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  • Commune de 1871
  • lettre 973

Faire de l’histoire populaire

par Monique Vézinet

 

Heureuse nouvelle ! le collectif DAJA (Des Acteurs culturels Jusqu’aux chercheurs et aux Artistes – www.daja.fr) vient de lancer  un programme d’éducation populaire sur le web, animé par Gérard Noiriel. Une fois par mois, celui-ci présente et commente un événement évoqué dans son Histoire populaire de la France (voir plus loin) au cours d’une émission de moins d’une heure filmée de façon vivante (avec des images, des extraits) et mise en ligne sur YouTube. Des ouvrages sont également présentés pour faire mieux connaître des travaux ignorés par les grands médias. ReSPUBLICA compte relayer cette initiative et vous invite à la suivre sur https://www.youtube.com/channel/UCMIS0oYA8rW9hYe-D5Wf3vA (on peut s’abonner).
La première émission thématique mise en ligne est intitulée « Marx et la Commune de Paris. De la guerre des races à la lutte des classes ». Lien ici (42 mn).

Non seulement parce qu’elle donne l’exemple parfait de ce que la vidéo en ligne apporte à la palette des formes d’éducation populaire, non seulement parce que le sujet correspond aux commémorations d’actualité en 2021, non seulement parce qu’elle apporte des éclairages des plus intéressants sur l’ouvrage de Marx La guerre civile en France, mais encore parce qu’elle fait le lien avec de récents débats sur « race » et « classe » (en particulier l’article de F. Pierru dans ce journal et  le podcast de l’échange entre S. Beaud, G. Noiriel et F. Pierru)… nous pointerons quelques points saillants de cette émission.

Après avoir rappelé les « adresses » aux camarades de l’AIT à propos du dénouement de la guerre franco-prussienne, Noiriel souligne l’argumentation pacifiste de Marx, que reprendra Jaurès en 1914 : la classe ouvrière des différents pays a tout à perdre d’un conflit mû par les intérêts de la bourgeoisie. Pour éclairer le titre de cette émission, l’historien nous commente le passage suivant de La guerre civile en France (c’est lui qui souligne) :

« Si la fortune des armes, l’arrogance du succès et les intrigues dynastiques conduisent l’Allemagne à s’emparer de force d’une portion de territoire français, il ne lui restera alors que deux partis possibles. Ou bien elle devra, à tout risque, devenir l’instrument direct de l’expansion russe, ou bien, après un court répit, elle devra se prépa­rer à nouveau à une autre guerre « défensive », non pas une de ces guerres « localisées » d’invention récente, mais une guerre de races, une guerre contre les races latines et slaves coalisées. »

Noiriel rappelle que « races » désigne ici des peuples dotés d’une identité nationale et souligne le caractère prophétique de cette analyse de Marx  pour l’histoire du XXe siècle. Il remarque ensuite que Marx s’est davantage attaché au « gouvernement de la Commune » qu’à ses réalisations, que c’est là la source de la notion de « dictature du prolétariat » que Lénine amplifiera plus tard, mais aussi du clivage survenu dans l’AIT entre anarchistes et marxistes. L’écho des formes de démocratie apparues en 1871 se retrouvent au siècle suivant, de la Russie des soviets à la Révolution culturelle chinoise.

Le retentissement de la Commune de Paris se marque aussi en France dans les commémorations particulièrement fortes de 1936 et encore de 1981. Et la critique du suffrage universel accaparé par la bourgeoisie très présente dans La guerre civile en France, évoque pour Noiriel l’idée qu’il existe un savoir du citoyen, autre que celui de ses « représentants », idée réactualisée par le mouvement des gilets jaunes.

