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  • lettre 893

L’émancipation demande de rompre avec les causes de la division du salariat

par Évariste

 

La première question qui se pose à ceux qui veulent « rompre avec les causes de la division du peuple », c’est « par quoi on commence ? » ! À cette question, nous répondons : « par tout à la fois ».

Alors là, fusent de partout des réactions du type « tu exagères » ou « heureusement que je pars à la retraite, et après moi le déluge », « continuons comme hier mais en accélérant », « changeons un élément du puzzle pour garder le logiciel vermoulu », etc.

L’irruption du mouvement des gilets jaunes – dont une étude récente montre qu’il possède un pourcentage d’anciens grévistes supérieur à celui de la population française (44 % au lieu de 33 %) – a donc sidéré « la gauche dite radicale ». Ainsi que la fin des élections professionnelles donne une nouvelle possibilité aux équipe syndicales combatives du mouvement syndical de lutte (CGT, Solidaires, FSU et certains secteurs de FO) afin de sortir de l’ornière du syndicalisme « rassemblé » qui – non content d’être un simple organisateur des randonnées pédestres les 22 mai, 9 octobre et 1er décembre 2018 – a permis au mouvement réformateur néolibéral (CFDT et les autres) de poursuivre sa progression dans les institutions avec une abstention devenue majoritaire.

  • La gauche dite radicale dans le champ politique qui a continué à se marginaliser tout en favorisant, contre son gré, mais notamment à cause d’elle, la fausse opposition entre le bloc élitaire néolibéral (les « progressistes » selon Macron) et la future union des droites (y compris le RN) qui est affublé du vocable « nationalistes ». Rappelons que cette fausse opposition se joue aujourd’hui entre plus de 70 % des suffrages exprimés! Mais également que la stratégie de l’union des droites (Brésil, pays baltes, Hongrie, Pologne, Italie, etc.) n’est que l’arme ultime de l’oligarchie capitaliste pour tenter de contenir les mobilisations intenses du peuple quand elles adviennent. Il ne peut donc pas y avoir d’alliance des « républicains des deux rives ». D’ailleurs le Conseil national de la Résistance (CNR) n’a rassemblé que les républicains qui étaient tous sur une même rive !
  • La grande majorité du mouvement associatif qui vit à l’intérieur de bulles d’un entre soi inoffensif et nombriliste pour se protéger de la vraie vie tout en faisant des commentaires du haut de leur Aventin respectif !
    Et pendant ce temps-là, le mouvement des gilets jaunes produit trois caractéristiques abandonnées par la « gauche dite radicale » : la priorisation de la question sociale, des principes d’égalité et de démocratie alors que la « gauche dite radicale » priorisent les questions morales et sociétales tout en s’organisant de plus en plus de façon anti-démocratique (soit par l’accroissement de la bureaucratisation des organisations soit par la verticalisation opaque dite gazeuse) tout en remplaçant la luttes des classes par la lutte des communautés racialisées ou religieuses.

    Prenons des exemples :

  • au lieu de fédérer le peuple par la lutte des classes et la laïcité, nous avons eu le droit de voir la « gauche dite radicale » aider le mouvement réformateur néolibéral à diviser le peuple par la lutte des races et des communautarismes.
  • au lieu d’organiser la résistance sur la défense et le développement de la sphère de constitution des libertés (école, services publics, Sécurité sociale), nous avons eu le droit au déferlement des injonctions morales du gauchisme ordinaire.
  • au lieu d’organiser la lutte contre la croissance des inégalités sociales, de la pauvreté et de la misère, nous avons eu le droit à des directions syndicales dite de lutte dans la fuite en avant d’une revendication du SMIC à 1800 euros net sans action de lutte prioritaire organisée pour y parvenir ! On pourrait en écrire des tomes et des tomes sur ce mode…

 

Diverses considérations sur la « gauche dite radicale »

Cette « gauche dite radicale », qui a vu son programme repris et actualisé par les gilets jaunes, prétend donner le pouvoir au peuple mais s’évertue au contraire à organiser en son sein « la concurrence libre et non faussée » entre une bureaucratisation insensée des grandes organisations syndicales et politiques et la multitude de fractions rivales gauchistes, chacune ayant une vérité révélée non discutée avec les salariés inscrite dans leur marbre ! Cette « gauche dite radicale » favorise en fait la défaite générale du peuple par un recul régulier de son influence qu’elle croit contrer par une intensification de messages sur le net et sur les réseaux sociaux.

Cette « gauche dite radicale » ne sera pris au sérieux par les couches populaires (rappelons que les ouvriers et les ouvrières sont majoritaires dans la population et que si on compte avec eux les couches moyennes intermédiaires en voie de prolétarisation et ceux qui subissent dans la France périphérique le phénomène de gentrification et de destruction des services publics, on obtient un bloc objectivement, mais pas encore subjectivement, largement majoritaire) si elle ne change pas de ligne stratégique et de pratiques militantes. Il faut avoir une analyse la plus juste possible du réel plutôt que de construire un pseudo avenir sur des illusions. Nous pensons qu’il n’est plus possible de continuer notre quête du chemin de l’émancipation sans dire urbi et orbi que la vieille gauche dite radicale a perdu sa force propulsive et a rejoint le musée des mirages. Nous devons au contraire partir du mouvement des gilets jaunes qui pose les questions fondamentales mais que ce mouvement n’a pas encore résolues. D’ailleurs dans l’histoire, cela s’est souvent passé comme cela (par exemple avec la gauche devenant colonialiste !).
On peut d’ailleurs expliquer tout cela : la perte d’un imaginaire social et politique des utopies du 20ème siècle (après l’écroulement du communisme soviétique et la bifurcation vers un capitalisme d’État en Chine) a entraîné les gauches à « rejeter le bébé avec l’eau sale du bain ». Rejeter la pensée laïque et la pensée matérialiste, dialectique et historique au profit des idéologies des gourous post-modernistes ou obsolètes (néo-keynésianisme inopérant dans la période par exemple), c’est préparer la marginalisation de l’actuelle « gauche dite radicale ». Voilà qui a permis, car la nature a horreur du vide, l’émergence du communautarisme et des nouvelles impasses idéalistes des gourous post-modernistes dont l’objet fut de considérer comme désuet la lutte des classes comme moteur de l’histoire. D’autant que, grâce au phénomène de gentrification, les couches moyennes radicalisées ne voyaient plus les couches populaires « dangereuses » rejetées loin des centres villes et mêmes des banlieues. Ce rejet lointain a fait croire à ces couches moyennes radicalisées que le prolétariat ouvrier et employé n’existait plus. C’est là que le mouvement des gilets jaunes a montré qu’il n’en était rien et que la lutte des classes était enfin relancée non par des effusions théoriques mais par les nouvelles pratiques d’une partie du prolétariat. Car le mouvement des gilets jaunes a implicitement compris que nous vivions, en France, ici et maintenant, dans un nouveau monde qui a subi la désindustrialisation et la délocalisation industrielle voulues par la grande bourgeoisie oligarchique pour ne plus avoir peur des concentrations ouvrières qui ont fait peur aux bourgeois en Mai 68. Quand la France fut un grand pays industriel, la lutte des classes imposait d’agir au niveau de la production et des stocks ; aujourd’hui, le mouvement des gilets jaunes nous explique qu’il faut bloquer d’abord les flux (et donc les ronds-points !). La « gauche dite radicale » est alors prise à contre-pied, elle qui s’évertue à être seulement une gauche morale et sociétale donc conforme au post-modernisme pro-capitaliste ; cette « gauche dite radicale » qui n’a pas soutenu, à la hauteur des enjeux, d’abord le mouvement ouvrier des raffineries puis le mouvement des cheminots les laissant seuls sans solidarité massive lorsque la grande bourgeoisie oligarchique les a écrasés.

