n°916 - 06/12/2019
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Chronique d'Evariste

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Chronique d'Evariste
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Mobilisation sociale : le moment... c'est maintenant !

par Évariste

 

Quelle joie ! Quelle joie que ce 5 décembre ! Quelle joie que ce jour de grève générale réussi ! Près d’un quart de siècle de reculade, de défaite sociale presqu’oublié… L’esprit de juin 36, de mai 68 a de nouveau enivré les cœurs des militantes et des militants. Dans les cortèges combatifs dans toutes les villes du pays, une seule idée en tête : demain on continue ! Bref comme il y a un demi-siècle : « ce n’est qu’un début, continuons le COM-BAT ! ».

Pour le cortège parisien, autour de 80 000 personnes. Contrairement au 1er mai dernier, le service d’ordre de Sud et de la CGT a assumé et permis à la manifestation d’aller jusqu’à la fin programmée de la manifestation, c’est-à-dire la Nation, et ce malgré les violence policières.

Toutes les informations à cette heure indiquent que les grévistes du 5 décembre reconduisent la grève. Nous nous orientons donc vers un mouvement social de première ampleur.

En ce lendemain du 5 décembre, un point est clair : le peuple est uni et en action pour la défense des retraites.

Mais, voyons objectivement la situation du champ de bataille. Ne nous y trompons pas : la lutte qui s’engage sera très dure. Ceux qui se réfèrent au mouvement victorieux de 1995 oublient deux choses : d’une part, l’effet de surprise ne joue pas, car il s’agissait au départ d’une grève spontanée et d’autre part la situation du capitalisme français est différente de cette l’époque. À la fin des années 1990, celui-ci était encore dans une phase « progressive » ; il est aujourd’hui dans une phase « régressive » et cela depuis la crise de 2008. En un mot, les monopoles financiers et Macron se retrouvent dos au mur et donc d’autant plus pugnaces et dangereux. Bref, « en face », ils sont résolus à tenir. Pour cela, le dispositif médiatique est prêt, le dispositif policier aussi, et aucun contre-pouvoir politique réel n’existe face à Macron. Soyons clairs, une soi-disant « grève par délégation », en regardant passivement les salariés des transports s’échiner, ne donnera cette fois-ci aucun résultat.

Alors que faire ?

Le mouvement social doit se souvenir des leçons du passé : une grève générale réussie est une grève qui paralyse le pays ! Prenons mai-juin 68 : contrairement aux idées reçues, la situation politique n’était en fait pas favorable à la grève, la victoire gaulliste aux élections législatives à la fin du mouvement en est la preuve historique. Toutefois, la grève massive, entre 5 et 8 millions de grévistes, était décidée par les assemblées générales avec occupation des locaux et constitution de « piquets de grève ». À partir du 13 mai, une semaine a suffi pour bloquer le France… d’où la victoire sociale (et non politique).

Aujourd’hui, cinquante ans après, nous sommes paradoxalement dans une situation objective plus favorable. Je m’explique : les flux physiques ont une importance démesurée par rapport à l’époque en question car la plupart des entreprises produisent à « flux tendus ». Le blocage des rails, des routes terrestres et aériennes provoquerait quasi immédiatement la paralysie complète de l’économie. Le point central de la bataille est donc là. Le gouvernement ne s’y trompe d’ailleurs pas : hier Castaner a envoyé ses effectifs dégager au plus vite les ronds-points bloqués par les manifestants, gilets jaunes ou non.

Pour nous, le mot d’ordre est simple : il faut imposer une grève générale reconductible avec occupation des locaux et piquets de grève… Sinon rien !

Nous sommes face à nos responsabilités.

Vive la grève !

Protection sociale
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Retraites et Sécu : vers la reconquête

par Professeur Gabuzomeu

 

Article initialement paru le 3 décembre 2019 sur Le Réveil sous licence Creative Commons (BY NC ND). Sur le sujet, voir également les articles du Réveil « Brève histoire des retraites en France » et « Retraites : toutes et tous lutter pour ne pas toutes et tous y perdre ».

