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Après l'arrêt de la Cour de cassation sur la crèche Baby Loup, quelle stratégie pour le combat laïque ?

par Évariste
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Comme toujours, suite à cet arrêt, les Y-a-qu’à et les Faut-qu’on fleurissent sur la toile. Chacun y va de son point de vue. Sans effectuer le débat sur la stratégie à adopter. Car pour changer les choses, mieux vaut d’abord faire un état des lieux, puis définir les enjeux et enfin engager un processus qui mène vers une alternative.
C’est comme cela que fut mené le combat qui a abouti à la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux à l’école.1
Aujourd’hui, il faut agir de la même façon. Soit on souhaite rester dans le cadre de l’actuel droit positif et dans ce cas, il convient de bien connaître ce cadre. Soit on souhaite modifier ce droit positif en estimant que celui-ci favorise trop l’alliance des « néos » (néolibéraux et néocléricaux) et il faut préciser d’abord le principe philosophique souhaité puis en faire la traduction juridique.
Bien que nous soyons, au sein du journal Respublica, plutôt enclins à combattre l’alliance des « néos », nous allons commencer par voir quelles sont les marges de manœuvre dans la législation aujourd’hui.

Si nous acceptons la jurisprudence actuelle, trois pistes s’offrent à nous, qui pourraient faire avancer les choses.2
1/ Pour comprendre la jurisprudence actuelle, il faut d’abord comprendre que pour ces hauts magistrats imprégnés de la logique politique néolibérale actuelle, la crèche Baby Loup fait partie de la société civile3 puisque que c’est une crèche associative privée sans conventionnement avec une collectivité publique française. Les « interdits » liés à l’application du principe de laïcité ne peuvent pas avoir une portée générale sauf cas très précis.
Lisons les propos de Jean-Guy Huglo, conseiller à la chambre sociale de la Cour de cassation :

…Dès lors, sont nécessairement applicables tant le Code du travail que la directive du 27 novembre 2000 « portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail », qui admettent des restrictions aux libertés fondamentales lorsqu’elles sont « justifiées par la nature de la tâche à accomplir » et lorsqu’elles répondent « à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché ». La religion doit être traitée comme toute autre liberté fondamentale et l’islam doit bien évidemment être considéré comme n’importe quelle autre religion. Dans l’affaire Baby Loup, la clause du règlement intérieur imposant le respect des principes de laïcité et de neutralité à l’ensemble du personnel de la crèche instaurait une restriction générale et imprécise. Comme telle, elle contrevenait à l’article L. 1321-3 du Code du travail. Le Conseil d’État n’a pas dit autre chose dans son arrêt Association familiale de l’externat Saint-Joseph (CE, 20 juill. 1990, n° 85429) aux termes duquel toute prohibition générale et absolue est invalide, même dans une entreprise de tendance.

Vous avez compris, tous ceux qui veulent développer du privé de tendance en sortiront Gros Jean comme devant !
2/ La deuxième piste serait celle du conventionnement par délégation de service public (jurisprudence de la Cour de cassation CPAM 93 du 19 mars 2013).
3/ La troisième piste serait que les collectivités locales ouvrent des crèches collectives publiques. Depuis quand les militants de la gauche de gauche ont-ils oublié de militer pour le service public de la petite enfance ? Des esprits chagrins que je pourrais comprendre me feraient remarquer que c’est à l’Etat de lancer un programme de 350 à 500.000 places de crèches collectives ou familiales (ce qui correspondrait aux besoins !) et d’organiser le déplafonnement de la prestation de service pour que les collectivités locales puissent financer ces crèches publiques, notamment au niveau du fonctionnement. Eh oui, mais dans ce cas, il faut reformer le partage de la valeur ajoutée d’il y a trente ans pour avoir du coté des salaires et des prestations sociales plus de 180 milliards d’euros en plus (9,3 points de PIB d’après la commission européenne de Baroso) ! Et pour cela, il faut une majorité de gauche pour rompre avec les politiques néolibérales et l’alliance des néolibéraux et néocléricaux.

Voyons maintenant ce qui pourrait être fait grâce à une modification législative.
Deux possibilités.
1/ La première serait de supprimer le principe de laïcité - qui rappelons-le n’est pas une tendance, n’est pas une opinion, mais un principe d’organisation sociale qui assure la liberté de conscience par un droit universel et qui sépare la sphère de la société civile (marchande et privée) des sphères de l’autorité publique et de constitution des libertés (voir note 1) - et d’instaurer une démocratie communautariste où les « laïques » constitueraient une tendance (et pourraient avoir droit à des crèches et écoles à neutralité religieuse) au même titre que les différents cléricalismes (comme en Belgique par exemple). Mais alors, il faut assumer le découpage du peuple en communautés, contraire à la tradition historique de la France.
2/ La deuxième, celle que nous souhaitons au journal Respublica, c’est au contraire d’aller vers plus de laïcité. Dans ce cas, revenir au principe de laïcité énoncé ci-dessus et laïciser le droit français. Pour cela ,il faut revenir à une vraie loi de séparation des églises et de l’Etat qui annule et remplace les lois Falloux, Debré, Guermeur jusqu’à la loi Carle (nous nous inscrivons de ce point de vue en faux contre les juristes qui naturalisent le droit positif actuel et qui nous disent du haut de leur chaire qu’une décision d’une Cour est définitivement gravée dans le marbre !) et promouvoir enfin la République sociale avec un élargissement de la sphère publique de constitution des libertés. Un beau projet, non ?
Jean Jaurès appellerait cela l’évolution révolutionnaire…
Nos amis du Réseau Education Populaire (centre de ressources pour des initiatives d’éducation populaire www.reseaueducationpopulaire.info ) tournent de plus en plus en conférences interactives, ciné-débats, etc., à la demande du mouvement social pour débattre de la République sociale… Bon présage, non ?

  1. Dès l’affaire de Creil en 1989, d’abord via le GODF qui organisa le banquet du 21 octobre 1989 avec 1 500 personnes, puis quand le GODF n’a plus souhaité animer ce combat, le relais fut pris par Initiative républicaine qui réalisa son lancement par un banquet républicain à la Mutualité en décembre 1992, et enfin par l’UFAL de 1997 à 2004. Bernard Teper fut aux commandes de ces initiatives avec des camarades dont beaucoup toujours présents dans l’équipe de ReSpublica. Ayant étudié l’état des lieux du droit positif, ils avaient jugé, suite à des auditions de juristes, que l’article 10 de la loi d’orientation scolaire de Lionel Jospin du 10 juillet 1989 annulait les circulaires de Jean Zay de 1937. Il fallait donc une nouvelle loi pour défaire ce dernier article. L’arrêt du conseil d’Etat du 27 novembre 1989 justifia la poursuite du combat. La position de Jean-Paul Costa de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg (CEDH, qui n’a rien à voir avec la Cour de justice de l’Union européenne de Luxembourg) également. []
  2. Notez que nous utilisons le conditionnel car nous ne sommes pas à l’abri de la mauvais foi juridique dans la mesure où les néolibéraux de droite comme de gauche ont placé dans les différentes Cours ou Conseils des magistrats qui développent une activité jurisprudentielle restrictive lorsqu’il s’agit de l’application du principe de laïcité. C’est tellement vrai qu’aujourd’hui, c’est l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme qui régit le travail de la CEDH de Strasbourg qui, paradoxalement, empêche la dérive anti-laïque en France, pays où est né la laïcité ! []
  3. et donc ni de l’autorité politique et pas plus de la sphère de constitution des libertés que constituent l’école publique, les services publics et la partie publique du domaine de la santé et de la protection sociale []
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Analyse du discours présidentiel, ses présupposés et les leçons à en tirer pour l'action

par Bernard Teper
Co-animateur du Réseau Education Populaire.
Auteur avec Michel Zerbato de « Néolibéralisme et crise de la dette ».
Auteur avec Catherine Jousse et Christophe Prudhomme « Contre les prédateurs de la santé ».

http://wwww.reseaueducationpopulaire.info

 

En ce début de printemps, nous pouvons décrypter le mouvement « réformateur » de la communication hollandaise dont la dernière allocution télévisée du jeudi 28 mars est un morceau d’anthologie.

Première caractéristique : le néolibéralisme est la fin de l’histoire

De ce point de vue, il perpétue cette absence de perspective nouvelle qui est le point commun des politiques de ces dernières décennies. Pour la campagne présidentielle, le futur président de la République appliqua le théorème de Pasqua : « les promesses n’engagent que ceux qui y croient et non ceux qui les présentent au peuple ».

Le fond de l’argumentaire « made in Medef » est flagrant : la crise ne serait due qu’à des « indélicats », il faut donc moraliser et sécuriser le dispositif néolibéral. La dette est légitime, elle est due à un montant excessif des dépenses publiques et sa diminution est la priorité. Pour sortir de la crise, il faut « baisser les charges des entreprises » et tout sera réglé ensuite selon le théorème de Gerhard Schröder : « les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et le plein emploi après-demain ». Il faut tuer la démocratie et la remplacer par le gouvernement représentatif selon la formule de Siéyès pendant la Révolution française : « un peuple n’existe que représenté ».

Il importe peu que tout cela soit faux ou que cela défende les seuls intérêts de l’oligarchie.

Deuxième caractéristique : le néolibéralisme de gauche diffère du néolibéralisme de droite par la stratégie

Alors que la droite néolibérale présente au peuple un compromis direct entre les intérêts des néolibéraux et des néocléricaux, les néolibéraux de gauche organisent des avancées sociétales (le PACS, le mariage pour tous, etc.) comme seule perspective politique positive pour les citoyens et les salariés. Par contre, il gère comme ses prédécesseurs la régression économique et sociale : augmentation du chômage et de la précarité, dépassements d’honoraires, augmentation des inégalités sociales de santé, de logement, scolaires, de transport, culturelles, territoriales, etc.

Troisième caractéristique : alors que Sarkozy engageait le « mouvement réformateur » contre l’ensemble des syndicats de salariés, son successeur préfère faire « des efforts » pour que la régression économique et sociale puisse être avalisée par le syndicalisme d’accompagnement du système.

On voit bien là une différence de stratégie du pouvoir entre la période 2009-2010 et l’année 2013. Mais la communication hollandaise apporte un nouveau pan stratégique.

Quatrième caractéristique : les reculs sociaux, c’est pour tout de suite, les avantages éventuels sont renvoyés en délibération aux calendes grecques.

Ainsi est programmé ledit accord interprofessionnel du 11 janvier dont les éventuels bienfaits pour l’humanité doivent être discutés dans les années qui viennent dans des discussions de branche ou d’entreprise. Ainsi est organisé le discours sur le chômage : « il va augmenter jusqu’à la fin de 2013 et ensuite, la répartition des bénéfices sera pour le peuple et l’attente populaire sera grassement récompensée ».

Conséquence immédiate : une nouvelle étape pour le mécontentement du peuple.
Comme l’a montrée l’élection législative partielle de l’Oise de mars 2013, le gouvernement produit la désespérance. Alors que la candidate socialiste a presque fait jeu égal en juin 2012 en perdant que de 63 voix au deuxième tour, elle a subi le syndrome jospinien de 2002 : elle est éliminée dès le premier tour au profit du Front national. Mais cette fois-ci ce dernier fait presque jeu égal avec la droite au deuxième tour malgré le soutien du PS au candidat UMP. Le candidat du Front de Gauche perd des voix tout en augmentant légèrement en pourcentage (+1,4 % pour finir à 6,4 %).
Comme dans les années 30, comme dans les années Jospin, la ligne de plus grande pente est que le mécontentement vis-à-vis de la gauche gouvernementale renforce, sans changement de stratégie du Front de Gauche, la droite et l’extrême droite.

Que faire ?

Nous proposons l’ouverture d’un grand débat autour de dix propositions :

1) Soutenir le mouvement syndical revendicatif qui est aujourd’hui en première ligne de la lutte des classes dans notre pays (CGT, FSU, FO, Solidaires, Confédération paysanne)

2) Soutenir la ligne CGT du syndicalisme rassemblé pour travailler à la Convergence salariale, afin de ne pas « naturaliser » la division syndicale voulue par le Medef et le gouvernement.

3) Éviter deux écueils mortifères pour le salariat : le néolibéralisme et son avatar le social-libéralisme d’une part et le gauchisme d’autre part. Contre le premier, nous devons travailler à l’autonomie du salariat sur une base alternative au néolibéralisme. Contre le second, nous devons lutter contre le sectarisme, et la quiétude dans la marginalisation sans influence vis-à-vis de la majorité des salariés et des citoyens. Par exemple, il faut rompre avec les poussées nationales décrétées par des collectifs de lutte qui ne mobilisent que quelques centaines de militants.

4) Développer les actions de résistance aux politiques néolibérales y compris par des associations et des collectifs de lutte, mais qui doivent amplifier les actions syndicales par une liaison plus forte entre usagers et travailleurs (exemple : les collectifs locaux d’hôpitaux ou des maternités de proximité, les collectifs locaux de la Convergence Services publics, les collectifs pour un audit citoyen de la dette, etc.)

5) Développer une campagne de masse des actions locales d’éducation populaire liées aux luttes sociales avec toute la diversité des formes : conférence interactive, conférence gesticulée, théâtre-forum, conférence populaire, ciné-débat, théâtre engagé, ateliers de lecture, etc., et des outils : diaporamas, vidéo, etc. À noter que cela n’a rien à voir avec les meetings entre militants convaincus avec une multitude d’intervenants qui disent avec plus ou moins de talents les mêmes généralités qui ne rassurent que les militants convaincus.

