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« Combat laïque–combat social, fédérer le peuple » ou écroulement de la gauche ?

par Évariste

 

Rien ne va plus : le mouvement réformateur néolibéral frappe le monde du travail de plus en plus fort sur le plan démocratique, laïque, social et écologique et la gauche continue de s’écrouler. Le mouvement syndical dit de lutte recule (voir notre article…) et permet à la CFDT de devenir le premier syndicat français. La gauche recule dans les suffrages exprimés (voir notre article…) : à la présidentielle de 2017, moins de 30 % des suffrages exprimés, début 2019, tout juste plus de 25 % des suffrages exprimés… Qui progresse ? Le dispositif de la droite macroniste et la future union des droites autour du RN (dernier sondage IFOP).
Et pendant ce temps-là, la gauche s’ébroue dans les impasses simplistes et magiques. Nous n’avons pas d’ennemi à gauche mais nous développons une critique légitime quand nous estimons qu’une position divise la gauche sans autre intérêt ou quand une position déprime la gauche. La cause principale du surgissement du mouvement des gilets jaunes est bien la délectation de la gauche syndicale et politique dans ces impasses simplistes et magiques. Alors que le surgissement du mouvement des gilets jaunes correspond au retour de la lutte des classes abandonnée par la majorité de la gauche syndicale et politique, cette gauche du renoncement se divise de nouveau tant dans le syndicalisme dit de lutte que dans la gauche dite politique. Sauve l’honneur du syndicalisme dit de lutte en appelant à la convergence des luttes syndicales et des gilets jaunes que les nombreuses UD et quelques fédérations de la CGT qui ont bravé leur direction confédérale et leur Comité confédéral national (Ccn) ainsi que la majorité des syndicats Sud. Quant à la gauche politique, l’irruption du mouvement des gilets jaunes divise une fois de plus toutes les organisations de la gauche politique même si on peut voir la direction de la France insoumise plus encline à appeler aux manifestations des gilets jaunes que les autres organisations et à la direction du PC à défendre de l’extérieur ces manifestations.

« En marche » ver la démocrature

L’histoire des renoncements de la gauche syndicale et politique est longue. Déjà, la Chambre du Front populaire, avec à sa tête Daladier, portait atteinte aux libertés publiques en votant des lois et en organisant sa police que le maréchal Pétain utilisera plus tard. C’est exactement ce que fait le dispositif macroniste, avec ses anciens socialistes, dispositif qui a vacillé début décembre, avec sa loi anticasseurs (qui sanctionne sans délits), avec l’utilisation des blindés de l’armée et surtout avec le déploiement militarisé des « Détachements d’action rapide », véritables milices fascisantes sans foi ni loi, qui nous font froid dans le dos quand on pense à ce que pourrait faire la future union des droites sous la direction du RN avec ces dispositifs.
« C’est la dérive complète ! On se croit revenu sous le régime de Vichy ! » a dit le député de droite Charles de Courson à l’Assemblée nationale. Reconnaissons à Charles de Courson la même rigueur que son grand-père le marquis de Moustier qui fut le seul député de droite qui vota contre les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940. Il est incroyable de donner au parquet et aux préfets les mesures d’investigation dévolues jusqu’ici aux juges d’instruction ; incroyable de voir l’ancien socialiste Christophe Castaner se transformer en Daladier.

