n°900 - 29/04/2019
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1er mai 2019 : c'est le moment !

par Évariste

 

Cette année, le 1er mai – journée internationale des travailleurs – s’inscrit dans un contexte particulier, après le « 24ème acte » du mouvement des gilets jaunes et presqu’une semaine après les « non-annonces » du Président de la République qui continue d’appliquer son programme ultra-libéral. Ce n’est pas la première fois que cette journée de mobilisation traditionnelle revêt un caractère spécial. Il suffit de regarder quelques années en arrière pour s’en apercevoir, en 2002 – lors de l’entre-deux-tours présidentiel alors que le Front national était au second tour – ou en 2016 – lors de la « loi travail » – ou bien encore simplement l’année précédente avec un niveau de radicalité très présent dans plusieurs grandes villes de France. Alors pourquoi cette année serait si spéciale ?

Il n’est donc pas question de tout miser ou de tout espérer d’un 1er mai qui permettrait de gagner en une seule journée – nous savons que la construction du rapport de force passe aussi par la construction des organisations politiques, syndicales, d’éducation populaire – mais il convient de réfléchir à la portée symbolique et stratégique de cette journée actuellement. En effet, celle-ci survient après cinq mois de mobilisation sociale dans le cadre d’un mouvement atypique et fort que représentent « les gilets jaunes », après une mobilisation toute aussi importante sur les thématiques écologiques et dans un contexte où le gouvernement (qui a certes été obligé de lâcher sur quelques points) continue de vouloir appliquer sa politique de classe envoyant un signal fort qui doit appeler une riposte générale. Mais ce n’est pas tout, car trois points viennent s’ajouter à cette situation qui peuvent la rendre en somme exceptionnelle :

Le mouvement syndical combatif qui comprend la nécessité d’avoir un 1er mai très réussi pour différentes raisons. Côté CGT, l’approche du 52ème congrès compte pour la mobilisation, de plus en interne la contestation gronde contre le réformisme de la « direction » (qui a débouché sur un appel de plusieurs fédérations et unions départementales il y a quelques semaines pour le 27 avril 2019) et il ne faut pas oublier que certains militants CGT souhaitent que le syndicat revienne sur le devant de la scène. Côté Solidaires, si le syndicat a pris position assez rapidement pour le mouvement des gilets jaunes et que la jonction dans le secteur privé s’est faite plus facilement avec ces derniers, il sait également l’importance d’exister en tant que tel lors du 1er mai, mais le versant fonction publique prépare aussi la date du 9 mai comme une journée de grève nationale. Des secteurs fortement mobilisés comme l’éducation devront aussi grossir les rangs, notamment avec la FSU.

La tentation du tout répressif par le gouvernement (interdictions administratives de manifester, véhicules blindés, flash-balls, brigades des voltigeurs remises en place…) qui n’aura pas éteint la contestation mais au contraire rassemblé dans une fraternité sociale des mouvements et citoyens qui ont tous été frappés par la violence, « pacifistes » compris. Il s’agit donc d’un moment important, à savoir celui où il faut démontrer que la liberté de manifester, d’expression, base d’une société démocratique, ne peut être remise en cause impunément par le gouvernement. Les appels à un « acte ultime », à l’alliance des gilets jaunes et rouges, à une contestation générale, circulent massivement sur les réseaux sociaux et militants et pourraient être partagés par de nombreuses personnes passant outre les chapelles et le sectarisme.

L’auto-organisation acquise dans le cadre du mouvement des gilets jaunes par des dizaines de milliers de citoyens, qui en plus de s’être fortement conscientisés, savent que la convergence est nécessaire, qu’il est indispensable de s’allier avec le mouvement syndical notamment et que le 1er mai représente une journée qui pourrait être la démonstration de force nécessaire pour faire plier le gouvernement. Ainsi, sans avoir besoin d’organiser des montées en car à Paris, la ville devrait bien être l’épicentre d’un mouvement pluriel, aux modalités de manifestation différentes, mais unies dans un ras-le-bol explosif.

