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Quatre crises concomitantes à causalité différente et une affirmation à contre-courant du gérant du capital

par Évariste

 

Nous vivons quatre crises concomitantes mais à causalité différente bien que le mouvement réformateur néolibéral soit toujours, dans ces quatre crises, du même côté de la barrière : la crise du coronavirus Covid-19, le krach économique et financier, la crise écologique et la crise sociale et politique. Le dispositif macronien en profite pour dire, à tort, que le krach est une simple conséquence du Covid-19. Tout au plus, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, rien de plus.

Car la cause principale du krach économique et financier est la crise du capital, comme le démontrent les nombreux articles que Respublica lui a consacré et des livres disponibles dans notre « librairie militante » (colonne de droite de notre site). Comme à chaque krach boursier et financier, le mouvement réformateur néolibéral n’agit pas sur les causes car cela irait contre les intérêts de l’oligarchie, et les mêmes causes continuent à produire les mêmes effets.

La crise sanitaire – Quant aux origines du coronavirus Covid-19, cela reste un mystère bien que l’on sache que la mondialisation néolibérale accélère sa propagation par l’organisation en flux tendus avec objectif financier à court terme de la plupart des systèmes de santé du monde, empêchant ainsi de répondre aussi vigoureusement qu’il est souhaitable aux crises sanitaires. Plus généralement, comme le dit Franck Nouchi dans son article du Monde « Coronavirus : pourquoi la stratégie sanitaire française pose question ? » : « Sur quelles bases scientifiques, médicales, épidémiologiques, la stratégie actuelle de lutte contre la pandémie de coronavirus a-t-elle été mise en œuvre en France et, plus généralement, en Europe ?

Pourquoi les autorités sanitaires ont-elles, dans ces pays, décidé de ne pas suivre ni les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ni l’exemple chinois de lutte contre la pandémie? En décidant de laisser l’épidémie suivre son cours et de ne pas tenter de l’arrêter brutalement, les pouvoirs publics français, sans le dire, acceptent l’idée qu’une part importante de la population va être, dans les prochains mois, infectée par le coronavirus ? »

Comment comprendre qu’on ferme avec tant de retard les écoles, les bars et restaurants mais que l’on ne reporte pas les élections municipales ? Ne serait-ce pas parce que la direction de LR, futur allié nécessaire pour Macron, s’y opposait, ne voyant dans ces élections que son intérêt de boutique ?

Comment comprendre qu’on n’ait pas utilisé les services militaires sanitaires pour ouvrir des unités médicales nouvelles pour les cas légers, afin de désengorger les hôpitaux publics ? La Chine et Israël l’ont fait, pourquoi pas l’Europe ?

S’il faut retenir une chose de cette crise sanitaire, c’est bien la politique criminelle du mouvement réformateur néolibéral dans la déstructuration du cœur du système sanitaire français que le mouvement social a mis en lumière depuis de nombreuses années.

Oui, le programme et la politique du Conseil national de la Résistance avaient raison : la santé est trop importante pour être gérée par le privé et par L’État, elle doit l’être par des représentants élus séparément des députés, et de façon autonome du reste de l’économie ! C’est le seul moyen pour remplacer la charité par la solidarité (à chacun selon ses besoins et à chacun selon ses moyens) et de le financer uniquement par du salaire socialisé !

La crise écologique se développe, elle, malgré la peinture verte plaquée sur tous les programmes électoraux qu’ils soient dits de gauche, écologistes, de droite ou d’extrême droite. Nous y reviendrons dans les semaines qui viennent car il ne suffit pas de se dire écolo pour l’être !

La crise sociale et politique entre dans une nouvelle phase. Et chaque élection nous permet de mesurer les comportements sociologiques de notre peuple. Nouvelle phase car après les mouvements sociaux de ces deux dernières années (gilets jaunes,mouvement contre le projet gouvernemental des retraites, mouvement contre le recul de l’hôpital public et de l’école, etc.) et le résultat du premier tour des élections municipales de 2020, il faudrait être « hors sol », en dehors de la réalité matérielle, pour ne pas se poser les questions de la pertinence de notre ligne, de notre stratégie et donc de nos actions. D’ailleurs, le mouvement destituant, qui reprendra dès que la crise sanitaire sera terminée, porte témoignage que cela est déjà perceptible dans une partie importante du peuple (voir notre précédent article).

