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Retraites : ils veulent faire pire que leurs prédécesseurs !

par Évariste
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Dans notre dernière livraison, nous avons déjà stigmatisé le projet du Medef aujourd’hui largement soutenu par des membres du gouvernement concernant les retraites complémentaires Agirc et Arrco.

De son côté, le Conseil d’orientation des retraites (COR) est mobilisé.1

Son 11e rapport, avec pour titre « Retraites : perspectives 2020, 2040 et 2060 », lance le bal. Sur la base du scénario central démographique de 2010 établi par l’Insee et des perspectives économiques élargies par rapport à ses précédentes projections, le COR a imaginé trois scénarii économiques et deux variantes basées sur l’évolution du taux de chômage et de la productivité du travail à long terme.

Le COR continue à s’appuyer sur des dogmes et des vérités révélées par le clergé néolibéral

A l’horizon 2020, il prévoit que le rapport démographique cotisant/retraité se maintiendrait à 1,65 mais, sous l’effet du papy-boom, qu’il se détériorerait pour atteindre 1,4 vers 2040 et moins de 1,35 aux alentours de 2060. 

Le rapport cotisant/cotisé n’explique rien à lui tout seul. Ce qui compte est la production de richesses, sa répartition et le nombre de retraités à servir. Sinon comment expliquer que nous ne sommes pas en état de famine alors que depuis 50 ans, le nombre de paysans a été divisé par 10 et que le nombre de bouches à nourrir a plus que doublé !

Car le ratio paysan/ bouches à nourrir n’explique rien : c’est bien l’augmentation de la productivité du travail et de la production par paysan en rapport avec le nombre de bouches à nourrir qui est explicatif.

Alors pourquoi le COR pratique-t-il l’enfumage ? Parce qu’il souhaite rester dans le système néolibéral. Et dans ce cas, la seule possibilité de survie est la baisse des retraites du plus grand nombre comme constitutive de la politique d’austérité généralisée, pour que l’oligarchie capitaliste puisse continuer à nous dominer et nous exploiter.

Mais si on se place dans une perspective de rupture avec le capitalisme, il est aisé de montrer2 que la « détérioration » du rapport cotisant/retraité peut se régler par une nouvelle répartition des richesses (les économistes diraient par une « reformation du partage de la valeur ajoutée ») . 

Est-ce possible ? Mais que oui ! Depuis 30 ans, la déformation du partage de la valeur ajoutée a soutiré 9,3 points de PIB à la masse des salaires et des prestations sociales pour les fournir au profit. Si les bac + 35 du néolibéralisme ne peuvent pas calculer cela, un élève de CM2 le peut ! Il lui suffit de faire la règle de trois suivante : 2 000 milliards d’euros (PIB 2010) x 9,3 : 100 = 186 milliards d’euros par an !3
Par ailleurs, ces « experts » postulent qu’il n’y aura plus de réduction du temps de travail jusqu’en 2060. Sans doute une lecture dans le marc de café ! Puisqu’il n’y a pas de variante avec une réduction de temps de travail, ils postulent  la continuation du néolibéralisme jusqu’en 2060.
De plus, ils postulent la poursuite du néolibéralisme jusqu’en 2060. Le chômage devrait diminuer de façon rapide à partir de fin 2013 ; ce sont tous des « hollandais » car d’après eux l’augmentation du chômage devrait faire baisser les salaires et donc les embauches devrait repartir. Du pur dogme néolibéral.

Continuons la lecture du 11e rapport du COR

Bien que ce nous venons d’écrire invalide les conclusions du rapport, continuons notre lecture de ces nouveaux textes sacrés et dogmatiques.
Sur la population active, ils postulent qu’à partir des 28,6 millions d’actifs en 2011, celle-ci augmentera de 110.000 par an d’ici à 2025. Puis qu’elle restera stable de 2026 à 2035 et enfin qu’elle s’accroîtra de 45.000 par an de 2036 à 2060.
Quant à la productivité, elle est censée augmenter au moins de 1 % par an (scénario C’) jusqu’à 2 % (scénario A’) en passant par 1,3 % (scénario C), 1,5 % (scénario B) et 1,8 % (scénario A).
Le chômage devrait varier d’après le COR entre 4,5 % (scénarii A, A’, B) et 7 % (scénarii C et C’).
Comme ces « experts » tablent sur un maintien du temps de travail dans les 50 ans qui viennent, ils postulent une croissance forte ; car il faudra une croissance beaucoup plus forte que l’augmentation du taux de productivité pour que ces hypothèses soient vérifiées.

Le rapport dit que le besoin de financement du système de retraite (dans le cas donc où la répartition des richesses ne change pas, voir plus haut)  passerait de 14 Md€ en 2011 à - 21,3 Md€ en 2017 (soit de 0,7 % à 1 % du PIB) puis, selon les scénarii et les variantes, se réduirait (0,9 %, soit 20,8 Md€) ou augmenterait (1,1 %, soit 24,9 Md€) jusqu’en 2020. En 2060, le solde du système de retraite pourrait représenter de - 2,9 % à + 1,7% du PIB.
Entre 2011 et 2060, la pension moyenne rapportée au revenu d’activité brut moyen diminuerait de 10 à 35 % suivant les scénarii et variantes envisagés.
Selon le COR, si chacun des 3 leviers possibles portait seul l’ajustement, l’équilibre du système de retraite pourrait nécessiter, selon l’horizon concerné :

  • Que le niveau des pensions, rapporté au revenu moyen baisse par rapport à 2011, de 5 % en 2020 et de 20 à 25% en 2060 ;
  • Ou que le taux de prélèvement augmente de 1,1 point par rapport au taux projeté en 2020 et de 5 à 6 points en 2060 ;
  • Ou que l’âge effectif moyen de départ à la retraite soit décalé, par rapport à 2011, d’un an et 9 mois en 2020 et de 7 ans en 2060.

