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Chronique d'Evariste
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Fédérer le peuple par la liaison du combat laïque au combat social

Une condition de la révolution citoyenne

par Évariste

 

Des mouvements sociaux de grande ampleur ont lieu dans divers lieux du globe : Liban, Chili, Algérie, Mexique, etc. Cela va dans le même sens que le mouvement social des gilets jaunes récemment en France et que les « soulèvements arabes » du début de la décennie. Conséquence de l’intensification du mouvement réformateur néolibéral, partout la révolte gronde contre les élites économiques et politiques et pour l’accès à tous et toutes aux réseaux collectifs et de communication. Partout, le peuple globalise alors la raison du déclenchement de l’action avec l’ensemble de ses revendications. Partout, l’action collective est sociale et politique (lutte contre les inégalités sociales, pour la justice, pour la démocratie, etc.). Mais très souvent, elle se lie avec d’autres revendications notamment laïques (Liban, Algérie) ou féministes ou encore écologiques. Partout l’appel à ce qui est commun se confronte à l’égoïsme des couches dominantes qui ont intérêt au maintien au pouvoir du mouvement réformateur néolibéral.
Notre rôle internationaliste est de soutenir ces mouvements sociaux de grande ampleur car là est notre camp, celui du peuple mobilisé avec ses couches populaires. D’autant que partout, le mouvement réformateur néolibéral augmente, contre le peuple mobilisé, l’intensité et le niveau de violence, de ceux qui sont dépositaires d’une violence légale qui n’est plus légitime. Il s’agit davantage de museler le peuple que d’empêcher un islamiste djihadiste d’infiltrer le saint des saints du renseignement policier. Sans compter ici et là l’instrumentalisation de la justice au seul profit de l’élite économique et politique contre les oppositions. Sans compter l’appareil médiatique qui joue au perroquet dans la concurrence des médias pour savoir qui est le plus servile. La dernière palme est à attribuer à CNews avec des plateaux tous néolibéraux, indigénistes racialistes ou d’extrême droite (avec Eric Zemmour) ! Quand on vous dit qu’il y a une alliance entre le néolibéralisme et le communautarisme !

Toute contestation de masse n’est pas une révolution citoyenne

Mais pour autant, ces mouvements ne sont pas des révolutions citoyennes contrairement à ce qui est dit ici et là. Elles peuvent devenir des révolutions citoyennes mais pour le devenir, et donc être dans une perspective de « renversement de la table », encore faut-il créer ou hâter les conditions de cette révolution citoyenne. Toute contestation de masse n’est pas par sa mobilisation même en état ne serait-ce que de « prendre le pouvoir » et encore moins d’engager un processus de transition alternatif vers autre chose ! L’exemple de l’Espagne des indignés jusqu’à l’amenuisement de l’influence de Podemos en est l’illustration. En France, la tendance à la marginalisation de la gauche de transformation sociale et politique (en pourcentage des inscrits lors des consultations électorales et en efficacité sociale sur les revendications) en est une autre. Pour passer des contestations de masse à une révolution citoyenne, encore faut-il penser puis favoriser l’émergence des conditions de la révolution citoyenne souhaitée. On y reviendra plus loin dans notre chronique.

Partout, en France et dans le monde, la misère, la pauvreté et la précarité progressent fortement. Avec ou sans croissance économique d’ailleurs ! Et les « bourges » qui ne vivent que dans les beaux quartiers ne le voient pas car nous vivons de plus en plus en ségrégation spatiale. Avec ou sans croissance du chômage de catégorie A de notre Dares nationale – qui ne prend pas en compte le travail partiel et ou précaire (catégories B et C), les salariés en formation bidon, en stage ou malade (catégorie D), les contrats aidés qui n’ont pas comme objectif de trouver un emploi en CDI (catégories E). Partout et donc y compris en France, les inégalités augmentent et de plus en plus vite. Une récente étude du journal Alternatives économiques montre que la politique de Macron ne favorise que les plus riches des catégories aisées. Tout cela accentué d’ailleurs par la politique de la privatisation des profits et de la socialisation des pertes des anciens services publics, de l’école, et de la sécurité sociale. Tout cela accentué par la politique anti-sociale et anti-transition énergétique du mouvement réformateur néolibéral dans la grande majorité des communes et des quartiers pour cause de diminution des budgets sociaux et écologiques des structures (du logement social par exemple) de gestion de proximité.

Engager le débat sur les conditions de la révolution citoyenne

S’en tenir à considérer que toute contestation de masse est déjà une révolution citoyenne et que, dans ce cas-là, le rôle des militants est de renforcer la caisse de résonance de la lutte pour voir advenir la révolution citoyenne souhaitée, quelle erreur !

Toutes les transformations sociales et politiques dans l’histoire (exemple la Révolution française ou la révolution russe ou d’autres) sont d’abord rendues possibles par la situation sociale, économique et politique qui crée une crise de nature paroxystique ; celle-ci doit s’assortir d’une nouvelle hégémonie culturelle et une action collective consciente des organisations dites de transformation sociale et politique. Si on n’est pas prêt lors de la crise paroxystique, si on n’a pas obtenu la victoire préalable d’une nouvelle hégémonie culturelle, c’est l’union des droites incorporant sa tendance fasciste qui sort de la crise comme le dit la célèbre phrase de Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». D’où l’intérêt de ne pas confondre une contestation de masse avec une révolution.

