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La laïcité contre le « séparatisme » ?

par Pierre Hayat

 

Les médias le promettent : le jour du discours mémorable de Macron sur la laïcité approche1. Contributeurs zélés d’une campagne de « communication en amont », les députés LREM ont commis le 14 janvier des propositions tendant à « recréer l’alliance républicaine des territoires » (sic). Ce rapport a placé en exergue des paroles que le président de la République a prononcées sur RTL le 27 octobre 2019 : « Il y a une lutte essentielle qui est une lutte contre le communautarisme. Le communautarisme, ça n’est pas le terrorisme, mais c’est le fait que dans certains quartiers de la République, dans certains endroits de notre République, il y a un certain séparatisme qui s’est installé, c’est-à-dire la volonté de ne plus vivre ensemble, de ne plus être dans la République… » Que penser de cet usage inattendu du mot « séparatisme », convoqué par Emmanuel Macron pour recadrer le combat contemporain de la laïcité contre le « communautarisme » ?

On notera d’abord que les laïques n’ont pas attendu cette déclaration du président de la République pour découvrir que le communautarisme ne se réduisait pas au terrorisme, même si le second ne se comprend pas sans le premier. Le terme « communautarisme » rend compte aujourd’hui d’une tendance réactionnaire à la fragmentation de la société laïque en groupements repliés sur eux-mêmes. Au nom d’une religion, d’une origine ethnique ou ancestrale, l’idéologie communautariste ignore les lois républicaines et l’universalité humaine fondatrice des droits de l’homme. Elle se réclame de la pluralité sociale pour la détourner au profit d’une représentation identitaire, liberticide et inégalitaire, des rapports humains. D’un anti-universalisme décomplexé, l’idéologie communautariste accompagne une vision du monde liquidatrice de l’humanisme émancipateur hérité des Lumières. Le communautarisme est d’ores et déjà parvenu à sévir dans des « territoires perdus de la République », par l’emprise qu’il exerce sur des personnes, des familles et des quartiers.

On peut ainsi estimer que le communautarisme installe effectivement une « séparation » entre sociétés closes, indifférentes ou hostiles à une vie commune libre et pacifique. Ce « séparatisme » n’est pas seulement territorial : il se propage comme idéologie globale dans les universités où tentent de s’imposer des discours venus d’outre-Atlantique, intimidants et totalisants, très construits, ethnicistes ou racialistes, de l’entre-soi, parfois de la revanche. À travers l’opposition républicaine au « communautarisme », c’est une idéologie politique, fréquemment mais non exclusivement religieuse, qui est combattue, non la libre expression des communautés présentes dans une société laïque. De ce point de vue, le mot « séparatisme » ne dit rien de plus que le mot « communautarisme », pour qualifier ce phénomène qui menace la République laïque et mine les mouvements sociaux.

Quel est donc l’intérêt intellectuel et pédagogique à présenter la lutte contre le communautarisme comme une lutte contre « un certain séparatisme » ? On pourrait penser aux départements français où s’imposent des régimes dérogatoires à la loi de 1905, qui contreviennent à l’indivisibilité de la République. On songe aussi à la loi du 31 décembre 1959 qui accorde un statut dérogatoire aux établissements scolaires religieux. Mais on ne trouve évidemment aucune opposition de cet ordre dans le rapport des députés marcheurs.

Pour essayer de comprendre cette critique baroque du « séparatisme » de la part des macronistes, on peut en revanche regarder du côté de sociologues complaisants avec l’idéologie communautariste. À la suite de Jean Baubérot, Philippe Portier parle doctement de « laïcité séparatiste », par référence à la loi du 9 décembre 1905 portant séparation des Églises et de l’État. Dans L’État et les religions en France, Portier oppose la « laïcité séparatiste » (en réalité : la laïcité) à une laïcité « partenariale » ou « coopérationniste », qui est une version adaptée à la mondialisation contemporaine du régime concordataire de 1801. De leur côté, les députés macronistes avancent dans leur rapport des préconisations allant dans le sens d’un « partenariat » concordataire entre l’État et le culte musulman. Ils complètent en cela le souhait de Macron affirmé devant la Conférence des évêques de France de « réparer » le « lien abîmé » entre l’Église catholique et l’État. La prétendue lutte contre le « séparatisme » cacherait-elle une lutte contre le principe laïque de séparation de l’autorité publique et des associations religieuses, par lequel la République ne reconnaît et ne finance aucun culte ? On jouerait ainsi avec les mots pour mieux brouiller les idées et les projets.

