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Pour le reconstruire, il faut dès à présent repenser notre système public de santé

par Frédéric Pierru

 

Lors de son allocution télévisée du 16 mars 2020, M. Le Président de la République a déclaré que la société française était en guerre contre cette menace invisible, mais tueuse, qu’est le Covid-19, appelant les Françaises et Français à l’unité plutôt qu’à ouvrir des polémiques néfastes à l’efficacité de l’action des autorités sanitaires. Peu après était déclaré l’état d’urgence sanitaire. Pour autant, s’il faut éviter, en effet, les polémiques en ces temps de confinement, il nous semble urgent d’ouvrir dès maintenant un large débat démocratique sur ce que nous voulons construire à partir du jour d’après. Car, il ne saurait être question de refermer la parenthèse et de reprendre le fil des choix et des politiques publics qui ont mené à la catastrophe que nous vivons actuellement. Souvenons-nous de la crise financière de 2008 et de la grave récession qui en a suivi et dont beaucoup de pays européens portent encore les stigmates. Main sur le cœur, les dirigeants d’alors déclaraient solennellement que l’autorégulation des marchés, « c’était fini ». La parenthèse keynésienne a duré moins de deux ans, avant que les politiques d’austérité ne reprennent de plus belle, visant en particulier la protection sociale et les services publics. Renflouées par les contribuables, les banques ont repris leur business spéculatif as usual.

Après le confinement, tout sera à reconstruire, à commencer par notre système public de santé. Et pour reconstruire, il faut avoir pensé, comme l’ont fait en pleine seconde guerre mondiale, économistes, technocrates, syndicalistes, politiques dans les pays alliés, ce qui déboucha en France sur le fameux programme du CNR. Car s’il n’y a pas d’alternative, le scénario de 2008 risque de se produire. Il suffit pour s’en convaincre de prendre connaissance de la récente note de la Caisse des Dépôts et Consignation sur l’hôpital public – qui préconise la même politique austéritaire mais en pire – ou encore des déclarations ahurissantes du directeur général de l’ARS Grand-Est annonçant fièrement, à grands renforts de communication, en plein confinement et donc dans la région la plus touchée, son plan de fermetures de lits pour le CHU de Nancy, plan concocté avec des consultants de Cap Gemini. Cette fois c’était un peu gros et il a été limogé. Mais cela mérite d’être médité : cet inspecteur général des affaires sociales était persuadé de plaire à ses seigneurs en sortant une telle obscénité, anticipant que ces derniers reprendraient la même politique une fois la pandémie passée.

La pandémie du Covid-19 a mis en lumière deux conséquences funestes des politiques néolibérales en matière de santé. D’une part, la France n’a plus de souveraineté sanitaire ; d’autre part, son système public de santé est exsangue après des décennies de rigueur budgétaire à courte vue.

Elle n’a plus de souveraineté sanitaire, alors que la première mission d’un État est de garantir la sécurité et la santé de ses ressortissants. La croyance aveugle dans le libre-échange a fait que nous dépendons désormais de pays comme la Chine et l’Inde pour les approvisionnements de masques FFP2, de principes actifs de médicaments, voire de médicaments indispensables (anticancéreux, antibiotiques, médicaments anesthésiques). Or, en phase pandémique, le libre-échange s’efface derrière le principe sécuritaire. C’est alors la foire internationale d’empoigne pendant que les pouvoirs publics cherchent à rassurer leur population en affirmant des contre-vérités comme l’inefficacité de la protection par masques ou qu’il n’est pas utile de dépister toute la population, la confusion augmentant lorsque le directeur général de l’OMS affirme le contraire. Voici la première leçon à tirer de cette crise sanitaire : pour ne plus connaître ses discours publics qui ajoutent de la confusion à la peur, nous devons impérativement reconstruire notre indépendance sanitaire. Il ne s’agit pas seulement de relocaliser une grande partie de ce que nous avons sous-traité aux pays dits émergents, ce qui, au passage, permettrait de combattre la désindustrialisation de notre économie et créerait des emplois. Cette relocalisation pourrait prendre la forme d’un pôle public du médicament ou d’entreprises, nationales ou européennes, mais à but non lucratif, qui produiraient les médicaments et dispositifs indispensables. Il s’agit aussi de se donner une autre politique de la recherche publique qui éviterait, par exemple, que des recherches prometteuses sur les coronavirus, lancées 2002, ne se tarissent parce que les fonds publics ont été orientés vers la dernière mode scientifique. L’effort budgétaire en faveur de la recherche doit être impérativement réévalué pour atteindre le niveau de pays comparables comme l’Allemagne, pourtant toujours prise en exemple. C’est la raison pour laquelle les premiers tests de dépistage ont été inventés par nos voisins. De plus, il faut en finir avec le réflexe du financement de la recherche par projets. La recherche fondamentale suppose de la stabilité et du temps comme l’a rappelé le chercheur Bruno Canard. Elle doit être attractive pour les aspirants à la recherche, dont la précarité est la règle à ce jour.