En conclusion, Noiriel pointe certaines limites de l’analyse de Marx, comme son oubli de la paysannerie. Et surtout de garder une conception de l’Etat comme appareil centralisé et répressif, sans anticiper l’intégration des classes populaires, la « nationalisation du pouvoir ouvrier » à laquelle ont conduit les luttes ouvrières et que des sociologues comme Weber développeront ultérieurement. Enfin bien sûr, pour l’analyse d’aujourd’hui, il y a un fossé entre ces ouvriers de la petite entreprise qu’étaient les Communards et les ouvriers de la grande industrie qui vont leur succéder.

Le livre auquel se réfère la série :

Une histoire populaire de la France. De la guerre de Cent Ans à nos jours.
Agone, 2e édition 2019, 832 pages, 28€.

Assumant le parallèle avec L’histoire populaire des Etats-Unis d’Howard Zinn, Gérard Noiriel définit ainsi son propos :

« Ce qui permet d’affirmer le caractère « populaire » de l’histoire de France, c’est le lien social, c’est-à-dire les relations qui se sont nouées au cours du temps entre des millions d’individus assujettis à un même État depuis le XVe siècle, et grâce auxquelles a pu se construire un « nous » Français. »

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Découvrir Howard Zinn à travers la bande dessinée…

par Rachel Haller

 

Lorsque l’on veut faire de l’histoire populaire, une référence s’impose : celle d’Howard Zinn et de son best-seller Une Histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours (publié en France chez Agone en 2002), vendu à plus de deux millions d’exemplaires dans le monde.
Cet ouvrage historique imposant a été adapté il y a quelques années en bande-dessinée, ce qui permet en quelques heures de lecture de découvrir l’œuvre et la vie du grand historien américain !

Sous le titre Une histoire populaire de l’Empire américain, la traduction en français de la bande-dessinée conçue par Paul Buhle est disponible aux éditions Vertige Graphic. En un peu moins de 300 pages, elle fait la lumière, à l’instar de l’ouvrage d’Howard Zinn, sur des zones d’ombres de l’histoire des États-Unis. Commençant avec le massacre d’Indiens de Wounded Knee en 1890, la bande-dessinée nous fait traverser d’autres épisodes tragiques belliqueux dans lesquels les États-Unis ont été impliqués (guerre hispano-américaine à Cuba, invasion des Philippines…) pendant tout le vingtième-siècle, jusqu’à la révolution iranienne. On y croise plusieurs figures du mouvement ouvrier et socialiste américain, tel Eugene Victor Debs, l’un des fondateurs du syndicat des Industrial Workers of the World, emprisonné pour avoir soutenu une grève des travailleurs de l’entreprise Pullman en 1894, puis en raison de son opposition à l’engagement des États-Unis dans la Première guerre mondiale.
Le récit consacre aussi plusieurs planches à la biographie d’Howard Zinn, en particulier à son engagement dans l’aviation durant la Seconde Guerre mondiale, une expérience qui a forgé ses convictions pacifistes. Dans les années 60, le professeur d’histoire s’est également engagé en faveur des droits civiques. La narration est très dense et il faut parfois s’accrocher un peu pour suivre des épisodes complexes résumés en quelques lignes, mais certains chiffres ou exemples cités pointent admirablement le doigt sur ce que Zinn voulait montrer : la manière dont la politique extérieure des États-Unis a été depuis plus de cent ans guidée par les intérêts économiques. Elle dévoile aussi très bien les moyens utilisés par les gouvernements en place pour essayer de contrer les mouvements sociaux, comme lors de la Guerre du Vietnam. Concernant le style graphique, le dessin de Mike Konopacki se mêle à des photographies historiques, un parti pris qui renforce la véracité et l’aspect tragiques des événements évoqués.
Pour avoir un bon aperçu de l’histoire racontée du côté des lapins (d’après la formule d’Howard Zinn « Tant que les lapins n’auront pas d’historien, l’histoire sera racontée par les chasseurs »), n’hésitez pas à vous procurer la bande-dessinée Une histoire populaire de l’empire américain !

