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Alors que les pays arabes et/ou islamistes sont dans la tourmente, les ''idiots utiles" du communautarisme persistent

par Évariste
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Touchés par un exode rural important, ces pays ont développé des villes de façon anarchique avec leur lot d’espoir, de désillusions, de précarité sous toutes les formes, de délinquance, de chômage. L’indigence des services publics rajoute au mécontentement. D’autant que la plupart des pays étaient dirigés par des dictatures rentières et sécuritaires. Ces dictatures vivaient et administraient par la rente foncière, commerciale ou liée à la vente des matières premières fossiles. Mais ce que les « nouveaux chiens de garde » ont oublié de dire, c’est que pour vivre grassement de la rente, il faut éviter d’investir dans la sphère de constitution des libertés (école, services publics, santé et protection sociale) qui seule peut permettre de passer de droits formels aux droits réels ! Les prédateurs de la rente au pouvoir ont préféré sous-traiter aux islamistes (principalement des Frères musulmans) tout ou partie de la sphère qui aurait pu être constitutive des libertés. De ce fait, ils ont donné aux islamistes une implantation nationale y compris en banlieues, en zones périurbaines et rurales. Les démocrates, eux, n’existaient que dans les villes et ne recrutaient que dans la petite et moyenne bourgeoisie urbaine.

Voilà pourquoi les élections consécutives au « printemps arabe » ont montré le divorce entre le printemps urbain et le peuple des élections quadrillés uniquement par les islamistes grâce à l’accord des dictatures néolibérales avec l’intégrisme islamiste. Les nouveaux pouvoirs islamistes travaillent avec la même administration que sous la dictature. L’alliance des dictatures néolibérales et des islamistes sous-traitants a laissé place à l’alliance des islamistes avec les néolibéraux. Le pouvoir islamiste de Tunisie vient d’accepter la potion austéritaire du FMI. Pauvres altermondialistes qui de forums sociaux européens aux forums sociaux mondiaux déroulent le tapis rouge aux islamistes liés aux Frères musulmans (et notamment à Tariq Ramadan, le meilleur sophiste des Frères musulmans), alors que ceux-ci au pouvoir dans les différents pays sont devenus un rouage du néolibéralisme mondial.
Les « nouveaux chiens de garde » médiatiques du néolibéralisme français comme les ultra-laïques français (les réactionnaires d’extrême droite qui n’invoquent la laïcité que contre l’islam) ne parlent pour les pays arabes et/ou musulmans, que de libertés démocratiques, de pluralisme, sans comprendre que la vraie vie est en même temps la démocratie, la laïcité mais aussi les nouveaux droits économiques et sociaux permettant un processus de justice sociale. Et que pour cela, il convient aussi de définir un développement économique avec un processus d’industrialisation permettant d’augmenter la production de richesses car même la rente plus généreusement distribuée ne suffit pas. Et une Constitution même définie par une constituante (ce qui est une nécessité démocratique) ne suffit pas pour augmenter le niveau de vie des habitants, de construire des logements décents, une sphère de constitution des libertés permettant enfin des droits réels, du travail pour tous et partout. Voilà où se trouve l’échec des islamistes des Frères musulmans au pouvoir en Tunisie ou en Egypte. Voilà pourquoi ils utilisent des milices meurtrières en Tunisie (les Ligues de protection de la révolution, LPR) contre les militants de la gauche sociale, démocratique et laïque. Il est à rappeler que la direction du parti islamiste Ennahda a demandé la libération des membres des LPR qui avaient assassiné le secrétaire général de Nida Tounès. Le militant de la gauche sociale et laïque Chokri Belaïd qui s’était élevé contre cette position a été à son tour assassiné sans que la troïka au pouvoir (islamistes d’Ennhada, néolibéraux du CPR et d’Ettakatol) ne cherche vraiment le coupable.
Contrairement à une idée reçue des anti-laïques sur la spécificité française du combat laïque, il ya bien aujourd’hui un combat planétaire pour la laïcité : ainsi depuis le début de l’année, dans la seule ville de Karachi, 33 responsables de l’Awami National Party (ANP) ont été assassinés. Pour la plupart, ces meurtres font suite à des pressions du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), l’une des organisations des talibans pakistanais, qui vise à instaurer un régime islamiste radical à l’un des plus importants pays musulmans.

Par ailleurs, l’histoire ne repasse jamais les mêmes plats, tout simplement parce que les situations historiques ne sont jamais identiques. Comme l’affirme Hannah Arendt :

La sécularisation - la séparation du religieux d’avec le politique et l’essor d’un domaine séculier possédant une dignité qui lui est propre - constituent certainement un facteur crucial du phénomène révolutionnaire… À dire vrai, il se peut même, en fin de compte, que ce que nous appelons révolution soit précisément cette phase de transition qui aboutit à la naissance d’un nouveau domaine séculier.

Alors aujourd’hui une révolution religieuse est une contradiction et un oxymore.
Comme le dit encore Yadh Ben Achour sur son blog en parlant des réactions populaires aux actions des islamistes tunisiens :

Ces tentatives ont heureusement avorté, ce qui montre que le peuple de la révolution n’est pas aussi minoritaire qu’on pourrait le croire.Il en est ainsi de la demande de Sadok Chourou, ancien président du parti Nahdha qui a revendiqué que la Constitution contienne un article indiquant que la Sharia sera la source essentielle de la législation et qui par la suite a rappelé aux « coupeurs de route » protestataires qu’ils étaient justiciables du verset 33 de la sourate de «  La Table » qui prévoit des peines de mort, de crucifixion ou d’amputation. La grande manifestation du 20 mars 2012 a mis fin à ces tentatives de théocratisation de l’Etat. Il en est également ainsi de la « complémentarité » homme-femmes, introduite dans le premier avant-projet de Constitution, puis retiré du second. Dans le même sillage, citons la criminalisation de l’atteinte au sacré consacré dans le premier avant-projet de constitution, puis également retiré. Mais les menaces sont toujours présentes, comme, dans le 2e avant-projet de Constitution, le refus de protéger expressément la liberté de conscience et la consécration du système de la religion d’Etat dans l’article 148.