Seconde leçon de la pandémie de Covid-19 : notre système public de santé, en particulier hospitalier, menace ruines. Du reste, c’est une leçon sans l’être car depuis des mois les soignants de l’hôpital public tirent le signal d’alarme, sans être entendus des décideurs politiques. Cela fait des années que ces derniers rêvent de faire de l’hôpital un aéroport qui renverrait immédiatement les patients une fois leur opération ou leur prise en charge effectuée. L’hôpital serait un lieu de soins spécialisés et techniques sans hébergement. Une sorte d’usine à soins. Au nom de cette politique du « virage ambulatoire », on a fermé drastiquement des lits, on a limité les effectifs de personnels soignants, par ailleurs sous-payés. Cette pensée financière de la liquidité appliquée à la santé est venue se fracasser sur la pandémie de Covid. La capacité en lits de réanimation, au nombre de 5000, est sous-dimensionnée pour faire face à un tel défi. L’hôpital est certes un lieu de soins aigus spécialisés et techniques, mais il doit aussi prendre en charge une autre épidémie, celle des malades chroniques, doublement touché par le Covid, tout en étant capable d’héberger. Là encore, nos amis Allemands n’ont pas fait cette erreur. Reconstruire un service public hospitalier attractif, avec des équipes stables, bien formées, correctement payées et financées de façon pérenne, à rebours de la logique marchande de la tarification à l’activité. Mais d’une façon générale, c’est l’ensemble du système public de santé qu’il faut repenser à la lumière de la double épidémie de Covid et de maladies chroniques. On n’en finirait pas d’énumérer les chantiers : reconstruire la psychiatrie publique de secteur afin d’éviter les malades souffrant de troubles psychiatriques de faire partie des populations les plus vulnérables, avec les sans domicile fixe, lorsque survient une telle pandémie ; se doter de lits d’aval suffisants ; médicaliser les EHPAD et leur donner les moyens humains et financiers de prendre en charge dignement et avec des soins de qualité nos aînés.

Mais un système public de santé, et non seulement de soins, doit aussi investir un ambitieux service public de prévention, et pas seulement individuelle qui tourne vite au blâme de celles et ceux qui, du fait de leur situation, ne peuvent respecter aussi bien les règles de confinement que les injonctions aux « bons comportements ». Cette prévention doit agir sur les causes économiques, sociales et environnementales qui font qu’il existe treize années d’écart d’espérance de vie entre les plus démunis et les plus aisés. Un État démocratique ne peut tolérer le scandale d’une telle inégalité des vies. Pour le moment, nous médicalisons en aval ce que nous ne nous sommes pas donné les moyens de prendre en charge en amont. Il suffit de penser à la santé au travail, sacrifiée sur l’autel de la compétitivité.