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Actualités de l'Amérique latine

Pérou : second tour des élections présidentielles / Mexique : élections législatives-régionales et locales / Colombie : la révolte continue

par Lucho

 

Pérou : la gauche en tête au second tour de l’élection présidentielle

Après quatre jours de dépouillement, les résultats officiels n’étaient toujours pas proclamés. Le scrutin mettant aux prises Keiko Fujimori (à droite) et Pedro Castillo (à gauche) avait donné lieu à une bataille très serrée, mais alors que 99,20 % des bulletins avaient été dépouillés, Castillo pouvait tout de même revendiquer la victoire, avec 50,20 % des suffrages contre 49,80 % à Fujimori. 71000 votes séparaient les deux candidats
C’est un résultat qui confirme d’ailleurs le sondage sorti des urnes réalisé par IPSOS, lequel donnait Pedro Castillo vainqueur de cette élection. Le retard dans la proclamation des résultats s’explique essentiellement par la difficulté d’acheminer les bulletins depuis des zones rurales très reculées.


Keiko Fujimori va très probablement contester la victoire de Castillo. Elle a d’ailleurs déjà tenté de le faire lorsque Pedro Castillo a pris la tête dans le décompte des voix. Le président du JNE (jury national des élections) Jorge Salas Arenas a cependant précisé que d’éventuels cas isolés d’irrégularités ne pouvaient être assimilés à la fraude organisée que dénonçait Keiko Fujimori.
Cette élection représente la victoire de tous ceux qui n’avaient jusqu’ici qu’un seul droit : celui de se taire. Les oubliés qui vivent dans les campagnes et les endroits les plus reculés et les plus défavorisés se sont retrouvés dans la personne de Pedro Castillo, un instituteur militant et probe, animé par une volonté de rendre son pays plus égalitaire.
La tâche s’annonce cependant ardue : il a contre lui les élites, nationales et internationales ; les médias, nationaux et internationaux ; le pouvoir économique, national et international. Il ne dispose pas de majorité au parlement, lequel jouit de prérogatives importantes, notamment celle de destituer le président de la République (ce qui est déjà arrivé au président Pedro Kuczynski (élu en 2016, destitué en 2018) et à son successeur Martin Vizcarra (nommé en 2018 par le parlement, destitué en 2020).
Il ne reste à Castillo qu’une mince marge de manœuvre : provoquer un référendum pour mettre en place une assemblée constituante, ce qui lui permettrait de reformer la constitution, sans quoi le pouvoir économique et politique international ne le laissera pas gouverner…
C’est tout simplement désespérant pour un militant européen de voir et d’entendre les partis politiques espagnols de droite (Parti Popular) ou d’extrême droite (Vox) intervenir dans les affaires internes du Pérou avec une telle véhémence contre le candidat Castillo, et cela alors même que les résultats ne sont pas encore proclamés. À ce niveau-là, ce n’est même plus de l’ingérence : c’est de la propagande diffamatoire !
Pedro Castillo est cerné avant même d’être déclaré vainqueur. La droite et le néo libéralisme battus dans les urnes mettront tout leur poids, au Pérou ou de l’extérieur, pour lui rendre la vie impossible.

 