En fait, le printemps arabe n’est que le début d’un processus qui pour être porté à terme doit globaliser les combats démocratiques, laïques et sociaux. C’est ce que souhaitait notre ami tunisien Chokri Belaïd du Front populaire. Voilà pourquoi il restera pour nous un guide.
Revenons en France. Alors que les combattants pour la liberté en Afrique du Nord mettent en avant les principes de liberté, d’égalité, de laïcité , de solidarité, voilà qu’en France, Médiapart met en circulation une pétition intitulée1
Redisons-le, une révolution citoyenne menant à la VIe République que nous appelons de nos vœux (et qui ne sera pas bien sûr un simple mistigri institutionnel) ne pourra avoir un soutien populaire que si la gauche de gauche globalise les combats démocratiques, laïques, sociaux, féministes, économiques et écologiques.

  1. On lira également dans ce numéro ]
Débats politiques
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Appel des économistes pour une VIe République, contre la finance et l’austérité

par un collectif

 

L’affaire Cahuzac est révélatrice d’une République à bout de souffle. La défiance vis-à-vis des institutions et la conviction que les responsables politiques sont devenus impuissants face à la crise – quand ils ne sont pas corrompus – minent le régime et conduisent un nombre croissant de nos concitoyens à se réfugier dans l’abstention, voire, pour une partie, à rechercher des boucs émissaires et à adopter les discours ethnicistes de l’extrême droite. Les racines de cette situation touchent à la fois à la soumission des gouvernements à la logique du capitalisme financiarisé, à leur adhésion à une construction européenne qui se fait contre les peuples, à la nature antidémocratique des institutions de la cinquième République et à l’endogamie entre les milieux d’affaires et les hauts responsables au pouvoir. Aussi, le basculement de certains de ces responsables politiques dans la délinquance financière ou fiscale n’est pas la dérive personnelle de quelques moutons noirs, mais bien le prolongement logique du sentiment d’irresponsabilité et de toute-puissance qui habite cette nouvelle oligarchie politico-financière. Les appels à la morale individuelle et à plus de transparence ne seront donc qu’un emplâtre sur une jambe de bois si des mesures à la hauteur de la situation ne sont pas prises.

Sur le plan économique, la première est d’arrêter les politiques d’austérité : désastreuses socialement, elles sont stupides économiquement, étant incapables même de répondre à l’objectif qu’elles se sont fixé, la réduction des déficits. La deuxième est d’en finir avec la domination des marchés financiers sur la vie économique et sur la société, ce qui passe par un contrôle social des banques, la séparation organisationnelle stricte entre banques d’affaires et banques de dépôts, l’interdiction des produits financiers à risque et des activités spéculatives (en particulier l’interdiction des transactions financières avec les paradis fiscaux) et la création d’un pôle public financier. Il s’agit aussi d’engager une répartition plus égalitaire du revenu national par une augmentation de la part des salaires dans la valeur ajoutée, et une réforme fiscale d’ampleur redonnant en outre des marges de manœuvre à la puissance publique. Bref, c’est une tout autre politique économique tournée vers la satisfaction des besoins sociaux et la transition écologique qu’un gouvernement de gauche se devrait de mettre en œuvre.

Elle devrait s’accompagner d’une bataille à l’échelle européenne pour la refondation de l’Europe. La sacralisation de la liberté de circulation des capitaux et l’interdiction pour la BCE de financer les États ont donné aux marchés financiers un véritable pouvoir de veto sur les décisions des institutions démocratiquement élues, pouvoir qu’ils exercent via les attaques spéculatives et le chantage à la délocalisation. En finir avec cette situation et donner aux peuples d’Europe la maîtrise de leur destin doit être l’objectif de tout gouvernement de gauche. Nul doute qu’un gouvernement qui engagerait un tel processus aurait un écho considérable et trouverait nombre d’alliés parmi les peuples étranglés par les politiques actuelles.

En France, il s’agit d’en finir avec les institutions de la cinquième République et de redonner du pouvoir aux citoyens et aux citoyennes dans tous les domaines de la vie politique et économique. Face à la profondeur de la crise politique, économique et écologique, la perspective du passage à une sixième République – par le biais d’un processus constituant impliquant tous les citoyens – est à l’ordre du jour. La démocratie à tous les niveaux de décisions, voilà l’essence de la sixième République. Elle devra, notamment, permettre à la souveraineté populaire de franchir la porte des entreprises. Aujourd’hui, les actionnaires sont les seuls à décider de la conduite des entreprises, alors que ce sont les travailleurs qui créent la richesse. Pour rompre avec cette situation, il faut donc étendre de manière très importante les droits des salarié-es, notamment donner au Comité d’entreprise un droit de veto sur les décisions stratégiques et créer un statut du salarié qui permettra la mise en place d’une sécurité sociale professionnelle. Et, pour les secteurs de l’économie qui relèvent directement de l’intérêt général, l’arme de la nationalisation sous contrôle démocratique pourra et devra être utilisée.

Le manque d’indépendance et de pluralisme dans le traitement médiatique de l’information économique est un obstacle à la réappropriation par le peuple de la politique économique. L’idéologie néolibérale étouffe toute possibilité de débat démocratique éclairé et argumenté. Dans l’enseignement et la recherche, la domination de l’école de pensée néoclassique a été instituée, en contradiction fondamentale avec l’esprit scientifique qui suppose la possibilité de remise en question des théories. Alors qu’il est de plus en plus évident que les politiques néolibérales nous conduisent à la catastrophe économique et écologique, il devient d’autant plus urgent de permettre l’épanouissement des recherches qui se placent hors du cadre de pensée de l’orthodoxie actuelle.

Pour toutes ces raisons, nous, économistes, soutenons la marche citoyenne du 5 mai 2013 pour une sixième République, contre la finance et l’austérité.