Que la sixième puissance mondiale se dote à nouveau d’un système public de santé digne de son rang, capable de protéger la santé de toutes et tous, y compris les plus vulnérables des citoyens, appelle évidemment un financement suffisant et pérenne. La Sécurité sociale doit regagner le terrain perdu aux dépens des complémentaires santé et être reconnue pour ce qu’elle est : un « commun », hors du marché de l’assurance et hors de l’emprise de l’État. C’était d’ailleurs l’ambition de ses fondateurs, méfiants à l’endroit d’un État qu’ils soupçonnaient de vouloir piocher dans les caisses en cas de disette budgétaire. L’avenir leur a donné raison. Récemment, a été abolie la loi Veil de 1994 qui obligeait l’État à compenser les exonérations de cotisations sociales. La Sécurité sociale s’est ainsi vue amputée de 2.5 milliards d’euros pour financer les mesures que les « Gilets Jaunes » avaient arrachées. Cela est inadmissible et les recettes de « la Sécu » doivent être sanctuarisées.

Mais reconstruction ne veut pas dire nostalgie et revenir à un supposé « âge d’or ». Depuis le programme du CNR, les défis auxquels s’affronte la société française sont, pour une bonne part, nouveaux. Il y a bien entendu le défi écologique et les services publics doivent contribuer à le relever. Il y a aussi le problème du non-recours aux droits : si la communication des gouvernements, de gauche comme de droite, dénoncent les « abus » et les « fraudes », elle est beaucoup plus discrète sur ce phénomène massif qui fait que des personnes renoncent à des prestations auxquelles elles ont droit, soit par honte, soit par peur du contrôle, soit par incompréhension des procédures et circuits bureaucratiques. Les services publics, notamment de la santé, doivent être pro-actifs et aller au-devant des populations les plus vulnérables. Dernier défi, sur une liste appelée à s’allonger : le défi démocratique. La démocratie sociale d’après-guerre fut une vraie ambition, hélas souvent déçue. Il nous faut, à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, trouver une nouvelle articulation entre démocratie sociale, démocratie politique, démocratie sanitaire, de même qu’entre démocraties représentative et participative. Démocratiser les services publics et éviter autant que possible leur bureaucratisation est un objectif aussi difficile que stimulant.

On le voit, après la guerre pandémique, il faudra reconstruire. Pas seulement entre experts, mais aussi avec l’appui et l’inventivité de la société. Afin de donner une base juridique solide à ce vaste mouvement, il est impératif d’inscrire les services publics, piliers de la République, dans la Constitution.

Si les membres du CNR ont bâti en pleine guerre les fondements d’une société plus juste et solidaire, nous nous devons d’être à leur hauteur et d’en faire de même, en pleine guerre pandémique. Sur la base d’une conviction : Non, le jour d’après ne pourra en aucun cas ressembler au jour d’avant !

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NI PARDON, NI OUBLI

par Philippe Champigny

 

L’exemple du 93 est éclairant, de voir combien une épidémie touche plus violemment les classes populaires qui compte + 60 % de morts par rapport à la moyenne nationale.

Nous n’avons pas à pardonner des gens qui continuent à envahir les médias de leurs mensonges et de leur morgue. Technique classique de manipulation de l’opinion : le contre-feu… Le coupable accuse la victime, suffisamment pour créer le doute et rester à l’abri.

Il n’y a qu’à voir comment d’autres pays, avec une densité de population plus importante (Allemagne, Hong Kong) ou des moyens financiers moindres (Vietnam), ont moins de victimes qu’en France. C’est tellement plus simple d’accuser les habitants des quartiers populaires de ne pas respecter les mesures barrières que d’attaquer frontalement les politiques (et leurs financeurs) qui ont saboté patiemment la santé publique… Non, les coupables et leurs chiens de garde envahissent – sans aucune honte – les plateaux télé de leur crétinisme et de leur morgue. Sans doute qu’ils n’ont aucune idée de ce que c’est d’habiter un appartement surpeuplé, où parfois une famille en héberge une autre pour que celle-ci ne soit pas à la rue.

Donc, nous ne pardonnerons pas au nom de l’unité nationale, de l’union sacrée pour la reconstruction d’une planète ruinée par le capitalisme. Oui nous polémiquons dès maintenant, parce que nous voulons mettre en évidence les résultats concrets des différentes politiques capitalistes menées jusqu’à maintenant.

