Chronique d'Evariste
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Jean-Luc Mélenchon portera les couleurs du Front de Gauche

par Évariste
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Après les autres composantes du Front de Gauche, c’est au tour du PCF de désigner Jean-Luc Mélenchon comme candidat pour les présidentielles 2012.
Ainsi en a décidé le Parti communiste. Souhaitée par la direction nationale du PC, la candidature de Jean-Luc Mélenchon a été adoubée à 75 % par le Conseil national (plus de 100 personnes), puis à 63 % par la conférence nationale (plus de 600 personnes) et enfin à 59,12 % par les adhérents du PCF.

Avec 69 227 inscrits et 48 631 votants (soit 70,25 % de participation), il y a eu 842 bulletins blancs ou nuls (soit 1,73 %). Sur les 47 789 suffrages exprimés, Jean-Luc Mélenchon, député européen et co-président du Parti de gauche a obtenu 28 251 voix (soit 59,12 %) contre 17 594 voix (soit 36,82 %) pour André Chassaigne, député du Puy-de-Dôme, ancien président de l’ANECR (Association des élus communistes) et partisan du Front de Gauche et 1 944 voix (soit 4,07 %) pour Emmanuel Dang Tran (hostile au Front de Gauche).

Il conviendra sans doute au candidat choisi de tenir compte du fait que plus de 40 % du plus important parti du Front de Gauche préférait un autre candidat. La direction nationale du PCF n’avait pourtant pas ménagé ses efforts pour obtenir ce résultat allant jusqu’à faire en sorte que sur le document d’envoi aux fédérations, le cartouche portant le choix numéro 1 de Jean-Luc Mélenchon était beaucoup plus grand que celui dévolu au choix numéro 2, André Chassaigne !

Cette désignation du candidat du Front de Gauche va permettre à ce rassemblement de commencer sa campagne électorale alors que la plupart des candidats de gauche et de droite ne sont pas encore connus. Se déclarant candidat de la rupture avec les politiques néolibérales et porteur d’un projet politique se référant au modèle laïque de la république sociale, il va donc tenter de rassembler une partie significative du Non de gauche au Traité constitutionnel européen (le non de gauche représentait 31,3 % de l’électorat sur les 55 % du non du 29 mai 2005).

Tout d’abord, convenons que pour les républicains de gauche que nous sommes, c’est la première fois depuis longtemps que cette sensibilité sera présente lors de l’élection présidentielle. Et après la candidature de Jean-Pierre Chevènement, en 2002, qui n’était pas une candidature républicaine de gauche du fait de sa stratégie d’alliance dite des « républicains des deux rives »1, c’est une bonne nouvelle !

Ensuite, Jean-Luc Mélenchon est un candidat de rassemblement qui a milité pour le non de gauche. Ceci est d’importance, car aucune politique républicaine n’est possible dans le carcan néolibéral du Traité de Lisbonne. Bien sûr, Arnaud Montebourg, candidat à la primaire socialiste, a aussi milité pour le Non de gauche et a donc aussi notre sympathie, mais malheureusement pour lui, il n’a pas le soutien de toute la gauche du PS : Benoît Hamon et Henri Emmanuelli ont préféré soutenir Martine Aubry, candidate du oui de gauche, artisan avec Lionel Jospin et Dominique Strauss-Kahn de la baisse des salaires de millions d’ouvriers et d’employés avec la deuxième loi sur les 35 heures et l’une des responsables de la montée du refus de soins pour cause financière chez les couches populaires (de 17à 23 % suivant les études) à cause du bas plafond de la CMU qui a placé de nombreux ouvriers et employés sans complémentaire santé dans un moment de recul des prises en charge de la Sécu.

Enfin, Jean-Luc Mélenchon développe une posture de rupture par rapport à la droite et à l’extrême droite sans se complaire dans le conformisme néolibéral d’une bonne partie du PS.
Bien sûr, certains mettent en avant que Jean-Luc Mélenchon a déclaré que le traité de Maastricht était « un compromis de gauche »2, qu’il a été d’une mansuétude incroyable avec le gouvernement Jospin qui a le plus privatisé et qu’il n’a jamais émis des critiques fortes sur les années néolibérales de François Mitterrand.
Et bien, nous pensons que nous ne pouvons pas tenir rigueur toute une vie des erreurs du passé. Tout le monde peut évoluer, c’est le propre de la condition humaine.
Ce qui compte aujourd’hui, c’est sa position dans la bataille de la présidentielle de 2012.

Face à la droite néolibérale, il sera sans doute, par son positionnement, le candidat le plus crédible pour parler aux couches populaires (ouvriers et employés, représentant 53 % de la population française) qui aujourd’hui choisissent d’abord l’abstention et secondairement le vote nauséabond du Front National. Il sera le seul candidat de rassemblement alors que les autres candidats de l’extrême gauche sont pour le repli sur soi. Il sera donc le plus crédible des antilibéraux.

Bien évidemment, autant nous pensons que dans les institutions actuelles, l’élection présidentielle est d’importance (trop à notre goût) autant nous pensons que nous devons marcher sur nos deux jambes : participer à la campagne de l’élection présidentielle, mais aussi développer les fronts de résistance et l’éducation populaire tournée vers l’action.

Reprenons alors une idée de Jean-Luc Melenchon : allier la bataille des urnes avec celle d’une société mobilisée !

  1. Le Pôle républicain comptait 3 députés pasquaïens dont un monarchiste déclaré, et avait tenté une approche avec de Villiers []
  2. Jean-Luc Mélenchon le 9 juin 1992 noté au Journal officiel sur ce qu’allait devenir l’euro: “Demain, avec la monnaie unique, cette monnaie unique de premier vendeur, premier acheteur, premier producteur, représentant la première masse monétaire du monde, l’Europe sera aussi porteuse d civilisation, de culture, de réseaux de solidarité,Demain, avec la monnaie unique, cette monnaie unique de premier vendeur, premier acheteur, premier producteur, représentant la première masse monétaire du monde, l’Europe sera aussi porteuse de civilisation, de culture, de réseaux de solidarité…” []
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Jean-Luc Mélenchon : « Notre objectif sera de montrer que le peuple peut reprendre le pouvoir »

 

Jean-Luc Mélenchon, investi candidat du Front de gauche, estime qu’en prenant une décision exceptionnelle, le PCF est « fidèle aux seuls intérêts du peuple ».

Vous souhaitiez un vote « franc » 
en votre faveur. Avec près de 60 % des voix, êtes-vous satisfait ?

Jean-Luc Mélenchon. Je vis pleinement l’honneur qui m’est fait et le poids de la tâche qui 
est dorénavant la mienne. 
Je mesure surtout l’importance du moment. Les communistes viennent de prendre une décision exceptionnelle. Elle répond à la situation exceptionnelle que nous vivons. À gauche, nous avons le devoir de sortir de nos routines pour ouvrir au plus vite un chemin progressiste dans la catastrophe que répand le capitalisme. 
Les communistes ont su le faire. Cela démontre au passage à tous les sceptiques qu’un parti politique peut être fidèle aux seuls intérêts du peuple.

Comment, avec votre candidature, l’ensemble des partenaires, actuels et à venir, du Front de gauche vont-ils s’inscrire dans la campagne présidentielle et législative ?

Jean-Luc Mélenchon. Comme ils 
le souhaitent ! Nous sommes 
à la fois unis et divers. Dans notre rassemblement, chacun reste lui-même et apporte ce qu’il a de meilleur. Mon modèle est la campagne de 2005 (sur le traité constitutionnel européen – NDLR). Pas seulement parce que nous avons gagné. Mais aussi parce que, cette année-là, nous avons inventé un type de campagne radicalement collectif, fondé sur l’implication du peuple et l’imagination de chacun.

Vous vous référez volontiers 
à votre livre et ses cinq chapitres programmatiques. Le « programme partagé » du Front de gauche, 
qui vient d’être élaboré, sera-t-il celui du candidat que vous êtes devenu ?

Jean-Luc Mélenchon. Je suis le candidat du Front de gauche, de ses militants et de son programme. Ce n’est pas difficile car nous l’avons écrit ensemble ! Je m’y suis personnellement beaucoup impliqué. Mes convictions s’y retrouvent assez largement pour que je ne sois jamais embarrassé et plutôt enthousiaste. Et pour le reste, je suis comme tout le monde, j’ajouterais et je retrancherais volontiers ici ou là.

À la veille des congés d’été, quelle sera votre campagne sur le terrain ?

Jean-Luc Mélenchon. Mon premier déplacement sera dans les Bouches-du-Rhône, auprès de travailleurs de Fralib, qui veulent reprendre en coopérative leur usine menacée de délocalisation. Leur action résume bien ce que porte le Front de gauche. En se mobilisant et en dépassant les limites étroites de la propriété capitaliste, ces salariés défendent l’intérêt général contre les logiques financières. Ensuite, le 29 juin, à Paris, place Stalingrad, ce sera notre premier meeting de campagne et d’appel au rassemblement. Tous ceux qui le souhaitent pourront investir ce soir-là une place publique, comme le font les peuples arabes ou les Indignés en Espagne et en Grèce. C’est un symbole car nous pensons qu’en France aussi il nous faut une révolution citoyenne.

Face à Sarkozy, que porte d’original 
à gauche le Front de gauche ?

Jean-Luc Mélenchon. Il est le seul 
à porter l’ambition de regrouper une majorité pour gouverner la France sur un programme de radicalité concrète, sociale, écologique et républicaine. Il est le seul à appeler à une implication populaire forte à travers des assemblées citoyennes. Et il s’en donne les moyens : le Front de gauche incarne l’unité, comme va le confirmer dans les jours 
à venir son élargissement à plusieurs mouvements politiques.

Le Front de gauche peut-il forcer 
le passage face au vote utile qui 
se profile ?

Jean-Luc Mélenchon. C’est tout l’enjeu de la bataille. Personne ne peut en prédire l’issue. Nos idées sont en phase avec l’exaspération sans précédent que provoque 
la mise en coupe réglée des sociétés par les intérêts financiers. Dans la campagne, notre objectif sera de montrer que le peuple peut reprendre le pouvoir que l’oligarchie lui a confisqué. Si nous y parvenons, tout est possible. Nous sommes le vote utile pour le grand nombre. Les autres votes sont des votes de résignation 
ou d’accompagnement de
la crise en cours.

Le débat est ouvert au sein du Front de gauche pour qu’il trouve sa voie dans son élargissement. 
Quelle est votre opinion ?

Jean-Luc Mélenchon. Cet élargissement est en train de se réaliser avec l’entrée de nouvelles organisations. J’invite maintenant tous ceux qui nous regardaient avec intérêt, mais hésitaient en se demandant si nous étions capables de continuer ensemble 
à franchir le pas, à venir participer à notre campagne. Surtout, j’appelle chaque personne 
qui se sent concernée par notre action à s’y impliquer elle-même 
à son rythme et avec ses méthodes. 
Face aux millions d’euros que 
les autres vont mobiliser pour
faire campagne, notre grande force est celle qui vient du terrain, 
c’est notre nombre, notre 
savoir-faire, notre intimité 
avec notre peuple.

Entretien réalisé par Mina Kaci

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Dans quelle crise sommes-nous ? (3)

par Philippe Hervé

 

« La crise c’est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître »,
Antonio Gramsci

Comme chaque année au moins de juin, nous reprenons la plume pour tenter d’analyser une crise unique dans l’histoire du capitalisme. Une crise qui poursuit son évolution inéluctable en direction de la fin de l’ère du monopolisme financier et bancaire. La banque moderne, née en Italie au tournant des années 1500, est devenue le cœur du système. Rien ne lui échappe et les diverses autonomies économiques ou politiques ont progressivement disparu. Point d’orgue de ce processus : la globalisation achevée après la fin du bloc de l’est en 1989. Au sein de notre courant politique, depuis 1997, nous caractérisons cette période par le concept de « turbo capitalisme ».
Or, depuis l’été 2007, le cœur du système est touché par une gigantesque thrombose. La crise de la dette s’est muée en crise définitive du mode de production du capitalisme financier.
Car, comme nous l’envisagions dans les premier et second épisodes de cette chronique1 , il s’agit bien d’une crise systémique, c’est-à-dire que les vaines mesures prises pour en sortir renforcent son accélération. Dans le premier article, nous avions développé l’hypothèse d’un pli historique ouvert au 16ème siècle et se ferme, mettant un terme à la « bancarisation » du système, en particulier par l’émergence d’une crise générale de la valeur et de sa définition. Dans le deuxième article, nous décrivions la fuite en avant, une sorte de gigantesque « cavalerie », qui se caractérisait par un dérèglement monétaire global, avec l’injection massive de liquidités, et conduisant ipso facto vers une hyper inflation.

Une difficulté de plus en plus accentuée de transformation de la Valeur en Prix

A la relecture, notre diagnostic est globalement validé. Et les débats sur l’analogie avec la crise des années 1930 semblent aujourd’hui d’une autre époque, les Keynésiens ayant raccroché les gants. Loin d’être une crise d’adaptation du capitalisme comme en 1929, caractérisée par un manque de liquidités, il s’agit au contraire d’une crise de débordement de création monétaire. C’est en fait l’expression d’une difficulté de plus en plus accentuée de transformation de la Valeur en Prix. Le système monopoliste révèle sa faiblesse et sa limite historique. Et chaque nouvelle émission de monnaie par le Trésor américain ou par la Banque centrale européenne, en accordant des prêts aux nombreux pays européens en faillite, a pour objet de sauver le système monopoliste qui capte cette richesse en empêchant sa banqueroute. Car c’est justement ce monopolisme qui subit une crise globale de rentabilité, irrémédiablement frappé par une baisse brutale du taux de profit. Prenons un exemple : privatiser les ports ou des îles grecs et confier leurs gestions aux monopoles financiers ne fera que renforcer la crise de ce pays, car ces « kombinats financiers » sont structurellement déficitaires et parasitaires, leurs effondrements de 2007-2008 en est la démonstration.

Tous les éléments réunis pour une nouvelle explosion financière

Alors quelles lignes de force pouvons-nous tenter de définir pour les douze mois qui viennent ? Sans oublier le célèbre adage : « Qui prévoit l’avenir se trompe toujours ! », essayons-nous tout de même à quelques hypothèses.

Pour juin 2011- juin 2012, les maîtres mots seront : crise monétaire globale, dislocation politique et tentative de survie à tout prix du monopolisme.

Il semble bien, hélas, que tous les éléments soient réunis pour une nouvelle explosion financière mais surtout monétaire au deuxième semestre 2011 ou au début de l’an prochain. La gigantesque dette bancaire privée est passée aux Etats qui se retrouvent au bord du gouffre comme cela était prévisible. Qui dit État dit monnaie. C’est ici qu’aura lieu le choc.
Cette fusion explosive aura donc pour catalyseur le système monétaire international ou plutôt le chaos monétaire qui règne sur la planète et qui s’est encore aggravé depuis la catastrophe qui a frappé le Japon en mars dernier. Plus conjoncturellement, le détonateur sera l’incapacité de l’Europe ou des Etats-Unis à faire face à l’exigence de réduction immédiate et significative de leurs déficits abyssaux.
Mais qui va craquer le premier ? Le roi dollar, hyper monnaie d’un pays endetté plus que de raison et composé d’états eux-mêmes, telle la Californie, surendettés jusqu’à la gorge ? Ou bien l’euro, monnaie « fantaisie », dominant une zone économique sans convergence ? La réponse à cette question vaut des milliers de milliards mais surtout obère l’avenir. Car, en effet, le premier qui tombe garantit à l’autre la survie, voire le leadership… en tout cas pendant un certain temps. Une analyse stratégique objective donne un avantage indéniable au dollar. Bien que n’étant plus qu’une monnaie de singe en terme d’équivalent universel, la devise américaine peut compter sur ceux qui en possèdent comme monnaie de réserve, par exemple la Chine. Ces pays risqueraient de perdre beaucoup dans un effondrement du dollar. Au contraire, l’euro n’a aucune force politique. Elle ne dispose que de sa réalité, qui reflète la situation économique de sa zone dont le coté sud, Grèce, Portugal, Espagne et demain Italie, est en train de sombrer littéralement. Si l’euro tombe, le dollar peut maintenir pour un temps sa valeur virtuelle, uniquement politique mais inexistante sur le plan réel.