MEXIQUE : élection législatives, régionales et municipales

C’est en juillet 2018 que Manuel Lopez Obrador est devenu président de la République du Mexique, à l’issue d’une troisième tentative sous les couleurs du PRD (parti de la révolution démocratique). Il avait en effet été battu en 2006 par Vicente Fox (PAN), puis en 2012 par Enrique Pena Nieto (PRI). Si les deux scrutins n’avaient été entachés d’énormes irrégularités, Lopez Obrador aurait peut-être pu arriver à la tête de son pays dès 2006.
Après deux ans et demi de mandat, il jouit encore d’une popularité de 60 % dans les sondages d’opinion. Dans les trois élections du 6 juin dernier (législatives, régionales et municipales), son parti faisait face à un front uni contre lui : les partis de ses ex-rivaux à la présidence, le PAN, le PRI et le PRD (son ancien parti) avaient décidé de se rapprocher pour tenter de lui ravir la majorité au parlement. Et pour surtout l’empêcher de continuer à légiférer avec la majorité qualifiée des deux tiers – et donc de pouvoir toucher à la constitution. La consigne était claire : tous sauf Obrador.
Pourtant, le parti de Lopez Obrador « Morena » et ses alliés (le parti des travailleurs et les Verts) obtiennent tout de même la majorité avec 45 % des voix à l’Assemblée nationale contre 41 % à la coalition de l’opposition soit 280 députés contre 220 (en 2018 les députés de Morena obtenaient avec leurs alliés 307 sièges).
Le président perd la majorité des deux tiers, qui lui aurait permis de poursuivre les grandes réformes de fond dans le pays. L’opposition ne peut que s’en réjouir !

Élection des gouverneurs : 15 des 32 postes étaient à renouveler. Morena et ses alliés arrivent en tête dans 11 des entités fédérales.

Élections municipales : les résultats de villes significatives montrent que Morena et ses alliés ne perdent pas de terrain.

Quelques réflexions sur les circonstances de ces élections : elles se sont déroulées, comme au Pérou ou au Chili, en pleine pandémie, dont, comme les autres pays de la zone, le Mexique a souffert énormément (bilan de 230 000 morts) et est encore loin se libérer. La participation a pourtant été tout à fait honorable avec 52,5 % de votants.
Le coronavirus s’est ajouté à un autre fléau, jusqu’à présent incurable : la violence meurtrière des narco-trafiquants qui éliminent tous ceux qui se trouvent sur leur chemin. 32 candidats ont été assassinés depuis le début de la campagne électorale, et deux têtes humaines déposées dans deux bureaux de vote le jour du scrutin. Les narcotrafiquants représentent une puissance financière et pour ainsi dire militaire, qui tous les jours dispute son territoire à l’État de droit. C’est aussi cela le Mexique !
Plusieurs enseignements résultent de ce scrutin :
– Le bilan social de Lopez Obrador : en deux ans et demi, il a obtenu en faveur des classes les plus défavorisées d’importantes avancées sociales, qui ont permis aux plus humbles de relever la tête : l’augmentation des pensions, du salaire minimum, la baisse de l’âge de la retraite, la législation pour restreindre les statuts de travail précaire au profit d’embauche des personnels…
– La révolte des classes privilégiées a été à la hauteur de la colère qu’a suscitée cette politique envers les plus démunis. De fait Obrador s’est heurté de plein fouet à la mobilisation de la bourgeoisie, qui a fourni autant de voix pour les adversaires du parti d’Obrador « Morena ».
– L’ingérence extérieure : tout proches géographiquement, les États-Unis ne se sont pas privés, par l’intermédiaire de leur cheval de Troie l’USAID et la NED, de financer des ONG mexicaines pour déstabiliser le pouvoir en place. C’est ainsi que, par exemple, l’organisation MCCI « Organisation Mexicaine contre la corruption et l’impunité » a enquêté sur la corruption politique, en ciblant de préférence le parti « Morena » … Lopez Obrador n’a pas manqué de dénoncer cette ingérence des États-Unis dans une note diplomatique envoyée à Washington. Mais cette armée de « petits bras » s’est alliée aux médias internationaux néo-libéraux qui se sont invités dans la campagne, comme par exemple le très « indépendant » The Economist. Cet hebdomadaire anglais au service de l’argent appelait ainsi les Mexicains « à ne surtout pas voter pour Obrador », qualifié de « danger pour la démocratie mexicaine ». Au contraire, « les votants de chaque localité » devaient « appuyer le parti de l’opposition le mieux placé ».
La tâche est rude pour Manuel Lopez Obrador, qui doit préserver son pays de l’ingérence permanente du voisin du nord et tenter de faire vivre la démocratie dans un pays ravagé par des cartels d’une légendaire violence.