Quelques éléments chiffrés…

En 1980, la France possédait 11 lits d’hôpital (tous services confondus) pour 1000 habitants. Aujourd’hui nous en sommes à 6 lits pour 1000 habitants…

En 1970, aux États-Unis : 7,9 lits pour 1000 habitants. 2,8 en 2016…

En 1980 en Italie, 922 lits réservés pour les « cas sérieux » pour 100 000 habitants. 275 aujourd’hui…1

Par rapport à la France, l’Allemagne possède 50 % de lits en plus et le double de lits de réanimation par habitant.2

« La crise de l’épidémie de bronchiolite à l’automne 2019, pendant laquelle les réanimateurs pédiatriques durent transférer des nourrissons à plus de deux cents kilomètres de leur domicile parisien faute de lits et de personnel, annonçait la catastrophe. »3

Nous n’oublierons pas non plus. Nous appelons tous nos lecteurs et lectrices à enregistrer toutes les horreurs que professent ces criminels, mais surtout toutes les décisions qu’ils ont prises pour détruire la santé publique et leur absence totale de compétence pour ralentir l’épidémie… Nous n’oublierons pas, parce c’est sur cela qu’ils comptent pour nous jurer la main sur le cœur (qu’ils n’ont pas) que cela va changer. Ce coup-là, ils nous l’ont déjà fait après la crise des « subprimes »4… D’ailleurs, ils sont déjà en train de préparer l’opinion.

« Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a prévenu, vendredi 10 avril, que le redressement de la France serait « long » et qu’il passerait « par le désendettement du pays »« À la sortie de cette crise, il faudra faire des efforts », a-t-il affirmé sur Europe 1 .» (France Info 10/04/2020)

« Geoffroy Roux de Bezieux, président du Medef, estime qu’il faudra se poser la question « du temps de travail, des jours fériés et des congés payés«  pour accompagner la reprise économique, une fois l’épidémie du virus Covid-19 terminée. » (Ouest-France 11/04/2020).

 

QUE FAIRE ?

Tout d’abord se rappeler que nous ne sommes pas dans un débat rationnel et argumenté entre « démocrates ». Non, les violences policières contre les manifestants en lutte contre les lois travail, contre les Gilets Jaunes, contre les manifestantes de la Santé ou celles des retraites… Les contrôles policiers dans les quartiers populaires5… La géolocalisation numérique de la population6. Les attaques contre les droits sociaux, au nom de la « guerre contre le virus »… Tout cela nous démontre que le gouvernement et le patronat se radicalisent. Si nous sommes en guerre, c’est une « guerre sociale ». La lutte des classes quoi !

Pour construire un autre monde d’après, un « Plus jamais cela 7», il faut se poser dès aujourd’hui la question de l’urgence sociale qui va arriver : hyper inflation8, explosion du chômage etc. Très concrètement, « la France d’en bas », qui est en première ligne sur le front, va être la première à subir les conséquences du « capitalovirus ». Le très faible pouvoir d’achat, les difficultés pour payer les loyers, pour s’alimenter touchent déjà les classes sociales les plus pauvres9… D’autres couches de salariés, d’autoentrepreneurs, d’artisans vont être pris dans la tourmente d’une crise sociale et économique comme nous n’en avons jamais connue.

Nous n’avons pas de baguette magique, mais l’auto-organisation doit aussi se poser dès que possible dans les quartiers, dans les villes :

  • Moratoire pour les loyers avec au besoin localement des grèves collectives de loyers.
  • Aides alimentaires massives. Soutien et développement des épiceries sociales et solidaires.
  • Transports en commun gratuits
  • Comités de chômeurs et de quartiers pour garantir que les milliards de la BCE soient utilisés à la relance d’une production industrielle, écologique et sociale répondant aux besoins sociaux…10Là où des intersyndicales et comités de grève professionnels et interprofessionnels se sont créés contre la réforme des retraites, il y a matière à élargir les champs d’interventions. Soit en soutenant les initiatives locales existantes (amicales ou collectifs de locataires), soit en les aidant à se construire.