« En marche » vers la destruction de la laïcité

La loi dite de 1905 a déjà été violée 17 fois hier par la droite et l’extrême droite mais aussi par une partie de la gauche. Macron s’apprête à vouloir être le 18ème violeur. Il prend le prétexte de la nécessité de durcir la police des cultes pour sanctionner les agissements des responsables des associations cultuelles lorsque les lieux de culte visent à combattre les principes laïques et républicains. Disons-le, il suffit de mesures réglementaires sans toucher à la loi dite de 1905. Mais il veut aussi mettre dans cette loi la promesse qu’il a faite à l’église catholique, qu’il n’a pas réussi à placer à l’article 38 dans sa dernière loi sur « l’État au service d’une société de confiance », à savoir la possibilité de mettre le patrimoine des immeubles de rapport de l’église catholique dans les associations cultuelles pour leur donner les avantages fiscaux de ces associations. Et, oui, le mouvement réformateur néolibéral, c’est de moins en moins d’argent pour le social et de plus en plus pour les églises !
Voilà pourquoi il faut soutenir l’action défensive dite du « cran d’arrêt » du Collectif national laïque et de sa trentaine d’associations rassemblées autour du Grand orient de France. Mais notre tâche principale est autre, elle est celle de l’offensive vers un modèle politique laïque et social, celle de l’appel « Combat laïque-combat social, fédérer le peuple » (www.combatlaiquecombatsocial.net ) pour continuer la bataille de l’émancipation sociale. Une bataille qui dure depuis la Révolution française à nos jours, en passant par la révolution de 1848, la Commune de Paris, le rétablissement de la République du temps de Jean Jaurès, le Front populaire jusqu’en 1937, la Résistance et le programme des « Jours heureux » du CNR, le Serment de Vincennes de 1961, la lutte pour recouvrer les trois circulaires de Jean Zay qui dura du 21 octobre 1989 au 18 novembre 2003 pour obtenir la loi du 15 mars 2004 (voir le livre « Laïcité : plus de liberté pour tous » que vous retrouverez dans la « librairie militante » de Respublica dans la colonne de droite de la page d’accueil) et enfin la proposition de loi Autun-Labarre au Sénat en 2011 (voir dans le même livre que précédemment) sur la promotion de la laïcité.
Dans tous ces combats ; force est de constater qu’une partie de la gauche socialiste, écologique et communiste n’a pas été du bon côté de la barricade notamment les dirigeants de la Ligue de l’enseignement et de la Ligue des droits de l’homme !

 

« En marche » pour la destruction du social

Après l’augmentation des inégalités sociales, de la misère, de la pauvreté, la destruction des services publics, de l’école de la formation du citoyen, de la Sécurité sociale, du Code de la mutualité en 2001, du Code du travail, nous voyons poindre la privatisation des profits et la socialisation des pertes. Du marché commun au traité de Lisbonne et au traité budgétaire (TSCG), le carcan contre toute politique progressiste est en place.
Une partie de la gauche socialiste, écologiste et communiste s’est même perdue dans ces reculs du social pensant toujours faire le dernier compromis pour sauver l’essentiel et pour finir par tout perdre.

« En marche » pour la destruction de l’écologie

À force de soutenir des textes non contraignants du style COP 21, de faire croire que la transition écologique et énergétique est compatible avec le capitalisme, une partie de la gauche socialiste et écologiste s’est compromise avec le mouvement réformateur néolibéral.

Pour retrouver le chemin de l’émancipation, rompre avec les pensées simplistes et magiques

Mais d’autres cancers guettent ! Les pensées simplistes et magiques (Yaka et Faukon) sont là pour désarmer le camp du travail et pour organiser des chemins de traverse qui seront utilisés ultérieurement par la droite néolibérale macroniste voire par l’Union des droites autour du RN. Ainsi le revenu universel de base restera un rêve sans fondements ou sera utilisé par les néolibéraux qui appliqueront les thèses de Milton Friedman dans Capitalisme et liberté de 1962. Ainsi, l’abandon du primat du combat global des luttes démocratiques, laïques, sociales et écologiques pour ne se consacrer qu’aux revendications sociétales et environnementales compatibles avec le capitalisme est une planche de salut pour le mouvement réformateur néolibéral. Ainsi, les mono-luttes sans lien avec les autres luttes participent à la division de la gauche. Ainsi faire croire que l’on peut aller vers la laïcité avec ceux qui pratiquent la laïcité usurpée de l’extrême droite et d’une partie de la droite, avec ceux qui pratiquent la laïcité d’imposture à gauche, avec les néo-concordataires qui se détournent du « je veux l’État chez lui et l’église chez elle » de Victor Hugo, est une insanité ! Ainsi, la croyance qu’il est possible de construire le chemin de l’émancipation avec les théories du capitalisme ce qui revient à vouloir résoudre des problèmes avec les théories, les hommes et les femmes qui les ont engendrés est une calamité. Ainsi, la croyance qu’il suffit pour avancer de désigner un coupable d’un crime ou d’un délit sans en rechercher les causes relève de l’imposture. Ainsi faire croire que l’on peut réformer l’Union européenne(UE) et la zone euro de l’intérieur (plan A) participe du désarmement intellectuel du peuple. Ainsi faire croire que l’on peut sortir de l’UE et de la zone euro par un plan B à froid par la simple volonté d’un dirigeant suprême est une imposture. Ainsi croire que l’on peut négocier sans désobéir immédiatement à la Commission européenne suite à une simple élection en arguant que la France est la deuxième économie de la zone euro est un mirage. Ainsi croire que l’on peut organiser une bifurcation sociale et politique sans situation paroxystique procède d’une méconnaissance des réalités historiques depuis 2500 ans ! Croire que l’on peut construire l’avenir sans philosophie matérialiste est une ânerie ! Ainsi croire à la stratégie des « républicains des deux rives » – alors que tous les républicains du CNR étaient sur la même rive – est une imposture ! Ainsi croire qu’une stratégie populiste de gauche tournant le dos à la lutte des classes est possible dans un pays développé est une sottise ! Ainsi croire que l’on peut promouvoir la démocratie avec une organisation sans processus démocratique est un non-sens. Ainsi croire que l’on peut faire la révolution par les urnes avec des gauches qui reculent électoralement est une fumisterie ! Etc.

