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Stop au virus !

par Christophe Prudhomme

 

Les mesures de confinement seules ne permettront pas de se débarrasser du virus. En effet lors d’une épidémie, le seul moyen de stopper la propagation d’un agent infectieux est de détecter les personnes contagieuses le plus précocement possible et de les isoler de manière stricte immédiatement. Cette étape a été gérée de manière catastrophique avec les tests classiques car le gouvernement a choisi la quantité plutôt que la qualité, à savoir le délai de rendu des résultats. De ce fait, les personnes contagieuses ont largement contaminé leur entourage dans l’intervalle, ce d’autant que le traçage effectué par les personnels des ARS ou de l’assurance maladie par téléphone s’avère peu efficace. Pour mesurer l’étendue du problème, il est utile de citer une étude récente qui vient de montrer qu’une personne infectée contaminait au moins la moitié des membres de sa famille.
Nous disposons depuis le mois de septembre de tests antigéniques rapides permettant l’obtention d’un résultat en 15 minutes. Bien qu’un peu moins performants que les tests classiques, leur supériorité en termes d’efficacité est la rapidité d’obtention du résultat qui permet un isolement immédiat et de limiter ainsi de très nombreuses contaminations. Ces tests auraient pu être utilement utilisés pour les personnels des EHPAD, les aides à domicile, certaines entreprises à risque ou encore pour les vacanciers de la Toussaint avant qu’ils rejoignent leurs familles, composées souvent de personnes âgées, donc vulnérables. Le gouvernement vient d’autoriser tardivement leur emploi et n’en fait pas énormément de publicité car, encore une fois, le problème d’approvisionnement et de disponibilité ne semble pas réglé. Pour l’instant seuls 5 millions de tests sont commandés alors que pour stopper l’épidémie nous allons avoir besoin de 50, voire de 100 millions de tests afin de pouvoir multiplier autant que de besoin les examens.

Si nous ne voulons pas aller de confinement en confinement, seule cette stratégie appliquée de manière très agressive et massive est susceptible de briser les chaînes de propagation du virus et de pouvoir retrouver une vie presque normale. Il y a urgence car la saturation de nos hôpitaux risque d’avoir des conséquences catastrophiques sur la santé des malades non-COVID dont la prise en charge a déjà été affectée au printemps et est de nouveau retardée aujourd’hui. La mortalité en France est de 600 000 personnes par an, une surmortalité de 10 % due à une incapacité prolongée à gérer à la fois ces patients et les malades de la COVID-10 entraînerait le décès de 60 000 personnes supplémentaires.

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C’est le manque d’honnêteté qui a rendu le virus mortel !

par Roland Gori

 

Roland Gori est psychanalyste, membre d’Espace analytique, professeur honoraire de psychopathologie clinique à l’université d’Aix Marseille. Auteur de Et si l’effondrement avait déjà eu lieu, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2020.
Frédéric Pierru est sociologue, CNRS-CERAPS.

 

Albert Camus, par la voix du Dr Rieux, définit dans La Peste la seule attitude de justice et d’éthique que nous devons avoir face aux épidémies :« pour rien au monde je ne voudrais vous détourner de ce que vous allez faire, qui me parait juste et bon. Mais il faut cependant que je vous le dise : il ne s’agit pas d’héroïsme dans tout cela. Il s’agit d’honnêteté. C’est une idée qui peut faire rire, mais la seule façon de lutter contre la peste, c’est l’honnêteté. […] Je ne sais pas ce qu’elle est en général. Mais dans mon cas, je sais qu’elle consiste à faire mon métier.[1] »

Nous sommes-nous montrés à la hauteur de cette exigence ? Notre peste de l’année 2020 n’a-t-elle pas révélé les défauts majeurs, culturels, sociaux et politiques, d’une mondialisation purement marchande sans les accompagnements sanitaires et éthiques globaux que requiert un tel changement de paradigme ? Les historiens des épidémies[2], qu’il nous faudrait écouter au moins autant que les épidémiologistes et les virologues, nous l’ont appris : celles-ci accompagnent toujours les expansions territoriales et les croissances économiques. C’est le prix à payer du développement des villes et des échanges globalisés. L’Empire romain est, en partie, mort de ce paradoxe : à cause de son succès, il a exposé ses populations. L’impréparation de nos gouvernants, leurs mensonges sur l’indispensable matériel sanitaire, leurs « larmes de crocodiles » sur la pénurie des lits de réanimation, ne sont pas un accident de parcours imputable à tel ou tel gouvernement national. Ce ne sont que les effets d’un ébranlement systémique global dont nous ferions bien de prendre la mesure afin de nous préparer à vivre avec le coronavirus et, au-delà, à faire face aux inévitables catastrophes futures.

Depuis le début des années 2000, la prévention des risques a cédé la place à la doctrine de la preparedness, soit l’organisation de la résilience des économies et des sociétés selon la logique du pire. Cette doctrine impliquait en particulier l’édification d’un dispositif de sécurité sanitaire prêt à anticiper et à répondre, à tout moment, aux épidémies et au bioterrorisme. Prévoir tout, partout, tout le temps : telle était, dans les discours, l’ambition prométhéenne de la santé publique mondiale. Les experts allaient en répétant : « not if, but when » ; la question n’était pas de savoir si une pandémie allait survenir, mais quand. La réaction des gouvernements à l’épidémie annoncée de H1N1,en 2009, doit être replacée dans cet horizon d’attente. Cette crise qui n’est pas venue a contribué à désarmer l’État sanitaire, supplanté, après 2010, par le rabot budgétaire de Bercy. Tout ce qui n’était pas urgent ou paraissait accessoire a été sacrifié sur l’autel de la réduction des déficits publics. L’État s’est, par exemple, défaussé sur les entreprises et les hôpitaux pour suppléer au sacrifice des stocks stratégiques de masques. Les unes et les autres ont été myopes : les premières parce qu’il s’agissait de faire face à la concurrence et, pour les plus grosses, de servir de gras dividendes ; les seconds parce qu’ils ont été sommés de revenir à l’équilibre budgétaire. La dégradation des conditions de travail et l’effondrement de l’attractivité des hôpitaux, donc la vacance de nombreux postes, ont été, dans un premier temps, le tribut versé à la comptabilité nationale. Le dénuement des hospitaliers face à la pandémie a constitué l’aboutissement de cette « casse du siècle »[3].

C’est pourtant la troisième fois que le monde est frappé par un bêta-coronavirus. L’histoire montre que l’homme fabrique les épidémies en fournissant aux microbes le combustible dont ils ont besoin, par l’altération de l’environnement et l’amplification des échanges. Ce qui requiert, au moins, d’accompagner ces transformations du biotope et des conditions de circulation avec un système de protection, de surveillance et de soins permanent et dans la mesure du possible global ou au moins fédéral ; ce qui, à ce jour, n’est pas le cas, exposant les populations aux désastres sanitaires, économiques, sociaux et politiques. Les épidémies ont toujours été, depuis la naissance des premiers États, des mises à l’épreuve politique. Si ces derniers disposent du monopole de la violence physique légitime, c’est justement pour garantir la sécurité de leurs ressortissants. Avec l’effacement des grands récits et la relative dépolitisation qui s’en est suivie, cette bio-légitimité étatique est devenue encore plus pressante. La performance des États est d’abord évaluée à l’aune de leur capacité à protéger la vie. Toute défaillance en la matière provoque un ébranlement des gouvernements en place.

Le paradoxe veut qu’au moment où les États étaient pressés de s’organiser pour se préparer au pire, les pays développés connaissaient un effondrement – au sens d’éviscération d’un animal – culturel. L’actuelle crise sanitaire a jeté une lumière crue sur l’obsolescence de nos croyances, de nos catégories de jugement et de nos manières d’envisager le monde et l’humain, celles-là mêmes qui ont fondé et inspiré les sociétés thermo-industrielles, en particulier la foi dans un « progrès » économique indéfini à condition de « libérer la croissance ». A cet égard, il n’est pas certain que les leçons du printemps aient été tirées. Le « Ségur de la santé » n’a débouché que sur de timides revalorisations salariales tout en renvoyant à plus tard l’essentiel de l’indispensable investissement dans le système de santé. Le « plan de relance » s’annonce, dans les faits, plus modeste que les 100 milliards annoncés. Enfin, tandis que l’Union européenne annonce une diminution du financement de la recherche, le projet pluriannuel de programmation sur l’enseignement supérieur et la recherche se paie de chiffres hypothétiques, tout en organisant une recherche toujours plus « darwinienne » – une masse de précaires pour un petit nombre d’élus – selon le mot désormais célèbre du PDG du CNRS. L’honnêteté s’accommode mal de la communication. Si nous voulons éviter que notre monde lui-même ne s’effondre comme les empires, il faut de toute urgence récuser son organisation sociale et politique sur le court-terme, en finir avec la rentabilité immédiate, avec les profits aux dépens des populations et cesser de réagir en agissant. A défaut, l’avènement de l’effondrement ne sera jamais que l’accomplissement concret de ce qui dans notre système de pensée s’est déjà produit. A force d’anticiper le retour au business as usual, les gouvernements européens sacrifient dès maintenant notre avenir, oublieux qu’ilssont de la mise en garde du grand économiste que fût John Keynes, lequel écrivait que « nous serions capables d’éteindre le soleil et les étoiles parce qu’ils ne nous versent pas de dividendes ».