Rien ne se fera sans un rapport de force plus favorable au salariat et au peuple travailleur.

Si nous voulons changer le monde d’après (santé, éducation, services publics, socialisations des moyens de production), cela ne peut se faire que si la « France des Gilets Jaunes », du Peuple travailleur sont les moteurs… Et pour cela les syndicats, les associations, les organisations politiques et les collectivités territoriales doivent se colleter aux urgences sociales, tout en donnant une grille d’analyse contre le « capitalovirus »… Repolitiser le quotidien pour pouvoir le changer…

1 « Jusqu’à la prochaine fin du monde », R. Lambert et P. Rimbert, Le Monde diplomatique, avril 2020.

2 « L’Hôpital, le jour d’après », A. Grimaldi et F. Pierru, Le Monde diplomatique, avril 2020.

3  « L’Hôpital, le jour d’après », A. Grimaldi et F. Pierru, Le Monde diplomatique, avril 2020.

4 Voir l’excellent texte de Frédéric Pierru.

5 En France, on n’a pas de masques, mais on a des matraques !
Merci Blanquer : les EMS (sympathiques vigiles du Rectorat) sont autorisés à porter des armes (bâtons télescopiques) à Mayotte. Ambiance garantie aux grilles des lycées !!!
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/04/09042020Article637220160165086980.aspx?fbclid=IwAR2AqRxyTCKNcvcqW_y8nwnqXTtImv99AU4s3dpKwmog0_ZVz1Ef8qTgs-o

8 Relire les chroniques de Philippe Hervé parues dans RESPUBLICA : « Dans quelle crise sommes-nous ? »

9 Les associations humanitaires (Restos du cœur etc.) sont sollicitées par des nouvelles populations. Et on ne parle pas du sort réservé aux migrants, Roms, travailleurs immigrés dans les foyers etc.

10 Liste non exhaustive

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À voir sur la chaîne Youtube Le Média : Covid-19 : ce qui nous attend pourrait être pire encore

par Jean-Noël Laurenti

 

Cette vidéo, faisant intervenir divers épidémiologistes et spécialistes de l’environnement (Philippe Sansonetti, microbiologiste, professeur au Collège de France ; Serge Morand, écologue de la santé, CNRS, Cécile Aenishaenslin, vétérinaire-épidémiologiste, université de Montréal, Jean-François Silvain, président de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité…), met en lumière les causes profondes de l’épidémie. Le sujet est dans l’air, on en parle dans les médias, mais il est traité ici, en moins de 19 minutes, de façon dense, détaillée et circonstanciée. Le Covid-19, qui est loin d’être le premier de la série, fait partie des maladies pouvant se transmettre de l’animal à l’homme. Cette transmission a été favorisée par la multiplication des contacts entre l’homme et la faune sauvage, dus au fait que les espaces naturels dans laquelle celle-ci vivait ont été détruits, ce qui l’a forcée à la migration à proximité de l’homme, ou d’animaux qu’elle a contaminés (le porc, par exemple) et qui à leur tour ont contaminé l’homme. Sont responsables la destruction des écosystèmes, la déforestation pour plantations (palmiers à huile) ou pour élevage intensif, la création de zone agricoles ou urbaines, les programmes de constructions routières. Est responsable aussi la paupérisation de populations qui, autrefois autonomes alimentairement, n’ont plus de ressources que dans le braconnage et la consommation d’animaux sauvages. Responsable aussi le trafic d’animaux sauvages. Le responsable en dernière analyse est désigné : la conception libérale de la mondialisation. Le pire est que cette épidémie était prévisible et prévue par les scientifiques et par l’OMS. Pire encore, le fait que d’autres sont prévisibles. Les crises successives provoquées par le libéralisme (économiques, sociales, mais aussi sanitaires, et bien sûr la crise climatique), liées entre elles, se cumulent donc et menacent jusqu’à la survie de l’humanité. La seule solution, disent ces experts, est une transformation de la société, la fin de la marchandisation du vivant et la lutte contre les inégalités.