Le 12e rapport du COR
Mais le COR n’en reste pas là. Fin janvier 2013, dans son 12e rapport, il octroie un satisfecit sur l’état des lieux mais fait de nouvelles préconisations. Il propose de :

  •  changer les calculs des retraites pour les carrières courtes pour leur améliorer leurs retraites ;
  • modifier les critères de prise en compte des annuités comptant pour le calcul de la retraite et du nombre d’heures nécessaires à la validation d’un trimestre ;-
  • revoir les règles de modulation du montant de la retraite suivant l’âge de départ.

Le COR propose aux partenaires sociaux de travailler sur les accidents de carrière, les droits familiaux, le calcul du montant de la réversion et sur de nouveaux mécanismes de solidarité. Mais le COR ne propose pas de modifier l’actuelle répartition déformée du partage de la valeur ajoutée ! L’oligarchie capitaliste peut dormir tranquille…

Inutile de dire que ces rapports ne satisfont que les organisations syndicales qui acceptent le recul des droits sociaux et qu’en réalité, c’est le rapport de forces social qui déterminera si le rapport du COR doit aller terminer ses jours en classement vertical dans une corbeille où s’il annoncera le nouveau tour de vis de l’austérité salariale sans fin !

 

  1. Les rapports du COR : ]
  2. le Réseau Éducation Populaire (Le REP, ]
  3. Nous mettons au défi le service public audiovisuel de nous donner quelques minutes d’antenne pour expliquer cela ! Un moment d’égarement… Nous avons oublié que le service public audiovisuel était peuplé des « nouveaux chiens de garde » du néolibéralisme ! []
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5 mars 2013 : nouvelle date centrale de mobilisation

par ReSPUBLICA

 

L’oligarchie néolibérale politique et médiatique célèbre la « modernité » de l’accord récessif du 11 janvier 2013 portant recul des droits des salariés signé par trois syndicats minoritaires. L’un des signataires, la CFTC, ne devrait plus être représentatif dans quelques mois avec les nouvelles règles de la représentativité syndicale car il représente moins de 8 % des salariés. Un autre, la CGC, perdra aussi sa représentativité générale pour les mêmes raisons (il la conservera seulement chez les cadres). Le troisième, la CFDT, est le seule qui conservera sa représentativité générale.
Les syndicats majoritaires CGT et FO ont signé un communiqué commun contre ce texte appelant à une mobilisation, des rassemblements et des arrêts de travail pour le 5 mars. FSU et Solidaires appelleront également à cette journée1.
Cette journée a été choisie car c’est la veille du passage du projet de loi en conseil des ministres. La bataille est d’importance car le président du groupe socialiste appelle les députés socialistes à voter en l’état la loi relative à cet accord récessif. Inouï, il appelle des parlementaires de gauche à voter un recul des droits sociaux pour les travailleurs ! Il défend l’idée qu’une minorité de syndicalistes (deux des trois syndicats signataires n’auront plus la représentativité nationale dans quelques mois) vaut plus que la majorité de la représentation nationale. Mais le PS fait une erreur d’analyse, car les salariés qui pâtiront de cet éventuelle loi oublieront que ce fut un accord Medef-CFDT mais se rappelleront que ce sont les socialistes qui l’auront voté.
Voilà pourquoi la ligne de front passera le 5 mars sur les lieux de cette mobilisation.
Haut les cœurs ! Tous ensemble !

  1. A l’initiative d’Attac et de la Fondation Copernic, associations, syndicats, partis politiques et citoyen-ne-s, lancent un appel afin que l’accord national interprofessionnel (ANI) signé le 11 janvier 2013 ne soit pas transcrit dans la loi. On peut signer (et faire signer) cet appel ici.
    Le collectif unitaire à l’origine de l’appel contre l’accord MEDEF-CFDT organisera par ailleurs une réunion publique le 28 février 2013, à La Bellevilloise, à Paris, avant la journée d’action du 5 mars 2013 décidée par les syndicats CGT, FO, FSU et Solidaires. []
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Aller aux causes fondamentales de la baisse du niveau des élèves

par Jean-Noël Laurenti, Damien Pernet, Bernard Teper

 

Depuis son lancement à la fin du siècle dernier, le journal Respublica a théorisé la triple attaque turbocapitaliste contre l’école : l’attaque néolibérale (souhaitée par le MEDEF et l’OCDE entre autres) contre le caractère public de l’école et contre le projet d’émancipation et de conscientisation de l’école, l’attaque communautariste contre le principe de laïcité et enfin l’attaque pédagogiste (de la confrérie des Legrand, Prost, Meirieu et consorts et de tous les ministères de l’éducation nationale depuis plus de 30 ans) contre la liberté pédagogique des enseignants. Il est à noter que l’actuel gouvernement avec sa « réforme » du primaire accentue l’attaque pédagogiste en organisant, à coté de la transmission des savoirs et des connaissances par les enseignants, une logique d’animation qui sera organisé par les municipalités.