NOTES

[1] Albert Camus, La Peste, Paris, Gallimard, 1959, p. 180.

[2] Patrick Zylberman, Tempêtes microbiennes, Paris, Gallimard, 2013.

[3] Pierre-André Juven, Frédéric Pierru, Fanny Vincent, La Casse du siècle. A propos des réformes de l’hôpital public, Paris, Raisons d’Agir, 2019.

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Duplicité du chœur des pleureuses islamistes face aux caricatures

La République française cible privilégiée des intégrismes notamment de l’islam politique

par Philippe Duffau

 

Les islamistes politiques, radicaux et intégristes, les régimes islamistes s’offusquent de manière aléatoire et à géométrie variable selon les pays et les circonstances : certains musulmans qui sont réellement persécutés, victimes de réelles discriminations institutionnelles ne font pas partie de leurs préoccupations.

  • Les Ouïgours persécutés, pas de réactions des régimes islamistes ;
  • Les Rohingyas opprimés, pas de réactions des régimes islamistes ;
  • Mais contre des caricatures, qu’on les apprécie ou pas mais qui relèvent de la liberté d’expression, des foules manipulées, instrumentalisées piétinent le drapeau français, le portrait du Président de la République (même si je condamne sa politique pro-ultrariches, favorable aux multinationales) ; un boycott de certains produits français est organisé, alors que, institutionnellement, nos compatriotes musulmans sont considérés à égalité de droits et de devoirs comme tous citoyens ordinaires, droits dont aucun musulman ne dispose dans ces régimes islamistes et théocratiques (homme et femmes, notamment les femmes) même si dans la vie réelle, sur le plan de l’accès à l’emploi, il existe, dans notre pays, des discriminations qu’il faut combattre :
  • Mais, l’interdiction de signes religieux, tous les signes religieux, chrétiens, juifs, musulmans, mais aussi politiques à l’école, au collège, au lycée est assimilé à de la persécution contre l’islam alors qu’il s’agit de préserver les élèves des pressions idéologiques et religieuses afin qu’ils puissent élaborer leurs convictions le plus librement possible, qu’ils puissent choisir leurs voies de manière émancipée.

Je suis persuadé que la majorité des citoyens français de confession musulmane, pratiquants ou pas, ne sont pas dupes et ne se laissent pas instrumentaliser (sondage IFOP : 87 % des musulmans favorables à la loi de 1905). Soyons à leurs côtés pour les soutenir sur le chemin d’une sorte d’aggiornamento de l’islam (terme italien signifiant littéralement « mise à jour ». Il fut utilisé à la fois par les évêques et les médias pendant le concile Vatican II, entre 1962-1965 pour désigner une volonté de changement dans la religion, de modification et d’adaptation à la modernité) pour le rendre compatible avec les principes d’égalité, de liberté, et de laïcité de notre République que même la majorité des médias anglo-saxons enfermés dans un modèle communautariste ne comprennent pas.

La laïcité est le cadre non suffisant mais cependant indispensable pour faire vivre la liberté et la fraternité. C’est là l’originalité de la République française et de quelques autres qui empruntent cette voie, le Luxembourg, le Québec, le Portugal… Beaucoup d’autres se contentent de la « sécularisation » qui consiste à soustraire à l’influence des institutions religieuses des fonctions ou des biens qui lui appartenaient et à faire passer certaines valeurs du domaine du sacré dans le domaine du profane. Cela implique que l’hégémonie religieuse demeure dans la société. Ils sont à mi-chemin d’une voie réellement émancipatrice.

Le modèle laïque français va plus loin dans l‘émancipation des esprits : tout en garantissant la liberté de culte, il préserve la société des dogmes que les religions voudraient imposer à l’ensemble de la société en se considérant au-dessus des lois humaines.

Ce n’est pas pour rien que la France est la cible privilégiée des islamistes politiques et intégristes. Soyons fiers de cela.

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République ou Far West ?

Veut-on privatiser la sécurité ?

par Richard Gerbaudi

 

Richard Gerbaudi  est ex-secrétaire général de la FASP et du SGP.

Le projet de loi sur la sécurité globale va être débattu à l’Assemblée nationale. Si nous suivons ses propositions, dans 20 ans nous aurons tous une arme à la maison.

Réfléchissons un peu, ensemble, au « modèle » vers lequel veulent nous conduire tous ceux qui, en ce moment, dirigent notre pays et tous ceux qui sont pourtant censés défendre les valeurs de la République, liberté, égalité, fraternité.

Réfléchissons un peu, en regardant, par exemple, ce qui se passe en Colombie : en Colombie, vous n’avez pas de clés pour entrer dans votre immeuble ; c’est un vigile qui vous ouvre la porte (à trois ou quatre, ils se relaient 24/24h toute l’année pour garder votre porte) il est à l’intérieur de l’immeuble, il est armé. C’est du moins la sécurité qui est réservée aux riches.
Autre exemple, en Amérique centrale, où l’on trouve un vigile armé devant chaque magasin, et des gardes de sécurité devant chaque maison des quartiers résidentiels, maisons elles-mêmes protégées par des murs de plusieurs mètres, sur lesquels sont fixés des fils barbelés électrisés.

Dans ces pays, la sécurité est une  sécurité privée et les sociétés qui s’en occupent font fortune. La police nationale existe, oui, mais en seconde ligne ! Dans ces pays, quand on pense sécurité, elle est privée !

Dans ces pays, les familles les plus aisées font appel au service d’un chauffeur armé, souvent doublé d’un accompagnateur armé également.

Dans ces pays, les plus aisés se payent leur propre sécurité. Pourtant, cette conception de la société ne fait pas reculer, bien au contraire, la criminalité et les homicides : ce sont les pays où l’on tue le plus !

Dans ces pays, les personnels politiques se sont la plupart du temps inspirés des Etats-Unis et copié leur « méthode » dans le domaine de la sécurité. Mais aussi dans le domaine de la santé : pas de carte Vitale, seule une carte de crédit permet d’être accepté à l’hôpital. Ou dans le domaine de l’éducation, qui n’est pas vraiment gratuite, loin s’en faut…

Les gens qui vivent dans ces pays-là nous envient. Ils envient la France et ses services publics qui permettent une égalité de traitement en matière de la santé, d’éducation ou de sécurité, un modèle, disent-ils. Pourtant en France, la privatisation gagne tous les jours un peu plus de terrain.

« Puisque l’État ne peut pas, je fonde ma police municipale, » disent les maires, « j’arme ma police municipale !». Celle de Nice, dès sa mise en place, a été à la pointe avec des moyens bien supérieurs à ceux dont bénéficiaient les policiers nationaux en matière d’armements, de matériels et de véhicules

Face à la démission de l’État, des villes plus riches que d’autres se sont dotées de polices municipales.

Aujourd’hui, si l’on écoute les soi-disant défenseurs de la police (à l’Assemblée nationale ou sur les plateaux télé), il faudrait que la police nationale accepte un « continuum » pour pourvoir survivre et on propose de coordonner les efforts de toutes les forces consacrées à la sécurité. Dans ce nouveau dispositif, ceux que l’on appelle les policiers municipaux, coordonneraient leurs missions avec la police nationale et la gendarmerie. Ce qui nous permettrait d’arriver dans un monde de bisounours où les municipaux se développeraient encore plus sur tout le territoire, au détriment de la police nationale pour qui l’Etat rechigne toujours à donner les moyens de leurs missions. Les braves Saint-bernards de la police qui ont inventé ce « continuum » se moquent de nous !

C’est avec leurs arguments que des dizaines de polices municipales ont vu le jour : leurs effectifs sont arrivés à 33 000 aujourd’hui ! Et demain, pour continuer à assurer au mieux les missions que la police nationale ne peut plus effectuer, ils seront 50 000, 100 000 ! Halte-là !

Les braves Saint-bernards sont ceux qui vont condamner la police républicaine et nous conduire à une privatisation sans fin de notre sécurité. Avec leur « continuum », ils vont faire avaliser les vingt dernières années d’incurie. Ils veulent bricoler un arrangement qui plaira à tout le monde, puisque presque tous les partis, lorsqu’ils sont passés au pouvoir (notamment le PS et l’UMP), ont fait le lit des polices municipales.