Voilà pourquoi le mouvement des gilets jaunes est un échantillon représentatif du peuple qui souffre et que ce mouvement est largement soutenu par ce dernier. Voilà pourquoi le populisme de gauche de Laclau et de Mouffe (qui a néanmoins permis conjoncturellement que Podemos puis la France insoumise permettent à l’Espagne et à la France d’éviter l’italianisation de leur pays c’est-à-dire la totale marginalisation de leurs gauches respectives) ne permet plus à lui seul d’entrevoir notre entrée dans le chemin de l’émancipation. La lutte des classes est de retour contrairement aux thèses de Laclau et Mouffe. Le refus des communautarismes comme moteur de l’histoire, idem. Comme quoi dans un pays développé comme la France avec un salariat hyper dominant, on ne peut pas lui calquer ad vitam des stratégies qui ne fonctionnent sur longue durée que dans des pays où l’économie informelle est très développée. Alors que la grande bourgeoisie oligarchique a peur d’une lutte de classes offensive revendiquée par un mouvement de masse, elle n’a plus peur des manifestations défensives qui ne posent pas la question du pouvoir voir du système. Voilà pourquoi le pouvoir a lâché du lest face aux gilets jaunes et qu’il n’a rien lâché aux actions syndicales du syndicalisme dit de lutte notamment pendant le dernier mouvement des retraites. Les syndicats des retraités des syndicats dits de lutte voient une avancée sur les retraites par le mouvement des gilets jaunes bloquant les flux et non par la pratique du « syndicalisme rassemblé » qui les poussent vers l’organisation de randonnées pédestres tous les deux mois au lieu de la stratégie du blocage des flux. Alors que la stratégie des ronds-points est le fait de beaucoup de retraités pour assurer la continuité du blocage ou du filtrage des ronds-points préférant cette forme d’action plutôt que les randonnées pédestres des syndicats dits de lutte même tous rassemblés. Voilà pourquoi le mouvement des gilets jaunes est un mouvement d’auto-organisation intergénérationnel des masses populaires grâce aux réseaux sociaux alors que l’extrême bureaucratisation des structures syndicales annihile toute velléité d’auto-organisation des masses.
Il est à noter que l’opinion publique qui refuse l’utilisation de la violence physique par les manifestants, qui refuse l’idée que la violence physique soit un élément d’avancée de la conscience révolutionnaire, ne supporte pas la violence des forces de répression face à des revendications qu’elle juge légitime. De ce point de vue, les images scandaleuses du traitement des jeunes lycéens de Mantes-la-Jolie, le doute raisonné sur l’instrumentalisation de la violence organisée par la place Beauvau contre les gilets jaunes, a retourné la majorité de la population contre le pouvoir. De plus, l’histoire montre que le camp du peuple n’a rien à gagner à l’utilisation de la violence physique lorsque le pouvoir est maître des forces de répression unifiées autour d’elle. C’est alors que la violence due au capitalisme lui-même saute aux yeux du plus grand nombre. Voilà ce qui fait avancer la conscience e révolutionnaire.

 

Les limites du mouvement des gilets jaunes

Le fait historique positif du mouvement des gilets jaunes ne doit pas obérer l’analyse des limites de ce mouvement si on veut s’installer durablement sur le chemin de l’émancipation. Si on veut traduire dans la pensée de Marx, d’Engels, de Jaurès et de Gramsci l’objectif stratégique du mouvement des gilets jaunes, on doit dire qu’il est de défendre le pouvoir d’achat des travailleurs c’est-à-dire de maintenir ou d’augmenter la valeur et le prix à payer de la force de travail des travailleurs donc de faire ce que le syndicalisme dit de lutte aujourd’hui ne réussit plus. Nous devons donc soutenir cette résistance au mouvement réformateur néolibéral. Mais nous savons que la crise économique systémique du capitalisme rend cette revendication impossible. Chaque euro de pouvoir d’achat gagné diminuera d’autant la plus-value et donc le profit des capitalistes. Et comme nous sommes dans un moment où le taux de profit moyen dans l’économie réelle est faible (contrairement à la période 45-fin des années 60), la spéculation financière internationale devient alors une nécessité du système capitaliste. Et pour approvisionner cette « chaudière chaude en combustible monétaire », il est au contraire nécessaire de faire baisser la masse des salaires directs et socialisés pour en augmenter les profits et de pouvoir ainsi alimenter la chaudière chaude en combustible monétaire. Et donc aujourd’hui, pour satisfaire les revendications des gilets jaunes, il est nécessaire de changer le système lui-même et donc d’entrer dans un processus révolutionnaire. Mais là, une double nécessité se fait jour ;
– celle d’une organisation politique révolutionnaire nécessaire. Et cette organisation n’existe pas encore dans les formes idoines aujourd’hui!
– celle de la nécessité de de dynamiser la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle. Et là, l’insuffisance manifeste des campagnes massives d’initiatives d’éducation populaire refondée est patente ! Même si une auto éducation populaire a revu le jour dans la dynamique collective pendant l’occupation des ronds-points.