Nous avions prévu que la conséquence des cette triple attaque serait le maintien de la sortie du système d’enseignement sans diplômes ni qualifications pour un grand nombre de jeunes (130.000 par classe d’âge !), la montée des inégalités sociales scolaires, la forte baisse de la mobilité sociale(qui mesure la capacité d’une cohorte d’élèves d’atteindre une couche sociale supérieure à celle de leurs parents)et à terme la baisse de niveau général des élèves. Comme nous avions un système parmi les plus performants du monde, nous avions eu raison rapidement sur les trois premières conséquences. Sur le niveau des élèves, on a constaté d’abord continuation de la montée du niveau moyen des élèves mais baisse du taux de croissance de ce niveau moyen. Maintenant, après la baisse du taux de croissance du niveau moyen, nous voilà dans la baisse absolue du niveau moyen des élèves. Bien sûr, on pourra toujours critiquer tel ou tel indicateur à juste titre, mais aujourd’hui quels que soient les indicateurs, la baisse de niveau est manifeste quel que soit le statut public ou privé de l’école.

Même Antoine Prost, hommage du vice à la vertu, déclare dans le journal Le Monde du 20 février 2013 que :

« A force de crier au loup, c’est en vain qu’on appelle au secours s’il surgit… On a tellement dénoncé la baisse du niveau, alors qu’il montait, comme le montraient les évaluations faites à la veille du service militaire, lors des “trois jours”, qu’aujourd’hui l’opinion ne s’alarme guère, alors qu’il baisse pour de bon.Il faut pourtant sonner le tocsin. Tous les indicateurs sont au rouge.
Dans les fameuses enquêtes PISA, la France est passée entre 2000 et 2009, pour la compréhension de l’écrit, du 10e rang sur 27 pays au 17e sur 33.La proportion d’élèves qui ne maîtrisent pas cette compétence a augmenté d’un tiers, passant de 15,2 %, à 19,7 %. En mathématiques, nous reculons également et nous sommes dans la moyenne maintenant, alors que nous faisions partie du peloton de tête.

Ces chiffres gênent : on les conteste. Ce sont des évaluations de compétences à 15 ans, qui mesurent indirectement les acquisitions scolaires…Et pour ne pas risquer d’être mal jugés, nous nous sommes retirés de l’enquête internationale sur les mathématiques et les sciences. Mieux vaut ne pas prendre sa température que de mesurer sa fièvre.Mais cela ne l’empêche pas de monter. Les données s’accumulent.

Voici une autre enquête internationale qui, elle, fait référence aux programmes scolaires (Pirls). Elle porte sur les compétences en lecture après quatre années d’école obligatoire, donc à la fin du CM1.En 2006, sur 21 pays européens, la France se place entre le 14e et le 19e rang selon les types de textes et les compétences évaluées.Les enquêtes nationales vont dans le même sens. Le ministère a publié une synthèse des évaluations du niveau en CM2 de 1987 à 2007 (note d’information 08 38). Si le niveau est resté stable de 1987 à 1997, il a en revanche nettement baissé entre 1997 et 2007. Le niveau en lecture qui était celui des 10 % les plus faibles en 1997 est, dix ans plus tard, celui de 21 % des élèves.La baisse se constate quelles que soient les compétences. A la même dictée, 46 % des élèves faisaient plus de 15 fautes en 2007, contre 21 % en 1997. L’évolution en calcul est également négative. Le recul n’épargne que les enfants des cadres supérieurs et des professions intellectuelles, dont les enseignants.

Le dernier numéro (décembre 2012) d’Education et Formations, la revue de la direction de l’évaluation du ministère, présente une étude sur le niveau en lecture en 1997 et 2007 : la proportion d’élèves en difficulté est passée de 14,9 %, à 19 %, soit une augmentation d’un tiers.

Un élève sur trois est faible en orthographe, contre un sur quatre dix ans plus tôt.Il est urgent de réfléchir aux moyens d’enrayer cette régression. Les résultats convergents et accablants qui viennent d’être cités sont tous antérieurs à la semaine de quatre jours. »

Cette triple attaque s’insère dans une politique globale qui tourne le dos au projet scolaire de formation du futur citoyen. Ainsi, l’école du socle, i.e. des compétences, ne va pas dans le bon sens, car c’est une logique a minima, notamment au niveau du collège. Nous pourrions aussi « épingler » la renonciation à une véritable politique du bac pro, notamment avec son passage de 4 à 3 ans, et l’évaluation en CCF (contrôle en cours de formation). Nous pourrions continuer cette liste à la Prévert.

Nous pourrions également, pour élargir le débat, dire que le même constat, toutes choses étant inégales par ailleurs, s’opére dans toute la sphère de constitution des libertés : à l’école, dans la santé et l’ensemble de la protection sociale, et dans les services naguère publics. Ceci est d’une importance capitale car la sphère de constitution des libertés est la sphère qui permet de passer des droits formels aux droits réels.
Les droits découlant des principes de la République sociale: liberté, égalité, fraternité, laïcité, solidarité, démocratie, souveraineté populaire, sûreté,universalité des droits et développement écologique et social ne sont que formels sans un développement de la sphère de constitution des libertés dégagée du règne de la marchandise et de la triple attaque dont elle fait l’objet.

Mais ceci entre dans une autre histoire : celle de la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle préfigurant le dépassement du capitalisme par le modèle politique de la République sociale. Elle ne sera que le produit des luttes de résistance, principalement avec le mouvement syndical revendicatif mais aussi de la mobilisation militante autour de l’éducation populaire pour toutes et tous (malheureusement largement négligée par la militance politique). L’histoire reste à écrire mais pour accélérer le rythme, encore faut-il que les organisations militantes soient à la hauteur des enjeux.