Sauvons le soldat dollar

Comme au début des années quarante, cette stratégie de sauvetage du roi dollar implique bien entendu que la force politique des USA ne s’effondre pas de manière concomitante à la crise financière et économique du pays. Pour garantir cette nécessité, les pouvoirs publics des États-Unis ont et auront tendance comme par le passé à « marquer des points » et à ne faire aucune concession à court terme. La liquidation de Ben Laden en est certainement la prémisse. Certains régimes hostiles aux USA feront les frais de cette politique qui risque de trancher dans le vif pour impressionner des adversaires qui auraient pu croire l’Oncle Sam dans les cordes. Bref, les USA risquent de « surjouer » la surpuissance et sa capacité à couper les nœuds gordiens
Bien sûr, les présidences de la Réserve fédérale américaine, des directeurs du Fonds monétaire international ( FMI) et de la Banque centrale européenne(BCE) constituent, toutes les trois, le point nodal dans la période que nous traversons. Or, après la démission de DSK, Washington dispose aujourd’hui de responsables plus sensibles aux sirènes monétaristes qui risquent de provoquer la crise de l’euro après la banqueroute de la Grèce et du Portugal aujourd’hui, de l’Espagne et de l’Italie demain.
Reste encore à rebattre les cartes au niveau international de telle sorte que l’Amérique reste au centre du jeu, malgré tout. L’enjeu sera de faire croire que la dislocation planétaire, à laquelle nous assistons, n’est pas tout simplement la conséquence de la crise financière globale, mais une affaire de circonstance bien entendu « totalement imprévisible ». Les États Unis se présentant alors comme les seuls pouvant résoudre les conflits et les guerres.

La guerre monétaire totale

Pour revenir sur la crise monétaire inéluctable, le point chaud, en terme de force de frappe monétaire à contrôler impérativement, reste l’Arabie Saoudite et les États du Golfe. Or, « le printemps arabe » met ces pays sous stress. Ils ne peuvent survivre qu’en renonçant à une quelconque autonomie en terme de prise de position dans la « guerre monétaire » qui s’annonce. Car la force de frappe des réserves monétaires contrôlées par Wall Street et la City, additionnée aux masses monétaires des États du golfe arabique est suffisante pour faire la loi sur le champ de bataille des monnaies.
Dans ce cadre de guerre monétaire totale, il est envisageable de voir se développer, après l’espace arabe, une instabilité politique et sociale en Europe. Elle toucherait particulièrement les pays du sud surendettés, comme l’Espagne, l’Italie, ou même la France. Il ne s’agirait finalement que de l’une des conséquences logiques de la dislocation planétaire que nous abordions plus haut.
… Et la situation est mûre en Europe du sud. Tout d’abord pour des raisons parfaitement objectives liées au ras le bol général des couches populaires et des jeunes en particulier. Car, en Espagne, en Italie ou en Grèce les nouvelles générations n’ont pas d’avenir. « Génération no futur » en Grèce, « génération 500 euros » en Italie, le potentiel de révolte de la jeunesse est considérable.
Reste à savoir si cette révolte pourrait bénéficier d’une certaine neutralité de la part des intérêts US, comme ce fut le cas par le passé pour la première phase des révoltes européennes de 68? Bref, la potentielle révolte européenne est-elle compatible avec l’intérêt à court terme de la super puissance en phase de déclin? C’est bien possible car toute crise externe à l’Amérique est aujourd’hui garante d’un sursis à son explosion macro économique. Ni aujourd’hui dans l’espace arabe, ni peut-être demain dans l’espace européen, il ne s’agit de manipulation mais plutôt « d’accompagner » et de « laisser faire », en particulier sur le web, une réalité déstabilisatrice et d’y trouver un avantage opportuniste à court terme. Car l’essentiel pour la puissance financière américaine est de gagner du temps… et cela à tout prix !

Qui va dominer la société en réseau ?

Autre point essentiel pour l’année qui vient : les prémisses de la tentative de contrôle d’une sortie de crise, c’est-à-dire vers l’ouverture d’un « nouveau monde ». Qui va dominer en effet la société en réseau ? (voir articles précédents). Car les multinationales sont peut-être les seuls organismes économiques conscientes de leur fin prochaine si elles ne mutent pas par elles-mêmes, à savoir changer d’apparence sans changer de nature.
Le pari est le suivant : adapter le turbo capitalisme à la modernité de la société en réseau dont la « sous-jacence » est de plus en plus visible au dessus de la ligne de flottaison. Et tout cela suivant la célèbre formule « tout doit changer…pour ne rien changer ». Ainsi, pour ce faire, nous constatons depuis quelques mois une frénésie des grands groupes financiers dans l’achat de start-up innovantes dans tous les domaines du high tech, particulièrement en matière énergétique. Par exemple, la prise de contrôle d’entreprises spécialistes du solaire à des prix très hauts, et même survalorisés, par des groupes pétroliers montre bien la volonté de ne pas être déstabilisé par des nouvelles technologies concurrentielles. Le projet n’est pas, semble-t-il, de « mettre au frigo » des nouveaux brevets mais d’évoluer vers la forme de contrôle qui a été fort opérationnelle sur le web. Il s’agit de reproduire le mixage réussi pour le turbo capitalisme entre une certaine liberté de création et d’expression tout en supprimant toute possibilité de créer un marché réel, et ainsi de tenir ces nouveaux secteurs hors de la création de valeur. L’exemple phare est la maîtrise de la toile par des monstres monopolistes tels que Google ou Facebook qui ont la main sur le système sans apparaître le moins du monde comme totalitaires, en tout cas pour le moment.
Toutefois, il est possible que la catastrophe de Fukushima accélère ce processus, car la simple continuation de l’existant s’avère chaque jour plus difficile. La production centralisée d’énergie est peut-être en train d’être remise en cause. Reste aux monopoles à mettre en place une stratégie pour contrôler étroitement cette ouverture.

Les douze prochains mois risquent donc d’être redoutables, surtout en Europe. La crise, vieille de quatre ans déjà (crise des subprimes, juillet 2007), va connaître une accélération notable. En réponse, le mouvement social doit sortir d’une stratégie purement défensive qui a montré ses limites, tant en France en octobre-novembre derniers que dans les pays du sud de l’Europe.
Au contraire, il faut proposer des axes politiques qui anticipent le « nouveau monde » qui s’annonce et l’orienter de manière démocratique et républicaine. L’optimisme est à ce prix !

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Un puits sans fond pour les contribuables grecs !

par Christian Berthier

 

Le gouvernement grec vend de nouveaux services publics pour rembourser les dettes et crée un « fond souverain »…ou un puits sans fond pour les contribuables grecs !


Quand on n’évoque les difficultés financières de la Grèce, nous ne devons pas écrire « ses dettes » ou « les dettes grecques », car il s’agit en fait de dettes contractées auprès de prêteurs non grecs par des emprunteurs publics ou privés établis en Grèce.
Sur les 150 milliards d’euros de dettes avouées, les deux tiers sont des dettes privées.
La finance internationale considère que c’est à l’État grec de voler au secours des créanciers privés que le défaut de leurs débiteurs risquerait de placer dans une situation inconfortable.
Et ce, même si l’état et le gouvernement grecs n’étaient pour rien dans la souscription de ces emprunts et dans l’impossibilité du secteur privé de les rembourser.
Remarquons quand même que les deux grandes familles qui se succèdent au pouvoir depuis la fin de la guerre, les Caramanlis et les Papandréou-s, ne peuvent pas ignorer de tels enjeux financiers.

Ainsi, le gouvernement grec a annoncé le 23 mai 6 milliards d’euros d’économies en vue de ramener le déficit public à 7,5 % du PIB grec dès cette année 2011.
De plus, afin de réduire la dette publique le gouvernement a annoncé la vente “immédiate” de participations publiques dans :

  • la société de télécommunications OTE,
  • la banque postale, l’Hellenic Postbank,
  • les ports du Pirée et de Salonique,
  • le service des eaux de Salonique.

Mais il y a plus avec la création d’un « fonds souverain » pour accélérer les privatisations de services publics et la vente de biens immobiliers publics.
Il faut savoir que les fonds « souverains » sont des fonds publics d’investissement appartenant à des administrations publiques et répondant à des critères et des objectifs internationaux précis :

  • ils sont gérés ou contrôlés par un gouvernement national ;
  • ils « investissent » les excédents du pays, les réserves officielles étant gérées par la banque centrale du pays
  • à l’exception du fonds stratégique d’investissement français, les « fonds souverains » investissent à l’étranger
  • ils gèrent des actifs financiers dans une logique de plus ou moins long terme,
  • ils n’ont pas d’objectif précis de bénéfice, empruntent peu ou pas du tout. C’est même interdit pour un certain nombre de fonds souverains !
  • leur politique d’investissement vise à atteindre des objectifs qualitatifs précis et des politiques, comme l’épargne intergénérationnelle, la diversification des activités nationales ou le lissage de l’activité

En clair, par l’intermédiaire de ces « fonds », un gouvernement utilise le produit des impôts et taxes pour financer des projets à l’étranger sans objectif de rentabilité, c’est à dire à fonds perdu et sans faire concurrence aux banques privées sur les marchés des emprunts d’État.
Sachant que la gestion de ces fonds publics doit répondre au  strict respect de la concurrence libre et non faussée et utiliser les services d’opérateurs privés, il y a gros à parier qu’ils ne sont pas les derniers à être orientés vers les opérations les plus risquées.
C’est par de tels canaux que l’argent des impôts et des fonds sociaux publics peuvent être mis à la disposition des grands spéculateurs qui « arbitrent » en faveur de leurs intérêts personnels, fut-ce au dépens de tous les autres. C’est ainsi que se sont creusées les pertes des banques publiques comme DEXIA en France, celles des fonds de pension des gestionnaires des retraites des fonctionnaires californiens (CALPERS) et que de nombreuses collectivités locales françaises se sont trouvées en possessions « d’obligations pourries ».

Nota : voici, selon « La Tribune » (Copyright Reuters) du 3 juin 2011, le détail des participations publiques promises à la vente pour récupérer 50 milliards d’euros d’ici 2015 et réduire la dette de 340 milliards d’euros. Nulle que de telles listes soient mises à jour par pays et par les agences de notation et les principales banques privées à destination de leurs clients.

Entreprises privatisées dès 2011

  • OTE, numéro un des Telecoms en Grèce. L’Etat détient 16% qu’il veut vendre avant la fin juin 2011.
  • Banque Postale. Les 34% du capital pourraient être cédés avant le 31 décembre.
  • Les ports du Pirée et de Salonique L’Etat en détient encore 75%. A vendre d’ici la fin 2011.
  • Société d’eau de Salonique. L’objectif du gouvernement est de céder jusqu’à 40% des 74% du capital
  • EAS. entreprise de défense détenue à 100% par l’Etat qui prévoit de céder jusqu’à 66% du capital.
  • Loterie nationale. La part du capital détenu par l’Etat doit passer de 100% à 51% voire 33%.
  • Le groupe gazier DEPA. Contrôlé à 65%, cette entreprise ne le sera plus qu’à 32% au 31-12-2011..
  • Trainose. Compagnie nationale des chemins de fer : Cession prévue de 49 à 100% du capital.
  • Larco. L’Etat entend céder les 55% qu’il détient encore dans le groupe minier avant la fin de l’année.
  • Odie, l’ambition du gouvernement est de céder 100% du capital de cet équivalent du PMU en France.
  • Casino Mont Parnes L’Etat prévoit de céder les 49% qu’il détient encore avant le 31 décembre.
  • Les licences de téléphonie mobile seront cédées à 100% au quatrième trimestre.
  • Hellinikon. Cet ancien aéroport détenu à 100% devrait être totalement privé d’ici la fin de l’année.

Entreprises à privatiser pour 2012 et 2013

(le capital détenu - la part que le gouvernement prévoit de céder - la date prévue pour la privatisation)

  • Aéroport International d’Athènes (55% - jusqu’à 21% - 1e trim 2012)
  • Autoroute Egnatia Odos (100% - jusqu’à 100% - 1e trim 2012)
  • Poste Hellénique (90% - jusqu’à 40% - 1e trim 2012)
  • Opap Paris sportifs (34% - jusqu’à 34% - 1e trim 2012)
  • Ports régionaux (77-100% - 43 à 66% - 2012)
  • Société d’eau Athènes (61% - jusqu’à 27% - 3e trim 2012)
  • EVO, défense (51% - jusqu’à 16% - 2e trim 2012)
  • Caisse des dépots&consignes(100% - 2012)
  • DEI Electricité de Grèce (51% - jusqu’à 17% - 4e trim 2012)
  • Sie autoroute Hellène 1 (100% - 2012)
  • Aéroports régionaux 1 (100% - jusqu’à 49% - 2012)
  • Hellinikon, IIe tranche ( 2012)
  • Participations bancaires (jusqu’à 100% - 2013)
  • Banque agricole ATE (76% - jusqu’à 25% - 2013)
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Retour sur deux jours avec "Les Indignés" à la Bastille

par Juliette Estivill

 

Samedi 28 mai : J -1 avant le grand rassemblement

Travail des commissions dès 17h à la Bastille, criée dans le métro, diffusion de tract au cours de la manifestation antiraciste.
Le travail des commissions a lieu à la Bastille où ce jour-là se tient la manifestation pro Gbagbo. Confusion et cafouillage : comment allons nous pouvoir faire vivre les deux événements ? Finalement, les deux manifestations réussissent à cohabiter : les commissions se réunissent où elles le peuvent sur la place.
A 20h est prévue la réunion des référents des commissions et des membres du secrétariat qui doit finaliser l’organisation de la journée de dimanche.
Il est presque 22h, lorsque celle-ci parvient enfin à se réunir, le travail des commissions a fini plus tard que prévu, comme souvent.
Pendant plus d’une semaine les participants de la Bastille consacrent des heures de travail, que dis-je ?, des jours, des nuits à l’organisation du rassemblement du dimanche 29 mai, conciliant travail, études, vie de famille.
La fatigue est là et pourtant demain c’est le grand jour : date « de la prise de la Bastille » !, le rassemblement du 29 mai pour lequel chacun met toute sont énergie afin qu’il soit une réussite.
La réunion des référents et des secrétaires se terminera à plus d’une heure du matin. Certains finiront encore plus tard dans la nuit, le temps d’envoyer le dernier compte-rendu de la réunion, le programme de la journée du dimanche.

Demain c’est l’inconnu. Combien serons-nous ?

Difficile aussi de prévoir une journée dont on ignore le nombre de participants.
Nous savons à peu près organiser des AG où nous sommes 500, saurons-nous le faire si nous sommes plus ?
Le travail est finalisé :

  • 11h : rdv des participants pour la mise en place du rassemblement
  • Toute la journée : activités pour les enfants et atelier graff par des artistes
  • 14h 16h concert
  • 16h 17h45 trois débats: « crise économiques-plans d’austérité »; « Démocratie ? »; « Printemps des révolutions »
  • 18h: AG
  • Trois tables sont prévues: une pour l’information et pour s’inscrire dans les commissions, une autre « cahier de doléances-revendications » comme en 1788-1789 veille de la révolution, à l’initiative de la commissions France, une dernière, chargée de la nourriture….