ReSPUBLICA a à de nombreuses reprises listé ces conditions nécessaires : l’application des principes républicains (liberté , égalité, fraternité , laïcité, etc.) ; les ruptures nécessaires : démocratiques (y compris dans les organisations !), laïques, sociales et écologiques ; les exigences indispensables : la stratégie de l’évolution révolutionnaire, la constitution d’un bloc historique de classes autour des couches populaires ouvrières et employées, la pratique de masse de la formation des militants et de l’éducation populaire refondée pour toutes les citoyennes et citoyens dans le cadre des luttes sociales et politiques, la fédération du peuple par la liaison du combat laïque et du combat social, etc.

Fédérer le peuple exige de lier le combat laïque et le combat social

Répétons-le : les avancées ou les reculs de ces deux combats sont concomitants. Vouloir les dissocier revient à se tirer une balle dans le pied en ne comprenant pas que le mouvement réformateur néolibéral a besoin du développement du communautarisme pour se perpétrer. Voilà pourquoi nous avons lancé l’appel « Combat laïque-combat social, fédérer le peuple » (voir sur le site www.combatlaiquecombatsocial.net ) où nous avons développé les trois dérives anti-laïques à combattre de façon concomitante :

– celle de la laïcité usurpée de l’extrême droite qui utilise le mot laïcité contre une seule religion (hier le judaïsme, aujourd’hui l’islam)

– celle de la laïcité d’imposture qui se développe malheureusement à gauche qui adjective le mot laïcité pour en faire un cache-sexe du communautarisme voire de l’intégrisme

– celle de la dérive néo-concordataire du mouvement réformateur néolibéral qui organise, finance le communautarisme pour remplacer les services publics qu’il détruit et pour servir le supplément d’âme que le néolibéralisme ne peut pas fournir au plus grand nombre.
D’autant que, si nous revenons à notre propos de départ de cette chronique, à savoir, le développement des contestations de masse dans le monde, nous nous apercevons que ce développement est concomitant au développement de la laïcité.
Pour s’en convaincre, voici un sondage réalisé entre fin 2018 et le printemps 2019 à la demande de la BBC par un organisme indépendant, Arab Barometer, auprès de 25.000 personnes de 10 pays arabo-musulmans 1)Algérie, Égypte, Irak, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Soudan, Tunisie, Yémen, plus les territoires palestiniens; voir https://www.bbc.com/news/world-middle-east-48703377 qui montre le recul de la religion dans les pays arabo-musulmans – alors que les élites politiques françaises et les directions des organisations de gauche en France reculent sur la laïcité 2)Ainsi les directions des organisations de gauche préfèrent la tribune des « 90 musulmans contre l’islamophobie » de Mediapart écrite par indigénistes identitaires à celle des « 100 musulmans » écrite par des laïques..

Il montre un large éventail d’opinions sur divers sujets. Sur ces 10 pays, seul le Yémen voit la religiosité progresser, conséquence du conflit entre le pouvoir soutenu par l’Arabie saoudite (sunnite) et les Houthis soutenus par l’Iran (chiite) ? Sans doute est-ce difficile dans cette guerre impitoyable de se déclarer autre chose que sunnite ou chiite.

Partout ailleurs, c’est la non-religiosité qui progresse. Avec des chiffres étonnants en Afrique du Nord et notamment en Tunisie et en Libye par exemple. Dans le premier pays, 31% se définissent comme non-religieux contre 16% cinq ans auparavant. Et chez les moins de 30 ans, ce chiffre atteint 46%. En Libye, ce chiffre est passé de 11% il y a cinq ans à 25% pour aujourd’hui ! Avec un chiffre de 36% chez les moins de 30 ans.

L’homosexualité devient acceptable en Algérie pour 26% de la population. 21% pour les Marocains, 17% pour les Soudanais, mais seulement 7% pour les Tunisiens.

Une forte baisse de la confiance dans les chefs religieux passant de 42% il y a cinq ans à 12% aujourd’hui en Irak. Pour le Soudan, où le dirigeant islamiste Omar El Béchir a été renversé, la confiance a baissé de 49% à 24%. Dans les territoires palestiniens, la baisse est de 48 à 22%.
Quant au souhait d’émigrer, la crise économique et sociale est telle que ce souhait est passé sur l’ensemble des 10 territoires de 25% il y a 5 ans à 33% aujourd’hui. Mais avec un taux de 52% pour les moins de 30 ans ce qui est catastrophique pour ces pays. Par contre, le sentiment anti-immigrés en Europe est de plus en plus perçu et les destinations souhaitées sont de moins en moins européennes.

Le chômage massif entraîne pour un tiers des sondés stress ou dépression : respectivement 52% et 40% pour la Tunisie, 49 et 43% pour l’Irak.