Les reculs laïques, sociaux, démocratiques et écologiques sont non seulement patents mais leur férocité s’accentue. Tant dans les mouvements sociaux que sur le plan électoral, nous ne retrouvons pas, au niveau des résultats, le refus majoritaire de ces reculs laïques, sociaux, démocratiques, et écologiques que traduisent la simple observation et les enquêtes d’opinion.

Ce qui est pourtant nouveau, pour nous, dans la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle, prélude obligé à avant toute bifurcation sociale et politique, ce sont deux choses :

  • La phrase prononcée par le président Macron lors de sa dernière allocution télévisuelle: « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. », E. Macron (12 mars 2020). Le fait qu’il soit obligé de dire cela alors que toute la pratique politique du mouvement réformateur néolibéral est de mettre dans le marché ce qui ne l’est pas encore, en dit long sur la secousse que la réalité matérielle vient d’infliger au mouvement réformateur néolibéral. Bien que nous n’attribuions pas plus de crédit à la capacité du au président Macron d’agir en conformité avec ses propos qu’à celle de son prédécesseur – qui avait déclaré que son ennemi c’était la finance -, nous pensons que sur le plan idéologique et culturel, on a avancé.
  • Les mesures préconisées le 12 mars par le président Macron vont coûter 25 milliards d’euros. Et ce n’est qu’un début car il a dit « quoi qu’il en coûte ! ». 10 milliards début décembre 2018, 25 milliards à partir du le 12 mars 2020 ! On est encore loin des centaines de milliards réunies en 2008-2009. On voit là encore de nouveau, les discours néolibéraux d’avant le krach mis à mal !

Sans avoir approfondi les résultats du scrutin des municipales du 15 mars 2020 (tâche que nous ferons d’ici un mois dans Respublica pour alimenter notre tour de France, voir ci-dessous), nous pouvons vérifier que l’abstention s’est considérablement accrue, probablement à cause de la crise sanitaire du Covid-19, que les candidats de la « République en marche arrière » ont subi un échec cinglant, que les anciens partis de gouvernement (LR, PS) ont repris temporairement des couleurs et que la France insoumise confirme son recul des européennes. De nombreuses municipalités communistes sont en ballottage défavorable. EELV confirme sa poussée des européennes dans certaines grandes villes mais pas dans d’autres. La gauche de transformation sociale et politique continue donc sa décroissance en terme d’efficience politique.

Produire un moment constituant qui prendrait en compte les enseignements politiques de ces élections est donc la voie à suivre pour elle. Mais attention aux pétards mouillés !

Cela dit, nous le répétons, ce scrutin de premier tour n’est pas réalisé dans des conditions républicaines sanitaires souhaitables ; c’est pourquoi, nous espérons que le deuxième tour, ou si nécessaire l’ensemble des deux tours, soit reporté.

Construire un moment constituant – Voilà pourquoi doit s’enclencher, dans le mouvement social et politique, une réflexion sur notre « que faire ? » hic et nunc.

Ce qui implique d’engager un débat démocratique sur les modifications de ligne, de stratégie et donc de nos actions, pour rendre ces dernières plus efficaces.

Plus concrètement, nous devons travailler à déterminer les conditions, ici et maintenant, d’un chemin vers des victoires en termes de bifurcation sociale et politique ouvrant la perspective d’une sortie progressiste à la crise que nous traversons. A chaque nouvelle phase, il convient d’adapter notre comportement, notre ligne, notre stratégie. Pour construire ce moment démocratique, ce moment constituant, il nous faut un peu de temps et beaucoup de volonté. Nous produirons dans Respublica, dans un mois environ, une étude politique des enseignements du résultat des élections municipales. Nous avons besoin de ce temps pour l’étude des sondages à la sortie des urnes, des études tests qui seront réalisés dans des communes représentatives des zonages géographiques et sociologiques.