Dimanche 29 mai

Rdv donné à 11h pour les participants, mail envoyé à toux ceux qui ont donné leur contact : il y est dit que chacun doit ramener tout ce qu’il peut (pancarte, cahier, nourriture, table, feutres, scotche…)
Dès 11h, à Bastille c’est parti ! Chacun se met au travail et organise le parvis : préparation des tables, on colle les pancartes qui ont été conservées des autres jours, on en crée d’autres, une énorme banderole bleue sera hissée en haut des marches de l’opéra : « Democracia real - Démocratie réelle »…
La sono s’installe près du trottoir, ce n’est plus juste une petite sono, il faut du son pour nous entendre tout en haut des marches (hier à minuit ce n’était pas encore sûr d’avoir ce matériel, mais le problème est réglé grace à un militant d’une commission).
Et les participants sont au rendez vous ! La place se remplit à une vitesse incroyable sur les marches de l’opéra et le parvis, on peut estimer à près de 2000 personnes le nombre de participants, restés plus au moins longtemps, l’AG réunira près de 1500 personnes. Le travail de fourmi initié depuis plus d’une semaine a payé : l’info est passée !
Le programme de la journée est totalement bouleversé vu le nombre de participants.
Face à l’affluence une décision rapide est prise : on branche la sono ; on invite les gens à s’asseoir et on commence : prise de parole et chansons. Bref on improvise et ça fonctionne.
On rappelle au micro l’historique du mouvement en France et en Espagne, on rappelle les principes des rassemblements : caractère apartidaire et pacifique du mouvement, avec des principes (pas d’alcool)…
Céline Meneses qui devait prendre la parole au début de l’AG à 18 h est tout de suite appelée à témoigner sur son expérience aux plus près des événements de Madrid. A peine descendue de son avion, elle est déjà à Bastille. Ana, espagnole étudiante infirmière en France s’improvise journaliste et lui pose des questions. Son témoignage est attendue avec impatience, par les espagnols qui sont à l’initiative du mouvement, eux qui comme ils ne peuvent pas être en Espagne ont décidé d’en initier un ici en France, où ils étudient ou travaillent. Céline raconte l’organisation du campement, la solidarité qui y est née (repas et petits-déjeuners sont distribués gratuitement, grâce à la participation de chacun et des commerçants qui contrairement à ce que l’on peut entendre se réjouissent plutôt de la présence du campement de la Puerta del Sol). Elle nous parle du déroulement des AG, du travail des commissions, des votes, du principe du « consensus ». Comme ici-même nous aurons une AG avec plus de 1000 participants, elle nous en rappelle les signes maintenant familiers, typique des AG espagnoles : pour ne pas perdre de temps on n’applaudit pas, on ne siffle pas… mais on montre son approbation, son désaccord par des signes. On s’initie au fonctionnement madrilène qui a fait ses preuves. Elle rappelle pourquoi les espagnols se mobilisent et ce qu’il y a de commun avec la France : la crise économique qui touche de plein fouet les espagnols, les plans d’austérité qui se multiplient de la Grèce en Irlande en passant par le Portugal et l’Espagne. Elle revient sur ce qu’est à l’origine du mouvement « ¡Democracia real ya! » : l’asphyxie démocratique que nous vivons et rappelle donc : « Le souverain c’est nous, ce ne sont pas les élus qui adoptent des directives européennes sans nous poser de questions. Encore moins les dirigeants de la Commission européenne, de la BCE et du FMI que personne n’a élus ». Tonnerre d’applaudissements.
Une autre intervention sera aussi très remarquée, celle d’un tunisien qui est arrivé en France récemment et qui a été invité par la commissions internationale : « Nous nous sommes battus en Tunisie à cause de la misère, nous sommes arrivés en France, et nous nous sommes retrouvés dans la misère. Nous sommes prêts à faire une révolution internationale ensemble ! »
On ouvre alors un tour de parole que l’on doit rapidement clore pour que l’Ag puisse avoir lieu à 18h, en quelques minutes on a déjà plus de 40 inscrits : pendant près de deux heures ce sont interventions, slogans, chansons face à une assemblée attentive : Les révolutions arabes, la politique du FMI, le chômage, la précarité, l’écologie, du travail, des medias, est rappelé que cette journée est aussi l’anniversaire du Non au référendum sur le TCE, on y parle de la nécessité d’un renouvellement démocratique, du déni du peuple, du caractère « politique » de ces rassemblements, de la solidarité internationale.…Parmi les slogans scandés : « Paris es sol », « Paris ! Debout ! Soulève- toi ! » « Tous ensemble ! Tous ensemble ! » « El pueblo unido jamás será vencido ! » « Qué no ! Qué no ! Qué no nos representan », suite au délogement très violent du campement de Barcelone (plus de 50 blessés), l’assemblée scandera alors : « Todos somos Barcelona ! ». La commission communication nous informe que nous sommes suivis en direct sur écran géant à la Puerta del sol et dans d’autres villes espagnoles et européennes. L’assemblée s’enthousiasme.
Après déjà plus une heure de débat, on propose à l’assemblée un peu de musique, plusieurs chanteurs défilent : une reprise de « l’Estaca » de Luis Llach, chant de résistance au Franquisme, « las gallinas »qui parle de révolution, « Hasta siempre » sur Che Guevarra. Le chanteur Nilda Fernandez a participé a plusieurs AG qui ont précédé cette-journée, il a accepté de chanter pour ce rassemblement et a choisi une chanson qu’il a écrit récemment, très visionnaire : « Pense à la France »
Nombreux sont les contacts laissés aux tables des commissions : de nouveaux participants rejoignent le mouvement et sont prêts à s’investir dans son travail d’élaboration de revendications. Les « cahiers de doléances » se remplissent où alternent messages de soutien, réjouissance face à la naissance d’un tel mouvement et revendications très concrètes. Les mêmes thèmes reviennent : social, santé, justice, fonctionnement démocratique (de loin les plus nombreuses- constituante, vote blanc, mandats), logement, salariat-travail, économie, consommation, éducation, environnement, media, lois sécuritaires, partage des richesses…

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L’AG commence ensuite par une présentation des différentes commissions à ce-jour créées : France, Espagne, Internationale, Action, Logistique, Démocratie, service d’ordre. Place à un petit Parlement populaire. Il est déjà plus de 19h, l’après-midi a passé vite, du monde encore, beaucoup de monde. Un cordon de gendarmes mobiles interdit l’accès à l’Assemblée alors que le rassemblement est autorisé jusqu’à 20h, pas d’incidents mais colère rageuse de l’assemblée. Déjà quelques heures auparavant, nous voulions occuper la place, nous y étions autorisés si nous dépassions 1000 participants, mais dès que cela a été envisagé un cordon de gendarmes mobiles en habit de « Robocop » s’est mis en place, promesses non-tenue. Au micro, on rappelle : « Restez assis, ignorez les provocations », nous n’avons finalement perdus que quelques minutes, nous confirmons qui nous sommes un mouvement pacifique, non-violent qui souhaite juste pouvoir se rassembler pour débattre ensemble et envisager un autres avenir que celui qui nous est promis. Il est l’heure, il faut passer au vote. Nous votons la tenue d’une réunion des commissions dès le lendemain, lundi et une nouvelle AG le mardi, votée à l’unanimité même lieu à 19h.
Peu de vote de propositions a eu lieu, trop de choses à dire ce jour-là, la colère doit d’abord s’exprimer avant de devenir proposition. Ce n’était qu’un premier grand rendez-vous, dont le succès en laisse présager d’autres.
Alex, qui s’occupe entre autre de la commission Service d’ordre rappelle que nous n’avons d’autorisations que jusqu’à 20h et appelle donc au dispersement un peu avant 20h, mais entre-temps un vote a eu lieu : certaine souhaitent camper. Il reste passé 20h, encore quelques 500 participants qui ont décidé de rester. La gendarmerie les délogera vers 21h à coup de gaz lacrymogène sans sommation. A 21h30, la place est vide, il y a deux blessés légers et 4 arrestations.
Dès le lendemain, alors que nous avons enfin une couverture médiatique (de nombreux médias presse et télé étaient présents dès 14h), quelques cent policiers empêchent l’accès à la place de la Bastille, devenue depuis dix jours une petite Agora : dès que plus de quatre personnes tentent d’y rester, ils sont invités à circuler, des contrôles d’identité ont lieu.
Comme nous avons été crédules ! Pendant des jours, on nous a laissé débattre, nous organiser, nous parvenons à rassembler plus de 2000 personnes dimanche, nous en sommes heureux, un mouvement est né, nous construisons ensemble un nouveau projet sur le modèle espagnol et nous n’ en sommes qu’à un début.
Nous rêvions, naïfs que nous sommes !, dès le lendemain on tente de nous faire taire en nous interdisant de nous rassembler, difficile de mieux s’y prendre.

Le lundi, grande désorganisation : Où allez ? Un repli a lieu sur le Boulevard Richard-Lenoir.

Leur tentative de mettre un terme au mouvement est un échec. Le travail des commissions a été très peu constructif lundi soir face à la présence policière mais dès mardi, sans avoir changé le rendez-vous de Bastille, nous sommes plus de 500 en Assemblée générale sur ce boulevard, à deux pas de la Bastille, nouveau lieu de rendez-vous : de nouvelles commissions voient le jour : écologie, légale (chargée de s’occuper des autorisations pour trouver des lieux, pour les rassemblements…), autodéfense (juriste qui veulent former les participants), convergences des luttes. Des communiqués vont sortir, des nouvelles dates de rassemblements sont envisagées en juin, la participation au mouvement sort renforcée de cette journée de dimanche même si nous avons perdu la Bastille.

Ils voulaient faire taire les Indignés de Paris et de France, ils n’y sont pas arrivés !

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Amina LOTFI : « Pour une Constitution marocaine garantissant une égalité effective entre les femmes et les hommes, ainsi que la prohibition de toutes les formes de discriminations »

par Hakim Arabdiou

 

Madame Amina Lotfi est Consultante en Genre et Développement, et directrice d’un bureau d’étude et de recherche en Développement social à Rabat, au Maroc. Elle a adhéré, en 2001, aux instances dirigeantes du Comité de soutien à la scolarisation des filles en milieu rural au Maroc. Elle est, depuis février 2009, vice-présidente du bureau de Rabat, de l’Association démocratique des femmes marocaines (ADFM), et depuis quelques mois, présidente nationale par intérim de cette association.

Son parcours militant a commencé en 1991. D’abord, au sein d’un organisme de développement international où elle avait la responsabilité du programme des droits humains des femmes et égalité entre les sexes. Ce poste lui a permis de travailler avec la quasi-totalité des associations féministes marocaines, en particulier avec l’ADFM. Elle est fière aussi d’avoir accompagné toutes les actions ayant trait à la promotion des droits des femmes de son pays.

Ces actions ont abouti notamment aux réformes du Code de la nationalité (2007) avec le droit des Marocaines de transmettre leur nationalité à leurs enfants ; du Code de la famille (2004) avec l’abolition du devoir d’obéissance de la femme à son mari et la consécration de l’égalité des époux en droits et en responsabilités, etc. ; du Code pénal (2003) avec l’aggravation des sanctions concernant les violences conjugales, ainsi que la pénalisation du harcèlement sexuel. Elle a octroyé le droit pour la femme de se porter partie civile contre son mari, sans l’autorisation du juge…) ; du Code du travail (2003) avec le principe de la non-discrimination entre les hommes et les femmes dans le domaine professionnel (embauche, salaires, etc.).

Hakim Arabdiou : Pouvez-vous nous présenter votre association : l’Association Démocratique des Femmes du Maroc ?
A. L.
: l’ADFM a été créée en juin 1985 à Casablanca, par un groupe de femmes, attachées aux principes des droits humains des femmes et du progrès au Maroc. Ces militantes avaient ressenti la double nécessité de s’investir davantage dans le combat pour l’égalité totale entre les femmes et les hommes, et d’agir au sein d’une structure autonome propre aux femmes. Notre association est née dans une conjoncture internationale, marquée par la fin de la décennie des Nations-unies pour la femme, et son couronnement par la conférence de Nairobi, au Kenya. Nous venions, au Maroc, de connaître le début du processus de démocratisation de la vie politique, ainsi que les premiers balbutiements de la société civile et l’émergence d’une conscience féministe.
Notre association lutte pour la réforme des lois et des politiques publiques discriminatoires envers les femmes, en vigueur au Maroc, ainsi que pour le changement des mentalités dans une perspective d’égalité entre les sexes et l’accès des Marocaines à une citoyenneté pleine et entière. Après les inévitables tâtonnements des débuts, l’ADFM est aujourd’hui une association crédible aussi bien sur la scène nationale qu’internationale. Elle a occupé une place centrale dans les mobilisations de ces dernières années, et qui se sont soldées par des acquis non négligeables pour les femmes de mon pays.

H.A. : En visitant votre site, j’ai lu votre appel à manifester pour la “constitutionnalisation de l’égalité effective entre les femmes et les hommes dans tous les droits”.
A.L. :
Cet appel a été lancé à l’occasion du 1er-Mai 2011, et dont les manifestations des organisations féministes se sont déroulées à Rabat et Casablanca. Nous considérons, qu’il est important de sensibiliser l’opinion publique marocaine sur la nécessité d’intégrer les principes d’égalité et de non-discrimination entre les femmes et hommes dans toutes les dispositions constitutionnelles. Cet appel a été lancé dans le cadre de la coalition marocaine du « Printemps Féministe pour la Démocratie et l’Égalité » pour la réforme de la Constitution, dont nous sommes membres.

H. A. : Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
A. L. :
Les associations féministes marocaines ont l’habitude de se mobiliser et de fédérer leurs efforts pour défendre les grandes causes. Il s’agit en réalité de notre troisième Printemps pour la promotion des droits des femmes marocaines. La première coalition, intitulée « Printemps de l’égalité » s’était constituée, au début des années 2000, en vue de la réforme du Code de la famille. La seconde coalition, intitulée, « Printemps de la dignité », a vu le jour en 2009, pour la réforme du Code pénal. La troisième coalition, s’est constituée, en mars 2011, sous l’appellation, « Printemps féministe pour la démocratie et l’égalité », pour la réforme de la Constitution. Cette coalition est composée de 22 associations domiciliées dans différentes régions du Maroc et œuvrant pour la promotion et la protection des droits humains des femmes.

La coalition du Printemps Féministe pour la Démocratie et l’Égalité a élaboré et présenté sa plate- forme revendicative à la commission chargée de la réforme de la Constitution, instituée le 11 janvier dernier, par le Roi. Nos revendications concernent la constitutionnalisation dans notre pays de : 1- La primauté des traités internationaux des droits de l’Homme ratifiés par le Maroc sur les lois nationales et leur consécration en tant que source de législation. 2- L’égalité effective entre les hommes et les femmes dans les droits économiques, sociaux, civils, politiques et culturels. 3- La prohibition de toute discrimination basée sur le sexe, quelle qu’en soit l’origine. 4- de mécanismes et de mesures garantissant la promotion des droits des femmes.

H. A. : Comment situez-vous votre association par rapport aux autres associations féministes ? Qu’est-ce qui la distingue des autres associations ?
A. L. :
Il est difficile de situer une association féministe par rapport à une autre. Certes, nos approches sont différentes (fort heureusement), mais nous partageons les mêmes objectifs et les mêmes référentiels en l’occurrence, les valeurs humaines universelles.
L’ADFM œuvre depuis plus de 25 ans pour notamment l’égalité en matière de droits civils, politiques, socio-économiques et culturels ; l’égalité dans l’accès aux postes de décision, d’égalité salariale… la protection des femmes contre toute forme de violence ; l’adoption de mesures correctives des écarts de genre, ainsi que pour le changement des mentalités et la promotion des valeurs égalitaires.

H.A. : Quel est le niveau de coordination des luttes des féministes marocaines avec les autres féministes maghrébines et proche-orientales ?
AL. :
Le travail de coordination avec les féministes aussi bien au Maghreb qu’au Proche-Orient a commencé de façon informelle, à la fin des années 1980. Nous nous sommes ensuite structurées dans des réseaux et des coalitions. Ainsi, le collectif 95 Maghreb Égalité, a vu le jour, en 1992. Il a mené un travail de réflexion et d’action, notamment pour une codification de l’égalité dans les relations familiales au Maroc, en Algérie et en Tunisie. Nous avons mené ultérieurement, mais dans un cadre plus large (la région MENA : Algérie, Maroc, Tunisie, Égypte, Iran, Jordanie, Liban, Yémen), plusieurs campagnes, notamment sous le slogan, ” Ma nationalité est mon droit, et celui de mes enfants”. Ces campagnes ont abouti à la reconnaissance aux femmes de ces pays arabes mariées à des non- nationaux, du droit de transmettre leur nationalité à leurs enfants. Elles ont également permis, la levée des réserves de nos gouvernements respectifs, sur certaines dispositions de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), et ce suite à la campagne lancée en 2006, sous le slogan : ” Égalité sans réserve”.