6) Travailler tous les sujets de l’éducation populaire avec l’état des lieux et l’histoire, les enjeux et les alternatives. Refuser toute prééminence surplombante (une idée qui résout tous les problèmes !) et globaliser tous les combats qu’ils soient démocratiques, laïques, sociaux, écologiques ou féministes. Travailler à la cohérence des discours autour d’un modèle politique (qui n’est pas un programme politique !). Nous suggérons celui de la République sociale comme actualisation de la pensée de Jean Jaurès au 21e siècle avec des principes constitutifs, des exigences indispensables, des ruptures nécessaires et la stratégie de l’évolution révolutionnaire.

7) Les partis politiques de la gauche de gauche (et non de la gauche de la gauche) doivent prendre la mesure du fait qu’aucune transformation sociale et politique d’importance ne peut se faire sans le soutien actif des couches populaires ouvriers et employés (53 % de la population) et les couches moyennes intermédiaires (24 %). Pour cela, il convient de changer la pratique militante traditionnelle tant dans la communication, que dans les contacts, dans les initiatives, etc., mais aussi développer les discours à partir des préoccupations des couches populaires : santé et protection sociale (retraites, santé, médico-social, perte d’autonomie, politique familiale, etc.), chômage, précarité et droit du travail, école, logement, services publics, immigration et nationalité, etc. Vérifier par exemple si, dans votre dernière motion de congrès, on parle de protection sociale c’est-à-dire de plus de 30 % du PIB !

8) Les partis politiques de la gauche de gauche doivent mieux tenir compte des phénomènes sociologiques et urbanistiques qui se sont la « gentrification » qui organise la ghettoïsation sociologique et rejette de plus en plus les couches populaires dans les zones périurbaines et rurales, l’éloignement inexorable et les temps de transport pour aller travailler, la montée des inégalités sociales de santé, de logement…

9) L’ensemble des organisations politiques, syndicales, associatives, mutualistes doivent porter un regard critique sur la démocratie dans leurs organisations. Pourquoi ? Parce que proposer plus de démocratie (avec au moins les quatre conditions de Condorcet) dans le pays en se complaisant dans son organisation à une absence de démocratie par l’application du principe de représentation1 devient peu crédible pour les salariés et les citoyens et favorise le fossé entre les représentants et les représentés.

10) Corollaire du point précédent, n’y aurait-il pas nécessité de revendiquer un droit à l’enseignement, à l’éducation populaire et à l’information aux fins de rendre possible une alternative en terme de médias ?

  1. Si pour Siéyès « un peuple n’existe que représenté », beaucoup d’organisations « n’existent que par leurs dirigeants » ! []
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Sortir du capitalisme par la République sociale

par commission Economie, Parti de Gauche

 

NDLR : ce texte collectif a été porté à la connaissance de ReSpublica avant le Congrès du Parti de gauche, auquel il était soumis. S’il n’y a pas été repris dans sa totalité - et donc n’engage pas le Parti de gauche - nous avons souhaité le diffuser parce qu’il coïncide avec nombre de thèses privilégiées par ce journal.

Le capital a plongé l’humanité dans la plus grave crise financière, économique, sociale et écologique de son histoire, et n’en poursuit pas moins ses prédations sur les peuples du monde entier. Ce mode de production, fondé sur la marchandisation et l’exploitation de la vie humaine et de l’écosystème, n’est pas une fatalité. Cette formation sociale et historique n’est ni tombée du ciel, ni consubstantielle à une prétendue « nature humaine », qui élirait toujours mystérieusement la pire des solutions. Façonné par la main de l’humanité, le capitalisme peut par conséquent être défait par elle. Au-delà des réformes d’urgence face à la crise, développées notamment dans le programme L’humain d’abord et dans le Contre-budget du PG, notre responsabilité en tant que parti est donc d’oeuvrer concrètement à la libération des travailleurs et de l’ensemble des citoyens en défendant des mesures de rupture avec le capitalisme. Pour ce faire, le Parti de Gauche ne connaît qu’une seule médecine : la République sociale.
Ce texte est issu des différents travaux de la Commission économie du Parti de Gauche. Nous le proposons comme contribution à notre congrès.

1. Récupérer la souveraineté du peuple face à l’Europe libérale : une nécessaire reprise en main de la politique monétaire

a. Refuser la privatisation de la monnaie

Pour rompre avec le capitalisme, il faut que le peuple reprenne la main sur la politique monétaire. Le traité de Maastricht a achevé la mise sous tutelle des nations européennes par les marchés financiers capitalistes. L’État, les collectivités territoriales, les caisses de protection sociale ne peuvent plus emprunter pour financer leurs investissements, directement ou indirectement, sans passer par les fourches caudines des banques privées et des marchés financiers. Ceux-ci ont le monopole de la monnaie ainsi privatisée. L’adoption du TSCG et ses règles absurdes de limitation de la dette et des déficits démontrent une fois de plus que l’union monétaire est un instrument de soumission des peuples à l’idéologie néolibérale. Dépossédés de l’instrument des taux d’intérêts et du taux de change et livrés à une libre concurrence exacerbée par l’élargissement de l’UE, les gouvernements instrumentalisent cet ensemble de contraintes pour justifier des politiques de compression du « coût du travail ». L’exonération des prélèvements fiscaux et sociaux pesant sur les entreprises et les revenus du capital en est une illustration. Pour sortir de cette situation catastrophique, il faut désobéir aux traités européens et, en même temps, engager des discussions pour de nouveaux traités au sein de l’Union européenne.

b. Proposer une autre voie pour l’euro

 Nous mènerons ainsi un véritable coup de force qui nous permettra de subvertir les institutions européennes et de les pousser ainsi à se réformer radicalement. Le gouvernement fera voter tout de suite les dispositions constitutionnelles et légales nécessaires pour réformer le statut de la Banque de France. Son nouveau statut autorisera cette dernière à concourir directement au financement de l’État et à refinancer les banques publiques à taux réduit. Cette reprise en main de la politique monétaire, en violation du traité sur l’Union monétaire, alliée à un audit citoyen de la dette, à une réglementation drastique de la finance et à la nationalisation des grandes banques pour constituer un pôle public bancaire puissant, nous permettra de mettre en oeuvre une véritable politique de relance et d’être suivis en ce sens par les pays européens qui subissent de plein fouet les plans d’austérité. Nous réorienterons les intérêts de la dette actuellement versés aux capitalistes vers les budgets de l’Etat, des collectivités territoriales et les caisses de protection sociale ; nous embaucherons massivement dans les services publics ; nous financerons ainsi la nécessaire transition écologique. Et si nous sommes exclus de la zone euro par la BCE, nous serons en mesure d’assumer ce risque. Si la BCE refuse de se réformer avec la prétention de nous obliger à mener une politique néo-libérale pour rester dans la zone euro, nous entreprendrons de construire d’autres solidarités, fondées sur un nouveau rapport de forces((Cette stratégie est développée en détail dans la résolution du Conseil national du PG d’avril 2011 et dans l’ouvrage Nous on peut, de Jacques Généreux, paru aux éditions du Seuil.)). Nous pourrions, par exemple, négocier la création d’un « eurosud » dévalué et refondé sur des principes coopératifs ou, si cela s’avère impossible, créer un système monétaire européen stabilisant les taux de changes intra-européens et associé au contrôle des mouvements de capitaux.1

2. Réformer le droit de propriété des moyens de production contre le diktat du capital : une politique économique qui rende le pouvoir aux travailleurs

a. Renverser le rapport de forces entre capital et travail

 La réforme radicale de la politique monétaire, la réglementation de la finance et la relocalisation de l’économie constituent les premiers pas décisifs pour aller au-delà et changer radicalement la société. En effet, nous devons sortir du capitalisme, comme système d’exploitation des travailleurs et de privilèges indus octroyés aux actionnaires, sans quoi les crises continueront et les peuples en feront continuellement les frais. Il faut donc avancer vers une réforme drastique de la propriété privée lucrative, tout à la fois des moyens de production, des moyens de subsistance et des moyens de circulation monétaire. L’ensemble des entreprises oeuvrant à l’intérêt général de la nation (énergie, banques, transports, etc.) doivent être nationalisées immédiatement. Les entreprises de l’économie sociale et solidaire doivent quant à elles être soutenues et privilégiées dans les marchés publics ; et les salariés doivent bénéficier d’un droit de préemption pour pouvoir reprendre leur entreprise en coopérative. De plus, nous ferons en sorte que les salariés voient immédiatement leurs droits renforcés au sein de l’entreprise. Une réforme de la direction des entreprises et l’établissement d’un droit de veto du CE sur l’ensemble des décisions stratégiques permettra enfin aux salariés de s’opposer aux plans de licenciements et de proposer de réelles alternatives.

b. Engager une socialisation progressive des entreprises

Le privilège fondateur du capitalisme est celui par lequel la totalité du capital accumulé par autofinancement, et donc généré par la combinaison productive du capital et du travail, appartient unilatéralement aux actionnaires. Il s’agit ni plus ni moins d’un vol légal, à l’instar des privilèges féodaux en leur temps. C’est pourquoi il est nécessaire de rompre avec ce privilège et de conférer la propriété d’une part croissante du capital aux salariés2 en tant que société des travailleurs, c’est-à-dire collectif de travail. Grâce à cette réforme de socialisation progressive, la part du bénéfice incorporée dans les fonds propres de l’entreprise chaque année sera partagée entre les actionnaires et la société des travailleurs, au prorata de la contribution du travail aux richesses produites, mesurée en proportion du travail et du capital consommés. Ce capital détenu collectivement par les salariés ne donnera pas droit à versement de dividendes. Il ne s’agit pas de droit de propriété individuelle lucrative, mais bien de propriété sociale collective. Si cette loi avaient été votée il y a dix ans, les salariés de PSA seraient majoritaires aujourd’hui dans le capital de leur entreprise, et donc au Conseil d’administration.

3. Sécuriser l’activité économique réelle face aux aléas du marché : une politique publique au service de l’intérêt général

a. Créer une Caisse de solidarité productive

 En synergie avec cette socialisation progressive, nous instituerons une Caisse de solidarité productive, qui permettra d’assurer la sécurité de l’activité de production pour l’ensemble des acteurs (salariés, travailleurs non salariés, entreprises, entrepreneurs) par mutualisation du risque, selon le même principe que la Sécurité sociale et par un système de cotisations des entreprises, dont le barème sera sur le modèle de l’impôt progressif2 . Cette Caisse imposera donc par la loi une solidarité économique entre les entreprises, grandes et petites, face aux variations d’activité. Elle apportera aux entreprises des fonds propres, obtenus par mutualisation, sans le besoin de recourir à des fonds extérieurs privés. Elle fournira également des financements longs, par le crédit à taux bas ou nul pour les TPE/PME, sans que l’Etat n’ait à débourser un centime. La Caisse de solidarité productive pourra en outre se substituer aux employeurs pour financer la baisse du temps de travail, en cas de baisse de commandes, et assurer le maintien des salaires, ainsi que la continuité du contrat de travail, en cas de graves difficultés économiques ou de disparition de l’entreprise. En association avec la socialisation progressive, elle éliminera progressivement les capitaux privés des entreprises pour leur substituer des capitaux socialisés, ce qui assurera donc la sortie du capitalisme par la disparition des capitalistes en tant que classe.

b. Assurer un protectionnisme écosocialiste

Il est également indispensable de faire bifurquer le modèle libéral mondialisé qui entraîne partout, dans les pays développés comme dans les pays en voie de développement, le chômage, la misère et l’accroissement des inégalités, tout en détruisant systématiquement l’environnement. À cette fin, il est absolument nécessaire de mettre en oeuvre une planification écologique, qui permettra la relocalisation des échanges, la prise en compte du temps long dans la production sociale et la préservation responsable de l’écosystème humain. C’est pourquoi nous devons mettre en place une politique protectionniste de relèvements des droits de douanes sur des critères sociaux et écologiques. Ceci n’est en aucun cas contradictoire avec la solidarité internationale des travailleurs, puisque ces mesures protectionnistes permettront de compenser les effets du dumping social et écologique. En effet, en augmentant le coût des importations, les revenus dégagés par ces taxes permettront d’aider les producteurs locaux et d’alimenter des fonds à destination des pays visés pour les aider à progresser socialement et écologiquement. Enfin, la Caisse de solidarité productive constituera un outil essentiel pour la planification écologique, en tant qu’elle permettra à la puissance publique d’orienter la vie économique vers un mode de production écosocialiste par le conditionnement des fonds alloués en fonction de critères écologiques.

  1. Une réforme allant dans ce sens est notamment proposée par François Morin, dans l’ouvrage Un Monde sans Wall Street, paru aux éditions du Seuil, collection économie humaine. []
  2. Cette proposition est notamment développée dans l’ouvrage Changer vraiment ! Quelles politiques de gauche ?, Fondation Copernic, Editions Syllepse. []
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Enseigner les valeurs de la République à l’école publique : où situer les enjeux ?

par Hayat Pierre

Source de l'article

 

Parmi les nouveaux enseignements obligatoires prévus par le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, figure un « enseignement moral et civique » (art. 28), du cours préparatoire à la classe terminale. Le projet du ministre de l’éducation nationale d’introduire un enseignement moral et civique cohérent, doté de nouveaux programmes et d’une évaluation spécifique a été dévoilé au grand public par l’interview que Vincent Peillon a donnée au Journal du dimanche à la veille de la rentrée scolaire[1]. Dans cet entretien, le ministre a dit souhaiter « pour l’école française un enseignement qui inculquerait aux élèves des notions de morale universelle, fondées sur les idées d’humanité et de raison. La république porte une exigence de raison et de justice. La capacité de raisonner, de critiquer, de douter, tout cela doit s’apprendre à l’école ». L’annonce ministérielle a aussitôt suscité dans les médias interrogations et polémiques.