C’est pourquoi, nous vous proposons d’effectuer, avec nous, à partir de la fin avril, si le Covid- 9 nous l’autorise (!), un tour de France sur les enseignements des résultats tant des mouvements sociaux que des résultats électoraux. Et de bâtir ce débat démocratique, ce mouvement constituant.

En attendant, nous vous incitons à nous contacter (evariste@gaucherepublicaine.org ) pour co-construire ensemble ce tour de France dans votre territoire.

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Kyle Harper : « Climat et épidémies ont précipité la chute de Rome »

Une interview d'AOC media

par AOC media

 

Professeur d’histoire à l’université d’Oklahoma, Kyle Harper a publié en 2017 The Fate of Rome (Princeton University Press), un livre majeur dont la version française Comment l’Empire romain s’est effondré (La Découverte) a paru en janvier 2019. Un livre qui mériterait de devenir un best seller à la faveur du relatif confinement auquel nous sommes désormais tous plus ou mois astreints. Harper y souligne le rôle majeur joué par des non-humains dans cet effondrement : le climat et des bacilles. Comment ne pas faire immédiatement le parallèle avec notre actualité, à la fois générale (la condition anthropocène) et plus immédiate (la pandémie du COVID-19) ? Kyle Harper a accepté prudemment, et intelligemment, de se prêter à l’exercice.

Vous avez travaillé sur la chute de l’Empire romain, mettant en évidence le rôle décisif des épidémies et du changement climatique. Avant de revenir à la variable climat, pouvez-vous nous dire comment vous recevez ce qui se passe actuellement sur la planète Terre, avec cette pandémie de coronavirus ?
La pandémie de coronavirus est un modèle très distinctif de l’histoire humaine, se répétant sous nos yeux. Le schéma est que notre population augmente, nous empiétons sur les habitats naturels, nous contractons de nouveaux agents pathogènes provenant de réservoirs d’animaux, ceux-ci mutent et s’adaptent aux humains, puis se propagent dans les sociétés humaines. Les détails n’étaient pas prévisibles, mais le phénomène général l’était. En fait, il convient de remarquer que les virus comme ce coronavirus constituent un trait spécifique propre à l’expérience des humains. La plupart des autres primates – à l’instar du chimpanzé, notre plus proche parent – n’est pas sujet à un grand nombre de maladies virales sévères de type respiratoire. Ils vivent au sein de petits groupes mobiles de population – disons entre 100 et 150 individus – et les pathogènes qui doivent sauter d’un poumon à l’autre pour se propager n’y font pas long feu. À l’inverse, les humains connaissent des dizaines de virus respiratoires identifiés. La plupart proviennent des chauve-souris ou des rongeurs, dont les populations sont beaucoup plus importantes. Certains de ces virus respiratoires, comme la rougeole ou la variole, étaient autrefois totalement dévastateurs. Ils ont, par le passé, émergé exactement comme le coronavirus aujourd’hui. J’espère que la crise actuelle servira d’alerte et nous aidera à nous préparer pour la prochaine, car il est certain que cela se reproduira. Nous sommes près de huit milliards d’humains. Nous vivons dans des mégalopoles. Nous sommes intriqués à la nature, et sommes en contact étroit avec les maladies des animaux. Et comme nous sommes de plus en plus interconnectés les uns aux autres, ces agents pathogènes se diffusent plus loin et plus vite qu’avant. Cela se reproduira, encore, et encore.