Mais il est une autre façon de saper le principe laïque de séparation. Elle consiste à s’en réclamer, en le privant de ses contenus essentiels, et ainsi, à le rendre inapplicable. L’« Observatoire de la laïcité » excelle en la matière. Lorsque ce premier de cordée institutionnel de la « laïcité ouverte » évoque la neutralité des agents publics, il omet de préciser que la bonne marche des services publics impose des obligations particulières à ses bénéficiaires, appelés à limiter leurs prétentions notamment religieuses. L’Observatoire ignore également que l’école publique a besoin de maintenir en son sein des cadres plus protecteurs et plus exigeants que ceux de l’espace public de la rue, sans lesquels elle ne pourrait remplir sa fonction de transmission des connaissances rationnelles, de formation à l’esprit critique et à la citoyenneté éclairée. Tout comme l’« Observatoire de la laïcité », le rapport des députés marcheurs ignore ces deux exigences élémentaires pour faire vivre la laïcité dans les services publics et à l’école. Ainsi, cette nouvelle « laïcité anti-séparatiste » que Macron s’apprête à promouvoir, ne serait, au bout du compte, qu’une version recyclée de la « laïcité inclusive », qui est elle-même un produit dérivé de la « laïcité ouverte » : d’une laïcité qui n’en est plus une. Tout ça pour ça ?

Mais au sein même du combat laïque, on peut alerter sur l’erreur théorique et politique d’une autre séparation, qui consiste, celle-là, à disjoindre les enjeux laïques et les enjeux sociaux. La persistance d’une laïcité de surplomb, qui s’en tient à l’affirmation performative du principe de laïcité, estimant que ce qui se passe dans la société n’est guère son affaire, court le risque de l’inefficience ou de l’autoritarisme. À l’inverse, les luttes sociales pour le service public, les régimes de retraite, les droits sociaux, les assurances maladie, se privent souvent du levier intellectuel majeur qui aiderait le mouvement social et syndical à se prémunir durablement de son infiltration mortifère par l’idéologie communautariste, ennemie irréductible des valeurs émancipatrices portées par le mouvement ouvrier des XIXe et XXe siècles.

1 Ndr : Ce texte a été écrit peu avant le discours d’Emmanuel Macron sur le communautarisme et le séparatisme du 18 février à Mulhouse. L’article de Zohra Ramdane « Communautarisme, séparatisme : encore faudra-t-il sortir du flou et de l’ambiguïté ! » a quant a lui été rédigé après le discours.

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Communautarisme, séparatisme : encore faudra-t-il sortir du flou et de l’ambiguïté !

par Zohra Ramdane

 

Après le spectacle enfantin des médias complaisants qui nous disaient en substance depuis des semaines que l’oracle présidentiel allait parler, voilà que Macron décide enfin de parler sur une terre concordataire (le Haut-Rhin) où la laïcité est bafouée, sans dire un mot des trois départements métropolitains d’Alsace-Moselle où ne s’applique pas la laïcité institutionnelle – auxquels s’ajoutent la Guyane et Mayotte ! Cela commençait mal, car la meilleure façon d’appliquer la laïcité est de commencer par supprimer ces exceptions territoriales.

Et pourquoi ne pas parler de l’augmentation du financement public des écoles privées confessionnelles au détriment de l’école publique, alors que la République doit appliquer l’adage « fonds publics à l’école publique » ?

Et pourquoi de même ne pas parler de l’utilisation croissante de l’argent public pour la construction de cathédrales (Évry, Créteil pour le moins), de mosquées (Institut des cultures de l’Islam à Paris par exemple) et de bien d’autres édifices religieux de différentes confessions ?