Si nous rajoutons à cela l‘approche des élections européennes, les organisations politiques devraient mobiliser de manière importante, du mouvement anarchiste dès le matin (il faut aussi prendre en compte le renforcement relatif de ces organisations depuis quelques mois) jusqu’aux partis politiques avec essentiellement la France insoumise, mais aussi sûrement un rebond du PCF. Autant dire que chaque appareil et courant a toutes les raisons du monde de se mobiliser de manière conséquente cette année, qu’il s’agisse de raisons stratégiques, de calendrier interne ou politique… mais aussi pour opposer une réponse au gouvernement avec un mouvement social qui peut faire trembler le pouvoir s’il reste déterminé.

Cette journée du 1er mai ne résoudra pas les questions du blocage de l’économie, de la construction d’une grève public/privé réellement effective, mais a déjà permis de faire bouger les lignes dans de nombreux collectifs militants, sur la nécessité de hausser le ton pour se donner les moyens de construire une République réellement sociale. Il s’agit d’un moment qu’il faut saisir, en se donnant les moyens possibles de réussir ce 1er mai, c’est-à-dire commencer par toutes et tous y participer, avec ou sans gilets jaunes, avec ou sans attaches politiques ou syndicales, mais pour faire masse et marcher vers nos objectifs.

Alors si vous hésitez encore à sortir demain, en pensant qu’il s’agit d’une énième manifestation, c’est peut-être le moment d’y aller et d’entraîner le plus grand nombre !

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Pour une écologie populaire et républicaine, une convergence avec les gilets jaunes

par Michel Marchand

 

Au moment où l’Assemblée des Assemblées des Gilets Jaunes se tenait le 7 avril à Saint Nazaire et appelait à une convergence écologique, l’Union des familles laïques (UFAL) publiait dans son numéro 76 (https://www.ufal.org/ufalinfo/ufal-info-n76-pour-une-ecologie-laique/) un « Dossier spécial écologie. Pour une écologie laïque » dans lequel figurait un article « Pour une écologie populaire et républicaine » (du même auteur) qui contribue à apporter un éclairage à la situation actuelle, tente de définir les bases pour la reconstruction d’une écologie populaire en l’illustrant par des exemples concrets aptes à transformer la vie d’une société.

Reprenons le texte de l’appel à une convergence écologique : « L’Assemblée des Assemblées des Gilets Jaunes prend acte de l’urgence environnementale, sociale et démocratique. C’est la même logique d’exploitation infinie du capitalisme qui détruit les êtres humains et la vie sur Terre. La limitation des ressources nous oblige à poser la question de leur partage et du contrôle de la production. Les dérèglements climatiques, l’effondrement de la biodiversité et le péril nucléaire sont autant de menaces qui pèsent sur notre avenir. Les biens communs (eau, air, sol, droit à un environnement sain) ne doivent pas être transformés en marchandises. La taxe carbone est l’exemple parfait de la fausse écologie punitive qui cible les gens qui ne sont pas responsables. Or il y a des responsables et des pollueurs à qui s’attaquer directement par des actions coordonnées. Les gilets jaunes invitent toutes les personnes voulant mettre fin à l’accaparement du Vivant à assumer une conflictualité avec le système actuel, pour créer ensemble, par tous les moyens nécessaires un nouveau mouvement social écologique populaire. L’indignation ne suffit plus, passons à l’action ».

L’appel prend donc acte de la triple urgence sociale, écologique et démocratique produite par l’exploitation infinie du capitalisme qui détruit êtres humains et nature. La réponse à cette urgence pose la question du partage des ressources (limitées) et du contrôle de la production. Les biens communs ne doivent pas être transformés en marchandises. Il est appelé à créer un nouveau mouvement social écologique populaire.

La situation actuelle est bien une triple crise écologique, sociale et démocratique héritée d’une politique constante de plus de trente ans, assumée par la classe dirigeante au pouvoir et définie par les orientations ultralibérales de l’Union européenne.

