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Chronique d'Evariste
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Après la séquence des syndics-liquidateurs, la gauche est-elle capable de refonder la France ?

par Évariste

 

Le dernier article de Philippe Hervé mis à la Une de ReSPUBLICA intitulé « ENA :  des bâtisseurs… aux syndics-liquidateurs ! »  participe de la nécessaire compréhension du réel sans laquelle aucune bifurcation émancipatrice n’est possible. Mais alors, posons-nous la question suivante : Après la séquence des syndics-liquidateurs, la gauche est-elle capable de refonder la France ?

Car les syndics-liquidateurs qui ont organisé « l’intégration progressive et complète dans la sphère financière anglo-saxonne » de l’économie française ont même fait reculer notre pays dans le concert des nations. La France est le seul membre permanent du Conseil de sécurité à ne pas avoir été capable de trouver et de produire un vaccin contre le coronavirus Sars-Cov-2. En fait, eux-mêmes intégrés à la sphère financière anglo-saxonne, les syndics-liquidateurs ont participé au recul de la France face aux États-Unis, au Royaume-Uni, à l’Allemagne. S’il ne nous reste que l’humour, revoyons cette séquence des Guignols de l’info sur la grippe aviaire : https://www.youtube.com/watch?v=STPopTOrPVE

SpaceX contre Arianespace

Source : CNES, Airbus/Safran. © AFP

SpaceX, entreprise privée, facturera deux fois moins cher un lancement pour un client privé d’une fusée avec un premier étage réutilisable que pour le futur Ariane 6, non encore utilisable et sans rien de réutilisable ! Pourquoi ? pour plusieurs raisons, d’abord parce que SpaceX est le premier lanceur avec un premier étage réutilisable. Ensuite, parce qu’il est largement financé par de l’argent public pour la recherche et parce que les structures publiques américaines surpaient leurs lancements. Mais ce n’est pas tout : Space X utilise un seul moteur, Ariane trois moteurs différents, un par étage… D’autre part, SpaceX est totalement intégré alors que la bureaucratie arianesque est incroyable : Arianespace est répartie en 600 entreprises dont 350 PME, le tout dans 13 pays différents (en appliquant la règle du retour géographique) ! Avec des salaires de 70 % plus élevés pour SpaceX que chez Arianeespace ! Tandis qu’en France, le crédit-impôt recherche finance les dividendes !

Les États-Unis contre l’Union européenne

Pour les vaccins, écoutons l’économiste Fabienne Orsi : l’administration Trump a lancé dès le mois de mai 2020, l’opération Warp Speed soit 18 milliards de soutien public pour accélérer le développement et la  production de vaccins avec une priorité nationale. Mais tout cela provient du Bayh-Dohle Act de décembre 1980 qui favorise le transfert des recherches universitaires vers l’industrie et les firmes privées américaines en fermant la porte aux firmes étrangères, autorise le dépôt de brevets financés sur fonds publics, et l’octroi de licences d’exclusivité  aux entreprises étasuniennes.
Déjà l’arrêt Chakrabarty en juin 1980 avait autorisé la brevetabilité de tout « produit de l’homme » donc des OGM, permettant ainsi un début de privatisation de la recherche sur le vivant. Si vous ajoutez à cela que le Nasdaq  a permis aux start-up d’entrer dans ce marché boursier automatisé, vous avez là le dispositif qui a permis aux États-Unis d’engager le « rapt » privé de la propriété industrielle. Ainsi les États-Unis créent-ils en 2006 la Biomedical Advanced Research and Development Authority (Barda) qui met en place le financement, l’assistance technique et la mise en marché des produits médicaux dans le domaine de la biosécurité.

Pitoyable : l’Union européenne a voulu copier les États-Unis en créant une nouvelle agence européenne, la Health Emergency Response Authority (Hera), ce n’est qu’un « machin » bureaucratique supplémentaire sans efficacité, sans financement et sans mécanisme de coordination entre les gouvernements et les entreprises privées…

Lafarge repris par le suisse Holcim

2015, soi-disant « mariage d’amour entre égaux » ;  2018, fermeture du siège de Lafarge en France pour expatriation dans le canton de Zoug en Suisse. Transfert qui permet en plus une optimisation fiscale !

La part rentable de Technip reprise par l’étasunien FMC après leur divorce

Avec la séparation des biens et la partie la plus rentable à savoir l’activité sous-marine (forage d’extraction des métaux rares) qui était à l’origine issue de Technip se retrouve remise à l’américain FMC.

Essilor en position défavorable face à Luxottica

Nouveau mariage d’amour chez les géants de l’optique en 2018 puis conflits à répétition avec avantage aux points pour l’italien Luxoticca. Montée sur le ring à l’assemblée générale des actionnaires le 21 mai 2021.

Alcatel trompé par Nokia

Nouveau mariage d’amour avec promesse de maintenir les emplois. Résultat 1233 licenciements.

Alsthom digéré par General Electric

Voilà un nouveau mariage d’amour où General Electric a avalé Alsthom puis a licencié 1 350 salariés. Pourquoi ? parce qu’il y a avait eu une action coordonnée de la justice étasunienne, de la multinationale étasunienne, et d’un pacte de corruption à la tête d’Alsthom.