Enfin 42% des Egyptiennes déclarent avoir été victimes de harcèlement physique. Et l’Irak est le seul pays où les hommes sont plus nombreux que les femmes à se déclarer victimes de harcèlement sexuel physique (20% contre 17%).

Les sorties scolaires : histoire d’un recul laïque et social

er juillet et 31 décembre 1936 et celle du 15 mai 1937. Dans la foulée, ministre de l’instruction publique du Front populaire avait réglé le problème de la surveillance de toutes les activités scolaires. Le décret du 11 mai 1937 créait les maîtres d’internat et surveillants d’externat (MI-SE) comme fonctionnaires stagiaires. Ce sont les surveillants d’externat qui devaient accompagner les sorties scolaires sous la responsabilité des enseignants, car les sorties scolaires hors les murs sont une activité scolaire de l’école et non un loisir.
Mais pour des raisons budgétaires, le mouvement réformateur néolibéral qui prend le pouvoir en France en 1983 vise à remplacer des fonctionnaires par des bénévoles dans les administrations. Le tour de passe-passe arrive avec la circulaire 99/136 du 21 septembre 1999 qui officialise le remplacement définitif des fonctionnaires par des bénévoles. Petit à petit, les MI-SE ne sont plus renouvelés.
Le syndicat Sud-Education admettait que 5 600 MI-SE ne seraient pas remplacés fin 2002. Et pour terminer le travail de « dérépublicanisation » de l’école sur ce sujet, la loi du 30 avril 2003 du scandaleux ministre de l’Education Luc Ferry remplace les MI-SE par des assistants d’éducation (sans lien avec les effectifs des élèves ce qui permet d’en nommer de moins en moins !).Avec alors le soutien de la « classe politique » et du mouvement syndical.

Au nom d’une communauté enseignante harmonieuse associant parents et enseignants. Alors que le principal scandale est la suppression des postes de fonctionnaires de surveillance dans les écoles. La polémique au sujet des femmes voilées accompagnant les sorties scolaires est bien sûr une question de laïcité (voir dans ce numéro le texte du président des DDEN) mais nous y ajoutons le scandaleux et anti-républicain remplacement de fonctionnaires par des bénévoles.

Ceux qui ont créé RESPUBLICA ont mené la campagne pour revenir aux trois circulaires de Jean Zay qui avaient interdit les signes politiques et religieux à l’école. Circulaires abolies en vertu de la hiérarchie des normes par l’article 10 de la loi du 10 juillet 1989 du sinistre (plutôt que ministre) Lionel Jospin. Pour in fine aboutir après 14 ans de lutte à la loi du 15 mars 2004. Eh bien, nous voilà repartis pour une nouvelle bataille (que nous espérons plus courte…) pour revenir à l’esprit du décret du 11 mai 1937, dû au meilleur des ministres de l’éducation !

Nous proposons en plus d’augmenter le nombre d’heures rémunérées des professeurs des écoles pour rencontrer dans de bonnes conditions les parents des élèves et d’augmenter également le taux horaire de ces heures-là. Ainsi, nous pourrons revenir à une école républicaine, où toutes les fonctions scolaires doivent être réalisées par des fonctionnaires du ministère de l’Education soumis aux règles laïques et où le dialogue entre parents et enseignants soit mis à sa juste place. La bataille va être longue mais passionnante !

Notes de bas de page   [ + ]

1. Algérie, Égypte, Irak, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Soudan, Tunisie, Yémen, plus les territoires palestiniens; voir https://www.bbc.com/news/world-middle-east-48703377
2. Ainsi les directions des organisations de gauche préfèrent la tribune des « 90 musulmans contre l’islamophobie » de Mediapart écrite par indigénistes identitaires à celle des « 100 musulmans » écrite par des laïques.
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La nature de la sortie scolaire n’est-elle pas, avant tout, une activité d’enseignement ?

par Fédération des Délégués Départementaux de l’Education Nationale

 

Propos tenus, en audition, au Sénat devant la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication par le Président de la Fédération des DDEN, Eddy Khaldi, le 16 octobre 2019

C‘est bien de la nature de l’activité dont il est question pour une sortie scolaire. C’est ici une activité d’enseignement comme l’indique la Circulaire n°99-136 du 21 septembre 1999 relative à l’organisation des sorties scolaires. Avant de s’arrêter sur l’accompagnant des sorties scolaires, remarquons qu’on ne peut circonscrire et attribuer exclusivement à une « maman » voire à un parent l’encadrement de cette activité plus largement ouverte à tout citoyen bénévole. Les parents n’ont pas l’apanage de l’accompagnement des activités et des sorties scolaires. Cet accompagnant n’est pas mandaté par son association de parents d’élèves, il est choisi et désigné par l’enseignant et la directrice ou le directeur de l’école 1)https://www.education.gouv.fr/bo/1999/hs7/default.htm.
Cet accompagnant est sous l’autorité de l’équipe éducative. Il doit respecter toutes les consignes de cette activité qui se déroule dans un cadre scolaire. C’est effectivement une activité d’enseignement.
Notre Fédération de DDEN propose d’encadrer cette activité d’enseignement avec une charte de l’accompagnateur. Rappelons aussi notre motion du Congrès de Rennes et notre communiqué de septembre 2019.