 

 

Un combat unique sur plusieurs fronts

Quatre luttes parallèles

La lutte pour la défense des retraites associée à la date du 5 décembre 2019 s’ajoute à celle, engagée depuis de longs mois, pour la défense de l’hôpital public, qui est en plein effondrement du fait de l’insuffisance des moyens alloués à son fonctionnement et de son pourrissement de l’intérieur sous le coup des logiques de rentabilité, de concurrence et de management par objectifs chiffrés. Mais la mobilisations pour les retraites est aussi parallèle à celle des précaires contre la réforme de l’assurance-chômage entrée en vigueur au 1er novembre 2019. Cette réforme extrêmement violente, et dont l’état d’esprit est de punir les chômeurs, prévoir notamment une baisse de la durée d’indemnisation et une augmentation à six mois de la durée de travail nécessaire pour recharger ses droits. Dans un contexte où un nombre de plus en plus important de chômeurs ne retrouvent du travail que pour quelques semaines voire quelques jours, dans un contexte d’hyper-précarité promue par le gouvernement lui-même, ces mesures vident de son sens le principe de solidarité du salariat et abandonnent les personnes privées d’emploi stable à la pauvreté et au déclassement. Enfin, une quatrième lutte sociale affleure à travers le pays dans les mêmes semaines : celle des étudiants contre la précarité et la misère, dont l’un des principaux ressorts est la destruction progressive du système d’aide au logement (APL) par les Caisses d’allocations familiales.

Convergence des attaques, cohérence des luttes

Le recouvrement temporel de ces quatre luttes n’est pas à proprement parler une coïncidence, mais plutôt la triple manifestation d’une même lutte, celle pour la défense du régime français de protection sociale, qu’on a longtemps associé uniquement au programme du Conseil National de la Résistance, jusqu’au retour en grâce récent de la figure d’Ambroise Croizat et des réformes de l’année 1946, qui ont donné à ce programme du CNR une forme très particulière, et très différente par exemple du système mis en place exactement au même moment par Attlee et Bevan au Royaume-Uni : une Sécurité sociale indépendante de l’État, administrée par les représentants des salariés et coiffant simultanément le domaine de l’assurance-maladie, le droit des travailleurs à un salaire hors des périodes d’emploi, et notamment l’assurance-vieillesse, et la protection familiale, même si l’intégration des jeunes en formation dans le dispositif de Sécurité sociale est d’emblée resté en retrait par rapport aux autres piliers.

Le système de « retraite par points » scelle l’individualisation des droits sociaux et révoque précisément ce qui faisait la force révolutionnaire du projet de Croizat : l’affirmation d’une solidarité comprise non comme un principe moral, mais comme « la dépendance réciproque très étroite » (définition du Trésor de la Langue Française) entre les membres du corps social – c’est bien cette dépendance réciproque qui fonde une communauté de droits et devoirs économiques et sociaux justifiant la socialisation d’une partie importante de la valeur créée par les producteurs, et son administration par les producteurs eux-mêmes. Les travaux de Bernard Friot ont richement analysé et interprété la puissance de cette proposition, mais aussi la constance de l’opposition qu’elle a rencontrée dans les milieux économiques et politiques, opposition qui se matérialise par une partition et un détricotage qui vont crescendo depuis plusieurs décennies, avec un point de bascule indéniable représenté par la loi El-Khomri de 2016, qu’on pourrait aussi bien appeler la loi Macron 2 ou la loi Macron-Berger, du nom du patron de la CFDT qui l’a largement défendue, dans la plus pure tradition cléricale qui a toujours promu le principe de subsidiarité et l’intégration dans des cadres intermédiaires verticaux (inter-classes) plutôt que la défense de la souveraineté des producteurs sur la valeur qu’ils créent.

Perspectives de reconquête

Il n’y a finalement pas de « convergence » à proclamer entre ces luttes : il y a une cohérence à marteler, cohérence dont les principaux intéressés sont de toute façon largement conscients à défaut de souvent l’expliciter, même si là aussi les choses semblent commencer à changer. Cette cohérence ouvre également une perspective intéressante, celle d’une lutte qui ne soit pas défensive mais offensive, qui « ne revendique rien », comme disait Lordon lors de la lutte « contre la loi El-Khomri et son monde », mais qui néanmoins propose – propose un monde à construire, celui de la République sociale, instituant l’organisation de la « dépendance mutuelle très étroite » des citoyens-travailleurs.