Avec Macron, que reste-t-il de souveraineté à la France ! Et la gauche dans tout ça ?

Avez-vous entendu en France en 2021 un discours de gauche qui se préoccupe d’abord de la réalité que nous venons de décrire et de la soumission de la France par rapport aux grandes multinationales prédatrices ? Question supplémentaire : Avez-vous entendu un discours de gauche en France qui propose une alternative de gauche à ce réel-là ? Si oui, n’oubliez pas de nous faire suivre leur argumentation !

Résumons : l’impérialisme américain a construit un dispositif nationaliste basé sur la propriété lucrative d’une oligarchie. La Chine a construit un dispositif nationaliste basé sur la toute-puissance de l’Etat chinois. Force est de constater que ces deux modèles ont la particularité d’être efficaces même si nous n’envions pas ces deux modèles et proposons une voie alternative. La France refuse de fonctionner comme une nation défendant les intérêts du peuple.

Par contre, le modèle européen basé sur une bureaucratie bavarde et inefficace est incapable de rassembler ses forces vives et de jouer les premiers rôles  alors qu’il donnait au départ plus d’atouts face à ces deux superpuissances.

Alors, le rôle de la gauche n’est-il pas de proposer une alternative concurrentielle à ce duopole mondial ? Il ne pourra pas y avoir d’avenir politique pour la  République sociale sans comprendre  que l’on ne peut être une grande puissance sans recherche industrielle de haut niveau, sans  travailler dur à partir des conditions concrètes (et non des considérations moralisantes générales confuses ou sur des pensées magiques qui ne modifient en rien le système tel qu’il est, sans faire émerger un  soutien populaire (le bloc historique majoritaire autour de la classe populaire ouvrière et employée), sans dégager une ligne stratégique de réindustrialisation massive financée,  avec transition énergétique et écologique très soutenue, ni sans partir d’une véritable délibération démocratique (refusons l’actuelle démocrature) d’abord nationale (une République sociale se conçoit d’abord au sein d’une nation  puis au sein d’une coopération internationaliste).

Nous avons déjà mis sur la table les conditions nécessaires au processus de République sociale : ses principes constitutifs, ses ruptures nécessaires, ses  exigences et la stratégie de l’évolution révolutionnaire (voir les deux tomes de  Penser la république sociale pour le 21e siècle  dans notre Librairie militante). Aujourd’hui, l’état de la France est tel que nous alertons sur l’urgence de l’une des six conditions indispensables, celle d’une nécessaire et massive réindustrialisation.

Voilà pour l’essentiel ce que nous proposons à la discussion générale ! Avis aux amateurs !

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Misères et alternatives de la mode d’aujourd’hui

par Rachel Haller

 

Le 21 avril dernier, Bernard Arnault a grimpé à la deuxième place du classement des milliardaires établi par le magazine Forbes (derrière Jeff Bezos, le PDG d’Amazon et devant Elon Musk). Sa fortune, désormais estimée à 180,4 milliards de dollars, a quasiment doublé en un an du fait de l’augmentation du cours de l’action LVMH (+ 107 % depuis le 18 mars 2020). Le groupe LVMH qui compte 75 marques (dont Louis Vuitton, Dior, Céline, Marc Jacobs…) est également devenu la première capitalisation européenne en février dernier, porté par les hausses des ventes dans l’activité mode et maroquinerie[i], notamment en Asie et aux États-Unis. Ces chiffres sont révélateurs du poids grandissant de l’industrie de la mode dans l’économie. En France, la mode est par exemple le premier marché sur Internet en nombre d’acheteurs et en 2020, malgré la pandémie, 51 % des produits achetés sur le web faisaient partie du secteur de l’habillement[ii]. Comme d’autres secteurs, l’industrie de la mode est aujourd’hui traversée par de grandes tendances où l’on retrouve à la fois les pires excès du capitalisme moderne et la volonté de produire et de consommer plus durablement. De plus, dans un monde saturé d’images, la mode se retrouve aussi au cœur de questionnements sociétaux et politiques.

L’industrie du luxe bénéficie du creusement des inégalités
et des nouvelles méthodes de marketing

Cela peut paraître incroyable, mais il serait aujourd’hui devenu plus intéressant d’investir dans un sac de luxe que dans la pierre. Ceux qu’on appelle les it-bags ou sacs à main iconiques des grandes maisons de luxe voient leurs prix augmenter régulièrement et il est possible de réaliser un gain intéressant en revendant un sac quelques années plus tard. Ainsi le modèle 2.55 de Chanel  vendu aux alentours de 250 euros dans les années 50 était affiché au prix de 4 600 euros en 2016. Y compris durant l’année 2020, les grandes maisons de luxe ont augmenté les prix de leurs modèles emblématiques, de l’ordre de 5 % à 15 %[iii]. Ce phénomène qui s’est accru depuis plusieurs années est tout à fait représentatif de la bonne santé des maisons de mode haute-gamme qui comptent de plus en plus de clients, en particulier en Asie, mais aussi parmi les jeunes générations. La Chine compte désormais plus d’un millions de millionnaires (et représente presqu’un tiers du marché mondial dans l’achat de produits de luxe) ; la mondialisation a donc beaucoup élargi la clientèle du secteur, ce qui a conduit ses acteurs à augmenter les prix pour maintenir une image de rareté et d’inaccessibilité. Les maisons de luxe vendent plus, plus cher et il n’est donc pas étonnant que Bernard Arnault soit devenu le premier Français en 2020 à détenir une richesse de plus de cent milliards d’euros.