L’homme est devenu une force d’évolution bouleversant les processus géologiques, changeant la composition de l’atmosphère, modifiant le climat à l‘échelle planétaire, agissant sur la biosphère à la fois sur un plan quantitatif (extermination d’espèces animales) et qualitatif (érosion de la biodiversité). Toutes ces évolutions majeures, se placent dans un contexte de mondialisation, dont la caractéristique essentielle n’est pas la nouveauté, mais l’ampleur et l’intensité. C’est ainsi que la crise écologique est définie par le terme d’anthropocène (ou l’ère de l’homme si l’on se réfère à l’homme en général) ou de capitalocène (si l’on se réfère au système économique qui en est la cause).

Malgré les deux grandes conventions internationales sur le climat et la biodiversité signées en 1992 à Rio, le début du siècle actuel n’a pas vu les changements attendus. L’écologie politique n’a pas réussi à convaincre malgré le fait qu’elle se soit construite comme une critique de la société industrielle et de ses aspects productivistes et de consommation. Placer l’écologie dans le débat politique en lien avec le système économique dominant a fait surgir des mots clés : développement durable, capitalisme vert, économie verte, finance verte. Pour illustrer l’impasse actuelle, on ne peut que renvoyer à l’ouvrage d’Antonin Pottier « Comment les économistes réchauffent la planète » (ed. Seuil) qui montre comment l’analyse économique coût-bénéfice (les coûts supportés n’ont de sens qu’au regard des bénéfices qu’ils apportent) minimise la gravité du changement climatique (avec un réchauffement aux environ de 5°C, les dommages économiques seraient en-dessous de 5 % du PIB!). Le réchauffement climatique pour les économistes néolibéraux devient un phénomène anodin en comparaison de la crise de la dette en Grèce qui a provoqué une diminution de 25 % de son PIB entre 2007 et 2014). Un proverbe japonais rappelle « si votre seul outil est un marteau, tout ressemble à un clou ». Si pour les économistes néolibéraux, le seul outil est la croissance, tout ressemble donc à un besoin de croissance.

Si l’environnement va mal, les gens vont mal aussi. Depuis une quarantaine d’années, les inégalités augmentent dans presque tous les pays du monde (cf. les données l’Observatoire des inégalités https://www.inegalites.fr/monde). Pour expliquer une telle évolution, le facteur déterminant est la privatisation des capitaux qui limite la capacité des États de réguler l’économie, redistribuer les revenus et freiner la croissance des inégalités. Les inégalités structurent de plus en plus la société française. La pauvreté concerne à présent 9 millions de personnes, soit 14 % de la population française. Si Emmanuel Macron parle de « pognon de dingue » pour évoquer les minima sociaux perçus par plus de 4 millions de personnes, ce système de protection sociale fait reculer d’environ 10 points le taux de pauvreté qui est de 24 % avant redistribution. La protection sociale est basée sur le régime de la Sécurité sociale. Réduire les salaires, précariser les conditions du travail au titre de la compétitivité des entreprises conduit mécaniquement à accentuer les inégalités et la précarité. Envisager la réduction de la protection sociale accentue la pauvreté, réduire ou supprimer les services publics contribue à détruire la cohésion sociale. C’est bien sur cette logique mortifère d’aggravation constante des inégalités que se situe le terreau du mouvement des revendications sociales des Gilets jaunes.

