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La transition écologique : de belles paroles… et des actes qui ne suivent pas

La preuve par la décision de confiner les déchets de Stocamine à Wittelsheim dans le Haut-Rhin

par Philippe Duffau

 

Après la décision récente d’autoriser l’usage de néonicotinoïdes pour certaines cultures, les traités de libre échange entre l’Union européenne et quatre pays d’Amérique du Sud dont le Brésil favorisant des importations agricoles basées sur la destruction de la forêt d’Amazonie et qui concurrencent nos agriculteurs… vient de tomber un communiqué du ministère de la Transition écologique qui valide l’enfouissement de 42 000 tonnes de déchets à Stocamine.

Décision d’enfouissement inique et danger pour la nappe phréatique d’Alsace.

Cette décision met en péril à plus ou moins long terme l’une des nappes phréatiques la plus importante d’Europe dont l’eau est indispensable pour les millions de personnes concernées. Cette décision est d’autant plus incompréhensible que toutes les expertises indiquent que l’accès à une eau de qualité, potable sera un des enjeux primordiaux des prochaine décennies. Cet accès est déjà problématique dans certaines parties du monde. Sécheresse, gaspillage de son usage notamment par nombre de multinationales mettent en cause les réserves d’eau douce.

Où sont passée les réserves financières pour un éventuel déstockage ?

Pour faire passer le projet, dans les années 1990, il était assuré que la possibilité de remonter les déchets serait garantie. Cette option est passée par pertes et profits. 50 millions d’euros seront mis sur la table pour élaborer un plan de protection de la nappe phréatique d’Alsace sur les cinq prochaines années. C’est oublier que les sociétés exploitantes devaient provisionner un fonds pour sortir les déchets comme cela était spécifié dans le cahier des charges. Où est passé cet argent ? Est-ce aux contribuables de mettre la main à la poche pour suppléer à ces sociétés qui ont engrangé d’énormes profits et n’ont pas respecté leurs engagements ?

Multiples inconnues quant à la nature des déchets enfouis : liste impressionnante

L’INERIS et la tierce expertise ont relevé une incertitude de 50 % quant à la nature et la quantité des déchets stockés.
Les big-bag estampillés AMIANTE n’ont jamais été contrôlés lors de leurs descentes au fond de la mine.
Que sont devenues les sondes réactives à rayon Gama qui équipaient les trémies des installations du fond et du jour ?
Le projet de stockage du 19 mars 1996 dit que sont à éviter, de façon générale, les contacts des produits avec l’eau, en particulier les sels cyanurés.

Liste des déchets qui seraient confinés :
• sels de trempe cyanurés 2156 tonnes,
• sels de trempe non cyanurés 1218 tonnes,
• déchets arséniés 6872 tonnes,
• déchets chimiques 429 tonnes,
• déchets mercuriels 130 tonnes,
• terres polluées 5263 tonnes,
• résidus de l’industrie 138 tonnes,
• déchets de galvanisation 641 tonnes,
• résidus d’incinération 20 714 tonnes,
• produits phytosanitaires 7 tonnes,
• déchets de laboratoire 169 tonnes,
• déchets amiantés 3774 tonnes, déchets de produits de déstockage 500 tonnes,
• soit un total de près de 42 000 tonnes pour lesquels les société exploitantes ont réalisé d’énormes bénéfices.

Les risques seraient infimes selon la ministre Barbara Pompili

Pour confiner tous ces déchets il est prévu la pose de 130 000 m3 de barrages en béton. Or pour la confection de ce béton, il faudra près de 20 000 m3 d’eau ! Les barrages vont être mis à proximité immédiate des déchets. L’eau contenue dans le béton va forcément s’évaporer et se condenser sur tous les déchets !
Les déchets solubles à l’eau vont produire une ionisation qui pourrait conduire à des réactions chimiques entre les produits ! Toutes les conditions de fabrication d’une bombe sont donc réunies.

 

Coût pour le déstockage et risques d’une contamination de la nappe phréatique ne sont pas à mettre sur le même plan

Les ingénieurs des mines consultés à ce propos précisent très clairement que les coûts ne devraient pas intervenir dans la décision. La destruction de l’environnement n’a pas de prix et les risques posés par une éventuelle contamination de la nappe phréatique sont hors de proportion avec le coût supplémentaire impliqué par le déstockage pour lequel les entreprises concernées devaient prévoir des réserves financières.