Colombie : après un mois de conflit

Les observateurs colombiens, politiques, médias, analystes en tous genres n’auraient pas donné cher de la mobilisation du 27 avril qui se profilait : « encore un de ces rassemblements qui ne servaient à rien et ne seraient pas suivis », « un nouvel échec en perspective » ! Comment peut-on être à ce point coupé des réalités de son pays pour ne pas avoir senti ce qui, au contraire, se dessinait depuis des années : une révolte forte, massive, spontanée, et qui venait pourtant du plus profond de la société colombienne.
Car le « Paro » (grève) se poursuit en ce début juin, dans toutes les villes mais aussi les zones rurales du pays. Ce mouvement, déclenché en réponse à de nouvelles mesures fiscales (voir notre précédent article) a surpris par sa vitalité et par la diversité de ceux qui l’incarnaient (jeunes, mais aussi classes moyennes, universitaires, chômeurs, habitants de quartiers populaires, mouvements indigènes…) un pouvoir habitué à mater toute tentative de rébellion par la force.


Car c’est ainsi que le pouvoir réagit, depuis plus de 40 ans. En 1977, lors du « Paro civico » (grève dite « civique »), des dizaines de colombiens avaient ainsi été tués lors de manifestations qui s’étaient levées dans le pays, déjà à l’époque contre des mesures antisociales. C’est depuis une pratique courante, une méthode de gouvernement : frapper sans discuter.
Comme cela a été le cas plus récemment, en septembre 2002, avec l’opération Orion : un quartier de Medellin où se trouvaient les milices urbaines des guérillas de l’ELN et des FARC était investi par les militaires, la police et les paramilitaires. Bilan : des dizaines de personnes tuées, d’autres torturées et environ une centaine disparues.
Le président en exercice s’appelait alors Alvaro Uribe et sa ministre de la défense Marta Lucia Ramirez, aujourd’hui vice-présidente de la République, et héritière, comme l’actuelle président Ivan Duque, de l’ex et très contesté Uribe.
Marta Lucia Ramirez n’a donc pas de difficulté à reproduire le modèle répressif utilisé en 2002 pour mater les manifestants de 2021. Elle en a l’expérience et jouit aujourd’hui encore du plein appui des États-Unis dont elle vient d’aller quérir le soutien.
Le secrétaire d’Entât Antony Blinken le lui a accordé sans hésiter, en assénant : « l’alliance entre les États-Unis et la Colombie est absolument vitale ». L’Union européenne, fidèle à elle-même, n’a rien trouvé à dire, puisque les États-Unis parlent en son nom ! Les droits de l’homme, les sanctions infligées aux dictatures, c’est pour les autres, pas pour la Colombie ! Le pays est pourtant le premier producteur de cocaïne, grand spécialiste du trafic qui en résulte, et compte le plus grand nombre de leaders sociaux et défenseurs des droits de l’homme assassinés chaque année (en moyenne 300).
Depuis le début des manifestations, l’armée a été déployée, sous le prétexte de combattre cette fois non pas les guérillas des Farc ou de l’ELN, mais les manifestants « narco–terroristes » ou autres « agents du Vénézuélien Maduro ». Résultats des affrontements : le nombre de morts dépasse aujourd’hui la soixantaine, on compte 67 éborgnés, 300 disparus, sans compter les viols commis contre les manifestantes (27). Mais la détermination de la rue ne baisse pas au contraire.
Car la Colombie, comme le Chili, le Paraguay ou d’autres pays d’Amérique latine, subit depuis des années des pouvoirs autoritaires qui utilisent la répression pour soi-disant « prévenir la menace socialiste ». Ce qui les rend bien aimables aux oreilles de Washington, version Trump ou version Biden, ou à celles d’une Europe de plus en plus conservatrice. Or pour l’instant, rien n’arrête ce mouvement jeune, militant et festif. Les rassemblements populaires de tous les jours donnent une image souvent joyeuse de la contestation sociale : des spectacles sont improvisés dans la rue et théâtre, musique ou chants témoignent de la jeunesse et de la créativité des participants.
Ce mouvement social semble solide. Il faut dire qu’il prend ses racines dans les cinquante dernières années de répression sourde d’un appareil d’État lourdement armé et secondé par des paramilitaires. Le système mis en place par le pouvoir politico-économique colombien s’est perpétué jusqu’à aujourd’hui, et sa finalité est la même : barrage au socialisme. La différence, c’est que les Colombiens viennent dire non à ce système, viennent en masse et viennent de tous les horizons. Ils veulent négocier et cesser d’obéir sans discuter. Cette Colombie réveillée et combative ressemble de plus en plus au Chili, où la constitution de Pinochet va bientôt être réformée (voir notre précédent article).
Tout militant doit le savoir et le faire savoir : c’est un combat des Colombiens pour une société plus juste qui ne peut que nous toucher. D’autant que les autorités colombiennes depuis des décennies jouissent à travers le monde d’une « aura » injustifiée : tout leur est excusé, alors qu’il s’agit ni plus ni moins d’un pouvoir autoritaire et répressif, considéré par les États-Unis de Trump (et son successeur ne l’a pas démenti), comme le plus fidèle allié de Washington sur le continent. C’était le cas en son temps du Chili de Pinochet…