Les enseignants, les encadrés et les encadrants de cette activité d’enseignement auraient-ils des droits différents au regard du respect de la liberté de conscience ?

Les enseignants y sont obligés depuis la loi Goblet du 30 octobre 1886. Les élèves y sont tenus par la loi n°2004-228 du 15 mars 2004 qui encadre, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. Ainsi la circulaire précise, les élèves sont toujours encadrés par deux adultes au moins, dont le maître de la classe, le deuxième adulte peut être un autre enseignant, un aide éducateur, un agent territorial spécialisé d’école maternelle (ATSEM), un parent ou autre bénévole.

Les parents doivent-ils être les seuls à être dispensés du respect de la liberté de conscience des accompagnés ?

N’y a-t-il pas là conflit entre deux libertés ? Faut-il choisir le primat de la manifestation de la liberté religieuse de l’accompagnant sur la liberté de conscience de tous les accompagnés ?

N’est-ce pas là une inversion de la loi de 1905 ?

La contestation du primat de la liberté de conscience ? Cette loi stipule en son article 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » Devrait-on admettre cette inversion de deux libertés ? « La République assure la manifestation de la liberté religieuse. Et accessoirement elle garantit la liberté de conscience des accompagnés. ».

Faut-il aussi rappeler le principe de laïcité dans l’activité d’enseignement ?

Le Conseil constitutionnel présente le principe de neutralité comme le corollaire du principe d’égalité (CC, 18 septembre 1986) et selon la formule, la laïcité est un « élément » de la neutralité des services publics. « Il impose que le service public ne puisse être assuré selon des modalités qui varient en fonction des opinions politiques ou des croyances religieuses de ses agents ou de ses usagers. Dans l’enseignement public, le principe de neutralité s’illustre, notamment, par la laïcité qui est un de ses éléments. »
Une décision du Conseil d’Etat des 6 et 16 octobre 2000 rappelle : « …que le principe de la laïcité de l’enseignement public, qui résulte notamment des dispositions précitées et qui est l’un des éléments de la laïcité de l’Etat et de la neutralité de l’ensemble des services publics, impose que l’enseignement soit dispensé, dans le respect, d’une part, de cette neutralité par les programmes, les enseignants et les personnels qui interviennent auprès des élèves et, d’autre part, de la liberté de conscience des élèves… ».
Autre décision du Conseil d’Etat, 3 mai 2000 :

« […] 2°) Si les agents du service de l’enseignement public bénéficient comme tous les autres agents publics de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l’accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur la religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu’ils disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses ;
Il n’y a pas lieu d’établir une distinction entre les agents de ce service public selon qu’ils sont ou non chargés de fonctions d’enseignement ;
3°) Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le fait pour un agent du service de l’enseignement public de manifester dans l’exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations ; […] ».
La Cour Administrative de Lyon du 23 juillet 2019 2)https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?idTexte=CETATEXT000038915805, vient de dire le droit, le législateur pourrait enfin s’en inspirer : « Aux termes de l’article L. 111-1 du code de l’éducation : « Pour garantir la réussite de tous, l’école se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale. Elle s’enrichit et se conforte par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative. ». Aux termes de l’article L. 141-1 du même code : « Comme il est dit au treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation et à la culture ; l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat ». ». Selon l’article L. 141-5-1 du même code : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. (…) ».
3. Le principe de laïcité de l’enseignement public, qui est un élément de la laïcité de l’Etat et de la neutralité de l’ensemble des services publics, impose que l’enseignement soit dispensé dans le respect, d’une part, de cette neutralité par les programmes et par les enseignants et, d’autre part, de la liberté de conscience des élèves. Ce même principe impose également que, quelle que soit la qualité en laquelle elles interviennent, les personnes qui, à l’intérieur des locaux scolaires, participent à des activités assimilables à celles des personnels enseignants, soient astreintes aux mêmes exigences de neutralité.
4. La décision en litige a été prise en réponse à un courrier du 11 mars 2015 par lequel les requérantes se sont plaintes de l’interdiction faite par la direction de l’école Condorcet de Meyzieu aux mères portant le voile « de pénétrer dans les salles de classe et d’y participer (…) aux activités des enfants », cette interdiction faisant elle-même suite à une réunion du conseil d’école du groupe scolaire Condorcet du 10 novembre 2014, au cours de laquelle a eu lieu un échange précisant que : « Les parents qui interviennent dans les classes sont assimilés à des enseignants et doivent faire preuve de neutralité et se comporter comme les enseignants et n’arborer aucun signe ostentatoire d’appartenance politique ou religieuse ». Ainsi, et contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la décision qu’elles critiquent n’a ni pour objet, ni pour effet, d’édicter une interdiction générale faite aux mères portant le voile de participer à l’ensemble des activités scolaires, mais doit être regardée comme se limitant à rappeler que l’exigence de neutralité imposée aux parents d’élèves ne trouve à s’appliquer que lorsque ces derniers participent à des activités qui se déroulent à l’intérieur. »

C‘est bien la question de la nature de l’activité qui se pose et non pas du lieu à l’intérieur ou l’extérieur de l’école.