H. A. : Peut-être, un dernier mot ?
A. L. :
Je salue au nom de militantes de l’ADFM, toutes les féministes du Maghreb et du Moyen-Orient pour leur combat contre l’inégalité et les discriminations, ainsi que pour leur contribution à la démocratisation de leur pays respectifs. Le processus de démocratisation de nos pays sera long. Il requiert pour cela beaucoup d’énergie et de sacrifices. C’est pourquoi, il ne faut jamais baisser les bras.

Propos recueillis par Hakim Arabdiou

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UJEM : Sonia MEJRI : Pour un Maghreb démocratique et laïque

par Hakim Arabdiou

 

Sonia MEJRI, 31 ans, est née, et vit à Montpellier, dans le sud de la France, une ville où ses parents, tunisiens, sont installés, depuis le début des années 1970. Elle est depuis six ans professeure dans une école maternelle, située en Zone d’éducation prioritaire (ZEP), dans la ville de Sète.

L’intéressée est sur le point d’achever une thèse de doctorat en histoire contemporaine des sociétés et des religions. Sa formation d’historienne l’a fortement engagée dans la voie du militantisme associatif ; un militantisme qu’elle A en vérité entamé, depuis l’âge de 17 ans. D’abord, dans un quartier voisin de chez ses parents, où elle aidait les plus jeunes à faire leurs devoirs scolaires, le soir après l’école, et dans certaines de leurs démarches scolaires.

Elle eut cependant une rencontre décisive, celle de membres de l’Union des Jeunes euromaghrébins (UJEM), lors d’un voyage, en 2005, à Paris. Elle découvre à cette occasion la philosophie et les objectifs de la lutte pour les droits de l’Homme et la démocratie, la coopération et les échanges entre les jeunes européens et maghrébins, ainsi que le dialogue interculturel au sein de l’UJEM.


Hakim Arabdiou : Pouvez-vous présenter votre association à nos lecteurs ?
Sonia MEJRI :
L’UJEM est une association de la loi 1901, créée en 2003. Son siège se trouve à Paris. Elle possède également une section à Montpellier, et d’autres dans certains pays européens et d’Afrique du Nord. Nous avons aussi des sympathisants et des adhérents dans plusieurs pays, mais sans pour autant y avoir de sections. En 2009, notre ONG a été admise, membre du Conseil Consultatif de la Jeunesse du Conseil de l’Europe, dont le suis la vice-présidente. Je considère cette admission comme une reconnaissance du travail que mes camarades et moi avons réalisé sur leur terrain.

Notre association se compose de jeunes démocrates maghrébins, euromaghrébins et européens.
Ils œuvrent à l’unification des pays du Maghreb ; à leur démocratisation, et au respect en leur sein des droits de l’Homme et à l’instauration de la laïcité. De même qu’ils contribuent à la promotion de l’égalité entre l’homme et la femme en Europe et au Maghreb ; à l’établissement des liens d’amitié et de coopération entre les jeunes d’Europe et du Maghreb ; et enfin à favoriser un partenariat euromaghrébin, basé sur le respect mutuel et la solidarité.

H.A. : Quels sont les résultats de la Conférence internationale sur l’avenir du Maghreb, que vous avez organisée récemment à Tunis ?
S.M. :
La Conférence de Tunis, qui s’est déroulé du 27 au 30 avril 2011, a eu pour objectif de réfléchir sur l’avenir du Maghreb. Elle s’est tenue à Tunis, l’une des villes symboles des manifestations du Printemps arabe pour la liberté, la dignité et la démocratie. Ces valeurs sont le fil conducteur de tous les mouvements, qui, aujourd’hui, ébranlent les pays du Maghreb et le reste du monde arabe. Nous avons tenu cette conférence à cette date précisément, afin de commémorer l’Appel de Tanger, au Maroc, du 27 avril 1958, dans lequel les partis nationalistes marocains, algériens et tunisiens, s’étaient engagés, solennellement, à réaliser l’unification des pays maghrébins, dès l’indépendance de l’Algérie. L’appel de Tunis est un appel historique, le premier issu d’un Mouvement de la jeunesse pour un Maghreb démocratique. Il est destiné avant tout aux forces vives et à la société civile au Maghreb. Suite à la Conférence, nous allons travailler pour qu’ils constituent dans le cadre d’un Conseil consultatif, rédigent une Charte maghrébine des droits et des libertés, etc.

H. A. : Comment voyez-vous l’avenir du projet du Grand Maghreb ?
S. M. :
L’avenir du Grand Maghreb sera forcément meilleur, puisqu’il se basera sur les attentes et la réflexion de ses peuples. Nous appelons d’ailleurs à l’ouverture des frontières entre les pays du Maghreb en vue de la libre circulation de leurs ressortissants dans cet espace géopolitique. D’une manière générale, les valeurs, portées notamment par la Révolution tunisienne, sont universelles et revendiquées par la jeunesse qui manifeste, depuis des mois dans le monde arabe. Nous avons conscience, nous les jeunes, que l’avenir est plus que jamais entre nos mains.

Propos recueillis par Hakim Arabdiou

Mlle Sonia MEJRI
Secrétaire Internationale de UJEM-France
Vice-Chair of the Advisory Council on Youth - Council of Europe

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Portugal : Sanction électorale des soutiens aux programmes de rigueur de l’Union Européenne et du FMI

par Christian Berthier

 

Ce dimanche 5 juin, les électeurs portugais étaient appelés aux urnes pour des élections législatives anticipées après la démission du gouvernement socialiste de Socrates en mars dernier. Le gouvernement avait alors été mis en minorité par les députés communistes, du Bloc de gauche et d’une partie de la droite sur le vote d’un quatrième plan d’austérité.
Le gouvernement minoritaire du socialiste Socrates, appuyé par la droite avait fait voter les trois plans d’austérité précédents.
Un quatrième plan d’austérité, dicté par et l’UE, prévoyait des privatisations la baisse des salaires et des retraites, l’augmentation de la TVA et des prix de l’électricité, n’avait pu être mis en œuvre par le gouvernement faute du soutien du PCP et d’une partie de la droite.

Le niveau d’abstention continue d’augmenter à plus de 41% (40,32% en 2009).

Comme en Espagne aux dernières élections locales, les champions socialistes de l’austérité paient chers leur politique de soumission aux diktats de l’Union européenne, du FMI.. En deux ans, le PS et ses alliés chutent de 8,5% à 28 % des suffrages exprimés.

La droite a regroupé exigence du changement, refus du double langage socialiste et de la soumission à Bruxelles. Elle prône l’austérité pour les autres en gagnant 9,5% à 38,6%, alors que l’extrême droite reste autour de 12%, ce qui donne aux deux partis une majorité parlementaire de 129 députés sur 230..

A la gauche du PS, le « Bloc de gauche » recule de 9,8 à 5.2 et de 16 députés à 8 en perdant 300 000 voix après leur soutien critique au PS.
Par contre, la coalition autour du PCP se maintient à 8% et 15 députés.

Il n’y a pas d’autre interprétation possible qu’une mobilisation accrue de l’électorat de droite masquant une abstention accrue de l’électorat socialiste et « du bloc de gauche » désorientés par le soutien et l’absence de riposte aux mesures anti-sociales dictées par l’Union Européenne… Le soutien à de telles mesures de la part de leaders importants de l’internationale socialiste étant largement médiatisées au Portugal comme dans d’autres pays.

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Livre : le 20e terroriste n'a jamais existé, de Lotfi RAISSI

par Hakim Arabdiou

 

L’ancien pilote d’avion et instructeur de pilotage algérien, Lotfi Raïssi, vient de publier un ouvrage où il raconte comment, dans la nuit du 21 au 22 septembre 2001, sa vie a basculé dans un cauchemar. Vers 3h30, une escouade de policiers, armés de fusils d’assaut, envahit son appartement de la banlieue de Londres. Il est arrêté sous l’accusation d’être un lieutenant d’Oussama Ben Laden, organisateur des attentats du 11 septembre 2001, et d’avoir formé au pilotage les terroristes d’El Qaîda, impliqués dans cet événement. Pour le FBI et le MI5, il était le bouc émissaire idéal : jeune, 27 ans, instructeur de pilotage et musulman, alors qu’il n’a rien d’un islamiste, encore moins d’un terroriste. Il a ainsi le triste privilège d’être la première personne arrêtée dans le cadre de ces attentats.

Sa femme, Sonia, française originaire de Grenoble, est arrêtée en même temps, de même que son frère aîné, Mohamed, marié et résidant aussi à Londres. Mohamed est maintenu deux jours en garde à vue, et Sonia, cinq jours. Dès sa sortie, elle est licenciée par Air France de son poste d’hôtesse d’embarquement à l’aéroport de Heathrow. Quant à Lotfi, il est maintenu sept jours en garde à vue, bien au-delà du délai légal maximum de 72h, avant d’être incarcéré dans la sinistre prison de Belmarsh réservée aux plus lourdes peines de réclusion et aux terroristes islamistes. Des gardiens, commandés ou non de l’extérieur, tenteront à deux reprises de le faire assassiner à l’arme blanche par des détenus de droit commun. Il est traîné dans la boue par la presse britannique, états-unienne et arabe (El Jazeera et El Arabia), sans aucun respect pour la présomption d’innocence.

La plus grande crainte de ses avocats et de ses proches était que la justice britannique cède aux énormes pressions des USA pour le faire extrader vers ce pays où il risquait la chaise électrique. Mais la solidarité s’organise. Sa famille à Londres et en Algérie, des amis algériens, arabes, mais aussi britanniques, états-uniens et français, lancent notamment une pétition pour sa libération. La presse algérienne, maghrébine et africaine le soutient également.

Le juge Timothy Workman, exaspéré par l’absence totale de preuves à l’appui d’accusations gravissimes, finit, le 12 février 2002, par lui accorder la liberté provisoire, après quatre mois et demi de détention, puis un non-lieu, le 24 avril suivant. Mais l’avenir professionnel de la victime, inscrit sur la liste noire de l’aviation civile, est compromis. Pour Lotfi Raïssi, le pilotage est plus qu’une passion. Sa mère n’avait pas hésité à sacrifier le montant d’un héritage pour financer ses études à l’étranger, notamment aux USA où il a obtenu en deux ans seulement la licence de pilotage. Il préparait d’ailleurs l’examen d’habilitation de sa licence de pilotage sur des Boeing 737 lorsqu’il fut appréhendé. Quelques semaines plus tard, de parfaits imbéciles au ministère algérien des Transports rejetteront sa demande de recrutement au pays, sous prétexte que ses diplômes étaient américains ! L’année suivante, on lui propose, avec «déférence», le même poste de pilote, dans la compagnie algérienne de son choix. Mais il refuse par principe.

Après le non-lieu, une autre lutte attendait Lotfi : obtenir réhabilitation et réparation de la part du gouvernement de Sa Majesté. Avec son frère et sa femme, il intente un procès à Scotland Yard, au FBI et au procureur général. Après une longue et âpre bataille judiciaire de huit années, ils obtiennent gain de cause, à la hauteur des préjudices subis. Lotfi Raïssi n’est cependant pas au bout de ses peines. Il ne peut circuler librement qu’entre l’Algérie et la Grande-Bretagne. En dépit des jugements rendus en sa faveur à six reprises par la Cour suprême du Royaume-Uni, les USA ont maintenu le mandat d’arrêt international contre lui. Il garde toutefois espoir : le gouvernement algérien a engagé récemment une demande de retrait de ce mandat.

Hakim Arabdiou

Lotfi Raïssi. «Le 20e kamikaze n’a jamais existé : histoire d’une manipulation des services secrets américains et anglais». Ed. Jacob-Duvernet, Paris, 2011

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2011 : le printemps arabe ?

par Samir Amin
Président du Forum Mundial des Alternatives (FMA)
http://www.forumdesalternatives.org

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Nous estimons qu’il est nécessaire d’ouvrir le débat sur les “révolutions arabes” car personne ne détient la vérité révélée. C’est pourquoi nous pensons utile de porter à la connaissance de nos lecteurs ce texte de Samir Amin bien que nous ne partageons pas son soutien aux dictatures sanguinaires et maffieuses syrienne et libyenne, parce qu’elles seraient en parole « anti-impérialistes ». Nous rejetons l’idée que les ennemis de nos ennemis soient forcément nos amis. Seul compte pour nous le positionnement par rapport aux citoyens et aux peuples. Que ces dictatures meurent et que l’émancipation passe aussi par la Syrie et le la Libye (NDLR).

L’année 2011 s’est ouverte par une série d’explosions fracassantes de colère des peuples arabes. Ce printemps arabe amorcera-t-il un second temps de « l’éveil du monde arabe » ? Ou bien ces révoltes vont-elles piétiner et finalement avorter – comme cela été le cas du premier moment de cet éveil évoqué dans mon livre L’éveil du Sud. Dans la première hypothèse, les avancées du monde arabe s’inscriront nécessairement dans le mouvement de dépassement du capitalisme/impérialisme à l’échelle mondiale. L’échec maintiendrait le monde arabe dans son statut actuel de périphérie dominée, lui interdisant de s’ériger au rang d’acteur actif dans le façonnement du monde.

Il est toujours dangereux de généraliser en parlant du « monde arabe », en ignorant par là même la diversité des conditions objectives qui caractérisent chacun des pays de ce monde. Je centrerai donc les réflexions qui suivent sur l’Égypte, dont on reconnaîtra sans difficulté le rôle majeur qu’elle a toujours rempli dans l’évolution générale de la région.

Egypte : rétrospective

L’Égypte a été le premier pays de la périphérie du capitalisme mondialisé qui a tenté « d’émerger ». Bien avant le Japon et la Chine, dès le début du XIXe siècle Mohammed Ali avait conçu et mis en œuvre un projet de rénovation de l’Égypte et de ses voisins immédiats du Mashreq arabe.

Cette expérience forte a occupé les deux tiers du XIXe siècle et ne s’est essoufflée que tardivement dans la seconde moitié du règne du Khédive Ismail, au cours des années 1870. L’analyse de son échec ne peut ignorer la violence de l’agression extérieure de la puissance majeure du capitalisme industriel central de l’époque – la Grande Bretagne. Par deux fois, en 1840, puis dans les années 1870 par la prise du contrôle des finances de l’Égypte khédivale, enfin par l’occupation militaire (en 1882), l’Angleterre a poursuivi avec acharnement son objectif : la mise en échec de l’émergence d’une Égypte moderne. Sans doute le projet égyptien connaissait-il des limites, celles qui définissaient l’époque, puisqu’il s’agissait évidemment d’un projet d’émergence dans et par le capitalisme, à la différence du projet de la seconde tentative égyptienne (1919-1967) sur laquelle je reviendrai. Sans doute, les contradictions sociales propres à ce projet comme les conceptions politiques, idéologiques et culturelles sur la base desquelles il se déployait ont-elles leur part de responsabilité dans cet échec. Il reste que sans l’agression de l’impérialisme ces contradictions auraient probablement pu être surmontées, comme l’exemple japonais le suggère.

L’Égypte émergente battue a été alors soumise pour près de quarante ans (1880-1920) au statut de périphérie dominée, dont les structures ont été refaçonnées pour servir le modèle de l’accumulation capitaliste / impérialiste de l’époque. La régression imposée a frappé, au-delà du système productif du pays, ses structures politiques et sociales, comme elle s’est employée à renforcer systématiquement des conceptions idéologiques et culturelles passéistes et réactionnaires utiles pour le maintien du pays dans son statut subordonné.

L’Égypte, c’est à dire son peuple, ses élites, la nation qu’elle représente, n’a jamais accepté ce statut. Ce refus obstiné est à l’origine donc d’une seconde vague de mouvements ascendants qui s’est déployée au cours du demi-siècle suivant (1919-1967). Je lis en effet cette période comme un moment continu de luttes et d’avancées importantes. L’objectif était triple : démocratie, indépendance nationale, progrès social.