 

Nos tâches de l’heure

Nous proposons un élargissement de notre Réseau autour de nos trois outils :
– le journal électronique Respublica (evariste@gaucherepublicaine.org ) adressé à 37 000 abonnés ;
– le Réseau Éducation Populaire (Rep, reseaueducationpopulaire@gmail.com ) qui est un centre de ressources qui fournit des intervenants et des comédiens pour monter des initiatives visant à la refondation de l’éducation populaire : conférence-débat traditionnelle ou interactive, cinés-débats, débat théâtral, conférences populaires sans conférenciers, web-radio, etc. (plus de 400 initiatives prévues en 2019). Utilisent déjà le Rep : des associations, des structures de base syndicales et politiques, des Mjc et centre sociaux, des écoles, des universités, des universités populaires, des groupes de gilets jaunes, etc.
– l’Appel « Combat laïque-Combat social, fédérer le peuple » (combatlaiquecombatsocial@gmail.com ) pour former ici et là des groupes militants d’intervention travaillant à la globalisation des combats (déjà plusieurs dizaines de groupes départementaux sont en formation). Une réunion nationale est prévue toute la journée du samedi 12 octobre prochain à Paris.

Ces trois outils sont à votre disposition ! Utilisez-les !

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Ligue du LOL : « me too » a encore fait sauter un verrou

par Rachel Haller

 

Tout a commencé par un message, le message de trop… Le 5 février, le journaliste Thomas Messias (victime régulière de membres de la Ligue du LOL) raillait dans un message sur Twitter « le journaliste modèle qui joue les exemples après s’être bien amusé au sein de meutes de harceleurs de féministes », sans citer de nom. Mais un des membres de cette « Ligue du LOL », Alexandre Hervaud (rédacteur en chef adjoint du pôle web de Libération), s’est senti visé et lui a répondu de manière très désagréable. S’en est alors suivi une série de témoignages de victimes qui exprimaient leur indignation face à ces anciens harceleurs qui semblaient n’exprimer aucun remord quant à leurs agissements passés, alors que dans leur milieu professionnel, ils prônaient des valeurs progressistes (féminisme, antiracisme, etc.) Ces remous ont suscité la parution d’un article le 8 février dans la rubrique Checknews de Libération (« La Ligue du LOL a-t-elle vraiment existé et harcelé des féministes sur les réseaux sociaux ? »), ce que l’on peut saluer puisque ce journal emploie deux membres de ce groupe informel (Alexandre Hervaud et Vincent Glad).

L’article en question dévoilait au grand public ce qui était à l’origine un groupe privé sur Facebook créé en 2009 par Vincent Glad. Ce groupe rassemblait principalement des jeunes hommes âgés d’une vingtaine ou trentaine d’années et évoluant dans le milieu du journalisme, de la communication ou de la publicité. À cette époque, le réseau social Twitter est un univers relativement restreint où se côtoient surtout des personnes travaillant dans les médias ou des adeptes des nouvelles technologies. Ces jeunes parisiens « cools et branchés » utilisent ce groupe privé principalement pour s’échanger des plaisanteries et des bons mots, mais il semble que certaines informations ont pu aboutir parfois à des actions ciblées sur Twitter : maîtrisant parfaitement cet outil, ils se servent de leur popularité sur ce réseau social et du soutien de leurs acolytes pour s’acharner sur certains comptes Twitter : principalement des femmes (surtout des militantes féministes) et des hommes qui ne correspondent pas à leur critère de virilité.