Avec l’arrivée des réseaux sociaux, les maisons de luxe cherchent également à séduire une clientèle plus jeune. Pour cela, elles font appel à des influenceurs – personnalités très suivies sur les réseaux sociaux et qui font office de prescripteurs de tendance – millenials (c’est-à-dire nés dans les années 2000) auxquels les jeunes peuvent s’identifier[iv]. Ces influenceurs sont chargés de promouvoir les grandes marques de luxe auprès de cette jeune cible et de « démocratiser » la consommation de produits de luxe. Les maisons de luxe visent également directement les jeunes générations, par exemple en diffusant les défilés sur l’application Tik Tok (l’âge moyen des utilisateurs de cette application est de 23 ans et un tiers des utilisateurs est mineur) ou en nouant des collaborations avec des idoles plébiscitées par la jeune génération (Louis Vuitton a par exemple créé une marque avec la chanteuse Rihanna et Longchamp une gamme de sacs à l’effigie des Pokémon). Cette politique marketing se révèle redoutablement efficace : une responsable d’un site de revente de luxe a ainsi constaté qu’au dernier trimestre de 2020, les millenials avaient acheté plus de sacs à main Hermès que n’importe quelle tranche d’âge. Toujours à l’affût de moyens de vendre encore plus, les marques de luxe se tournent donc vers les jeunes générations pour trouver de nouveaux clients, alimentant une consommation effrénée de vêtements. 

Les ravages de la « fast fashion »

Si les jeunes sont friands de luxe, ils le sont aussi de la « fast fashion », un modèle de production et de consommation dans le secteur de l’habillement qui s’est développé depuis une vingtaine d’années et qui ne cesse de croître.

Rappelons d’abord que depuis l’an 2000, la quantité de vêtement achetés en Europe a pratiquement doublé, en partie à cause de l’émergence des marques de fast fashion. C’est la marque espagnole Zara qui a été pionnière et inventé la fast fashion, avec l’idée de démocratiser la mode en proposant des articles qui s’inspirent des modèles de marques prestigieuses, mais vendus à des prix accessibles. Cette marque qui possède toute sa chaîne de production a la capacité de mettre un produit au point en 4 semaines (alors qu’il faut 5 ou 6 mois pour une marque traditionnelle), cet ogre produit chaque année 65 000 nouveaux produits (ce qui fait 200 par jour !). Les collections sont donc constamment renouvelées et les acheteurs incités à revenir plus fréquemment dans les boutiques pour découvrir les nouveautés… et acheter. Depuis quelques années, de nouvelles marques (Boohoo, PrettyLittleThing ou Missguided) se sont inspirées de ce modèle pour vendre toujours plus à bas coût. On les considère comme de l’ultra fast fashion, car à la différence de Zara ou H&M, ces marques n’ont pas de point de vente physique et vendent uniquement en ligne. Le résultat, c’est qu’aujourd’hui les articles de mode représentent 1/3 des livraisons en France.
Ce modèle est donc très polluant, puisqu’en plus de la pollution liée à la fabrication s’ajoute celle de la livraison. Par ailleurs, le fait que ces marques contribuent à l’exploitation des travailleurs est désormais bien connu ; on se souvient de l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza en 2013 qui avait causé la mort de plus de 1 000 personnes parmi les ouvriers textiles et plus récemment plusieurs marques de vêtements ont été montrées du doigt pour avoir fait appel à des usines chinoises qui employaient de manière forcée des Ouïghours. Mais cette exploitation des travailleurs dans le domaine textile existe aussi en Europe ! Dans un récent documentaire consacré à la fast fashion, les journalistes d’Arte[v] se sont ainsi introduits dans des usines en Angleterre où de la main-d’œuvre majoritairement immigrée fabrique des vêtements pour un salaire de 3 livres de l’heure, dans des conditions légales et de sécurité indignes. Or ces usines fournissent essentiellement les marques d’ultra fast fashion…

Une mode plus durable et locale

Face à ces excès, de nouvelles marques de mode ont émergé ces dernières années qui se distinguent par la volonté de produire plus localement et en essayant de réduire l’impact environnemental.