Vers la sécurité sociale professionnelle

L’enjeu du salaire

La sécurité sociale universelle qu’il s’agit d’instituer est d’abord une sécurité sociale professionnelle comme celle proposée par plusieurs organisations de la mouvance cégéto-communiste. Le pilier professionnel de la nouvelle Sécu doit être constitué par le rapprochement du système de retraite par répartition, qui ne saurait être un système par points, du système d’assurance-chômage et de la formation continue professionnelle. Dès l’entrée dans la vie professionnelle, la cotisation des producteurs, c’est-à-dire la socialisation d’une part de la valeur qu’ils créent, doit ouvrir un droit au salaire en cas de cessation d’emploi. Lorsque ce n’est plus l’employeur qui reverse au salarié une fraction de la valeur qu’il crée (le salaire non-socialisé), ce salaire doit être versé par la collectivité sur la part socialisée de la valeur, et à hauteur de la qualification du salarié, lequel salarié doit se voir offrir un droit à la formation et à la progression dans la qualification. C’est à la représentation collective des producteurs à fixer les référentiels de qualification reconnus et servant de base au salaire – une base qui pourrait d’ailleurs tout aussi bien s’appliquer aux salaires non-socialisés via une échelle légale des rémunérations.

En cas d’inactivité prolongée, la collectivité exercerait la fonction d’employeur en dernier ressort. Il s’agit en fait d’établir un droit opposable à l’emploi : en cas de chômage de longue durée, la collectivité, et sans doute plus précisément, et en tout cas pour une part, l’État, doit proposer un emploi au chômeur en lien avec sa qualification. Dans l’intervalle, le droit à l’indemnisation est maintenu. Cette proposition, formulée d’abord par Minsky aux États-Unis et repopularisée depuis quelques années, peut constituer une première étape vers le modèle proprement communiste de salaire intégralement socialisé et indexé sur la qualification (le fameux « salaire à vie » de Bernard Friot et du Réseau Salariat). Comme le faisait remarquer Jean-Marie Harribey, de la collectivité (en l’occurrence l’État – et c’est certainement là le principal point d’achoppement avec les propositions du Réseau Salariat) employeuse « en dernier ressort », on peut vite passer à la collectivité employeuse « en premier ressort ». Après tout, les emplois ainsi pourvus ou créés devraient correspondre à une mission d’intérêt général (et démocratiquement définie comme telle) : n’est-ce pas là au fond le ressort de la fonction publique ?

Mais le combat pour la retraite nous rappelle l’enjeu de la reconnaissance de l’activité productive hors-emploi, que la revendication de « l’État employeur en dernier ressort » a tendance à gommer.

Déconnecter le salaire et l’emploi : l’enjeu de la retraite

L’encadrement collectif de la sécurité sociale professionnelle doit aussi (et peut-être surtout) permettre de dessiner des moments de carrières où les producteurs seraient affectés à des postes à temps partiel voire dispensés d’emploi tout en se voyant garantir un salaire. Il ne s’agit pas de subventionner le farniente comme le prétendront certains, mais de reconnaître la création de valeur liée à l’exercice de libres activités. En écrivant cela, on ne pense pas seulement aux phases de formation déjà évoquées, ni aux tâches associatives et aux activités personnelles d’intérêt général. La garantie d’un salaire hors-emploi (ou le cas échéant, la garantie d’un salaire plein pour un emploi à temps partiel) doit aussi s’appliquer à l’artisanat indépendant, à l’agriculture, à la petite pêche, à la création d’entreprises aussi, et plus généralement à toute mobilisation de temps, d’argent et d’énergie dans le développement de nouvelles techniques. Il y a là autant de cas de figure à prendre en compte où, moyennant une socialisation totale ou partielle de la valeur créée par cette activité, les travailleurs doivent bénéficier d’une garantie de salaire alors même qu’ils ne sont pas employés.

Le jeu entre le cadrage nationale sur la qualification, l’âge et la santé, les conventions collectives de branches et la reconnaissance de la pénibilité des postes occupés doivent également fixer les conditions dans lesquelles un producteur peut être dispensé à la fois d’emploi et d’activité comme celles évoquées plus haut, et néanmoins conserver tous ses droits au salaire. Il peut s’agir de circonstances temporaires ou définitives. La retraite est alors définie comme la phase d’une vie professionnelle où le versement d’un salaire est définitivement acquis sans contrepartie réglementaire, au vu des étapes précédentes de cette vie professionnelle.