Pour cela, il convient de travailler sur les conditions de la transformation sociale dont la première est de s’appuyer sur les couches sociales qui ont intérêt au changement, à commencer par les couches populaires ouvrières et employées(53 % de la population française). Rappelons que ces couches sociales ont choisi dans l’ordre décroissant à la dernière élection présidentielle : d’abord l’abstention, puis le vote FN, puis le vote PS, puis le vote UMP, puis le vote Front de gauche. Il y a donc loin de la coupe aux lèvres, non ? Alors, on se remet en question ou pas ?

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Égypte : décembre 2012

par Ghislain

 

NDLR - Témoignage et libres réflexions : dans cette nouvelle rubrique “Carnets de voyage”, nous vous proposons en plusieurs livraisons les lettres de Ghislain, rédigées entre décembre 2012 et février 2013, en Égypte puis en Tunisie (il quitte ce pays au lendemain des obsèques de Choukri Belaïd).

Lettre 1

Dans l’avion mes voisins sont des bourgeois libanais vivant au Caire. Lorsqu’ils me quittent : « Bon séjour et surtout n’allez pas place Tahrir ! »
Nous arrivons de nuit à 2h 20, pas génial mais quatre banques sont ouvertes et je peux acheter le visa à la banque (15 euros), le policier mettant un tampon dessus sans même regarder !
Le taxi de l’hôtel est là. Nous traversons le Caire à toute allure, ce qui ne peut se faire qu’à cette heure. Le chauffeur me fait une visite commentée, ne met pas sa ceinture, coupe les lignes et grille tous les feux… Il faudra m’y faire : c’est la règle ici ! Je sens et vois la pollution. Le Caire est une des villes les plus polluées du monde .
A 6h du matin il fait encore nuit et - première reconnaissance dans le quartier - je trouve des jeunes qui installent des tables et je peux avoir un café (awa et non pas kawa ici) pour sortir de cette nuit blanche (le vol était 100 euros moins cher à ces heures peu pratiques ).
A 10h je pousse jusqu’à la place Tahrir devenue célèbre. Les tentes occupent l’espace central. Encore peu de monde. C’ est à 5 mn de l’hôtel. Je téléphone à un premier contact, un journaliste à la retraite qui vient à l’hôtel et nous retournons place Tahrir qui a pris un air festif avec ses cafés improvisés, et dramatique avec ses photos de morts et de blessés et ses nombreuses banderoles dont le mot d’ordre le plus répandu est DEHORS ! Nous prenons le thé sur le terre-plein. Ahmed m’invite chez lui et nous prenons le métro construit par une entreprise française et très semblable aux dernières rames du métro parisien. Il n’y a que 2 lignes de métro dont l’une de 43 km. Le ticket est à 1 livre égyptienne, soit 0,15 euro, ce qui en fait un moyen de transport populaire. Il y a des wagons réservés aux femmes, ce qui en dit long sur les difficultés de la mixité. A l’heure de pointe, j’ai failli être renversé par la foule qui a jailli du wagon. De plus les gens veulent monter avant que les autres ne descendent. L’indiscipline est remarquable surtout pour les embouteillages car en surface personne ne respecte les feux ! Une chaîne de télé retransmet les événements avec des caméras fixes dans les trois lieux symboliques de la contestation : Tahrir, le Palais présidentiel et la télé, 24h sur 24 semble-t-il.

Pourquoi venir en Égypte ? (et ensuite en Tunisie). Parce que ce pays donne des signes de santé. L’islam est la religion dominante vivant jusqu’à récemment en bonne intelligence avec une forte minorité copte.
Le courant radical et intolérant qui s’ est développé dans beaucoup de pays depuis la Mauritanie jusqu’à l’Indonésie est né en Égypte au XXe siècle, dans les années 30… les Frères musulmans. Courant qui mêle religion et politique et qui a essaimé sous diverses formes. Appelons-ies Intégristes. Je les ai connus en Afghanistan .
Quand ils n’ont pas le pouvoir, les intégristes font du social pour le gagner et quand ils ont le pouvoir ils font de l’anti-social ! C’est flagrant avec Morsi. Je lis ce jour dans le
Daily News, journal égyptien anglophone, que Morsi vient de passer un décret renforçant la loi contre le commerce de rue, les petits vendeurs qui survivent comme ils peuvent : confiscation de la marchandise, 5 000 livres d’amende et 6 mois de prison. Formidable non, pour un homme qui prétend lutter contre la corruption ? Mais il est plus facile de lutter contre les pauvres que contre la pauvreté !
Mais pire, les intégristes menacent ouvertement la presse. Ils manifestent déjà devant le Centre de presse, contrôlant les identités !
Nasser, un militant qui m’offre un thé place Tahrir, me raconte avec quelle violence ils sont intervenus contre l’opposition la semaine passée, s’acharnant sur des femmes tombées à terre. Personnellement j’appelle ça le nouveau fascisme. Bien entendu on trouve le même fanatisme chez des colons juifs religieux (j’en ai été témoin en Palestine) et chez certaines sectes évangélistes…
Il m’emmène chez sa belle-famille dans un quartier populaire éloigné. Les bâtiments sont très délabrés. Lui a appris le français dans une école chrétienne, bien que musulman. Je fais connaissance avec les beaux-parents, sa femme, leurs 2 enfants, sa sœur et 2 autres enfants. Totalement anti-Morsi.