Le 19 avril 20131


  1. Signataires : Louis Adam, commissaire aux comptes
    Daniel Bachet, université d’Evry ; Philippe Batifoulier, université Paris ouest ; Nicolas Beniès, université populaire de Caen ; Mathieu Béraud, université de Lorraine ; Eric Berr, université Bordeaux IV ; Jacques Berthelot, ex INP de Toulouse ; Pierre Bezbakh, Paris Dauphine ; Boris Bilia, statisticien-économiste ; Pierre Bitoun, INRA ; Frédéric Boccara, université Paris XIII ; Marc Bousseyrol, Sciences Po Paris ; Mireille Bruyère, université Toulouse 2 ;
    Claude Calame, EHESS ; Christian Celdran, Economistes atterrés ; Gabriel Colletis, professeur de sciences économiques université de Toulouse 1 ; Pierre Concialdi, économiste-sociologue ; Laurent Cordonnier, université Lille 1 ; Jacques Cossart, économiste du développement ;
    Jean-Paul Domin, université de Reims ; Guillaume Etievant, expert auprès des CE ; Bernard Friot, IDHE Paris Ouest ;
    Maryse Gadreau, professeur émérite à l’université de Bourgogne ; Jean Gadrey, université Lille I ; Véronique Gallais, économiste ;  Jacques Généreux, Sciences Po Paris ; Patrick Gianfaldoni, UAPV ; Jean-Pierre Gilly, professeur émérite université de Toulouse ; Pierre Grou, université Versailles Saint-Quentin ; Alain Guery, EHESS ; Bernard Guibert, administration économique ;
    Jean-Marie Harribey, université Bordeaux 4 ; Michel Husson, économiste ; Sabina Issehnane, université Rennes 2 ; Andrée Kartchevsky, URCA ; Pierre Khalfa, syndicaliste, membre du Conseil économique, social et environnemental ;
    Dany Lang, université Paris 13 ; Pierre Le Masne, université de Poitiers ; Philippe Légé, université de Picardie ;
    Marc Mangenot, économiste ; Jonathan Marie, maître de conférences, université Paris 13 ; Christiane Marty, économiste ; Pierre Mascomere, actuaire consultant ; Gustave Massiah, économiste, école d’architecture de paris La Villette ; Jérôme Maucourant, économiste ; Thierry Méot, statisticien ; François Morin, professeur émérite ;
    Nolwenn Neveu, professeure agrégée de sciences économiques et sociales ; Gilles Orzoni, Ecole polytechnique ;
    Dominique Plihon, université Paris 13 ; Nicolas Prokovas, université Paris 3 ;
    Christophe Ramaux, université Paris I ; Jacques Rigaudiat, ancien conseiller social des Premiers ministres Rocard et Jospin ; Gilles Rotillon, université Paris-Ouest ; Jean-Marie Roux, économiste ;
    Robert Salais, Ecole normale supérieure de Cachan ; Catherine Samary, université Paris Dauphine ;
    Dominique Taddéi, ancien président d’université, ancien Président de la Caisse des dépots et consignations ; Bernard Teper, Réseau Education Populaire ; Stéphanie Treillet, économiste ;
    Sébastien Villemot, économiste ; Philippe Zarifian, professeur Université Paris Est []
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Pour une éducation populaire politique

par Philippe Labbé
ethnologue et sociologue

Source de l'article

 

Tribune parue le 2 avril sous l’en-tête : Comment susciter davantage l’engagement des jeunes ?

En décembre 2012, le Credoc publiait un rapport, « Les jeunes d’aujourd’hui : quelle société pour demain ? » Vaste question. Les louables efforts de ses rédacteurs pour éviter le stigmate n’empêchent pas la – cruelle – réalité des chiffres. Ainsi en est-il de l’engagement politique : « Sur la période 2001-2010, seuls 4 % des 18-29 ans adhèrent à un parti politique ou à syndicat… » Le niveau de formation pondérerait-il ce pourcentage marginal ? Guère : seuls 7 % des jeunes diplômés du supérieur sont adhérents à de telles organisations, soit deux points de moins que les 30 ans et plus, tous niveaux confondus. Alors, certes, le Credoc pondère en écrivant que, si « les 18-29 ans se montrent plus réfractaires que leurs aînés à des formes d’engagement politique formalisées, voire institutionnalisées, (ils) n’hésitent pas à s’investir dans des projets collectifs », culturels, associatifs.

Faute de grives, des merles… pourrait-on dire. Car, si l’on peut s’ébaubir de quelques indignations salubrement contestataires, artistiques et autres, force est de constater qu’elles ne concernent qu’une fraction de la jeunesse mieux dotée et qu’elles s’élèvent, puis éclatent en bulles de catharsis sous le rouleau compresseur du monde des objets carburant à l’individualisme hédoniste.

Retour, donc, à la case « politique ». Sans succès, car la citoyenneté, pourtant pivot d’un dernier grand intégrateur, n’est bonne que ponctuellement, avec emphase, façon réunion électorale de la IIIe République sur une estrade, rouflaquettes aux tempes : « La jeunesse, un impératif national ! » Mais ces mots n’ont plus d’oreilles pour les entendre. Et tout porte à penser que cela ne va pas s’arranger avec un ministre du Budget (un comble) s’accommodant, pour lui, d’évasion fiscale et un ex-président de la République mis en examen – Dieu que c’est laid ! – pour « abus de faiblesse ». La fille du borgne ne s’y trompe d’ailleurs pas, jouissant de l’amalgame.

Il est habituel de s’attrister sur les conditions déplorables d’accès à l’adultéité réservées à la jeunesse. L’insertion, jadis réservée aux jeunes sans diplôme ni qualification, gangrène désormais toute une génération… exceptions faites de quelques héritiers, « fils de… » (cf. Lagardère, Dassault, etc.) et bien-nés, peinant en faculté de droit tout en prétendant à une présidence d’Epad. Pour y remédier et faute de radicalité, puisque l’air du temps est aux concessions, on rustine avec des politiques de l’emploi dont un classique est la diminution des charges, ce qui revient à faire entrer dans la tête des gens qu’un jeune coûte moins cher qu’un adulte… donc vaut moins. Il vaut mieux diviser – winner et looser (gagnant et perdant) – plutôt que de poser les bonnes questions. Ainsi, le partage du travail, pourtant seule solution raisonnable et éthique, est-il irrecevable par la doxa toute inondée de concurrence.

C’est ainsi : la plupart des solutions sociales imaginées pour réparer le bizutage social de la jeunesse se concentrent sur l’insertion professionnelle… que l’on ferait d’ailleurs mieux d’appeler l’accès à l’emploi, tant la dérive est patente de l’ambition d’un métier à l’exercice d’un emploi, à la résignation d’un job, à la survie d’un bad job (mauvais job). Pas plus que la politique, la « valeur travail » ne parvient à recomposer le minimum de cohésion sociale dont aurait besoin une société pour être autre chose qu’un agrégat dont le ciment, extrêmement friable, est l’opportunité.