L’absence de justice climatique et de justice sociale conduit à une rupture avec les classes politiques dirigeantes. La dernière COP 24 qui s’est tenue en décembre 2018 en Pologne s’est déconnectée de l’urgence climatique et un gouffre s’est creusé entre la réalité du réchauffement de la planète et l’action politique, certains avançant même l’idée que tout le monde avait l’air de s’en foutre. Le lien entre crise écologique et crise sociale est apparu lorsque le gouvernement a voulu imposer une fiscalité écologique sans justice sociale. La citation a fait florès « vous me parlez de la fin du monde, je vous parle de la fin du mois ». La crise démocratique résulte d’une perte de confiance qui s’est peu à peu installée dans la société et il serait bien présomptueux d’en prédire les effets et les conséquences. Il est possible par contre, de dater ce qui en fut le point de départ. Le refus par la classe politique française (PS, UMP, EELV) de prendre en compte le résultat du referendum de 2005 à propos du Traité constitutionnel européen (TCE), pour lequel les électeurs restaient fidèles dans leur ensemble à l’idée d’une construction européenne, mais pas de cette Europe-là, fut un déni démocratique qui a marqué durablement les consciences citoyennes.

La reconstruction pour une écologie populaire doit se définir sur des principes de base capables de toucher tous le secteurs de la vie en société

Dans l’enchevêtrement de positions, d’écoles de pensées tant écologiques, sociales, économiques, ne pas choisir serait synonyme de renoncement, d’impuissance. S’impose par conséquent un choix. On ne peut plus s’accommoder de ce pilier de l’idéologie néolibérale, à savoir que plus les riches sont riches, plus la société dans son ensemble est prospère, cette fameuse et fumeuse théorie du « ruissellement » chère à notre président actuel. L’ouvrage de Wilkinson et Pickett (Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous. Ed. Les Petits matins) démontre l’inanité de cette vision. A partir d’un certain niveau de richesse collective, l’augmentation supplémentaire de cette richesse produit beaucoup moins d’effets positifs que dans les pays plus pauvres où la croissance du PIB est une des conditions de l’amélioration du bien être (le début de l’effet asymptotique de l’espérance de vie mesuré selon le PIB par habitant se situe autour de 15 000 dollars par an). Le second point tient à la démonstration suivante, l’état de santé, l’espérance de vie, l’obésité, la santé mentale, la toxicomanie, les succès ou échecs scolaires, le bilan carbone, le recyclage des déchets, tous les chiffres vont dans le même sens : l’inégalité des revenus nuit de manière flagrante au bien être de tous. La réduction des inégalités devient à ce titre un objectif politique majeur autant social qu’environnemental.

La dégradation de l’environnement n’est pas un accident, elle s’inscrit dans la logique du capitalisme. Le capital est devenu une valeur qui se développe de manière autonome, sans limites et sans aucune considération des limites d’un monde fini. La promesse d’un « capitalisme vert » ou l’espoir d’un salut écologique par de nouvelles technologies ne sont qu’illusions. Le type d’ajustement prôné par cette promesse ne répond pas à la question essentielle « Pourquoi la destruction du monde se produit-elle ? », et il est impossible de trouver des solutions réelles et durables, si nous ne sommes pas capables de répondre à cette question.

La transition écologique. Celle-ci doit s’appuyer sur un principe qui puisse rompre avec la logique du productivisme actuel. Il faut affirmer la priorité écologique sur l’intérêt économique. Une proposition qui fait sens est l’instauration de la « règle verte » qui permet une pensée globale, la gestion du temps des ressources naturelles et introduit dans le débat politique la question du temps long de la planification écologique. La « règle verte » est l’obligation de ne pas prélever sur la nature plus de ressources renouvelables que ce qu’elle peut reconstituer, ni de produire plus que ce qu’elle peut supporter. Les applications d’une telle règle sont nombreuses. Elle serait opposable à tout projet d’aménagement et permettrait d’interdire les projets de bétonisation de zones humides ou de terres agricoles, comme les nombreux projets de méga centres commerciaux (ex. Europacity au nord de Paris). L’application de la règle verte n’est envisageable que si l’on s‘oppose aux effets du libre échange dont le bilan est désastreux à bien des égards : délocalisations, baisse des salaires pour le maintien de la compétitivité, désindustrialisation, chômage de masse, hausse de la pauvreté et des inégalités. Pour imposer cette idéologie libre-échangiste, la classe politiques dirigeante a fait en sorte que le « protectionnisme » soit un mot tabou et exclut de tout débat politique. Oser le protectionnisme n’est pas une utopie s’il est construit comme un protectionnisme écologique et social. Poser les jalons d’un autre modèle d’échange international peut constituer un levier puissant pour garantir les droits sociaux élevés et surmonter la crise écologique.