Et pendant ce temps-là…

La réaction s’organise.

Des véhicules blindés de l’armée font leur apparition pour le maintien de « l’ordre ». Un dirigeant du syndicat de police Alliance demande l’intervention directe de l’armée pour le maintien de « l’ordre ».

Le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France lance un appel aux catholiques de France et à nos concitoyens, tout en déclarant qu’« il serait à coup sûr très dommageable que cette situation délétère se prolonge » il estime « que notre démocratie manque de lieux d’échange et de réflexion qui pourraient permettre l’émergence à une large échelle de suggestions positives élaborées ensemble. L’affaiblissement de nombreux partis politiques et un recul significatif de l’engagement syndical contribuent à ce déficit. Où nos concitoyens trouveront-ils des lieux appropriés pour ce travail si urgent ? » Mais bon dieu, mais c’est bien sûr ! Il suffisait d’y penser ! « L’Église catholique dispose d’un maillage de milliers de paroisses, réparties sur l’ensemble de notre territoire et riches de la présence de multiples mouvements, aumôneries et associations de fidèles. Lieu de prière, en particulier liturgique, la paroisse est aussi par nature et par vocation la ‘‘maison de famille fraternelle et accueillante’’ (Jean-Paul II) pour tous et la ‘‘famille de Dieu, fraternité qui n’a qu’une âme’’ (Vatican II). À ce moment de notre histoire, nous pouvons le montrer et apporter notre contribution pour aider notre société tout entière à surmonter la crise qu’elle traverse ».

Que la gestion du capital au sein de l’État soit gérée par le bloc élitaire néolibéral comme aujourd’hui, ou par l’union des droites (RN compris), dernier rempart de protection du capital, qui manifestement s’y prépare, ils pourront compter sur des forces de répression prêtes à la démocrature mais aussi sur des forces cléricales qui assureront l’alliance paternaliste du néolibéralisme et des communautarismes et intégrismes religieux ! Quoi de plus efficace alors que de s’opposer en liant le combat laïque au combat social ?

 

Une accélération possible des rythmes politiques en 2019 ?

Le gendre idéal des bourges du 7ème arrondissement qui siège à l’Élysée ressort de  l’épisode « gilets jaunes » sacrément discrédité, il ne peut même plus sortir de l’Élysée. Il se contente pour exister un peu de visiter des CRS, des gardes mobiles ou des militaires en Afrique. Seules les « Prétoriens » sont encore fidèles. En un mot Macron est démonétisé ! Or son mandat se termine dans trois ans et demi. Peut-il encore, comme on dit dans la presse, « mener des réformes » au détriment des classes populaires (retraites, Cap 2022, etc.) ? Rien n’est moins sûr! Car le mouvement des gilets jaunes est encore étonnement puissant en cette fin d’année : qui aurait pu envisager un seul instant une mobilisation de plusieurs dizaines de milliers de manifestants… à deux jours du réveillon de Noël !  C’est du jamais vu dans l’histoire populaire française.
L’oligarchie capitaliste peut être tentée par un tournant vers une démocrature. Certes Castaner, ancien joueur de poker professionnel, peut mentir comme à son habitude sur le nombre de manifestants, il n’empêche qu’à Toulouse, Bordeaux ou ailleurs les cortèges furent encore fournis à la veille de la trêve des confiseurs.
Cette tonicité du mouvement peut augurer d’un premier semestre 2019 plein de surprises et de déterminations dans le camp populaire. D’autant plus que la mobilisation n’a pas été défaite et que le sentiment de victoire peut redevenir d’actualité.
Tactiquement, et face à cette situation de modification du rapport de force, la bourgeoisie oligarchique peut être tentée par une solution autoritaire. Sûr qu’elle a déjà prévu plusieurs projets en ce sens avec la bénédiction de l’Union européenne.
Autre élément d’accélération des rythmes : la crise économique qui redémarre dans l’espace occidental, la dégringolade des bourses en étant une possible préfiguration. Dans ce cas, la bourgeoisie oligarchique pourrait être tentée par le projet de « tenir le peuple » d’une main ferme. Et s’il faut un prétexte, sûr que des « surprises spectaculaires » au sens de Guy Debord sont à l’étude.

Que faire alors pour partir du réel et pour aller vers l’idéal ?

D’abord être attentif tant à la réalité matérielle qu’à la demande sociale.
Puis s’inscrire dans le champ des tactiques du mouvement des gilets jaunes. Et tout d’abord, le blocage des flux en lieu et place des sempiternelles complaintes des randonnées pédestres urbaines. Repenser et revoir, pour aller plus loin, aux derniers mouvements sociaux tels que celui des raffineries ou des cheminots. Oui, un imaginaire productif peut se construire en liant un mouvement social des raffineries, des travailleurs des services publics de transport, et des ronds-points ! On peut au moins en discuter, non ? Cela semble plus conforme à la lutte efficace d’aujourd’hui.

Enfin, partir des exigences de ce mouvement des gilets jaunes que l’on peut résumer par l’exigence de justice sociale, d’égalité et  de démocratie. Dans ce cadre, ne pas se contenter de suivre les réponses du pouvoir politique qui pense que répondre à l’un des points du programme et non à la globalité suffira à enrayer le mouvement. Exemple : l’exigence de démocratie ne se résume pas au référendum d’initiative citoyenne, l’exigence d’égalité et de justice sociale ne se résume par dans un appel à la constituante ou d’un cri « Macron démission » qui serait une complainte au capital qu’il remplace son gérant !

Commençons par l’exigence de démocratie.

D’abord combattre dans ses propres organisations l’extrême bureaucratie. Mais aussi l’arbitraire de la verticalité opaque et gazeuse. On ne peut pas demander la démocratie dans la société quand on accepte sans rechigner que sa propre organisation ne l’applique pas en interne.