Antagonisme irréductible entre ultralibéralisme et préservation de l’environnement (et des droits sociaux)

Ces décisions qui vont à l’encontre d’une authentique politique volontariste sur le chemin de la transition écologique montrent l’incompatibilité, l’antagonisme irréductible entre la préservation de l’environnement et le système ultralibéral ou néoconservateur – oubli des leçons de la grande crise de 1929 – dominant.
D’un côté il y a la nécessité de modifier notre mode de consommation, de production, de sortir du productivisme mortifère et de l’hubris ou de la démesure dénoncée par les sages de la Grèce antique, de l’autre un modèle économique fondé sur le court-terme, les profits à réaliser le plus rapidement, la rémunération la plus élevée possible des grands actionnaires qui n’ont que faire des grands équilibres écologiques planétaires et locaux, qui n’ont que faire des conditions humaines de production…

L’imposture de la logique marconienne révélée

Le gouvernement Macron est face à une impasse de sa logique du « en même temps » :
• économie ultralibérale
• et préservation de l’environnement hormis une logorrhée verbale qui cache sous un vernis écologique, une politique foncièrement antisociale et antiécologique.

Sortir par le haut de cet antagonisme : luttes parlementaires et lutte des classes vont de pair

Comme l’affirme Serge Audier dans son dernier ouvrage, il faut réconcilier le républicanisme et l’écologie, retrouver les fondamentaux d’un Jules Michelet, historien républicain, qui incluait dans la notion de peuple tout le vivant. Allons plus loin, réconcilions l’idée socialiste et l’écologie comme y invitait déjà Karl Marx en considérant la nature comme étant le corps non organique de l’homme et, à ce titre, estimait que « L’être humain vit de la nature : la nature est son corps avec lequel il doit maintenir un processus constant pour ne pas mourir. »
Eco-républicanisme et éco-socialisme doivent se rejoindre ainsi que l’affirmait Jean Jaurès dans sa conception de la République sociale qui conjuguait lutte des classes et luttes parlementaires. Ne pas rejeter, a priori, les institutions qui fondent la démocratie représentative qui est certes à revivifier pour qu’elle soit réellement plus conforme à la réalité sociologique du pays réel tout en organisant et favorisant les initiatives locales anticapitalistes aptes à conscientiser le Peuple dans son ensemble.
Il s’agit de proposer un nouvel intérêt général humain à la fois social et écologique afin de partager l’idée que l’écologie n’est pas que sacrifice et qu’elle peut nous permettre de sortir des paradigmes actuels ultralibéraux comme « travailler plus, pour consommer plus, pour travailler plus… », comme la course effrénée à la réussite sociale et financière, comme la maximalisation sans fin des profits au détriment d’une possibilité d’envisager une société fondée sur une vie plus douce, sur une vie en meilleure santé, sur la jouissance de la beauté du monde, sur la possibilité de devenir « les jardiniers de la Terre ».

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La nouvelle Charte des valeurs mécontente l’islam politique au sein du CFCM : actes 2 et 3

par Zohra Ramdane

 

Après la déclaration de rupture du recteur de la Grande Mosquée de Paris (fédération  musulmane proche de l’Algérie) avec les partisans intégristes de l’islam politique au sein du Conseil français du culte musulman (voir notre récent article), la confrontation continue entre les fédérations islamiques et les fédérations islamistes, contrairement à ce que racontent les médias dominants qui reprennent des phrases du CFCM officiel sans les vérifier.

Une nouvelle écriture de la Charte des valeurs a été effectuée. Elle n’a d’abord été signée que par quatre des neuf fédérations islamiques intégrés au sein du CFCM (l’UMF dirigée par Mohamed Moussaoui proche du Maroc, le RMF, proche du Maroc, dirigé par Anouar Kbibech, la GMP, proche de l’Algérie, dirigé par Chems Hafiz et la FIACCA proche des associations islamiques d’Afrique, des Comores et des Antilles avec une composante chiite, dirigée par Assami Fassassi ) comme précisé par Mohamed Sifaoui.

La charte a d’abord été rejetée par quatre fédérations islamistes: les deux fédérations islamistes turques (l’une proche des Frères musulmans Millîs Görüs, dirigé par Fatih  Sarikir et l’autre d’Erdogan, le CCMTF dirigé par Ibrahim Alçi), une fédération vitrine de la Confrérie des Frères musulmans, l’ex-UOIF et aujourd’hui Musulmans de France animés par Amar Lasfar et l’organisation prosélyte Tabligh, « Foi et pratique » dirigée par Hamadi Hammami.

La neuvième fédération islamique, la Grande Mosquée de la Réunion, n’a pas signé, uniquement pour des raisons tactiques, car elle se veut une structure locale réunionnaise et ne veut pas accepter le sigle Islam de France.