Ces trois objectifs – quelles qu’en aient été les formulations limitées et parfois confuses – sont indissociables les uns des autres. Cette interconnexion des objectifs n’est d’ailleurs rien d’autre que l’expression des effets de l’intégration de l’Égypte moderne dans le système du capitalisme / impérialisme mondialisé de l’époque. Dans cette lecture, le chapitre ouvert par la cristallisation nassériste (1955-1967) n’est rien d’autre que le dernier chapitre de ce moment long du flux d’avancée des luttes, inauguré par la révolution de 1919-1920.

Le premier moment de ce demi-siècle de montée des luttes d’émancipation en Égypte avait mis l’accent – avec la constitution du Wafd en 1919 – sur la modernisation politique par l’adoption d’une forme bourgeoise de démocratie constitutionnelle et sur la reconquête de l’indépendance. La forme démocratique imaginée permettait une avancée laïcisante – sinon laïque au sens radical du terme – dont le drapeau (associant le croissant et la croix – un drapeau qui a fait sa réapparition dans les manifestations de janvier et février 2011) constitue le symbole. Des élections « normales » permettaient alors non seulement à des Coptes d’être élus par des majorités musulmanes, mais encore davantage à ces mêmes Coptes d’exercer de très hautes fonctions dans l’Etat, sans que cela ne pose le moindre problème.

Tout l’effort de la puissance britannique, avec le soutien actif du bloc réactionnaire constitué par la monarchie, les grands propriétaires et les paysans riches, s’est employé à faire reculer les avancées démocratiques de l’Égypte wafdiste. La dictature de Sedki Pacha, dans les années 1930 (abolition de la constitution démocratique de 1923) s’est heurtée au mouvement étudiant, fer de lance à l’époque des luttes démocratiques anti-impérialistes.

Ce n’est pas un hasard si, pour en réduire le danger, l’ambassade britannique et le Palais royal ont alors soutenu activement la création des Frères musulmans (1927) qui s’inspiraient de la pensée « islamiste » dans sa version « salafiste » (passéiste) wahabite formulée par Rachid Reda, c’est à dire la version la plus réactionnaire (antidémocratique et anti progrès social) du nouvel « Islam politique ».

La conquête de l’Ethiopie entreprise par Mussolini et la perspective d’une guerre mondiale se dessinant, Londres s’est trouvé obligé de faire des concessions aux forces démocratiques, permettant le retour du Wafd en 1936 et la signature du Traité anglo-égyptien de la même année – un Wafd au demeurant lui-même « assagi ». La seconde guerre mondiale a, par la force des choses, constitué une sorte de parenthèse. Mais le flux de montée des luttes a repris dès le 21 février 1946, avec la constitution du bloc étudiant-ouvrier, renforcé dans sa radicalisation par l’entrée en scène des communistes et du mouvement ouvrier.

Là encore, les forces de la réaction égyptienne soutenues par Londres ont réagi avec violence et mobilisé à cet effet les Frères musulmans qui ont soutenu une seconde dictature de Sedki Pacha, sans parvenir à faire taire le mouvement. Le Wafd revenu au gouvernement, sa dénonciation du Traité de 1936, l’amorce de la guérilla dans la zone du Canal encore occupée, n’ont été mis en déroute que par l’incendie du Caire (1951), une opération dans laquelle les Frères musulmans ont trempé.

Le premier coup d’État des Officiers libres (1952), mais surtout le second inaugurant la prise de contrôle de Nasser (1954) sont alors venus pour « couronner » cette période de flux continu des luttes selon les uns, ou pour y mettre un terme, selon les autres. Le nassérisme a substitué à cette lecture que je propose de l’éveil égyptien un discours idéologique abolissant toute l’histoire des années 1919-1952 pour faire remonter la « révolution égyptienne » à juillet 1952. A l’époque, beaucoup parmi les communistes avaient dénoncé ce discours et analysé les coups d’Etat de 1952 et 1954 comme destinés à mettre un terme à la radicalisation du mouvement démocratique. Ils n’avaient pas tort, car le nassérisme ne s’est cristallisé comme projet anti-impérialiste qu’après Bandoung (avril 1955). Le nassérisme a alors réalisé ce qu’il pouvait donner : une posture internationale résolument anti-impérialiste (associée aux mouvements panarabe et panafricain), des réformes sociales progressistes (mais non « socialistes »).

Le tout, par en haut, non seulement « sans démocratie » (en interdisant aux classes populaires le droit de s’organiser par elles-mêmes et pour elles-mêmes), mais en « abolissant » toute forme de vie politique. Le vide créé appelait l’Islam politique à le remplir. Le projet a alors épuisé son potentiel d’avancées en un temps bref – dix années de 1955 à 1965.

L’essoufflement offrait à l’impérialisme, dirigé désormais par les États-Unis, l’occasion de briser le mouvement, en mobilisant à cet effet leur instrument militaire régional : Israël. La défaite de 1967 marque alors la fin de ce demi-siècle de flux. Le reflux est amorcé par Nasser lui-même, choisissant la voie des concessions à droite – (« l’infitah » – l’ouverture, entendre « à la mondialisation capitaliste ») plutôt que la radicalisation pour laquelle se battaient, entre autres, les étudiants (dont le mouvement occupe le devant de la scène en 1970, peu avant puis après la mort de Nasser). Sadate qui succède, accentue la portée de la dérive à droite et intègre les Frères musulmans dans son nouveau système autocratique. Moubarak poursuit dans la même voie.

La période de reflux qui suit (1967-2011) couvre à son tour presqu’un demi-siècle. L’Égypte, soumise aux exigences du libéralisme mondialisé et aux stratégies des Etats-Unis, a cessé d’exister comme acteur actif régional et international. Dans la région, les alliés majeurs des Etats-Unis – l’Arabie saoudite et Israël – occupent le devant de la scène. Israël peut alors s’engager dans la voie de l’expansion de sa colonisation de la Palestine occupée, avec la complicité tacite de l’Égypte et des pays du Golfe.

L’Égypte de Nasser avait mis en place un système économique et social critiquable mais cohérent. Nasser avait fait le pari de l’industrialisation pour sortir de la spécialisation internationale coloniale qui cantonnait le pays à l’exportation de coton. Ce système a assuré une répartition des revenus favorable aux classes moyennes en expansion, sans appauvrissement des classes populaires.

Sadate et Moubarak ont œuvré au démantèlement du système productif égyptien, auquel ils ont substitué un système totalement incohérent, exclusivement fondé sur la recherche de la rentabilité d’entreprises qui ne sont pour la plupart que des sous-traitants du capital des monopoles impérialistes. Les taux de croissance égyptiens, prétendument élevés, qu’exalte depuis trente ans la Banque mondiale, n’ont aucune signification. La croissance égyptienne est vulnérable à l’extrême. Cette croissance, par ailleurs, s’est accompagnée d’une incroyable montée des inégalités et du chômage qui frappe une majorité de jeunes. Cette situation était explosive ; elle a explosé.

L’apparente « stabilité du régime » que Washington vantait reposait sur une machine policière monstrueuse (1 200 000 hommes contre 5 00 000 seulement pour l’armée), qui se livrait à des abus criminels quotidiens. Les puissances impérialistes prétendaient que ce régime « protégeait » l’Égypte de l’alternative islamiste. Or, il ne s’agit là que d’un mensonge grossier. En fait, le régime avait parfaitement intégré l’Islam politique réactionnaire (le modèle wahabite du Golfe) dans son système de pouvoir, en lui concédant la gestion de l’éducation, de la justice et des médias majeurs (la télévision en particulier). Le seul discours autorisé était celui des mosquées confiées aux Salafistes, leur permettant de surcroît de faire semblant de constituer « l’opposition ».

La duplicité cynique du discours de l’establishment des États-Unis (et sur ce plan Obama n’est pas différent de Bush) sert parfaitement ses objectifs. Le soutien de fait à l’Islam politique annihile les capacités de la société à faire face aux défis du monde moderne (il est à l’origine du déclin catastrophique de l’éducation et de la recherche), tandis que la dénonciation occasionnelle des « abus » dont il est responsable (assassinats de Coptes, par exemple) sert à légitimer les interventions militaires de Washington engagé dans la soit disant « guerre contre le terrorisme ».

Le régime pouvait paraître « tolérable » tant que fonctionnait la soupape de sécurité que représentait l’émigration en masse des pauvres et des classes moyennes vers les pays pétroliers. L’épuisement de ce système (la substitution d’immigrés asiatiques à ceux en provenance des pays arabes) a entraîné la renaissance des résistances. Les grèves ouvrières de 2007 – les plus fortes du continent africain depuis 50 ans – la résistance obstinée des petits paysans menacés d’expropriation par le capitalisme agraire, la formation de cercles de protestation démocratique dans les classes moyennes (les mouvements Kefaya et du 6 avril) annonçaient l’inévitable explosion – attendue en Égypte, même si elle a surpris les « observateurs étrangers ». Nous sommes donc entrés dans une phase nouvelle de flux des luttes d’émancipation dont il nous faut alors analyser les directions et les chances de développement.

Les composantes du mouvement démocratique

La « révolution égyptienne » en cours illustre la possibilité de la fin annoncée du système « néolibéral », remis en cause dans toutes ses dimensions politiques, économiques et sociales. Ce mouvement gigantesque du peuple égyptien associe trois composantes actives : les jeunes « re-politisés » par leur propre volonté et dans des formes « modernes » qu’ils ont inventées, les forces de la gauche radicale, celles rassemblées par les classes moyennes démocrates.

Les jeunes (environ un million de militants) ont été le fer de lance du mouvement. Ils ont été immédiatement rejoints par la gauche radicale et les classes moyennes démocrates. Les Frères musulmans dont les dirigeants avaient appelé à boycotter les manifestations pendant les quatre premiers jours (persuadés que celles-ci seraient mises en déroute par la répression) n’ont accepté le mouvement que tardivement, lorsque l’appel, entendu par l’ensemble du peuple égyptien, a produit des mobilisations gigantesques de 15 millions de manifestants.

Les jeunes et la gauche radicale poursuivent trois objectifs communs : la restauration de la démocratie (la fin du régime militaire et policier), la mise en œuvre d’une nouvelle politique économique et sociale favorable aux classes populaires (la rupture avec la soumission aux exigences du libéralisme mondialisé), et celle d’une politique internationale indépendante (la rupture avec la soumission aux exigences de l’hégémonie des États-Unis et du déploiement de son contrôle militaire sur la planète). La révolution démocratique à laquelle ils appellent est une révolution démocratique anti-impérialiste et sociale. Bien que le mouvement des jeunes reste diversifié dans sa composition sociale et ses expressions politiques et idéologiques, il se situe dans l’ensemble « à gauche ». Les manifestations de sympathie spontanées et fortes avec la gauche radicale en sont le témoignage.

Les classes moyennes se rassemblent dans l’ensemble autour du seul objectif démocratique, sans nécessairement remettre intégralement en cause le « marché » (tel qu’il est) et l’alignement international de l’Égypte. On ne doit pas ignorer le rôle d’un groupe de blogueurs qui participent – consciemment ou pas – à un véritable complot organisé par la CIA. Ses animateurs sont généralement des jeunes issus des classes aisées, américanisés à l’extrême, qui se posent néanmoins en « contestataires » des dictatures en place. Le thème de la démocratie, dans la version que sa manipulation par Washington impose, domine leurs interventions sur le « net ». Ils participent de ce fait à la chaîne des acteurs des contrerévolutions orchestrées par Washington, déguisées en « révolutions démocratiques » sur le modèle « des révolutions colorées » de l’Europe de l’Est.

Mais on aurait tort de conclure que ce complot est à l’origine des révoltes populaires. La CIA tente néanmoins de renverser le sens du mouvement, d’éloigner les militants de leurs objectifs de transformation sociale progressiste et de les dévoyer sur d’autres terrains. Les chances de succès du complot deviennent sérieuses si le mouvement échoue dans la construction de la convergence de ses diverses composantes, à identifier des objectifs stratégiques communs et à inventer des formes d’organisation et d’action efficaces. On connaît des exemples de cet échec, aux Philippines et en Indonésie par exemple. Il est intéressant de noter à ce propos que nos blogueurs, qui s’expriment en anglais plutôt qu’en arabe ( !), partis dans la défense de la « démocratie » – à l’américaine- développent souvent, en Egypte, des arguments destinés à légitimer les Frères Musulmans.

L’appel à la manifestation formulé par les trois composantes actives du mouvement a été rapidement entendu par l’ensemble du peuple égyptien. La répression, d’une violence extrême les premiers jours (plus d’un millier de morts) n’a pas découragé ces jeunes et leurs alliés (qui, à aucun moment, n’ont appelé à leur secours les puissances occidentales comme on a pu le voir ailleurs). Leur courage a été l’élément décisif qui a entraîné dans la protestation à travers tous les quartiers des grandes et des petites villes, voire de villages, une quinzaine de millions de manifestants pendant des jours et des jours (et parfois des nuits).

Ce succès politique foudroyant a produit ses effets : la peur a changé de camp ; Hilary Clinton et Obama ont découvert alors qu’il leur fallait lâcher Moubarak qu’ils avaient soutenu jusqu’alors, tandis que les dirigeants de l’armée sortaient du silence, refusaient de participer à la relève de la répression – sauvegardant ainsi leur image – et finalement déposaient Moubarak et quelque uns de ses suppôts majeurs.

La généralisation du mouvement à l’ensemble du peuple égyptien constitue par elle-même un défi positif. Car ce peuple est, comme tous les autres, loin de constituer un « bloc homogène ». Certains des segments qui le composent renforcent incontestablement la perspective d’une radicalisation possible. L’entrée dans la bataille de la classe ouvrière (environ 5 millions de travailleurs) peut être décisive. Les travailleurs en lutte (à travers de nombreuses grèves) ont fait progresser des formes d’organisation amorcées depuis 2007.

On compte désormais plus d’une cinquantaine de syndicats indépendants. La résistance opiniâtre des petits paysans aux expropriations rendues possibles par l’annulation de la réforme agraire (les Frères musulmans ont voté au parlement pour ces lois scélérates, sous prétexte que la propriété privée serait « sacrée » dans l’Islam et que la réforme agraire était inspirée par le diable communiste !) participe également de la radicalisation possible du mouvement. Il reste qu’une masse gigantesque de « pauvres » ont participé activement aux manifestations de février 2011 et se retrouvent souvent dans des comités populaires constitués dans les quartiers pour « défendre la révolution ». Ces « pauvres » peuvent donner l’impression (par les barbes, les voiles, les accoutrements vestimentaires) que le pays profond est « islamique », voire mobilisé par les Frères musulmans. En fait, leur entrée en scène s’est imposée à la direction de l’organisation. La course est donc engagée : qui des Frères et de leurs associés islamistes (les Salafistes) ou de l’alliance démocratique parviendra à formuler des alliances efficaces avec les masses désorientées, voire à les « encadrer » (terme que je récuse) ?

Des avancées non négligeables dans la construction du front uni des forces démocratiques et des travailleurs sont en cours en Egypte. Cinq partis d’orientation socialiste (le Parti Socialiste égyptien, l’Alliance populaire démocratique –une majorité sortie de l’ancien parti du Tagammu, le Parti démocratique des travailleurs, le Parti des Socialistes révolutionnaires –trotskiste, et le Parti Communiste égyptien –qui avait été une composante du Tagammu) ont constitué en avril 2011 une Alliance des forces socialistes, et se sont engagés à poursuivre, à travers elle, leurs luttes en commun. Parallèlement un Conseil National (Maglis Watany) à été constitué par toutes les forces politiques et sociales acteurs du mouvement (les partis à orientation socialiste, les partis démocratiques divers, les syndicats indépendants, les organisations paysannes, les réseaux de jeunes, de nombreuses associations sociales). Les Frères Musulmans et les partis de droite ont refusé de participer à ce Conseil, réaffirmant ainsi ce qu’on sait : leur opposition à la poursuite du mouvement. Le Conseil rassemble environ 150 membres.

Face au mouvement démocratique : le bloc réactionnaire

Tout comme dans la période de flux des luttes du passé, le mouvement démocratique anti-impérialiste et social se heurte en Égypte à un bloc réactionnaire puissant. Ce bloc peut être identifié dans les termes de ses composantes sociales (de classes, évidemment) mais il doit l’être tout également dans ceux qui définissent ses moyens d’intervention politique et des discours idéologiques au service de celle-ci.