Qui aurait cru que la marinière d’Arnaud Montebourg ferait autant d’émules ? C’est pourtant bien ce qui s’est passé ces dernières années : de nombreux jeunes entrepreneurs, répondant aux attentes de consommateurs cherchant à s’affranchir des marques de modes traditionnelles, ont créé des marques en faisant le pari de produire français. Le résultat de ce mouvement est qu’après des années de désindustrialisation et de destructions d’emplois, le nombre de salariés du textile dans notre pays est de nouveau en progression depuis 2017. Ces nouveaux acteurs de la mode n’hésitent pas à innover pour rendre la production de vêtements moins polluante : développement du recyclage et du surcyclage (le surcyclage est le fait d’utiliser des matières qui existent déjà et qui sont détournées de leur usage, cela peut être des chutes de tissu ou des rideaux par exemple), utilisation du système des précommandes afin de produire une quantité correspondant à la demande (ce qui permet d’éviter de faire des soldes et de détruire des invendus, pratique courante dans le secteur), etc. Ces marques cherchent à produire moins et à produire mieux afin que les vêtements durent également plus longtemps dans le temps, contrairement aux articles proposés par la fast fahsion.
Plus responsables, ces nouvelles marques sont également plus transparentes et certaines détaillent très précisément les étapes de fabrication de leurs produits, permettant aux consommateurs d’être beaucoup mieux informés des conditions de production. Ce mouvement a également permis de retrouver des savoir-faire disparus. Alors que la France grâce à un climat favorable est le premier producteur de lin mondial (une fibre qui contrairement au coton est beaucoup moins gourmande en eau), elle exporte 90 % de la matière vers la Chine et l’Inde. Notre pays n’était plus capable de filer le lin, les dernières filatures françaises ayant fermé il y a vingt-cinq ans. Depuis 2020, deux usines, l’une en Alsace et l’autre en Normandie (sous forme de société coopérative d’intérêt collectif[vi]) sont désormais dotées de métiers à tisser le lin et viennent combler le chaînon manquant qui permet de produire intégralement en France un article en lin !

Parallèlement à l’émergence de ces nouvelles marques, l’achat de vêtements d’occasion s’est également considérablement développé ces dernières années. En effet, acheter des vêtements qui ont été produits et qui ne sont plus portés est un bon geste pour la planète, en plus d’être souvent plus économique. En 2018, presqu’un tiers des Françaises avaient déjà acheté un vêtement d’occasion et le nombre d’utilisateurs français de l’application Vinted (application spécialisée dans la revente de vêtements) a grimpé de 12 à 16 millions l’année dernière. Un certain nombre de marques essaient d’ailleurs d’adopter cette tendance, en proposant par exemple des sélections de vêtements vintage dans leurs boutiques ou en restaurant leurs propres anciens modèles pour les remettre sur le marché.

Une industrie de l’image bouleversée par les nouveaux
questionnements

Si les réseaux sociaux, comme on l’a vu, peuvent être utilisés à des fins très mercantiles, ils permettent néanmoins une interaction plus grande avec le public et des changements très rapides. Ainsi, le secteur de la mode a considérablement évolué en quelques années du fait des réactions des internautes. L’image de la femme mise en avant par les marques de mode sur les défilés et dans leurs visuels a été grandement remise en question. Le mouvement de « body positive » né aux États-Unis qui œuvre en faveur de l’acception de tous les types de corps a contribué à remettre en cause le diktat de la minceur affichée par la société et particulièrement dévastateur dans le milieu de la mode où de nombreuses mannequins souffrent d’anorexie pour parvenir à une silhouette filiforme. Répondant à ce mouvement, de plus en plus de marques font appel à des mannequins qui présentent une morphologie beaucoup plus réaliste ; en 2020, Chanel a ainsi pour la première fois fait défiler une mannequin taille 44 (Jill Kortleve), une révolution dans le milieu… Plusieurs défilés de créateurs de ces dernières saisons se sont également distingués par la volonté de mettre en avant une plus grande diversité : diversité des morphologies, des âges et des types de physique. Si les grandes maisons peuvent parfois être accusées de récupération – on pense par exemple à des créations qui célèbrent le féminisme alors qu’il y aurait encore beaucoup à faire pour l’égalité homme-femme dans le milieu –, certaines évolutions vont néanmoins dans le bon sens et s’opèrent plus rapidement que dans d’autres industries.

Pour terminer sur le sujet, la mode n’échappe pas non plus aux débats actuels concernant le genre[vii]. De plus en plus de marques développent des collections unisexes et les nouvelles égéries de mode cassent les codes. En novembre 2020, le magazine de mode Vogue US a pour la première fois mis un homme (le chanteur Harry Styles) en couverture, qui a posé pour le magazine en jupe et en robe

En conclusion, si la mode peut paraître un sujet très futile, c’est aujourd’hui une industrie puissante et très polluante. D’après l’ADEME, pour les émissions des gaz à effet de serre, le textile est classé cinquième plus gros émetteur, pour l’occupation des sols, il arrive en second et pour la consommation d’eau et de matière, en troisième position. Il y a donc urgence à s’orienter vers une production et une consommation plus responsables et à en finir avec la mode jetable (près des trois-cinquièmes de nos vêtements finiraient dans un incinérateur ou une décharge dans l’année même qui suit sa production) ! Comme pour d’autres secteurs, la transition écologique est une occasion à saisir pour recréer des emplois dans notre pays et aussi développer des modèles d’entreprise qui – contrairement au secteur du luxe – opèrent un meilleur partage de la valeur ajoutée et sont plus favorables aux droits des travailleurs !