Lundi départ pour Alexandrie. 3 heures 30 de train à travers le delta du Nil. A l’arrivée, vent violent venant de la mer. Je trouve un hôtel sur la Corniche, très agréable, très propre, tenu par une Égyptienne copte. C’ est la ville des cafés à chicha (narguilé, ici on dit arguilé). J’y vais pour prendre un thé ou un café et l’odeur du tabac parfumé est agréable. Autre agrément surprenant : on y voit des femmes . Au Liban , en Palestine et en Syrie, on n’en voit que dans les cafés bourgeois.
Vers 16h, je prends le tram car on m’a parlé d’ une manifestation. En arrivant je vois un rassemblement bien ordonné près d’une mosquée, des drapeaux verts et les femmes parquées dans un coin. Je comprends que je suis chez les pro-Morsi ! Le seul point commun : les drapeaux égyptiens et les keffiehs… mais c’ est beaucoup moins festif que place Tahrir !
Je prends quelques photos après avoir demandé, par précaution.

Alexandrie, 11 décembre 2012

Lettre 2

DR

Il faudra bien que je voie les Pyramides avant de quitter l’Égypte ! Tout de même un peu de tourisme au Caire, le fameux musée avec des dizaines de milliers de pièces archéologiques depuis les pharaons jusqu’à la période gréco-romaine. Et là, je vois des touristes en nombre, qui arrivent en car. Je les comprends car il n’y a aucune raison de fuir l’Egypte, simplement suivre l’actualité et éviter les trois pôles de la contestation au Caire.
J’ai également visité le « Vieux Caire » accessible en métro. Le quartier copte est protégé par une forte présence policière. Il faut dire que les Coptes ont payé cher la violence sectaire.

Alexandrie est plus agréable, ouverte sur la mer au nord ouest du delta du Nil.
A l’hôtel je rencontre un jeune journaliste italien qui arrive de Tunisie via la Libye. Son récit m’intéresse : c’est ce que je voulais faire en sens inverse. Il a patienté… quatre mois pour avoir son visa de journaliste. Un voyage hasardeux avec pas mal d’ennuis qui ont commencé avec la police tunisienne à la frontière. En Libye il a pris un vol intérieur mais la police lui a tamponné son visa avec un timbre « sortie », ce qui a compliqué beaucoup sa situation à l’arrivée à Benghazi ! Puisqu’il était sorti il devait avoir un nouveau visa ! Totalement kafkaïen ! Comme disait Einstein, les militaires devraient se contenter d’une moelle épinière puisqu’ils n’ont pas de cerveau.

A Alexandrie je demande une rue à un homme en costume, suspectant qu’il parle anglais. Il a passé 8 ans en Algérie et parle aussi français. Après quelques banalités il me demande : marié ? non. Vous avez une femme? non. Des enfants ? non. Une religion ? non. Vous êtes riche ? non. Vous êtes pauvre ? non. Vous voudriez être riche ? non. Vous voudriez être pauvre ? non.
L’homme est un peu décontenancé. Il est avocat. Il s’inquiète pour mon avenir. J’éclate de rire. Je voulais découvrir l’Egypte et j’y suis. Des milliards d’humains se débattent pour la survie quotidienne. Je suis privilégié. Mais il voit qu’il n’y a pas de sujet tabou alors il se lance et me dit ne pas comprendre nos lois permissives rapport à l’homosexualité.
Je n’ai pas envie de replonger dans ces faux débats (pour moi) étant hostile au mariage tout court. (Nos pseudo- socialistes feraient mieux de nous dire comment ils vont en finir avec les paradis fiscaux et mille autres choses préoccupantes, présenter la facture à Israël par exemple pour la casse de tout ce qui a été financé par l’Union européenne à Gaza !). Je me contente de lui dire que nous devons respecter les homos et que cela fait partie de la liberté individuelle. Il va chez son tailleur et je l’accompagne car nous sommes presque à sa porte. Le tailleur est embarrassé car il a terminé un costume mais le client est mort! Décidément « la mort est un manque de savoir-vivre ».

Un tram pour aller vers le fort de Qait Bey au bout de la corniche. Mais le tram est à bout de souffle et bientôt il ne peut plus qu’aller en marche arrière… Je continue a pied . Le Fort est construit à l’emplacement du mythique Phare d’ Alexandrie, septième merveille du monde qui fût détruit par un tremblement de terre. L’endroit est magnifique et on peut le visiter. Quelques touristes égyptiens. Parmi eux une femme très élégante , richement vêtue d’un niqab mais la tête est couverte de noir et tout le reste du corps de rouge (le niqab ne laisse voir que les yeux et je l’ai toujours vu noir). Je ne résiste pas et vais demander - en m’adressant au mari of course - si je peux la prendre en photo . Refus mais avec un sourire. Évidemment je sais que je ne ferai pas de portraits ici sauf exception.
L’exception s’est présentée hier. Arrivée à Port Saïd, ville de l’entrée nord du canal. Le delta étant plat, on voit la ville de loin en bus. D’ abord de grandes girafes d’acier qui semblent brouter sur le toit des immeubles. Ce sont les grues des docks. Enfin une ville plus calme, un gros bourg… de 500 000 habitants tout de même ! En me promenant le long du canal je croise un couple d’ étudiants et c’est la fille qui m’aborde, maîtrisant mieux l’anglais que son ami. Lui nous prend en photo puis à mon tour je les prends ensemble puis elle seule. Ils me montrent leurs cahiers.
A Alexandrie une jeune fille m’avait proposé une cigarette dans un cyber-café et une mendiante m’avait demandé si je lui payais un thé dans un café populaire (ça m’avait fait plaisir qu’on la laisse s’attabler avec moi). Conversation limitée puisqu’elle ne parlait que l’arabe. J ‘avais bien fait un an d’arabe autrefois avec un prof algérien qui nous enseignait l’arabe dialectal mais c’est loin et le vocabulaire est souvent différent. Me restent compter et les formules de politesse.