Les professeurs de philosophie auraient tort d’imaginer que le projet ministériel ne les concerne pas. Non seulement l’actuel programme de philosophie des classes terminales générales et technologiques porte les exigences rappelées par le ministre mais le nouveau programme d’éducation civique, juridique et sociale (ECJS) pour les classes terminales rend désormais possible une approche philosophique de cet enseignement. Les professeurs de philosophie auront en conséquence à examiner les propositions ministérielles, à en débattre et à se prononcer, lorsque des propositions précises seront connues. La prochaine étape du débat débutera fin mars, une commission composée d’Alain Bergounioux, Laurence Loeffel et Rémy Schwartz  devant rendre à cette date un rapport qui précisera les « contours d’un enseignement de la morale laïque de l’école primaire au lycée ». En cette période d’examen par le Parlement du projet de loi Peillon et dans l’attente de la publication de ce rapport d’experts, nous soumettons à nos collègues de philosophie quelques éléments de réflexion en vue des discussions et peut-être des actions à venir.

1 - Signification politique de la « morale laïque » de la IIIe République

L’instruction morale et civique a joué à la fin du XIXe siècle un rôle majeur dans la politique des fondateurs de l’école républicaine. On attendait de cet enseignement qu’il mît fin à l’hégémonie culturelle de l’Église. Pièce maîtresse d’une laïcité de combat contre l’emprise cléricale sur l’école, la « morale laïque » défendait le libre examen contre le principe d’autorité. Par conviction initiale ou par acceptation pragmatique de la nouvelle donne politique, les cadres du ministère de l’instruction publique de la IIIe République avaient intégré l’idée qu’une démocratie moderne devait développer « une culture rationnelle pour l’universalité du peuple », selon l’expression du philosophe Henri Marion. Le peuple français s’étant rendu maître de son destin, le mieux était d’œuvrer à l’éducation de la raison en chacun en accoutumant les enfants à juger correctement mais aussi en accompagnant les prescriptions morales d’explications rationnelles[2]. L’instruction morale et civique excluait une répétition mécanique de formules toutes faites. « Sans autre punition ni récompense, sans autre sanction que celle de la conscience », la morale laïque représentait pour Ferdinand Buisson le support de l’école républicaine[3]. En voulant enraciner dans les consciences le « respect de leurs droits réciproques et de leurs devoirs les uns à l’égard des autres », la morale laïque se présentait comme le moyen et la fin de la démocratie moderne[4]. La mise en œuvre d’une éducation morale non confessionnelle prenait ainsi appui sur une « morale laïque » qui tendait à associer la solidarité collective et la responsabilité individuelle. Le principe moral d’une « liberté dans l’égalité » - d’une liberté qui n’asservit pas et d’une égalité qui n’uniformise pas - résumait la visée politique des fondateurs de l’école républicaine[5].

Ce caractère essentiellement politique de la morale laïque de la IIIe République explique que son enseignement n’ait pas été voulu comme un enseignement à part ni comme un enseignement parmi d’autres. L’école primaire de la IIIe République n’a pas isolé l’instruction civique et morale, ne l’ayant pas conçu séparément de la pédagogie d’ensemble de l’instituteur ni des équilibres à établir entre l’école, les familles, la société et les politiques. Dans les lycées, la IIIe République a sensiblement modernisé et assoupli le régime disciplinaire des lycées avec la grande réforme de 1890 portée par Henri Marion. La réussite de l’« éducation libérale » dépendait largement de la façon dont le professeur « faisait la classe »et de ce que nous appelons aujourd’hui « la vie scolaire » des établissements[6].

2 - L’enjeu des « valeurs »

Qu’en est-il aujourd’hui ? Lorsqu’il soutient la nécessité d’un enseignement cohérent de la « morale laïque » à tous les niveaux de la scolarité, le ministre de l’éducation nationale invoque le moment fondateur de l’école républicaine tout en affichant sa volonté de répondre aux défis présents[7]. Aujourd’hui comme en 1880, il faut admettre qu’une société qui n’enseigne pas ses valeurs perd ses repères symboliques. Aussi revient-il à l’école publique d’investir les questions morales. Comme en écho aux fondateurs de l’école républicaine, Vincent Peillon observe que « si ces questions ne sont pas posées, réfléchies et enseignées à l’école, elles le seront ailleurs par les marchands et par les intégristes de toutes sortes »[8]. L’accent mis par le ministre sur la morale et sur la laïcité pour définir les missions de l’éducation nationale s’inscrit bien dans la filiation des fondateurs de l’école laïque.

Aussi affirmée soit-elle, cette démarche de l’actuel ministre de l’éducation nationale n’est pas inédite. Depuis plus d’un siècle, l’idée laïque manifeste une permanence dans ses métamorphoses, autour des valeurs du libre examen, de la diffusion des Lumières et du respect de l’individu humain[9]. Il en est de même des oppositions multiformes à la laïcité. Aussi ancienne que l’idée laïque, la contestation de l’école laïque et de la laïcité républicaine émane de la droite traditionaliste qui lui reproche son utopisme prométhéen, son sectarisme invasif et son relativisme bavard, mais aussi d’une partie de la gauche qui l’accuse de cultiver son mensonge originel en s’affirmant populaire tout en considérant les pauvres comme un danger pour l’ordre social. On reproche alors à l’école laïque de s’empêtrer dans des contradictions insurmontables en prétendant favoriser la liberté de pensée tout en transmettant des valeurs. On pointe même la naïveté des tenants de la morale laïque qui croient que l’usage de la raison rendrait forcément les hommes justes et solidaires[10]. Buisson s’était en son temps confronté à ces objections en admettant volontiers que la morale laïque n’avait pas l’autorité de la raison scientifique ni celle de la foi religieuse. Mais cela ne l’empêcha de faire reposer la laïcité scolaire et l’éducation morale qui lui est inséparable sur les seules ressources de la conscience et de la raison[11]. La morale laïque prétend produire une autorité et une conviction détachées du principe d’autorité et des formes traditionnelles de la culture[12]. Si l’on suit Buisson, les raisons de la morale laïque sont à chercher dans les valeurs de la laïcité elle-même, comme le libre jugement, le respect de sa dignité et de celle d’autrui, la droiture, le bien public, la justice, l’altruisme… Comment alors  concilier la liberté critique et l’adhésion à des valeurs ? Tout en reconnaissant que l’usage de la raison n’entraînait pas automatiquement un comportement moral, Buisson observait qu’un engagement moral perdait l’essentiel de sa signification s’il n’était pas lucidement éprouvé et réfléchi. Il ajoutait qu’un enseignement « libéral », c’est-à-dire raisonné, de la morale devait être associé à la découverte par l’élève du « trésor moral de l’humanité » grâce à l’enseignement de l’histoire des civilisations. L’instruction civique et morale de la IIIe République prétendait déjà s’appuyer sur « de longs siècles d’éducation »[13].

Buisson sut ainsi assumer la tension vivante de la « morale laïque » en reconnaissant son inscription historique[14] tout en la présentant comme essentiellement libre et critique, capable en conséquence de « protester contre l’égoïsme de la société actuelle »[15]. Il perçut en son temps la dialectique d’une liberté critique et d’une détermination historique. « L’homme, disait Buisson, est un devenir, la société est un devenir ; la morale aussi. Elle n’est pas faite, elle se fait »[16]. La morale laïque progresse en jugeant ses propres résultats. Rien donc d’après Buisson n’interdisait d’ajouter au cours de morale ordinaire un chapitre réservé à la contestation du présent et à la société future à écrire[17].

3 - Le programme d’un ministre buissonnien

Ministre buissonnien, Vincent Peillon estime que l’école publique doit porter sans crainte les valeurs de l’école républicaine: « Un certain nombre de valeurs sont plus importantes que d’autres : la connaissance, le dévouement, la solidarité, plutôt que les valeurs de l’argent, de la concurrence, de l’égoïsme» [18]. On peut noter que la première des « valeurs » énumérées est la connaissance, qui  concerne directement l’école[19], tandis que le dévouement et la solidarité sont des principes moraux de sociabilité que l’école doit enseigner. Ainsi, sont associées les deux finalités essentielles de l’école que sont l’instruction et l’éducation, dont l’alliance est scellée par le Code de l’éducation actuellement en vigueur qui prévoit que l’école assure   « la transmission des connaissances » et  fasse « partager aux élèves les valeurs de la République » (art.L 111-1).

Si nous pouvons présumer que les « valeurs de la République » sont déclinées notamment dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et dans la devise de la République française, l’actuel Code de l’éducation est silencieux sur la question. Il est à cet égard significatif que le Projet de loi pour la refondation de l’école prévoit de modifier cet article du Code de l’éducation en précisant ce qu’il convient d’entendre par « valeurs de la République ». Ainsi est-il proposé une liste non exhaustive de ces valeurs : « l’égale dignité de tous les être humains, l’égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité et la laïcité qui repose sur le respect de valeurs communes et la liberté de conscience » (art. 3 du Projet de loi). Ce sont là des principes moraux (dignité, solidarité, égalité humaine…), mais c’est aussi la laïcité que l’école publique a obligation d’enseigner.

Le projet de loi Peillon vise ainsi à introduire dans le Code de l’éducation deux nouveautés majeures : une implication morale de l’école et une référence explicite à la laïcité. La laïcité est elle-même spécifiée par la « liberté de conscience » et « le respect de valeurs communes ». On s’autorisera à interpréter le respect de valeurs communes en opposition au respect des valeurs communes. Dans le second cas, en effet, il se serait agi de soumettre l’école à des valeurs existantes et de juxtaposer des traditions admises comme des faits. Dans le premier cas, en revanche, il s’agit de se retrouver autour de valeurs lucidement assumées et de les faire évoluer par la discussion critique. Vincent Peillon revendique en effet pour la laïcité scolaire d’aujourd’hui l’usage d’« une rationalité critique (qui) s’interroge elle-même sur les limites de sa validité et ne cesse de se remettre en cause », exclusive d’un catéchisme républicain et d’une orthodoxie laïque[20]. Cela implique que l’école transmette l’exigence de justice, comme une « idée morale qui ne se contente pas de la conformité au droit existant »[21]. Ainsi, en proposant de remplacer dans le Code de l’éducation les « cours d’instruction civique » et « l’enseignement d’éducation civique » par un « enseignement moral et civique », on viserait à donner un relief critique et axiologique à l’indispensable connaissance objective des faits juridiques. Si donc l’on suit les déclarations ministérielles, la réintroduction officielle de la morale au collège et au lycée est un encouragement adressé à l’enseignement secondaire de comprendre mais aussi de juger la société existante, au lieu de s’y conformer docilement. Ce statut normatif plutôt que normalisateur de la laïcité implique la neutralité confessionnelle de l’État et la liberté de conscience. Mais il confirme aussi que la laïcité demeure inintelligible sans l’étai de la rationalité critique. Ainsi comprises, les modification projetées du Code de l’éducation constitueraient une consolidation institutionnelle de la laïcité scolaire, sous réserve de leur usage.

4 - Crise sociale et crise scolaire

 Cette cohérence historique et doctrinale du projet ministériel doit cependant être confrontée à l’état présent de l’école et au contexte social d’ensemble, l’école n’étant pas, comme disait Buisson, un « système clos ». La réalité de la France d’aujourd’hui n’est plus celle des années 1880 ni celle des années 1960 qui, au cœur des Trente Glorieuses, vit naître une vive contestation des effets indésirables de l’école républicaine[22]. La France de 2013 traverse une crise économique structurelle et durable. Les reculs sociaux en cascade, le chômage de masse, la dépréciation et la précarisation du travail salarié ainsi qu’une certaine démoralisation civique  affectent aujourd’hui la société française. L’esprit public décline en même temps que croissent les inégalités et les fragmentations sociales. La généralisation de la société de marché à tous les niveaux de la vie collective institue le consommateur en mesure de l’intérêt général au détriment du service public et de la cohésion sociale[23].

L’école d’aujourd’hui n’est pas à l’abri de cette crise globale car les élèves et leurs familles ainsi que les personnels la subissent directement ou indirectement[24] Elle est en outre atteinte d’un mal qui lui est propre en ne satisfaisant pas à ses deux finalités essentielles définies par le code de l’éducation : transmettre les connaissances et éduquer aux valeurs de la République. Dans un nombre significatif d’établissements scolaires, il devient difficile de faire saisir que l’école n’est pas la rue[25]. Semblables à des « territoires perdus de la République », certains établissements implantés dans les quartiers déshérités sont dépourvus de moyens matériels mais aussi de reconnaissance sociale[26]. Cet affaiblissement de l’institution scolaire produit l’impression d’une école qui marche sur la tête, laissant s’installer en son sein la loi du plus fort et le mépris de la normativité scolaire. La dérive est manifeste dans la dépréciation du travail scolaire au sein même de l’école. Si l’on excepte quelques établissements publics de centre-ville et de nombreux établissements privés, l’école est rarement aujourd’hui un lieu où le travail scolaire est expressément estimé et encouragé[27]. Le déclin des enseignements disciplinaires qui a d’abord touché le français atteint désormais les disciplines scientifiques. L’effort patient et joyeux pour s’imprégner d’un texte littéraire ou pour résoudre un problème de mathématiques déserte le champ mental de l’école. Trop souvent, l’intérêt que certains élèves prêtent à un cours est efficacement et impunément moqué. L’école peine à offrir à ses élèves un climat paisible d’étude[28]. On souscrirait à l’appréciation de Vincent Peillon lorsque celui-ci écrit qu’ « il ne suffit pas de répondre poliment ou de se lever lorsque le professeur rentre en classe » si   dans de très nombreux établissements scolaires, la réponse polie n’était pas l’exception et si le professeur le plus expérimenté ne devait pas prendre du temps à installer les élèves avant de débuter le cours[29].