Ce qui semble incroyable, c’est l’effet immédiat sur l’économie mondiale, alors même que le nombre de cas ou de morts demeure pour le moment très faible rapporté, par exemple, aux « pestes » que vous étudiez dans votre ouvrage… Vous insistez sur la notion de résilience : notre monde est-il moins résiliant que l’Empire romain ?
C’est une question intéressante, à laquelle je pourrais distinguer plusieurs niveaux de réponse. Les agents pathogènes diffèrent bien sûr par leur virulence et les sociétés diffèrent par leur résilience. COVID-19 est plus virulent que la grippe saisonnière, mais moins virulent que le virus de la variole, qui a provoqué des épidémies historiques majeures. Il est très certainement moins virulent que la maladie bactérienne connue sous le nom de peste bubonique, qui fut responsable des chocs biologiques les plus importants de l’histoire de l’humanité. Doté de systèmes de soins de santé avancés et d’une biomédecine efficace, notre monde apparaît, à bien des égards, plus résilient. Mais nous dépendons davantage des voyages et de chaînes d’approvisionnement longues et complexes. Plus largement, l’effet d’une épidémie se fait toujours sentir en conjonction avec les circonstances sociales et économiques.
Le climat et les épidémies ont précipité la chute de Rome. Ce ne sont pas les épidémies seules qui se sont avérées aussi disruptives mais la conjonction de ces épidémies et de faiblesses structurelles sous-jacentes ou d’autres événements géopolitiques. Prenons l’exemple de la Peste de Cyprien, une épidémie du milieu du IIIe siècle. Nous ne savons pas quel agent pathogène l’a provoquée, mais nous avons les preuves qu’il s’agissait d’un microbe particulièrement mortel. Pourtant, la Peste n’a pas agi seule. L’économie romaine était déjà affaiblie. L’agriculture avait déjà souffert de sécheresse. Le système politique était traversé de tensions et de faiblesses intrinsèques, et l’Empereur bataillait pour maintenir sa légitimité à travers l’ensemble d’un immense territoire. Les ennemis aux frontières étaient plus actifs et invasifs. C’est la combinaison de tous ces facteurs au même moment qui a emporté la résilience de l’Empire romain. Le résultat, ce fut la « crise du IIIe siècle » qu’on a fort justement appelé la « première chute de l’Empire romain ». Le système impérial qui a émergé après cette crise s’est révélé assez différent, avec un empereur d’un autre type, un nouveau système monétaire, et même un nouveau Dieu. La peste n’a pas à elle seule causé tout cela, mais elle ne saurait pour autant être considérée comme un facteur mineur.

Ce qui est notamment frappant à la lecture de votre livre, c’est ce sentiment eschatologique, l’impression de vivre l’effondrement qui précède la fin du monde. Dans sa préface à la traduction française, l’historien Benoît Rossignol cite Jared Diamond, qu’on peut d’une certaine façon considérer comme le premier « collapsologue ». Votre insistance sur la résilience est-elle une manière d’atténuer l’idée très actuelle d’effondrement ?
J’essaie de souligner à la fois la résilience et l’effondrement. Dans les bons modèles, ceux-ci ne s’excluent pas mutuellement. Les sociétés peuvent survivre jusqu’à un certain point aux chocs biologiques. Le plus difficile est de comprendre la complexité de ces systèmes sociaux et leur contexte environnemental. C’est un moment intéressant pour les historiens professionnels qui travaillent sur ces questions. Certains regardent de haut Diamond et son travail, lui reprochant d’être simpliste, trop vulgarisateur — et c’est un géographe, pas un historien… Mais par l’aspect provocateur son travail, et en particulier De l’inégalité parmi les sociétés (Gallimard, 2000), a eu une influence particulièrement stimulante s’agissant des questions qu’il nous faut adresser au passé. J’ai tendance à voir l’étiquette « collapsologue » comme une manière d’insulter les chercheurs qui tentent d’apporter des éléments forts à propos des facteurs causaux, alors même que c’est précisément ce que doivent faire les historiens. Je déteste les travaux d’histoire dans lesquels tout est soi-disant tellement « complexe » qu’il en devient impossible de dégager des facteurs explicatifs, et que finalement il ne se passe rien. Le passé antique était très mouvant, avec des périodes de croissance et des périodes de repli, des périodes d’expansion impériale et des périodes de fragmentation. Nous savons désormais que les facteurs environnementaux ont joué un rôle majeur dans ces changements. J’ai été parfois qualifié de « catastrophiste », mais je n’aime pas cette étiquette parce qu’elle souvent utilisée pour dénaturer une démonstration beaucoup plus nuancée. J’ai horreur des gens quand ils critiquent ce type d’approche en la qualifiant de « déterminisme environnemental » — une sorte d’épouvantail qui ne correspond pas à l’argument que des gens comme moi essayent de défendre : ignorer l’environnement en tant que force de l’histoire relève de l’aveuglement volontaire.