Aujourd’hui, la question est exclusivement posée au juge administratif par des accompagnants arborant un signe religieux qui ne peuvent encadrer une sortie scolaire. Les tribunaux administratifs apportent des réponses diverses à ces recours. Imaginons un parent contestant l’accompagnement scolaire par une personne portant un signe religieux ostensible en faisant valoir la liberté de conscience des élèves ? Le juge administratif devra choisir entre deux libertés :
• La « liberté de conscience » des élèves
• La « manifestation de la liberté religieuse » et non pas « la liberté religieuse » de l’accompagnant. Demander de restreindre ou enlever un signe ostensible n’est pas une atteinte à la liberté religieuse ni au libre exercice de son culte. Une loi existe pour cela qui hiérarchise ces deux libertés. La loi du 9 décembre 1905 pose le primat de la liberté de conscience dans l’article 1. La liberté de conscience appartient à toutes et tous. Le « libre exercice des cultes » appartient lui à quelques-uns et découle du respect absolu de la « liberté de conscience ».

L’école publique laïque doit comme l’énonçait Jean Rostand : « former les esprits sans les conformer, les enrichir sans les endoctriner, les aimer sans les enrôler… Et leur donner le meilleur de soi sans attendre cette reconnaissance qu’est la ressemblance ».
Des responsables institutionnels chargés de faire la loi disent que les signes religieux ostensibles sont interdits d’un point de vue légal, et d’autres soutiennent qu’ils sont autorisés toujours par la loi. Ce n’est ni l’un ni l’autre.
Il n’y a pas de législation, juste une réglementation floue que chacune et chacun interprètent à leur guise.
Cette absence de loi renvoie au juge administratif le soin de la faire. Là aussi à géométrie variable.
Peut-on, encore une fois, laisser les directeurs et directrices d’école dans cet inconfort juridique pour traiter et résoudre les conflits entre « Liberté de conscience de tous les élèves » et « manifestation de la liberté religieuse d’un accompagnant » ?

Pourquoi est soulevée, aujourd’hui, la question du port ostensible de signe religieux par quelques accompagnants des sorties scolaires ?

L’école est de plus en plus un projet individuel. Nous le constatons lors des Conseils d’écoles où les parents se présentent au nom de leur enfant.
Chacun représente, avant tout, son enfant dans cette structure qui est chargée de traiter des questions collectives. Chacun essaye de faire valoir ses droits d’individus consommateurs en oubliant que l’institution école permet d’apprendre et à faire ensemble entre citoyens en devenir. « On n’entre pas dans une école, et dans ses activités d’enseignement, comme on rentre dans une rame de métro. »

Ne pas privilégier l’intérêt particulier sur l’intérêt général.

Ce droit individuel s’oppose au droit collectif « d’égalité en éducation » voulu par les bâtisseurs de l’institution pour former un citoyen libre et autonome, fondement de la démocratie. Il y a de fait un lien consubstantiel entre l’Ecole et la République.
Ne pas oublier que le principe d’égalité en éducation fonde l’école publique laïque. Ne pas oublier aussi comme l’énonçait Ferdinand Buisson : « Le triomphe de l’esprit laïque, ce n’est pas de rivaliser avec l’esprit clérical pour initier prématurément les petits élèves de l’école primaire à des passions qui ne sont pas de leur âge. Ce n’est pas de les enrôler contre d’autres avec la même étroitesse et la même âpreté en sens inverse. C’est de réunir indistinctement les enfants de toutes les familles et de toutes les Eglises pour leur faire commencer la vie dans une atmosphère de paix de confiance et de sérénité. » Il est grand temps d’écrire la loi afin que s’arrête l’instrumentalisation immonde de cette question qui divise la société. En République, il n’y a qu’un rapport de force qui vaille, c’est la loi.

Notes de bas de page   [ + ]

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A propos de « Faire de la politique agricole commune un levier de la transition agroécologique »

Commentaires au rapport de France-Stratégie

par Jacques Berthelot

 

Malgré un certain nombre de propositions utiles en matière de taxation des intrants polluant l’environnement et l’idée générale de baser les aides directes sur les UTA 1)L’unité de travail annuel (UTA) est l’unité de mesure de la quantité de travail humain fourni sur chaque exploitation agricole. Elle équivaut au travail d’une personne travaillant à temps plein pendant une année. plutôt que sur les hectares, loin d’être un levier pour la transition agroécologique, la stratégie du récent rapport de France-Stratégie serait impossible à mettre en œuvre au niveau purement français car elle accroîtrait les distorsions de concurrence entre les Etats membres (EM), au détriment d’ailleurs de la France, tandis que, si cette stratégie devait être étendue à l’UE27 (post Brexit), elle serait inacceptable par l’UE13 car elle réduirait fortement la convergence externe des aides directes.