Train de Port Saïd à Ismaïlia au sud. Mon wagon est vide à part un vieil homme. Plus tard deux femmes montent avec des enfants. Elles m’offriront des graines de tournesol. Vous voyez les occasions de parler à des femmes sont si rares que je ne les oublie pas .
A Ismaïlia mon guide Lonely Planet indique le Travellers Inn comme pas très reluisant mais bien situé juste en face la gare. Je prends une chambre avec salle d’eau. Sordide. Je n’essaie même pas la douche et ne me raserai pas en l’absence de miroir. J’ai heureusement un « sac à viande » en soie venant du Vietnam. Il me protégera du drap et la capuche du moustique qui maraude. D’ habitude je laisse un cadeau pour la personne qui fait la chambre mais là, qui trouverait le cadeau ? En bas par contre une cafétéria sympa. Un jeune travaillant pour l’administration du canal a envie de parler. Il est très moraliste et me tient un discours contre l’alcool. Comme exemple il me parle de ce tueur norvégien qui a fait un massacre « sous l’emprise de l’alcool ». Je luis dis que c’est peu crédible, que s’il avait été saoul il n’aurait pas pu abattre 78 personnes de sang-froid, qu’il est nazi et fier de l’être. Que son idéologie est fondée sur le racisme… Puis discours sur le Coran. J’en profite pour lui parler lecture. Peine perdue. Inquiétant ceux qui ne lisent qu’un seul livre, fût-il saint.
Ce qui n’enlève rien à sa gentillesse et à cette tradition d’ accueil qu’on retrouve partout ici et que nous avons largement perdue en Europe.

Échec pour passer à Gaza
Bus pour El Arish au nord du Sinaï. Je veux si possible aller jusqu’à Rafah à la frontière avec Gaza. Nous passons un immense pont suspendu qui enjambe le canal et… nous voici en Asie. Le nord du Sinaï est un désert de sable avec de temps en temps des palmiers, de rares arbres , des buissons , des dunes,des villages et des villes et une forte présence militaire. Postes statiques fortifiés avec des blindés de couleur sable.
Mon voisin de bus est un Palestinien. Il parle autant d’anglais que moi d’arabe. Je lui montre mon cahier sur lequel il y a l’auto-collant d’Adameer, l’organisation de soutien aux prisonniers Palestiniens et je lui cite les villes visitées en 2009 en Cisjordanie : Jericho , Ramallah, Naplouse, Jenine, Tulkarem…
Il me dit habiter Khan Younes et me propose d’y aller par un des nombreux tunnels. Je suis partant sachant que je ne peux passer par la grande porte qui nécessite une autorisation des Égyptiens conditionnée par une démarche préalable à l’Ambassade de France. Le cinéaste qui a réalisé le film Gazastrophe m’a fait savoir - avant mon départ - que c’était peine perdue. A El Arish nous prenons donc un « service », taxi collectif pour Rafah , la ville qui s’étend des deux côtés de la frontière. Nous débarquons à 80 m du portail et sommes assaillis par des porteurs puis on me propose le tunnel à 100 dollars l’aller simple. Mon guide me fait comprendre qu’il va tout négocier de son côté et bientôt un pick-up vient nous prendre avec sa marchandise , quatre gros ballots. Environ 4 km plus loin en direction de la mer arrêt chez des passeurs. Je laisse faire, la négociation échoue. Plus loin nouvelles tractations et les passeurs font comprendre à mon guide qu’il faut téléphoner au Hamas d’abord. Il pourrait avoir des ennuis en m’introduisant clandestinement. Bref le temps passe et tout échouera. Il me raccompagne au grand portail où je trouverai un « service » pour El Arish. Il a deux femmes et dix enfants ! Je déleste un peu mon sac à dos de vêtements, médicaments, couteaux de cuisine… Il m’embrasse et nous nous quittons. Une belle occasion manquée de peu. Avec les autres qui ne veulent que du fric je pense que ce serait une galère pour aller à l’hôtel sans légalisation du séjour. A part ça je n’ai pas vu de fusées Sam mais des camions lourdement chargés de ciment !
Sur le retour vers El Arish nous sommes contrôlés deux fois par la police. Ils demandent… s’il y a des Palestiniens dans la voiture ! Et il y en a un, c’est donc lui qui se fait éplucher ses papiers ! Vive la solidarité avec la Palestine ! Quant à moi, Fransa ? Welcome !
A El Arish , après quelques difficultés avec les deux taxis empruntés ce jour ( bien que je négocie tout avant le départ les problèmes viennent souvent des taxis) j’arrive à l’hôtel Macca (La Mecque) ambiance austère , que des mecs , la télé : une seule chaîne religieuse et quand on prend l’ascenseur on déclenche une musique religieuse ! mais chambre très propre et je n’y passe qu’une nuit .
Le lendemain de nouveau Ismaïlia mais je ne retourne pas au Travellers Inn ! Arrivé à Suez ce midi après 3 heures de train et des discussions avec un groupe d’étudiant(e)s. Je n’ai pas vu un étranger depuis des jours, la zone du canal est donc un bon itinéraire !