On assiste à un mouvement de panique face à l’épidémie, une panique associée notamment à la circulation de l’information à l’ère des réseaux sociaux et aux exigences de transparence démocratique. Est-ce une différence fondamentale avec la période de l’Antiquité que vous avez étudiée ?
Oui, c’est une différence, en particulier la vitesse de circulation de l’information et la décentralisation de l’information. Mais je pense que ce genre d’événements traumatisants élève la température émotionnelle, pour ainsi dire, et dans les périodes de peur et d’incertitude, les fausses informations prospèrent. Dans l’Antiquité, ils ne disposaient d’aucune théorie des microbes ou des virus, et ne comprenaient pas vraiment les causes d’une maladie épidémique. Ils ne disposaient pas non plus d’interventions médicales efficaces contre ces maladies. La peste était donc une chose terrifiante. Ils pensaient ces maladies en termes scientifiques en parlant de « miasmes », une sorte de corruption de l’atmosphère qui frappait tout le monde d’un coup. Mais le plus souvent, ces cultures anciennes appréhendaient ces épidémies comme un signe de la colère de Dieu. Ainsi pendant la Peste antonine, une épidémie qui a frappé les Romains dans les années 160, la réponse sociale consistait à essayer d’apaiser le dieu Apollon. Lors des siècles chrétiens suivants, l’épidémie était vue comme l’expression de la fureur de Dieu et le signe de l’imminence de la fin des temps. Comme historiens, il nous faut lire ces textes en empathie pour comprendre combien ces « pestes » inexplicables ont été vécues comme des événements véritablement terrifiants. Et il n’y a pas besoin d’aller chercher bien loin sur internet pour se rendre compte combien les pandémies contemporaines ou les invasions de sauterelles déchainent les imaginations !

Quels sont les effets du coronavirus aux États-Unis, en pleine période pré-électorale ? La gestion de l’administration Trump, qui consiste essentiellement à fermer les frontières, est critiquée.
C’est tellement imprévisible. Il deviendra peut-être de plus en plus clair que la réponse américaine a été lente et désorganisée, et que l’incompétence a coûté des vies. La minimisation du danger par Trump semblera plus absurde et délirante. Mais je dois confesser que je n’avais pas réussi à prédire comment le pays réagirait à Trump ! Comme historien, c’est fascinant d’assister à tout cela. D’être confronté à tant d’imprévisibilité ! L’intersection entre politique, économie et santé est remarquable. Si les marchés s’effondrent, que la pandémie gagne du terrain au point de n’être plus maîtrisable et qu’il devient évident que de meilleures interventions en matière de santé publique eussent été plus efficaces, cela entamera profondément la confiance dans l’administration. Et compte tenu du niveau déjà très bas de confiance des citoyens envers les principales institutions, à commencer par les médias, de tels éléments de déstabilisation ne peuvent que gravement nous inquiéter. Afin d’atténuer la transmission de la maladie, nous avons besoin d’insister sur la nécessité d’une approche rationnelle de santé publique. Des restrictions concernant les transports ou l’interdiction de rassemblement peuvent être efficaces pour ralentir la progression du virus. Mais cela peut s’organiser intelligemment, en prenant soin de ne pas stigmatiser les autres.