NOTES

[i] Croissance organique de 52 % des ventes dans le secteur mode et maroquinerie au premier trimestre 2021 par rapport à la même période de 2020 et de 37 % par rapport à celle de 2019 (chiffres cités par : « LVMH : grâce à Tiffany et à la reprise en Asie, les ventes de LVMH s’envolent », Quentin Soubranne, BMF Bourse, 14/04/2021 [en ligne : https://www.tradingsat.com/lvmh-FR0000121014/actualites/lvmh-grace-a-tiffany-et-a-la-reprise-en-asie-les-ventes-de-lvmh-s-envolent-963331.html].

[ii]Voir : « Les chiffres clés du secteur de la mode en 2020 » [en ligne : https://www.alioze.com/chiffres-mode].

[iii]Pour en savoir plus : « Pourquoi les marques de luxe augmentent leurs prix en temps de pandémie ? », Alexandra Pizzuto, 31/01/2021, Marie-Claire [en ligne : https://www.marieclaire.fr/augmentation-prix-mode-luxe,1369744.asp].

[iv]Sur les influenceurs de mode, on peut lire « Sur Instagram, le baby-boom des influenceurs de mode », Valentin Pérez, 24/08/2018, Le Monde [en ligne : https://www.lemonde.fr/m-styles/article/2018/08/24/sur-instagram-le-baby-boom-des-influenceurs-de-mode_5345795_4497319.html]

[v]Fast fashion. Les dessous de la mode à bas prix, Edouard Perrin, Gilles Bovon, 2020, 101 min [en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=oYg8ujH_HgE].

[vi]« Textile. La filière lin ressuscite le made in France », Guillaume le Du, Ouest-France, 23/09/2020 [en ligne : https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/textile-la-filiere-lin-ressuscite-le-made-in-france-6985954].

[vii]Pour en savoir plus, lire « Mode : l’habit fait-il encore le genre ? », Nithya Paquiry, 18/01/2021 [en ligne : https://www.franceculture.fr/sociologie/mode-lhabit-fait-il-encore-le-genre].

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La loi « Climat et Résilience », illustration de l’antagonisme entre capitalisme mondialisé et transition écologique

par Philippe Duffau

 

Sous un titre bien ronflant et susceptible de provoquer une sympathique approbation pour qui ne cherche pas les tenants et les aboutissants, cette loi démontre que dans le cadre d’une économie capitaliste et ultralibérale il ne peut que y avoir des avancées mineures sans rapport avec le niveau de l’urgence climatique et la nécessaire transition énergétique pour réduire l’émission de gaz-à-effet-de-serre.

Le texte de loi ne pouvait qu’être en-deçà des exigences pour vraiment changer de paradigme et prendre les mesures concrètes afin de respecter les engagements pris lors de l’Accord de Paris en 2005. Ce texte qui devait être selon les annonces présidentielles « Le grande texte du quinquennat » accouche d’une souris malgré les jalons élaborés par la « Convention citoyenne pour le climat ».[1]

Dans ce cadre, cette loi aurait-elle pu, comme le suggère celles et ceux qui appellent, ce 9 mai 2021 à une marche pour le climat :

  • être l’instrument d’une réorganisation de notre société en donnant les moyens à tous les citoyens et citoyennes de vivre dignement en préservant la planète, et donc notre avenir ?
  • être l’instrument clé de régulation pour faire payer les plus gros pollueurs et réduire la pression exercée sur les plus précaires, déjà les plus impactés par les effets du dérèglement climatique ?
  • anticiper la reconversion des emplois des secteurs les plus polluants et la création d’emplois dits « verts » ?

Cette loi montre les limites fixées par le système économique mondialisé dans sa forme ultralibérale.

Pourtant, la crise du Covid-19 qui a ébranlé le monde, notamment les personnes les plus fragiles vivant dans une précarité plus ou moins grande selon les pays, qui a mis en exergue le gâchis des délocalisations, notre dépendance industrielle, alimentaire et sanitaire a montré la responsabilité du capitalisme mondialisé comme l’indique le philosophe des sciences Philippe Hunemann : « Les trois principaux scénarios ayant pu conduire à SARS-Cov-2 semblent liés au capitalisme postindustriel. Celui-ci a engendré les changements environnementaux qui ont pu permettre le contact avec le pangolin ou un autre animal sauvage. Il a conduit à l’élevage intensif ; notamment des visons. Quant à la fuite d’un laboratoire où auraient été menés des expériences de gains de fonction[2], elles ramènent à un système où le scientifique devient l’équivalent d’un coureur dopé en s’adonnant à des manipulations sur des virus pour provoquer des franchissements de barrière d’espèce qui lui assureront des publications. Tout cela peut se faire de façon honnête, mais sans se soucier des conséquences… »[3]

Exiger « la reconversion des emplois dans tous les secteurs polluants, l’accès aux soins, à un logement décent, à de la nourriture saine, de l’eau potable et de l’air pur pour toutes et tous, la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles », exiger « des mesures pour modifier nos moyens de production et de consommation en tenant compte que ce n’est possible qu’en réduisant les inégalités pour construire une société plus juste », proclamer « que la justice climatique va de pair avec la justice sociale »[4] découle de l’urgence climatique et sociale.