Suez, 19 décembre 2012

A suivre…

Economie
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Pour une commission d’enquête parlementaire sur la dette publique française

par Collectif pour un Audit Citoyen de la Dette Publique
http://www.audit-citoyen.org

 

Lettre ouverte du Collectif pour un Audit Citoyen de la Dette Publique aux Présidentes et Présidents des groupes parlementaires de l’Assemblée Nationale et du Sénat (15 février 2013)

Depuis octobre 2011, des dizaines de milliers de citoyens, de nombreuses associations et organisations du mouvement social ont engagé et soutenu la démarche du Collectif pour un audit citoyen de la dette (CAC) dans le cadre d’une mobilisation à l’échelle nationale et sur l’ensemble du territoire.

Cette démarche citoyenne repose sur une idée force : pour apporter des réponses à la crise des outils publics de financement, il est urgent de soumettre l’intégralité des finances publiques à un examen rigoureux, y compris s’agissant des mécanismes à l’origine de la dette publique.

Il faut donc rassembler toutes les données nécessaires à la compréhension de l’origine et de la progression de la dette publique. Vivons-nous au-dessus de nos moyens ? La dette est-elle le résultat d’une explosion des dépenses publiques ou provient-elle des exonérations fiscales en faveur des détenteurs de capital et des classes sociales les plus favorisées ? Qu’en est-il des effets produits par les politiques d’exonérations et d’allègements des cotisations sociales ?
Quelle a été la contribution de la crise provoquée par la sphère financière et du sauvetage des banques ? Quel est l’impact produit par l’obligation faite aux États de financer leurs dettes par le recours aux marchés financiers en lieu et place de la Banque centrale ? Existe-t-il d’autres solutions à la crise que les coupes dans les dépenses publiques et l’austérité ? Qui sont les créanciers de la dette aujourd’hui ?

Nous estimons que les arguments qui justifient depuis près de 30 ans la réduction des recettes publiques et aujourd’hui des politiques sans précédents de rigueur budgétaire doivent aujourd’hui être réévalués sérieusement : car les baisses d’impôts et les allègements de cotisations sociales n’ont pas produit les effets attendus sur l’emploi et l’activité, cependant que les coupes budgétaires ont accru la récession.
Ces politiques ont pour l’essentiel alimenté le creusement des inégalités de revenu, en réduisant les coûts salariaux au profit des actionnaires, et en allégeant la charge fiscale sur les plus riches. Aujourd’hui de nombreux économistes de renommée internationale, y compris des prix Nobel d’économie, s’accordent pour dire que les politiques de rigueur appliquées aveuglément en Europe ont l’effet inverse de celui annoncé, creusant encore davantage la dette publique.

A ce stade de nos travaux, nous avons besoin, pour progresser dans ces questionnements essentiels sur les origines de la dette publique, des moyens d’expertise et d’investigation de l’État mis à la disposition de la représentation nationale.
C’est pourquoi nous demandons au Parlement de mettre en place une Commission d’enquête afin de mener des investigations approfondies sur l’origine de la dette publique, en examinant les causes des déficits publics depuis une vingtaine d’années.
Nous sommes prêts, bien entendu, à contribuer aux travaux de cette Commission, afin de contribuer au nécessaire débat citoyen sur l’origine de la situation actuelle et sur les moyens d’en sortir.

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Loi bancaire : les contribuables ne doivent pas payer pour la finance

par Jacques Généreux, Jacques Sapir, Dominique Taddeï

 