Pour en revenir à vos travaux d’historien : pourquoi vous semblait-il aussi important de faire des bactéries et des virus mais aussi des volcans et du climat des sujets historiques ? En quoi les évolutions récentes de la science offrent-elles des sources nouvelles aux historiens ?
La situation actuelle nous permet de comprendre pourquoi… Les sociétés humaines sont profondément influencées par leur contexte naturel. Le climat est fondamental et les environnements de santé également. Et parce que nous devons comprendre comment le climat fonctionne et comment nos agents pathogènes évoluent, nous en savons plus que jamais sur l’histoire du climat et l’histoire de l’évolution des agents pathogènes. Une partie de cela est technologique. Il a fallu une décennie et un milliard de dollars pour séquencer le premier génome humain. Maintenant, cela ne coûte que quelques centaines de dollars. Les données génétiques sont omniprésentes. Pour les historiens, c’est une nouvelle source étonnante. Tout simplement parce que les génomes sont comme une archive historique. L’ADN nous informe de l’histoire de l’évolution et des relations évolutives entre pathogènes. Dans le cas de la pandémie actuelle, l’ADN nous informe que le pathogène est très lié au coronavirus des chauve-souris et nous procure ainsi de nombreux éléments sur l’origine du virus.
Ce même type d’information est de plus en plus disponible en gros, ce qui nous donne une idée beaucoup plus profonde et plus riche de l’origine de nos agents pathogènes. Bien sûr, je pense que ce que nous avons appris au cours de la dernière décennie n’est que la partie émergée de l’iceberg. Nous apprenons des choses étonnantes sur la peste, la variole, la rougeole, la grippe et la tuberculose, par exemple. Mais il reste encore beaucoup à apprendre. Toute l’histoire de la peste bubonique a été réécrite au cours de la dernière décennie simplement en raison des preuves génétiques. Nous savons maintenant qu’elle était très présente à l’âge du bronze, uniquement en raison de l’ADN archéologique. Et pourtant, nous sommes plus près du début de cette révolution dans nos connaissances historiques que de la fin. C’est ce qui est si excitant.

Dans votre livre, vous étudiez la peste de Justinien – « un profond séisme dans la morale humaine » – ou la « peste oubliée » de Cyprien…
La peste de Justinien était une pandémie de peste bubonique qui a commencé en 541. À bien des égards, on peut la considérer comme un aperçu de ce qui sera la plus célèbre peste noire médiévale du XIVe siècle. La pandémie a été causée par le même pathogène — la bactérie yersinia pestis. Il y a dix ans, les historiens ne savaient pas si cette bactérie était vraiment l’agent pathogène. Maintenant, nous le savons, car l’ADN archéologique a été récupéré auprès d’une dizaine de victimes. Ces nouvelles preuves nous aident à comprendre la nature de la pandémie.
Par exemple, l’une des questions les plus difficiles concernant la peste de Justinien était de savoir quelle était son étendue au-delà des grandes villes de l’est comme Constantinople. A-t-elle atteint l’ouest ? A-t-elle pénétré les campagnes ? Ce sont des questions difficiles car les preuves manquent, tout simplement. Nous avons de bonnes preuves littéraires de la présence de la peste à Constantinople, et il faut être obsédé par la minimisation de la peste là-bas pour douter de sa gravité. Mais des questions légitimes sur sa diffusion ont persisté et semblaient insolubles. Alors, les archéologues et les microbiologistes ont commencé à rechercher l’ADN de la peste dans les squelettes de tombes contenant de multiples corps datant de la bonne période. Et, étonnamment, l’ADN de la bactérie a été trouvé à plusieurs reprises, chez des victimes d’Europe occidentale et dans de minuscules villages. Il s’agit là d’un tout nouveau type de preuve, qui permet de répondre à certaines des questions les plus épineuses sur cette pandémie. Et jusqu’à présent, tout indique l’ampleur et l’impact de la peste de Justinien. Nous ne connaîtrons jamais avec précision le nombre de victimes de cette tragédie biologique. Mais la peste de Justinien ressemble de plus en plus à la peste noire, qui a été très probablement l’événement biologique le plus dévastateur de l’histoire de l’humanité.