Puis, ne pas se laisser berner par le contentement du tirage au sort lorsque ce dernier ne peut pas être contrôlé par la base citoyenne. Aller tant que faire se peut vers plus de démocratie directe est une bonne voie mais croire un instant que l’on peut se passer de démocratie représentative est une impasse car la vraie vie, c’est la nécessité de prendre constamment des décisions. Par ailleurs, ne pas croire que la panacée est le mandat impératif à la mode aujourd’hui car le mandat impératif oblige la généralisation de la démocratie directe pour toute décision ce qui est impossible. En dernier lieu, comprendre que les cartels d’organisation sont une insulte à la démocratie !

Par contre, il faut reprendre le débat de la Révolution française entre le gouvernement représentatif anti-démocratique (position de Sieyès ne donnant le droit aux citoyens que d’élire des représentants) et la démocratie avec l’ensemble des conditions de celle-ci (position de Condorcet). C’est d’importance car aujourd’hui ce qu’on appelle improprement la démocratie représentative n’est que la victoire posthume du gouvernement représentatif anti-démocratique de Sieyès ! La bataille pour les conditions de la démocratie demande d’aller plus loin que le simple droit d’élection. Il faut y rajouter le droit pour le citoyen à la connaissance, sur tous les supports d’information possibles, de toutes les propositions émises par ceux qui se portent au suffrage de leurs concitoyens. Cette condition n’est pas respectée aujourd’hui dans les processus électifs. Il faut y rajouter le droit pour le citoyen de participer et d’assister à des débats raisonnés entre toutes les propositions des candidats y compris hors des campagnes officielles. Cette condition n’est pas non plus respectée aujourd’hui en France. Enfin, il faut que le citoyen puisse être maître de ses décisions et de son action durant le mandat électif. Pour ce faire, différents moyens à débattre comme le référendum sur certaines questions, le référendum d’initiative citoyenne pour d’autres mais aussi le référendum révocatoire en cours de mandat. Avec pour prévenir les élus qui se font élire mais qui se prennent ensuite comme des représentants seuls maîtres de leurs décisions en cours de mandat, un droit d’alerte citoyenne avant de déclencher une procédure référendaire contre eux.

 

L’exigence de justice sociale et d’égalité

D’abord cette exigence demande une progressivité différentielle dans les augmentations de salaires et de prestations et bien sûr aussi une progression tout aussi différentielle (mais à l’envers de la précédente) des prélèvements de cotisations ou d’impôts.

Puis, elle demande un effort tout particulier sur le développement le plus hardi possible de la sphère de constitution des libertés (école, services publics et Sécurité sociale) qui elle, doit être séparée des marchés et uniquement soumis à la délibération démocratique et collective des citoyens y compris pour son financement.

Enfin, elle demande le plus haut niveau possible de réindustrialisation massive avec la plus forte transition énergétique et écologique possible. Car on ne peut partager que ce que l’on a produit (aujourd’hui tous les besoins hors des produits de première nécessité ne sont pas obligatoirement aliénants). Et il faut en finir avec l’idée de l’obligation de faire la transition énergétique et écologique uniquement par ce que sinon la fin du monde est pour demain matin à 8 h 30. La transition écologique et énergétique est d’abord une nécessité impérative pour le droit à l’égalité et à la justice sociale.

La nécessité d’un débat sur un modèle et un projet de société

Beaucoup de militants font comme si un programme suffisait comme horizon. Un programme est un ensemble de mesures que l’on s’engage à réaliser après l’accession au pouvoir pour une organisation politique et que l’on s’engage à revendiquer et à se battre pour lorsque l’on est une organisation syndicale ou associative. Nécessaire mais pas suffisant pour nourrir l’imaginaire citoyen. Car cela ne définit pas les principes philosophiques constitutifs du modèle de société souhaité, les ruptures à effectuer dans le processus constituant, des exigences indispensables à sa réalisation, du fonctionnement du dit modèle politique et de la stratégie pour y parvenir. Et un fois de plus de lier le combat laïque et le combat social comme une des conditions de l’adhésion des couches populaires dans un bloc historique qui reste à constituer par la convergence des combats !

Conclusion provisoire
Aux aguets des enseignements de l’actualité, il faut être ! Mais pas seulement ! Des cycles de débats diversifiés en assemblées populaires sont nécessaires sur tous les sujets que nous avons abordés. Voilà l’objet de la nécessaire éducation populaire refondée et articulée aux luttes en cours. Et si on en débattait ensemble ?

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Quel rapport entre la COP 24 et les gilets jaunes : la rupture entre le monde politique et la société civile.

par Michel Marchand

 

La COP 24 qui s’est tenue à Katowice en décembre 2018 marque une profonde rupture entre le monde politique des négociations internationales et la société civile ancrée dans le réel. Un petit effort de mémoire des COP des années précédentes permet de mettre en perspective cette dérive. Les premières COP faisaient débat, des décisions et actions concrètes étaient attendues au Nord comme au Sud, les ONG publiaient chaque jour un bulletin quotidien faisant état de l’état des négociations. La COP 3 à Kyoto en 1997 adoptait un Protocole juridiquement contraignant mais très modeste de diminution des émissions de gaz à effet de serre (GES), et depuis abandonné ; la COP 15 à Copenhague en 2017 était déclarée « le sommet de la dernière chance » , mobilisait l’opinion mais finissait sur un échec cuisant ; la COP 21 à Paris en 2015 scellait un Accord international pour limiter le réchauffement climatique en-dessous de 2°C, voire si possible de 1,5°C, demandant à chaque pays, à défaut de pouvoir parvenir à une approche globale, d’apporter sa propre contribution à la réduction des émissions de GES. Les faits sont têtus et chaque année devenait l’année la plus chaude jamais enregistrée depuis l’ère industrielle. Malgré la mise en garde de 15 000 scientifiques en novembre 2017, rien n’y fit, la COP 231 à Bonn fit l’effet d’une mascarade et de faillite du processus onusien en mettant en place le « dialogue de Talanoa » (parler avec son cœur en fidjien puisque les Îles Fidji présidait la conférence) et renvoyait les décisions les plus importantes l’année suivante. La COP 24 à Katowice a confirmé le processus de faillite : elle minimise le rôle des scientifiques et par conséquent les conclusions du GIEC, enterre les droits humains qui devait être la référence et servir de boussole de l’action climatique, ne concrétise pas les engagements pris en 2009 pour aider les pays les plus vulnérables (100 milliards de dollars par an2) pour l’adaptation au changement climatique à disposer d’un accès à une énergie propre, constate que les émissions de GES sont repartis à la hausse et savoure malgré tout une « victoire » en annonçant que la feuille de route de l’application de l’Accord de Paris est sauvegardé ! Pour certains, cet accord ressemble dangereusement aux accords de Munich en 1938 qui, croyant éviter la guerre, l’ont précipitée3. Les contributions volontaires des pays signataires pour réduire les émissions de GES sont insuffisantes et c’est un réchauffement global de 3,2°C d’ici la fin du siècle qui est attendu et le seuil de 1,5°C sera dépassé dès 2030 si rien n’est fait. Les trajectoires sont à présent connues. Pour ne pas dépasser le seuil de 1,5°C, selon le dernier rapport du GIEC, à l’horizon 2050, les émissions nettes mondiales de C02 doivent être nulles, c’est à dire que la quantité émise dans l’atmosphère doit être égale à la quantité éliminée par les milieux naturels (forêts, sols, océans).