Ni des cadeaux aux structures religieuses par les baux emphytéotiques quasiment gratuits qui obèrent d’autant les politiques sociales et culturelles nécessaires ?

Tout en oubliant que près de la moitié de nos concitoyens sont athées et agnostiques, on sème la confusion entre « culturel » et « cultuel ». Oui, l’argent public devrait en priorité être dévolu aux politiques sociales et culturelles, alors que les dépenses au profit des communautaristes sont en forte hausse, de façon scandaleuse !

Communautarisme, séparatisme : causes et effets

C’est bien pour nous le communautarisme qui entraîne le séparatisme. Ce sont bien les politiques communautaristes menées depuis des décennies par les gouvernements néolibéraux qui ont créé les ghettos que nous avons en France ici et là. Et la politique communautariste est bien le contraire d’une politique universaliste qui s’applique à tous.

Contrairement à ce que dit un président qui change les mots parce qu’il ne veut pas s’attaquer aux racines du mal, le communautarisme est une politique qui non seulement nuit à l’universel mais aussi aux communautés qui acceptent l’universalité de la loi.

Il y a donc du flou d’abord dans la pensée présidentielle de l’heure. Le communautarisme, c’est la politique des « accommodements raisonnables » négociés par les dirigeants de L’État directement avec des responsables de structures communautaristes largement minoritaires dans leur propre communauté !

La République sociale, pour nous, ne doit pas ignorer les communautés mais elle ne doit en reconnaître aucune. Pour établir sa Constitution et ses lois, la République sociale doit délibérer uniquement dans la sphère politique des citoyens et non avec les directions des structures communautaires.

Dans la proposition présidentielle délivrée à Mulhouse, il y a deux groupes de propositions. Le premier groupe est celui qui regroupe des mesures indispensables pour lesquelles on possède déjà les lois nécessaires. On peut donc se demander pourquoi les prédécesseurs de Macron mais aussi Macron lui-même n’ont jusqu’ici pas appliqué avec rigueur les articles 25 à 44 de la loi dite de 1905(1)Voir à ce propos dans notre journal : http://www.gaucherepublicaine.org/wp-content/uploads/2019/05/Les-reculs-incessants-de-la-lai%CC%88cite%CC%81.pdf !

Dans le deuxième groupe, il y a les scandaleuses politiques de l’État et des collectivités territoriales d’achat de la paix civile, soit par la politique des « grands frères » communautaristes, soit en négociant avec les voyous de la drogue, soit en les liant avec des accords commerciaux par exemple avec l’Arabie saoudite salafiste ou avec le Qatar ou la Turquie, dirigés par des gouvernements liés à la secte réactionnaire des Frères musulmans.

Il y a surtout un angle mort de la parole présidentielle sur les causes sociales et culturelles du communautarisme. Quand la république constitue un espoir pour les couches populaires, une politique laïque et culturelle émancipatrice est facilitée.

Mais quand une prétendue république passe son temps depuis des décennies, mais de pire en pire, à enrichir les plus riches, à appauvrir les plus pauvres, à organiser la ségrégation spatiale, à détruire les services publics dans les banlieues, en zone périurbaine et en zone rurale, les prêcheurs de haine communautaristes jouent sur du velours…

Avec la politique anti-sociale du mouvement réformateur néolibéral, la montée du communautarisme est inexorable. Derrière la façade des promesses qui n’engagent que ceux qui y croient, il reste à combattre l’alliance du néolibéralisme et des forces communautaristes. Et c’est d’autant plus difficile que les directions des organisations syndicales et politiques de gauche, qui se déclarent hostiles au néolibéralisme, sont souvent complaisantes (parfois plus) avec les communautarismes religieux en général, avec les identitaires indigénistes de l’islam politique en particulier. Comment ne pas voir les liens qui existent entre certains alliés communautaristes du néolibéralisme et certains alliés d’une partie heureusement minoritaire de la gauche dite radicale, syndicale ou politique, comme l’a montré le déroulement de la manifestation du 10 novembre 2019 et l’identité des initiateurs ?