Aussi sérieux soient-ils, ces dysfonctionnements ne sont que la face visible d’un certain échec de l’école publique française ces dernières décennies. Les enquêtes nationales et internationales pointent des résultats scolaires en régression et un creusement des disparités entre les élèves selon leur origine sociale. Dans son fonctionnement, l’école roule contre ses finalités essentielles lorsqu’une rude concurrence prévaut entre les établissements scolaires, les enseignements et même les personnels. « L’autonomie » des établissements scolaires a accentué les inégalités entre les établissements de centre-ville et les autres. Proviseurs de lycée et principaux de collège sont poussés à adopter des procédés primaires de management[30]. Les directives sur l’apprentissage de « compétences » résument ce détournement de l’école à qui il est demandé de fabriquer des sujets économiques flexibles au lieu de former des citoyens instruits, libres et solidaires[31]. Ce mauvais état de l’école atteint la relation que les familles entretiennent avec l’école. Dans les années 1960-70, la Fédération des conseils des parents d’élèves initialement constituée pour promouvoir l’émancipation par l’instruction s’était dotée de représentants portés par des convictions laïques fortes et une confiance militante en la capacité de l’école publique à transmettre le patrimoine historique de l’humanité[32]. Mais aujourd’hui, les parents d’élèves présents dans les médias et les instances représentatives du ministère de l’éducation nationale sont en querelle avec l’institution scolaire qu’ils jugent rigide, répressive, centrée sur « les savoirs », sourde et aveugle à « la vraie vie ». Trop de parents d’élèves se comportent comme des consommateurs insatiables ou des individualistes égocentriques inaptes à considérer l’intérêt général. Et pourtant, comme l’observe Denis Kambouchner, « le style des directions d’établissement et l’action morale des parents d’élèves (ou de leur entourage) … sont connus pour avoir un rôle considérable dans les différences d’atmosphère observables entre des établissements de même degré et parfois topographiquement voisins »[33].

Quant aux enseignants, les études convergent pour démontrer le désarroi d’une profession sans boussole ni reconnaissance. Mal rémunérés, statistiquement « épuisés professionnellement », parfois impunément humiliés dans les établissements classés « sensibles », ils assistent impuissants à la déconfiture de l’enseignement des disciplines scolaires. Gagnés par la lassitude, certains abdiquent et jouent le jeu des antivaleurs scolaires[34]. L’évitement par la jeunesse lycéenne et étudiante du métier d’enseignant, malgré le chômage qui l’obsède, est sans doute le symptôme le plus obvie du mauvais état de l’école d’aujourd’hui et de la détérioration du métier d’enseignant. Pour avoir vu directement comment les choses se passaient, les jeunes ne nourrissent plus le rêve de se trouver un jour de l’autre côté du bureau professoral.

5 - Improbables cours de morale laïque

Faut-il, dans ce contexte, dispenser des cours de morale laïque à l’école ? Nul ne croit que les sermons et les boniments sur le « vivre ensemble » soigneront les maux qui affectent aujourd’hui l’école et la société. Mais un enseignement de morale habilement conduit autour de la découverte d’œuvres d’art ou au travers d’une  maïeutique qui procéderait à l’examen d’un cas concret pour le confronter aux principes affichés, ne nous paraissent malheureusement pas davantage apporter réponse à l’actuelle décomposition de l’école[35]. Dans les établissements scolaires où l’on ne peut guère enseigner ni la géographie, ni la chimie, ni la musique, on ne parviendra pas à des résultats plus probants en dispensant des cours de morale laïque. Le « prof » impatientera vite et sa pauvre maïeutique sombrera dans le ridicule[36]. Jamais une école n’enseignera des valeurs qu’elle est incapable d’imposer en son sein[37]. De deux choses l’une, en effet. Soit l’école n’est pas en mesure de faire partager les valeurs de la République à travers ses enseignements existants, il est alors peu probable qu’elle y parvienne dans un cours à part. Soit on admet que l’école assure effectivement à travers ses enseignements existants, l’enseignement civique et moral qu’on attend d’elle, il convient alors de renforcer ces enseignements-là plutôt que d’en ajouter un nouveau.

Plus fondamentalement, notre école ne parviendra pas à « faire partager les valeurs de la République » tant qu’elle ne transmettra pas des connaissances solides d’où elle tire sa légitimité. Un professeur au savoir mal assuré dans la discipline qu’il enseigne ne sera pas estimé plus habilité que quiconque à « faire partager aux élèves les valeurs de la République ». Mais, à l’inverse, l’école n’instruira pas si elle n’éduque pas à la valeur de la transmission des connaissances. Jamais l’école ne s’est réduite à un centre d’instruction. Toute école est traversée par des représentations idéologiques sur la société et sur l’homme. En amont comme en aval de l’instruction, on trouvera l’éducation et la puissance normative qui l’accompagne.

6 - Éléments pour un rehaussement des normes scolaires

Si l’école ne parvient ni à instruire ni à éduquer comme elle le devrait, la déconsidération excessive dont elle est aujourd’hui l’objet révèle l’état d’une société qui renonce à saisir rationnellement d’où elle vient et où elle veut aller. Mais, de façon contradictoire, cette dépréciation sociale de l’institution scolaire s’accompagne d’une forte demande d’école de la part de la société. On désire une école qui brise les préjugés racistes, libère des enfermements communautaires, éduque à la citoyenneté. Cette attente parfois démesurée émane d’une société dont les repères paraissent lui glisser sous les pieds. Mais elle constitue aussi pour l’école un défi et même une chance. Lorsqu’une morale fait consensus, il n’y a pas urgence à vouloir l’enseigner à l’école car elle paraît aller de soi[38]. Dans notre monde livré à une crise économique durable et à la montée des intégrismes religieux mais aussi à de profondes mutations sociétales et à la révolution du numérique, l’école ne parviendra pas à transmettre les savoirs fondamentaux et les valeurs humanistes si elle n’est pas portée par un volontarisme politique. De ce point de vue, la démarche du ministre de l’éducation nationale relative à la transmission des valeurs de la République ne semble ni artificieuse ni artificielle.

Mais, comme nous pensons l’avoir montré, des cours de morale laïque qui viendraient s’ajouter aux enseignements existants (instruction morale et civique à l’école primaire, éducation civique au collège, éducation civique, juridique et sociale au lycée) ne nous paraissent pas apporter réponse à cette attente sociale et à cette exigence républicaine. En revanche, la libération de l’école d’une logique concurrentielle et l’abandon du modèle des « compétences » sont à l’ordre du jour[39]. De même, une nouvelle définition des missions des personnels paraît souhaitable. Ainsi, les personnels d’encadrement, de direction, d’inspection[40], d’éducation, d’administration mais aussi médico-sociaux peuvent être mobilisés pour porter publiquement avec confiance, au travers de discours explicites et par des actes d’autorité visibles, les normes scolaires et les valeurs de la République[41]. Tous peuvent accompagner et soutenir plus franchement et avec une efficacité accrue le travail des enseignants. Tous aussi peuvent être formés en ce sens. Le projet d’une « pédagogie de la laïcité » vise en premier lieu l’ensemble des personnels de l’éducation nationale, même si elle de l’institution scolaire une contribution spécifique au progrès social et à la transmission des valeurs de la République. Mais l’école ne peut répondre à cette exigence si elle ressemble à un bastion ou si, à l’inverse, elle est le miroir exact de la société. L’enjeu n’est donc pas, à notre sens, de transformer l’école en sanctuaire. Mais il n’est pas davantage de sanctifier ou de surévaluer un « enseignement moral et civique », labellisé ou non « enseignement de la morale laïque », mais de refonder une école qui offre un milieu moral favorable à l’instruction et à l’éducation aux valeurs de la République.

NOTES

[1] V. Peillon, « Le retour de la morale jusqu’en terminale », entretien avec Adeline Fleury, Le Journal du dimanche, 2 septembre 2012, p. 15.

[2] La morale laïque de la période fondatrice de l’école républicaine ne fut pas une morale autoritaire mais formatrice de l’esprit critique. Voir J. Baubérot, La morale laïque contre l’ordre moral, Seuil, Paris, 1997.

[3] F. Buisson, Éducation et République, introduction de Pierre Hayat, Kimé, Paris, 2003, p. 271. « La morale laïque répond bien à la conception hardie qu’en donnait (…) le philosophe Guyau dans un livre dont le titre au moins scandalisa. C’est bien une morale ‘sans obligation ni sanction’ (…) ‘Sans obligation’, entendez : sans obligation venant du dehors; ‘Sans sanction’, entendez : sans sanction extérieure », F. Buisson, Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (extraits), établissement du texte, présentation et notes par Pierre Hayat, Paris, Kimé, 2000, p. 202.

[4] J. Barni, La morale dans la démocratie, suivi du Manuel Républicain, présentation de Pierre Macherey, Paris, Kimé, 1992.

[5] « En réglant la liberté par la loi du devoir, la morale en assure le légitime exercice et la maintient ; et en donnant à l’homme le respect de l’homme, elle fonde dans son cœur et dans sa conduite la pratique de l’égalité. Toute la démocratie est là », ibid., p. 43.

[6] H. Marion, L’éducation dans l’Université, Paris, Colin, 1892. Voir également P. Hayat, La raison dans l’éducation. Henri Marion et l’instruction républicaine, Kimé, Paris, 2012.

[7] « Je veux faire de la morale laïque un enseignement moderne qui s’inscrit dans l’école du troisième millénaire », V. Peillon, « Le retour de la morale jusqu’en terminale », art. cit., p. 15. Dans cet entretien, Vincent Peillon ne se réfère pas seulement aux grands textes de la IIIe République mais aussi à ceux du Conseil national de la Résistance qui portent une conception forte de la solidarité sociale.

[8] Id.

[9] Voir, par exemple, M. Vovelle, « Le partage laïque », dans G. Gauthier, La laïcité en miroir. Entretiens, Paris, Édilig, 1985, p. 25.

[10] Voir, le plus récemment, R. Ogien, La guerre aux pauvres commence à l’école. Sur la morale laïque, Paris, Grasset, 2013.

[11] F. Buisson, Éducation et République, op. cit. p. 287.

[12] Ibid., p. 274.

[13] F. Buisson Dictionnaire…, op. cit., p. 201.

[14] « Une morale vaut ce que vaut la civilisation dont elle est le résumé », F. Buisson, ibid., p. 205.

[15] Ibid.,  p. 206.

[16] Ibid.,  p. 205.

[17] « Tous les hommes sont libres et égaux en droits. Mais beaucoup ne sont libres que de mourir de faim et de végéter dans une situation misérablement précaire », id.

[18] V. Peillon, « Le retour de la morale jusqu’en terminale », art. cit, p. 2.

[19] Le ministre de l’éducation nationale s’appuie sur le discours de François Hollande en hommage à Jules Ferry du 15 mai 2012, dans lequel le président de la République précisait que « si le savoir n’est pas le monopole du maître, celui-ci garde la responsabilité d’en ordonner le sens ».

[20] V. Peillon, Refondons l’école. Pour l’avenir de nos enfants, Paris, Seuil, 2013, p. 135.

[21] Ibid., p. 132.

[22] L’ouvrage emblématique de cette contestation est sans doute Les héritiers de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, paru en 1964, prolongé par La reproduction parue en 1970, tous deux aux éditions Minuit.

[23] P. Rosanvallon, La société des égaux, Seuil, Paris, 2011.

[24] Le mot de « crise » exprime aujourd’hui le triste « horizon indépassable de notre temps », généralement employé en synonyme de malaise et d’impuissance interminables, comme si une crise permanente n’était pas un oxymoron. Voir M. Revault d’Allonnes, La crise sans fin, Paris, Le Seuil, 2012.

[25] La violence et les incivilités pourrissent la vie des établissements implantés dans les quartiers défavorisés, touchant élèves, professeurs, personnels de surveillance et même de direction. Elle atteint avec une dureté particulière des personnels moins visibles comme les agents de service.

[26] E. Brenner (dir.), Les territoires perdus de la République, Mille et une nuits, Paris, 2002.

[27] On pourrait mettre en corrélation la dépréciation du travail scolaire et la dévalorisation du travail salarié qui préoccupe les organisations syndicales.

[28] L’affaiblissement de l’institution scolaire aggrave les inégalités entre élèves, ceux issus d’un milieu socio-culturel favorisé compensant plus aisément que d’autres les manquements de l’école.

[29] V. Peillon, Refondons l’école…, op. cit.,  p. 136.

[30] C. Laval, F. Vergne, P. Clément, G. Dreux, La nouvelle école capitaliste, La Découverte, Paris, 2011.