La COP 24 s’est déconnectée de l’urgence climatique et un gouffre s’est creusé entre la réalité du réchauffement de la planète et l’action politique. Finalement tout le monde a l’air de s’en foutre. Emmanuel Macron tweete à la fin de la conférence « Bravo à l’ONU, aux scientifiques, aux ONG et à tous les négociateurs » alors qu’aucun ministre ou secrétaire d’État français ne participait aux derniers jours des négociations et que les émissions de GES sont reparties à la hausse en France de 3,2 % en 2017 par rapport à l’année précédente4, une première depuis 10 ans ! Pour nombre d’observateurs, il aurait fallu envoyer un signal fort aux entreprises du privé pour qu’elles fassent leur mutation vers une économie bas carbone.

A ce stade, les décisions de la COP24 et les revendications du mouvement des « gilets jaunes » illustrent parfaitement les liens entre justice sociale et lutte environnementale. Les pays du Sud attendent la contribution des pays développés promise depuis maintenant 10 ans pour s’adapter à un réchauffement dont ils ne sont en aucune manière responsables. En 1992, date de la signature de la Convention des Nations Unies sur les changements climatiques (CNUCC), le principe des « responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives » avait été adopté dans l’idée que tout le monde devait agir sur le climat mais que le niveau d’engagement dépendait du niveau de responsabilité dans les émissions de GES et des capacités économiques de chacun. La question des financements au titre de la justice climatique pour l’adaptation des pays en développement au changement climatique devait être au centre des discussions de la COP 24 ; cela n’a pas été le cas et les pays les plus riches ont opéré ont opéré un retour en arrière.

S’il y a des inégalités entre les pays, raison pour laquelle une aide a été prévue, il ne faut pas oublier pour autant les inégalités nationales. On retrouve à ce titre la même logique avec le mouvement des « gilets jaunes » , le gouvernement impose une fiscalité écologique sans justice sociale. La citation a fait florès « Vous me parlez de la fin du monde, je vous parle de la fin du mois », ce qui n’empêche pas que les revendications des « gilets jaunes » ignorent l’importance de l’aménagement du territoire et les préoccupations écologiques, en mettant en avant la nécessité de favoriser les petits commerces, de cesser la construction de grandes zones commerciales aux périphéries urbaines, d’arrêter la fermetures des dessertes locales ferroviaires, des bureaux de poste, écoles, maternités, de prioriser le transport des marchandises par voie ferrée, de mettre en place un plan réel d’isolation des logements, de taxer le fuel maritime et le kérosène de l’aviation5. Les « gilets jaunes » refusent d’être les sacrifiés d’une transition écologique qui se décide sans tenir compte de leur situation. Leur colère est juste car, sous couvert de lutte contre le réchauffement climatique, la politique gouvernementale est une tromperie écologique et une arnaque sociale6.

Une démonstration convaincante est apportée par Sophie Chapelle7qui rappelle que la hausse des taxes sur la carburants était justifiée par le gouvernement par l’argument climatique. Sur les 3,9 milliards d’euros de recettes supplémentaires prévues initialement en 2019, seuls 80 millions (2%) devaient être reversés au compte d’une affectation spéciale « transition énergétique », et quasiment tout le reste allait au budget général de l’État, manière de combler le manque à gagner fiscal lié à la suppression de l’Impôt sur la fortune (ISF). A cette première arnaque s’en ajoutait une seconde, à savoir que si les automobilistes devaient payer la taxe carbone, il n’était aucunement question de taxer le kérosène (manque à gagner fiscal de 1,3 milliard d’euros par an) pour un mode transport 14 à 40 fois plus polluant en CO2 que le train par km et personne transportée, ni le fuel lourd du transport maritime. Les dispositions fiscales pour aligner la fiscalité du gazole non routier sur celle des particuliers étaient finalement annulées par le gouvernement ; divers secteurs d’activités continuent de bénéficier de cette exonération : les agriculteurs, les industries extractives (carrières, sables et gravier), les entreprises de travaux publics et les activités forestières et fluviales. Mais plus encore, Attac France montre que quelques 1 400 sites industriels et polluants du pays (secteurs de la sidérurgie, raffinage, ciment, aviation) sont complètement exonérés de la fiscalité carbone, bénéficiant pour se faire de quotas gratuits d’émissions polluantes, correspondant à un manque à gagner pour les finances publiques évalué par l’association à 10 milliards d’euros entre 2008 et 2014.

Que ce soit donc au niveau de la COP 24 ou de la politique nationale, l’industrie ne paie pas de taxe carbone et aucune décision politique forte n’est envoyée aux entreprises du privé pour une mutation vers une économie bas carbone. La colère des « gilets jaunes » est partie sur l’injustice sociale sous couvert d’une transition écologique. Cette tromperie explique la levée populaire à l’encontre d’une nouvelle classe aristocratie hautaine et méprisante incarnée Emmanuel Macron. Il n’est donc pas étonnant que les revendications du mouvement dépasse la seule taxation des carburants mais englobe à présent tous les aspects de la société : politique sociale, protection sociale, système fiscal, économie et politiques européennes, question migratoire, institutions de la République.