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Encore plus ! Enquête sur ces privilégiés qui n’en ont jamais assez, par L. Maurin

par Zohra Ramdane

 

Ce livre est à lire. Pourquoi ? L’intérêt majeur de l’ouvrage écrit par Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, et publié chez Plon, est d’avoir une vue d’ensemble sur la société et sur les inégalités de toutes natures existant en France.

Cela nous change de la focalisation des médias sur une seule inégalité quelle qu’elle soit, ce qui ne peut permettre de comprendre le réel. Comprendre le réel demande d’avoir une vue suffisamment globale. Et la lecture de ce livre nous y aide.

Un  autre  intérêt est  la  critique  claire  des  différentes  pensées  magiques qui polluent  le débat  démocratique  à gauche : la fin du travail alors  que le nombre d’emplois a  progressé d’un million entre 2009 et 2019, le revenu universel inconditionnel, la  simplification  politique des  « 99 % contre le 1 % », les exagération des faits hors du réel,  « l’égalité des chances » et « l’égalité des opportunités »  qui aboutissent à une « soumission déguisée » et non au combat social pour l’égalité, l’association du libéralisme culturel et du libéralisme économique, l’idée que l’intérêt individuel conduirait au bien commun, et d’une façon générale tout ce qui propose de tout changer pour que rien ne change…

Pour commencer cette recension par ce que nous estimons être les points forts du livre, aidant à la compréhension du réel, relevons une analyse brillante pour fustiger le primat de la seule critique des ultra riches (1 %) transformés en boucs émissaires pour masquer la réalité de la grande bourgeoisie aisée (20 %) qui est l’élément déterminant correspondant à l’encadrement médiatique, professionnel, intellectuel indispensable à l’oligarchie pour se maintenir – et qui n’a rien à voir avec les couches moyennes intermédiaires. Dit autrement, cette vision du 99 % contre le 1 % correspond à la sociodicée (justification morale des privilèges) souhaitée par ces mêmes 20 %, qui gagnent ce faisant une bataille culturelle pour faire croire que tout est la faute de l’étage du dessus !