[31] A. del Rey, À l’école des compétences. De l’éducation à la formation de l’élève performant, La Découverte, Paris, 2009.

[32] J. Cornec, Laïcité, Sudel, Paris, 1965.

[33] D. Kambouchner, L’École, question philosophique, 2013, Paris, Fayard, p. 80.

[34] Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires, Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, IGEN, Groupe Établissements et vie scolaire, rapport présenté par Jean-Pierre Obin, Paris, juin 2004.

[35] J. Baubérot, « Redonner à la morale laïque toute son actualité. Un renouveau démocratique », Le Monde, mardi 11 septembre 2012.

[36] On déplore souvent la perte d’autorité des enseignants. Mais peut-être est-ce là mal poser le problème car c’est l’autorité morale de l’institution scolaire, en son sein et hors d’elle, qu’il convient en premier lieu d’assurer. Celle de ses serviteurs suivra.

[37] Une alternative à « l’école lieu de vie » et à « l’école des compétences » serait à rechercher dans une école qui offre aux élèves un univers où « le savoir est représenté de toutes les façons » et leur fait vivre « une expérience de la culture ». Voir le récent livre scrupuleux et suggestif de Denis Kambouchner, L’École, question philosophique, op. cit.

[38] L. Loeffel, La question du fondement de la morale laïque sous la IIIe République, PUF, Paris, 2000, p. 243.

[39] Il est à craindre que le projet de loi Peillon n’aille guère en ce sens.

[40] La suppression par Luc Chatel de la double notation des enseignants fut une très mauvaise réponse à un véritable problème.

[41] L’idée soutenue par Vincent Peillon d’ « une charte de la laïcité à usage de tous les établissements scolaires » intégrée dans les règlements intérieurs des établissements va dans le sens d’une prise en charge par l’univers scolaire, sous réserve de ne pas demeurer lettre morte.

[42] Voir A. Bidar, Pour une pédagogie de la laïcité à l’école, Haut Conseil à l’intégration, préface de Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale, Paris, La Documentation française, 2012.

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Chypre : comment l'oligarchie européenne modifie de nouveau la nature de la zone Euro

par Bernard Teper
Co-animateur du Réseau Education Populaire.
Auteur avec Michel Zerbato de « Néolibéralisme et crise de la dette ».
Auteur avec Catherine Jousse et Christophe Prudhomme « Contre les prédateurs de la santé ».

http://wwww.reseaueducationpopulaire.info

 

A chaque crise, et c’est encore le cas avec la crise chypriote, l’oligarchie européenne modifie sans débat politique la nature de la zone euro.
C’est d’autant plus étonnant que Chypre ne représente que 0,2 % du PIB de la zone euro. Mais l’intensification de la crise systémique les oblige à franchir un nouveau gap. Là, elle a organisé un blocus financier de l’île (voir l’article de Jacques Sapir dans le précédent numéro), a lancé un ultimatum aux termes duquel Chypre serait exclu de l’euro. De plus Angela Merkel a refusé à Chypre le même traitement que l’Irlande en 2010 qui avait participé à sa propre survie en vidant son fonds de pension. L’Irlande a dû participer à 20 % des 85 milliards d’euros. Pour Chypre, on lui demande 40 % des 17 milliards d’euros mais sous forme de taxes sur les dépôts bancaires. C’est la concrétisation de la thèse de Michel Zerbato parue dans Respublica selon laquelle l’Allemagne veut bénéficier de plus en plus de la zone euro mais paiera de moins en moins. Avis aux amateurs pour la prochaine aide !
Il a fallu une émeute à Chypre pour qu’Angela Merkel accepte de ne pas taxer tous les dépôts bancaires et mettent une limite à 100.000 euros.
Angela Merkel a même refusé de faire jouer le FESF ou le MES, comme d’ailleurs pour le cas grec.
Pire, il devient patent que l’oligarchie européenne peut demander de « changer son modèle économique » à tout pays qui demande une aide sans débat démocratique incluant les citoyens du pays. Avis aux autres pays !
Contrairement aux discours bisounours des médias dominants, les effets de la politique de dévaluations internes1 imposées par l’oligarchie augmente les inégalités au sein de la zone euro : jusqu’à quand ? Les pays du sud de l’UE et beaucoup d’entreprises des pays du nord de l’UE vivent un resserrement du crédit (credit crunch en anglais) sur le simple bon vouloir de l’Allemagne et de la BCE. La récession est donc organisée pour certains.
La dernière « innovation », et non la moindre, sera l’application de restrictions aux mouvements de capitaux par Chypre (disposition prévue par l’article 65 du Traité de fonctionnement de l’UE ou TFUE ). Ce qui fera qu’un Chypriote installé en Allemagne sera moins libre que s’il vit à Chypre. Avis aux amateurs qui vont vite comprendre qu’un euro-chypriote ne vaut pas un euro-allemand ! Et vive la délocalisation des riches des pays pauvres vers les pays riches! Quel progrès!
A quand la prochaine « innovation » de l’oligarchie ?

  1. Les dévaluations externes sont impossibles puisqu’il y a monnaie unique, elles ne seraient possibles qu’avec une monnaie commune. []
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Grandeur et décadence du capitalisme français : la Compagnie Générale d'Electricité

par Raphael Favier

 

L’histoire de la Compagnie Générale d’Electricité, qu’il ne faut pas confondre avec l’autre CGE (la Cie Générale des Eaux) est la première rétrospective d’une série que Respublica a décidé de consacrer à l’histoire du capitalisme français afin d’en mieux comprendre les principaux acteurs et leur ancienne splendeur, mais aussi leur plus récente décadence et les errements dans lesquels ils ont progressivement sombré. Suivront France Télécom, PUK, Les Chantiers navals de Saint-Nazaire, le groupe Wendel, La Générale des Eaux, et d’autres encore. Respublica vous remettra en mémoire les terribles étapes d’un magistral gâchis, d’une saga à la fois délirante et tragique, bref d’un abandon financier, matériel et moral d’une ampleur sans précédent.

Mais revenons à la CGE dont la création remonte à 1898, par regroupement de plusieurs sociétés de taille modeste ayant comme vocation de fournir de l’éclairage. Moins d’un siècle plus tard, elle est devenue tentaculaire avec un pied dans la construction électrique, les câbles, les centraux téléphoniques et l’électronique (CIT ALCATEL), un autre dans la construction mécanique avec ALSTHOM (locomotives, turbines, compresseurs, chantiers navals, réseaux de distribution électriques et centrales thermiques classiques), un troisième dans les accumulateurs avec la SAFT, et enfin l’entreprise et les grands chantiers d’ingéniérie clés en main avec CGEE qui deviendra CEGELEC.

Mais au-delà de la multiplicité de ses activités, la CGE est surtout synonyme de réussite, et typique d’une culture d’entreprise assise sur trois piliers : la construction d’un vaste empire industriel, une forte connivence avec l’État dont elle est un des bras armés, et des partenariats multiples avec des entreprises publiques clientes (EDF, SNCF, RATP, PTT, …) que ce soit pour couvrir les besoins du marché français ou pour partir de conserve à la conquête des marchés étrangers.

Constituée à l’origine sous la houlette de Pierre Azaria, polytechnicien, dotée d’un laboratoire de recherche installé à Ivry en 1899, l’entreprise confirme son statut d’acteur politique très en prise avec le pouvoir d’Etat, avec des PDG comme Paul Doumer de 1910 à 1927 qui deviendra Président de la République, ou plus tard Ambroise Roux et Georges Pébereau, également polytechniciens issus du corps des Ponts, ou anciens haut-fonctionnaires. Les banques siègent au conseil d’administration. Les marchés sont principalement publics.

Dès le départ la CGE se tourne vers la technologie américaine. A l’assemblée générale de 1926 Pierre Azaria remarque que Général Electric (GE) représente en matière de R&D, l’équivalent de 70% du chiffre d’affaires de la CGE, hauteur à laquelle, estime-t-il, la CGE ne peut pas suivre. Puis, à coups de fusions acquisitions s’étalant sur plusieurs dizaines d’années, la CGE bâtit une stratégie qui la conduit à maîtriser cinq grandes spécialités : le matériel de transport ferroviaire et maritime, la transmission et la distribution de l’électricité, les télécommunications, le matériel de défense et l’électronique.

  1. Le transport ferroviaire

En 1839 un certain André Koechlin avait ouvert un atelier de construction de locomotives à Mulhouse qui, par fusion avec d’autres sociétés, était devenu la Société Alsacienne de Construction Mécanique (SACM) installée à Belfort et à Graffenstaden en 1871. La SACM fournira des locomotives au Reich et plus tard des moteurs diesels et une pile à combustible à la France.
En 1880, s’était créée parallèlement aux Etats-Unis la « Thomson Houston Electric Company » qui, en association avec GE avait créé une extension en France : la Compagnie Française pour l’exploitation des procédés Thomson -Houston.
En 1928 la SACM fusionne avec cette dernière, donnant par contraction des deux noms la
Société Alsthom, laquelle, à son tour, sera acquise par la Compagnie Générale d’Electricité en 1969 dans le cadre du 5ème Plan (1965) et du programme nucléaire français.

  1. Le transport maritime

En 1976, la CGE acquerra les Chantiers Navals de Saint-Nazaire dont nous reparlerons dans une page spéciale.

  1. Sur l’électricité

En 1918 deux ingénieurs suisses créent la Société des Accumulateurs Fixes et de Traction : la SAFT. Cette société sera acquise par la CGE en 1930.
En 1913 plusieurs sociétés d’électricité se regroupent pour former la Compagnie Générale d’Entreprises Électriques (CGEE). Cette société sera acquise par la CGE Alsthom en 1971 puis formera en 1989 avec la société britannique Géneral Electric Company Power Systems (GEC) la société
CEGELEC. Le PDG en sera Claude Darmon.
Enfin, en 1897 a lieu la création à Lyon de la Société Française des Câbles Électriques rachetée par la CGE en 1912. Elle deviendra la
Compagnie Générale des Câbles de Lyon qui, lors de la privatisation de la CGE en 1987 (voir ci-après), deviendra en 2000, Nexans.

  1. Les télécommunications

En 1928 est créée la Société Alsacienne de Construction Atomique, de Télécommunications et d’Electronique spécialisée dans la conception et la fabrication d’équipements de télécommunications : ALCATEL.
En 1946 la CGE crée la Compagnie Industrielle des Téléphones (CIT) qui va négocier, Plan Marshall oblige, avec l’américain AT&T les licences et brevets pour les télécommunications
En 1970, suite au 5ème Plan, la CGE absorbe Alcatel et la fusionne avec CIT pour former
CIT ALCATEL, puis plus tard ALCATEL.

  1. L’électronique, le matériel de défense, l’aéronautique, etc.

En 1919 est créée la Compagnie Générale de la Télégraphie Sans Fil (CSF) qui va être fusionnée à Thomson pour donner Thomson-CSF, acquise par la CGE en 1983. L’entité Thomson Composants, activité semi-conducteurs, deviendra avec la CEA et Saint Gobain SGS-Thomson, qui par fusion avec l’italien Finmeccanica, donnera STMelectronics après le départ de Thomson-CSF. La privatisation de Thomson-CSF en 1997 donnera naissance en 2000 au groupe THALES.

Voilà donc pour la saga et les grandes heures : Croissance et développement, conquêtes et réussites se succèdent tant qu’il s’agit d’avoir comme vocation de traduire en produits industriels les cahiers des charges des grandes sociétés nationalisées sur lesquels s’appuie l’Etat, dans le cadre du Plan, à savoir :

  • Les équipements industriels pour EDF (turbines et distribution d’énergie Alsthom)
  • Les équipements de télécommunication pour les PTT, avec la câblerie et la téléphonie Alcatel,
  • Letransport et la SNCF à travers Alsthom pour le TGV (1972), et la construction de paquebots (Chantiers navals de l’Atlantique),
  • Le ministère de la Défense avec Thomson.

Maintenant l’histoire récente et le début de la descente aux enfers.

D’abord, le pouvoir personnel : en 1970 Ambroise Roux (X) accède aux commandes de l’entreprise et devient l’emblème d’un capitalisme sans capitaux, jouant avec les deniers publics. Imbu de pouvoir, gonflé d’importance et soucieux d’influence, il se conduira comme un véritable potentat, recréant un état dans l’Etat, y compris sous Mitterrand. Bien qu’ayant démissionné, on l’appelle le ministre de l’industrie bis.
Ensuite, la « crise économique » après les Trente glorieuses, c’est-à-dire le ralentissement de la croissance et la baisse en volume des marchés. Deux périodes sont à distinguer :

1/ L’action de la gauche au pouvoir à partir de 1981
En 1982 la CGE est nationalisée, ce qui ne déplaît pas forcément aux actionnaires, qui sont correctement indemnisés.
Ambroise Roux démissionne, il est remplacé par un proche de Pierre Mauroy, Jean-Pierre Brunet. Mais il se place à la tête d’un lobby de patrons, à la fois président d’honneur de la CGE jusqu’à sa mort en 1999 et membre du conseil d’administration de la banque Barclays.
En 1984, sous le gouvernement Fabius, Georges Pébereau (X Ponts), qui est un proche de Mitterrand et a déjà servi dans plusieurs ministères, remplace JP Brunet et prend la tête du groupe.2

2/ Arrivée de la droite : « la cohabitation », la privatisation
En 1986 G. Pébereau est remercié et prend la tête d’une société d’investissement qui, en 1988, sera au centre d’un des plus grands scandales politico-financiers de l’époque : Georges Pébéreau
, Marc Vienot, Samir Traboulsi, Alain Boublil seront impliqués dans une affaire de délit d’initiés concernant la Société Générale. Il y aura procès, lequel durera 15 ans. La plupart des accusés seront acquittés ou condamnés à des amendes dérisoires.
Pébereau est remplacé par « l’homme de Balladur »:
Pierre Suard (autre X Ponts) qui dirigera l’entreprise jusqu’en 1995. Il est secondé par Pierre Bilger, qui privatise la CGE en 1987 avec l’accord du nouveau gouvernement et deviendra le PDG d’ALSTHOM en 1998 après en avoir été le CEO (« Chief Executive Officer ») à partir de 1991.