Rien ne sera réglé par le seul combat laïque. Rien ne sera réglé par le seul combat social. Rien ne sera réglé par le seul combat culturel. Pour fédérer le peuple au sens des Fédérés de 1792, il faut lier les combats laïques, sociaux et culturels(2)Voir l’appel www.combatlaiquecombatsocial.net. Et, pour y parvenir, redonner à une éducation populaire refondée ses lettres de noblesse.

Notes de bas de page   [ + ]

Chronique d'Evariste
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La question stratégique se situe dans l’angle mort des visions militantes

par Évariste

 

Un de nos camarades nous a transmis un article paru sur le site Opex 360 (site d’information sur l’actualité de défense et de la sécurité) intitulé « Pour le général [2S] Castres, ex-chef des opérations à l’EMA, la France a commis cinq erreurs au Sahel » (de Laurent Lagneau, disponible ici).

Après avoir lu cet article écrit suite à un cycle d’auditions sur l’opération Barkhane organisé par la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées, force a été pour nous de constater que nous aurions pu écrire un article intitulé « Pour nous, les directions des organisations politiques et syndicales de gauche ont commis cinq erreurs depuis de nombreuses années » en reprenant des phrases entières du discours généraliste du général Castres.

Cela nous a rappelé la célèbre phrase de Clausewitz : « La guerre n’est rien d’autre que la continuation de la politique par d’autres moyens ». Et même si Michel Foucault inverse la phrase de Clausewitz, on voit bien le lien entre la stratégie politique et la stratégie militaire. Pour les curieux qui s’intéressent à la question stratégique, la lecture des grands stratèges de l’histoire – Sun Tzu, Machiavel, Clausewitzk, etc. est d’un grand intérêt.

Présentons ces phrases :

La première erreur serait la méconnaissance du réel (qui empêche d’aller vers l’idéal !), qui invite à plaquer un « prêt à penser » et des « solutions clés en main » ; cette tendance à vouloir appliquer des solutions clé en main « accrédite l’idée selon laquelle les crises seraient des modèles mathématiques quasiment orthonormés » alors qu’il faut les voir comme des « organismes vivants » ayant chacun un « biotope différent ».

La seconde erreur serait de considérer une crise uniquement sous (un seul) prisme avec les yeux rivés sur les seuls « indicateurs opérationnels »… Les « embrasements de violence ne sont jamais la cause des crises mais leur conséquence ».

La troisième serait de ne pas tenir compte de « l’inconcordance des temps ». Aussi « quand nous nous engageons dans la résolution d’une crise, nous devons d’emblée intégrer la dimension temps et élaborer une stratégie de moyen ou long terme, résiliente sur les plans financier et capacitaire. »

La quatrième erreur (serait) de considérer les différentes crises dans le monde, en particulier celles liées à la mouvance jihadiste, comme des « phénomènes cloisonnés géographiquement – Libye, Sahel, Asie, Levant – et de penser qu’en les résolvant successivement, nous apporterons une solution à la crise globale. » Alors que nous sommes dans un « système de crises » auquel il faudrait apporter une « réponse systémique, globale et englobante ».

Le cinquième « péché capital » décrit… consiste à ne pas savoir garder la « tête froide » et donc de réagir sous le coup de l’émotion, voire sous la pression des médias et de l’opinion publique : « Nous faisons rarement de bons choix avec un œil rivé sur les horreurs diffusées par les chaînes d’information permanentes et l’autre sur les sondages de popularité » et ce comportement induit une « une forme de dérationalisation des décisions politiques » qui fait que l’on préfère « apporter à une crise une réponse médiatique plus qu’un effet stratégique »

Enfin, l’’auteur ajoute une sixième erreur. « Ils » n’ont pas été formés au sens où nous l’entendons… Et il y a deux raisons à cela : les pouvoirs en place (les directions d’organisations) ont considéré qu’une armée forte (que des militants formés) serait une menace pour eux, d’où l’accent mis sur des « gardes prétoriennes ». La seconde est que « qu’en l’absence de menaces globales […], le métier (politique) est devenu dans beaucoup de pays, plus une rente de situation qu’une vocation », aussi, le « réveil est donc brutal et le retard à combler important ».