Car en faisant le lit des polices municipales, on fait sauter le verrou et on ouvre la porte toute grande à la privatisation de la sécurité, mais aussi, comme c’est le cas aujourd’hui aux États-Unis, à l’armement individuel des citoyens.

Le pouvoir actuel a choisi son camp : il vient de sacrifier la Préfecture de police en ouvrant droit à la mise en place d’une police municipale à Paris qui, tôt ou tard, sera probablement armée (pour être plus proche des Parisiens ?)

Ce « cadeau » est un coup porté à la police nationale. Il nous éclaire sur les ambitions de ce gouvernement et les moyens qu’il veut véritablement donner à la police nationale, un gouvernement qui s’inscrit d’ailleurs en cela dans la tradition de ceux qui l’ont précédé ces vingt dernières années : beaucoup d’agitation, beaucoup d’annonces, peu de grands desseins…

Face à ces offensives, ceux qui sont chargés de défendre la police républicaine sont comme hypnotisés. Ils ne réagissent pas tant qu’il est encore temps, ils ne disent pas halte là ! Ils ne disent pas « arrêtez de municipaliser, et au contraire nationalisez ! ». A ce jour, seul le syndicat FSU a dénoncé cette course en avant.

Je pense qu’il est temps de dire aux maires qui ont tant investi pour la sécurité : « Merci, mais nous allons maintenant nationaliser vos polices municipales. Les effectifs, après examen et formation, seront intégrés à la police nationale. Ceux, du moins, qui réussissent au concours, car les autres redeviendront agents municipaux à la disposition de la ville. Vos moyens, véhicules, locaux, armement, caméras, etc. deviendront également propriété de l’Etat ».

En France actuellement, nous sommes en train de faire le chemin inverse de celui qui devrait être fait. Il nous faut interrompre cette marche suicidaire vers la municipalisation.

Car si nous ne la stoppons pas, si nous prenons le chemin de la privatisation, il nous conduit vers une sécurité à l’américaine. Le premier pas, c’est celui de la police municipale, avec des attributions sans cesse augmentées jusqu’à ce qu’elle puisse suppléer totalement la police nationale. Puis le chemin mène, de façon irrémédiable, à la privatisation de la sécurité, et donc au pouvoir de l’argent en lieu et place du service public pour tous.

Comme en Amérique centrale, nous aurons des gardiens privés devant les magasins, comme en Colombie, nous auront des vigiles devant les portes de nos immeubles, jusqu’à ce que le dernier maillon saute : et nous n’aurons plus qu’à nous armer pour nous protéger…

Le glissement se fera au fil des ans, et sera d’autant plus rapide si ceux qui sont chargés de défendre le modèle républicain laissent parler les autres…

Il s’agit là d’un choix de société. Et malheureusement ceux qui ont le pouvoir d’agir semblent se contenter de passer en boucle sur les différents médias pour commenter ce qui est en train de se passer, et non pas pour s’élever contre cette mascarade.

Ce continuum mènera au capharnaüm. Il me vient en mémoire, il y a peu, une élue de Marseille qui disait que la police municipale ne ferait pas appliquer la loi (il s’agissait des fermetures des bars et des restaurants). Tiens donc… C’est ce que nous avons toujours contesté et redouté à Paris. Il est inconcevable qu’une police municipale puisse un jour avoir à appliquer les ordres d’un maire qui conteste la loi ! Et s’opposer ainsi à la police nationale et à l’Etat

Pourtant, c’est à l’épanouissement de cette tendance que l’on assiste aujourd’hui, qui entérine les années de disette du service public et conduit sciemment à la privatisation de la sécurité

J’invite donc tous les républicains de ce pays, qu’ils soient policiers ou non, à s’élever contre la municipalisation de la police, contre l’armement des polices municipales et contre ses qualifications ; pour une remise à plat des forces de sécurité régaliennes, dans ce qui est encore une République et n’a pas vocation à devenir un Far-West.

Pour que la police républicaine assure la sécurité, combatte le terrorisme et fasse appliquer les lois, il faut un plan pluriannuel de plusieurs milliards (c’est d’ailleurs à cette échelle-là que l’Etat vient en aide aux sociétés semi publiques ou privées). La sécurité des Français les vaut bien.

Le pays a donc besoin :

– d’un plan de recrutement massif pour ouvrir (ou rouvrir) des commissariats dans tous les quartiers qui sont désertés par la volonté des gouvernement successifs.

– d’une formation des policiers à la hauteur des enjeux de notre société.

– de repenser le métier de policier et de l’adapter aux missions et aux enjeux qui sont aujourd’hui les siens.

– d’une revalorisation indiciaire conséquente, en fonction des spécialités choisies et des niveaux de responsabilités.

En France, pour quelques temps encore peut être, la police est nationale. La nation doit en faire un modèle républicain, et non un repoussoir.

Je prends date. Si nous ne stoppons pas dès maintenant cette spirale vers la privatisation, nous condamnons à terme la police républicaine. Il faut inverser la tendance, rouvrir les commissariats de la police nationale qui ont été fermés partout en France pour cause de baisse d’effectifs et de moyens. Plus largement, il faut des services publics de proximité (police-éducation-santé) pour tous et sur tout le territoire!

Je prends parti franchement, nettement, et sans ambages.

 

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Défense de la Sécurité sociale

Un dossier et une invitation

par ReSPUBLICA

 

1/ Nous vous proposons la lecture du texte La Sécurité sociale, une mesure révolutionnaire

Il s’agit d’une conférence Jean-Claude Boual, à Tulle le 26 septembre 2020, qui constitue un excellent outil d’éducation populaire, dont voici un extrait introductif :

L’épidémie de la Covid-19 que nous traversons nous démontre les dégâts sociaux qu’engendrent les politiques d’austérités conduites depuis plus de cinquante ans pratiquement sans discontinuité. Notre système de santé, hôpitaux compris, n’est plus en capacité à faire face en raison de manque d’équipements et de personnels. C’est un moment de prise de conscience de l’importance pour les populations de la protection sociale, mais aussi du niveau des luttes à mener pour inverser la tendance, et se porter au niveau des enjeux de société absolument fondamentaux auxquels nous devons répondre.
Trois questions qui me paraissent essentielles dans ce contexte, pour mieux appréhender les conditions de la lutte à mener :
1) premièrement, la protection sociale est un des piliers de notre démocratie, ou plutôt, il ne peut y avoir de démocratie sans une protection sociale répondant aux besoins de la société et à caractère universel ;
2) la protection sociale n’est pas tombée du ciel, elle est le résultat d’un long processus de luttes politiques, sociales, économiques multiséculaires pour la sécurité face aux aléas de la vie, pour la dignité, l’égalité, la solidarité, et ce n’est pas fini ;
3) ce n’est donc pas une question technique (paramétrique ou comme on dit en langage technocratique d’aujourd’hui), ni une simple question d’architecture des modes de financements, même s’il faut absolument les maîtriser pour mener les luttes, pour argumenter pour expliquer les enjeux, c’est d’abord une question politique avec un affrontement de classe qui n’a rien perdu de sa vigueur ni de sa pertinence.

Télécharger le texte complet : La sécurité sociale une mesure révolutionnaire. JC BOUAL (PDF)

 

2/ Une initiative de la Convergence Services publics Paris, le 14 novembre

Cliquer pour accéder à 2020-11-14-FACE-AU-PLFSS-2021.pdf

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Réponse d’Olivier Nobile à Henri Sterdyniak à propos de son texte Une protection sociale pour tous, un financement équitable

par Olivier Nobile

 

Suite à la parution du dossier consacré à la défense et à la réhabilitation de la cotisation sociale (Ufal info repris dans Respublica), l’économiste Henri Sterdyniak a demandé la publication d’un texte critique dans lequel l’auteur exprime des désaccords avec mon analyse salariale de la Sécurité sociale. Il qualifie, au surplus, mes propositions de « socialement et économiquement erronées ».

L’argumentaire développé par Henri Sterdyniak nécessite un droit de réponse de ma part. Tout d’abord, car Henri Sterdyniak est un analyste sérieux et pour lequel j’ai un grand respect au sein du champ de l’économie hétérodoxe. Il est en particulier l’un des rares économistes français qui ait développé depuis des décennies une connaissance étendue et précise des questions sociales en plaçant les enjeux de protection sociale au cœur du débat économique de notre pays. Débattre avec Henri Sterdyniak est donc stimulant à plus d’un titre. D’autant plus que Henri Sterdyniak défend une position qui est au cœur du débat fondamental qui oppose deux approches contradictoires (mais pas irréconciliables, fort heureusement !) qui traversent la gauche française au sujet de la protection sociale.