La qualification initiale : lier éducation et Sécurité sociale

Études et création de valeur

Le « salaire étudiant » est une revendication historique de certaines organisations de jeunesse. Le « salaire à vie dès 18 ans » promu par le Réseau Salariat répond à cette demande en l’élargissant, et notamment en évitant le piège potentiel consistant à réserver le droit au salaire aux personnes formellement inscrites dans une formation supérieure. Cette proposition renvoie à un aspect problématique de la théorie du « salaire à vie », à savoir le lien entre salaire et production de valeur (le salaire étant perçu comme réversion d’une fraction de la valeur produite, et le salaire socialisé, comme une mutualisation de cette valeur aux fins d’une réversion régulée par les producteurs). En effet, on peut dire qu’étudier ne crée pas de valeur au sens économique du terme. Comme le disait l’économiste Hugo Harari-Kermadec il y a quelques mois, étudier enrichit toujours celui qui étudie, mais pas forcément les autres. En revanche, certaines études, brèves ou longues, créent de la valeur en ce sens que les étudiants qui y sont engagés sont des producteurs, ou des futurs producteurs pré-recrutés et contractant un engagement auprès de leur futur employeur. Ces deux dernières catégories justifient effectivement un salaire étudiant. Mais elles ne couvrent pas l’ensemble du champ de la formation des personnes après la fin de la scolarité obligatoire, sauf à vouloir contraindre tous les étudiants à contracter un engagement à travailler pour la collectivité pour une certaine durée (une proposition qui est très largement celle de Bernard Friot, par exemple, pour qui les nouveaux arrivants dans le « salariat à vie » exerceront une forme de service civique où leur métier, ou du moins leur poste, pourra leur être assigné le cas échéant).

Vers une refonte de la branche « familles » de la sécurité sociale

Si l’on choisit de ne pas intégrer la formation initiale à la Sécurité sociale professionnelle, on peut se tourner vers la proposition du collectif ACIDES, qui regroupe des sociologues et économistes spécialistes de l’enseignement supérieur, de refondre le système des aides publiques au logement et des bourses d’études au sein de la branche « familles » de la Sécurité sociale, et de faire financer une allocation d’études de 1000 € par mois sur douze mois par an (mais 600 € seulement pour les étudiants hébergés par leur famille) par une hausse de trois points des cotisations patronales qui abondent la branche famille de la Sécu. Car si étudier ne crée pas encore de valeur, le fait d’avoir des salariés qualifiés pourra ultérieurement être utilisé avantageusement par l’employeur. L’enjeu est de proposer un régime par répartition dans l’enseignement supérieur en adossant cette expansion de la branche « familles » de la Sécurité sociale à la mise en œuvre d’une gratuité effective de l’enseignement à tous les niveaux. À noter toutefois que ce dispositif ne s’applique qu’à la formation initiale. La formation continue, pour sa part, concerne des producteurs à qui elle permettra de créer davantage de valeur ou de continuer à en créer.

Une nouvelle branche « logement » pour la Sécu ?

Via le dispositif des APL, la Sécurité sociale intervient déjà dans la politique du logement. La reconfiguration de la branche « familles » rendrait caduc le système des APL étudiantes puisqu’elles seraient fondues dans l’allocation autonomie.

Logement et capitalisme

Pour autant, aucun désengagement de la Sécu ne doit être envisagé pour le domaine du logement. Comme le disait déjà Engels dans son texte de 1872 sur la question du logement, ce n’est pas par un ajustement de l’offre et de la demande que l’on résoudra le problème du logement. Car la crise du logement est inséparable de l’accumulation et de la concentration du capital, qui conduit d’un côté à la pénurie de logements pour les travailleurs des grands centres urbains, et de l’autre à l’existence de logements vides et/ou de véritables domaines particuliers et d’archipels de résidences occupées une partie seulement de l’année dans les mêmes centres urbains, tandis qu’ailleurs, des logements habitables sont laissés en déréliction. La politique du logement fait corps avec la politique économique et sociale. Qui peut penser résoudre le problème du logement sans relancer l’activité économique des villes moyennes, c’est-à-dire sans démétropoliser le pays et par là-même remettre radicalement en cause le mode d’administration et de concentration du capital ?

Logement et socialisme

Pour Engels, il faut une « prise de possession effective » par les producteurs sur le logement comme sur les autres infrastructures économiques. Engels précise : « [Dans le système proposé], la population laborieuse reste le possesseur collectif des maisons, usines et instruments de travail, et du moins pendant une période de transition, elle en abandonnera difficilement la jouissance sans dédommagement de ses frais aux individus ou aux sociétés privées. Exactement comme la suppression de la propriété foncière n’est pas celle de la rente foncière mais son transfert à la société, encore que sous une forme modifiée » (cit. dans Lénine, L’État et la Révolution, ESM, p. 78).

Quelle sécurité sociale du logement ?