Le travail. Le libre-échange a provoqué sur plusieurs décennies la désindustrialisation du pays. Un emploi industriel génère trois à douze emplois dans les services, l’inverse évidemment non. La désindustrialisation conduit au chômage de masse et à la désertification des emplois hors des grandes métropoles. Ainsi, plus de 2 millions d’emplois industriels ont été perdus durant les quarante dernières années. Le processus de désindustrialisation alimente la crise sociale et n’est pas déconnecté des préoccupations écologiques. La désindustrialisation induit le chômage de masse, la multiplication des petits boulots, la précarisation de l’emploi, les bas salaires qui au-delà de la paupérisation de la société fragilise chaque jour davantage le système de protection sociale conçu pour être financé non par l’impôt mais par la cotisation sociale. Les délocalisations déplacent les productions, là où les salaires sont les plus bas et obligent à transporter les marchandises sur des milliers de kilomètres, là où elles sont consommées dans les pays les plus riches ; elles constituent un moteur important de la crise écologique.

La santé. La Charte de l’environnement proclame que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de sa santé ». Si la population en France a progressé de plus de 20 % entre 1990 et 2008, les cancers (1,8 million par an) ont augmenté quatre fois plus vite que la croissance de la population. Pour le diabète (1,8 million), c’est une augmentation cinq fois plus rapide. Quant aux affections psychiatriques de longue durée (1,0 million), la croissance serait encore plus grande si le néolibéralisme ne préférait pas l’emprisonnement au traitement des pathologies. Deux arguments souvent entendus mettent en opposition crise écologique, compétition économique et protection sociale. Le premier argument postule que la croissance est nécessaire au financement de la Sécurité sociale, or cette même croissance est l’une des causes de la dégradation environnementale. D’où cette question : que peut être une Sécurité sociale dans une société sans croissance ? Le second argument postule que la Sécurité sociale est une « charge », elle est présentée comme une dépense qu’il s’agirait de réduire au nom de la compétition économique. Dans ce contexte et pour résoudre le dilemme environnemental, certaines propositions sont en faveur de mesures fiscales vertes afin de réduire les émissions polluantes et en même temps d’une diminution des cotisations sociales pour préserver l’emploi et la compétitivité. En d’autres termes, la contrainte écologique sommerait les travailleurs à réduire leur protection sociale. Comment sortir d’une telle impasse ? Plutôt que céder à l’idée d’une impasse, avançons plutôt l’idée que Sécurité sociale peut rimer avec écologie ; une telle proposition soulève un large débat qui engage toutes les composantes de la société. Associer la rupture écologique et l’avenir de la Sécurité sociale repose sur plusieurs raisons. L’une d’entre elles rappelle que tout le système de santé et de protection sociale a été construit avec comme menace principale les maladies infectieuses. Aujourd’hui, ce sont les maladies chroniques qui sont la principale menace. Il y a donc là matière à penser de façon écologique la rupture nécessaire en passant d’une logique de soins à une logique de santé.