  • Prendre conscience que le coût social et écologique de la production capitaliste n’est pas totalement assumé par l’entrepreneur que la part non assumée ou externalisée est prise en charge ou supportée par un tiers (les travailleurs, la puissance publique donc l’ensemble des contribuables, la nature,
  • Prendre conscience que le « jour du dépassement » où l’humanité dans le cadre de l’économie-monde a consommé intégralement les ressources que la Terre procure arrive de plus en plus tôt : en 1980, le 3 novembre, en 1990, le 4 octobre, en 2010, le 28 août, en 2019, le 29 juillet (source : Global Footprint Network).
  • Prendre conscience que des millions de morts sont dus à la pollution,
  • Prendre conscience que le productivisme est mortifère pour la planète et l’être humain, que le productivisme n’a d’autres visées que le profit de ceux qui développent la production par soif d’enrichissement personnel,
  • Prendre conscience que la société de consommation illimitée et mortifère dans un monde « fini », autrement dit la production dans un cadre capitaliste, fait naître de nouveaux besoins, suscite de nouveaux désirs de consommation et n’a pas pour but la satisfaction des besoins humains mais l’émergence continue d’une demande destinée à offrir des débouchés afin de réaliser des bénéfices importants,
  • Prendre conscience que la société de consommation suscite du gaspillage avec la substitution aux besoins réels pour vivre dignement de nouveaux besoins inventés, artificiels qui rendent difficiles la réflexion individuelle et collective sur le sens de la vie,

Tout cela doit nous conduire à comprendre que la notion de « capitalisme vert » est une illusion tout comme un « capitalisme social ». C’est cela qui explique, fondamentalement, l’échec de la prise en compte des propositions de la « Convention citoyenne pour le climat » par la représentation nationale majoritairement acquise à l’économie-monde dans sa forme ultralibérale, majoritairement acquise au dogme de la croissance continue et infinie dans un monde pourtant fini.

Tout cela suppose un type de société en totale contradiction avec l’économie-monde car elle exige d’aller vers la décroissance reposant sur une notion du « suffisant » à définir collectivement, permettant du sortir du cycle infernal et vicieux du « travailler et produire plus, pour consommer plus, travailler et produire plus encore pour consommer plus », garantissant la reconquête par les individus de leur autonomie dans leur choix de vie…

Dans ce cadre, les notions de progrès et de progressisme tels que définis au XIXe siècle doivent être interrogés. Il serait judicieux de sortir de la confusion entre progrès technologiques et techniques et progrès humain en opérant la distinction entre « avancée technique » et « progrès humain ». Les accès à l’eau courante, à l’électricité, au réfrigérateur, l’accès au système de santé ont été des apports importants qui ont permis aux classes populaires par exemple de vieillir sans sombrer dans la misère. C’est pourquoi la défense de la Sécurité sociale, bien commun, doit être préservée et renforcée tant dans la satisfaction des besoins essentiels que dans le retour à une authentique démocratie sociale fragilisée par diverses réformes/régressions depuis plusieurs décennies poussant à une étatisation rampante.

Ayons à l’esprit ce qu’affirmait déjà George Orwell concernant les progrès mécaniques (techniques et technologiques) : « On ne peut utiliser avec discernement les produits de la science et de l’industrie que si on applique à tous le même critère : cela me rend-il plus humain ou moins humain ? » « Toute nouvelle invention mécanique peut produire des effets opposés à ceux qu’on en attendait. » 

Créer les conditions du bonheur hors du consumérisme

Nous pourrions parodier les paroles de Louis Aragon chantées par Jean Ferrat (« Et pourtant je vous dis que le bonheur existe / Ailleurs que dans le rêve, ailleurs que dans les nues / Terre, Terre voici ses rades inconnues ») : Le bonheur existe ailleurs que dans le consumérisme, ailleurs que dans le productivisme érigé en dogme. Terre, Terre voici la société de décroissance, de la sobriété heureuse.

 

NOTES

[1] Bilan catastrophique en la matière du quinquennat Macron :

  • Diminution des ambitions de réduction des émissions de gaz à effet de serre passant de 2,3 par an à 1,55
  • Réintroduction des néocotinoïdes mortifères pour les insectes pollinisateurs et la biodiversité
  • Prolongation de l’usage du glyphosate mortifère pour l’équilibre des sols.

De quelques propositions qui ne devaient pas être retenues, on est passé à près de 60 % non prises en compte dans le débat.

