquant ce désamour : seuls 4% de nos compatriotes se déclarent pratiquants catholiques, cette pratique étant d’ailleurs bien moins exigeante qu’elle ne le fût, auparavant hebdomadaire désormais mensuelle. Un président inspiré par la doxa du catholicisme, fût-il « social » (cf. Ricoeur, la revue Esprit), et s’exprimant en séminariste ne rencontre plus ses fidèles qui, par la force des choses, ont parfaitement compris que l’axiologie n’était plus à rechercher auprès de prédicateurs promouvant le « vivre ensemble » alors que le modèle érigé est celui de la compétition, du combat de chacun contre tous… in fine du marché, cette transcendance païenne qui tombe si bien pour combler la vacuité des idéaux collectifs. Une communion ou un égrégore ne peut être un agrégat d’individualismes.

Le second est celui du management, abusivement précédé de l’expression « science du ». Dans une société où les inégalités croissent, au sommet de la pyramide se trouvent les 1% ou 0,1% de récipiendaires jouissant des bénéfices d’une croissance hémiplégique, les « manipulateurs de symboles » dont parlait Reich, et, bien en-dessous et nombreux, les pioupious qui le plus souvent rament, parfois brament excédés par des évènements a priori marginaux, quelques centimes d’augmentation de l’essence, une APL rognée… Ceux-ci n’y croient plus, même divertis par La Française des Jeux ou Netflix. Ils ont perçu, sinon compris, que le temps n’est pas aux loosers, à ceux qui ne sont pas bien-nés pour un curriculum vitae sans « Sciences Po-ENA », pour des questions de patronyme, de résidence, d’excentricité spatiale synonyme d’excentricité spatiale. Ils ont aussi entendu que le temps n’est pas aux « gens de peu » (Sansot, 1992) qui comptent peu puisque « il y a ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien. » Cela a été dit et cela dit tout. Ces pioupious, du moins les chanceux pas les surnuméraires eux hors-course, travaillent et sont saturés de l’antienne de leurs managers, depuis des lustres, « On est dans le même bateau »… en constatant que les chantres voyagent en première classe pendant qu’eux, en soute, piétinent face à un ascenseur social en panne, désormais descenseur. Le management peut marcher s’il offre une espérance. Dans le cas contraire, il ne faut pas longtemps pour que son discours génère le soupçon, que le mythe méritocratique soit traduit en mystification. Une « société de défiance » (Algan, Cahuc, 2007) que le « Plus près de toi, mon dieu » de l’orchestre des communicants élyséens n’apaise pas, non plus les semi-regrets d’un président reconnaissant ses expressions trop cash.

Ce président, paraît-il adepte de la pensée complexe, a bien compris une vieille – cinquante ans – leçon de l’école de Palo Alto, « Aujourd’hui, on ne peut pas ne pas communiquer ». Peut-être devrait-il aussi se souvenir d’une règle de communication pas totalement accessoire enseignée par Carl Rogers : l’empathie ne suffit pas mais s’accompagne de la « congruence », c’est-à-dire de l’authenticité ou de la cohérence entre ce que l’on dit et ce que l’on fait. Et, là, ce n’est plus de la com’, c’est de la politique qui se juge sur pièces puisque, hélas pour lui, les faits têtus sont imperméables à l’eau bénite du séminariste et au sirop psychoaffectif réconciliateur du manager.



Si vous ne souhaitez plus recevoir cette lettre, désinscrivez-vous en cliquant ici.

ReSPUBLICA, le journal de la gauche républicaine est édité par l'association :
"Les Amis de ReSPUBLICA"
27, rue de la Réunion
75020 PARIS
Courriel : respublica@gaucherepublicaine.org
Site: gaucherepublicaine.org