Depuis la publication de ces messages sur Twitter et après la parution de l’article de Libération, les témoignages se sont multipliés, montrant comment cette Ligue avait pourri la vie de ses victimes par un harcèlement et des campagnes de dénigrement qui ont nui à la réputation de ces personnes. Si les faits sont anciens et les preuves parfois difficiles à retrouver, certains ont depuis été reconnus par les auteurs. Par ailleurs, certaines victimes ont dénoncé des faits hors du cadre d’Internet : canulars téléphoniques, usurpations d’identité ou tentative d’intimidation sur le lieu de travail. Ce qui paraît très choquant aujourd’hui, c’est que beaucoup commettaient leurs piques au grand jour, même si des comptes avec pseudonymes ont pu être utilisés, l’anonymat n’est pas ici en cause car la plupart agissaient en signant de leur vrai nom, en toute impunité. Il faut dire qu’il y a plusieurs années harceler en ligne n’était pas encore considéré comme un délit. D’autre part, la majeure partie de la population n’était pas ou moins sensibilisé à des thèmes comme l’homophobie ou la grossophobie, ce qui a depuis changé, justement grâce à certains de ces militants et militantes visés.

À l’instar de la première vague du mouvement me too, l’indignation collective sur les réseaux sociaux a provoqué la redécouverte de méfaits vieux de plusieurs années et, pour la première fois, plusieurs de ces harceleurs se sont sentis forcés de réagir et ont publié durant le week-end dernier des messages d’explications ou d’excuses. La semaine qui vient de s’écouler montre à quel point le mouvement me too a transformé notre société et continue de le faire. Contrairement à ce qui s’était passé au début de l’affaire me too avec les témoignages qui concernaient le milieu du cinéma, la parole des victimes n’a pas fait l’objet de mise en cause et de tentatives de décrédibilisation, comme cela a pu être le cas dans des situations similaires précédentes et beaucoup d’entre elles ont eu le courage de témoigner à visage découvert. D’aucuns se gaussent à droite de voir cette affaire éclater dans « le camp du bien » (des membres de cette ligue travaillent pour Libération, Télérama, Inrockuptibles, Slate ou des sociétés de production comme Nouvelles écoutes) – et, en effet, on ne peut qu’être écœuré en découvrant des comportements scandaleux de personnes dont on pouvait aimer les créations et qui mettaient en avant des positions progressistes – mais, au moins, il n’y a pas eu cette fois-ci de tentatives de minimisation des faits, sous couvert de « blagues potaches », d’« humour grivois » ou de « mauvaises interprétations sorties du contexte ». De plus, les rédactions n’ont pas cherché à protéger leurs collaborateurs et ont pris très tôt des mesures fortes : mises à pied à titre conservatoire pour certains, arrêt pur et simple de toute collaboration pour d’autres et, enfin, deux membres ont choisi eux-mêmes de démissionner. Il est cependant regrettable qu’il n’y ait pas eu plus de nuances dans les sanctions, car, au sein de ce groupe, il semble qu’il y ait eut quelques hommes très mal intentionnés, quand d’autres étaient davantage des observateurs passifs, coupables d’avoir laissé faire et d’avoir gardé le silence.

Cette affaire est également l’occasion pour le journalisme parisien de faire son autocritique : il y a un manque de diversité criant dans la presse française. Certes, c’est une critique convenue, mais on en voit ici les conséquences : les personnes marginalisées par les rédactions (militantes féministes, personnes ayant des origines étrangères) n’ont pas osé témoigner durant de longues années de peur que ce soit encore plus difficile pour elles de percer dans ce millier fermé et cette homogénéité sociale a permis aux membres de cette ligue de prospérer sans s’inquiéter outre mesure puisqu’ils étaient en position « dominante » dans leur cadre professionnel. En outre, comme dans tant d’autres professions, les postes de pouvoir y sont très majoritairement occupés par des hommes : les derniers chiffres de la Commission de la carte de presse montrent qu’en 2019, sur 470 directeurs ou assimilés de médias titulaires de cette carte, 372 sont des hommes.