L’enjeu est bien de questionner la propriété foncière et immobilière, au minimum en la plafonnant de la même manière que les salaires doivent être plafonnés. Partout où cela est possible, le foncier doit être socialisé et les biens immobiliers, passer d’un régime de propriété privée à un régime de beaux emphytéotiques (la transition pourrait se faire au moment des cessions de bien : ventes et héritages). Parallèlement, des opérateurs immobiliers collectifs administrés par les représentants des producteurs (avec une instance de pilotage national) auraient la charge de construire un vaste parc immobilier socialisé. Il n’y a pas de raison de séparer la politique de logement de la gestion socialisée des salaires et des biens communs liés aux activités productives. Dès aujourd’hui, le « logement social » est organisé en tranches indexées sur les revenus. Plus la part des revenus liée à la socialisation de la valeur produite et à sa redistribution sera importante, plus la question du logement public sera intriquée avec celle de la Sécurité sociale professionnelle ; et l’universalisation du salaire socialisé qui constitue le point de fuite des réflexions sur la Sécu et le salaire à vie implique de fait une socialisation maximale du domaine du logement.

Sécurité sociale et santé

Il est bien sûr impensable d’évoquer la reconstruction de la Sécu sans dire un mot de la santé. Pour ce qui est de l’Assurance Maladie, la feuille de route est la constitution d’une sécu intégrale remboursant les soins à 100 %, en lien avec une densification du réseau hospitalier, l’embauche de médecins de ville mais aussi d’infirmiers et de personnels de soin directement par la collectivité, idéalement par les caisses primaires d’assurance-maladie. De même le remboursement effectif des médicaments doit aller de pair avec la constitution d’un pôle public pharmaceutique : qu’il s’agisse du soin ou des médicaments, l’argent des cotisations n’est pas là pour fournir une rente détournée au capital !

Nous avons consacré il y a quelques semaines un article à l’organisation d’un service municipal de la santé et du soin, qui soit largement géré par les citoyens eux-mêmes (plutôt que de dépendre du bon vouloir des majorités municipales successives). Dans la perspective d’un agenda général de reconquête, ce sont les mêmes mesures de maillage territorial et d’autogestion par les citoyens-travailleurs (pris ici comme cotisants) qui auraient vocation à être mises en œuvre, cette fois par les caisses primaires d’assurance-maladie, dont l’administration doit être revue pour donner aux cotisants (et usagers des infrastructures) un droit effectif à la parole.

Tout est à faire

En définitive, l’écrasante majorité des pistes présentées ici circulent déjà dans les milieux militants depuis plusieurs années. S’il y a bien une source d’optimisme pour la Sécurité sociale, c’est d’ailleurs le foisonnement actuel de réflexions et de propositions concernant son extension et son renforcement. L’agenda de la reconquête a du retard sur celui de la destruction, mais il est en train de le rattraper. Dans plusieurs domaines, l’articulation entre les différents pans de ce programme ne va pas totalement de soi, tant elle met en jeu des conceptions particulières de la création de valeur et du rapport capital / travail, mais aussi, de la part des militants qui les portent, des cultures politiques différentes. Ces tensions, ces contradictions parfois, ne doivent pas décourager : il y aurait au contraire de quoi s’inquiéter si un modèle prêt à l’emploi était fourni en bloc, abstraction faite des dynamiques elles aussi contradictoires qui traversent le pays. C’est la mise en œuvre concrète de ces mesures qui posera les problèmes et conduira à les résoudre.

« Le chemin se trace en cheminant », disait Machado : la première étape du chemin, c’est la grève générale reconductible. Nous ne marchons plus ? Alors commençons à cheminer.

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Protestation de Sylvie Teper

par Zohra Ramdane

 

C’est le deuxième tome (qui en comprendra trois) de 415 pages (25 euros) de la légende de Jean L’effrayé qui est paru chez Anfortas (nous avions déjà recensé le premier tome ici). Ce deuxième tome de ce roman historique, nourri d’intrigues sociales, économiques et politiques nous montre un décor de ce 14ème siècle très conflictuel : un changement de pape qui modifie la politique de ce dernier notamment vis-à-vis de l’Inquisition, la montée en puissance de la bourgeoisie face au roi et à la noblesse, la montée de la lutte contre l’obscurantisme, mais aussi les contradictions internes de chaque camp comme par exemple la montée en puissance d’un bourgeois Robert de Lorris qui n’a pas la même stratégie que le bourgeois Roland le Beuf…