[2] Gains de fonction : le but est de doter des virus de nouvelles facultés. Il semble acquis que SARS-CoV-2 est issu d’un réservoir de sarbecovirus (sous-groupe de coronavirus liés au syndrome respiratoire aigu sévère dont les SARS-CoV -1 et SARS-CoV-2 ) composé de chauves-souris et de pangolins. Pour passer de la souche animale à la souche humaine il a fallu une série de transformations. Un virus ne saute pas facilement d’une espèce à une autre. Les virologues étudient, depuis 20 ans, en laboratoire, comment un virus peut passer d’une espèce à une autre. Ils réalisent des expériences de « gain de fonction ».  Les expériences de gain de fonction sont devenues habituelles. Mais la donne a changé et nous voyons actuellement des virologues réputés mettre en cause ces expériences dans le contexte de la pandémie de Covid. L’un d’entre eux a même considéré que ces expériences visant à mieux connaître la circulation des virus revenait à détecter une fuite de gaz en utilisant une allumette.

[3] Cité dans Marianne n°1259.

[4] Appel « Marche pour le climat » le 9 mai 2021.

 

Culture
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« Hugo et la Commune », par Robert Duguet : un républicain radicalisé

par Monique Vézinet

 

Nous reproduisons et commentons ici des extraits marquants du texte publié sur http://hugo-et-le-proletariat.fr/ par Robert Duguet,

Donnons tout de suite l’éclairage particulier de l’auteur sur Victor Hugo : « le prolétariat est l’acteur principal de son œuvre », affirme-t-il, car il fournit une clé de compréhension convaincante des convictions de l’homme, à travers un parcours politique qui ne s’arrête pas à l’exilé du Second Empire, aussi bien qu’un fil rouge dans son immense œuvre littéraire. Ce « républicain radicalisé », c’est aussi – peut-on dire – un précurseur de la République sociale (mais sans lutte des classes…).

La vie de Victor Hugo est marquée par trois révolutions, 1830 et février 1848 visaient l’instauration de la République contre le retour de la monarchie. Mais 1848 annonçait déjà l’entrée en scène du prolétariat, cherchant à se constituer en parti politique distinct et indépendant du grand frère républicain. La Commune posait un jalon pour les temps futurs : le prolétariat apprenait à gouverner. Toute l’œuvre de Victor Hugo est aux prises avec cette dialectique puissante qui traverse le XIXe siècle. En fait le prolétariat est l’acteur principal de son œuvre. Il le comprend, l’affronte, décrit toute l’horreur de la misère prolétarienne d’alors, mais il voudrait le limiter à l’horizon d’une république universelle qui est en quelque sorte une république bourgeoise idéalisée. Ce qui va fondamentalement l’opposer à sa classe sociale c’est que celle-ci allait abandonner son programme pour s’en remettre au bonapartisme.

Après s’être rendu à Bordeaux auprès de l’Assemblée nationale à majorité monarchiste élue le 8 février 1871, Hugo « veut faire rentrer l’Assemblée à Paris et réconcilier Paris avec l’Assemblée. Que chacun rentre dans le sein du bien sacré, la République. Bien évidemment les choses prennent une autre direction […] c’est Versailles qui est choisi. »
Or, le 18 mars en pleine insurrection, Hugo est de retour à Paris pour conduire le cortège funèbre de son fils aîné Charles, journaliste et militant pour l’abolition de la peine de mort. Il
doit remonter la rue de la Roquette jusqu’à la porte centrale du Père-Lachaise.

Déjà, à proximité de la prison, une femme a crié : « A bas la peine de mort ! ». Le père Hugo conduit le deuil. Spontanément quelques fédérés en armes commencent à faire une haie d’honneur au cortège, puis bientôt il y a en aura une centaine. On parvient à la barricade qui ferme la rue de la Roquette : alors les fédérés et les insurgés ouvrent la barricade. Les drapeaux rouges s’inclinent au passage du cortège. […] Le peuple insurgé ouvre ses bras généreux à celui qui inventa Jean Valjean. Pourtant celui-ci n’approuve pas la Commune.

Frontispice de L’année terrible de Victor Hugo (Paris : M. Lévy, 1873)

En effet, Hugo récuse les violences et critique la Commune, essentiellement sur deux points : la destruction de la colonne Vendôme, l’exécution des généraux Thomas et Lecomte et le décret des otages. Pourtant il reconnaît le rôle précurseur de la Commune en ces termes, traçant le programme idéal qu’il y voit en germe  :

« Supposons un temps normal ; pas de majorité législative royaliste en présence d’un peuple souverain républicain, pas de complication financière, pas d’ennemi sur notre territoire, pas de plaie, pas de Prusse. La Commune fait la loi parisienne qui sert d’éclaireur et de précurseur à la loi française faite par l’Assemblée. Paris, je l’ai dit déjà plus d’une fois, a un rôle européen à remplir. Paris est un propulseur. Paris est l’initiateur universel. Il marche et prouve le mouvement. Sans sortir de son droit, qui est identique à son devoir, il peut, dans son enceinte, abolir la peine de mort, proclamer le droit de la femme et le droit de l’enfant, appeler la femme au vote, décréter l’instruction gratuite et obligatoire, doter l’enseignement laïque, supprimer les procès de presse, pratiquer la liberté absolue de publicité, d’affichage et de colportage, d’association et de meeting, se refuser à la juridiction de la magistrature impériale, installer la magistrature élective, prendre le tribunal de commerce et l’institution des prud’hommes comme expérience faite devant servir de base à la réforme judiciaire, étendre le jury aux causes civiles, mettre en location les églises, n’adopter, ne salarier et ne persécuter aucun culte, proclamer la liberté des banques, proclamer le droit au travail, lui donner pour organisme l’atelier communal et le magasin communal, reliés l’un à l’autre par la monnaie fiduciaire à rente, supprimer l’octroi, constituer l’impôt unique qui est l’impôt sur le revenu ; en un mot abolir l’ignorance, abolir la misère, et en fondant la cité, créer le citoyen. »