Sur la charte des valeurs, le texte est très clair contre l’apostasie (ridda) car les signataires s’engagent à ne pas criminaliser, ni stigmatiser, ni attenter à l’intégrité physique et morale ceux qui quittent ou qui changent de religion.

Le texte est très clair sur l’acceptation des articles 9.1 et 9.2 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui est le texte sommital qui régit la laïcité française et les droits de l’homme  pour  plus de 40 Etats qui ont signé cette convention et qui est appliqué par la Cour européenne des droits de l’Homme qui siège à Strasbourg (et qui n’a rien à voir avec la Cour de justice de l’Union européenne qui siège à Luxembourg !).

Le texte est très clair contre les pratiques présentées comme ne relevant pas de l’islam (certificats de virginité, excision, mariages forcés et même la médecine dite « prophétique »).

Le texte est très clair contre le racisme, l’antisémitisme, les actes antimusulmans, l’homophobie, la misogynie qualifiée d’ « expressions de déchéance de l’esprit et du cœur ».

Le texte cite très clairement les courants de  l’islam politique appelés communément  salafisme (wahhabisme), le Tabligh, les courants de pensée liés  aux Frères musulmans et aux courants nationalistes qui s’y rattachent (ce dernier vocable concerne les deux fédérations de l’islam turc).

Le texte est clair en estimant que « les dénonciations d’un prétendu racisme d’Etat, comme toutes les postures victimaires, relèvent de la diffamation… Elles nourrissent et exacerbent à la fois la haine antimusulmane et la haine de la France. »

« Haine antimusulmane » est préféré à « islamophobie » ce qui est totalement juste dans une société laïque car le terme « islamophobie » inventé par les intégristes de la Confrérie des Frères musulmans est un mot qui inclut l’interdiction de la critique religieuse!

Bien évidemment, ce n’est que l’acte 2. Car il y a eu, quelques jours après, l’acte 3. Celui qui a vu,  au dernier moment, la signature de ceux qui avaient critiqué la charte de façon véhémente. Ce fut l’œuvre de la takkia (dissimulation, méthode éprouvée de la Confrérie, d’Hassan El Banna à nos jours en passant, entre autres, par Tariq Ramadan, quand l’intérêt de la Confrérie est en jeu, pour reprendre la position doctrinale dès que cela est possible) des Musulmans de France, vitrine des intégristes de la Confrérie des Frères musulmans.

Nous continuerons le feuilleton s’il y a du nouveau mais déjà on voit aujourd’hui ce que les trois fédérations islamistes et/ou clérico-nationalistes ont refusé de signer, et ce qui paraît acceptable aux autres. À transmettre d’urgence aux obsédés de l’identité religieuse et ethnique, d’où qu’ils viennent : ce conflit au sein du CFCM est là pour nous rappeler que la réalité politique n’est pas faite de « communautés » diverses et variées, mais de clivages idéologiques. À charge pour la gauche d’en tirer les leçons et de renouer avec son projet républicain d’émancipation !

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Une année d’élections sur le sous-continent latino-américain : 2019-2020 – 2e partie

Bolivie, Colombie et Brésil

par Lucho

 

NDLR – Ingérences américaines et complicités européennes

Ces vingt dernières années, les États-Unis ont continué à peser sur les pays d’Amérique latine, et ils sont à présent suivis par une Union européenne bien silencieuse. Mais ils ont aussi rencontré une résistance nouvelle qui n’est pas près de céder : 2002 : coup d’État au Venezuela ; 2007 : coup d’État au Honduras ; 2016 : coup d’État « institutionnel » au Brésil ; 2018 : Lula est empêché de se représenter aux élections présidentielles brésiliennes ; 2017 : début du blocus économique au Venezuela ; depuis 1962 : blocus sur Cuba.

C’est la raison pour laquelle la Rédaction est heureuse de saluer la collaboration d’un excellent connaisseur de l’Amérique latine, Lucho, pour une série d’articles articulés autour des principales élections ayant eu lieu dans les principaux pays d’Amérique latine depuis octobre 2019 ou devant se tenir début 2021.

Le premier article de la série sur l’Argentine et l’Uruguay est à retrouver ici.

À suivre dans les prochains numéros du journal

  • Troisième partie : Venezuela

et plus en février…

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Bolivie – Élections présidentielles du 20 octobre 2019 et du 18 octobre 2020

Participation : 88,5 %

En décembre 2005, le syndicaliste-cultivateur de coca Evo Morales devient président de la Bolivie, avec 53,7 % de voix. C’est un événement, car c’est la première fois qu’un indien issu des classes les plus défavorisées va gouverner le pays.