Surtout cette stratégie fait l’impasse totale sur les relations entre l’UE et le reste du monde, particulièrement les pays en développement (PED), alors que les problèmes écologiques sont mondiaux et de plus en plus alarmants, que l’UE a signé les ODD (Objectifs du développement durable), que la France a été la promotrice de l’Accord de Paris sur le climat et que le Conseil de l’UE a rappelé le 19 juin 2019 « l’obligation prévue par le traité de tenir compte des objectifs de la coopération au développement dans toutes les politiques internes et externes et souligne l’importance que revêt la cohérence des politiques au service du développement en tant qu’élément fondamental de la contribution de l’UE à la réalisation du programme 2030 et des objectifs de développement durable (ODD) » (https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2019/05/16/policy-coherence-for-development-council-adopts-conclusions/). Cette stratégie n’en a cure et reste autocentrée sur le niveau national.

Un autre défaut majeur est qu’elle ne remet pas en cause le fond de la PAC basée sur les aides découplées et ignore la forte probabilité de leur condamnation par l’OMC si le président Trump cesse de bloquer la nomination des juges de l’Organe d’appel puisque la demande de panel de l’UE contre les droits antidumping et compensateurs imposés par les Etats-Unis sur l’importation des olives de table espagnoles (https://www.sol-asso.fr/wp-content/uploads/2019/01/La-Commission-europ%C3%A9enne-a-franchi-le-rubicon-sur-les-olives-de-table-espagnoles.pdf) a été acceptée le 24 juin 2019 par l’Organe de règlement des différends de l’OMC, même si les juges du panel n’ont pas été nommés à cause du blocage de l’Organe d’appel à partir du 11 décembre.

La stratégie est aussi incohérente sur le plan purement agroécologique. En effet malgré la volonté de taxer les intrants dégradant l’environnement en France, il n’est pas question de taxer les importations d’aliments du bétail (soja) dégradant l’environnement dans les Amériques ou de l’huile de palme qui le dégrade en Malaisie et Indonésie car « L’instauration de taxes à l’échelle européenne impliquerait une décision à l’unanimité de l’ensemble des membres du Conseil, par définition délicate à obtenir« , notamment d’instaurer une taxe carbone sur ces importations malgré l’Accord de Paris sur le climat.

Il va de soi que si l’on instaure des taxes carbone élevées sur les importations de soja qui détruisent l’environnement et ruine la santé des producteurs dans les pays exportateurs, il en résultera une hausse importante des coûts de production des produits animaux dans l’UE, qu’il faudra bien répercuter sur les consommateurs, en dépit de la promotion des circuits courts. Les coûts de production augmenteront aussi avec la promotion des systèmes de production agroécologiques et notamment de l’agriculture biologique, dont les rendements sont inférieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle intensive en engrais chimiques et pesticides, pour répondre à la demande croissante des consommateurs. Le revenu des agriculteurs de l’UE baisserait aussi si l’on suit les recommandations de la plateforme Pour une autre PAC que les exportations agricoles de l’UE ayant bénéficié de subventions remboursent celles-ci avant d’exporter, ce qui aura pour effet immédiat de réduire d’au moins 10 % la production agricole. Toutes ces hausses des coûts de production agricole seront  forcément répercutées sur les prix alimentaires. D’ailleurs une hausse minimale des prix alimentaires, notamment des produits animaux (viandes, produits laitiers, œufs et poissons) est indispensable pour en réduire la consommation au bénéfice de la santé et de l’environnement (Scénario Afterres2050 de Solagro) et pour réduire le gaspillage alimentaire.

Toutefois, conformément à la définition du dumping par l’Organe d’appel de l’OMC dans l’affaire « Produits laitiers du Canada » de décembre 2001 et décembre 2002, les exportations resteront possibles lorsqu’elles se feront à un prix au moins égal au coût de production total moyen national sans subventions, ce qui devrait concerner à moyen terme les céréales dont le prix mondial devrait augmenter fortement puisque les rendements plafonnent depuis 15 ans malgré une consommation non limitée d’engrais chimiques et pesticides dans les pays exportateurs, alors que la population de l’Asie occidentale et de l’Afrique va exploser.

Si l’on se place dans l’hypothèse probable que l’Organe d’appel de l’OMC redeviendra fonctionnel tôt ou tard et que l’UE sera condamnée en appel, conformément à la jurisprudence qui a fait condamner les aides découplées des Etats-Unis dans l’affaire coton du 3 mars 2005, les 35 milliards d’euros d’aides découplées versées en 2018 aux agriculteurs de l’UE disparaîtront. Privés de la source essentielle de leurs revenus les agriculteurs de l’UE, tous syndicats confondus, bloqueront les capitales de l’UE avec leurs tracteurs et exigeront de refonder la PAC sur des prix rémunérateurs, comme c’était le cas avant la réforme de 1992, mais cette fois avec les garde-fous non seulement de la suppression des subventions aux produits exportés mais aussi d’une juste répartition des droits à produire entre agriculteurs, d’autant que les aides ne seraient plus basées sur les hectares exploités mais sur les actifs effectivement occupés. On remettra en place alors des prélèvements variables à l’importation qui ont été si efficaces pour la hausse de la production agricole de 1962 à 1992, en programmant leur hausse sur 5 ans, parallèlement à la baisse des aides directes découplées.