Mais ce deuxième tome montre les tribulations de la bande des 5 de ce tome. Thomas, le prêtre excommunié, auteur du Protestatio, ouvrage critique contre la politique de l’Église, dont le but est aussi de donner un avenir à trois adolescents devenus adultes que sont Raoul (notre héros), Jehan et Ysabel. Marc, le charretier, membre comme Thomas de la Confrérie de la caverne, confrérie rebelle à l’intégrisme religieux. Ces 5 personnages sortis du premier tome reviennent en France après quelques années passées en Angleterre pour se ressourcer après la répression religieuse qui a été relatée dans le premier tome se déroulant à Senlis et environs. Ils vivent alors à Paris. Ce deuxième tome démarre en 1336 et nous amène jusqu’à 1348, date de la grande peste de triste mémoire. On pressent que le troisième tome se passera dans les années 1350 et suivantes au moment de la rébellion bourgeoise d’Étienne Marcel contre la noblesse et de la Grande jacquerie paysanne. Roman historique de ce siècle de sortie du Moyen Âge mais aussi des tranches de la vraie vie à cette époque de nos 5 personnages centraux : la vie estudiantine de Raoul, l’entrée dans le monde du travail de Jehan et Ysabel, la lutte pour la vie et la survie de Thomas et Marc, toujours soucieux de protéger « leurs trois jeunes ». Les intrigues montrent le haut niveau d’adversité que doivent vivre nos 5 personnages centraux mais aussi la montée des résistances et de la solidarité populaire dans ce monde où tout acte de résistance risque la mort.

Ce roman historique est aussi une quête pour notre héros, Raoul, qui essaye de savoir d’où il vient. Il sait qu’il fut occitan, que son oncle Jacques le convers l’a emmené en pays d’oïl, pour qu’il fasse des études, contre l’avis de son propre frère (voir le premier tome), qu’il doit beaucoup à Thomas et Marc qui ont pris la charge de Raoul mais aussi de Jehan, orphelin comme Raoul, et d’Ysabel dont la mère ne pouvait plus l’élever. Il comprend que Thomas et Marc ont appris d’où il venait. Pourquoi Thomas et Marc ne lui disent pas ?

Donc ce livre est un enchevêtrement de plusieurs livres, un livre romancé mais qui s’appuie sur une trame historique très précise, tant sur les mots et la langue de l’époque que sur l’histoire de cette période. Et nous vivons cette période dans la peau de notre héros Raoul (mais est-ce son vrai nom ?) et de quatre autres personnages centraux. Leurs pensées, leurs émois, leurs craintes, leurs joies, leurs peurs, nous deviennent familières.

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Film Les Lucioles

par Odette Sarafian

 

Par touches de pinceaux, s’éclairent dans ce film des sentiments diffus au sein d’un groupe de jeunes, que l’on peut percevoir certainement à plus grande échelle dans notre société. C’est un film impressionniste que nous découvrons, des plans sont de véritables tableaux où la nature frémit et l’obscurité palpite de vibrations humaines…

Un projet, un séjour à la montagne… Dès les premières images qui se déroulent en ville dans la salle encore vide d’un pôle emploi, un jeune homme cherche sa place, « à l’essai » sur plusieurs chaises puis prennent place peu à peu à travers ces garçons et ces filles, les projets, les rêves, les espoirs, les inquiétudes des uns et des autres, une image que chacun, chacune se donne.

La montagne, son immensité, ses aspérités, son mystère vont éveiller par touches chez ces citadins des sentiments de solidarité, de peur, d’amitié, de violence. Mais ce ne sont pas de longues confidences, pas des éclairs dans la montagne non plus, mais l’expression est sobre et fugitive.

Se découvrir sans masque ou avec un masque de loup et un loup sur le dos du tee-shirt mais le loup (qui on le sait peut être très humain) est l’essence de ce film qui à travers de beaux plans cinématographiques fait surgir des lucioles d’humanité.

Olivier Mitterrand le réalisateur mène fréquemment des ateliers d’expression avec des jeunes et des adultes (ici avec Olivier Witner) et en restitue des images dans des films ou des installations.

Précédemment, il a réalisé ainsi le film Épidermique qui, tourné principalement à l’intérieur d’une camionnette, nous suggère des traits d’amitié ou de complicité à travers une violence du verbe.

L’image finale de ce film nous transmet le malaise de ce groupe de jeunes, lors d’une sortie en forêt, lieu inhabituel où la violence n’a plus matière à s’exprimer.

Dans ces deux films, où il ne faut pas chercher une linéarité du récit, on remarque une recherche cinématographique, qui nous dévoile à travers des postures corporelles, une retenue des propos ou une violence des éclats de voix, le mal être d’une jeunesse qui ne demande qu’à s’épanouir.



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