Bien sûr, toutes choses sont différentes par ailleurs. Néanmoins, nous remercions le général Castres, que nous ne connaissons pas, de nous avoir donné l’occasion de faire cette chronique.

International
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Venezuela : deux ou trois détails de l’histoire…

par Maurice Lemoine

 
Article repris du site Recherches internationales.

Étonnante performance que celle de la République bolivarienne du Venezuela… Elle réussit à provoquer un réquisitoire quasiment unanime – des représentants de la droite la plus conservatrice à la confrérie des marxistes postmodernes en passant par les chiens de garde écrits, radiodiffusés ou télévisés : « Au Venezuela, Nicolás Maduro se maintient au pouvoir au prix d’une répression croissante malgré sa mise en minorité électorale et fait face à un effondrement économique sans précédent, avec des conséquences dramatiques pour les habitants, qui s’exilent massivement dans les pays voisins, une crise liée à la gabegie gouvernementale, à l’incurie de la gestion pétrolière, et aggravée par les sanctions de l’administration Trump. »(1)Thomas Posado, Michel Rogalski, Pierre Salama,«L’Amérique Latine en bascule », Recherches internationales, n° 115, Paris, juillet-septembre 2019.

Réjouissons-nous : de tels commentaires nous rajeunissent. Pour Georges Dupoy, journaliste au Figaro au début des années 1970, l’Unité populaire de Salvador Allende n’était à peu près exclusivement que « faux-semblants, bavardages, irresponsabilité et incompétence ». Selon Raymond Aron, dans le même quotidien, «[…] l’échec du président Allende était consommé. [L’armée] n’intervenait pas pour arrêter les progrès du socialisme – le président, face aux passions déchaînées et à une économie dégradée, ne songeait plus qu’à durer […]»(2)« La Tragédie chilienne », Le Figaro, 14 septembre 1973.

Quant à Robert Lozada, du social-darwiniste Club de l’Horloge, il avançait : « C’est l’impéritie de la politique économique menée […] par Salvador Allende qui l’a conduit à sa chute. Aucun régime ne résiste à une inflation de 1000 % en rythme annuel, comme celle qui sévissait à Santiago dans les semaines précédant le coup d’État. » Des manipulations de la vérité à large échelle. À la différence que, à cette époque, la gauche était capable d’en discerner les grosses ficelles et d’appeler « déstabilisation » une déstabilisation.

Disserter à n’en plus finir sur les issues possibles à la crise vénézuélienne n’a aucun sens si l’on ne rétablit pas quelques vérités délibérément écartées par une opération mondiale de lynchage organisé.

Par où commencer ?

Les mesures coercitives unilatérales (rebaptisées « sanctions ») des États-Unis ne feraient qu’« aggraver » une situation économique caractérisée par les pénuries (bien réelles) dont souffre la population. Une conjoncture due plus que tout, bien avant la mise en œuvre de la « punition » impériale, à la gestion de Nicolás Maduro. Cette approche met délibérément de côté le torpillage de la révolution bolivarienne par une « guerre économique » entamée avant même l’arrivée à la présidence du successeur d’Hugo Chávez.

Exemple concret (parmi dix mille autres) : en obligeant les producteurs et les commerçants à travailler « à perte », les « prix régulés » – cette horreur socialiste qui interdit une marge bénéficiaire supérieure à 30 % sur certains produits de première nécessité – font que plus personne ne produit. Cherchez l’erreur : sur les 42 marchandises mises sur le marché par le géant agroalimentaire national Polar, seules quatre ont un prix « régulé » (la farine de maïs, le riz, l’huile et les pâtes alimentaires) ; cela n’a pas empêché que, avant l’élection présidentielle d’avril 2013 (gagnée par Maduro), l’ensemble de sa production, et non ces seuls produits, ait reculé de 37 %; puis de 34 % au moment de « La Salida » (période insurrectionnelle de l’extrême droite en 2014) ; de 40 % avant les législatives de décembre 2015. Effet recherché : la gestion chaviste vous fait « crever de faim », votez pour l’opposition.