En 1990 Pierre Suard est baptisé « l’homme le plus puissant de France ».
En 1991, le groupe CGE disparaît et fait place au
groupe ALCATEL-ALSTHOM, avec Pierre Suard à sa tête. De 1991 à 1995, le groupe ALCATEL-ALSTHOM va acquérir de nombreuses sociétés dont AEG, STC (aujourd’hui NORTEL), qui a fait l’actualité sociale. Cette entreprise appartient désormais au groupe BOUYGUES, lequel avait à l’époque, des visées sur AREVA.
En 1994, Pierre Suard est mis en examen, notamment pour « escroquerie, corruption, faux et usage de faux ». Il est accusé d’avoir surfacturé pour plus d’un milliard de francs à France Télécom. Il a par aussi vendu le TVG à 300 km/h à la Corée du Sud après avoir accepté un transfert technologique.
En 1995
, Pierre Suard est interdit de fonction. Il est remplacé par Serge Tchuruk, X mines et ex n°2 de Rhône-Poulenc, qui, après avoir échoué à remplacer J.R. Fourtou comme n°1, est parti entre-temps créer ORKEM et devient, en prenant la tête d’ALCATEL-ALSTHOM, le PDG le mieux payé de France. Il entreprend aussitôt de recentrer l’activité du groupe sur les télécoms. C’est la fin d’une époque, et sans doute d’une ambition ou d’un modèle de développement « à la française ». En 2002, Pierre Suard écrira un livre, L’envol saboté d’Alcatel Alsthom, aux éditions France-Empire. Extrait :

Nous voulions enfin que, malgré sa dimension internationale, le groupe ne perde pas sa culture européenne et plus particulièrement française. C’est cet ambitieux projet, partagé par beaucoup, qui en réalité sombra le 10 mars 1995 [jour de son départ NDLR]. …/… La suite fut édifiante. Alcatel Alsthom perdit successivement la plus part de ses activités, son nom, son rang mondial et, sans que l’on sache, sept ans plus tard sa nationalité, où s’arrêtera cette descente aux enfers ? Quel gâchis !

En 1998 en effet, ALCATEL-ALSTHOM devient ALCATEL, GEC ALSTHOM devient ALSTOM (sans « h »), laquelle rachète CEGELEC à ALCATEL.
GEC Alsthom c’est-à-dire ALSTOM est cédé. Pierre Bilger, ENA, Inspecteur des finances, en devient le PDG. Alcatel conserve 24% de la nouvelle société.

En fait, le groupe vient d’éclater : l’ancienne CGE à fait place à trois entités distinctes : Alcatel, Alstom, Cegelec. Et les déconvenues ne font que commencer. Nous les examinerons en détail dans notre prochain numéro.

Service Public
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  • Lutter contre le néo-libéralisme
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Nouvelles initiatives pour les services publics

par la Convergence nationale de défense et de développement des services publics
http://www.convergence-sp.org/

 

La Convergence Nationale des Collectifs de Défense et de Développement des Services Publics s’est mise dès sa fondation au service du mouvement social dans son action de résistance aux politiques néo-libérales, en aidant aux convergences, en portant la nécessité de mettre les services publics au cœur des revendications pour une
autre société.
Une dynamique s’est ainsi créée, qu’il faut aujourd’hui amplifier. La Convergence a décidé d’impulser, dans les mois à venir, non seulement des initiatives en termes d’action, de débats et de propositions pour le développement, le renforcement et la démocratisation des services publics mais aussi l’éducation populaire sur notre champ de compétence des services publics.
La Convergence nous a donc confié le soin d’impulser, avec les collectifs locaux qui le souhaitent, une grande campagne d’éducation populaire sur l’état des lieux et les enjeux des services publics aujourd’hui afin de contribuer au débat sur la politique alternative nécessaire à mettre en œuvre en la matière.
Nous vous proposons donc qu’un centre de ressources de la Convergence soit progressivement constitué afin de mettre à la disposition de l’ensemble des collectifs locaux et des organisations amies les outils facilitateurs nécessaires à la promotion de la défense et du développement des services publics démocratisés.
Emancipation, conscientisation, puissance d’agir de tous pour combattre les politiques néolibérales concrètes, voilà quels seront les objectifs affirmés de cette grande campagne d’éducation populaire, face à la désinformation des grands médias dominants et aux sentiments de résignation et de fatalité qu’ils propagent.
La Convergence nationale est donc à la disposition des collectifs locaux et des organisations amies pour deux raisons principales:

  • d’abord, articuler en permanence avec vous notre pratique d’éducation populaire et vos mobilisations de terrains pour la qualité de l’offre et d’accès des services publics.
  • et aussi, fournir des conférenciers pour des conférences interactives, des outils de type diaporamas et vidéos pour animer vos réunions, proposer des films de sensibilisation, des applications en théâtre-forum ou en conférence populaire, des stages de formation …

Bref, il s’agit d’aider, dans les formes les plus variées et À VOTRE DEMANDE, à la conscientisation la plus large possible concernant l’état des lieux, les enjeux et les politiques alternatives pour chaque service public, l’influence des politiques européennes contre les services publics, l’Acte 3 de la décentralisation, et plus généralement la nécessaire refondation du Service Public du 21ème siècle pour rompre avec le modèle politique néo-libéral…
Alimenter ce centre de ressources nécessitera de nombreux séminaires, auxquels tous les camarades intéressés pourront participer en mêlant les réunions physiques, les conférences téléphoniques, les contacts par skype, etc.
Vous avez compris que nous avons besoin de vous pour renforcer ce début d’équipe afin de mener à bien cette tâche indispensable et c’est pourquoi nous vous proposons de nous rejoindre.
N’hésitez pas à nous contacter afin que nous puissions, ensemble, trouver les modalités pour mener cette tâche ambitieuse et nécessaire à bien.
Cordialement,
Pour la Convergence nationale,
Janine Vaux : 06 03 62 28 97
Bernard Teper : 06 08 10 44 52

Carnets de voyage
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Tunisie (janvier-février 2013)

par Ghislain

 

Voir les précédents articles :  http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/egypte-decembre-2012/5997 et http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/egypte-suite-decembre-2012-janvier-2013/6055

Lettre 5

De Sfax, le 26 janvier 2013.
A Sousse, la femme qui gère le cyber-café me demande si j’ai vu l’émission « Envoyé spécial » sur la Tunisie. Hélas non, au vu des répercussions qu’elle a ici. Cette femme me dit : « Avec une émission comme ça, c’est fini, les Français ne viendront plus ! ». Je lui explique comment travaille une partie de la presse, recherchant le sensationnel et si possible le scoop. (Les Français fournissent toujours le plus gros contingent de touristes, loin devant les Allemands, les Belges et les Italiens.) Je rencontrerai une personne qui me dira : « Tout ce qui a été montré est vrai. » Toutes les autres ont trouvé injuste le regard des journalistes de la 2, je crois.
A la différence de l’Égypte, Ennahda, le parti des islamistes, ne gouverne pas seul mais a formé une coalition avec deux mouvements laïques, le CPR et Kakatoès (un parti de gauche si, si !). Ces deux mouvements menacent régulièrement de quitter le navire mais n’en font rien. Ennahda repousse sans cesse les élections et ses adversaires disent que c’est Même si la vie des Tunisiens est émaillée d’incidents depuis deux ans, il n’y a rien qui justifie la désaffection des touristes. Je ne me suis jamais senti en insécurité et même s’il m’arrivait quelque chose je n’en tirerais pas de conclusion globale.
Le sentiment d’insécurité, après avoir séjourné dans plus de 80 pays, je peux dire l’avoir connu (hors pays en guerre) en Colombie par exemple (à cause des militaires et des para-militaires), dans la capitale du Guatemala après 8 h du soir, à Colon au Panama ou encore à San Pedum Saul au Honduras où le patron du boui-boui où je dinais encaissait un revolver à la main !
Bien sûr il y a des inquiétudes , des dangers potentiels mais qui ne concernent pas les touristes.
Par exemple un député d’Ennahda voudrait introduire la peine de mort dans la nouvelle Constitution. Ou encore une députée d’Ennahda veut criminaliser l’avortement alors que les femmes tunisiennes ont ce recours depuis Bourguiba ! Et la charia, menace bien réelle….
Vous voyez ces profondes similitudes entre ces gens et ceux du Front national. Ce sont des frères ennemis obsédés par l’ordre moral, le contrôle de l’individu.
Mais je ne suis pas non plus un propagandiste du tourisme ! et il m’arrive souvent de fuir des zones à forte densité touristique. Quand le pourcentage de touristes est trop important il entraîne des rapports malsains avec les autochtones (certains sites du Laos et de la Thaïlande par exemple).
A Sousse je contacte de nouveau des cousines de Marie. Une grand-mère italienne a émigré ici et s’est mariée avec un Tunisien. La famille est musulmane et comme la majorité des Tunisiens utilise beaucoup d’expressions et de mots français en parlant arabe. Toute la famille parle un excellent français aussi.
Quand j’arrive dans la maison pour déguster des lasagnes (le lendemain ce sera un couscous ) je vois un vieil homme allongé sur un divan. Seule sa tête émerge des couvertures. Il lui manque un œil et l’autre ne voit presque pas. J’ai l’impression qu’il est mourant. En fait, plus tard, il sera installé dans un fauteuil roulant et il partagera le repas avec nous. Dans la cuisine la tante me résume l’histoire de son mari. En 86 les islamistes ont fait de l’agitation. Cet homme était alors surveillant général dans un lycée. Il a surpris des jeunes en train de diffuser des tracts islamistes et il les a sanctionnés. Plus tard, à la sortie du lycée et alors qu’il faisait nuit, des islamistes - des adultes cette fois - lui ont tendu un piège et l’ont arrosé d’acide. C’est une terrible punition bien connue des femmes au Pakistan, en Inde et au Bangladesh. Bref cet homme est mutilé et cette famille est inquiète de voir Ennahda au pouvoir bien sûr, alors qu’elle connaît les méthodes dont sont capables ces gens, méthodes qui rappellent les fascistes.
Dans le quotidien Le Temps de ce 23 janvier, on trouve des articles qui reflètent aussi quelques nouvelles inquiétudes. D’une part une importante cache d’armes a été découverte dans une petite ville proche de la frontière libyenne. D’autre part, 11 des djihadistes tués en Algérie sont tunisiens. Le journaliste pointe du doigt le fait que beaucoup de jeunes au chômage et sans perspectives sont des proies faciles pour les recruteurs. Ainsi un certain nombre de jeunes Tunisiens combattent en Syrie dans les rangs de l’armée syrienne « libre ». Ennahda redoute bien sûr son aile extrémiste et si les ministères sont gardés militairement à Tunis, c’est autant pour contenir d’éventuelles manifestations que pour prévenir des coups de main des djihadistes.
Le leitmotiv du Front national, c’est le danger que représente l’étranger (de préférence Arabe ou Noir). Dans la prise d’otages en Algérie, les djihadistes se sont livrés à la chasse et à l’exécution de l’étranger non musulman.
Quant au Mali, en regardant la carte, ces mêmes djihadistes étaient arrivés à 400 km de Bamako. Avec leurs moyens extrêmement mobiles, utilisés par le Front Polisario dans les années 70 (il est loin le temps du rezzou avec les dromadaires), ils pouvaient arriver sur la capitale en une nuit. La CEDEAO (États de l’Afrique de l’Ouest) promettait de s’organiser pour intervenir en… septembre, ce qui est parfaitement stupide.
Hollande a chaussé les bottes de M. Françafrique ? Il peut se rattraper en saisissant les biens mal acquis des dictateurs, en renonçant au pillage des matières premières, à l’exploitation de l’uranium au Niger, etc. etc. (on peut en douter hélas) mais pour ce qui est de possibles opérations militaires, il faudrait d’abord dénoncer les accords de coopération. Quelques rappels. C’est en vertu de tels accords avec le gouvernement communiste de Kaboul que les Soviétiques sont intervenus en Afghanistan. C’est un mensonge des Occidentaux d’avoir parlé d’invasion. C’est à la demande des Chrétiens que les Syriens sont intervenus au Liban (oui, déjà dit !). C’est à la demande de personne que les Israéliens ont envahi le Sud Liban et c’est personne (en l’occurrence les Casques Bleus qui étaient sur la frontière) qui les en a empêchés. C’est à la demande de personne qu’Israël occupe et colonise la Palestine.
« Si tu lances la flèche de la vérité, trempe la pointe dans du miel. » Proverbe arabe.
… mais je n’ai pas toujours du miel…
Et si l’ancien régime de Ben Ali représentait la corruption et l’injustice sociale jusqu’à l’insurrection de Sidi Bouzid, on peut dire que les islamistes, adeptes du néo-libéralisme n’ont rien fait pour y remédier. Un peu comme en Europe du sud, les gens ont l’impression de s’enfoncer dans un pire en ce qui concerne la vie quotidienne.
A Sousse je suis installé dans la Médina, un très bel hôtel bon marché, très propre mais… des enfants jouent jusqu’à minuit. Et des adultes bruyants me réveillent à 2 h du matin. Le lendemain j’en parle au patron. Il me montre une grande famille, plusieurs couples avec enfants, une quinzaine de personnes. « Ce sont des réfugiés syriens, je leur ai demandé plusieurs fois de respecter les autres. Ils promettent mais ne font rien. C’est leur mode de vie. » Je luis sais gré d’être aussi hospitalier. Je donnerai une boîte de paracétamol pour un ado qui a la fièvre, mais je partirai pour un autre hôtel, L’Emira (la princesse), un peu moins cher et où toutes les chambres sont décorées de mosaïques. J’ai rarement eu chambre aussi somptueuse.
Halima m’a donné un contact à Sousse. Sarra vient me retrouver à l’hôtel. Elle est du Mouvement des femmes démocrates, enseignante, syndicaliste et en grève. Quand je lui dis vouloir aller à Mahu Sud, le lendemain, elle me propose de m’emmener en voiture. C’est sa ville préférée où elle a enseigné plusieurs années. Elle fait aussi un travail d’écoute et de soutien psychologique auprès des femmes victimes de violences et elle a un rendez-vous pour le soir même ainsi qu’une réunion syndicale. La Médina de Mahdia est petite, sur une presqu’île qui se termine au Cap d’Afrique. Sarra m’accompagne à l’hôtel, le seul dans la Médina, là encore décoré de mosaïques. Chambre spacieuse. Grand calme et pour cause : je suis le seul client. Après un restaurant, balade au bord de mer et elle rentre à Sousse.
Nous avons bien sûr parlé de la « révolution » et de ses reculades, des menaces pour les femmes. Elle me dit : « la seule chose que nous ayons gagnée c’est la liberté d’expression et ça, on ne pourra pas nous la retirer ». Exactement comme en Égypte.
Le lendemain je me rends au hammam et prends les services du masseur. Le massage est tellement brutal que je me promets de ne plus recommencer et je me dis : « je n’aimerais pas être sa femme ! »
Je vais quitter Sfax pour Tozeur et la prochaine fois je vous parlerai de mes dernières lectures. Une amie me rejoindra à Tunis pour la dernière semaine, qui m’a initié au yoga voici… 30 ans ? Le projet initial était de se retrouver fin mars pour le Forum social mondial à Tunis, mais il y a eu des changements d’emplois du temps.
Je vous parlerai aussi de ma rencontre hier avec une avocate de la FIDH (Fédération internationale des Droits de l’Homme)