Morales agace très rapidement les États-Unis qui avaient pris leurs aises en Bolivie, à tous les niveaux de l’État. Sur le plan régional, il devient l’un des meilleurs soutiens de la cause bolivarienne, membre fondateur de l’ALBA avec Hugo Chavez, Fidel Castro, et Daniel Ortega du Nicaragua. L’ancien syndicaliste transforme son pays, prouve qu’une meilleure répartition des richesses n’est pas une entrave à la croissance économique.
Il est réélu en 2009 (avec 64 % des suffrages), puis en 2014 (61 %). Au soir du 20 octobre 2019, les résultats indiquent qu’il gagne l’élection au premier tour avec 10 points d’avance, grâce à un score qui, selon la constitution bolivienne, ne nécessite pas de second tour. Mais il est alors victime d’un coup d’État, déclenché par l’OEA, suivi de violences, d’arrestations arbitraires de militants et de ministres ou de proches de la famille de Morales.
Morales doit s’enfuir, ainsi que bon nombre de ses ministres. Il trouve asile dans un premier temps au Mexique puis en Argentine, d’où il dirigera une contre-offensive.

À La Paz, la sénatrice Jeanine Añez a été chargée d’assurer l’intérim, jusqu’aux élections prévues le 18 octobre 2020, et n’a que deux idées en tête : empêcher le retour de Evo Morales et renouer des liens étroits avec les États-Unis. Morales est accusé de tous les délits possibles et imaginables, jusqu’à celui de terrorisme ! On lui refuse ainsi toute possibilité de se présenter à une élection, tandis qu’il est interdit d’entrer sur le territoire bolivien.
On pouvait imaginer qu’en un an, les protagonistes du coup d’État d’octobre 2019 (Carlos Mesa, Jeanine Añez et Luis Fernando Camacho) gagneraient la nouvelle élection présidentielle, constamment repoussée. D’autant qu’ils changent le tribunal suprême électoral en nommant des fidèles, renouent avec les États-Unis et ses structures (DEA, USAID etc…), pourchassent les membres du parti d’Evo Morales, le MAS.
Pourtant, le 18 octobre 2019, c’est Luis Arce, ancien ministre de l’économie de Morales qui gagne la présidentielle (avec 55,10 % contre 28,80 %, presque le double de voix que celles recueillies par le candidat favori des putschistes, Carlos Mesa, lequel ne s’était pourtant incliné devant Morales que de 10 points une année avant).
Les putschistes avaient imaginé qu’il suffisait de renouer avec les Américains, et de leur ouvrir grand les portes d’un pays économiquement sain, pour que le miracle s’accomplisse et qu’enfin ils soient débarrassés d’Evo Morales, de son parti et ses proches… Or les années Morales ont semé de la militance (cette militance que l’on ne connaît plus trop en Europe). Des hommes et des femmes ont été les acteurs du changement, et ils ont conquis des droits (dont celui de savoir lire dans un pays où en 2001, 14 % de la population était encore analphabète, dont 26 % des ruraux). Difficile d’oublier ce que ce processus de transformation de la société leur a apporté.
La Bolivie vient donc de donner une victoire confortable au parti de Evo Morales, après que l’Argentine a réélu un président dans la lignée Kirchner ; seule l’Uruguay a perdu, de 1,50 %… Pour ce qui est des élections présidentielles, les partis de gauche latino-américains ont donc repris des couleurs par rapport à 2015. Prochaine élection à venir en 2021 : l’Équateur (7 février 2021).

Colombie – Élections municipales le 27 octobre 2019

Participation : 50 % en moyenne (selon les régions)