Sur la même chaîne, d’autres vidéos : Le gouvernement sacrifie votre santé sur l’autel du CAC 40, Coronavirus : la gestion désastreuse du gouvernement, etc.

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N'avons-nous rien appris ? Les leçons du Vietnam face au Sras

par Alternatives Economiques

 

Ce témoignage de Pascale Brudon est paru initialement sur le site d’Alternatives économiques.

 

Rapidité des décisions, efficacité des mesures de protection, transparence des autorités : la gestion de l’épidémie de Sras au Vietnam en 2003 est l’exemple de qu’il aurait fallu faire face à la pandémie de Covid-19. Pascale Brudon, qui représentait l’OMS dans le pays à l’époque, nous en fait le récit.

Quand mardi 11 mars 2003, Carlo Urbani est venu me dire au revoir dans mon bureau au premier étage de l’OMS à Hanoï avant de prendre l’avion pour Bangkok, je ne pouvais imaginer que je ne le reverrai plus et qu’il mourrait deux semaines plus tard de la maladie qu’il avait été le premier à identifier et qu’on nommera le syndrome respiratoire aigu sévère (Sras).

Une contamination éclair

Le Sras a été la première maladie grave et hautement transmissible à émerger en ce XXIe siècle. Cette première épidémie à coronavirus est un bon exemple des répercussions économiques, sociales et politiques que peut avoir une nouvelle maladie dans un monde d’échanges multiples et de grande mobilité. Elle posait déjà des questions importantes sur la capacité mondiale de riposte à d’autres menaces de maladies infectieuses, comme celle que nous affrontons aujourd’hui.

Les premiers cas de Sras sont apparus en novembre 2002 en Chine. Le premier rapport officiel faisant état de cette pneumonie atypique est parvenu à l’OMS en février 2003. Puis tout s’est enchaîné très vite. Le 21 février, un médecin chinois de la région de Canton, qui avait été au contact de la maladie en traitant des patients, a contaminé plusieurs personnes au neuvième étage d’un hôtel de Hong Kong. En quelques jours, ces personnes provoquent des flambées de Sras au Vietnam, à Hong Kong et Singapour. En moins de trois semaines, la maladie se répand dans le monde par le biais des transports aériens, pourtant moins denses qu’aujourd’hui.

Dans chaque « point chaud », on assiste à une augmentation rapide du nombre de cas, en particulier chez les professionnels de santé au contact des malades. En moins de trois mois, le total cumulé des cas est supérieur à 8 000, le nombre de morts dépasse 900 et la maladie est diagnostiquée dans plus de 30 pays. La crainte du Sras s’est répandue dans le monde entier plus vite que le virus. Les images de foules masquées, d’hôpitaux interdits aux familles des malades, d’aéroports déserts, diffusées par toutes les télévisions ont généré une grande peur face à cette maladie que toute la technologie du monde n’arrivait pas à identifier, et qui s’attaquait en priorité à ceux là même qui étaient censés nous soigner.

Premières réactions

Au Vietnam, le malade qui importe le Sras à Hanoï arrive le 23 février en provenance de Hong Kong. Il est admis le 26 à l’hôpital français de Hanoï. On a su plus tard qu’il avait séjourné au neuvième étage de l’hôtel de Hong Kong. Le bureau de l’OMS au Vietnam est contacté le 28 février. En tant que responsable des maladies infectieuses, le docteur Urbani se rend à l’hôpital tous les jours, et récolte avec le personnel de l’hôpital les toutes premières informations sur les caractéristiques cliniques et épidémiologiques des malades. Elles sont étudiées avec soin jour après jour à Genève et ailleurs. Elles auront une importance primordiale dans l’avancement des travaux sur cet agent pathogène encore inconnu. Le docteur Urbani met en place avec le personnel de l’hôpital des pratiques de contrôle de l’infection très strictes : plus de visites, des masques, des gants… Il impose par ailleurs une stricte séparation des malades ordinaires et de ceux potentiellement porteurs de ce mal inconnu.