En termes sociaux, le bloc réactionnaire est dirigé par la bourgeoisie égyptienne considérée dans son ensemble. Les formes d’accumulation dépendante à l’œuvre au cours des 40 dernières années ont produit l’émergence d’une bourgeoisie riche, bénéficiaire exclusive de l’inégalité scandaleuse qui a accompagné ce modèle « libéral-mondialisé ». Il s’agit de dizaines de milliers non pas « d’entrepreneurs inventifs » – comme le discours de la Banque mondiale les présente – mais de millionnaires et de milliardaires qui tous doivent leur fortune à leur collusion avec l’appareil politique (la « corruption » est une composante organique de ce système). Cette bourgeoisie est compradore (dans la langue politique courante en Égypte le peuple les qualifie de « parasites corrompus »).

Elle constitue le soutien actif de l’insertion de l’Égypte dans la mondialisation impérialiste contemporaine, l’allié inconditionnel des États-Unis. Cette bourgeoisie compte dans ses rangs de nombreux généraux de l’armée et de la police, de « civils » associés à l’État et au parti dominant (« National démocratique ») créé par Sadate et Moubarak, de religieux (la totalité des dirigeants des Frères musulmans et des cheikhs majeurs de l’Azhar, sont tous des « milliardaires »). Certes, il existe encore une bourgeoisie de petits et moyens entrepreneurs actifs.

Mais ceux-là sont les victimes du système de racket mis en place par la bourgeoisie compradore, réduits le plus souvent au statut de sous-traitants dominés par les monopoles locaux, eux-mêmes courroies de transmission des monopoles étrangers. Dans le domaine de la construction, cette situation est presque généralisée : les « gros » raflent les marchés puis les sous-traitent avec les « petits ». Cette bourgeoisie d’entrepreneurs authentiques sympathise avec le mouvement démocratique.

Le versant rural du bloc réactionnaire n’est pas moins important. Il s’est constitué de paysans riches qui ont été les bénéficiaires majeurs de la réforme agraire nassérienne, se substituant à l’ancienne classe des grands propriétaires. Les coopératives agricoles mises en place par le régime nassérien associaient les petits paysans et les paysans riches et de ce fait fonctionnaient principalement au bénéfice des riches. Mais le régime avait pris des précautions pour limiter les agressions possibles contre les petits paysans.

Ces précautions ayant été abandonnées par Sadate et Moubarak, sur la recommandation de la Banque mondiale, la paysannerie riche s’emploie maintenant à accélérer l’élimination de la petite paysannerie. Les paysans riches ont toujours constitué dans l’Égypte moderne une classe réactionnaire et ils le sont plus que jamais. Ils sont également le soutien majeur de l’Islam conservateur dans les campagnes et, par leurs rapports étroits (souvent de parenté) avec les représentants des appareils d’État et de la religion (l’Azhar est en Égypte l’équivalent d’une Église musulmane organisée) dominent la vie sociale rurale. De surcroît une bonne partie des classes moyennes urbaines (en particulier les officiers de l’armée et de la police, mais également les technocrates et les professions libérales) sont sorties directement de la paysannerie riche.

Ce bloc social réactionnaire dispose d’instruments politiques à son service : l’armée et la police, les institutions de l’État, le parti politique privilégié (une sorte de parti unique de fait) – le Parti national démocratique créé par Sadate –, l’appareil religieux (l’Azhar), les courants de l’Islam politique (les Frères musulmans et les Salafistes). L’aide militaire octroyée par les États-Unis à l’armée égyptienne (1,5 milliard de dollars annuels) n’a jamais été destinée à renforcer la capacité de défense du pays mais au contraire à en annihiler le danger par la corruption systématique, non pas connue et tolérée, mais soutenue positivement, avec cynisme. Cette « aide » a permis aux plus hauts officiers de s’approprier des segments importants de l’économie compradore égyptienne, au point qu’on parle en Égypte de « la société anonyme/armée » (Sharika al geish).

Le commandement de l’armée qui a pris la responsabilité de « diriger » la période de transition, n’est de ce fait pas « neutre » bien qu’il ait pris la précaution de paraître l’être en se dissociant de la répression. Le gouvernement « civil » à ses ordres (dont les membres ont été nommés par le haut commandement) composé en partie d’hommes de l’ancien régime, choisis néanmoins parmi les personnalités les moins visibles de celui-ci, a pris une série de mesures parfaitement réactionnaires destinées à freiner la radicalisation du mouvement. Parmi ces mesures une loi scélérate antigrève (sous prétexte de remettre en route l’économie du pays), une loi imposant des restrictions sévères à la constitution des partis politiques qui vise à ne permettre la possibilité d’entrer dans le jeu électoral qu’aux courants de l’Islam politique (les Frères musulmans en particulier) déjà bien organisés grâce au soutien systématique du régime ancien. Et cependant, en dépit de tout cela, l’attitude de l’armée demeure en dernier ressort imprévisible.

Car en dépit de la corruption de ses cadres (les soldats sont des conscrits mais les officiers sont des professionnels) le sentiment nationaliste n’est pas toujours absent chez tous. De surcroît l’armée souffre d’avoir pratiquement été écartée du pouvoir au profit de la police. Dans ces circonstances, et parce que le mouvement a exprimé avec force sa volonté d’écarter l’armée de la direction politique du pays, il est probable que le haut commandement envisagera pour l’avenir de rester dans les coulisses, renonçant à présenter ses hommes dans les élections à venir.

Si, évidemment, l’appareil policier demeure intact (aucune poursuite n’est envisagée contre ses responsables) comme l’ensemble de l’appareil d’État (les nouveaux gouverneurs sont tous des anciens du régime), le Parti national démocratique a par contre disparu dans la tourmente et sa dissolution prononcée par la justice. Néanmoins faisons confiance à la bourgeoisie égyptienne, elle saura faire renaître son parti sous des appellations nouvelles diverses.

L’Islam politique

Les Frères musulmans constituent la seule force politique dont le régime avait non seulement toléré l’existence, mais dont il avait soutenu activement l’épanouissement. Sadate et Moubarak leur avaient confié la gestion de trois institutions fondamentales : l’éducation, la justice et la télévision. Les Frères musulmans n’ont jamais été et ne peuvent pas être « modérés », encore moins « démocratiques ».

Leur chef – le mourchid (traduction arabe de « guide » – Führer) est autoproclamé et l’organisation repose sur le principe de la discipline et de l’exécution des ordres des chefs, sans discussions d’aucune sorte. La direction est constituée exclusivement d’hommes immensément riches (grâce, entre autre, au soutien financier de l’Arabie Saoudite, c’est-à-dire de Washington), l’encadrement par des hommes issus des fractions obscurantistes des classes moyennes, la base par des gens du peuple recrutés par les services sociaux de charité offerts par la confrérie (et financés toujours par l’Arabie Saoudite), tandis que la force de frappe est constituée par les milices (les baltaguis) recrutés dans le lumpen.

Les Frères musulmans sont acquis à un système économique basé sur le marché et totalement dépendant de l’extérieur. Ils sont en fait une composante de la bourgeoisie compradore. Ils ont d’ailleurs pris position contre les grandes grèves de la classe ouvrière et les luttes des paysans pour conserver la propriété de leur terre. Les Frères musulmans ne sont donc « modérés » que dans le double sens où ils ont toujours refusé de formuler un programme économique et social quelconque et que, de fait, il ne remettent pas en cause les politiques néo-libérales réactionnaires, et qu’ils acceptent de facto la soumission aux exigences du déploiement du contrôle des États-Unis dans le monde et dans la région. Ils sont donc des alliés utiles pour Washington (y-a-t-il un meilleur allié des États-Unis que l’Arabie Saoudite, patron des Frères ?) qui leur a décerné un « certificat de démocratie » !

Mais les États-Unis ne peuvent avouer que leur stratégie vise à mettre en place des régimes « islamiques » dans la région. Ils ont besoin de faire comme si « cela leur faisait peur ». Par ce moyen, ils légitiment leur « guerre permanente au terrorisme », qui poursuit en réalité d’autres objectifs : le contrôle militaire de la planète destiné à réserver aux États-Unis-Europe-Japon l’accès exclusif aux ressources. Avantage supplémentaire de cette duplicité : elle permet de mobiliser « l’islamophobie » des opinions publiques. L’Europe, comme on le sait, n’a pas de stratégie particulière à l’égard de la région et se contente de s’aligner au jour le jour sur les décisions de Washington. Il est plus que jamais nécessaire de faire apparaître clairement cette véritable duplicité de la stratégie des États-Unis, dont les opinions publiques – manipulées avec efficacité – sont dupes.

Les États-Unis, (et derrière eux l’Europe) craignent plus que tout une Égypte réellement démocratique qui, certainement, remettrait en cause son alignement sur le libéralisme économique et la stratégie agressive des États-Unis et de l’OTAN. Ils feront tout pour que l’Égypte ne soit pas démocratique et, à cette fin, soutiendront, par tous les moyens, mais avec hypocrisie, la fausse alternative Frères musulmans qui ont montré n’être qu’en minorité dans le mouvement du peuple égyptien pour un changement réel.

La collusion entre les puissances impérialistes et l’Islam politique n’est d’ailleurs ni nouvelle, ni particulière à l’Égypte. Les Frères musulmans, depuis leur création en 1927 jusqu’à ce jour, ont toujours été un allié utile pour l’impérialisme et le bloc réactionnaire local. Ils ont toujours été un ennemi féroce des mouvements démocratiques en Égypte. Et les multimilliardaires qui assurent aujourd’hui la direction de la Confrérie ne sont pas destinés à se rallier à la cause démocratique !

L’Islam politique est tout également l’allié stratégique des États-Unis et de leurs partenaires subalternes de l’OTAN à travers le monde musulman. Washington a armé et financé les Talibans, qualifiés de « héros de la liberté » (« Freedom Fighters ») dans leur guerre contre le régime national populaire dit « communiste » (avant et après l’intervention soviétique). Lorsque les Talibans ont fermé les écoles de filles créées par les « communistes », il s’est trouvé des « démocrates » et même des « féministes » pour prétendre qu’il fallait « respecter les traditions » !

En Égypte, les Frères musulmans sont désormais épaulés par le courant salafiste (« traditionaliste »), tout également largement financé par les pays du Golfe. Les Salafistes s’affirment extrémistes (wahabites convaincus, intolérants à l’égard de tout autre interprétation de l’Islam) et sont à l’origine des meurtres systématiques perpétrés contre les Coptes. Des opérations difficiles à imaginer sans le soutien tacite (et parfois davantage de complicité) de l’appareil d’État, en particulier de la Justice, largement confiée aux Frères musulmans. Cette étrange division du travail permet aux Frères musulmans de paraître modérés ; ce que Washington feint de croire.

Il y a néanmoins des luttes violentes en perspective au sein des courants religieux islamistes en Égypte. Car l’Islam égyptien historique dominant est « soufi » dont les confréries rassemblent aujourd’hui 15 millions de fidèles. Islam ouvert, tolérant, insistant sur la conviction individuelle plutôt que sur la pratique des rites (« il y a autant de voies vers Dieu que d’individus » disent-ils), le soufisme égyptien a toujours été tenu en suspicion par les pouvoirs d’État, lesquels, néanmoins, maniant la carotte et le bâton, se gardaient d’entrer en guerre ouverte contre lui. L’Islam wahabite du Golfe se situe à ses antipodes : il est archaïque, ritualiste, conformiste, ennemi déclaré de toute interprétation autre que la sienne, laquelle n’est que répétitive des textes, ennemie de tout esprit critique – assimilé au Diable. L’Islam wahabite a déclaré la guerre au soufisme qu’il veut « extirper » et compte sur l’appui des autorités du pouvoir pour y parvenir.

réaction, les soufistes d’aujourd’hui sont laïcisants, sinon laïques ; ils appellent à la séparation entre la religion et la politique (le pouvoir d’État et celui des autorités religieuses reconnues par lui, l’Azhar). Les soufistes sont des alliés du mouvement démocratique. L’introduction de l’Islam wahabite en Égypte a été amorcée par Rachid Reda dans les années 1920 et repris par les Frères musulmans dès 1927. Mais il n’a pris toute sa vigueur qu’après la seconde guerre mondiale lorsque la rente pétrolière des pays du Golfe, soutenus par les États-Unis en conflit avec la vague de libération nationale populaire des années 1960, a permis d’en démultiplier les moyens financiers.

La stratégie des États-Unis : le modèle pakistanais

Les trois puissances qui ont dominé la scène moyen-orientale au cours de toute la période de reflux (1967-2011) sont les États-Unis, patron du système, l’Arabie Saoudite et Israël. Il s’agit là de trois alliés intimes. Ils partagent tous les trois la même hantise de l’émergence d’une Égypte démocratique. Car celle-ci ne pourrait être qu’anti-impérialiste et sociale, prendrait ses distances à l’égard du libéralisme mondialisé, condamnerait l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe à l’insignifiance, réanimerait la solidarité des peuples arabes et imposerait la reconnaissance de l’État palestinien par Israël.

L’Égypte est une pièce angulaire dans la stratégie états-unienne de contrôle de la Planète. L’objectif exclusif de Washington et de ses alliés Israël et l’Arabie Séoudite est de faire avorter le mouvement démocratique en Égypte et, à cette fin, veulent impose un « régime islamique » dirigé par les Frères Musulmans, qui est le seul moyen pour eux de perpétuer la soumission de l’Égypte. Le « discours démocratique » d’Obama n’est là que pour tromper les opinions naïves, celles des États-Unis et de l’Europe en premier lieu.

On parle beaucoup, pour donner une légitimité à un gouvernement des Frères musulmans (« ralliés à la démocratie ! »), de l’exemple turc. Mais il ne s’agit là encore que de poudre aux yeux. Car l’armée turque, qui reste présente dans les coulisses, bien que certainement non démocratique et de surcroit un allié fidèle de l’OTAN, reste la garantie de la « laïcité » en Turquie. Le projet de Washington, ouvertement exprimé par Hilary Clinton, Obama et les think tanks à leur service, s’inspire du modèle pakistanais : l’armée (« islamique ») dans les coulisses, le gouvernement (« civil ») assumé par un (ou des) parti islamique « élu ».

Évidemment, dans cette hypothèse, le gouvernement « islamique » égyptien serait récompensé pour sa soumission sur l’essentiel (la non remise en cause du libéralisme et des soit disant « traités de paix » qui permettent à Israël la poursuite de sa politique d’expansion territoriale) et pourrait poursuivre, en compensation démagogique, la mise en œuvre de ses projets « d’islamisation de l’État et de la politique », et les assassinats des Coptes ! Belle démocratie que celle conçue à Washington pour l’Égypte.

L’Arabie Séoudite soutient évidemment avec tous ses moyens (financiers) la mise en œuvre de ce projet. Car Ryad sait parfaitement que son hégémonie régionale (dans le monde arabe et musulman) exige la réduction de l’Égypte à l’insignifiance. Et le moyen est « l’islamisation de l’État et de la politique » ; en fait, une islamisation à la wahabite, avec tous ses effets – entre autres celui de dévoiements fanatiques à l’égard des Coptes et d’une négation des droits à l’égalité des femmes.

Cette forme d’islamisation est-elle possible ? Peut être, mais au prix de violences extrêmes. La bataille est conduite sur l’article 2 de la constitution du régime déchu. Cet article qui stipule que « la sharia est la source du droit », est une nouveauté dans l’histoire politique de l’Égypte. Ni la constitution de 1923, ni celle de Nasser ne l’avaient imaginé. C’est Sadate qui l’a introduit dans sa nouvelle constitution, avec le soutien triple de Washington (« respecter les traditions » !), de Ryad (« le Coran tient lieu de Constitution ») et de Jérusalem (« l’État d’Israël est un État juif »).

Le projet des Frères Musulmans demeure la mise en place d’un Etat théocratique, comme en témoigne leur attachement à l’article 2 de la Constitution de Sadate/Moubarak. De surcroît le programme le plus récent de l’organisation renforce encore cette vision passéiste par la proposition de mise en place d’un « Conseil des Ulémas » chargé de veiller à la conformité de toute proposition de loi aux exigences de la Sharia. Ce conseil constitutionnel religieux, est l’analogue de celui qui, en Iran, contrôle le « pouvoir élu ».