Dans votre livre, vous analysez longuement le rôle du climat. C’est devenu une préoccupation majeure depuis que nous avons pris conscience de la condition anthropocène : quelles leçons tirer là encore de l’exemple romain ?
Bien sûr, il existe de nombreuses différences, mais l’histoire romaine est un puissant rappel du fait que l’environnement est un facteur essentiel du sort des sociétés humaines. Mais ce n’est pas le seul. La causalité historique n’est jamais monocausale. Le changement climatique entrecoupera d’autres tendances – géopolitique, inégalités, etc. – de manière imprévisible. Mais ce qui est si troublant, c’est que dans le cas romain, nous pouvons voir comment des changements climatiques relativement modestes – d’un ou deux degrés centigrades – pourraient avoir des effets sociaux notables. L’ampleur du changement climatique au cours du siècle à venir pourrait être bien plus importante que cela. Et les effets sociaux du changement climatique ne sont pas linéaires. Ils sont très imprévisibles et ils croiseront d’autres défis environnementaux et sociaux de manière profonde et déstabilisante.

Les résonances avec notre époque sont légion. Ainsi, quand on songe à l’effondrement de Rome, on pense aux invasions barbares. Or, aujourd’hui, les populistes dépeignent les exilés et les réfugiés comme les nouveaux barbares. Que peut-on leur répondre à la lumière de l’Antiquité romaine ?
Je pense que cet angle peut être surestimé et potentiellement dangereux, mais il est important de comprendre. Nous ne devons jamais déshumaniser les réfugiés ni établir des parallèles à travers lesquels ils apparaissent comme des barbares. Le changement climatique est toujours plus difficile pour les pauvres, au sein des sociétés et entre elles. Inévitablement, les problèmes liés au climat, comme l’élévation du niveau de la mer, affecteront les sociétés du monde entier. Mais dans les pays en développement, les effets pourraient être catastrophiques. Nous avons besoin de bien meilleurs mécanismes pour faire face à ces défis en tant qu’espèce. Si l’Empire romain nous enseigne une leçon, c’est que les crises transcendent rapidement les frontières.

Comment l’humain peut-il infléchir ces forces que sont les épidémies et le climat, dont vous avez montré les effets politiques ? Vous évoquez en épilogue du livre « le triomphe de l’humanité » : qu’entendez-vous par là ?
Permettez-moi de me concentrer sur les épidémies. La pandémie actuelle de coronavirus était prévisible. Nous ne pouvons pas empêcher l’émergence de nouveaux virus. Mais nous pouvons mettre en place davantage de surveillance pour comprendre les plus grands risques. Nous pouvons investir davantage dans le développement de vaccins. Nous pouvons avoir de meilleurs protocoles de santé publique pour les tests et les interventions. Le coronavirus est mauvais, mais le suivant pourrait être pire. Il y en aura un prochain. Serons-nous prêts ?
Des historiens comme John McNeill ont décrit le XXe siècle comme « l’ère de l’accélération ». Je pense que c’est une belle métaphore, encadrée par l’histoire de l’environnement. La pression énorme que nous exerçons sur notre planète et ses systèmes complexes et interconnectés est sans précédent. Nous avons atteint une croissance moderne en nous emparant des ressources énergétiques de la planète et en la rendant sûre pour l’humanité — en « désinfectant » la planète. Mais notre triomphe est fragile. Prenons l’exemple de la résistance aux antibiotiques, une réponse évolutive des bactéries aux composés que nous utilisons pour les combattre. Rien ne garantit que nous n’entrerons pas dans une ère post-antibiotique, dans laquelle notre contrôle sur la nature est moins certain qu’il pourrait même sembler aujourd’hui, alors qu’il est clairement ténu.

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Est-on encore en République ?

Pour répondre, deux livres participent au débat : Municipales. Banlieue naufragée de Didier Daeninck et Le maire et les barbares d’Eve Szeftel

par Zohra Ramdane

 

Le premier livre (Municipales. Banlieue naufragée) : 39 pages, 3,90 euros dans la collection Tract de Gallimard ; le second (Le maire et les barbares) : 273 pages, 19 euros chez Albin Michel.