Avec son étude de la circulation des élites, Pareto exposait un fonctionnement vertueux reposant sur le double mouvement de l’ascension des membres méritants (la méritocratie) et de la relégation des élites défaillantes. L’ascenseur est devenu descenseur et les élites contre-exemplaires expriment une remarquable stabilité. La démocratie est donc en grave danger – huit ou plus sur l’échelle de Richter – et quelques discours opportunistes ne suffiront pas à la sauver, tout au plus seront-ils des soins palliatifs. Le temps pour ceux qui les tiennent, eux, de s’en sortir.

Tout un travail de pédagogie est à entreprendre, comme l’entendait Montaigne pour qui éduquer n’était pas emplir un vase mais allumer un feu. Contrairement à l’assommoir des médias qui ne parlent que de « compétitivité », « dette » et « croissance », la réponse à l’urgence sociale n’est pas économique mais éthique : réinventer avec la jeunesse et dans le projet politique le constat de Condorcet, éduquer pour édifier l’idéal républicain. Non que les gens soient analphabètes, comme en 1789, mais en addiction à la société du spectacle : de TF1 au tac-au-tac, de « people » à « tous pourris ».

Les jeunes d’aujourd’hui s’adaptent, faisant de nécessité vertu. Ils secondarisent, heureusement pour eux, la « valeur travail » qui structura la génération de leurs géniteurs. Il convient de les entendre et de les accompagner dans leur socialisation car, à se socialiser entre pairs mais sans pères, ces derniers ne les reconnaîtront plus, ni ne seront reconnus, ni ne seront entendus.

Il s’agit donc de s’engager dans une éducation populaire politique. Pas plus ni moins que nous, adultes, la jeunesse n’est ni bonne ni mauvaise, n’a ni raison ni tort. Elle est un temps d’expérimentation, de construction. La condition, nécessaire mais non suffisante, d’une socialisation qui, des jeunes, en fasse des acteurs agissant sur le système et non des agents agis par le système, repose sur l’intergénérationnalité : même si nous, adultes, n’avons pas été, hélas !, les géants auxquels nous aspirions, il nous faut transmettre et, en les écoutant, leur permettre de grimper sur nos épaules pour voir plus loin. La recomposition politique est moins une affaire de parti que d’espaces de délibération intergénérationnelle : des racines de l’histoire de l’éducation populaire, des rameaux peuvent pousser. Entre le zapping affinitaire des réseaux sociaux où l’on s’égare en divertissement et la discipline républicaine des « orgas » où l’individu (individuum : « qui ne se sépare pas ») ne s’y retrouve plus parce que disjoint, il existe un interstice d’« agir communicationnel » et politique : que cent, mille universités d’éducation populaire politique éclosent…

Somme toute, comme l’écrivait Hannah Arendt (Condition de l’homme moderne), « ce que je propose est donc très simple : rien de plus que de penser ce que nous faisons ».

International
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Intervention et politiques des puissances impérialistes en Syrie :  le cas francais

par Alain Billon
responsable Maghreb-Machrek au secteur International du PG

 

NDLR – L’auteur insiste sur le manque de cohérence (de « logique ») entre les positions françaises en matière d’intervention en Syrie et au Mali. De fait, dans l’un et l’autre cas, des intérêts stratégiques et économiques peuvent soit freiner la volonté de lutter contre l’islamisme, soit la conforter.
Sa condamnation de l’intervention française au Sahel ne fait cependant pas l’unanimité au sein de la Rédaction de ReSpublica comme en témoigne un précédent article. Un « coup d’arrêt » militaire à portée de main n’était pas à négliger, même si à terme il ne règle rien en l’absence d’une remise en cause des politiques néolibérales dans la région.

 

La France a joué et joue encore un rôle important depuis le début du soulèvement populaire en Syrie, qui peut surprendre. A priori, beaucoup d’éléments auraient dû pousser ses dirigeants à une grande prudence, notamment son désengagement relatif et celui de l’Union européenne vis-à-vis de « l’Orient compliqué » (comme disait le Général de Gaulle), et ses moyens très affaiblis, en cette période de crise et d’austérité. Or, elle a délibérément fait le choix d’une attitude  « en pointe » sur ce dossier, parmi les pays les plus engagés dans une politique interventionniste de gardien de l’ordre néo-libéral imposé d’abord par les Etats-Unis.
Quels sont les ressorts de cette attitude ? Nous tenterons de formuler quelques hypothèses sur cette question.
Un rapprochement avec l’engagement actuel de la France au Mali, s’il n’est pas au cœur du sujet, pourra être esquissé. Lui aussi peut apporter quelques lumières….

1. L’héritage du Mandat français en Syrie

Au lendemain de la Première guerre mondiale, en vertu des accords Sykes-Picot, la France est imposée aux Syriens comme puissance mandataire, en dépit de la très forte opposition nationaliste qui les anime. La période mandataire sera une période très troublée, où le contraste sera extrême entre le développement économique, social et culturel de la Syrie, où la France imprimera durablement son empreinte, et la tutelle politique qu’elle exercera avec brutalité, réprimant constamment le sentiment nationaliste et la volonté d’indépendance de la majorité de la population, jusqu’à ce que cette indépendance lui soit définitivement arrachée de force en 1946. Cette tutelle répressive et fondamentalement hostile au nationalisme arabe, s’est constamment accompagnée d’une politique favorable aux minorités (chrétiennes, alaouite, druze) et aux amputations de la Grande Syrie (création du Grand Liban, cession du Sanjak d’Alexandrette, tentatives de morcellement en « Etats » rivaux d’Alep, de Damas, du pays alaouite, de la montagne druze…) dont le souvenir reste vivace, et a pesé sur l’histoire de la Syrie de l’après-guerre jusqu’à aujourd’hui.