Lorsque l’on parle de la Colombie à un Européen, il ne pense pas automatiquement qu’il s’agit du plus gros producteur de cocaïne, ou encore d’un des pays au monde où l’on assassine le plus de travailleurs sociaux. Il faut dire que les médias internationaux préfèrent tirer à boulets rouges sur le voisin vénézuélien, surtout depuis que les États-Unis l’ont désigné comme une « narco-dictature ». Si le Venezuela est une narco-dictature, la Colombie qui est le plus gros producteur mondial de cocaïne, c’est quoi ?
Les politiques ou hommes d’affaires européens, eux, ne voient en Colombie que le potentiel d’investissements qu’elle représente, et personne ne s’interroge sur la provenance des fonds qui permettent à des immeubles de pousser comme des champignons à Bogota ou dans les autres grandes villes du pays…
La Colombie est donc le plus gros producteur de cocaïne au monde, et cela dure depuis des décennies. En 1998, le président Pastrana a reçu une aide financière des États-Unis de plusieurs millions de dollars pour mettre en place le plan Colombia (pour la petite histoire, ce plan a été d’abord écrit tout en anglais puisque rédigé aux États-Unis). Le plan avait pour but affiché de libérer la Colombie de la culture et du trafic de la feuille de coca. En vérité, il ne servait qu’à traquer la guérilla des Farc, pendant que les groupes d’extrême droite d’autodéfense de Colombie (AUC), proches de celui qui deviendra président de la république en 2002 Alvaro Uribe Velez, prenaient leurs aises dans les zones de production. D’ailleurs, des éléments déclassifiés en décembre 2020 par les Américains, mettent en lumière les liens d’Uribe avec le baron de la drogue (Pablo Escobar) qui sera tué en décembre 1993,
De 2002 à 2010, Alvaro Uribe règne sur la Colombie, enchaînant deux mandats électoraux. C’est un homme d’extrême droite, très intelligent, qui a vite compris qu’il avait intérêt à faire revenir la sécurité dans son pays, en proie à la guerre civile. Il contribue donc à sécuriser les zones touristiques, ce qui donne un essor important à cette activité lucrative. Pour l’Europe, qui dit « tourisme » dit « liberté ». Uribe réussit à donner cette image de son pays, aidé en cela par les médias internationaux et une diplomatie bien muette quand il s’agit d’évoquer la défense des droits de l’homme.
Juan Manuel Santos lui succède en 2010 (et sera réélu en 2014 pour un second mandat de 4 ans). Santos est l’ancien ministre de la défense d’Uribe et s’était distingué en faisant bombarder un camp des FARC, situé en Équateur, où se trouvait le numéro 2 de cette guérilla, Raoul Reyes, tué dans l’attaque. Cette incursion en territoire équatorien avait failli déclencher un grave problème régional, réglé d’ailleurs au sein de l’UNASUR, et pas de l’OEA.
Santos, lui, a compris que seul un accord de paix pourrait permettre de se débarrasser des FARC, la plus ancienne guérilla du monde. Avec l’aide du Vatican mais surtout de Cuba et du Venezuela, un accord est trouvé : les Farc déposent les armes et créent leur parti politique.
Ivan Duque (le poulain de Alvaro Uribe) est élu président en 2018, contre Gustavo Petro, ancien maire de Bogota et ancien guérillero du groupe M 19. Maintenant que les FARC ont déposé les armes, il pense qu’il faut revoir le contenu des accords et, notamment, le chapitre consacré à l’immunité aux chefs de la guérilla. Ce qui pousse deux signataires des accords, Ivan Marquez et Jésus Santrich, à repartir sur le chemin de la guérilla.
Ces présidents colombiens qui se succèdent et se présentent sous les étiquettes de libéral, conservateur ou du centre, ont en commun une même volonté d’écarter, le plus longtemps possible, les partis de gauche du pouvoir, qu’il s’agisse de la présidence de la république, de l’assemblée nationale et de la gestion des villes.
Sous prétexte de lutte contre la guérilla et contre le narcotrafic, la Colombie est militarisée depuis des décennies. Les États-Unis financent cette guerre, tandis que le pays reste sous l’emprise de quelques familles, qui délèguent leur pouvoir à des politiques chargés de préserver leurs intérêts.
Mais cela pose de gros problèmes aux Colombiens en matière de libertés. Au 28 décembre 2020, ce sont 298 signataires des accords de paix de 2016 qui ont été tués. Sur la seule année 2020, 310 travailleurs sociaux (syndicalistes ou représentants de droits de l’homme) ont été assassinés, et chaque année, le chiffre est quasiment le même.