Le 93 ausculté. Deux villes de droite, deux villes de gauche. Dans le premier livre sur Aubervilliers et Saint-Denis, aucun nom d’élu n’est cité mais tout citoyen éclairé par un moteur de recherche est susceptible de retrouver tous les noms tant les indices sont clairs. Quand on parle du beau-fils d’un ancien maire d’Aubervilliers, ancien député, ancien sénateur, ancien ministre, la personne ne fait plus de doute d’autant que l’année de sa prise de pouvoir (2014) est donnée. Dans le deuxième sur l’action du maire de Drancy à Bobigny, tous les noms sont donnés. Résultat : à la lecture de ces deux ouvrages, les pratiques sont les mêmes : clientélisme, corruption, communautarisme, alliance avec l’islam politique, logiques maffieuses, lien avec la voyoucratie voire dans un cas avec le banditisme avec qui on passe un pacte pour prendre le pouvoir.

Certains personnages élus de droite, de gauche ou responsables à des hauts postes en mairie sont toujours là et en fonction et pour certains nommés sont encore en concurrence électorale en 2020 sur des listes concurrentes…

Nul doute après ces lectures que nos appels à la refondation républicaine en profondeur mériteraient un engagement certain que la simple action partisane ne suffira pas à produire. D’autant comme à Levallois, on trouvera toujours des habitants, voire des élus, qui n’étant au courant de rien, « tomberont de l’armoire » s’ils lisent ces livres.

Humeur
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Les dernières décisions de Edouard Philippe et de Macron : bel éclairage de la société qu’il servent

par Jean ESTIVILL

 

Cette société capitaliste, montre à l’occasion d’une maladie son incapacité à gérer quoi que ce soit y compris tenir une ligne cohérente sur ce qui est sa fonction première et essentielle, la maîtrise du marché.

Elle en est réduite à créer les conditions d’ une pagaille monstre, de la désorganisation la plus totale.

Car qu’en est-il de l’épidémie? Rien de nouveau. Apparition certes d’une forme plus grave de grippe, mais, comme ce fut le cas avec celle de Hong-Kong ou l’asiatique…

La grippe ce sont des centaines de milliers de personnes atteintes chaque année, une dizaine de milliers de décès sans que personne ne s’en aperçoive, mais à force d’annoncer chaque jour de nouveaux cas, et forcément la liste ne peut que s’allonger, on crée l’impression d’un phénomène effroyablement nouveau…

Le résultat, c’est la réaction la plus primaire : la peur, la panique, le chacun pour soi. Le second effet, c’est pour les pouvoirs aux ordres de l’Union européenne de passer sous silence le seul vrai problème, l’impossible accueil des malades dont le nombre peut être évalué au double habituel, du fait de la destruction systématique du système de santé.

Quel aveu pitoyable, de la nécessité d’un système public de santé de la part de Macron, un des plus zélés metteurs en œuvre de la politique d’austérité de l’UE, idem bien sûr pour l’Espagne, l’Italie, etc, subissant la même politique sanitaire que les centrales ouvrières et les professionnels de santé, comme en France, dénoncent depuis longtemps.

Aujourd’hui, le citoyen, disparait, redevient le sujet que l’Union européenne n’a cessé de vouloir imposer, au bénéfice de l’Entreprise, référence obligée de tous les choix sociétaux.

Or la aussi le capitalisme est incapable de maîtriser, ses choix et de tenir une ligne rationnelle.

La solution est dictée par l’Histoire, c’est la nécessaire irruption du peuple dans la scène politique qui peut mettre de la raison et de l’ordre humaniste. Comme il l’a fait en 1936 en Espagne par la prise du pouvoir, les collectivisations, en particulier dans le Levant, l »Aragon et la Catalogne. On ne saurait trop conseillé, un ouvrage certes parmi tant d’autre, mais pionnier dans ce domaine, L’autogestion dans l’Espagne révolutionaire de Franck Mintz (Edition Belibaste) et plus récemment de G. Leval Espagne libertaire (Editions Tops /Trinquier).



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