2. Les relations complexes de la seconde après-guerre entre la France et la Syrie.

Cet héritage ambivalent de la période mandataire se fera sentir tout au long des décennies qui suivront, et il s’inscrit d’abord dans l’hostilité fondamentale et profonde marquée par la France vis-à-vis de l’essor du nationalisme arabe au Levant comme au Maghreb, et identifié comme une menace mortelle contre son « pré carré » colonial, puis également dans l’installation pérenne du conflit israélo-palestinien dans la région du Proche-Orient. Ainsi les relations diplomatiques sont rompues à la suite de la crise du canal de Suez en 1956. Les relations seront rétablies en 1961 après l’épisode de la République Arabe Unie, et se développent dans le cadre de la « politique arabe » voulue par le général de Gaulle et poursuivie par ses successeurs, Georges Pompidou (89-94) et Valéry Giscard d’Estaing (74-81). Mais elles se tendent à nouveau lors de la guerre civile au Liban. On a pu dire que « la politique syrienne de la France a toujours été commandée par les intérêts de la France au Liban » (Caroline Donati) : après avoir approuvé l’intervention syrienne dans le cadre de la Force arabe de dissuasion en 1976, la France critique son ingérence, notamment du fait de son alliance avec la République islamique d’Iran. La vision des intérêts géostratégiques de la France dans le monde arabo-musulman se dilue peu à peu dans la période qui suit, sans jamais disparaître totalement. C’est l’islam religieux, sociologique, politique, qui opère son grand retour en France même, comme un facteur nouveau de déstabilisation potentielle, alors qu’une grande partie de la mémoire ancienne (administrative, culturelle, savante) à son sujet a disparu.

La « menace » potentielle apparaît aussi bien intérieure, avec la réislamisation des banlieues, qu’extérieure : l’ambassadeur de France au Liban est assassiné le 04/09/81 et les soupçons désignent la Syrie. L’élection de Jacques Chirac à la présidence de la République est marquée par une nouvelle tentative de rapprochement entre la France et la Syrie. Chirac sera le seul chef d’Etat occidental à assister aux obsèques de Hafez el Assad en 2000.

L’attentat du World Trade Center en 2001 lance les USA dans leur croisade contre le « Mal » (lutte contre le terrorisme d’Al Quaïda et de ses alliés supposés, guerre en Afghanistan, 2e guerre du Golfe, projets pour le remodelage complet d’un Grand Moyen-Orient, etc… Avec la déroute finale du nationalisme arabe, la politique arabe de la France n’est plus qu’un souvenir, et pour l’essentiel, la singularité française dans ce domaine fait place à la normalisation, pour sauvegarder ce qui peut l’être du « pré carré » et garder un rang de sous-traitant majeur au sein de l’ordre mondial néo-libéral qui s’installe. Entre la Syrie et la France, la tension revient avec les affaires libanaises, et culmine avec l’assassinat du Premier ministre Rafiq Hariri en 2005, ami proche du président de la République. La normalisation interviendra après l’élection de Nicolas Sarkozy, à la suite de l’accord de Doha en 2008, qui entraîne le départ définitif des soldats syriens du Liban. Ce changement entraîne une succession de contacts et de visites bilatérales initiées par Bachar el Assad à l’occasion du sommet de l’UPM le 13/08/2008 et celle de Nicolas Sarkozy le 03/09/2008. Ce dernier tentera de faire entrer la Syrie dans son jeu méditerranéen et proche-oriental, pour être à son tour déçu, considérer le régime comme irrécupérable et donc se montrer fort peu favorable à son soutien, quand s’annonceront les soulèvements populaires du « printemps arabe ».

3. Le positionnement de la France face au « printemps arabe »

Quand s’achève la première décennie du XXIe siècle, la France qui a pour l’essentiel abdiqué sa singularité face au leadership américain, demeure une puissance qui garde de fortes relations avec le monde arabo-musulman, relations imprégnées d’un néo-colonialisme très classique. Plus intensément que la plupart des autres Etats européens, du fait de son passé colonial, elle gère sans trop de complexes ses relations avec les diverses variétés de pouvoirs autocratiques (monarchies, dictatures) de cette région de la périphérie asservie du capitalisme globalisé.

Dans ces conditions, le « printemps arabe » qui prend naissance en Tunisie à la fin de décembre 2010, saisit totalement la France au dépourvu. Devant le soulèvement qui emporte le régime du dictateur Ben Ali en trois semaines au cri devenu mythique de « dégage ! », le flottement des autorités françaises est total : Mme Alliot-Marie, ministre de la Défense, elle-même déjà affaiblie par le soupçon d’avoir bénéficié de diverses faveurs de la part de l’entourage de Ben Ali, offre à son régime aux abois le savoir-faire de la France en matière de maintien de l’ordre… Le contraste avec la réactivité des Etats-Unis est saisissant : eux circonviennent prestement le général Rachid Ammar qui organise le départ de Ben Ali en Arabie Saoudite  ; par ailleurs, les contacts réguliers sont réactivés et amplifiés avec Ennahda.

Mais à partir du 25 février, la révolution égyptienne qui éclate après la tunisienne constitue un signal sans ambiguïté pour la France : l’immobilisme n’est plus de mise. Il lui faudra désormais composer avec ces mouvements populaires inédits, et s’adapter à cette situation nouvelle. Mais comment ? La réponse sera, hélas, en composant avec l’Islam politique et les Frères musulmans…

Mais c’est avec l’insurrection libyenne déclenchée dès le 17 février (la 7e dans l’ordre de surgissement), que la vague des soulèvements populaires qui parcourt le monde arabe va prendre un cours radicalement nouveau avec l’intervention militaire brutale et cynique des puissances occidentales. La France va y jouer un rôle majeur.

Votée par le Conseil de Sécurité dès le 26/02/11, la résolution 1970 met en place un embargo sur les armes à destination de la Libye. Mais le président Sarkozy est décidé à aller plus loin. Il lance avec le soutien du Royaume-Uni et l’appui de la Ligue arabe (mais contre une majorité d’Etats européens…) une bataille diplomatique au Conseil de Sécurité en vue d’obtenir l’instauration au-dessus de la Libye, une zone d’exclusion aérienne.

Le 10/03/13, convaincu par Bernard Henri Lévy, le président Sarkozy prend l’initiative de recevoir à Paris les représentants du CNT (Conseil national de transition) et est ainsi le premier chef d’Etat à reconnaître officiellement cet organe de l’insurrection libyenne comme seul représentant de la Libye.

La progression des troupes de Kadhafi sur Benghazi est à ce moment telle qu’on peut craindre un massacre de grande ampleur en cas de prise de la ville. Les Etats-Unis se joignent à la France et au Royaume-Uni pour faire voter le 17 mars par le Conseil de Sécurité la résolution 1973 instaurant la zone d’exclusion aérienne au-dessus du territoire libyen et permettant de « prendre toutes les mesures jugées nécessaires pour protéger les populations civiles ».