Mais sur ce sujet, le mutisme de l’Union européenne est frappant. Le positionnement de l’Europe, comme celui des États-Unis, est idéologique. Les deux blocs partagent les convictions des présidents colombiens qui se sont succédé : pas de « Castro-communisme » ou de « Castro-Chavisme » en Colombie ! Et le pays continue de vivre sous cloche.
Pourtant, depuis octobre 2019, date des dernières élections de gouverneurs et de maires, il semble que les lignes commencent à bouger. Pour la première fois, les électeurs se sont quelque peu détournés des partis conventionnels (libéral ou conservateur) et ont porté à la tête des villes les plus importantes du pays des coalitions indépendantes, souvent en association avec les Verts. La capitale Bogota est dirigée à présent par Claudia Lopez, homosexuelle affichée dans ce pays conservateur et machiste, qui a été élue sous une étiquette verte. Certes avant elle, c’était Gustavo Petro, candidat malheureux à la présidentielle contre Duque, qui avait occupé ces fonctions et posé les bases d’une opposition au pouvoir central.
À Medellin, deuxième ville du pays et fief du (encore) très influent Alvaro Uribe Velez, c’est David Quintero, d’une coalition indépendante, qui l’a emporté, Uribe reconnaissant la défaite des partis traditionnels (dont le sien) lors de ces élections. Enfin, Cali, la troisième ville du pays passe aussi dans l’escarcelle de Verts.
Les résultats de ces dernières élections marquent incontestablement un mouvement électoral. Les Colombiens commencent à bouger, dans les urnes, mais aussi dans la rue. Par exemple lors des mouvements de novembre et décembre 2019, qui se sont prolongés jusqu’en février 2020, pendant lesquels de nombreuses fédérations syndicales ou mouvements d’étudiants appelaient à manifester contre les mesures néo libérales du gouvernement et contre la remise en cause des accords de paix. Des mobilisations importantes, denses et surtout jeunes, pour une première fois, ne respectaient pas les ordres de « couvre-feu » exigé par un pouvoir qui n’avait pas senti depuis bien longtemps ce que pouvait être la force de la rue.
Pour l’équipe Duque, le Covid est arrivé fort à propos, mettant un terme aux manifestations qui s’amplifiaient, comme s’amplifiait le nombre de morts et de blessés.
Qualifié de « meilleur allié du sous-continent » par Donald Trump, la Colombie mène depuis des décennies un combat des plus conservateurs, avec la crainte qu’un Hugo Chavez ne se lève dans le pays et coordonne le mécontentement profond suscité par une oligarchie sourde et aveugle sur fond de criantes inégalités sociales. Mais un mouvement semble s’enclencher, et sa volonté de mettre un terme aux assassinats de représentants politiques et syndicaux, de lutter contre les inégalités et de rétablir les droits de l’homme pourrait bien se faire entendre à nouveau en 2021.