Le Venezuela étant soumis à un contrôle des changes depuis 2003 (pour éviter la fuite des capitaux), toutes les importations dépendent en grande partie de l’octroi de devises étrangères par l’administration publique. Pour l’achat des matières premières et des biens essentiels, le gouvernement fournit aux entreprises des dollars – ceux qu’il reçoit à travers les exportations pétrolières – à un taux préférentiel. En 2004, ces firmes reçoivent 2,1 milliards de dollars pour importer des aliments: chacun peut se nourrir normalement. En 2014, 7,7 milliards (une augmentation de 91 %) : on ne trouve plus rien dans les magasins.

En 15000 signes (longueur approximative de cet article), on ne détaillera évidemment pas six ans de cet évident sabotage, qui s’est aggravé au fil du temps. Il s’agit là de quelques données de base destinées à provoquer la réflexion de tout individu curieux et de bonne foi.

Pénuries organisées et sélectives des produits… Mais les biens sortis du marché pour rendre la vie infernale à la population lui parviennent : au marché noir, après mille difficultés et à un prix exorbitant. Sachant que, par ailleurs, 12210 tonnes (!) d’aliments, dont manquent cruellement les Vénézuéliens, sont interceptées de janvier à novembre 2014 en direction de la frontière colombienne par les forces de la Commission de lutte contre la contrebande. Pour une tonne récupérée, combien parviennent à destination (avec la fréquente complicité, bien entendu, de gardes nationaux ou de militaires vénézuéliens et colombiens) ?

Une fioriture pour embellir l’histoire : l’inflation, qui atteint on ne sait même plus combien de « millions de pour cent ». Aucune économiste ne saurait rationnellement l’expliquer. Sauf ceux qui prennent en compte la manipulation des taux de change effectuée par un organisme nommé DolarToday, géré depuis Cúcuta et Bogotá (Colombie), supervisé depuis Miami.

Et maintenant, les effets spéciaux… D’un seul coup (2016, 2018), l’argent liquide disparaît. Le moindre achat devient un casse-tête. Incurie du pouvoir ? En mars 2016, la police fluviale colombienne intercepte un chargement de 16,5 millions de bolivars en coupures de 100 ; en décembre, l’armée vénézuélienne en saisit pour 88 millions ! Le 13 février 2017, au… Paraguay, un poids lourd sort de la route, une partie de son chargement vole sur le bas-côté : vingt-cinq tonnes de billets de banque vénézuéliens ! Entrés dans le pays par le Brésil après un passage par la Colombie.

Nul ne prétend que tout va pour le mieux dans le meilleur des Venezuelas ! Comme toute entreprise humaine, le pouvoir commet des erreurs. Bien réelle, endémique, la corruption participe de l’anarchie dans la distribution des biens essentiels et le pillage de l’État. Évoquant les « empresas de maletín » (entreprises fictives, supposément toutes « chavistes », ayant détourné l’argent destiné aux importations), l’économiste Luis Salas estime qu’elles représentent 10 % de l’octroi de devises. « La grande fraude est le fait des firmes classiques et des transnationales. La droite met en évidence les “empresas de maletín” pour occulter cette responsabilité. » En novembre 2019, le ministre des Affaires étrangères Jorge Arreaza avancera le chiffre global des malversations à « au grand maximum 20 % ».

C’est beaucoup. Beaucoup trop. Mais ne suffit pas à expliquer un tel effondrement du pays. Pas plus que ne le justifie la baisse brutale des cours du brut entre 2014 et 2016 (même si elle a affecté les capacités financières du gouvernement). Avec un baril remonté en 2017 aux alentours de 40 dollars (puis 50 en 2018), et même avec une diminution de la production, la théorie de la population « au bord de la famine » à cause du  « pays en faillite » résiste mal à la réflexion (pour peu, bien sûr, qu’il y ait une réflexion).