Enfin, cette nouvelle affaire met en avant une problématique jusqu’ici peu évoquée : la culture du « boys club » ou comment des hommes entretiennent mutuellement leur réputation, soutiennent les carrières des uns et des autres, organisent leurs réseaux, se cooptent pour parvenir aux bonnes places, tandis que leurs consœurs harcelées (en plus d’avoir perdu confiance en leurs capacités professionnelles) hésitent à frapper à la porte de rédactions dont elles savent qu’elles leur sont hostiles. Or, ce type de comportement commence dès la formation des « élites » de notre pays (rappelons notamment qu’a été récemment dénoncé le harcèlement quasi systématique des étudiantes au Lycée Saint-Cyr1). Il serait temps que les directeurs de ces établissements considèrent plus sérieusement ce problème et prennent des sanctions à la hauteur des enjeux.

Il est trop tôt encore pour savoir si cette série de révélations aura des retombées judiciaires (beaucoup de faits sont prescrits), mais on peut néanmoins déjà constater qu’elle est l’occasion d’une nouvelle remise en question salutaire ; son impact est très important chez la génération des jeunes adultes familière des réseaux sociaux. En effet, cette actualité montre une meilleure reconnaissance de la gravité du harcèlement et des dégâts causés aux victimes (elle pousse par exemple Libération à réfléchir à une Charte de bonne conduite en ligne), alors que plusieurs anciens harceleurs ont expliqué, parfois maladroitement, qu’ils ne s’étaient pas rendu compte des conséquences car ils baignaient dans la culture « du clash » et de « l’humour noir » qui paraissait être la règle sur Twitter (ou, en tout cas, un moyen de devenir plus populaire). Espérons que la lecture de témoignages permettra à l’expression sur les réseaux sociaux d’être plus bienveillante.

Plus généralement, il semble que depuis le début de me too, c’était comme si notre seuil de tolérance collectif face au sexisme et aux violences faites aux femmes avait nettement été abaissé. À la différence d’autres pays plus avancés sur ces questions, la France paraissait résister plus que d’autres à la diminution des inégalités hommes-femmes, notamment en raison d’un soi-disant modèle de « séduction à la française ». L’émergence de cette affaire de la Ligue du LOL et ses conséquences montrent que les comportements ont changé. Aujourd’hui la conscience de la domination masculine et des inégalités qu’elle engendre a franchi un palier significatif qui devra nécessairement nous mener vers plus d’égalité.

1 Voir l’enquête de Libération « Lycée Saint-Cyr : une machine à broyer les femmes », Guillaume Lecaplain et Anaïs Moran, 22/03/2018 (en ligne).

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Gilets jaunes et manipulations étatiques de la violence : une vieille histoire

par Régis de Castelnau

 

L’époque est à la dénonciation du « complotisme » concept élastique et désormais complètement galvaudé. Aidé par quelques supplétifs zélés comme le démontre la nouvelle « étude » réalisée par la socialiste « Fondation Jean-Jaurès », et par les éditocrates habituels, le bloc élitaire au pouvoir en fait deux usages. Tout d’abord disqualifier toute critique de la politique visant à adapter la France à la mondialisation financière et néolibérale, ensuite justifier toutes les atteintes à la liberté d’expression, celles déjà mises en place et celles projetées. Gare à celui qui prête des intentions et des actions au pouvoir, l’anathème tombera sur lui telle la foudre : « complotiste ! ». Depuis le début du mouvement « gilets jaunes » tous les observateurs honnêtes ont été amenés à se poser de beaucoup de questions concernant le comportement des forces de l’ordre dans les manifestations. Certains ont été jusqu’à accuser le ministère de l’intérieur de laisser faire les casseurs dans le but évident de disqualifier le mouvement et de faire peur. Malgré certaines évidences que la multiplication des vidéos a pu établir, ils ont immédiatement été foudroyés, hérétiques et relaps, par l’accusation majeure : « complotistes ! Comment pouvez-vous imaginer que le pouvoir puisse user de ce genre de comportement contre un mouvement social ? »

Eh bien justement il peut. Et c’est de cela que je peux témoigner.