Au niveau international, les choses s’accélèrent rapidement. L’OMS déclenche une alerte mondiale dès la mi-mars et diffuse des recommandations d’urgence à l’usage des voyageurs et des compagnies aériennes, des professionnels de santé et des autorités sanitaires, dans le but d’arrêter la maladie. L’OMS émet ainsi l’un des avis les plus rigoureux de ses 55 ans d’existence, en recommandant de différer tout voyage non indispensable dans les pays présentant un risque élevé d’infection.

Un exemple de coopération internationale

Dans le même temps, on assiste à une collaboration internationale médicale et scientifique sans précédent, mettant de côté la compétition en matière de publication et de prestige et les immenses bénéfices économiques potentiels, dans le seul intérêt de résoudre un problème de santé publique qui nous menaçait tous. La riposte mondiale coordonnée par l’OMS inclut un dispositif reliant en temps réel 112 réseaux sentinelles capables de suivre la flambée épidémique au jour le jour, et de mettre à disposition des pays touchés une expertise et des connaissances de haut niveau.

Un réseau de onze laboratoires de pointe est créé pour identifier l’agent causal du Sras et mettre au point un test diagnostic fiable. Le 17 avril (soit six semaines après que Carlo Urbani ait eu l’intuition de la maladie), un nouveau virus jusqu’alors inconnu est identifié : un coronavirus. Des consultations quotidiennes par téléconférence permettent d’affiner les définitions de cas et de confirmer les modes de transmission. Des équipes d’épidémiologistes et d’autres spécialistes sont envoyées sur le terrain. Le 5 juillet (soit quatre mois après la reconnaissance du premier cas à Hanoï et huit mois après le début de l’épidémie en Chine), l’OMS déclare officiellement la flambée épidémique terminée.

Le Sras a été vaincu, grâce essentiellement à une coopération internationale et une OMS qui a su assurer une direction forte mais politiquement neutre à l’échelle mondiale. On peut s’interroger sur le fait que de telles approches n’aient pas été et ne soient toujours pas mises en œuvre aujourd’hui.

Comment le Vietnam a vaincu le Sras

Au Vietnam le nombre de malades (essentiellement le personnel hospitalier) a augmenté rapidement ainsi que le nombre de morts. Le 9 mars, au cours d’une réunion historique, Carlo Urbani et moi-même réussissons à convaincre les autorités vietnamiennes de l’urgence de la situation.

Trente experts provenant des centres scientifiques les plus prestigieux du monde et des ONG se rendent au Vietnam entre le 10 mars et fin avril. Avec le personnel du ministère de la Santé et de l’hôpital, ils mènent des études épidémiologiques, collectent des échantillons et renforcent les mesures de contrôle de l’infection. Carlo Urbani part à Bangkok le 11 mars pour une réunion prévue de longue date sans savoir qu’il est contaminé et mourra de cette maladie encore inconnue le 29 mars. Fin avril le Vietnam est le premier pays au monde à être déclaré indemne de Sras par l’OMS.

Pourquoi le Vietnam, pays pauvre en développement, a-t-il été le premier à vaincre le Sras ? Plusieurs raisons expliquent ce succès, le facteur chance n’étant pas non plus à négliger.

Premièrement, dans toute gestion de maladie infectieuse, la rapidité des décisions et des interventions est fondamentale. Pour le Sras ce fut un facteur déterminant dans la mesure où la maladie était très contagieuse, le virus inconnu et les tests impossibles. Quelques jours suffisent pour qu’un grand nombre de gens soit touché et que le système de santé ne puisse plus répondre correctement comme on l’a vu à Hong Kong ou à Toronto. La rapidité a été la caractéristique principale de la réponse vietnamienne : rapidité de l’hôpital français à appeler l’OMS, puis réponse rapide de l’OMS et du gouvernement.

Deuxièmement, le Vietnam et l’hôpital français ont mis en place très vite des mesures techniquement simples de contrôle de l’infection datant des premiers temps de la microbiologie empirique – c’est-à-dire du temps de Louis Pasteur –, telles que : la détection des cas, l’isolement des malades, la recherche et la surveillance des contacts, la protection du personnel de santé, l’interdiction de voyages non essentiels.