Derrière les analyses simplistes se cache l’essentiel. « Les piliers économiques sont des cibles bien plus faciles que les bases militaires ou les palais présidentiels ; secouez-les, et le tyran finira par tomber », a développé le politologue étatsunien Gene Sharp, le Machiavel de « la lutte non-violente » (camouflage contemporain des « révolutions de couleur »).

Le 6 décembre 2015, lors des élections législatives, ce sont ces tracas, ces privations et le mécontentement érodant le moral des citoyens qui ont fait perdre 1900 000 voix au chavisme et l’ont rendu minoritaire à l’Assemblée. Entre parenthèses, c’est avec le système électoral qu’elle dénonce chaque fois qu’elle perd que l’opposition a obtenu cette majorité. Pour qui ne l’aurait pas remarqué, lors des élections régionales de décembre 2013, cette droite « systématiquement flouée par les fraudes » avait, bien que battue par la majorité présidentielle, remporté la mairie du Grand Caracas et plusieurs importantes capitales d’État : Maracaibo (la deuxième ville du pays), Mérida, Valencia, Barquisimeto, San Cristóbal, Maturín, Barinas… Lors des régionales suivantes, en 2017, elle conserva les très stratégiques États de Mérida, Zulia et Táchira, situés sur la frontière colombienne (la principale menace pour la sécurité du pays).

Oui, mais, justement, cette Assemblée d’opposition élue fin 2015… Rayée de la carte, bafouée, piétinée… Objection ! Tout comme Maduro avait accepté la défaite, les forces conservatrices auraient dû assumer qu’il demeurait le président constitutionnellement élu. Il n’en a rien été. Le 5 janvier 2016, dans son premier discours de président de l’Assemblée Nationale, Henry Ramos Allup annonçait que, dans un délai de six mois, celle-ci trouverait « une méthode pour changer de gouvernement ». En privé, il parlait de seulement trois mois pour « sortir Maduro ». Une « cohabitation » à la vénézuélienne ! Par pure provocation, Ramos Allup fit prêter serment à trois députés de l’État d’Amazonas dont le Tribunal Suprême de justice (TSJ) avait invalidé l’élection pour fraude (preuves à l’appui). Sauf à se transformer en république bananière, aucun État de Droit n’accepterait untel défi. Le TSJ déclara que tout acte émis par cette Assemblée serait considéré comme « nul » tant que celle-ci, « en violation flagrante de l’ordre public constitutionnel », se trouverait en situation de « desacato » (outrage à l’autorité). Vous avez dit scandaleux ?

Lorsque, au terme d’une vague de violence insurrectionnelle d’extrême droite, et en l’absence d’une Assemblée exerçant ses responsabilités institutionnelles, Maduro convoque pour le 30 juillet 2017 l’élection d’une Assemblée Nationale Constituante (ANC), il s’appuie sur les articles 347, 348 et 349 de la Constitution. La victoire lui octroyant un nouveau mandat le 20 mai 2018 aura lieu après un dialogue destiné à établir les garanties démocratiques entourant l’élection, dialogue rompu le 6 février, quand, sur ordre de Washington, l’opposition radicale refusa de signer le texte définitif, rédigé d’un commun accord – ce dont le médiateur, José Luiz Rodríguez Zapatero, s’offusqua publiquement. Forte abstention, bien sûr, lors de ces deux consultations boycottées par toute l’opposition (Constituante) ou une partie (présidentielle) : 52 % dans ce dernier cas. Disqualifiant ? C’est selon. Certains racontent que l’abstention fut de 58 % lors du scrutin portant Michelle Bachelet au pouvoir au Chili (2013) et de 54 s’agissant de Sebastián Piñera (2017) ; de 56 % lors de la dernière élection de Juan Manuel Santos en Colombie (2014) ; de 49 % au Honduras en 2017 (agrémentée de fraudes de surcroît) ; et même de 57,36 % (un record !) lors du deuxième tour des législatives du 18 juin 2017 en… France ! Sans appel au boycott de qui que ce soit… Amusant, non?

Dans cette guerre qu’elle n’a pas méritée, la révolution bolivarienne a encore assez de punch pour opposer une belle résistance. Par la violence ? La droite et l’extrême droite vénézuéliennes n’ont rien d’un club de bridge.