Le régime est alors celui d’un super parti religieux unique et tous les partis qui se revendiqueraient de la laïcité deviennent « illégaux ». Leurs partisans, comme les non Musulmans (les Coptes), sont, de ce fait, exclus de la vie politique. En dépit de tout cela les pouvoirs à Washington et en Europe font comme si on pouvait prendre au sérieux la récente déclaration des Frères « renonçant » au projet théocratique (sans modifier leur programme !), une déclaration opportuniste mensongère de plus. Les experts de la CIA ne savent-ils donc pas lire l’arabe ? La conclusion s’impose : Washington préfère le pouvoir de Frères, qui leur garantit le maintien de l’Egypte dans leur giron et celui de la mondialisation libérale, à celui de démocrates qui risqueraient fort de remettre en question le statut subalterne de l’Egypte. Le Parti de la Justice et de la Liberté, créé récemment et inspiré visiblement du modèle turc, n’est guère qu’un instrument des Frères.

Les Coptes y seraient admis ( !), ce qui signifie qu’ils sont invités à accepter l’Etat musulman théocratique consacré par le programme des Frères, s’ils veulent avoir le droit de « participer » à la vie politique de leur pays. Passés à l’offensive, les Frères Musulmans créent des « syndicats », des « organisations paysannes » et une kyrielle de « partis politiques » revêtant des noms divers, dont le seul objectif est de diviser les fronts unis ouvriers, paysans et démocratiques en voie de construction, au bénéfice, bien entendu, du bloc contrerévolutionnaire.

Le mouvement démocratique égyptien sera-t-il capable d’abroger cet article dans la nouvelle constitution à venir ? On ne peut répondre à cette question que par un retour sur un examen des débats politiques, idéologiques et culturels qui se sont déployés dans l’histoire de l’Égypte moderne.

On constate en effet que les périodes de flux sont caractérisées par une diversité d’opinions ouvertement exprimées qui relèguent la « religion » (toujours présente dans la société) à l’arrière-plan. Il en fut ainsi pendant les deux tiers du XIXe siècle (de Mohamed Ali au Khédive Ismaïl). Les thèmes de la modernisation (dans une forme de despotisme éclairé plutôt que démocratique) dominent alors la scène. Il en fut de même de 1920 à 1970 : l’affrontement est ouvert entre les « démocrates bourgeois » et les « communistes » qui occupent largement le devant de la scène jusqu’au nassérisme. Celui-ci abolit ce débat pour lui substituer un discours populiste pan arabe, mais simultanément « modernisant ». Les contradictions de ce système ouvrent la voie au retour de l’Islam politique.

On constate, en contrepoint, que dans les phases de reflux la diversité d’opinions s’efface, laissant la place au passéisme prétendu islamique, qui s’octroie le monopole du discours autorisé par le pouvoir. De 1880 à 1920 les Britanniques ont construit cette dérive, entre autre par la condamnation à l’exil (en Nubie, pour l’essentiel) de tous les penseurs et acteurs modernistes égyptiens formés depuis Mohamed Ali. Mais on remarquera aussi que « l’opposition » à cette occupation britannique se range également dans cette conception passéiste. La Nahda (inaugurée par Afghani et poursuivie par Mohamed Abdou) s’inscrit dans cette dérive, associée à l’illusion ottomaniste défendue par le nouveau Parti Nationaliste de Moutapha Kemal et Mohammad Farid. Que cette dérive ait conduit vers la fin de l’époque aux écrits ultra-réactionnaires de Rachid Reda, repris par Hassan el Banna, fondateur des Frères musulmans, ne devrait pas surprendre.

Il en est de même encore dans la période de reflux des années 1970-2010.Le discours officiel du pouvoir (de Sadate et de Moubarak), parfaitement islamiste (la preuve : l’introduction de la Sharia dans la constitution et la délégation de pouvoirs essentiels aux Frères musulmans), est également celui de la fausse opposition, la seule tolérée, celle du discours des mosquées. L’article 2 peut paraître de ce fait, bien solidement ancré dans la « conviction » générale (la « rue » comme on se plaît à dire, par imitation du discours étatsunien).

On ne saurait sous-estimer les effets dévastateurs de la dépolitisation mise en œuvre systématiquement pendant les périodes de reflux. La pente n’est jamais facile à remonter. Mais cela n’est pas impossible. Les débats en cours en Égypte sont axés – explicitement ou implicitement – sur cette question de la prétendue dimension « culturelle » du défi (en l’occurrence islamique). Indicateurs positifs : il a suffi de quelques semaines de débats libres imposés dans les faits pour voir le slogan « l’islam est la solution » disparaître dans toutes les manifestations au bénéfice de revendications précises sur le terrain de la transformation concrète de la société (liberté d’opinion, de formation des partis, syndicats et autres organisations sociales, salaires et droits du travail, accès à la terre, école et santé, rejet des privatisations et appel aux nationalisations etc.)

Signe qui ne trompe pas : aux élections des étudiants, l’écrasante majorité (80%) des voix données aux Frères musulmans il y a cinq ans (lorsque seul ce discours était accepté comme prétendue opposition) a fait suite à une chute des Frères dans les élections d’avril à 20% ! Mais l’adversaire sait également organiser la riposte au « danger démocratique ». Les modifications insignifiantes de la constitution (toujours en vigueur !) proposées par un comité constitué exclusivement d’islamistes choisis par le conseil suprême (l’armée) et adoptées à la hâte en avril par referendum (23% de « non », mais une majorité de « oui », forcée par les fraudes et un chantage massif des mosquées) ne concernent évidemment pas l’article 2.

Des élections présidentielles et législatives sont prévues pour septembre / octobre 2011. Le mouvement démocratique se bat pour une « transition démocratique » plus longue, de manière à permettre à ses discours d’atteindre véritablement les masses désemparées. Mais Obama a choisi dès les premiers jours de l’insurrection : une transition brève, ordonnée (c’est à dire sans remise en cause des appareils du régime) et des élections (donnant une victoire souhaitée aux Islamistes). Les « élections » comme on le sait, en Égypte comme ailleurs dans le monde, ne sont pas le meilleur moyen d’asseoir la démocratie, mais souvent celui de mettre un terme à la dynamique des avancées démocratiques.

Un dernier mot concernant la « corruption ». Le discours dominant du « régime de transition » place l’accent sur sa dénonciation, associée de menaces de poursuites judiciaires (on verra ce qu’il en sera dans les faits). Ce discours est certainement bien reçu, en particulier par la fraction sans doute majeure de l’opinion naïve.

Mais on se garde d’en analyser les raisons profondes et de faire comprendre que la « corruption » (présentée comme une déviance morale, façon discours moralisant étatsunien) est une composante organique nécessaire à la formation de la bourgeoisie. Non seulement dans le cas de l’Égypte et dans les pays du Sud en général, s’agissant de la formation d’une bourgeoisie compradore dont l’association aux pouvoirs d’État constitue le seul moyen pour son émergence. Je soutiens qu’au stade du capitalisme des monopoles généralisés, la corruption est devenue un élément constitutif organique de la reproduction du modèle d’accumulation : le prélèvement de la rente des monopoles exige la complicité active de l’État. Le discours idéologique (« le virus libéral ») proclame « pas d’État » ; tandis que sa pratique est : « l’État au service des monopoles ».


La zone des tempêtes

Mao n’avait pas tort lorsqu’il affirmait que le capitalisme (réellement existant, c’est-à-dire impérialiste par nature) n’avait rien à offrir aux peuples des trois continents (la périphérie constituée par l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine – cette « minorité » qui rassemble 85% de la population de la planète !) et que donc le Sud constituait la « zone des tempêtes », c’est-à-dire des révoltes répétées, potentiellement (mais seulement potentiellement) porteuses d’avancées révolutionnaires en direction du dépassement socialiste du capitalisme.

Le « printemps arabe » s’inscrit dans cette réalité. Il s’agit de révoltes sociales potentiellement porteuses de la cristallisation d’alternatives, qui peuvent à long terme s’inscrire dans la perspective socialiste. C’est la raison pour laquelle le système capitaliste, le capital des monopoles dominants à l’échelle mondiale, ne peut tolérer le développement de ces mouvements. Il mobilisera tous les moyens de déstabilisation possibles, des pressions économiques et financières jusqu’à la menace militaire. Il soutiendra, selon les circonstances, soit les fausses alternatives fascistes ou fascisantes, soit la mise en place de dictatures militaires. Il ne faut pas croire un mot de ce que dit Obama. Obama, c’est Bush, mais avec un autre langage. Il y a là une duplicité permanente dans le langage des dirigeants de la triade impérialiste (États-Unis, Europe occidentale, Japon).

Je n’ai pas l’intention, dans cet article, d’examiner avec autant de précision chacun des mouvements en cours dans le monde arabe (Tunisie, Libye, Syrie, Yémen et autres). Car les composantes du mouvement sont différents d’un pays à l’autre, tout comme le sont les formes de leur intégration dans la mondialisation impérialiste et les structures des régimes en place.

La révolte tunisienne a donné le coup d’envoi et certainement fortement encouragé les Egyptiens. Par ailleurs le mouvement tunisien bénéficie d’un avantage certain : la semi laïcité introduite par Bourguiba ne pourra sans doute pas être remise en cause par les Islamistes rentrés de leur exil en Grande Bretagne. Mais simultanément le mouvement tunisien ne paraît pas être en mesure de remettre en question le modèle de développement extraverti inscrit dans la mondialisation capitaliste libérale.

La Libye n’est ni la Tunisie, ni l’Égypte. Le bloc au pouvoir (Khadafi) et les forces qui se battent contre lui n’ont rien d’analogues avec ce qu’ils sont en Tunisie et en Égypte. Khadafi n’a jamais été qu’un polichinelle dont le vide de la pensée trouve son reflet dans son fameux « Livre vert ». Opérant dans une société encore archaïque, Khadafi pouvait se permettre de tenir des discours successifs – sans grande portée réelle – « nationalistes et socialistes » puis se rallier le lendemain au « libéralisme ». Il l’a fait « pour faire plaisir aux Occidentaux » !, comme si le choix du libéralisme n’aurait pas d’effets dans la société. Or, il en a eu, et, très banalement, aggravé les difficultés sociales pour la majorité. Les conditions étaient alors créées qui ont donné l’explosion qu’on connaît, immédiatement mise à profit par l’Islam politique du pays et les régionalismes. Car la Libye n’a jamais vraiment existé comme nation. C’est une région géographique qui sépare le Maghreb et le Mashreq.

La frontière entre les deux passe précisément au milieu de la Libye. La Cyrénaïque est historiquement grecque et hellénistique, puis est devenue mashréqine. La Tripolitaine, elle, a été latine et est devenue maghrébine. De ce fait, il y a toujours eu une base pour des régionalismes dans le pays. On ne sait pas réellement qui sont les membres du Conseil national de transition de Benghazi. Il y a peut-être des démocrates parmi eux, mais il y a certainement des islamistes, et les pires d’entre eux, et des régionalistes. Dès l’origine « le mouvement » a pris en Lybie la forme d’une révolte armée, faisant feu sur l’armée, et non celle d’une vague de manifestations civiles. Cette révolte armée a par ailleurs appelé immédiatement l’Otan à son secours. L’occasion était alors donnée pour une intervention militaire des puissances impérialistes. L’objectif poursuivi n’est certainement ni la « protection des civils », ni la « démocratie », mais le contrôle du pétrole et l’acquisition d’une base militaire majeure dans le pays. Certes, les compagnies occidentales contrôlaient déjà le pétrole libyen, depuis le ralliement de Khadafi au « libéralisme ». Mais avec Khadafi on n’est jamais sûr de rien. Et s’il retournait sa veste et introduisait demain dans son jeu les Chinois ou les Indiens ? Mais il y a plus grave. Khadafi avait dès 1969 exigé l’évacuation des bases britanniques et états-uniennes mises en place au lendemain de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, les États-Unis ont besoin de transférer l’Africom (le commandement militaire des États-Unis pour l’Afrique, une pièce importante du dispositif du contrôle militaire de la planète, toujours localisé à Stuttgart !) en Afrique. Or l’Union Africaine refuse de l’accepter et jusqu’à ce jour aucun État africain n’a osé le faire. Un laquais mis en place à Tripoli (ou à Benghazi) souscrirait évidemment à toutes les exigences de Washington et de ses alliés subalternes de l’OTAN.

Les composantes de la révolte en Syrie n’ont jusqu’à présent pas fait connaître leurs programmes. Sans doute la dérive du régime baassiste, rallié au néo libéralisme et singulièrement passif face à l’occupation du Golan par Israël est-elle à l’origine de l’explosion populaire. Mais il ne faut pas exclure l’intervention de la CIA : on parle de groupes qui ont pénétré à Diraa en provenance de la Jordanie voisine. La mobilisation des Frères Musulmans, qui avaient été à l’origine il y a quelques années des insurrections de Hama et de Homs, n’est peut-être pas étrangère au complot de Washington, qui s’emploie à mettre un terme à l’alliance Syrie/Iran, essentielle au soutien de Hezbollah au Liban et de Hamas à Gaza.

Au Yemen l’unité s’était construite sur la défaite des forces progressistes qui avaient gouverné le Sud du pays. Le mouvement va-t-il rendre sa vitalité à ces forces ? Pour cette raison on comprend les hésitations de Washington et du Golfe.

A Bahrein la révolte a été tuée dans l’œuf par l’intervention de l’armée séoudienne et le massacre, sans que les médias dominants n’y aient trouvé à redire. Deux poids, deux mesures, comme toujours.

La « révolte arabe » ne constitue pas l’exemple unique, même si elle en est l’expression la plus récente, de la manifestation de l’instabilité inhérente à la « zone des tempêtes ».

Une première vague de « révolutions », si on les appelle ainsi, avait balayé certaines dictatures en Asie (les Philippines, l’Indonésie) et en Afrique (le Mali), qui avaient été mises en place par l’impérialisme et les blocs réactionnaires locaux. Mais ici les États-Unis et l’Europe étaient parvenus à faire avorter la dynamique de ces mouvements populaires, parfois gigantesques par les mobilisations qu’ils ont suscitées. Les États-Unis et l’Europe veulent répéter dans le monde arabe ce qui s’est passé au Mali, aux Philippines et en Indonésie : tout changer pour que rien ne change ! Là-bas, après que les mouvements populaires se sont débarrassés de leurs dictateurs, les puissances impérialistes se sont employées à ce que l’essentiel soit préservé par la mise en place de gouvernements alignés sur le néolibéralisme et les intérêts de leur politique étrangère. Il est intéressant de constater que dans les pays musulmans (Mali, Indonésie), l’Islam politique a été mobilisé à cet effet.

La vague des mouvements d’émancipation qui a balayé l’Amérique du Sud a par contre permis des avancées réelles dans les trois directions que représentent la démocratisation de l’État et de la société, l’adoption de postures anti-impérialistes conséquentes, l’engagement sur la voie de réformes sociales progressistes.

Le discours dominant des médias compare les « révoltes démocratiques » du tiers monde à celles qui ont mis un terme aux « socialismes » de l’Europe orientale à la suite de la chute du « mur de Berlin ». Il s’agit là d’une supercherie pure et simple. Car, quelles qu’aient été les raisons (compréhensibles) des révoltes en question, celles-ci s’inscrivaient dans la perspective de l’annexion de la région par les puissances impérialistes de l’Europe de l’Ouest (au bénéfice de l’Allemagne en premier lieu). En fait, réduits désormais au statut de « périphéries » de l’Europe capitaliste développée, les pays de l’Europe orientale connaîtront demain leur révolte authentique. Il y en a déjà les signes annonciateurs, dans l’ex-Yougoslavie en particulier.