Les 35 Mds€ économisés sur celles-ci pourront alors être largement redéployés au profit des consommateurs défavorisés pour leur permettre de supporter la hausse des prix des produits alimentaires locaux, pour subventionner davantage l’agriculture bio, notamment dans les cantines, et à la limite pour mettre en place des coupons d’achat de produits alimentaires locaux issus des agricultures agroécologiques, un peu sur l’exemple de l’aide alimentaire intérieure des Etats-Unis mais à une échelle plus limitée.

Jacques Berthelot – https://www.sol-asso.fr

Notes de bas de page   [ + ]

1. L’unité de travail annuel (UTA) est l’unité de mesure de la quantité de travail humain fourni sur chaque exploitation agricole. Elle équivaut au travail d’une personne travaillant à temps plein pendant une année.
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"Utopies réalistes" par Rutger Bregman

par Claudine Granthomme

 

Cet ouvrage d’un historien et journaliste hollandais, paru en 2017 (2018 dans la collection Points), fait le point sur des thèmes tels que la réduction du temps de travail, le revenu universel et plus largement la lutte contre la pauvreté et les inégalités .

A contre-courant du pessimisme ambiant, Bregman met en lumière de nouvelles propositions utopiques en s’appuyant sur les travaux d’Esther Duflo, Thomas Piketty, David Graeber, etc.

Après avoir rappelé que « pendant à peu près 99 % de l’histoire du monde, 99 % de l’humanité a été pauvre et affamée, sale, craintive, bête, laide et malade », il insiste sur la nécessité de la pensée utopiste en rappelant qu’elle a été le fondement de ce que nous appelons aujourd’hui civilisation, grâce à des « rêveurs » comme Bartolomé de Las Casas qui défendait, au XVIe siècle, l’égalité entre les colons et les habitants indigènes de l’Amérique latine, Owen qui, au XIXe siècle, fut un champion de l’émancipation des ouvriers britanniques, Stuart Mill, le philosophe qui croyait en l’égalité des femmes et des hommes ….

Pour Bregman, il faut donner de l’argent à chacun car nous sommes aujourd’hui plus riches que jamais et il faut accorder à chacun la sécurité d’un revenu de base qu’il faut voir comme un dividende du progrès, « rendu possible par le sang, la sueur et les larmes des générations passées ». Les richesses de nos institutions, de notre savoir et du capital social amassé pour nous par nos ancêtres nous appartiennent tous. Bregman revient sur les expériences tentées tant à Londres en 2009 que déjà en 1973 à Dauphin, petite ville du Canada près de Winnipeg et même aux USA sous la présidence Nixon en 1968 sur la base des études réalisées par des économistes comme Galbraith, Watts, Tobin, Samuelson et Lampman qui avaient interpellé le Congrès à ce sujet et prouvé la faisabilité de ce projet . Eldar Shafir, psychologue à l’Université de Princeton fait remarquer qu’en plus de mesurer notre PIB, il serait temps de prendre en considération notre largeur de bande mentale intérieure brute : plus la largeur de bande est importante, meilleures sont l’éducation des enfants, la santé, la productivité des employés, etc . L’inégalité est responsable de tous les maux de notre société, que l’on parle de dépression, burn-out, usage de drogues, échecs scolaires, obésités, enfances malheureuses ou faible taux de participation aux élections et méfiance sociale et politique.
Cet ouvrage regorge d’anecdotes et d’histoires réelles qui toutes, tendent à démontre que tout progrès de civilisation fut d’abord considéré comme un fantasme de doux rêveurs. La Finlande, le Canada, la Suisse, les Pays-bas lancent des études sur le sujet ou appliquent le revenu de base . Or, depuis le crash financier mondial de 2008 (en attendant le prochain qu’on nous annonce comme imminent), nous avons tous besoin d’une nouvelle raison d’espèrer, d’une utopie. Bregman termine en disant au lecteur : « Rappelez-vous : ceux qui appelaient à l’abolition de l’esclavage, du droit de vote des femmes et au mariage pour tous, eux aussi étaient traités de fous ? Jusqu’à ce que l’histoire leur donne raison. »

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"Sorry We Missed You" de Ken Loach, un implacable réquisitoire contre le néo-libéralisme

par Olivier Nobile

 

Le dernier film de Ken Loach Sorry We missed You frappe fort, très fort. Dans ce nouvel opus, le cinéaste écossais de 84 ans s’attaque à l’ubérisation de la société et aux contrats zéro heure. Il en démontre le caractère inhumain, anti-social et délétère sur la vie des travailleurs broyés dans la machine de l’ultra libéralisme qui érige la fin du salariat comme nouvelle norme du travail. Du point de vue cinématographique autant que sur le fond du message, le nouveau Ken Loach est une réussite et mérite absolument d’être vu et conseillé.