Lors des deux vagues insurrectionnelles de 2014 et 2017 – les « guarimbas » –, le décompte macabre des victimes (45 et 142) a donné lieu à une manipulation majuscule. Transformées en martyrs par l’internationale médiatique, la moitié d’entre elles, souvent chavistes ou sans camp défini, ne participaient pas aux protestations. Quant aux « manifestants pacifiques », ils ont réussi la performance de tuer par balles neuf membres des forces de l’ordre en 2014 et sept en 2017 (en plus, cette année-là, de blesser vingt et un policiers par arme à feu). Le 4 août 2018, c’est à l’aide de deux drones chargés d’explosifs que l’« opposition démocratique » a tenté d’assassiner le chef de l’État. Un détail anodin, à n’en pas douter…

Il est toujours dangereux de tirer le tigre par la queue. Le chavisme se défend (sinon, il serait déjà tombé). Pour des raisons « politiques », mais aussi « criminellement politiques », des opposants sont incarcérés (rarement innocents). Des officiers félons sont arrêtés. Les mouvements populaires se mobilisent (avec leur lot d’inévitables excès), comme les « colectivo s» – militants radicaux (un crime pour les adeptes de la reddition permanent e!) rebaptisés « paramilitaires » par les chercheurs bureaucrates et les niais. Que manipulent, c’est vrai, des médias rassemblés en bandes et hurlant comme des loups. Lorsque Le Monde (5 octobre 2019), aveuglément repris par les rois du « copier-coller », « révèle » que la force publique vénézuélienne « a tué environ 18 000 personnes depuis 2016, des exécutions extrajudiciaires pour la plupart », inventant même sur son site Internet « selon l’ONU », il ment de façon extravagante(3)Lire sur le site de Mémoire des Luttes, «Venezuela: aux sources de la désinformation», 7 octobre 2019.. Une honte pour la profession. La fake new de l’année. Mais aux effets dévastateurs sur l’opinion.

Dans quelle partie du monde un Juan Guaido, président fantoche et autoproclamé, appelant une puissance étrangère à affamer ses concitoyens par des « sanctions » et à intervenir militairement dans son pays, serait-il encore en liberté? En France, pour « intelligence avec une puissance étrangère […] en vue de susciter des hostilités ou des actes d’agression », il aurait déjà pris trente ans de détention criminelle (art. 411-4 du Code pénal). Le véritable scandale réside dans l’appui que lui prodigue la supposée « communauté international e» – les États-Unis et leurs supplétifs de l’Organisation des États américains (OEA), auxquels s’ajoute l’Union européenne : 50 pays sur les 193 présents à l’ONU.

Qu’on cesse d’observer le Venezuela tel qu’on voudrait qu’il soit et non tel qu’il est. Cruelles, criminelles, dévastatrices et bafouant le droit international, les « mesures coercitives » états-uniennes n’aggravent pas la situation, elles parachèvent l’agression(4)Voir sur le site Venezuela en vivo, «Chronologie des sanctions économiques contre le Venezuela».. Se contenter de dénoncer, au nom d’un anti-impérialisme de routine, une seule et éventuelle intervention militaire états-unienne relève de l’hypocrisie. Il y a belle lurette que l’intervention – c’est-à-dire la guerre – des États-Unis contre le Venezuela a débuté. Est-ce un hasard ? En Amérique Latine, où l’on connaît ses classiques, la quasi-totalité des partis progressistes et des mouvements sociaux et populaires soutiennent le Venezuela « de Maduro ».

Notes de bas de page   [ + ]

1. Thomas Posado, Michel Rogalski, Pierre Salama,«L’Amérique Latine en bascule », Recherches internationales, n° 115, Paris, juillet-septembre 2019.
2. « La Tragédie chilienne », Le Figaro, 14 septembre 1973.
3. Lire sur le site de Mémoire des Luttes, «Venezuela: aux sources de la désinformation», 7 octobre 2019.
4. Voir sur le site Venezuela en vivo, «Chronologie des sanctions économiques contre le Venezuela».


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