Les transports. Le mouvement de protestation des Gilets jaunes a démarré sur la taxation du carburant aux seuls automobilistes, au motif de la transition énergétique, tout en laissant de côté la taxation du kérosène des avions et du fioul lourd du commerce maritime et des paquebots de croisière. Une écologie populaire doit intégrer le concret et le quotidien de la vie des gens. L’usage de la voiture en milieu rural est directement en lien avec la disparition programmée des services publics ou des petits commerces dans les centres villes nécessitant les déplacements dans les périphéries urbaines. La réforme du ferroviaire aurait du intégrer les considérations environnementales et sanitaires, ce qui n’a pas été le cas dans le projet gouvernemental axé sur un seul et même objectif, la concurrence et la privatisation de la SNCF, imposées par la Commission européenne. Le démantèlement actuel du réseau ferroviaire va se traduire par le transfert des lignes jugées non rentables aux régions pour réduire le coût des dépenses d’entretiens supportées par l’État. Faute de financement, les régions ne pourront faire face à une telle charge et 14 000 km de lignes sont menacées de fermeture. Le gouvernement se dédouane de ses responsabilités, en laissant la voiture individuelle répondre aux nécessités des citoyens et fait la promotion du transport par autocars (cf. loi Macron de 2015) avec Ouibus, filiale de la SNCF qui volontairement instaure une concurrence avec ses trains.

Le logement. Le nombre de personnes confrontées à la crise du logement ne cesse d’augmenter : 143 000 personnes sans domicile fixe (une augmentation de 50% en 10 ans), 4 millions de personnes mal logées et plus de 12 millions fragilisées par rapport au logement (locataires en situations d’impayés, précarité énergétique, effort financier excessif, etc.). Depuis plus de 40 ans, les gouvernements successifs se sont désengagés du financement du logement social et le dispositif ultra-libéral actuel adopté avec la loi ELAN (« Evolution du Logement et Aménagement numérique ») porte un coup fatal au logement social. La Confédération nationale du logement (CNL) s’est opposé à la loi ELAN, se basant sur les enjeux sociaux et écologiques pour une véritable politique du logement en France. Le droit au logement est un droit fondamental et seuls les organismes de logement social sont en capacité de répondre aux besoins et non leur privatisation. Les HLM constituent un modèle de société et le relèvement du plafond de ressources permettrait l’accès des ménages à revenu moyen au logement social, évitant ainsi la mise en ghetto des plus défavorisés (projet gouvernemental).

L’alimentation. L’alimentation en Europe est dominée par le système industriel agro-alimentaire. L’agriculture utilise massivement des variétés hybrides, des fertilisants, des pesticides, avec une mécanisation à outrance. La distribution dépend du transport des marchandises sur de longues distances, des marchés internationaux et des systèmes de grandes distribution. La taille des exploitations agricoles ne cesse d’augmenter, les agriculteurs ne représentent plus que 3 % de la population active et les inégalités se creusent entre petites et grandes exploitations. La « malbouffe » devient une grave atteinte à la santé des personnes, trop de sel, trop de graisses, trop de sucres, trop de protéines. La modification du régime alimentaire joue un rôle clé dans l’augmentation des maladies chroniques évoquées précédemment. Un changement de modèle agricole s’avère nécessaire et la transition déjà mise en œuvre par certains doit permettre de donner des perspectives économiques aux paysans et aussi de répondre à l’urgence climatique, environnementale et sociale.

La culture. Freud voyait dans la culture (au sens large, ce qui relève de l’institution humaine et se différencie de la nature) le renoncement aux pulsions. On ne peut que s’interroger sur le fait que si la crise écologique est liée à un productivisme effréné, la production qui en résulte doit bien être consommée quelque part. La culture est aussi œuvre créatrice et partagée. Les comédiens de la compagnie de théâtre Naje (http://www.compagnie-naje.fr/) qui travaille pour la transformation sociale et politique n’a pas hésité à mettre en scène le concret et le quotidien de l’écologie en invitant les spectateurs à prendre la place des acteurs pour essayer de changer le cours des choses dans un joli moment de réflexion collective autour de la mise en œuvre d’une écologie populaire. La culture au sens concret du terme de jardins partagés, au pied d’immeubles dans les quartiers populaires, peut représenter des initiatives qui recréent du lien entre les habitants, retisse des solidarités, génère des économies et permet de récupérer des espaces publics parfois abandonnés à la violence. Ces jardins peuvent contribuer à reconfigurer un équilibre qui ne se contenterait pas seulement d’insérer de la naturalité dans les villes, mais de corriger certaines dérives alimentaires dont les maux, tel que l’obésité est l’une des conséquences les plus marquantes ? C’est le sens par exemple du projet de recherche JASSUR (Jardins Associatifs Urbains et villes durables) qui tente de dévoiler l’influence du jardin sur les pratiques et les représentations liées à l’alimentation des jardiniers et de leurs familles. L’expérience menée à Marseille montre comment l’accès à un jardin associatif, implanté au pied d’immeubles dans les quartiers d’habitat social, contribue à une amélioration de l’alimentation, mais dépasse de loin le cadre nutritionnel et se rapproche du monde social, l’estime de soi, la faculté de se projeter dans l’avenir, la socialisation à de nouvelles pratiques.