Dans Sorry We missed You, Loach nous invite à partager le quotidien d’un chauffeur autoentrepreneur, Ricky, sous franchise d’un transporteur de type Uber. Pas de contrat de travail, mais un contrat de prestataire, pas de salaire mais des honoraires liés au rendement des tournées, pas de congés, pas de couverture contre les accidents du travail, l’obligation de louer son outil de travail et bien sûr pas de syndicats, ni aucun solidarité ouvrière mais une concurrence des travailleurs entre eux. Pourtant, Ricky n’a qu’un seul donneur d’ordre, un nervis de l’ultra-libéralisme, employeur déguisé en client donneur d’ordre qui organise les tournées de ses transporteurs au travers d’une application située dans un boîtier. De fait, le patron tout-puissant (qui se défend pourtant d’en être un) aliène intégralement le travail des transporteurs, les espionne et leur dicte leurs horaires et leurs trajets, et négligeant au passage le temps superflu au yeux du profit-roi comme la nécessaire pause pipi. Pour Ricky qui enchaîne des journées de 14 heures sans possibilités de congés, au risque de payer des amendes pour absence de livraison, la vie se mue en enfer et sa famille se délite. Il faut dire que sa femme n’est guère mieux lotie avec son contrat zéro heure d’aide à domicile obligée d’enchaîner les soins au lance-pierre dans des conditions indignes, avec des horaires fractionnés sur des amplitudes horaires effarantes. Dans ces conditions comment éviter que le travail ne vienne perturber frontalement la vie familiale et ne se traduise en drames humains, surtout quand on a deux enfants à élever, victimes collatérales de cette machine à briser la dignité des travailleurs.

Misérabilisme prolétarien, exagération militante d’un cinéaste ouvriériste nostalgique, film rabat-joie visant à culpabiliser les consommateurs rois habitués à acheter sur Amazon ? Rien n’est moins sûr car Loach a écrit son scénario sur la base de témoignages accablants recueillis auprès de vrais transporteurs liés par ce type de contrats en Grande Bretagne qui ont décrit sous couvert d’anonymat les conditions de travail effroyables de la nouvelle économie ubérisée, laquelle n’est rien d’autre qu’un mode de destruction du salariat, du droit social et de la dignité des travailleurs. Ce film nous assène une image crue, celle des petites mains de ce formidable totalitarisme qu’est l’économie digitale, autrement dit le tâcheronnage du XIXe siècle à la sauce 2.0. Et le film nous plonge dans un petit sentiment de malaise quand l’on songe que nous sommes tous complices de cette abomination sociale lorsque l’on recourt sans sourciller aux taxis Uber, à Deliveroo et aux achats sur Amazon, participant à cette schizophrénie économique mortifère du néo-libéralisme qui nous amène à séparer les intérêts du travailleur exploité de ceux du consommateur à qui l’on fait miroiter le bonheur d’une consommation de masse, low cost et déshumanisée.

La force de Sorry We missed You réside dans le fait que Ken Loach n’oublie à aucun moment d’être un cinéaste de talent, dont la mise en scène sobre et efficace magnifie un scénario pour mieux rendre le message limpide et implacable. Le jeu des acteurs est prodigieux (singulièrement  celui des enfants qui tentent vainement et maladroitement de se révolter) car il ne tombe pas dans le pathos ni dans l’exagération, et les protagonistes ne sont jamais des pauvres victimes dénuées de failles et de faiblesses, à commencer par Ricky, le père de famille ubérisé qui sacrifie littéralement sa famille sur l’autel d’un rêve illusoire d’accession à la propriété. De quoi nous faire profondément et salutairement réfléchir…

Ce nouvel opus de Ken Loach est un réquisitoire implacable contre la machine à détruire la dignité des travailleurs qu’est le capitaliste boosté aux amphétamines de l’économie numérique. Il doit nous amener à tourner le dos définitivement au mirage de l’économie digitale de type Uber et Amazon en boycottant ces modes de consommation. Mais surtout il nous amène à comprendre mieux que n’importe quel ouvrage théorique ce que signifie la mythe de la fin du salariat : à savoir la destruction de l’ensemble des garanties sociales, juridiques et collectives qui participent de la dignité des travailleurs pour mieux leur substituer des contrats léonins, précaires et inhumains qui transforment les travailleurs en marchandises interchangeables attirés par le mirage du petit entrepreneuriat libéré du joug (totalement illusoire) du salariat. Et nous voyons de manière limpide le visage cru du projet macroniste qui se profile : saborder le droit des travailleurs au profit d’une relation contractuelle de travail négociée de gré à gré avec un donneur d’ordre qui n’est rien d’autre qu’un employeur déguisé libéré de toute responsabilité sociale à l’égard de la classe des travailleurs. Dit autrement, mieux que l’exploitation du salarié par un patron employeur, le capitalisme néo-libérale nous vend dorénavant le modèle de l’auto-exploitation, de la sous-traitance entre travailleurs eux-mêmes et la fin de toute protection sociale des travailleurs.  Sorry We missed You est un film qui nous bouscule de manière salutaire et doit être vu impérativement. C’est en outre un support militant de première importance que l’ensemble des militants attachés au projet de République sociale doivent utiliser pour mieux faire comprendre les dangers gravissimes de la destruction du Droit social des travailleurs.



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