Lettre 6

A Tozeur, dans un café, le serveur va emprunter le journal d’un client et me montre la photo d’un soldat français au Mali avec un masque de tête de mort sur le visage. Je lui dis que cet enfantillage est de mauvais goût. Comme il veut poursuivre la discussion, j’ajoute que couper la main d’un voleur… Il dit qu’il est normal de couper la main d’un voleur… Pour « couper court » je lui réponds que le voleur vole parce qu’il a faim. (Nous parlons des petits voleurs bien sûr, pas de B. Tapie ou E. Woerth). Le propriétaire du journal intervient et dit qu’on ne coupe pas la main de quelqu’un qui a faim. Je continue avec lui une longue conversation et une fois de plus il me dit son soulagement de voir les djihadistes battre en retraite au Mali.

Bref, le point de vue développé par nombre de gauchistes est juste du point de vue français. Les raisons de Hollande sont suspectes. Les raisons de la société civile tunisienne d’approuver cette intervention sont tout autres. J’y reviendrai.

A noter qu’un même gouvernement peut faire des analyses et des actes contradictoires et incohérents. Par exemple lutter contre les djihadistes au Mali et les soutenir en Syrie !

Dans le train de Sfax à Tozeur un voisin me dit qu’il est psychopathe. Enchanté ! C’est la première fois que j’en rencontre un qui le dit. Plus tard un alcoolo me répétera à chaque fois qu’il passera devant moi : « Soyez le bienvenu ! » Heureusement un vieil homme viendra s’asseoir à côté de moi et me parlera tranquillement, entre autres de ses 22 ans à l’usine de phosphates et, alors qu’on voit des oliviers à perte de vue, de l’huile d’olive qu’il fait…

A Sfax je rencontre Nâama de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH). Elle travaille bien sûr sur le projet de Constitution. Dans l’actuelle Constitution, l’article 1 stipule que la religion musulmane est la religion du peuple tunisien. Dans le projet de Ennahda, l’article 148 précise que l’Islam est la religion d’ Etat, nuance importante. C’est la charia.
Elle me dit que la lutte se fait avec la société civile, pas avec les partis. Les menaces se précisent envers les syndicats, la LDH, les Associations de femmes…
Elle me cite quelques exemples qui suscitent l’inquiétude : des tombes profanées à Tunis et à Sousse car pour certains extrémistes la tombe doit être nue. Un immam a déclaré haram mauvais, interdit, le contraire de hallal) la fête du Mouled qui s’est déroulée voici peu. Il a déclenché la polémique mais n’a eu aucun succès dans la population. Un autre, originaire du Qatar est venu en Tunisie prêcher pour qu’on voile les petites filles ! Ces prêcheurs d’importation sont très mal vus par la majorité de la population mais il y a toujours des oreilles pour les écouter. Ils représentent ce courant salafiste qui distille l’intolérance.

A Sousse en passant devant la Grande Mosquée dans la Médina, j’entends hurler une sono et je vois un prédicateur vêtu de blanc, calotte blanche de hadj sur la tête, vociférer sous un chapiteau et quelques dizaines de personnes assises sur des chaises et qui l’écoutent. Les décibels sont à la limite du supportable. Un couple passe près de moi et je dis : « Il parle fort ce Monsieur ! » L’homme me répond : « C’est un voyou ! » Fort de ce préambule, la conversation s’engage et il se confirme que cet imam vient d’un émirat du Golfe pour changer l’Islam des Tunisiens.

Nous parlons aussi du Mali, de l’Algérie voisine et l’avocate conclut qu’avec les djihadistes, il n’y a pas de débat possible, ils imposent le rapport de force, hélas. Elle me donne le contact avec le syndicat UGTT à Tozeur.

Dans un restaurant le jeune patron me montre fièrement sa dernière Peugeot et il est le premier à me dire regretter Ben Ali : les affaires marchaient mieux ! Il a sa logique de patron…

A Tozeur donc je prends rendez-vous avec un responsable de l’UGTT, le plus grand syndicat tunisien fondé en 1946, au début filiale de la CGT. Son fondateur a été assassiné en 1952 par la Main rouge, organisation d’extrême-droite des colons. « Au départ le mouvement a été spontané, l’UGTT a pris le train en marche pour organiser les manifestations et grèves générales dans plusieurs provinces. Après la fuite de Ben Ali, l’ancien régime a essayé de récupérer le mouvement mais a été vite contesté. L’ UGTT a refusé les propositions du deuxième gouvernement, voulant se limiter aux objectifs de la révolution. Les élections du 23 octobre 2011 ont été transparentes. Ennahda était en dehors de la révolution. Hélas, pour beaucoup Ennahda représentait la religion, ses membres avaient subi la répression et apparaissaient comme non-corrompus. Mais Ennahda n’a pas d’expérience de gestion. Nous avons un gouvernement d’anciens prisonniers ! Ennahda essaie de recruter dans les autres partis pour faire partager son échec. Le coût de la vie augmente de façon vertigineuse, le chômage s’aggrave et les salafistes créent de nouveaux problèmes. Ils veulent implanter un nouvel Islam que les Tunisiens refusent. (Il les compare à des nazis !) 35 marabouts incendiés. Derrière ? Le Qatar et l’Arabie saoudite. Ennahda aujourd’hui hui a peur des élections et repousse la date mais place ses gens dans les Ministères, l’administration, la radio, la TV, les grandes compagnies (phosphates…), les gouvernorats (80 % à leur cause). Ses ennemis ? la presse, les avocats, la LDH, l’UGTT. (Je rajoute: les partis de gauche.)

Actuellement des grèves dans l’éducation secondaire, le secteur pétrolier (on trouve de l’essence de contrebande qui vient d’Algérie) et bientôt à la Sécurité sociale. Nous avons 850 000 chômeurs. Ici à Tozeur les hôtels de luxe sont fermés et les employés au chômage. Tozeur vit du tourisme et de l’agriculture, surtout de la production des dattes. » Il ajoute que l’UGTT a toujours eu des ennuis avec le pouvoir que ce soit avec Bourguiba ou avec Ben Ali.

A Tozeur je rencontre également les blessés de la révolution, ceux qui se sont battus dès le début et qui ont été les premières victimes. Ils font un blocage jour et nuit devant la grille principale du gouvernorat pour que leurs demandes de soins et d’indemnisation soient satisfaites. (Ennahda les ignore !) La Tunisie aurait pu éviter le passage par la case islamiste car Ennahda n’a que 89 députés sur 217. Mais les partis laïques n’ont pas réussi à se mettre d’accord pour créer une coalition.
Je rentre à Tunis avec un stop à Sousse où je revois deux « femmes démocrates ».
Quand j’apprends qu’un mausolée à Sidi Bou Saïd a été incendié, je vais y faire un tour avec le métro de banlieue qui passe par le port de La Goulette et Carthage. C’est à une quinzaine de kilomètres. Les habitants, furieux, ont empêché le Président d’y accéder. Cette multiplication d’actes de fanatiques commence à inquiéter. A noter que depuis le début de la révolution l’armée est neutre.

L’amie qui devait venir une semaine est arrivée avec des contacts dans le monde de l’édition et surtout du théâtre. Nous rencontrons le fondateur et la fondatrice de la compagnie Familia qui ont joué de nombreuses pièces à succès non seulement en Tunisie mais en France, au Portugal… notamment Amnésia, Corps otages (à l’Odéon).
Ils nous parlent de la situation en Tunisie depuis deux ans et sont assez inquiets. Leur analyse est lucide, sans concession. Ils n’appartiennent pas à un Parti, la parole est libre, c’est leur métier!
Le 6 février au matin, nous avons rendez-vous avec deux des femmes démocrates dont la Présidente que je n’ai pas encore rencontrée. Halima m’appelle, la réception est très mauvaise, je comprends qu’elle est mal, je crois qu’elle a un souci de santé et que le rendez-vous est annulé alors que c’est à cause de l’assassinat de Chokri Belaïd qui vient de se produire. Nous partons donc à Mahdia sans savoir ce qui vient de bouleverser la Tunisie et manquerons la première manifestation spontanée. Le lendemain nous nous arrêterons à Sousse où nous rejoindrons la manifestation avec le groupe des femmes démocrates. Puis le 8 nous rentrons à Tunis avec un louage (minibus) car il n’ y a aucun train, l’UGTT ayant enclenché une grève générale de 24h totalement suivie. Nous n’irons pas au cimetière mais resterons au centre-ville qui semble en état de siège : plus de barbelés, des fourgons de police partout, des policiers à gueules de « robocops » et beaucoup d’autres en civil qu’on repère assez facilement, un blindé léger anti-émeute et des « voltigeurs » à moto qui vont poursuivre des petits groupes… Un jour de funérailles nationales je ressens ce déploiement - comme beaucoup de Tunisien(ne)s - comme une provocation.

Sousse : manifestation après l'assassinat de Chokri Belaïd (DR)

L’avenue Bourguiba est presque désertée, les gens sont sur les trottoirs, en attente. La foule du cimetière ne viendra pas. On assiste à des arrestations arbitraires de jeunes. Un journal dira : « 350 casseurs arrêtés » mais il est bien difficile de distinguer entre des jeunes qui voulaient en découdre et des provocateurs venus de la milice d’Ennahda. A mon avis ces derniers sont responsables des incendies de voitures à l’entrée du cimetière…
En discutant avec les gens on sent que cette fois le pays est bien coupé en deux. C’est un mélange de crainte et de colère.