Hostiles à cette résolution, cinq pays et non des moindres, s’en tiennent à l’abstention : l’Allemagne, le Brésil, l’Inde, la Russie et la Chine. Une coalition de pays occidentaux emmenés par la France, le Royaume-Uni et les USA et comprenant l’Espagne, la Suède, la Pologne, la Belgique, la Grèce, le Danemark et le Canada se forme aussitôt, qui s’adjoint le Qatar décidé à s’affirmer à tout prix sur la scène internationale, et les Emirats arabes unis comme caution arabe  ; au nom d’un concept nouveau : « la responsabilité de protéger ». La Libye n’ayant pas respecté le cessez-le-feu qu’elle avait fait mine d’accepter, les frappes aériennes commencent dès le 19 mars sur une grande échelle. Douze jours plus tard, les opérations de la coalition passent du contrôle des Nations-Unies à celui de l’OTAN, à la grande fureur de la Russie, et de la Chine, qui n’oublieront pas cette duperie… Les opérations ne cesseront que le 20 octobre, avec la mort de Kadhafi.

4. Le bilan de la guerre de Libye, ou la nouvelle Boîte de Pandore

La guerre se solde par la destruction de l’Etat kadhafien, qui fut longtemps un rouage important de la périphérie asservie, par ses missions assumées : contrôle des islamistes, barrage contre les migrants subsahariens, production massive d’hydrocarbures. Il est remplacé par l’anarchie, le règne des bandes armées, la dominance des factions islamistes.

On estime le nombre total des morts de 30 à 50 000. Beaucoup d’infrastructures sont détruites. La reconstruction d’un Etat solide n’est pas pour demain

Le Qatar, qui joue volontiers « à tous les coups l’on gagne », a pris le contrôle de la Libyan Oil Company créée par les insurgés… Les contrats pétroliers en faveur des Occidentaux ont été renégociés dans des termes beaucoup plus avantageux pour eux.

Enfin et surtout, nul ne semble avoir prévu la dispersion des mercenaires subsahariens au service de Kadhafi au Sahara et au Sahel, une véritable Boîte de Pandore, avec de gigantesques quantités d’armes modernes et de munitions… ouvrant la voie à une déstabilisation générale du Sahel.

Entre-temps, un nouveau théâtre de belligérance s’est ouvert en Syrie, où la France se retrouvera parmi les acteurs majeurs.

Chapter 1. 5. Le positionnement de la France face au soulèvement syrien

Bien avant le soulèvement, dans un contexte de refroidissement dans les relations avec la Syrie, la France est en contact suivi avec des membres de l’opposition laïque francophone (Michel Kilo). Beaucoup de ces opposants s’exilent en France, alimentant le discrédit qui touche le régime. L’hostilité déclarée de la Syrie à l’intervention militaire en Libye alourdit encore le climat. Les premières manifestations pacifiques qui commencent sporadiquement à partir du 16 mars sont accueillies favorablement comme un nouvel épisode du printemps arabe, et la violente répression qui s’ensuit est immédiatement condamnée. En conséquence, la France se montre favorable aux sanctions votées par l’UE contre les dignitaires du régime dès le mois de mai. Durant ce temps, la campagne militaire contre le régime de Kadhafi a soudé encore plus la France aux Etats-Unis et l’a rapprochée de leurs positions (notamment quant à la prise en considération de l’islam politique). Tournant délibérément le dos à tout vestige de sa « politique arabe » passée, la France sera donc d’emblée dans une posture interventionniste, mais suiviste, sans vision précise, qui s’accentuera encore après la fin de la campagne libyenne (hâtivement présentée par les alliés comme un grand succès). Mais il apparaîtra rapidement que le schéma libyen n’a aucune chance de se répéter en Syrie.

En effet, si comme en Libye, le régime syrien n’entend aucunement négocier un compromis avec son opposition soulevée, il dispose d’un Etat fort, que soutiennent notamment les minorités alaouites et chrétiennes, et d’une armée solide, bien entraînée et bien équipée. Enfin il dispose d’alliés déterminés : le Hezbollah libanais, la majorité irakienne chiite, et surtout l’Iran, composant l’Arc chiite. Et en appui à celui-ci, la Russie et la Chine, déterminées à ne pas se laisser berner comme avec la résolution 1973, ainsi qu’elles le démontreront avec les trois vetos successifs qu’elles opposeront aux Occidentaux entre octobre 2011 et juillet 2012.

Le mois d’octobre 2011 marque un tournant majeur dans le conflit syrien : outre le premier veto russo-chinois, à l’heure où disparaît Kadhafi, une partie importante de l’opposition a commencé à s’armer et à se structurer en une « Armée syrienne libre ». Or cette ASL va être inspirée, aidée et soutenue par les puissances régionales sunnites, liées à l’islam politique : la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar. Pour les pays occidentaux, dont la France, l’aide effective à l’ASL devient une question récurrente, jamais définitivement et officiellement tranchée jusqu’à maintenant1.

A côté de cette force armée embryonnaire, la nécessité d’une structuration de l’opposition et de la création d’une instance représentative s’impose. C’est ainsi que la France contribue très largement à mettre sur pied le Conseil national syrien (CNS qui apparaît comme une réplique du CNT libyen) avec la Turquie et le Qatar, une instance hétéroclite qui intègre d’entrée de jeu les Frères musulmans syriens à côté de personnalités libérales, laïques, voire de gauche, souvent réfugiées en France depuis longtemps, comme l’universitaire Burhan Ghalioun, qui en sera le premier président. Cette orientation assumée - qui correspond bien à l’alignement du gouvernement français sur les Etats-Unis - aura de graves conséquences sur l’avenir : cet attelage contre nature amènera la France à tourner de plus en plus le dos aux courants d’opposants laïques et progressistes qui lui étaient traditionnellement favorables, mais qui refusent la collaboration avec les Frères musulmans et les salafistes. Les autorités françaises vont effectivement « coller » au CNS contre vents et marées.

Dès lors, la situation diplomatique va se figer autour du blocage intervenu au sein du Conseil de Sécurité, vouant à l’impuissance les missions conjointes des Nations-Unies et de la Ligue arabe coopérant désormais étroitement avec les Occidentaux, comme les manifestations d’hostilité des puissances sunnites de la région, telle la Turquie qui condamne avec une force inédite Bachar El Assad, dont elle réclame la démission.