Henri Sterdyniak résume cette contradiction doctrinale en opposant les tenants d’une approche syndicaliste (à laquelle j’appartiendrais) et ceux qui défendent une vision réaliste dont il se réclame. Je ne prends nullement ombrage de cette classification doctrinale qui me rapprocherait de facto de l’action politique des syndicats (il faudrait néanmoins déterminer lesquels car le champ syndical est lui-même traversé par d’importants clivages en matière de questions sociales), mais j’en réfute les termes.

Pour ma part, je revendique un ancrage doctrinal de gauche républicaine de tradition jaurésienne dans laquelle la Sécurité sociale française s’inscrit au cœur du projet de République sociale. Il s’agit de concilier un projet politique de rupture avec le capitalisme fondé sur la reconnaissance de droits spécifiques de la classe des travailleurs face aux détenteurs des moyens de production, et une vision républicaine et démocratique de la société, dont le caractère laïque et social conférerait au peuple souverain les armes de son émancipation politique, sociale et idéologique. Dans ce projet de République sociale, la Sécurité sociale n’est pas seulement un dispositif de Protection sociale mais devient une institution du Droit social républicain par laquelle la classe des travailleurs acquiert une reconnaissance statutaire (au sein du salariat) incluant des droits sociaux directs (et non dérivés) parallèlement à l’exercice d’un pouvoir politique et démocratique étendu à la sphère économique. La Sécurité sociale poursuit en son sein un objectif distributif (horizontal) de ressources salariales, réparti égalitairement entre l’ensemble des travailleurs, et participant directement sur la répartition de la valeur économique.

Le projet social-démocrate et keynésien que sous-tend, selon moi, l’approche réaliste de Henri Sterdyniak repose sur un projet d’accompagnement social du capitalisme au travers d’une mobilisation de l’impôt redistributif aux fins de réductions des effets les plus délétères du capitalisme : pauvreté, exclusion et accroissements des inégalités. Cette approche ne doit nullement être méprisée ou caricaturée mais nécessite à tout le moins de caractériser de manière univoque les termes de l’opposition doctrinale que mon contradicteur émet mezzo voce. Henri Sterdyniak pourra, le cas échéant, clarifier sa position en précisant ce qui sous-tend sa vision réaliste. Laissons toutefois de côté cette querelle de chapelles idéologique pour mieux centrer cette réponse sur les arguments de fond.

Commençons par un petit rappel historique. Sans vouloir faire offense à Henri Sterdyniak et encore moins à la sincérité de son appartenance idéologique au mouvement social, force est de constater que la position qu’il défend est assez congruente avec la politique réformatrice qu’a menée le Parti socialiste (PS) au cours des années 1980 et 1990 dans le domaine de la Sécurité sociale. Rappelons que le PS a été le principal instigateur du mouvement de fiscalisation de la Sécurité sociale au travers d’une substitution massive d’impôts et taxes au cœur du financement de la Sécurité sociale en substitution de la cotisation sociale, singulièrement après l’instauration de la CSG (1991). C’est ce même parti socialiste qui a mis sur pied le premier revenu minimum non-catégoriel (le RMI, 1988) orienté vers la population durablement exclue de l’emploi, rompant de la sorte avec les solutions classiques d’indemnisation du chômage fondées sur le salaire socialisé (UNEDIC) au profit d’une conception assistancielle de lutte contre la pauvreté. Le Parti socialiste a poursuivi cette logique en fiscalisant massivement les ressources de l’assurance maladie, précédant de peu l’instauration de la Couverture maladie universelle (CMU), laquelle a eu moins pour effet d’universaliser l’accès à la santé que de créer une protection sanitaire sous conditions de ressources destinée aux plus pauvres. Enfin, c’est ce même parti socialiste qui a massivement ouvert les vannes des mesures d’exonérations de cotisations patronales à des fins d’allègement du coût du travail suite à la mise en œuvre de la deuxième loi Aubry sur les 35 heures.

Ces réformes sont un marqueur assez édifiant de l’évolution radicale du moteur idéologique du Parti socialiste qui a délibérément choisi de rompre avec la centralité du travail au cœur du clivage gauche – droite et avec l’héritage des luttes historiques de la classe ouvrière. Partant du principe d’une mutation des structures sociales économiques du capitalisme (devenu transnational et financiarisé) et de l’émergence d’une classe moyenne qui se serait substituée à l’existence d’une classe laborieuse, le projet social qui en découle repose d’une part sur l’abandon de la lutte pour l’augmentation des salaires et la réduction du temps de travail comme élément central de la bataille politique et syndicale, et d’autre part, sur la mise en œuvre d’une réponse sociale segmentée et orientée vers les plus fragiles socialement.

Il y a lieu désormais de répondre à l’objection de Henri Sterdyniak à mon propre texte en la recentrant sur le sujet qui a motivé sa critique : la défense de la cotisation sociale et la dimension salariale de la Sécurité sociale. Tâchons de résumer les principales réfutations que Henri Sterdyniak exprime à propos de mon article :

1) il est légitime que le capital contribue autant que les revenus du travail au financement de la Sécurité sociale. Par ailleurs, le prélèvement social optimal devrait permettre de lutter contre la substitution de capital au travail, au travers notamment de l’instauration d’un prélèvement nouveau sur l’excédent brut d’exploitation (EBE) ;

2) il y aurait lieu de distinguer les prestations sociales universelles et d’assistance (telles que la branche maladie et la branche famille ainsi que l’ensemble des minima sociaux) des prestations dites contributives (retraite, chômage, prestations en espèces) qui ont un lien direct avec l’activité. Les premières, déconnectées de la logique de l’emploi et versées à tous les résidents sans conditions de cotisations, auraient naturellement vocation à être financées par un prélèvement universel : l’impôt. Les secondes, liées au risque de perte de revenus salariaux/professionnels justifieraient à l’inverse qu’elles soient financées par la cotisation sociale et gérées par les syndicats. À noter que selon cette même logique, Henri Sterdyniak rejette le mouvement de fiscalisation de l’UNEDIC mis en œuvre par Emmanuel Macron via la substitution de la CSG à la cotisation salariale chômage : l’assurance chômage étant une couverture sociale contre la privation de revenus induites par le chômage, elle devrait demeurer dans le corpus des prestations contributives placées sous gestion syndicale (au même titre d’ailleurs que les revenus de remplacement de l’assurance maladie).

3) la fiscalisation des pans universels de la protection sociale fait certes peser un risque d’étatisation et de perte de pouvoir des syndicats au sein de la gouvernance de la Sécurité sociale, singulièrement pour les branches maladie et famille. Toutefois, Henry Sterdyniak interroge la légitimité-même de la démocratie sociale pour les branches universelles de la Sécurité sociale : « Pourquoi la santé plus que l’éducation ? »

Commençons par le premier argument : la nécessaire contribution du capital au financement de la Sécurité sociale.

C’est un argument ancien, largement brandi à l’occasion de la mise en œuvre de la CSG par Michel Rocard en 1991. Il est vrai que la CSG (à laquelle il convient d’ajouter la CRDS) a une assiette plus large que celle de la cotisation sociale. Contrairement à cette dernière à laquelle sont assujettis les seuls revenus du travail, la CSG taxe également les revenus du patrimoine, de l’épargne et des jeux. Henri Sterdyniak pointe les 17,2 points de CSG sur les revenus du capital qui apportent de précieuses ressources à la Sécurité sociale (en incluant la CRDS et le prélèvement de solidarité sur les revenus de placement). Rectifions toutefois une petite inexactitude : s’il est vrai que les prélèvements sociaux sur les revenus du capital représentent 17,2 points, seuls 9,7 points vont effectivement abonder les recettes de la Sécurité sociale. En effet, les 7,5 points de prélèvement de solidarité sur les revenus de placement ont été rétrocédés au budget de l’État depuis 2019. Cela démontre au passage que les prélèvements fiscaux censés abonder les finances de la Sécurité sociale sont soumis à l’arbitraire des décisions politiques d’affectation, ce qui plonge la Sécurité sociale dans une grande incertitude quant au montant des ressources qui lui seront effectivement affectées. De la sorte, les pouvoirs publics peuvent organiser de toute pièce un déficit de telle ou telle branche de la Sécurité sociale en modifiant unilatéralement les postes d’affectation de l’impôt, afin de justifier la mise en œuvre de « réformes » visant à réduire le niveau des prestations sociales. Ce fut le cas en 2012 lorsque la suppression d’une fraction de CSG destinée à la branche famille a créé artificiellement un déficit de la CNAF qui a pourtant servi de justification à la réforme Ayrault des prestations familiales dont le mesure la plus emblématique fut la modulation des allocations familiales en fonction du revenu. Pour un total de 2 milliards d’euros d’économies.