Nous, économistes, pensons que le projet de loi de séparation bancaire présenté à l’Assemblée nationale ne fait pas ce qu’il prétend et ne protègera pas plus qu’avant les dépôts des ménages français. En réalité, il laisse libre cours aux activités spéculatives des banques et sauvegarde leur pouvoir.
L’objectif affiché du projet consiste à sécuriser les dépôts et, pour cela, à séparer les activités de marché dangereuses des activités de crédit-dépôt. L’intention est bonne, compte tenu de l’hypertrophie des banques françaises. En effet, les actifs bancaires français représentent 340 % du PIB (contre 85 % aux États-Unis). Il existe au moins quatre banques dont la faillite peut entraîner la chute de l’ensemble du pays, contrairement à l’Allemagne qui n’en compte qu’une. Ces banques sont à la fois trop grosses pour qu’il soit possible de les laisser faire faillite (too big to fail) et «trop grosses pour être sauvées» (too big to save).
Le secteur bancaire français présente un niveau de risque systémique parmi les plus élevés du monde : Dexia a déjà coûté 12 milliards d’euros aux contribuables français et belges et l’État vient d’y ajouter 85 milliards en garantie. Le Crédit agricole prévoit des pertes record en 2012, voisines de 6 milliards d’euros et la Société générale aurait perdu 11,9 milliards en 2008 sans le secours du contribuable américain.
Par ailleurs, le «modèle» français se révèle défaillant dans sa tâche de financement de l’économie : seuls 10 % du bilan de nos banques sont consacrés aux prêts aux entreprises non financières et 12% aux prêts aux particuliers. Le reste relève d’opérations de marché essentiellement spéculatives : sur les 200 milliards d’obligations émises par le secteur bancaire français en 2012 pour «financer les prêts hypothécaires», seuls 22 milliards ont été distribués aux ménages et 27 milliards aux entreprises. Et combien consacrés à l’emploi, la recherche et l’investissement ?
En supprimant la garantie publique implicite sur les produits bancaires hautement profitables et risqués que proposent les marchés, la séparation des activités spéculatives des activités dites commerciales, engagement de campagne n°7 de François Hollande, permettrait aux secondes de se consacrer intégralement au financement de l’économie réelle. En isolant les banques commerciales des humeurs des marchés, une vraie séparation permettrait de réduire le coût du financement des ménages et des entreprises. Elle ne pénaliserait que les quelques 9 000 traders et leurs dirigeants.
Or, que fait le projet de loi actuel ? Il oblige les banques à loger certaines activités spéculatives dans des filiales, mais seulement 0,75 % à 2 % du produit net bancaire des banques est concerné par cette mesure. Toutes les activités interdites à la maison-mère (les prêts aux fonds spéculatifs, le trading à haute fréquence, etc.) sont accompagnées d’exception qui vident la loi de son contenu. Les amendements déposés pour élargir ce périmètre demeurent largement insuffisants. Le projet français reste très en-deçà de ce qui est envisagé ailleurs dans le monde, y compris dans les pays anglo-saxons ! Il est beaucoup plus faible, en particulier, que le rapport Liikanen de l’Union européenne, qui, bien que timide, a au moins le mérite d’exiger la filialisation de toutes les activités de «tenue de marché».
À défaut de prévenir une crise, le projet de loi laisse-t-il au moins espérer que nous aurions les moyens de la guérir ? Non. Selon ce projet, les maîtres d’œuvre de l’éventuel démantèlement d’une banque française seront le gouverneur de la Banque de France et le directeur général du Trésor. Ils décideront seuls si l’État français devra aller au secours d’une banque (quitte à ruiner les Français) ou s’il conviendra de la laisser faire faillite.
Les décisions seront prises sans obligation de consulter le Parlement, à l’aveugle, et au détriment du contribuable. Les 3,7 milliards prélevés sur les citoyens néerlandais, sans avoir été consultés, pour sauver sans conditions SNS Reaal, quatrième banque des Pays-Bas, sont un cas d’école qui risque de se généraliser.
De même, les détenteurs d’obligations ne seront pas nécessairement sollicités financièrement avant que les contribuables français aient à mettre la main à la poche. Le projet de loi considère que c’est une possibilité, mais non une obligation. Pire encore: pendant l’opération de réanimation cardiaque, le versement de dividendes aux actionnaires de la banque en détresse ne sera pas interdit. Rien n’est prévu non plus pour mettre à contribution les créanciers. Les dirigeants de la banque en détresse responsables de la déroute pourront-ils se voir supprimer définitivement le versement de leurs rémunérations ? Pas davantage.
Ce projet revient donc à maintenir dans la loi le parachute dont rêvent les banques «universelles» et leurs alliés, les fonds spéculatifs, pour pouvoir continuer leurs opérations spéculatives en toute quiétude. Il préserve leur liberté d’utiliser les dépôts de leur clientèle comme base pour accorder des crédits à leurs filiales spéculatives.
Comment, dans ces conditions, peut-on prétendre séparer les activités dangereuses du crédit, et sécuriser les dépôts ? Le sujet est suffisamment complexe pour que le Parlement britannique, qui s’engage vers une séparation bien plus stricte prenne un an pour légiférer.
Le gouvernement français, lui, prétend régler la question en un mois, alors même que la Commission européenne s’apprête elle-même à légiférer dans le sens du rapport Liikanen.
Ce projet de loi du gouvernement ne résout rien. Au contraire, il laisse la porte ouverte à une nouvelle crise. La crise a montré la nécessité d’une séparation stricte entre les activités bancaires utiles à l’économie et celles qui lui sont néfastes. Nous, économistes, appelons à une modification profonde de ce texte de loi, sous peine d’ébranler une nouvelle fois la confiance dans le processus démocratique.

Voir les signataires

Humeur
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A partir d'une citation de S. Beckett

par Zohra Ramdane

 

« Se donner du mal pour les petites choses, c’est parvenir aux grandes, avec le temps. » (Samuel Beckett)
Cette citation est une clé contre la désespérance et le fatalisme qui guettent beaucoup de citoyens et de salariés aujourd’hui. Depuis des décennies, les politiques néolibérales contre l’émancipation, communautaristes contre la laïcité, les reculs de l’efficience de la sphère de constitution des libertés (école, services publics, protection sociale), la désindustrialisation, le chômage, la précarité, la pauvreté, etc. s’abattent sur les salariés et les citoyens. Il est difficile de garder le cap. Les résistances les plus efficaces se construisent sur des objectifs locaux de défense de l’emploi, de refus de la fermeture d’un service ou d’un hôpital, etc. C’est comme cela que la résistance perdure dans les couches populaires ouvrières et employées (53 % de la population) et les couches moyennes intermédiaires (24 % de la population). Et ce sont ces couches sociales-là et non les « impatients » des couches moyennes supérieures qui gardent en eux le potentiel de la victoire. De chaque échec, on peut en faire un tremplin si on analyse les causes de l’échec. De chaque victoire, qui ouvre le champ des possibilités, on engrange une nouvelle vérité nous permettant d’aller plus loin. Du lien des résistances avec la démarche de l’éducation populaire, on avance vers l’émancipation, la conscientisation et la puissance d’agir. Cela permet l’émergence des nouvelles pratiques démocratiques du peuple contre le système du gouvernement représentatif cher à Sieyès (qui estimait qu’un peuple n’existe que par sa représentation).

Espérons et persévérons.