Brésil – Élections municipales 15 et 29 novembre 2020

Participation : 77 % (vote obligatoire)
Le Brésil, c’est Lula : le petit garçon du Nordeste qui travaillait dans la rue à l’âge de 10 ans, le syndicaliste de la métallurgie qui fonde le Parti des Travailleurs en 1980 et deviendra président. Mais le Brésil, c’est aussi Jair Bolsonaro : l’ancien capitaine de l’armée nostalgique de la dictature militaire, qui passera plus de 20 ans comme député sans faire parler de lui avant de devenir, lui aussi, président.
Lula est élu à la tête du Brésil fin 2003, il restera jusqu’en 2010. C’est une de ses fidèles, Dilma Roussef, militante de la première heure torturée pendant la dictature, qui lui succède de 2010 à 2016. Réélue en 2014, elle est victime d’un coup d’État parlementaire dont est complice son vice-président Michel Temer (qui gouvernera à sa place jusqu’à la fin du mandat en 2018).
Lula fait partie de l’équipe de ces bâtisseurs d’un sous-continent plus égalitaire, plus solidaire entre pays. Il rejoint Chavez, Correa et Morales dans une volonté commune de construire un contre-projet opposé à celui qui a été imposé souvent par la force à toute la région. Comme les trois autres, Lula souhaite en finir avec l’analphabétisme, s’attaque aux inégalités, et redistribue les terres, afin de permettre à chaque Brésilien de manger chaque jour (ce qui était loin d’être le cas lorsqu’il accède au pouvoir).
Politiquement, le Parti des Travailleurs devient une sorte de parti présidentiel : les membres du PT deviennent députés, maires, gouverneurs. Mais ce parti venu de rien hérite de tout, y compris du mal chronique dont souffre la politique brésilienne depuis des décennies : la corruption. La société brésilienne de travaux publics Odebrecht a souvent été accusée, à juste titre, d’avoir financé bien des campagnes électorales en Amérique du sud, dans pratiquement tous les pays, que les candidats soient de gauche ou de centre droit…
Lula est accusé d’avoir bénéficié d’un appartement mis à disposition par cette société sans d’ailleurs qu’à aucun moment les preuves de sa culpabilité ne soient établies. Mais l’époque est à la médiatisation de la justice et le juge Moro qui traite de l’affaire se veut intraitable. Le procès se tient essentiellement dans les médias et sur les réseaux sociaux. Il faut attendre que Lula termine son mandat pour que l’on puisse s’en prendre à lui. La méthode employée a fait ses preuves : discréditer un leader auprès de sa base pour porter ensuite l‘estocade.
Mais pour se défaire complètement de Lula, il faut écarter la présidente en exercice Dilma Roussef, première femme à ce poste dans un pays de 200 millions d’habitants. Le vice-président Michel Temer soutenu par l’assemblée nationale trouve un artifice : Dilma aurait dissimulé les déficits publics en les reportant sur l’année suivante (ce qui est pourtant une procédure courante, largement mise en place par tous ses prédécesseurs). La procédure d’empêchement est lancée, Dilma sera destituée en 2016.
La communauté internationale reste muette.
Cela fait longtemps déjà que les États-Unis ne supportent plus les volontés de ce riche pays qui veut agir en toute indépendance avec ses voisins de gauche. Chavez est mort en 2013, Cristina Kirchner a perdu le pouvoir en 2015 au bénéfice de Macri.
Lorsque Roussef tombe, c’est donc Michel Temer, son vice-président (et son « tombeur ») qui prend sa place. On oubliera tous ses malversations mais il ne faut surtout pas qu’un membre du PT se retrouve en position d’accéder à la présidence de la République. Alors on incarcère Lula, pourtant en tête dans tous les sondages pour les prochaines élections présidentielles, quelle que soit la personnalité qui lui serait opposée. Malgré tous les recours qu’il présente devant la justice, il ne peut être candidat à une nouvelle élection. Le candidat du parti de Travailleurs qui le remplace, Fernando Haddad, fait un score honorable de 44,80 % mais c’est Jair Bolsonaro qui l’emporte le 28 octobre 2018.
Voilà l’inconnu Bolsonaro, député depuis plus de 20 ans sans jamais s’illustrer, qui devient président ! Pendant toute la campagne électorale, il a dit clairement ce qu’il pensait depuis tant d’années et l’on peut dire que ce n’est pas très engageant : contre les mesures sociales mises en place par Lula, contre l’avortement (et soutenu par les communautés évangéliques très implantées et puissantes). L’homophobie ne lui fait pas peur, la dictature militaire ne l’a jamais choqué…
Mais les États-Unis appuient le « produit » Bolsonaro et diffusent des dizaines de milliers de messages sur les réseaux sociaux, financent des dizaines de milliers d’appels téléphoniques en direct aux électeurs. Les réseaux ultra-conservateurs du pays font le reste… On ne peut pourtant pas dire que les Brésiliens n’aient pas été prévenus au sujet de celui qu’ils placent à la tête de leur puissant pays. Ils avaient voté Lula, ils votent cette fois pour son contraire absolu, en toute connaissance de cause.
Le meilleur ami du nouveau président brésilien est Donald Trump : ils partagent nombre de points communs, misogynie, armement des citoyens, déni du Covid, refus du port du masque… Bolsonaro attendra que les délégués américains avalisent l’élection de Joe Biden pour enfin féliciter ce dernier…
Cela fait deux ans que Bolsonaro est au pouvoir lorsque se déroulent en novembre dernier les élections municipales au Brésil, premier scrutin d’importance dans ce grand pays (38 millions d’électeurs) où le Covid a fait des ravages.
Premier chiffre d’importance : l’abstention, de 29,7%, dans un pays où le vote est obligatoire (sous peine d’amende). Les résultats marquent aussi le retour des électeurs vers les partis de centre droit pour lesquels ils votaient avant l’arrivée de Lula et Roussef. Le parti des travailleurs de Lula s’effondre totalement : pour la première fois depuis longtemps, il ne réussit pas à gagner au moins une des grandes villes régionales et perd son bastion nordestin, Recife.
Bolsonaro ne fait pas mieux. Il soutient le maire sortant de Rio, qui est, non seulement battu, mais interpellé pour corruption à quelques jours de la fin de son mandat. Sur les 13 candidats appuyés par le président en exercice, seuls deux sont élus.
À Sao Paolo (12 millions d’habitants), le maire du centre droit (PSDB) Bruno Covas est réélu avec 59,5 % des voix contre 40,5 % à Guilherme Boulos qui se présentait sous les couleurs du parti « socialisme et liberté », issu d’une scission du PT, un score inespéré pour une gauche considérablement affaiblie.
Un constat s’impose : le PT en particulier, et la gauche en général, auront beaucoup de mal à affronter la prochaine échéance, avec ou sans Lula. Pourtant, on s’aperçoit qu’une forme de militance, très éteinte en politique, réapparait aujourd’hui dans le milieu associatif, notamment grâce aux femmes qui y poursuivent un travail en profondeur, un travail qui le moment venu pourrait être coordonné en un projet politique plus vaste.
Bolsonaro a certes enregistré un échec, mais qui ne remet pas en cause sa participation aux présidentielles de 2022 ; il bénéficie à ce jour de 40 % d’avis positifs dans l’opinion publique… Au Brésil, l’avantage reste à la droite pour les futures échéances. Il faut dire que le combat a été féroce : Lula et son Parti des Travailleurs (tout comme Chavez et son PSUV, aujourd‘hui mené par Maduro) étaient des symboles forts, des « bêtes à abattre » pour un libéralisme qui ne fait aucune concession.