Certes, la taxation du capital par la CSG rapporte annuellement 12 milliards d’euros environ à la Sécurité sociale, ce qui est une somme non négligeable mais, malgré tout, marginale dans le corpus de ses recettes (2 à 3 % environ). Comme je l’ai écrit moi-même dans mon ouvrage dès 2014, l’existence de la CSG sur les revenus du capital « n’est ni une question ni un enjeu ». Conserver cette fraction de CSG sur les revenus de placement ne suscite pas de rejet dogmatique de ma part si cela peut diversifier les ressources de la Sécurité sociale. Toutefois, reconnaissons que défendre la CSG au nom de la taxation du capital relève pour le moins de la promotion du pâté d’alouette (« Pour faire du pâté d’alouette, prenez un cheval et une alouette… » dit le proverbe).

En effet, le véritable enjeu de la CSG se situe ailleurs : 90 % de son rendement repose sur les revenus du travail et sur les revenus de remplacement. Présenté autrement, la CSG consiste essentiellement en un impôt non progressif sur le revenu (70 % de son rendement) et, pour 20 %, en une taxation des prestations de remplacement de la Sécurité sociale (pensions de retraite, allocation de chômage, indemnités journalières de Sécurité sociale…). J’ai insisté dans mon texte sur le caractère inique d’une telle mesure qui a consisté à soumettre à la CSG/CRDS des prestations sociales qui sont la contrepartie d’une cotisation sociale adossée aux salaires de leurs bénéficiaires. Plus grave, la CSG est l’arbre qui cache la forêt d’une myriade d’impôts et taxes affectés (ITAF) qui touchent avant tout les revenus et la consommation populaire : fraction de TVA, taxe sur le tabac et les alcools, taxe sur les complémentaires santé, contribution de solidarité à l’autonomie (prise en contrepartie de la suppression d’un jour férié) etc… Au total ce sont 200 milliards d’euros d’ITAF qui abondent les ressources de la Sécurité sociale, soit 40 % du total de ses recettes annuelles. On ne dira jamais assez que ces impôts et taxes frappent durement les catégories les plus modestes et participent largement du sentiment de matraquage fiscale que ressent une grande partie de la population.

Notons qu’une grande partie de ces ITAF ont été affectés à la Sécurité sociale pour compenser les exonérations colossales de cotisations patronales consenties au nom de la compétitivité des entreprises françaises, sans que cela n’ait démontré la moindre efficacité macroéconomique en matière de réduction du chômage. Ainsi, avec l’intégration du CICE dans le corpus des exonérations générales de cotisations sociales, ce sont 60 milliards d’euros d’allègements de cotisations qui ont été consentis annuellement au patronat. Présenté autrement, on a fait reposer sur les assurés sociaux eux-mêmes l’acquittement de ressources destinées à la Sécurité sociale qui relevaient auparavant de la responsabilité patronale et du partage de la valeur ajoutée au profit des salaires.

Pis, certains de ces prélèvements fiscaux ont été mis en œuvre uniquement pour compenser (à la marge) le contournement considérable du salaire et de la cotisation sociale organisé sciemment par les pouvoirs publics depuis plus de vingt ans. Nous trouvons ici la problématique des exemptions de cotisations sociales, autrement dit, le fait de ne pas assujettir à cotisations sociales des revenus du travail en permettant aux employeurs de réaliser un véritable contournement légal du salaire. Ces dispositifs d’exemption visent généralement à encourager l’épargne salariale et inciter les employeurs aux versements de rémunération de nature capitalistique. Nous y trouvons notamment : l’intéressement, la participation, les plans d’épargne entreprise, les stock-options, les attributions gratuites d’actions, les bonus exceptionnels, la prévoyance complémentaire d’entreprise et la retraite complémentaire, les plans d’épargne retraite complémentaire et dispositifs liés etc. Notons à toutes fins utiles que certaines de ces exemptions visent de manière univoque à orienter l’épargne vers des dispositifs de prévoyance d’entreprise concurrents de la Sécurité sociale : complémentaires santé/retraite et épargne retraite notamment.

La plupart de ces sommes sont exemptées de paiement de cotisations sociales mais donnent lieu à versement de la CSG/CRDS ainsi que du forfait social. Toutefois, le législateur néo-libéral sait se montrer généreux quand il s’agit de substituer les revenus du capital à ceux du travail. Ainsi depuis 2019, les dispositions du projet de loi relatives à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) instaure la suppression du forfait social sur les sommes versées au titre de l’intéressement pour les entreprises de moins de 250 salariés, ainsi que sur l’ensemble des versements d’épargne salariale (intéressement, participation et abondement de l’employeur sur un plan d’épargne salariale) pour les entreprises de moins de 50 salariés. Au total, les exemptions de cotisations sociales représentent un manque à gagner de 10 milliards d’euros environ pour les recettes de la Sécurité sociale.

Les faits sont malheureusement têtus. Aussi, invoquer la nécessaire taxation du capital alors même que le législateur n’a eu de cesse d’organiser le contournement des salaires sous formes de rémunérations capitalistiques, au prix d’un abondant manque à gagner pour les recettes de la Sécurité sociale, est un contre-sens. Car, c’est précisément parce qu’on opéré un affaiblissement généralisé du salaire que les revenus du capital ont crû considérablement (pour les salariés les plus aisés et les plus insérés, précisons-le). Invoquer la CSG pour organiser la taxation du capital consiste à demander à l’Etat de récupérer avec des seaux une fraction du capital qui se déverse par torrents depuis que l’on a cassé les digues du salaire.

Henri Sterdyniak ne pointe pas cette contradiction. Pas davantage lorsqu’il émet l’hypothèse d’une taxation sur l’excédent brut d’exploitation (EBE) visant, selon lui, à freiner la substitution capital/travail en entreprise. Pour le lecteur néophyte, l’EBE correspond à la fraction de valeur ajoutée destinée à la rémunération du capital d’entreprise une fois que l’employeur s’est acquitté du versement des salaires et des impôts. Autrement dit, l’EBE est la fraction de la valeur ajoutée (la valeur économique produite) non consacrée à la rémunération du travail, soit 40 % de la richesse produite en entreprise destinée à la rémunération du capital. En appeler à la taxation de l’EBE, sous prétexte de taxer le capital est problématique car cela revient à laisser de côté la revendication pour l’augmentation des salaires dans la valeur ajoutée qui est pourtant la voie la plus directe, la moins dissimulable et la plus sociale de réaliser une réduction des profits au profit de la classe salariale. En effet, augmenter les salaires revient à baisser mécaniquement et immédiatement l’EBE et la rémunération du capital. Plus largement, j’estime que le progrès technique et l’investissement en capital productif n’est pas un problème en soi dès lors que les gains de productivité induits bénéficient aux salariés sous formes d’accroissement des salaires et de baisse du temps de travail. Mais de cela, il ne saurait être question au cœur du paradigme néo-libéral.

Certes, la taxation de l’EBE rejoint l’idée d’une mise à contribution du capital pour financer la Sécurité sociale, ce qui part d’une intention louable. Mais il convient de préciser que pour l’immense majorité des petites et moyennes entreprises, l’EBE sert essentiellement à constater la dépréciation de l’actif lié aux investissements (dotations aux amortissements et provisions) et à autofinancer les investissements productifs. Seules les entreprises transnationales et financiarisées (le CAC 40 pour faire simple) utilisent une fraction de leur EBE pour nourrir le versement colossal des dividendes. Et encore, au prix d’une pressurisation ignoble de leurs sous-traitants et d’une évasion fiscale indéniable. Une telle taxation pourrait par conséquent avoir, pour la majorité des PME, des effets désincitatifs à l’investissement par réduction de l’autofinancement dans une période où les investissements productifs sont atones.

L’argument d’une taxe sur l’EBE rejoint, plus subtilement, toute la littérature qui a fleuri dans les années 1990 autour de la cotisation sur la valeur ajoutée (Rapport de Foucauld, rapport Chadelat…), qui devait replacer la cotisation patronale afin de limiter le mouvement de substitution capital au travail. Toutefois les projets de cotisations sur la valeur ajoutée n’ont jamais trouvé d’aboutissement politique… car leur mise en œuvre s’est avérée inopérante. En effet, il est très facile pour une entreprise transnationale de dissimuler comptablement la valeur ajoutée par une augmentation artificielle des consommations intermédiaires ou par le jeu des prix de transferts intra-firmes. Les risques de dissimulation d’assiette sont donc considérables. Contourner la cotisation sociale consiste à l’inverse à dissimuler un salarié (travail illégal), ce qui n’est pas du même registre (c’est une infraction pénale) et autrement plus complexe.