23 mars 1979, la grande provocation

J’ai constaté la présence dans les manifestations de policiers (?) sans uniforme, habillés comme des Black blocks, et munis de marteaux sur l’usage desquels on pouvait légitimement s’interroger. Lorsque l’on sait que sous le régime d’Emmanuel Macron n’importe qui peut s’affubler d’un brassard et tabasser des manifestants, sans que la justice ne s’en émeuve beaucoup. J’ai lu force témoignages parlant de la passivité de la police au moment des déprédations et des pillages. J’ai vu que le profil des personnes arrêtées en masse et condamnées lourdement pour des infractions fantaisistes, démontrait qu’il ne s’agissait absolument pas des casseurs habituels qu’en général la police connaît. Alors, j’ai fini par me dire « tiens cela me rappelle quelque chose ».

C’était il y a longtemps, 40 ans précisément au moment des grandes luttes ouvrières qui sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, s’opposaient au démantèlement commencé de la sidérurgie française. La Lorraine et notamment la ville de longwy vivaient une situation de mobilisation populaire intense bénéficiant d’un large soutien dans l’opinion publique. Pour la première fois le monopole d’État de radiodiffusion était battu en brèche par la création de la toute première et illégale « radio libre » nommée : « Lorraine Cœur d’Acier ». Les organisations syndicales décidèrent d’organiser une grande manifestation à Paris le 23 mars 1979. Celle-ci aurait dû être un grand succès, mais elle fut complètement dévoyée par des violences considérables dont furent accusés les membres d’un groupuscule anarchisant appelé « les autonomes ». Naturellement, les médias ne s’intéressèrent qu’aux violences, pillages et déprédations. Et le pouvoir giscardien par l’intermédiaire du ministre de l’intérieur Christian Bonnet ne se gêna pas pour enfoncer le clou afin de disqualifier le mouvement des sidérurgistes. Sollicité pour défendre des personnes arrêtées à cette occasion, ce fut une totale surprise de constater que parmi elles ne figurait aucun des fameux autonomes que l’on avait pu voir sur les photos de presse. Étaient poursuivis des manifestants paisibles, parfois de simples passants, sur la base de dossiers manifestement fabriqués, ou sur des incriminations fantaisistes, mais en aucun cas des casseurs. Ce qui n’empêcha pas une justice zélée de distribuer des peines considérables qui furent confirmées en appel. Malgré la mobilisation d’un barreau de gauche ou les avocats socialistes avaient encore le souci des libertés publiques. Un autre épisode exactement de même nature eut lieu cette fois-ci à longwy avec la prise d’assaut et la fermeture par la police de la radio libre, provoquant ainsi une manifestation de protestation. Celle-ci fut brutalement réprimée et quelques participants arrêtés. Pour être poursuivis sur la base de dossiers, j’en témoigne, là aussi rigoureusement vides. Les médias, quoique très différents de ceux d’aujourd’hui, en profitèrent à nouveau pour prétendre à la disqualification du mouvement des sidérurgistes.

Quand la CGT enquête

La CGT, prise par surprise par ce dévoiement et saisie de nombreux témoignages entreprit alors un minutieux travail d’enquête à base d’investigations de recueil de photographies et de témoignages qui faisaient apparaître de façon criante les manipulations de la police et la volonté gouvernementale de cette provocation. Le service d’ordre de la CGT procéda d’ailleurs au moment de la manifestation, lui-même à l’interpellation de deux soi-disant « autonomes » pour constater qu’il s’agissait de policiers déguisés. Utilisant ce travail et le complétant avec celui que nous avions nous-mêmes effectués dans la défense des personnes poursuivies, Daniel Voguet, François Salvaing et moi-même avons publié un livre à ce moment-là intitulé : « La Provocation » qui relatait la façon dont les choses s’étaient déroulées. C’était il y a 40 ans, l’ouvrage a un peu vieilli ainsi que ses auteurs mais d’une certaine façon il reste de d’actualité car il témoigne comment un pouvoir politique confronté à un mouvement social populaire n’a aucun problème pour utiliser manipulations et provocations policières dans le but de le disqualifier. À cela s’ajoute la complaisance de la justice pour jouer sa partition dans l’opération. Si celle-ci fut déjà fort zélée à l’époque, ce qui vient de se produire avec l’incroyable répression de masse des gilets jaunes montre qu’on pouvait faire pire. Je me suis replongé dans la lecture de ce que j’avais écrit il y a 40 ans, ce qui m’a confronté à des bouffées de nostalgie mais aussi à des rappels qui trouvent quand même un drôle d’écho aujourd’hui. Volonté du pouvoir de l’époque d’affaiblir, isoler, et disqualifier la lutte des sidérurgistes, s’attaquer de front à des libertés fondamentales et d’abord au droit de manifestation. Les députés de la majorité refusèrent une commission d’enquête parlementaire, la presse de prendre en compte les preuves fournies par la CGT, et les magistrats acceptèrent de compléter le spectacle policier par un spectacle judiciaire tout aussi dévoyé. À la lumière de ce parallèle avec aujourd’hui, je peux rassurer ceux qui pensent que les gens du pouvoir Macronien n’auraient aucun scrupule à utiliser ce genre de méthodes : ils ne sont pas complotistes ! Pas plus que je ne l’étais il y 40 ans en faisant la démonstration de l’implication du pouvoir étatique de l’époque.