1Michel Marchand (2017) La COP 23 ou comment le pire risque fort d’être devant soi. RESPUBLICA, 30 novembre 2017.

2La somme du financement de 100 milliards de dollars par an prévu en 2020 est loin d’être atteinte, elle est évaluée entre 48 et 56 milliards et il est estimé que le financement net de l’action climatique censé revenir aux pays en développement sera moindre.

3Yvan du Roy (2018) Climat et effondrement : « seule une insurrection des sociétés civiles peut nous permettre d’éviter le pire. Bastamag, 16 octobre 2018

4la moyenne de l’ensemble des pays de l’Union européenne est de + 1,8 % selon les données Eurostat

5Philippe Hervé & Michel Marchand (2018) Les revendications des gilets jaunes : un vrai « cahier de doléances ». RESPUBLICA, 8 décembre 2018

6Sergio Coronado (2018) L’écologie, le 17 novembre et les « gilets jaunes ». RESPUBLICA, le 28 novembre 2018.

7Sophie Chapelle (2018) Quand les ménages financent la transitin écologique alors que les gros pollueurs en sont exonérés. Basta, 17 décembre 2018

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Le protectionnisme : un gros mot ou une réponse sociale et écologique ?

par Equipe thématique Produire en France de la France insoumise

 

Depuis la rentrée 2018, l’actualité économique ré-ouvre un débat qui oppose depuis bien longtemps les économistes. En effet, le président nord-américain Donald Trump a annoncé son intention de taxer les importations chinoises à hauteur de 200 milliards de dollars (10% sur les produits chinois, qui pourrait passer à 25% en 2019), dans le but de rééquilibrer la balance commerciale depuis longtemps déficitaire avec ce pays. Depuis, nombre d’économistes et d’éditorialistes se sont inquiétés de la possible escalade tarifaire (on parle même de risque de guerre commerciale) et d’un retour du protectionnisme à l’échelle mondiale.

Dans la bouche de ces experts, le protectionnisme est un gros mot, le genre de concept que l’on agite dans les moments de troubles pour effrayer les citoyens. En effet, le protectionnisme est très vite associé à un champ lexical fort, capable de toucher profondément nos affects. Il serait ainsi synonyme de « retour à l’âge de pierre », de « guerre », de « nationalisme » et de « fermeture des frontières ». Plus grave encore, il serait responsable de la crise mondiale de 1929, du retard de développement économique de la France au XIXe siècle ou de la montée de l’idéologie fasciste.

Pourtant, force est de constater que le capitalisme financiarisé qui régit nos comportements économiques depuis les années 1980 et son bras armé, le libre-échange, ne sont pas si innocents que cela. Nombre d’études scientifiques ont fait la démonstration ces dernières années de la responsabilité du libre-échange dans l’explosion des inégalités, le dérèglement climatique, la mise sous pression des salariés (réduction des rémunérations, dépressions, burn-out voire suicides), le chômage et les délocalisations/non-localisations1. Même le libre commerce pacificateur cher à Montesquieu semble rogner les principes de base de la démocratie en imposant des tribunaux d’arbitrage privés dans le cadre des négociations bilatérales de traités de commerce (TAFTA, CETA, JEFTA) et en imposant des orientations politiques aux gouvernements sous la pression de la concurrence. Ces politiques reposent, entre autres, sur le mythe de la concurrence non faussée : du fait des multiples différences structurelles entre pays (systèmes fiscaux et légaux, niveau d’éducation, démographie, etc.) et qui ne peuvent changer à court terme, la concurrence internationale ne peut qu’être faussée.

Dès lors, notre constat rejoint celui de J.M Keynes qui, en 1933, écrivait :

Le capitalisme international et néanmoins individualiste, décadent mais dominant depuis la fin de la guerre, n’est pas une réussite. Il n’est ni intelligent, ni beau, ni juste, ni vertueux, et il ne tient pas ses promesses. En bref, nous ne l’aimons pas et nous commençons à le mépriser. Mais quand nous nous demandons par quoi le remplacer, nous sommes extrêmement perplexes.
J.M Keynes (1933), « De l’autosuffisance nationale ».

Le seul amendement que nous pourrions proposer à cette citation de Keynes est l’absence de solution alternative. En effet, si on fait abstraction de la doxa libérale, le protectionnisme apparaît comme une alternative crédible, envisageable et même souhaitable. Cependant, il est alors nécessaire de bien préciser les contours de ce concept.
Pour cela, il convient dans un premier temps de définir précisément le terme. A partir de cette définition et de la mobilisation de l’histoire économique et de la littérature académique récente, nous pourrons proposer une typologie des différents protectionnismes.

Le protectionnisme, de quoi parle-t-on vraiment ?

Le protectionnisme est une politique commerciale qui, au contraire du libre-échange, regroupe l’ensemble des moyens mis en œuvre par un État pour protéger son marché intérieur de la concurrence internationale. Il vise donc à contrôler, les importations de biens et services en provenance de l’étranger.

La difficulté avec le protectionnisme, est qu’il peut justifier nombre d’objectifs différents et parfois contradictoires. En déroulant le fil de l’histoire économique on trouve l’imposition de mesures de protection pour punir un pays étranger, rééquilibrer ses déficits extérieurs, protéger l’emploi national, garantir la sécurité économique et même aider une industrie à se développer ou protéger son modèle social. Dès lors, il est facile pour les libéraux de souligner certains objectifs pour mieux cacher tous les autres.