Les révoltes, potentiellement porteuses d’avancées révolutionnaires, sont à prévoir partout ou presque dans les trois continents, qui demeurent, plus que jamais, la zone des tempêtes, démentant par là les discours sirupeux sur le « capitalisme éternel » et la stabilité, la paix, le progrès démocratique qu’on lui associe. Mais ces révoltes, pour devenir des avancées révolutionnaires, devront surmonter de nombreux obstacles : d’une part, surmonter les faiblesses du mouvement, construire des convergences positives entre ses composantes, concevoir et mettre en œuvre des stratégies efficaces, mais aussi d’autre part mettre en déroute les interventions (y compris militaires) de la triade impérialiste. Car toute intervention militaire des États-Unis et de l’OTAN dans les affaires des pays du Sud, sous quelque prétexte que ce soit fût-il d’apparence sympathique – comme l’intervention « humanitaire » – doit être proscrite.

L’impérialisme ne veut ni le progrès social, ni la démocratie pour ces pays. Les laquais qu’il place au pouvoir quand il gagne la bataille resteront des ennemis de la démocratie. On ne peut que déplorer que la « gauche » européenne, même radicale, ait cessé de comprendre ce qu’est l’impérialisme.

Le discours dominant aujourd’hui appelle à la mise en œuvre d’un « droit international » qui autorise en principe l’intervention lorsque les droits fondamentaux d’un peuple sont bafoués. Mais les conditions ne sont pas réunies pour permettre d’avancer dans cette direction. La « communauté internationale » n’existe pas. Elle se résume à l’ambassadeur des États-Unis, suivi automatiquement par ceux de l’Europe. Faut-il faire la longue liste de ces interventions plus que malheureuses, criminelles dans leurs résultats (l’Irak, par exemple) ? Faut-il rappeler le principe « deux poids, deux mesures » qui les caractérise (on pensera évidemment aux droits bafoués des Palestiniens et au soutien inconditionnel à Israël, aux innombrables dictatures toujours soutenues en Afrique) ?

Le printemps des peuples du Sud et l’automne du capitalisme

Les « printemps » des peuples arabes, comme ceux que les peuples d’Amérique latine connaissent depuis deux décennies, que j’appelle la seconde vague de l’éveil des peuples du Sud – la première s’était déployée au 20 ième siècle jusqu’à la controffensive du
capitalisme/impérialisme néo libéral – revêt des formes diverses allant des explosions dirigées contre les autocraties qui ont précisément accompagné le déploiement néo libéral à la remise en cause de l’ordre international par les « pays émergents ». Ces printemps coïncident donc avec « l’automne du capitalisme », le déclin du capitalisme des monopoles généralisés, mondialisés et financiarisés. Les mouvements partent, comme ceux du siècle précédent, de la reconquête de l’indépendance des peuples et des Etas des périphéries du système, reprenant l’initiative dans la transformation du monde. Ils sont donc avant tout des mouvements anti impérialistes et donc seulement potentiellement anti capitalistes. Si ces mouvements parviennent à converger avec l’autre réveil nécessaire, celui des travailleurs des centres impérialistes, une perspective authentiquement socialiste pourrait se dessiner à l’échelle de l’humanité entière. Mais cela n’est en aucune manière inscrit à l’avance comme une « nécessité de l’histoire ».

Le déclin du capitalisme peut ouvrir la voie à la longue transition au socialisme comme il peut engager l’humanité sur la voie de la barbarie généralisée. Le projet de contrôle militaire de la planète par les forces armées des Etats Unis et de leurs alliés subalternes de l’Otan, toujours en cours, le déclin de la démocratie dans les pays du centre impérialiste, le refus passéiste de la démocratie dans les pays du Sud en révolte (qui prend la forme d’illusions para religieuses « fondamentalistes » que les Islam, Hindouisme et Bouddhisme politiques proposent) opèrent ensemble dans cette perspective abominable. La lutte pour la démocratisation laïque prend alors une dimension décisive dans le moment actuel qui oppose la perspective d’une émancipation des peuples à celle de la barbarie généralisée.

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Décès de Didar Fawzy Rossano, révolutionnaire et internationaliste des XXème et XXIème siècles

par Sylvie Braibant
Blog Caravane
TV5 Monde

http://blogs.tv5.org

Source de l'article

 

Hélène Cuenat, dans ses Mémoires, la Porte verte1, cite Didar Fawzi Rossano, parmi les six résistantes pour l’indépendance de l’Algérie, qui s’étaient évadées, en février 1961, de la vieille prison pour femmes de la Roquette (aujourd’hui rasée, et située alors entre le cimetière Père-Lachaise et la Mairie du 11e à Paris.
D’après l’auteur de cet ouvrage, le nom de jeune fille de la résistante égyptienne est Diane Rossano, son prénom est Didar, Fawzi c’est celui de son premier mari, colonel parmi les officiers libres égyptiens, avec Nasser, puis diplomate.

Ces militantes y étaient emprisonnées, ainsi que plusieurs autres résistantes algériennes et françaises, parce qu’elles appartenaient soit au Front de libération nationale algérien, comme les deux Algériennes de naissance, Zina Harraïgue et Fatima, soit au réseau Jeanson, comme les trois militantes françaises, condamnées à 10 ans de prison chacune : Micheline Pouteau, Jacqueline Carré et Hélène Cuenat, militant du PCF, soit au Réseau de Henri Curiel (communiste juif égyptien), comme Didar Fawzi Rossano. (NDLR).

À l’automne 1980, dans le bateau qui reliait le port italien d’Ancône à celui d’Haïfa par les routes méditerranéennes, Didar Fawzy Rossano accomplissait son premier voyage vers Israël. Elle avait 70 ans et elle affichait une curiosité de jeune femme pour ce pays déjà si présent dans sa vie, en négatif ou positif. À mi chemin, l’île de Rhodes, et ses petites figues noires si savoureuses, dépassée, les douaniers israéliens l’appelèrent (comme les autres passagers) pour contrôler son identité. Le jeune officier tentait de comprendre : « vous vivez à Genève, vous êtes de nationalité britannique, vous êtes née au Caire, votre assurance sociale est italienne, et votre permis de conduire est algérien. Et vous vous appelez Diane ou Didar ?… ». De son accent chantant et rauque qui roulait les r, Didar remonta le fil du temps, et le douanier lui remis son passeport avec un léger sourire admiratif et presque tendre. Didar pouvait poursuivre son chemin et ses combats, parmi lesquels, lorsqu’elle faisait route vers Haïfa, la volonté de rapprocher Israéliens et Palestiniens.

Elle était née, en août 1921 au Caire, dans le confort d’une famille de la bourgeoisie juive de la capitale égyptienne alors cosmopolite, bruyante et joyeuse. Pour montrer que l’antisémitisme y était alors inconnu, elle racontait que ses camarades d’école, musulmanes ou chrétiennes, prétendaient toutes être juives. Son désir de s’ouvrir au monde fut précoce : à 12 ans, elle fuguait en compagnie d’un cousin, en route pour l’Amérique fantasmée. Ils furent rattrapés avant d’embarquer. La seconde guerre mondiale éclata alors qu’elle fêtait ses 18 ans. Les mouvements antifascistes, communistes ou nationalistes prenaient de l’ampleur en Égypte, sous l’impulsion des diverses communautés, britanniques, françaises ou juives. Une figure émergea, celle d’Henri Curiel, lointain cousin, issu de l’une des familles les plus prospères du Caire, qui passa de la vie d’oisif à celle de militant indéfectible du communisme international, du soutien aux luttes anticolonialistes, et de la paix israélo-arabe. Elle mis ses pas dans les siens, imbriquant avec cohérence sa vie privée et combattante, révolutionnaire aussi bien dans le public que dans le privé.

Le premier homme à l’éblouir fut un officier libre, engagé dans le coup d’État mené par Nasser en 1952 contre une monarchie en déliquescence. Ce ne fut peut-être pas toujours facile pour Névine et Maïra, leurs deux filles qu’elle aimait tant, parfois à distance, et se voulait attentive à leurs propres parcours, sans jamais chercher à les influencer. Elle pouvait aussi être entêtée, sans être butée… Un jour je la croisais avec sa petite fille Gwénaëlle, alors âgée de 10 ans, dans le métro parisien. La veille et l’avant veille, elles avaient vu Le livre de la jungle, puis Blanche neige et les sept nains. Didar refusait d ‘aller plus loin dans cette concession au capitalisme américain triomphant en allant à la séance des 101 dalmatiens. Gwenaël insistait en souriant joyeusement, sûre d’emporter le morceau. Je sus qu’elle n’avait pas échappé au film honni…

Elle fut de tous les combats d’Henri Curiel, : à la fin des années 40 en Egypte avec la fondation du Parti communiste ; en France avec l’aide aux Algériens du Front de libération nationale, dans les années 50, jusqu’à ce qu’ils conquièrent leur indépendance (elle « portait leurs valises », en fut emprisonnée et s’évada spectaculairement de la prison pour femmes de la Roquette en 1961) ; en Algérie, dans les années 60, pour participer à l’expérience socialiste algérienne où elle excella dans la mise en place des chantiers de jeunesse ; au Proche Orient, pour aider les uns et les autres à se parler ; en Afrique du Sud, avec les militants antiapartheid ; etc, etc. L’assassinat d’Henri Curiel, le 4 mai 1978 à Paris, par un commando de mercenaires, ralentit ses activités. Cela ne signifiait nullement un renoncement. Elle se déplaça sur le terrain de l’écriture et de la recherche, publia sa thèse sur le Soudan contemporain, puis ses mémoires. Et continua à nous faire part de ses réflexions sur le monde agité de l’après 11 septembre. Elle s’enthousiasmait ces dernières semaines à l’écoute des échos révolutionnaires en provenance de son Égypte bien aimée, mais aussi de Tunisie et d’ailleurs.

Voilà deux ans, elle avait annoncé avec une certaine timidité que le combat le plus pertinent aujourd’hui était sans doute celui des femmes pour leurs droits et leur émancipation.

Elle marchait vite et toujours droit devant elle, ceux qui suivaient devaient parfois courir pour ne pas être tenus à distance. Une voiture aura eu raison de sa force, à Genève, un après-midi de mai 2011.

  1. éditions Bouchène, Paris, 2001. []
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L’infinie catastrophe

par Jacqueline Merville
Auteure.
"Presque africaine" paru en 2010 aux éditions Des femmes
"Juste une fin du monde" paru à l'Escampette Ed en 2006.

 

Je m’étais réfugiée dans une maison. Je criais. Des villageois étaient venus dans le jardin de cette maison à cause des cris de femme dans la nuit. On me parlait de derrière la porte pour que je cesse de crier. On me rassurait. J’avais entrouvert la porte, l’homme était au milieu des villageois. Il tenait mes vêtements et mon sac sous le bras, il souriait.
Le roi du village houspillait l’homme et parce que j’avais des marques de brûlures et du sang qui coulait sur les jambes il avait appelé la police. Je suis partie dans le fourgon avec le violeur. Dans le bâtiment militaire il a dit qu’il n’avait rien fait, puis il a dit, à cause des blessures, qu’il avait fait ce que je demandais, qu’il était innocent.
C’était en Afrique de l’Ouest.
J’avais porté plainte contre l’homme. Il ne fut pas puni. Le viol et la torture ne sont pas punis là-bas.
Et même cet homme pensait qu’il n’avait rien fait, c’est-à-dire que ce qu’il avait fait était légitime. Ce viol, ces coups, ces menaces de mort étaient une chose normale, rien de brutal, non c’était absolument normal. Et même il devait penser que j’aurais dû être contente qu’un homme s’intéresse tant que ça à moi. C’est ce qui peut rendre une femme violée un peu folle, ce déni si total.
Je pensais que là-bas c’était pire qu’ici.
Puis est arrivée cette affaire new yorkaise, comme un projecteur montrant l’ensemble et les détails. Ici c’est un peu pareil que là-bas.
Cet homme blanc, riche, puissant ne pouvait pas l’avoir fait.
L’homme dit d’ailleurs qu’il n’a rien fait.
C’était comme là-bas. Tous les violeurs se pensent innocents.
Mais là-bas personne n’avait dit que je fabulais ou que je mentais. Il ne fut pas puni, c’est tout.
Ici, certains disent que cette femme est au service des ennemis de l’homme blanc puissant. L’homme ne peut être que victime d’un complot politique ou d’un racket sophistiqué. En Afrique certains villageois me disaient que l’homme était victime de ses ancêtres, de magie noire, c’était un complot de l’invisible.
On ne peut pas condamner un homme tombé dans le piège de ses ennemis astraux ou politiques.
Il y a entre là-bas et ici une autre différence.
Là-bas toutes les villageoises me soutenaient.
Toutes, pas une seule ne s’était mis du côté de la bête. Elles m’avaient applaudie lorsque j’étais montée dans le fourgon pour porter plainte.
Ici c’est différent, il y a des femmes qui soutiennent inconditionnellement l’homme puissant. Leur ami, leur cheval de proue. Elles n’ont pas l’ombre d’un doute. La femme ne peut être qu’une comploteuse.
Certaines disent aussi qu’à elles ça n’arriverait pas. Qu’on les contraigne à une fellation, impossible, elles couperaient le sexe de l’homme avec leurs dents. Ces femmes violées n’ont pas de courage, elles se laissent faire, disent elles. A elles ça ne pourrait pas arriver cette chose bestiale parce qu’elles se pensent l’égale de l’homme.
D’autres disent qu’elles, avec un homme aussi puissant, elles ne diraient pas non. Elles se demandent bien pourquoi celle-ci a porté plainte au lieu de se réjouir.
Et puis il y a beaucoup de gens, hommes et femmes, qui disent que porter plainte contre un homme remarquable, un homme qui promet, est indécent. Une sorte d’infidélité à l’idée de la grandeur, un saccage de l’image de la grandeur.
Alors je me dis qu’ici c’est comme là-bas, pas du tout mieux.
Je pense à ce qu’écrivait Virginia Woolf dans son livre Trois Guinées. Elle comparait le machisme et le nazisme. N’avait-elle pas raison ?
Les femmes battues, violées, assassinées, mutilées, des millions chaque année. Un crime contre l’humanité me dis-je. La moitié de l’humanité sous le joug de son autre moitié. Mais si on pense ça, on risque d’avoir à se suicider tellement personne ne veut l’entendre comme ça. C’est juste des dérapages, ici ou là. Et puis un viol ou un assassinat, c’est pas grave, pas mort d’homme.
Pourtant être violée c’est de la mort qui entre en vous, dans le corps, dans la tête. C’est une torture. Toujours ça restera comme une fosse sans mot, on ne peut pas mettre un couvercle, on ne peut pas ne pas se souvenir. Pas mortes mais mortes un peu tout de même. En Afrique du Sud, les hommes pratiquent ce qu’ils nomment le viol correctif sur les femmes lesbiennes, ça remplace la gégène.
Ici on dit c’est un coup de pas de chance, ou pire avec la libération sexuelle voulue par les femmes, de quoi elles se plaignent, après tout ce n’est que du hard sexe.
Et puis dans ce cas précis il s’agit d’un homme instruit, civilisé, blanc, riche, et d’une pauvre bonne femme. Comment un homme comme ça pourrait baisser les yeux sur ce genre de nana ? N’importe comment depuis la nuit des temps cet homme-là a un droit sur toutes les femmes. Dans les Colonies, dans les châteaux, dans les fermes, dans les forets, dans les entreprises, dans les hôtels, au coin des rues, partout. Et dans les familles ça fait partie du devoir conjugal, comme faire la vaisselle ou soigner les gosses. Les épouses disent, passer à la casserole. Une histoire normale, ménagère. On initie aussi dans le secret des familles les toutes petites filles, il faut bien leur apprendre la chose. Des petites filles détruites.
Je me souviens d’un curé qui m’avait coincée entre la porte du placard et sa soutane pour me palper les seins, de tout petits seins sur un corps d’enfant.
Alors, ne venez pas me parler de grande et haute civilisation, d’un modèle enviable, d’un continent en avance sur les autres.
Dans très longtemps peut-être fera-t-on un Mémorial aux femmes victimes des hommes comme on en fait pour ne pas oublier d’autres barbaries de l’espèce humaine. Pas encore, dans très longtemps, à moins que comme se le demandait Virginia Woolf l’Humanité soit une erreur. L’erreur de qui ? Et comment faire cesser l’erreur, cette infinie catastrophe ?