Certes, Henri Sterdyniak met en exergue le fait que les cotisations sociales touchent essentiellement les entreprises utilisant beaucoup de main d’œuvre. Je n’ai pas éludé ce point dans mon ouvrage1. Toutefois, j’ai souhaité élargir le débat autour des véritables enjeux de la compétitivité des petites entreprises françaises et en particulier : la mainmise de la grande distribution et des grands champions du CAC 40 et la pression insupportable qu’ils imposent aux producteurs et sous-traitants, les difficultés d’accès au crédit bancaire des TPE pour faire face notamment à leurs besoins de trésorerie, le coût faramineux des baux commerciaux, l’insuffisante subvention publique à l’innovation et à la recherche et développement (et disons-le scandale du Crédit impôt recherche), la nécessaire prise en compte du coût réel (social et environnemental) des produits importés en provenance des pays à bas coût et la nécessité d’envisager (enfin) un protectionnisme raisonné, l’impérieuse nécessité d’abroger la directive service qui met les travailleurs européens en concurrence sur la base du moins-disant social… autant de pistes qui mériteraient une action politique volontariste (et disons-le courageuse) qui romprait enfin avec la politique d’allègement du coût du travail au nom de la compétitivité et de l’emploi. À toutes fins utiles, le coût horaire de la main d’œuvre manufacturière allemande est, en moyenne, supérieur de 20 % à celui de la France, ce qui n’empêche pas l’Allemagne de présenter des excédents commerciaux records. Or, les entreprises françaises ont été gavées de mesures visant à renforcer leur compétitivité-coût, ce qui a eu pour effet de les rendre frileuses lorsqu’il s’agit d’investir dans les autres déterminants de la compétitivité, notamment la qualité des produits et la recherche et développement. Plutôt que de taxer l’EBE, je pense qui serait indispensable de repenser tout le paradigme de soutien à l’économie et de consacrer la fiscalité au soutien politiquement planifié des secteurs économiques stratégiques ou participant de la nécessaire mutation écologique des processus de production.

Dans mon ouvrage, j’ouvrais par ailleurs une réflexion sur la possibilité d’appliquer des abattements de taux de cotisations patronales à des secteurs économiques bien identifiés, fortement utilisateurs de main d’œuvre et non délocalisables. Ce principe est notamment à l’œuvre pour les entreprises du spectacle qui bénéficient d’ores et déjà de 30 % d’abattement d’assiette de cotisations patronales. Un tel dispositif serait néanmoins dangereux s’il consistait à remettre en cause l’unicité des taux de cotisations patronales, car cela ouvrirait les vannes d’une concurrence entre entreprises sur la base du moins-disant social.

Examinons à présent le deuxième argument invoqué par Henri Sterdyniak : il serait logique de ne faire financer par la cotisation sociale que les prestations sociales liées à l’emploi (retraite, chômage et revenus de remplacement). À l’inverse les prestations universelles ou d’assistance devaient être reposer sur un mode de financement universel car elles concernent l’ensemble des résidents qui perçoivent des prestations sociales sans lien avec une cotisation sociale acquittée dans le cadre d’un emploi salarié.

Cet argument est assez ancien et, disons-le, a servi de base doctrinale à la fiscalisation des pans jugés universels ou assistanciels de la Sécurité sociale mis en œuvre par les gouvernements socialistes au cours des années 1990. C’est le cas de la branche famille qui verse, depuis 1978, des allocations familiales à toutes les familles de deux enfants et plus sans contrepartie de cotisation. C’est devenu le cas, dans une moindre mesure, pour la branche maladie, à compter de 1999, avec la l’entrée en vigueur de la Couverture maladie universelle de base dite CMU-B (devenue PUMA2 aujourd’hui) qui a étendu l’assurance maladie obligatoire à tous les résidents non-assurés par le biais d’une cotisation de droit commun. C’est le cas enfin de l’ensemble des prestations d’assistance ou de « solidarité » qui participent essentiellement de la politique de lutte contre la pauvreté : minima sociaux catégoriels (AAH, minimum vieillesse3 …), aide personnalisée à l’autonomie, RSA, aides au logement et CMU-complémentaire (mise en œuvre d’un panier de soins sous conditions de ressources, devenue Complémentaire santé solidaire aujourd’hui). Tous ces domaines ont en commun d’être largement financés par l’impôt (en particulier par la CSG) et de servir des prestations sociales mises sous conditions de ressources.

Henri Sterdyniak rejoint la vision, très répandue au sein de la social-démocratie mais également au sein du patronat français, d’une stricte séparation des prestations sociales selon qu’elles sont contributives ou non. Les prestations contributives supposent l’acquittement d’une cotisation sociale préalable dans le cadre de l’emploi ; nous y trouvons en particulier les pensions de retraite, les allocations chômage et les revenus de remplacement de l’assurance maladie (indemnités journalières maladie, pension d’invalidité etc.). S’agissant de prestations sociales destinées à couvrir une perte de gains salariaux en raison d’un éloignement de l’emploi et versées en contrepartie d’une cotisation sociale, ces prestations sociales justifient leur financement par la cotisation sociale et l’intervention politique des syndicats. Pour les autres pans de la Sécurité sociale, jugés universels et non connectés au risque de perte de salaire, ceux-ci devraient être à l’inverse financés par un impôt universel et placés sous contrôle de l’État : prestations en nature de l’assurance maladie, prestations familiales et prestations d’assistance notamment.

En érigeant une frontière rigide entre prestations contributives et non contributives, Henri Sterdyniak adopte sans le dire une vision strictement assurantielle de la Sécurité sociale. Ce qui auront lu mon article remarqueront néanmoins que je défends également une vision assurantielle de la Sécurité sociale, entendue comme assurance sociale. Finalement notre controverse ne serait-elle qu’un débat factice ? Non, évidemment, car il y a évidemment une grande différence entre assurance et assurance sociale. La première, de tradition libérale, repose sur l’idée d’une stricte équivalence actuarielle entre cotisations et prestations. Globalement les risques à assurer ne doivent pas être plus coûteux que le montant des cotisations consacrées pour les financer. La vision actuarielle est celle qui est à l’œuvre dans le monde de l’assurance de marché ; elle inclut une sélection du risque et une individualisation des contributions et prestations en fonction des caractéristiques de l’individu (âge, sexe, revenus, état de santé…). Je ne dis nullement que c’est ce modèle que Henri Sterdyniak défend. Je connais depuis longtemps ses prises de position pour savoir qu’il s’oppose à une Protection sociale qui serait placée entre les mains des assureurs privés.

Toutefois, en reprenant à son compte l’argument patronal d’une séparation entre le contributif et le non-contributif, Henri Sterdyniak s’empêche de penser ce qui caractérise fondamentalement le principe d’assurance sociale telle que la défendait Jean Jaurès dès 1910. Par assurance sociale, il faut entendre que la Sécurité sociale est effectivement un dispositif de prise en charge de besoins sociaux des travailleurs à chaque fois qu’un événement heureux ou malheureux met en péril leur capacité de gain salariaux. De la même manière, l’assurance sociale suppose l’existence d’une cotisation sociale, non pas comme préalable ni même comme contrepartie actuariellement neutre, mais uniquement comme la condition ontologique d’un droit-créance des assurés sociaux et non d’un droit dérivé soumis à l’arbitraire des délibérations politiques comme le sont les prestations d’assistance. Le travailleur, par la cotisation sociale, sort du statut d’assisté pour devenir un assuré de plein droit. « Un droit absolu, un droit inconditionnel ; son titre est là, aussi certain que l’est, en période bourgeoise, le titre de rente », disait Jaurès.

Parce qu’elle est sociale précisément, l’assurance sociale qui sous-tend la Sécurité sociale française, envisage le rapport entre cotisations et droit à prestations de manière collective et non de manière individuelle. Elle réalise une unification de la classe laborieuse au sein d’une classe sociale constituée contribuant au travail collectif de la nation : le salariat. Or, la puissance du salariat (pour reprendre le titre de l’ouvrage le plus éminent de Bernard Friot) repose sur le fait que son statut s’exprime au travers d’un Droit social reconnu politiquement qui lui permet précisément de sortir de la gangue du contrat de travail et de la soumission au diktat du patronat. Parmi les attributs de ce droit social, le salariat dispose d’une reconnaissance patronale de son temps de hors-emploi, ce qui est un conquis social considérable.