Combat laïque - Combat social
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L’enfer, c’est la vérité perçue trop tard

par Zohra Ramdane

 

Combattre les décapitations des conquis sociaux des trente dernières années demande de comprendre comment cela a été possible. Il faut donc remonter aux causes : la crise du capital dès la fin des années 60 bien sûr, mais aussi la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle lancée par une avant-garde de la grande bourgeoisie dès la Libération, sans conteste. Mais encore, le fait que la gauche a mis du temps à comprendre le réel (d’où le titre de cet l’article) car à trop tarder à comprendre la vérité du réel, cela empêche la gauche de saisir les opportunités que lui offre l’actualité politique et sociale. Le nouveau management « moderne » du néolibéralisme nous vient directement du management nazi via l’ordolibéralisme allemand. Vous doutez ? Allez lire l’un des meilleurs historiens contemporains, Johann Chapoutot ! Le travail politico-culturel des économistes ordolibéraux en France aux lendemains de la Libération est peu connu (raison de plus de lire les travaux d’Hugo Canihac).
Le néolibéralisme au niveau de l’État commence en France en 1983, mais la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle capitalistique démarre pour les fractions d’avant-garde de la grande bourgeoisie dès la Libération. Les avancées du Conseil national de la Résistance lui sont insupportables (voir à ce sujet les travaux de Brigitte Gaïti ou de Philip Mirowski) !
Vivre les conséquences sociales des trente dernières années sans lier cela au réel et donc à sa sociohistoire, c’est se tirer une balle dans le pied pour espérer avancer plus vite.
La gauche s’est fracassée d’abord parce qu’une partie d’entre elle s’est soumise aux politiques néolibérales et ses inégalités obligatoirement croissantes jugées modernes face à la lutte des classes promue par le modèle politique de la république sociale et son universel concret jugés archaïques. Puis, une autre partie de la gauche a fétichisé les révolutions du XXe siècle et a voulu appliquer des recettes utilisées dans des pays sous-développés qui sont totalement inefficaces dans les pays développés. Et plus récemment, nous avons vécu une cécité croisée au sein de la gauche, avec d’un côté les partisans de l’universel abstrait sans analyse de classe et de l’autre côté le développement de la gauche identitaire, indigéniste et victimaire privilégiant l’essentialisation des discriminations de « genre » et de « race » jugée moderne face à la lutte des classes et à la République sociale jugée archaïque (voir dans ce numéro, l’article de Gérard Noiriel et Stéphane Beaud). Bien évidemment, le renouveau de la lutte des classes et de son projet politique de la République sociale liée à un universel concret passe par une globalisation des luttes intégrant les luttes féministes, démocratiques, laïques et antiracistes, mais en refusant de participer à l’invisibilisation de la classe populaire ouvrière et employée, pourtant majoritaire dans le pays, à qui l’on dénie toute visibilité médiatique et politique. Si on peut facilement justifier les processus de promotion des femmes et des représentants des minorités de « couleur » à des postes de responsabilités, il faut avoir une poutre dans l’œil pour ne pas s’apercevoir que dans notre formation sociale capitaliste tout cela se fait avec l’exclusion tacite de la visibilité des ouvrières, des employées, des ouvriers et des employés sans que la gauche identitaire ne s’en émeuve. En fait, une partie de la petite bourgeoisie intellectuelle trouve très bien de pouvoir être des leaders sociétaux à la seule condition d’en écarter les catégories populaires ! Tout cela est dans le débat depuis longtemps suite au livre du chercheur américain Walter Benn Michaels, La diversité contre l’égalité.
Fort de cette réflexion, nous engagerons 2021, « drapeau déployé » :
– Laïcité et République sociale ;
– Combat laïque, combat social, fédérer le peuple.



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