Mais si le protectionnisme est un gros mot, une hérésie, on devrait pouvoir affirmer, sans hésitation aucune, que nous vivons aujourd’hui dans un monde totalement libre-échangiste. Les pays les plus libéraux devraient, sans restrictions, avoir leurs frontières ouvertes à tous types d’échanges. Mais est-ce là une description fidèle de la réalité des échanges économiques ? Certes, depuis la création du GATT en 1947 et celle de l’Organisation Mondial du Commerce (OMC) en 1995, les droits de douanes n’ont cessé de diminuer. La « régulation » du commerce par l’OMC a été synonyme de déréglementation et de dérégulation pour la majorité des pays. Mais derrière cette belle fable libérale, la réalité est toute autre. Dans un premier temps, il ne faudrait pas oublier qu’il n’existe pas un pays au monde qui ne se soit développé sans l’aide d’une politique protectionniste, que ce soit sous forme de prohibitions ou en usant de tarifs douaniers. Dans un second temps, il est à noter que les pratiques protectionnistes perdurent et qu’il y a eu augmentation, face aux injonctions de l’OMC, de méthodes alternatives pour limiter les importations – ce que l’on appelle les mesures non tarifaires (normes, réglementations de santé publique…). Il semblerait que derrière les beaux discours, les Etats les plus puissants soient plus enclins à se protéger qu’à souffrir d’un commerce totalement dérégulé. Pire encore, l’un des pays les plus farouchement libéraux dans l’esprit de nombre de citoyens, les USA, dispose d’une loi depuis 1933 qui réserve le marché intérieur aux entreprises américaines pour toutes commandes publiques supérieures à 2500 dollars.

Dès lors, si le protectionnisme est un gros mot davantage dans les discours que dans les pratiques, pourquoi ne pas assumer au grand jour la nécessité de répondre aux défis majeurs de notre siècle par la mise en place d’une telle politique commerciale ? Pour s’en convaincre, et répondre aux accusations, il convient de préciser quel type de protectionnisme nous souhaitons voir émerger.

Un protectionnisme, des protectionnismes

Comme nous l’avons vu précédemment, il n’existe pas un protectionnisme mais des protectionnismes. La littérature académique et l’apport de l’histoire nous permettent de dresser une typologie des différents protectionnismes. Nous en présenterons ici trois formes :

  • Le protectionnisme traditionnel. C’est l’idéal-type du protectionnisme mis en avant par les libéraux pour discréditer le concept. Ce type de protectionnisme vise à imposer des droits de douane dans le but de préserver les intérêts de certaines industries ou secteurs économiques. Le protectionnisme traditionnel ne s’accompagne pas d’une réflexion en matière économique sur les industries à cibler mais est plutôt fortement dépendant de l’influence des groupes de pression. Par ailleurs, il s’accompagne très souvent d’un discours nationaliste de grandeur de la nation (« Make America Great Again ») et de protection du travail national. Historiquement, c’est le type de protectionnisme mis en place en 1892 en France (tarif « Méline ») sous l’influence des puissants lobbies agricoles, dont les effets ont été ambigus (préservation de l’emploi agricole au détriment du développement industriel). Aujourd’hui c’est le type de protection que semble avoir choisi Donald Trump ainsi que celui prôné par le Rassemblement National de Marine Le Pen. Ce protectionnisme laissant la place de manière excessive à la satisfaction d’intérêts particuliers, il défavorise l’innovation et se révèle peu efficace.
  • Le protectionnisme comme politique de développement économique (ou protectionnisme éducateur). Ce type de protectionnisme s’appuie sur les travaux d’Alexander Hamilton et Friedrich List. Selon ces auteurs, il est nécessaire pour qu’une nation se développe, de protéger les « industries naissantes ». L’idée défendue est qu’une jeune industrie innovante n’est pas en capacité d’affronter tout de suite la concurrence internationale. En effet, de par son manque d’expérience, de productivité et de compétitivité, celle-ci serait tout de suite écrasée par des industries étrangères plus expérimentées. Selon List, ce protectionnisme ne doit en aucun cas être total. Au contraire, il doit être sélectif (il convient de protéger les industries qui ont une forte capacité d’entraînement pour le reste de l’économie), modéré (il ne s’agit pas d’imposer des droits de douane prohibitifs) et temporaire (il ne se justifie que le temps que l’industrie nationale devienne compétitive). Cette protection des industries dans l’enfance a été largement utilisée au XIXe siècle notamment par des pays comme l’Allemagne ou les Etats-Unis mais aussi par bon nombre de pays asiatiques pendant le XXe siècle. Économiquement, les études montrent qu’il permet de créer de véritables fleurons industriels qui auront des répercussions positives sur l’ensemble de l’économie. Il est aussi démontré que cette protection encourage l’innovation car elle n’est pas dirigée vers des industries qui modernisent peu leurs pratiques.
  • Le protectionnisme comme altermondialisme, ou protectionnisme solidaire. Face à la mondialisation libérale que nous connaissons depuis les années 1970, de nombreux économistes, associations, citoyen.nes portent l’idée d’une autre mondialisation, et à leur suite, la France insoumise. Ceux-ci prônent un internationalisme solidaire et coopératif. De cette volonté de construire une autre mondialisation, contre les méfaits du libre-échange, l’idée d’un protectionnisme altermondialiste a émergé. Dans les faits, l’idée est d’imposer une protection afin de favoriser les circuits courts, de limiter les échanges internationaux de marchandises et ainsi réduire la pollution due au commerce international. En parallèle de cet aspect écologique nécessaire, les défenseurs de ce type de protectionnisme soulignent la nécessité que celui-ci soit négocié entre les pays (véritable coopération internationale) et solidaire, c’est-à-dire qu’ils permettent une véritable politique de solidarité internationale envers les pays en développement. On est loin ici du protectionnisme unilatéral de Donald Trump ou nationaliste de Marine Le Pen.Pour résumer le protectionnisme comme altermondialisme, nous pouvons encore nous tourner vers J.M. Keynes :

    « Les idées, le savoir, la science, l’hospitalité, le voyage, doivent par nature être internationaux. Mais produisons chez nous chaque fois que c’est raisonnablement et pratiquement possible, et surtout faisons en sorte que la finance soit nationale. Cependant, il faudra que ceux qui souhaitent dégager un pays de ses liens le fassent avec prudence et sans précipitation. Il ne s’agit pas d’arracher la plante avec ses racines, mais de l’habituer progressivement à pousser dans une direction différente » J.M Keynes (1933), « De l’autosuffisance nationale »

     

Pour un protectionnisme écologique et solidaire

Fort de cette typologie et de ces différents protectionnismes, nous pouvons désormais mieux aborder la politique commerciale défendue par l’Avenir En Commun. La réflexion menée par le groupe de travail du livret « Produire en France » s’inspire en effet en grande partie des deux derniers types de protectionnisme que nous avons précédemment présentés.