Après deux ans aux affaires, Ennahda a beaucoup déçu. La situation économique s’est énormément dégradée. J’ai vu les petits vendeurs de rue pourchassés à Sousse, les pouvoirs en général n’aiment pas le secteur informel. J’ ai vu cette chasse aux pauvres bien souvent au marché aux puces à Paris. Maintenant, accuser les militants d’Ennahda de l’assassinat serait précipité (mais on peut leur imputer un climat favorable à la violence). D’un côté la mort de celui qui venait d’unifier un Front de gauche les sert, mais d’un autre côté l’opposition s’est radicalisée et leur est plus hostile que jamais.
Dès le lendemain des funérailles, Ennahda a organisé une manifestation contre la France. C’était à la fois pour réagir aux déclarations de certains membres du gouvernement et pour faire une démonstration de force après l’immense mobilisation populaire de la veille. J’y suis allé et ai pris quelques photos. (J’en profite pour dire qu’il n’y a aucune animosité envers les Français ou les étrangers en ce moment). C’était un échec car il n’ y avait que 3 à 4 000 personnes. Par contre j’ai voulu demander un renseignement à un photographe. Il me répond : « Je ne connais pas Tunis, je suis Algérien . » Il se sent mal. « J’ ai l’impression de revivre ce que j’ai vécu en Algérie voici 20 ans. La guerre civile a commencé comme ça. » Je me souviens de la complaisance des journalistes quand ils interviewaient les élus du F.I.S.
Ennahda est opposé à l’intervention française au Mali. En France les militants de gauche pensent instinctivement « néo-colonialisme » alors que la première question à se poser est : Que veulent les populations maliennes ? On connaît la réponse. C’est la même pour tous les pays de la zone sahélienne jusqu’en Tunisie. Ces gens qui avaient conquis Gao et Tombouctou ont montré leur fanatisme et leur violence. Ce sont eux qui ont pris l’initiative. Lorsqu’ils ont été à 400 km de la capitale j’imagine que des conseillers ont dit à Hollande : « dans trois jours ils sont à Bamako. » Nous sommes toujours dans le rapport de force. Ce qu’on peut reprocher aux Occidentaux (USA et leurs amis du Golfe inclus), c’est leur incohérence souvent criminelle : soutien aux moudjahédhines d’Afghanistan pour finir par lutter contre eux, soutien à l’opposition en Syrie pour comprendre un peu tard qu’on ne sait plus très bien comment ça va finir (mais ceux qui sont allés en Syrie sont d’accord avec moi : les femmes vont beaucoup y perdre), et surtout cette incapacité à donner leur terre aux Palestiniens, incapacité chronique depuis 1948…
…et c’ est pourquoi j’évite d’écrire paix et encore moins Paix car la paix n’existe pas, elle ne peut pas exister à l’intérieur d’un système d’oppression, d’inégalité et d’injustice : le système capitaliste. Toute contestation de ce système mérite au moins notre curiosité sinon notre soutien. C’est ce qui m’ a amené en Égypte et en Tunisie.
La Tunisie - jusqu’à maintenant - est un pays de grande tolérance où la liberté individuelle est aussi répandue qu’en France. J’ai souvent entendu : « Ici on va à la mosquée ou pas, on fait le ramadan ou pas, on boit une bière ou pas. » J’ai eu la même facilité pour parler avec des femmes qu’en France. Le premier danger qui guette la Tunisie, ce sont ces prédicateurs venus des Émirats et le relais qu’ils trouvent au sein d’Ennhada. De même en Égypte des voix s’élèvent pour condamner ces immams qui prononcent des fatwas (récemment contre deux leaders de l’opposition).
J’ai souvent pensé à cette pièce de Berthold Brecht : La résistible ascension d’Arturo Ui. C’ est à chacun de nous de lutter contre le fanatisme, le racisme, les nouveaux visages du fascisme et quand le Front national se prétend laïque, c’est bien sûr hypocrite car s’il était au pouvoir il nous ressortirait « nos racines judo-chrétiennes » et il a toujours soutenu les intégristes catholiques.

Pour finir je vous cite Amin Maalouf, une de mes dernières lectures dans Léon l’Africain :
« En Andalousie également, la pensée était florissante et ses fruits étaient des livres qui, patiemment copiés, circulaient parmi les hommes de savoir de la Chine à l’extrême-occident. Et puis ce fut le dessèchement de l’esprit et de la plume.
Afin de se défendre contre les Francs, leurs idées et leurs habitudes, on fit de la Tradition une citadelle où l’on s’enferma. Grenade ne donnera plus naissance qu’à des imitateurs sans talent ni audace. »
Cinq siècles plus tard le monde « arabo-musulman » (terme impropre puisqu’il inclut des non Arabes, Berbères, Kurdes… et des non musulmans, chrétiens, juifs…) revit le même drame et celles et ceux qui luttent contre la confiscation de leur révolution en Egypte et en Tunisie ne veulent pas revivre ce drame de stagnation d’un autre âge.

De retour en Auvergne depuis hier.
17 février 2013.

Humeur
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De Chypre à Florange

par Florian

 

Une apostrophe célèbre du philosophe Alain dit ceci : « On n’agirait jamais si l’on considérait le poids immense des choses et des faiblesses de l’Homme. »
Mais cette fois-ci, la décision des ministres de l’Économie et des Finances des pays membres de l’Union européenne distille encore plus d’angoisse auprès des peuples européens. Cela prouve la faiblesse du système et de l’institution.
Ils font comme s’il n’y avait qu’une seule solution : « faire payer le peuple ». N’est-ce pas une réaction de comptables aux conséquences politiques multiples ?
Nous sommes tous des épargnants chypriotes en puissance !

Mise en scène par le premier cynique, Jean-Marc Ayrault, cette farce politique laisse perplexe l’électeur de mai dernier et va sans aucun doute favoriser l’attitude du « vague à l’âme » pour le plus grand plaisir de la droite et de l’extrême droite. La semonce de la récente partielle de l’Oise serait-elle sans enseignements ?
La gouvernance politique actuelle amplifie l’angoisse des salariés et interpelle les retraités. Ces derniers étaient aujourd’hui en manifestation devant le ministère du Travail.
Chacun se dit : Le changement c’est pour quand ?
Les effets indésirables de l’ultra libéralisme, les reculades et les incertitudes imposent aux électeurs ce questionnement.
Des larmes et du sang qui vont accentuer le paupérisme et le populisme de droite et d’extrême droite.
Messieurs les gouvernants, encore un peu d’efforts et comme sous François Mitterrand, le Front national va se renforcer à l’Assemblée nationale.

Que retenir de la dernière farce judiciaire qu’est l’affaire de la crèche Baby-Loup ? En tout cas qu’elle est significative de l’exigence de clarté sur le droit positif en matière de laïcité.
La crèche doit devenir un lieu sanctuarisé sans instrumentalisation des différents cléricalismes. Il faudra expliquer pourquoi les cléricaux ont le droit d’avoir des structures privées à caractère propre et qu’il ne soit pas possible d’avoir des structures privées avec neutralité religieuse. Quelle injustice criante ! Mais que fait la représentation nationale ?

Monsieur le Président, il est encore temps d’établir une feuille de route afin que vos promesses n’engagent pas seulement ceux qui y croient ! Chaque hésitation est une concession faite à l’obscurantisme et à la régression.

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Le retour d'Ulysse

par Marie-Thérèse Estivill

 

TGP THEATRE GERARD PHILIPE, CDN DE SAINT-DENIS

En ce moment est présenté dans la nouvelle salle fraîchement rénovée du Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis Le retour d’Ulysse dans sa patrie, de Monteverdi. Une fois de plus, saluons le travail d’éducation populaire qu’a entrepris Christophe Rauck depuis qu’il dirige ce Centre dramatique national. Cette fois-ci, il s’attaque à un genre réputé élitiste non seulement parce qu’on croit, à tort, et ce spectacle le montre, qu’il faut en maîtriser les codes pour le comprendre, mais surtout parce que les places sont généralement hors de prix : l’opéra. Ses amateurs ont tendance à justifier le prix des places prohibitif pratiqué en général par le coût de tels spectacles. Argument fallacieux. Le retour d’Ulysse dans sa patrie comporte onze interprètes, douze musiciens, des costumes et des décors grandioses et pourtant la même politique tarifaire que d’habitude est proposée avec des places allant de 6 à 26 euros.

Quant au lieu commun qui considère qu’un opéra ne peut être apprécié que si on en connaît les clés, là aussi il est battu en brèche par le metteur en scène, qui explique, au sujet du Couronnement de Poppée monté en 2010 : « Il y a eu à Saint-Denis une rencontre très riche entre les spectateurs et l’opéra de Monteverdi. Une reconnaissance. De façon surprenante, une évidence. L’opéra est bien tout d’abord un art populaire, vivant, bouleversant, et donc accessible. » Si Christophe Rauck réussit son pari de faire de l’opéra un art populaire, cela s’explique, avant tout, par trois choix essentiels. D’abord, celui de l’oeuvre : Le Retour d’Ulysse dans sa patrie présente des thèmes intemporels, le destin, l’errance, la fidélité, la solitude, la liberté, dans lesquels tout spectateur d’aujourd’hui peut se retrouver. Autre choix judicieux : la collaboration artistique du metteur en scène avec Jérôme Correas, à la direction musicale. Avec les Paladins, ses musiciens, ce dernier poursuit son exploration du style parlé-chanté baroque. Ainsi on est forcément touché par la solitude et le désespoir de Pénélope quand on la découvre au début du spectacle ; on rit aux interventions de la servante, de la nourrice et du berger ; on est emporté par le chant virtuose des Dieux. Ces variations expressives rendent plus faciles l’écoute et la compréhension de l’ensemble. Enfin, ce n’est pas parce qu’il « s’attaque » à un opéra que Christophe Rauck en oublie le théâtre. On retrouve dans sa mise en scène son goût pour le théâtre à machines avec des trouvailles qui suscitent un plaisir esthétique mais sans jamais être gratuites. Ainsi on sourit quand Minerve déguisée en berger arrive chevauchant une sorte de mouton à bascule ; on sursaute quand les Dieux mettent en garde les courtisans de Pénélope qui veulent s’en prendre à Télémaque. Chaque détail fait sens et chaque tableau éblouit. Si la combinaison entre l’opéra et le théâtre fonctionne aussi bien, c’est également grâce au talent des interprètes, doublement remarquables par leur chant et leur jeu. Génial et parfaitement maîtrisé ce ballet des prétendants qui s’apprêtent à séduire Pénélope. Ridicules et drôle ces mêmes personnages incapables de se servir de l’arc d’Ulysse.

On l’aura compris cet opéra n’est que plaisir des sens. Seul regret, il ne se joue que jusqu’au 6 avril. Quelques dates sont aussi prévues à l’opéra de Nice. Espérons qu’il sera repris la saison prochaine, un tel pari de culture populaire est si rare…

OPÉRA DE CLAUDIO MONTEVERDI

LIVRET DE GIACOMO BADOARO

DIRECTION MUSICALE : JÉRÔME CORREAS

MISE EN SCÈNE : CHRISTOPHE RAUCK avec BLANDINE FOLIO PERES, ANOUSCHKA LARA, DOROTHÉE LORTHIOIS, FRANÇOISE MASSET, DAGMAR SASKOVA, HADHOUM TUNC, VIRGILE ANCELY, JÉRÔME BILLY, MATTHIEU CHAPUIS, CARL GHAZAROSSIAN, JEAN-FRANÇOIS LOMBARD -

LES PALADINS : DIRECTION et CLAVECIN - JÉRÔME CORREAS / LAMBERT COLSON, ADRIEN MABIRE (CORNETS, FLÛTES) / JULIETTE ROUMAILHAC, MARION KORKMAZ (VIOLONS) / EMMANUELLE GUIGUES, RONALD MARTIN ALONSO (VIOLES DE GAMBE) / NICOLAS CRNJANSKI (VIOLONCELLE) / RÉMI CASSAIGNE (THÉORBE, GUITARE) / NANJA BREEDIJK (HARPE) / FRANCK RATAJCZYK (CONTREBASSE) / BRICE SAILLY (CLAVECIN, CHEF DE CHANT) / 

DRAMATURGIE - LESLIE SIX / SCÉNOGRAPHIE - AURÉLIE THOMAS / LUMIÈRE - OLIVIER OUDIOU / COSTUMES - CORALIE SANVOISIN / COLLABORATION CHORÉGRAPHIQUE - CLAIRE RICHARD / MAQUILLAGES ET COIFFURES - FRANÇOISE CHAUMEYRAC

Photo : Anne Nordmann

Courrier des lecteurs
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Alsace : les enjeux d'un faux référendum

par ReSPUBLICA

 

En Alsace, les “informations” qui circulent concernant le faux référendum programmé pour le 7 avril prochain proviennent surtout de militants du OUI, surreprésentés dans la plupart des institutions, chez les élus et à la tête des rédactions de la presse du Crédit Mutuel : les quotidiens L’Alsace et DNA. Ces derniers temps, la propagande en faveur du OUI s’est intensifiée. En comparaison, la campagne du référendum français de 2005 sur le TCE fut un modèle d’équilibre et de démocratie…
L’objectif recherché le 7 avril est de même nature que pour le TCE : permettre le déploiement de “la concurrence libre et non faussée” que les ultras libéraux veulent accélérer en instrumentalisant la vulnérabilité idéologique et la situation géographique de l’Alsace. Si ce maillon faible cède, d’autres vont céder ensuite : de ce point de vue, tout le monde sera concerné à un moment ou à un autre, en France et en Europe.
Les partisans du NON font campagne avec peu de moyens. Ceux qui optent plutôt pour le vote nul ou l’abstention (comme des membres alsaciens de l’équipe de la revue A Contre Courant) en ont encore moins.
Les modalités du scrutin sont assez particulières : il suffirait, par exemple, qu’il y ait, dans le Haut-Rhin, moins de 130 000 personnes qui se déplacent pour aller voter OUI pour que les choses se gâtent pour les libéraux. Et cela, même si le OUI est arithmétiquement majoritaire dans les urnes : c’est une des raisons pour lesquelles nous préférons le vote nul ou l’abstention (il y en a bien d’autres).

Ne nous laissez pas seuls avec l’Alsace du OUI !
Merci d’utiliser vos réseaux, blogs et médias pour faire circuler l’information et faire connaître les enjeux de ce faux référendum co-organisé par la droite alsacienne et le gouvernement socialiste, main dans la main pour satisfaire les exigences des milieux d’affaires.

Voir le texte paru dans le n° 242 (mars 2013) de la revue, sur son site.

Pour A CONTRE COURANT(courrier@acontrecourant.org), Bernard Schaeffer