Pour répondre à la gauche identitaire (dont il est question dans le livre, mais sans la nommer comme nous le faisons), on apprend par exemple  que les cadres sont 30 fois plus présents que les ouvriers dans les émissions de télévision. Ce qui rejoint les travaux des chercheurs Beaud et Noiriel dont ReSPUBLICA a abondamment parlé. Mais cela ne gêne pas la gauche identitaire qui surdétermine sa vision uniquement à partir des minorités visibles ou du genre. Et nous apprécions le propos d’Eva Illouz rapporté dans par Maurin : « les toilettes transgenres ou le langage ‘’inclusif ‘’ ne sont pas perçus comme des sujets susceptibles d’améliorer les conditions de vie d’un grand nombre de citoyens, quelle que soit l’importance symbolique indéniable de ces causes ».

Quant aux raisons de la trahison des élites, le livre reprend les positions du socio-historien Gérard Noiriel à savoir qu’ « il y a un mouvement …profond au sein des classes favorisées, qui repose sur des évolutions idéologiques mais aussi économiques et sociales de la France contemporaine » et que « le déclin du mouvement ouvrier a entraîné également une marginalisation complète de porte-parole issus des classes populaires ». Il montre la responsabilité des dirigeants du PS d’avoir organisé la rupture avec le peuple en reprenant la proposition de Terra Nova de ne rassembler que sur un bloc regroupant les diplômés, les jeunes, les femmes, les minorités et les quartiers populaires. Pire, « au nom de la « modernité » la bourgeoisie culturelle revendique la précarité et le travail à la tâche (sous couvert de la célébration de la « révolution numérique ») pour les autres, moins qualifiés…

Force est de donner raison à l’auteur quand il montre le mépris de classe des groupes favorisés,  déjà noté par Pierre Bourdieu : « L’aversion pour les styles de vie différents est sans doute une des plus fortes barrières entre les classes »… « Tout en consommant bien plus que les classes populaires, une partie de la bourgeoisie intellectuelle prône la décroissance, la frugalité et la simplicité volontaire » !

Louis Maurin a raison encore de montrer qu’en classe de 3e le taux d’obésité est trois fois plus fort chez les enfants d’ouvriers que chez les enfants des cadres supérieurs. Et de développer les inégalités sociales de logement ou l’augmentation de la pauvreté en France, particulièrement en zone urbaine. Ou encore de montrer que l’écart se creuse à l’école où « l’âge de sortie des moins bien lotis a augmenté de 1,5 années mais s’est accru de 3,5 années pour les 10 % les mieux lotis ». Ou encore quand il renvoie à une étude de l’Insee sur la dévalorisation du baccalauréat montrant que, relativement à la moyenne des diplômes,  le bac 2018 est l’équivalent du brevet de 1982. Ou encore sur le fait que déjà en CE2 le quart des élèves les moins favorisés obtient des notes respectivement de 58 sur 100 en maîtrise du français et de 57  en mathématiques contre 87 et 85 pour le quart issu des familles les plus favorisées. À lire cela, soit on préférera le système finlandais de l’apprentissage plus tardif de la lecture et de l’écriture, soit il faut refonder les premiers cycles ! On lira avec intérêt aussi que les deux tiers des diplômés ont accès à la formation professionnelle contre 15 % aux non-diplômés.

On lira aussi avec intérêt l’encadré intitulé « Inégaux à la retraite » ou encore « Des femmes soumises aussi à la maison ».

Et nous partageons l’idée que ce ne sont pas les milieux populaires qui ont « abandonné la gauche, c’est la gauche qui les a laissés tomber ».

 

Par contre, nous regrettons que l’auteur caractérise la réalité sociale par trois ensembles : les 20 % aux revenus les plus hauts, les 30 % aux revenus les plus faibles et les 50 % qui sont appelées « classes moyennes ». Cette subdivision, nous la contestons. Plutôt d’accord sur l’ensemble des 20 % les plus aisés, nous disons que les deux autres subdivisions masquent la classe populaire ouvrière et employée qui recouvre près de la moitié de la population ; de plus, elle néglige le sous-prolétariat des précaires et chômeurs pauvres ; enfin elle ne montre pas l’effet de déclassement d’une partie des couches moyennes pourtant analysé dans «  Fin de partie pour les classes moyennes » ou dans « La société des déclassés » ou dans l’affirmation « L’ascenseur social fonctionne toujours, mais le plus souvent qu’auparavant en mode descendant ».