Les trois crises qui se conjuguent, écologique, sociale et démocratique nécessitent un autre regard sur la société et une nouvelle organisation économique et politique. Le dernier rapport d’Attac corroborent la nécessité d’une nouvelle orientation : il est révélé qu’entre 2010 et 2017, les impôts versés par les entreprises du CAC 40 ont baissé de 6,4 % alors que leurs bénéfices cumulés ont augmenté de 9,3 % et les dividendes versés aux actionnaires de 44 %, tandis que leurs effectifs en France baissaient de 20 %. L’année 2018 a été une année record pour le versement des dividendes aux actionnaires du CAC40 avec un total de 57,4 milliards d’euros. Avec un tel constat, quelle justice sociale peut-on attendre quand les profits, les dividendes et les rémunérations des hauts dirigeants s’envolent, alors que les effectifs mondiaux stagnent et diminuent fortement en France ? Quelle justice climatique peut-on attendre lorsque les émissions de CO2 des sites les plus polluants du pays ont augmenté de 5 % en 2017 et que ces émissions, notamment issues d’entreprises du CAC 40, échappent largement à la fiscalité carbone ? Quelle justice fiscale peut-on attendre si les entreprises du CAC 40 ont plus de 2 500 filiales dans les paradis fiscaux et payent moins d’impôts aujourd’hui qu’en 2010 ?

Une écologie populaire et républicaine est possible et non une fiscalité écologique injuste, purement punitive. Un telle approche remet fondamentalement en cause le système économique actuel et il est essentiel de comprendre que la situation actuelle est la conséquence directe d’une orientation politique planifiée depuis plusieurs décennies par la classe possédante. Celle-ci utilise deux grandes armes de destruction massive du salariat, à savoir la mise en place du libre-échange généralisé à l’échelle mondiale via les institutions internationales et à l’échelle européenne via les divers traités européens. A ce titre, les prochaines élections européennes, même si le Parlement européen n’a pas la prérogative des lois, devraient pouvoir être aussi l’occasion de clarifier le débat et d’aborder conjointement les crises écologique, sociale et démocratique qui traversent aujourd’hui l’espace européen.

Retrouvez très bientôt dans le numéro 76 de l’UFAL Info une version plus détaillée !

Combattre le racisme
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D'où parles-tu, camarade ?

par Sacha Ghozlan

 

La tribune du Président de l’UEJF sur les inquiétantes dérives de l’UNEF à l’occasion la tenue de ses Assises contre le racisme.

Je t’ai rencontré à l’Université. Tu militais pour défendre les droits de tous les étudiants. Nous assumions des désaccords politiques mais républicains en conseil universitaire ou au sujet de la politique nationale.

Je t’ai connu laïc et farouchement républicain, universaliste et de tous les combats pour les opprimés, pour la justice et pour l’égalité. Je t’ai trouvé à nos côtés en Pologne et au Rwanda pour préserver les Mémoires, en Israël à la rencontre d’une société civile porteuse d’espoir de paix, à Lyon III et à Assas pour combattre l’extrême droite. Ta présence à nos côtés était alors si précieuse.

Quelques années se sont écoulées et tu t’es éloigné. Je ne te reconnais plus.