Être réaliste, pas complotiste

J’ajoute pour conclure que dans l’histoire du mouvement ouvrier et social, les provocations policières et judiciaires ont toujours été là. On rappellera que la date du 1er mai fête internationale des travailleurs, a été choisie à cause de ce qui s’est passé le 1er mai 1886 à Chicago. Une grève générale fut lancée pour obtenir la journée de huit heures. Dans une des manifestations qui se déroulaient une bombe sera jetée dans la foule. Sans la moindre preuve quatre dirigeants syndicaux seront condamnés à mort et pendus le 11 novembre 1887. Ils montèrent à l’échafaud en chantant la Marseillaise. En 1893, la révision du procès reconnaîtra l’innocence des inculpés ainsi que la machination policière et judiciaire destinée à briser le mouvement.

Emmanuel Macron et Christophe Castaner n’en sont pas encore là, heureusement. Mais penser, devant certains événements évidents ou troublants, que la brutale répression qu’ils ont décidée contre le mouvement des gilets jaunes peut faire l’objet de dévoiements et de manipulations, c’est être réaliste, pas complotiste.

Source : http://www.vududroit.com/2019/02/gilets-jaunes-manipulations-etatiques-de-violence-vieille-histoire/

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Le jaune et le noir : « Sérotonine » de Michel Houellebecq

par Patrick KESSEL

 

Patrick Kessel, président d’honneur du Comité Laïcité République, nous livre sa lecture du dernier livre du romancier star de l’édition française : « Sérotonine » de Michel Houellebecq, Ed Flammarion, décembre 2018.

Michel Houellebecq, est-il le plus pessimiste de nos écrivains ou bien un des plus intuitifs ? En écrivant son dernier roman Sérotonine, avait-il pressenti  le mouvement des « gilets jaunes », ainsi que l’ont écrit plusieurs critiques littéraires? Probablement oui car cet auteur a du flair. La dépression sociale, culturelle, individuelle qui s’abat sur notre pays et qu’il relate avec pertinence est telle qu’on pourrait sortir de cette lecture désabusé, résigné et prêt comme le « héros » à se bourrer de sérotonine pour masquer la perte de sens et d’envie de vivre.

Une nouvelle fois, Michel Houellebecq souligne le trait jusqu’à la caricature, appuie là où ça fait mal. Dans Soumission, son précédent roman, il avait suscité la polémique en annonçant le danger du communautarisme, islamiste en l’occurrence, dont les thuriféraires savent exploiter les droits et principes de la République jusqu’à les retourner contre eux-mêmes. Il dénonçait la soumission progressive d’une partie de nos intellectuels et de nos politiques au différencialisme. C’est désormais chose accomplie avec le  détournement de l’antiracisme qui voit de l’islamophobie dans la moindre critique de l’islamisme politique, avec le détournement du féminisme, des femmes revendiquant un droit à porter le voile quand des millions d’autres risquent la mort pour ne pas le porter, avec le détournement de la laïcité, vilipendée au nom d’un droit à la différence qui nourrit la différence des droits, renoue avec les inégalités entre hommes et femmes, déconstruit les fondements mêmes de la citoyenneté républicaine.