La cotisation sociale devient dès lors un vecteur de partage des gains de productivité du travail au profit des travailleurs, une intermédiation de la lutte des classes par lequel le salaire devient un mode de résolution de la conflictualité inhérente au capitalisme. Par le salaire et la cotisation sociale, le patronat a été contraint de reconnaître que le salaire ne s’arrête aux frontières de l’entreprise. Le salaire cesse d’être seulement rémunération du travail exécuté dans le cadre du contrat de travail mais est destiné à couvrir également le temps individuel des salariés : retraite, chômage, maladie, charges de famille… Cette revendication à la reconnaissance du temps individuel du travailleur, voire à la reconnaissance de la valeur économique de son travail de hors-emploi (qui nierait par exemple que les retraités travaillent lorsqu’ils assurent majoritairement toutes les tâches ingrates indispensables à la vie associative de notre pays ?). C’est aussi et surtout ce qui permet de reconnaître des droits politiques et démocratiques aux salariés au sein du champ économique. Que ce soit au sein de l’entreprise (CSE, conventions collectives…) ou au sein des Conseils d’administration des caisses de Sécurité sociale. Or, la légitimité de l’intervention politique des salariés et des syndicats au sein de la gouvernance de la Sécurité sociale ne tient que parce que le financement de celle-ci est de nature salariale. Une fois encore, les faits sont têtus : la lente érosion de la cotisation sociale au profit de l’impôt a été le point de départ de l’affaiblissement considérable de la démocratie sociale au profit d’une étatisation complète de l’institution de Sécurité sociale.

Retirer à la classe salariale son droit créance lié à l’existence d’une cotisation sociale, c’est lui enlever précisément les attributs de ce droit social. C’est opérer une distinction au sein de la classe laborieuse entre « insiders » et « outsiders » du marché du travail en fonction de leur degré d’insertion dans la division du travail social et soumettre les seconds au risque du traitement humiliant de l’assistance concédée uniquement au titre de leur reconnaissance en tant que pauvres.

Henri Sterdyniak objecte qu’il y a une différence fondamentale entre prestations d’assistance, destinées à couvrir les situations de pauvreté (minima sociaux notamment) et prestations universelles de Sécurité sociale (assurance maladie, charges de famille). À ses yeux, les prestations universelles représentent des droits sociaux précisément destinés à l’ensemble de la population et le fait qu’elle soient financées par l’impôt n’a pas pour effet de les transformer par essence en prestations d’assistance. Je pense que Henri Sterdyniak se trompe lourdement sur ce point. Une nouvelle fois, l’examen du réel est assez édifiant et les faits sont définitivement têtus : l’universalisation de la branche famille et son financement par l’impôt se sont accompagnés immédiatement d’une mise sous conditions de ressources de la quasi-totalité des prestations familiales, puis de la transformation des Caisses d’allocations familiales en véritables auxiliaires de l’État en matière de lutte contre la pauvreté (versement du RSA, des aides au logement, de la prime pour l’emploi…) au détriment de sa vocation originelle de couverture égalitaire des besoins sociaux des familles. L’assurance maladie a suivi exactement la même direction : la fiscalisation de ses ressources parallèlement à la suppression de sa dimension d’assurance sociale ont eu pour effet de cantonner l’assurance maladie à une prise en charge minimale des besoins de santé de la population, parallèlement à la création d’un filet de sécurité sanitaire pour les plus pauvres (la CMU). Cette conjecture repose en réalité sur un argument de nature ontologique que semble occulter Henri Sterdyniak. En effet, la dimension fondamentalement redistributive de l’impôt implique nécessairement que ceux qui s’en acquittent le plus (les plus riches) ne soient précisément pas ceux qui en bénéficient en premier lieu (les plus pauvres) ! L’impôt ne poursuit donc nullement un objectif de distribution égalitaire de ressources, contrairement à la cotisation sociale qui s’inscrit dans une logique distributive et égalitaire de ressources salariales entre l’ensemble des travailleurs.

Henri Sterdyniak rétorquera sûrement que les mutations du capitalisme et l’occurrence du chômage de masse remet en cause ma vision syndicaliste de la Sécurité sociale et de la cotisation sociale. Comment défendre en effet une vision inclusive de la Sécurité sociale fondée sur la logique de salaire socialisé dès lors que des millions de résidents sont exclus durablement du marché du travail et n’ouvrent en conséquence aucun droit aux prestations sociales ? S’agirait-il en conséquence de retirer les allocations familiales aux familles ne pouvant justifier d’une contrepartie en cotisations sociales, faute d’emploi ? De même s’agirait-il de revenir sur l’avancée sociale qu’a été la CMU en termes d’accès à la santé ?

La question ne se pose évidemment pas en ces termes. Car, je le répète, en défendant la dimension d’assurance sociale de la Sécurité sociale, il s’agit de reconnaître collectivement le lien entre cotisations sociales et droit à prestations sociales. Ce qui n’exclut nullement d’étendre le champ de la Sécurité sociale à des pans de hors emploi et de trouver des solutions pour les individus durablement exclus de l’emploi. C’est précisément ce qui a été fait tout au long des années 1960 et 1970… grâce à l’augmentation continue de la cotisation sociale et à son déplafonnement ! Rappelons d’ailleurs que l’objectif d’universalisation de la Sécurité sociale faisait partie de l’objectif initial d’Ambroise Croizat et de Pierre Laroque, alors même qu’ils avaient érigé la cotisation sociale comme mode de financement consacré de la Sécurité sociale et, de la sorte, confirmaient sa dimension d’assurance sociale.

L’exemple de l’assurance maladie est très instructif pour comprendre ce lien entre universalisation et cotisation sociale. Lorsque la loi CMU a été promulguée en 1999, de nombreux analystes y ont vu le premier bouclage de la Sécurité sociale. Des millions de résidents exclus de l’assurance maladie allaient enfin être affiliés. En réalité il n’en a rien été… car l’affiliation à l’assurance maladie était déjà devenue quasi-universelle ! En effet, l’affiliation de nature familiale (les ayants-droit), les dispositifs de maintien de droit, de même que les différents dispositifs d’assurance volontaire avaient permis dès la fin des années 1970 de couvrir la quasi-totalité de la population. Lorsque la CMU a été promulguée, ce ne sont guère que 150 000 personnes exclues de toute couverture maladie qui ont pu être affiliées sur critère de résidence. Régler la question de 150 000 « interstitiels » exclus de l’assurance maladie aurait tout à fait pu être décidé politiquement dans le cadre du droit commun, pour un coût assez limité en termes d’augmentation des cotisations sociales. En réalité, l’objectif poursuivi par la loi CMU était tout à fait différent. Il s’agissait de mettre en œuvre un dispositif de solidarité envers les plus pauvres en leur donnant accès à un panier de soins sous conditions de ressources (la fameuse CMU-complémentaire). Passons sur le fait que le seuil de ressources pour bénéficier de la CMU complémentaire se situait en-deçà du seuil de pauvreté avec tout ce que cela suppose en termes d’effets de seuil, ce qu’a réalisé la loi CMU consistait à graver dans le marbre l’incapacité de bénéficier d’une réelle couverture santé avec la seule assurance maladie de la Sécurité sociale. Au lieu d’accroître le niveau des remboursements des soins de l’assurance maladie pour tous et de remettre en question le reste à charge considérable qui rend indispensable la souscription à un contrat d’assurance complémentaire (dont l’inefficacité économique et sociale est démontrée), le législateur a préféré créer un dispositif de couverture maladie pour les seuls pauvres au détriment des droits de l’immense majorité des travailleurs et de leur famille.

Ce même schéma est à l’œuvre pour ce qui concerne l’ensemble des minima sociaux. Ainsi, l’entrée en vigueur du RMI fait suite à la remise en cause du droit commun de l’assurance chômage (financée par la cotisation sociale) lors de la convention UNEDIC de 1984. En rétablissement la frontière, pourtant abolie en 1979, entre prestations d’assurance-chômage et allocations d’assistance pour les chômeurs en fin de droit, le législateur fut contraint d’inventer un filet de sécurité sous forme d’un revenu minimum d’insertion destiné aux plus exclus du marché du travail. Parallèlement, l’austérité salariale allait placer les salariés dans une situation d’érosion continue de leur pouvoir d’achat. La différence de niveau de vie entre bénéficiaires du RMI (devenu RSA) et l’occupation d’un emploi au SMIC allait s’estomper peu à peu, pour devenir la cause des trappes à pauvreté, autrement dit le sentiment (réel ou supposé) que la sortie de l’inactivité pour reprendre une activité salariée n’apporte guère d’amélioration des conditions de vie. Ce à quoi, le législateur tentera par la suite de répondre en maniant à la fois la carotte et le bâton : carotte sous forme d’incitation financière à la reprise d’activité salariée (prime pour l’emploi, RSA-activité puis prime d’activité) et le bâton des menaces à la suppression des droits à RSA ou de l’instauration du workfare (obligation de travail pour continuer de bénéficier du RSA). Bien sûr, il ne sera jamais question d’améliorer le niveau des salaires au voisinage du SMIC et de renforcer la dynamique des salaires, nourrissant au passage une exaspération sociale de la part de la frange la plus fragile du salariat.