Au début de février 2012, la Russie et la Chine opposent leur second veto au projet de résolution du Conseil de Sécurité soutenant un plan de la Ligue arabe. La France, avec d’autres pays, lance le projet d’un « groupe des amis du peuple syrien ». Le 23 février, Kofi Annan est nommé émissaire de la Ligue arabe et de l’ONU pour la Syrie, le 24, le « Groupe des amis de la Syrie se réunit pour la première fois à Tunis.

Le 12 avril, un cessez-le-feu négocié par Kofi Annan entre en vigueur. Le 14 avril, le Conseil de Sécurité adopte à l’unanimité la résolution 2042 qui prévoit l’envoi d’une mission de surveillance en Syrie. Mais le cessez-le-feu ne tient pas, et les combats qui ont balayé les manifestations pacifiques des débuts, deviennent chaque jour plus meurtriers. On approche alors des 30 000 morts.

L’arrivée du Parti socialiste au pouvoir, avec l’élection de François Hollande comme Président de la République le 6 mai, malgré le poids retrouvé du ministère des Affaires étrangères avec à sa tête Laurent Fabius, n’apportera aucune inflexion notable dans la ligne suivie.

Le 16 juin, les observateurs de la Misnus suspendent leurs opérations.

Le 30 juin, réunis à Genève sous la conduite de Kofi Annan, les pays du Groupe d’action sur la Syrie s’accordent sur les principes d’une transition politique dirigée par les Syriens, mais ils ne parviennent pas à s’entendre sur le rôle d’Assad dans ce processus. Du moins les bases d’une transition politiques sont-elles ainsi posées.

En août 2012, le CNS apparaît nettement en perte de vitesse et de plus en plus boudé par les Etats-Unis pour son inefficacité. Basma Kodmani, réputée proche des positions américaines, démissionne. Mais François Hollande remet en selle le CNS en recevant ses dirigeants à l’Elysée, quelques jours avant une visite de l’émir du Qatar.

Les Occidentaux, dont la France, menacent la Syrie d’une intervention armée en cas d’utilisation des armes chimiques qu’elle possède. En septembre, la France appelle à la création d’un gouvernement provisoire qui serait formé à partir d’un CNS élargi. Elle maintient en attendant l’embargo sur les armes.

Début novembre, une grande réunion de l’opposition est convoquée à Doha par le Qatar, avec comme objectif de regrouper enfin les différents mouvements en une Coalition nationale pour les forces révolutionnaires et l’opposition en Syrie. Mais la France sauve une nouvelle fois le CNS menacé de dissolution. Ce dernier demeurera une entité distincte au sein de la nouvelle Coalition, avec à sa tête l’opposant chrétien Georges Sabra. Dès lors, le 11, le cheikh Moaz Al Khatib, un islamiste réputé « modéré », est élu à la tête de la nouvelle « Coalition nationale Syrienne » voulue par les Américains. Le 13, Paris reconnaît officiellement cette coalition comme la seule représentante du peuple syrien.

Si cette nouvelle entité réunit bien des personnalités diverses, dont des laïques, les Frères musulmans et d’autres islamistes s’y retrouvent en force, tandis que les organisations politiques laïques et progressistes refusent de s’y rallier. Moaz el Khatib refusera de désavouer les formations paramilitaires jihadistes, comme le Jebhat Al Nosra, dont l’influence ne cesse de grandir parmi les combattants de l’opposition armée.

Fin janvier 2013, la France manifestera son soutien à l’hégémonie de la Coalition en refusant de soutenir et de participer à la Conférence de Genève organisée sur la Transition, par le CNCD de Haytham Manna.

6. Conclusion, et critique de l’intervention française au Mali

Ainsi a-t-on bien assisté depuis le début des « soulèvements arabes » de 2011, à la « conversion » des gouvernements de la France, de la droite comme du PS, au soutien et à l’alliance avec les principaux courants de l’islam politique. C’est là une nouvelle convergence avec la position fondamentale des Etats-Unis sur cette question.

Cette position est manifeste dans le cas de la Syrie, tant dans le soutien de la Coalition, que dans les liens étroits noués avec les Etats sunnites proches des mouvances islamistes : Turquie, Arabie Saoudite, avec une mention spéciale pour le Qatar.

Ce petit Etat pétrolier semble avoir acquis une réelle influence sur la politique française, qui ne peut véritablement s’expliquer que par les moyens financiers qu’il a pu mettre à la disposition de la France, et dont celle-ci a grand besoin.

Enfin les positions de laïcité, malgré les dénégations officielles, sont en repli généralisé.

Dans ces conditions, que peut-on comprendre de la décision de François Hollande de dépêcher l’armée française pour stopper une invasion de djihadistes visant à s’emparer de Bamako, puis pour entreprendre de restaurer l’unité territoriale du Mali, brisée depuis un an ? Une contradiction fondamentale, maintes fois relevée, existe manifestement entre les principes d’intervention en vigueur en Syrie et celles en œuvre au Mali : lutte contre les islamistes djihadistes rebaptisés « terroristes » au Mali, alliance de fait avec ceux-ci en Syrie ! Où est la logique ?

Nous avancerons l’hypothèse suivante : en Afrique sahélienne, la France aurait été contrainte « en catastrophe » de défendre son pré carré gravement menacé, et ce faisant, aurait choisi entre deux maux le moindre. A terme, que la France se retire ou non militairement, il y a un très fort risque d’enlisement ou de pourrissement de cette guerre, sans aucune assurance que AQMI puisse être détruit. En attendant, l’attitude complaisante d’alliance avec les forces islamistes en Syrie montre la curieuse vision qu’a l’actuel pouvoir politique en France, de l’avenir post-assadien de la Syrie…

 

  1. Le 14 mars dernier, François Hollande, en accord avec le Premier ministre britannique David Cameron, affirmait la volonté de la France de voir levé sans attendre l’embargo européen sur les armes à destination de la Syrie, en vigueur jusqu’au 1er juin. Français et Britanniques se déclaraient prêts à passer outre les réticences marquées de l’Allemagne et de certains pays nordiques. Mais dès le 28 mars, dans une nouvelle déclaration, à France2, le Président de la République faisait spectaculairement machine arrière et remettait à plus tard l’armement des insurgés de l’ASL, le danger de voir ces armes tomber « en de mauvaises mains » (lire les groupes djihadistes) n’étant pas conjuré.
    Depuis d’autres soucis sont venus accaparer l’attention du Président Hollande, mais les rumeurs d’une allégeance du groupe djihadiste Jebhat al Nosrat à Al Quaïda ne favorisent guère le passage à l’acte de l’armement des rebelles par les Européens. On sait néanmoins que la France fournit déjà certains armements à des groupes « sélectionnés » de l’ASL []
Débats laïques
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Non, la liberté de religion n’est pas supérieure à toutes les autres !