Robert Duguet poursuit :

« Ce catalogue résume le programme libéral du républicain radicalisé, qui lui sert de boussole depuis les révolutions de février et juin 1848. Il le jette depuis constamment au visage de sa classe sociale : si vous n’appliquez pas, dit-il, ce programme, qui est pourtant le vôtre, alors vous aurez les révolutions. Nous y sommes ! En 1874, encore bouleversé par l’écrasement de la Commune, il décrit dans Quatre-vingt-treize un processus révolutionnaire qui se radicalise par la Terreur et qui contraint la bourgeoisie à aller plus loin sur la question sociale. « Robespierre et Danton, chacun à leur façon, veulent ; Marat hait. Marat n’appartient pas spécialement à la révolution française ; Marat est un type antérieur ; profond et terrible…
…Marat, c’est le vieux spectre immense. Si vous voulez savoir son vrai nom, criez dans l’abîme le mot Marrât, l’écho du fond de l’infini vous répondra «misère»— Marat n’est pas mort… il renaît dans l’homme qui n’a pas de travail, dans la femme qui n’a pas de pain, dans la fille qui se prostitue, dans l’enfant qui n’apprend pas à lire, il renaît dans les greniers de Rouen, il renaît dans les caves de Lille, il renaît dans le grenier sans feu, dans le grabat sans couverture, dans le chômage, dans le prolétariat, dans le lupanar, dans le bagne, dans vos codes qui sont sans pitié, dans vos écoles sans horizon… Que la société humaine y prenne garde, on ne tuera Marat qu’en tuant la misère ».

C’est la voix de Marat qu’Hugo a entendue dans la Commune. Celle de la révolte aveugle, sans programme contre l’Etat. Pas celle du prolétariat qui commence à se constituer en corps politique pour prendre en main le gouvernement de la société : la Commune réquisitionne les entreprises abandonnées par leurs patrons et elle les remet en fonctionnement dans un mode de coopératives ouvrières de production. Forme léguée du proudhonisme, certes, mais de fait elle touche à la propriété privée des moyens de production et met un pied dans la collectivisation.
[…] Aux yeux du républicain radicalisé qu’est Victor Hugo c’est une ligne jaune que, pour sa part, il ne peut pas franchir : il croit que par un développement harmonieux des forces productives, la République bourgeoise peut abolir la misère, développer le travail qualifié, engendrer une civilisation nouvelle. Il parle pour les misérables, « les barbares de la civilisation » certes, mais il ne croit pas que le prolétariat puisse se constituer en corps politique spécifique pour libérer la société humaine de l’exploitation et de l’aliénation. Il ne peut dénouer l’écheveau de « l’obscure question sociale ».

En 1879, alors qu’il est déjà affaibli par une première congestion célébrale, Hugo milite activement pour l’amnistie des Communards en compagnie du socialiste Louis Blanc. On sait moins qu’il engage son nom pour permettre la tenue du 3e Congrès ouvrier socialiste de France, à Marseille :  « C’est au moment précis où les guesdistes prennent la direction de l’organisation », note Robert Duguet à l’appui de l’appellation de « républicain radicalisé » qu’il accorde à l’écrivain. « Hugo, bien sûr, n’est pas un intellectuel organique du prolétariat. Toutefois 25 ans plus tard Jean Jaurès menait un combat acharné pour constituer le parti de l’unité socialiste : selon une formule célèbre du grand tribun « le prolétariat entre dans la définition de la République », dépassant l’horizon bourgeois et lui conférant une dimension socialiste et universelle. Le père Hugo se serait-il reconnu dans cette manière de situer le prolétariat dans la République ? »

Tout juste septuagénaire en effet, Victor Hugo assiste au rétablissement de la République en France et déjà il voit plus loin :

La question unique à cette heure, c’est le travail. La question politique est résolue[…]. La question sociale reste, elle est terrible, mais elle est symbole, c’est la question de ceux qui ont, et de ceux qui n’ont pas. Le travail, c’est la vie, la pensée, c’est la lumière.

Sans attendre les manifestations officielles d’idolâtrie dont la IIIe République a fait preuve à son endroit, le peuple ne s’y est pas trompé qui par deux fois a défilé dans les rue de Paris par centaines de milliers, à l’occasion de ses obsèques et par anticipation de son vivant, sous ses fenêtres, alors qu’il entre dans sa quatre-vingtième année, le 26 février 1881!



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