Quels ont été les véritables laissés pour compte de ces avancées sociales ? Les travailleurs pauvres, situés juste au-dessus des niveaux de ressources, dans ce que je nomme « l’entre-deux social » ; les « trop pauvres pour être riches et les trop riches pour être pauvres » exclus d’une part des dispositifs de solidarité et ne bénéficiant que d’une couverture complémentaire lacunaire. Cette catégorie de travailleurs qui se lèvent tôt et occupent des métiers pénibles et qui finissent par être exaspérés par les aides sociales versées aux inactifs faute de bénéficier d’un niveau de vie sensiblement supérieur avec leur salaire. Exaspération que l’on a observé de manière paroxystique au travers du mouvement « gilet jaunes »… Voilà le danger de substituer l’équité à l’égalité républicaine. Et l’impôt à la cotisation sociale.

Concluons avec le troisième argument déployé par Henri Sterdyniak : quelle est la légitimité de la Sécurité sociale (et en conséquence de la cotisation sociale) à gérer (financer) un bien commun comme celui de la santé ?

Henri Sterdyniak pose enfin une question de nature téléologique à laquelle je me dois de répondre. Selon lui, l’assurance maladie en particulier ne relève pas d’un risque lié à l’emploi et il n’y aurait aucune raison objective que son financement repose sur les seules ressources salariales. Plus encore, s’agissant d’un objectif de solidarité, la santé devrait relever de l’impôt et être placée sous contrôle étatique. Henri Sterdyniak reconnaît que le financement de la politique de santé par l’impôt citoyen aurait des conséquences néfastes en termes de retrait de la légitimité des syndicats à gérer l’assurance maladie. Il en prend acte mais invoque l’idée qu’il existerait une double solidarité. Il y aurait d’une part « une solidarité citoyenne marquée par l’impôt, les dépenses publiques, les prestations universelles et d’assistance » et, d’autre part, « une solidarité salariale avec les cotisations sociales contributives et les assurances sociales (qui, en tant qu’assurances sociales, tiennent compte des revenus d’activité, mais s’éloignent de la pure contributivité) ». Dans ce cadre, Henri Sterdyniak estime que la légitimité des partenaires sociaux n’a rien d’évident : « Il n’est pas évident que ce soit le rôle des syndicats de gérer les prestations d’assistance (dont les salariés ne sont pas les principaux bénéficiaires) ou même des prestations universelles (pourquoi la santé plutôt que l’éducation ?). Comme défendre l’éducation publique, défendre l’assurance-maladie publique, garantir le niveau de vie des enfants, augmenter et étendre les minimas sociaux doivent devenir des préoccupations de l’ensemble des citoyens ».

Le parallèle établi entre santé et éducation est assez curieux, pour ne pas dire spécieux. En effet, contrairement à la santé, la politique d’éducation nationale n’est nullement un domaine de l’action publique impliquant la mise en œuvre d’un dispositif d’assurance sociale. Il s’agit d’un ministère orienté vers la mise en œuvre d’une fonction régalienne de l’État dont l’immense majorité des dépenses repose sur le salaire des fonctionnaires et non sur des dépenses imprévisibles liées à un risque sociale des travailleurs.

Précisons que Henry Sterdyniak reconnaît lui-même que le lien entre santé et activité salariée est établi pour ce qui est des prestations en espèces de l’assurance maladie (revenus de remplacement tels que les indemnités journalières, pension d’invalidité…). Par conséquent, il propose en réalité de scinder l’assurance maladie en deux blocs étanches : les prestations en nature (frais de santé) placées sous contrôle de l’État et financées par l’impôt, d’un côté, et les prestations en espèce destinées à compenser les pertes de salaire financées par la cotisation et placées sous contrôle des partenaire sociaux, d’un autre côté. Ce qui reviendrait à réduire l’assurance maladie et la Sécurité sociale, pourtant principal financeur du système de santé et disposant d’un patrimoine humain, technique et technologique incomparable en la matière, aux seuls risques de perte de salaire. Évidemment une telle scission de l’assurance maladie n’aurait aucun sens.

En outre, il serait absolument faux de considérer que la question des frais de santé n’est pas un enjeu salarial de première importance, avec ou sans Sécurité sociale, d’ailleurs ! Je rappellerai à toutes fins utiles que les complémentaires santé d’entreprise sont un marché colossal, devenu captif depuis l’instauration des organismes complémentaires de santé obligatoires d’entreprise, qui n’attendent que l’affaiblissement de la Sécurité sociale pour développer leur part de marché. Même aux Etats-Unis, pourtant dénuée de Sécurité sociale, l’enjeu de l’assurance maladie est un enjeu salarial considérable puisque les employeurs abondent des dispositifs d’assurance maladie d’entreprise pour des montants qui donnent le vertige.

L’argument téléologique que déploie Henri Sterdyniak semble pour le moins spécieux : comment justifier en effet que l’on encourage d’un côté l’abondement patronal des institutions de prévoyance et des complémentaires santé d’entreprise tandis que l’on désengagerait, d’un autre côté, les employeurs du financement de l’assurance maladie de la Sécurité sociale ? Cet argument ne tient pas : ce que propose Henri Sterdyniak consisterait à laisser prospérer les dispositifs d’assurance complémentaire d’entreprise fondés sur une logique financière et abondés largement par les employeurs (au prix d’avantages fiscaux colossaux) tandis que l’assurance maladie obligatoire de la Sécurité sociale cesserait de relever de la responsabilité patronale et serait financée par l’impôt et donc par les ménages.

Mais surtout, ai-je envie de demander, à qui profiterait un tel crime ? Question essentielle qui doit pourtant présider à toute réflexion politique. Je poserai donc à Henri Sterdyniak ces quelques questions subséquentes susceptibles de nourrir de futurs débats :

– Que la santé ait ou non à voir avec l’emploi, est-ce que la suppression de la cotisation patronale maladie et son remplacement par l’impôt constituerait, oui ou non, une diminution des salaires dans la valeur ajoutée ?

– S’agirait-il, oui ou non, de reporter sur les assurés sociaux eux-mêmes le financement d’un système de santé qui relevait auparavant du salaire et partant, du partage de la valeur ajoutée ; donc de leur infliger, de la sorte, une double peine : une perte de salaire et une perte de pouvoir d’achat ?

– S’agirait-il, oui ou non, de cantonner l’assurance maladie à un rôle de prise en charge minimale des besoins de santé tandis que les complémentaires santé (accessoirement abondées par les employeurs) seraient appelées à voir leur influence s’étendre dans un cadre infiniment plus inégalitaire ?

– Faire reposer le financement de la santé sur le seul impôt ne nécessiterait-il pas une forte augmentation de la fiscalité faisant peser des risques sur la cohésion sociale de la nation, notamment du fait du rejet viscéral de l’impôt sur le revenu de la part de l’électorat conservateur de notre pays ?

– Enfin, un système de santé fondé sur la démocratie sociale et financé par la cotisation sociale (qui a permis de donner à la France le meilleur système de santé du monde selon l’OMS en 2000) est-il moins bien géré et moins vertueux qu’un système étatique obsédé par le contrôle de gestion et ayant pour missi dominici les Agences régionales de santé ?

Poser ces questions, c’est déjà, en partie, y répondre.

Mais surtout, ai-je envie de demander à Henri Sterdyniak, est-ce un crime que la cotisation sociale ait réussi à étendre le salaire socialisé à des pans de hors-emploi plus ou moins déconnectés de l’activité salariale ? Nierait-il en particulier que la reconnaissance du temps familial, sous forme de sursalaire familial, a été un vecteur très précoce d’extension du salaire au temps familial pour les fonctionnaires qui a été à l’origine de la création de premières caisses d’allocations familiales ?

Ne serait-ce pas au contraire renouer avec le cœur de la revendication ouvrière depuis le XIXème siècle que de se battre pour que le salaire sorte précisément de l’ornière de la soumission au temps patronal ? Après tout, la revendication ouvrière pour la journée de 8 heures ne parlait-elle pas de forcer le patronat à reconnaitre le temps de repos et de loisir ? Que je sache, ces temps individuels des salariés sont financés par l’employeur alors qu’ils sont par essence déconnectés de l’emploi. Pourquoi devrait-il en être autrement pour la santé, la retraite, et le temps familial ? Lesquels participent pourtant de manière directe à la productivité du travail.

Renouer avec la bataille de la cotisation sociale c’est précisément sortir de l’ornière de la naturalisation capitalistique du temps économique. Et surtout renouer avec l’objectif du Conseil national de la Résistance en reconnaissant la capacité politique des salariés et de leurs représentants à gérer aussi efficacement que le patronat des biens aussi précieux que la santé, l’éducation des enfants et la retraite.

NOTES

1 Olivier Nobile, Pour en finir avec le trou de la Sécu : repenser la Protection sociale pour le XXième siècle, éd. Penser et agir, 2014.

2 Protection universelle maladie.

3 Appelé aujourd’hui Allocation de Solidarité pour les personnes âgées (ASPA).



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