Ton bureau national se réunit en non-mixité raciale quand il ne méprise pas l’incendie de Notre-Dame de Paris dont il estime qu’il s’agit d’une histoire de « Français blancs ». Tu adoptes le vocabulaire des Indigènes de la République, tu demandes à censurer Charb et Eschyle à l’Université, tu restes muet quand nos locaux sont vandalisés à Tolbiac ou à Dauphine sur fond d’antisémitisme et tes sections locales appellent au boycott d’Israël. Et si tout cela pourrait sembler anecdotique, tu ponctues désormais chacune de tes phrases de qualificatifs raciaux : « blancs » et « racisés ». Par-delà l’Université, les Français entendent ce grand basculement idéologique.

D’où parles-tu, camarade ?

Si tu posais cette question dans une logique marxiste pour démontrer que tout orateur expose ses thèses selon sa construction sociale, tu la déplaces aujourd’hui vers une construction raciale. Et je crains que, de la lutte des classes, tu ne deviennes aujourd’hui que le sombre héraut d’une lutte des races. Tu te coupes de la société, des victimes de racisme mais aussi de ceux dont l’identité plurielle, mouvante et complexe ne peut se réduire à une intersectionnalité dont on voit bien qu’elle produit elle-même une violence symbolique.

Ton Union organise cette semaine des Assises contre le racisme. Dans la vidéo officielle de lancement, tu le dis avec certitude « les dominants sont les blancs, tandis que les racisés sont les personnes non-blanches. Il existe un racisme systémique ».

Le racisme doit être combattu sous toutes ses formes – discrimination à l’embauche, au logement, rumeurs visant les Roms, racisme anti-musulmans, xénophobie visant les migrants -, mais il emprunte des chemins plus complexes que cette suma divisio aussi hasardeuse que nauséabonde. Elle porte en elle les germes d’une société fragmentée selon des critères raciaux et génère une dangereuse assignation identitaire. Les réunions en non-mixité raciale sont des pratiques discriminatoires, et quand elles se déroulent à l’Université, c’est une circonstance aggravante.

Les victimes d’actes racistes souffrent une première fois des actes de leurs agresseurs, faut-il y ajouter un verrou identitaire et communautariste ?

Que dois-je en conclure, moi qui suis un étudiant juif ? D’où voudrais-tu que je parle, camarade ? Ou plutôt, où souhaiterais-tu m’assigner ?

Suis-je du côté des dominants, prêtant ainsi le flanc aux thèses antisémites de Dieudonné qui qualifie les juifs « de négriers reconvertis dans la banque et la finance » ? Suis-je du côté des racisés, m’enfermant ainsi dans une posture victimaire dans laquelle Alain Soral veut acculer les juifs, les accusant d’utiliser la Shoah ou l’antisémitisme pour se hisser dans la société ? L’une ou l’autre de ces assignations me sont insupportables, et mon identité juive française est bien plus complexe que cet enfermement qui m’est proposé.

Notre génération est phagocytée par des individus malveillants qui entretiennent volontiers la concurrence victimaire dans le débat public, par des propagandistes haineux qui dénaturent les réseaux sociaux, par des pseudo-humoristes qui veulent prendre en otage l’humour pour propager la haine et par des identitaires qui veulent imposer un agenda politique qui agit en miroir de l’extrême droite comme les deux faces d’une même pièce.

L’UNEF fut un rédacteur de la charte de Grenoble en 1946 qui a structuré le syndicalisme étudiant au sortir de la guerre, en donnant aux étudiants le rôle de vigie de la société. Par-delà l’UNEF, quand un grand syndicat étudiant abandonne ses valeurs fondatrices, c’est toute notre génération, et toute la société qui en sort déboussolée.

Les étudiants ont besoin de l’UNEF pour porter des combats universalistes. Nous avons besoin de toi, camarade !

Sacha Ghozlan est Président de l’Union des étudiants juifs de France.
Source : https://www.lexpress.fr/culture/d-ou-parles-tu-camarade_2073879.html



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