Après la soumission, la résignation. Dans Sérotonine, l’auteur dresse l’implacable bilan d’une génération  confrontée à l’échec des idéaux de sa jeunesse, à l’inhumanisation des villes, à la destruction des campagnes et des agriculteurs traditionnels, à l’ultra-libéralisation de l’économie, à la soumission à des modèles culturels consuméristes, au sentiment d’impuissance, à la résignation politique. « Avons-nous cédé à des illusions de liberté individuelle, de vie ouverte, d’infini des possibles », poursuit-il comme si toutes les espérances se mourraient ? Sans céder au discours « c’était mieux avant » propre aux générations vieillissantes, l’auteur constate « qu’avant , notamment quand le développement des réseaux sociaux n’était qu’embryonnaire »… « les gens vivaient davantage ». Il y avait encore des espaces pour se glisser entre les modes consuméristes qui font office de libertés nouvelles. 

Et de moquer les « japoniaiseries parisiennes », les « culteries » conformistes d’une avant-garde bobo, d’une apparente libération des moeurs qui débouche en réalité sur « la disparition de la libido occidentale ».

Houellebecq croit davantage aux émotions qu’aux belles idées. Mais son personnage doit se résigner à son impuissance, pas seulement celle que provoque la consommation régulière de fortes doses de sérotonine,  mais son incapacité à sauver Aymeric, son ami de jeunesse, genre aristocrate agriculteur, qui va sombrer dans la rébellion nihiliste et suicidaire.

Impuissance aussi à concrétiser l’espoir de retrouver  son amour perdu. Ultime illusion ? Le bonheur ne serait-il qu’ «une rêverie ancienne » en ce monde marqué par « l’endurcissement des coeurs » ?

Résigné à la solitude du malheur, l’anti-héros s’interroge : « étais-je capable  d’être heureux dans la solitude ? ». Qui ne voit dans cette impudique interrogation, l’incarnation de cette masse silencieuse de gens qui survivent seuls, solitaires, marginalisés, résignés, dans un monde d’hyper-communication où l’on parle plus aisément à un étranger au bout du monde qu’à son voisin de palier ?

Houellebecq ne fait jamais dans la demi-mesure.

Cette course à l’abîme, cette quête d’amour est aussi le miroir d’un monde qui détruit ses solidarités alors que de de toutes parts  des mutations incontrôlables sont à l’œuvre.

N’est-ce pas ce message émouvant que nous ont transmis ces femmes et ces hommes gilets-jaunes qui, occupant les ronds-points, expliquaient qu’ils trouvaient dans leur action une envie d’être ensemble, d’être reconnus, respectés, d’exister, de faire sens ensemble ? Un message qui en dit long sur la profondeur de la fracture culturelle qui accompagne la fracture sociale.

Son Monsieur Jourdain qui fabrique du malheur comme le personnage de Molière faisait de la prose sans le savoir, survit en consultant le bon docteur Azote qui lui prescrit à volonté son oxygène sous forme d’antidépresseurs. « Une civilisation meurt par lassitude, par dégoût d’elle-même », écrit le narrateur  qui poursuit, « est-ce vraiment grave de suicider ce qui est déjà mort ? ».

Houellebecq s’est fait une spécialité de briser les idoles, de renverser les préjugés, en particulier ceux d’une modernité en trompe-l’oeil et de faire le tour des illusions perdues d’une génération qui pensait changer le monde et que le monde a changé.

Noir est la couleur de Houellebecq mais, depuis Soulage, nous savons que noir est une couleur qui contient les autres. Au cœur du désespoir, l’auteur ne se résigne pas à ne transmettre que des désillusions aux nouvelles générations. Son pessimisme fonctionne aussi comme une alarme.

A l’autonomisation émancipatrice des Lumières s’est substituée de fait l’individualisation des problématiques avec un déni du lien social, politique et de la Res-Publica. A chacun de se débrouiller avec sa dépression et de trouver sa sérotonine.

Houellebecq nous met en garde. Il peut être entendu comme un appel au sursaut, une bouteille à la mer, pour appeler les femmes et les hommes de bonne volonté à toujours se relever, à reprendre le projet émancipateur des Lumières, à construire en même temps une société plus juste et une personnalité épanouie.



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