Nous pensons que l’effacement de la division en classes nuit à la compréhension de ce qui se passe aujourd’hui. D’autant que ce que nous écrivons là se résume par la dernière phrase du livre ou reprenant Orwell, l’auteur appelant à articuler justice et liberté et à « montrer, sans ambiguïté aucune, où passe la ligne qui sépare les exploiteurs et les exploités ».

Cela dit, nous partageons avec l’auteur le souhait que l’Insee travaille à moderniser sa catégorisation sociale.

Autre réserve : dans la partie intitulé « Insécurité sociale » et plus loin dans celle intitulée « Renforcer les services publics », nous regrettons qu’aucune mention ne soit faite aux travaux de refondation de la Sécurité sociale, avec la perspective par exemple d’un nouveau statut du travailleur salarié et d’une sécurité sociale professionnelle qui permette d’ouvrir un espoir et un avenir.

Enfin, si l’auteur appelle à « aplatir les hiérarchies », il ne semble pas porter la voie du processus d’entrée de la démocratie dans l’entreprise.

Conclusion : il faut lire ce livre et revenir en débattre avec nous !

Brèves
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La campagne de financement participatif pour ReSPUBLICA continue sur KissKissBankBank

par ReSPUBLICA

 

Dans le dernier numéro de ReSPUBLICA, nous avons annoncé le lancement d’une campagne de financement participatif pour rénover le site du journal.

Après un peu plus de dix jours de collecte, presque 50 % de l’objectif visé a été atteint ! Nous remercions nos premiers donateurs et soutiens pour ce début très encourageant. Nous avons besoin de vous pour continuer sur cette lancée et atteindre l’objectif fixé, voire le dépasser !

N’hésitez pas à relayer l’information autour de vous et à nous soutenir sur KissKissBankBank pour que cette campagne soit un succès !

 

Courrier des lecteurs
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A propos de la police et du pouvoir

par ReSPUBLICA

 

« Malgré les drames récents, on compte 2,5 fois moins de policiers morts en mission qu’il y a 40 ans », titre le 1er juin  Le Monde   » qui précise : « Plusieurs morts tragiques ont suscité l’émoi des forces de l’ordre. Pourtant, à rebours des discours sécuritaires, les policiers sont aujourd’hui mieux protégés et les morts violentes ont diminué en nombre ».

Il est évident, pour qui fait l’effort de se pencher sur l’histoire de la criminalité sur un siècle, que l’époque récente est plus sûre. Les ouvrages ne manquent pas, mais voilà, on se heurte à deux obstacles. Quand les difficultés économiques, et sociales se dégradent, il est plus facile de trouver des boucs émissaires à son angoisse, actuellement, les immigrés, et des solutions récurrentes : peine de mort, bagnes, travaux forcés et pourquoi pas colonies pénitenciaires de triste mémoire, comme celle de Mettray ( » la chasse à l’enfant  » de Prévert).

Pour le pouvoir, il s’agit de jouer sur ce sentiment de fragilité, lié à la paupérisation pour justifier, mesures liberticides et recours systématique à la police, qu’on flatte, alors qu’ en réalité, il l’ a toujours méprisée, comme en témoigne le peu de cas de ses revendications sur ses conditions de travail (attitude qui est la sienne pour tout le service public : enseignants, soignants…)

D’ailleurs cet instrumentalisation d’une police à vocation républicaine par un pouvoir aux abois, fait suite à sa tentative de créer, comme le fit Napoléon III, un système d’hommes de main (ceux de la société du Dix décembre, lire Marx La lutte des classes en France), avec Benalla qui commandait à des officiers supérieurs de la police.

Jean Estivill



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