Les mesures de protection ont été strictement appliquées : des gardes empêchaient l’accès aux lieux d’isolement, obligation était faite aux personnes ayant eu des contacts avec des malades de se faire connaître, familles et personnel de santé se voyaient délivrer des formations et du matériel de protection.

Troisièmement, le premier malade était à Hanoï et il s’est rendu assez vite dans un hôpital bien équipé. La situation aurait certainement été différente s’il était arrivé dans un hôpital de district à la frontière de la Chine. La capacité d’intervention limitée du système de santé périphérique aurait été un problème majeur, sans parler des risques de passer sous silence le début d’une épidémie… comme on l’a vu en Chine à cette époque et encore aujourd’hui.

Enfin, l’engagement de l’Etat et du parti au plus haut niveau (coordination de tous les acteurs, budget pour les équipements de protection, désignation d’hôpitaux en vue d’une extension de la flambée épidémique, formation du personnel, etc.) et la transparence vis-à-vis de l’opinion publique et des institutions internationales ont joué un rôle décisif. On a malheureusement vu que cette transparence n’était pas une constante dans tous les pays et qu’elle continue à manquer aujourd’hui.

Des leçons oubliées

Comme nous le constatons tous les jours, beaucoup de nos pays, France incluse, ont oublié le Sras. La frayeur passée, les gouvernements et les citoyens sont très vite passés à autre chose. Pour de multiples raisons : tensions internationales, puissance du marché et de l’idéologie néolibérale, destruction des services publics de santé et politiques d’austérité, manque d’ouverture à ce qui se passe ailleurs quand ça ne rentre pas dans nos schémas, méconnaissance des risques sanitaires par les gouvernements et les citoyens, affaiblissement du multilatéralisme et des agences spécialisées comme l’OMS…

D’autres pays, notamment en Asie (Corée du Sud, Taiwan, Singapour, Hong Kong..), ont bien compris que le grand voisin chinois était un danger en matière de santé publique. Ils se sont préparés. Et quand le SARS-CoV2 est arrivé, ils ont su rapidement mettre en place les mesures nécessaires, aujourd’hui reconnues comme les plus efficaces : dépistage, isolement, suivi des contacts, port de masques dans la population générale….

Dans les mois à venir, quand tout ira mieux, nous aurons le devoir de débattre de ce qu’il s’est passé, de ce qui aurait dû se passer et de ce qu’il faut faire pour que cela ne se reproduise pas. Cette épidémie exige une réflexion en profondeur et des changements tout aussi profonds sur de nombreux aspects du monde dans lequel nous vivons. Seuls quelques uns sont évoqués ici.

Ce Covid-19 met en cause notre système économique et notre rapport à la nature. La destruction de l’environnement, l’urbanisation accélérée, les inégalités, la généralisation des logiques de marché favorisent l’émergence de nouveaux virus et la propagation de nouvelles maladies infectieuses.

Les États, qui sont censés nous protéger, sont ceux là même qui mettent en place des politiques d’austérité qui fragilisent et parfois détruisent la santé publique, les systèmes de soins, les instituts de recherche. Les citoyens et les contre-pouvoirs n’ont qu’une place limitée dans la décision publique, dans les questions d’éthique et de défense des droits humains. Et au niveau international, le système des Nations unies et d’agences telles que l’OMS, qui a partiellement failli au début de cette nouvelle épidémie, ne sont pas ou plus les garants du bien être des peuples.

C’est un travail collectif que nous devons mener si nous souhaitons être des démocraties fortes, solidaires, respectueuses des droits humains, et capables d’éviter que la prochaine crise sanitaire ne nous emporte.

En attendant, rendons hommage à Carlo Urbani, grand exemple pour nous tous, et à toutes celles et ceux qui hier et aujourd’hui luttent avec leur savoir faire, leur intelligence, leur courage pour que nous puissions vivre. Un grand merci à tous.



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