Par conséquent, il est désormais clair que toutes tentatives de dresser un axe « Rassemblement National – France Insoumise » ne seraient que malhonnêteté intellectuelle. En effet, en sus des différences fondamentales relevées entre le protectionnisme traditionnel prôné par les premiers et le protectionnisme écologique et solidaire porté par les seconds, il existe une opposition radicale en ce qui concerne la finalité de la politique commerciale et la méthode pour la mettre en œuvre.

Le protectionnisme décrit dans le programme de l’Avenir en commun porte une remise en cause de la « course au moins disant ». Qu’elle soit écologique, sociale ou économique cette escalade des dumpings est néfaste et il est nécessaire d’y mettre fin. Enfin, le protectionnisme écologique et solidaire ne doit pas être vu comme une fin en soi, un objectif à atteindre mais plutôt comme un moyen au service d’une politique plus globale, sociale et environnementale.

La méthode pour la détermination de cette nouvelle politique commerciale doit être innovante. Non seulement, pour les raisons évoquées plus haut, le protectionnisme doit autant que possible être négocié et multilatéral, mais il doit fonder ses principes de taxation sur des critères sociaux et environnementaux. Sur ce point, ce protectionnisme doit permettre de proposer une taxe qui vise à empêcher l’importation de produits fabriqués et transportés dans des conditions écologiques et sociales non satisfaisantes. Enfin, le protectionnisme de la France Insoumise doit permettre et accompagner la transition écologique et économique de la France grâce au développement d’industries innovantes telles que celles de l’économie de la mer.

Plus globalement, toute atteinte à la biodiversité, à la dégradation des sols, à la qualité de l’air, la fragilisation d’habitats naturels imposent de nouveaux processus de création et d’usages des ressources naturelles de nos territoires.

Par exemple, les forêts françaises, ressources naturelles au fort potentiel, doivent être protégées dans la mesure où elles permettent la création de nouveaux produits, matériaux, ingénieries industrielles écologiques nécessaires pour faire face au changement climatique. Actuellement, ces forêts sont mises en danger et les sols altérés, notamment du fait de la vente de nombre d’entre elles sur les marchés internationaux.

En conclusion, face aux cris d’alerte de l’oligarchie bien-pensante sur les risques d’une guerre commerciale (voire, guerre tout court !) qu’entraînerait une politique protectionniste, il est facile d’opposer une argumentation en faveur d’un protectionnisme écologique et solidaire. Dans un premier temps, force est de constater que nous vivons depuis trente ans dans un climat de guerre économique et sociale – celle des entreprises contre les salariés – à coup de concurrence sociale, concurrence fiscale et concurrence environnementale. Par conséquent, le protectionnisme, dès lors qu’il est conçu comme une politique progressiste, peut permettre des négociations visant à privilégier la coopération et l’entraide dans les échanges internationaux. Le protectionnisme commercial ne saurait en outre être développé sans une remise en cause drastique de la libre circulation des capitaux sous forme d’autorisation préalable à toute entrée et sortie de capitaux du territoire national, afin de combattre aussi bien la fraude et l’évasion fiscale que les circuits de blanchissement de l’argent de la grande criminalité.

La réponse des libéraux ne se fera pas attendre et nous serons probablement accusés de faire peser nos mesures sur les consommateurs. C’est faire oublier que le libre-échange pèse en premier lieu sur les travailleurs (dumping social) et sur les citoyens (dumping fiscal, au détriment des services publiques, et environnemental). C’est aussi oublier que si les mesures de protection peuvent effectivement peser sur les consommateurs nationaux, elles peuvent largement être compensées par une politique fiscale ambitieuse et égalitaire et être parfois souhaitables.

Dans un monde où la concurrence s’attaque à tout ce qui nous lie, le protectionnisme écologique et solidaire apparaît non seulement être une alternative crédible mais surtout nécessaire.

  1. Voir, par exemple, un rapport sénatorial sur cette question ici et ici []
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La légende de Jean L’Effrayé, par Sylvie Teper

par Zohra Ramdane

 

Le premier tome (258 pages) de ce roman en trois volumes est paru chez Anfortas. Roman historique, roman policier, cette fiction se passe au 14ème siècle tout juste un an après le début du célèbre roman « Le nom de la rose » de Umberto Eco dans un genre littéraire de même nature. Nous sommes en juillet 1328.  Ce 14ème siècle nous fascine car il ressemble tellement à notre 21ème siècle à tendance obscurantiste. Ce 14ème siècle sans lequel on ne peut pas comprendre la Renaissance est un siècle charnière qui montre la montée des déterminations populaires face à l’oligarchie cléricale catholique de l’époque chargé du contrôle du peuple pour les puissants de ce monde. Cela se passe au même moment que le Trecento italien quelquefois appelé la pré-renaissance.

Ce roman situe le début de son histoire 4 ans après l’excommunication de Jean de Jandun et Marsile de Padoue (recteur de l’université de Paris en 1313), parmi les lettrés les plus avancés de leur temps, à cause de la sortie de leur « Defensor pracis » (Défenseur de la paix). Ils affirment dans leur Defensor pacis « Pour rendre plus clairs les principes exprimés par Aristote et aussi pour résumer toutes les manières d’instituer les autres types de gouvernement, nous dirons que tout gouvernement s’exerce avec le consentement de sujets ou non. Le premier est le genre des gouvernements droits, le second le genre des gouvernements déviants.»
Raoul 7 ans, futur « Jean l’Effrayé » s’enfuit avec son oncle vers Senlis. Séparé de ce dernier, il rencontre un prêtre populaire très surveillé par son évêque, lui-même sous le contrôle de son archevêque qui lui envoie deux dominicains pour l’aider dans la lutte contre les hérétiques. Mais une résistance existe dans la clandestinité. Cependant, tous les moyens et stratagèmes parmi les plus immoraux sont bons pour l’église pour contrôler le peuple de Senlis et des environs. Qui est qui ? Qui tue qui ? Pourquoi ? Pour le savoir, il va vous falloir lire les trois tomes. A vous de lire le premier tome juste avant l’arrivée du tome 2 et ainsi de suite.

Toutes les rues et bâtiments cités existent encore aujourd’hui y compris les étangs et la célèbre abbaye de Chaalis. Vous pourrez alors aller passer un week-end pour revivre cela sur place !



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