par Charles Arambourou
Union des Familles Laïques
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Ou : Pourquoi l’affaire Baby-Loup invite à légiférer

Les commentaires sur l’arrêt Baby-Loup de la Cour de cassation vont dans tous les sens. On en relèvera ici un, non qu’il soit pire que les autres, mais parce qu’il attriste, venant du Front de Gauche de la région PACA, signé Fabienne Haloui, apparemment responsable du PCF.
Que la laïcité ne soit pas remise en cause en l’espèce, c’est parfaitement vrai. De même qu’il est juste de rappeler que la Cour a rendu deux arrêts, dont l’un déboute une salariée voilée, licenciée de la CPAM de Saint-Denis. Oui, « la loi de 1905 a été établie pour que les fonctionnaires de la puissance publique [pas seulement eux, d’ailleurs] soient soumis au principe de neutralité », et « au-delà » de la sphère publique, c’est le domaine du « respect des libertés de conscience » (le pluriel est déjà contestable !).
Mais c’est là que ça se gâte, et gravement. On ne s’attardera pas sur la défense par F. Haloui des femmes qui auraient choisi « librement » de porter le voile (angélisme qui suppose que n’existent ni pression communautaire, ni « servitude volontaire »). Oui, porter le foulard est un droit dans l’espace civil : le problème est simplement de savoir jusqu’où ce droit est compatible avec celui d’autrui et avec les activités exercées. Comme pour tout droit, d’ailleurs : aussi bien celui de manifester, de se vêtir comme on veut, d’aller et de venir, etc.
On s’en veut d’avoir à rappeler à cette responsable du PCF un principe républicain élémentaire : aucune liberté n’est ni générale, ni absolue. Pas plus la liberté de religion qu’une autre ! Un peu d’instruction civique (à défaut de « morale laïque ») :

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (constitutionnelle) :
art. 4 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »
art. 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »

Mais qui donc a troublé « l’ordre public établi par la loi » ces derniers temps ? Les catholiques ultras opposés au mariage pour tous ! Faut-il le tolérer pour ne pas les « stigmatiser » ? Devons-nous, avec Christine Boutin, dénoncer la « christianophobie » ? « L’acceptation des différences » est-elle menacée par la laïcité, ou par le cléricalisme ? Si F. Haloui suivait mieux l’actualité, cela lui permettrait de relativiser…

Mais revenons à Baby-Loup. En l’espèce, c’est une crèche associative, qui fonctionne 24 h sur 24 dans un quartier défavorisé où sont présentes des dizaines de nationalités, d’ethnies, de religions. Son projet éducatif est « laïque » : comme l’école publique, Baby-Loup a fait le choix de la neutralité confessionnelle. Choix judicieux, mais qui n’était simplement pas assez bien précisé dans son règlement intérieur1. En réalité, la direction et les administrateurs se sont trouvés confrontés à travers la salariée en cause à une offensive communautariste agressive et organisée contre la neutralité religieuse adoptée. La crèche va être obligée de quitter le quartier, il faut qu’on le sache : ne nous trompons pas de victime !
Si la République s’est dotée d’une école laïque, avec un personnel laïque, voici 130 ans, c’est précisément pour protéger la « liberté en voie de constitution » des enfants qu’elle accueille ! Préférez-vous, Madame Haloui, les crèches confessionnelles où l’on endoctrine les bébés ?
Mais le domaine de la petite enfance (étranger à l’école) est l’enjeu d’appétits, non seulement confessionnels, mais commerciaux : il existe de plus en plus de crèches à but lucratif. Il convient donc de légifér. Légiférer n’est pas forcément interdire, c’est préciser exactement la portée et les limites d’une liberté pour garantir les autres –et celles des autres ! Et seule une loi –pas un décret, encore moins un règlement intérieur- peut réglementer une liberté publique : c’est une garantie posée par l’art. 34 de notre Constitution.

Au-delà de la question des crèches, se pose d’ailleurs celle de l’entreprise privée, où l’expression religieuse de plus en plus agressive se manifeste, compromettant les relations avec les clients, ou « la paix sociale dans l’entreprise » (avis du Haut Conseil à l’Intégration de septembre 2011). Une autre raison de légiférer, pour permettre, justement, le « vivre ensemble au travail ».
Le rapport Stasi avait relevé dès 2003 l’existence d’une offensive de l’islam politique cherchant à tester les défenses de la République. Mais en aucun cas l’on ne saurait accepter ce « choc de civilisation », s’enfermer dans un face à face entre (je cite F. Haloui) « l’islam et la laïcité ». Et surtout pas pour y chercher des « accommodements » !

Dernières remarques : oui, « la laïcité interdit », et c’est très heureux, toute ingérence des cultes dans la sphère publique, mais également toute immixtion du pouvoir politique dans les religions. Non, la laïcité n’a pas pour objet « l’acceptation des différences », qui ne relève que de la morale personnelle (et suppose la réciprocité !). La société, résultante passive des superpositions de l’histoire, est diverse, métissé, pluriculturelle, soit ; la République, construction de la raison visant l’universalisme, est « une et indivisible ». Face aux communautarismes, perpétuels facteurs de division, « c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit »2.

  1. Il aurait pu l’être, le Code du travail autorisant les restrictions justifiées « par la nature de la tâche à accomplir » (éducative) et « proportionnées au but recherché » (neutralité confessionnelle du projet), par exemple en interdisant le port de signes ou les comportements manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. []
  2. Segment de phrase emprunté au dominicain Henri Lacordaire (1802 – 1861), catholique libéral… []
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Le féminisme et les chiffres

par Michel Zerbato
Universitaire.
Auteur de "Néolibéralisme et crise de la dette, aux éditions "Osez la République Sociale"

 

Les femmes sont fâchées avec les chiffres, dit la sagesse macho. On ne le dira certes pas ici de F-A Benomar, dont l’ouvrage « Féminisme : la révolution inachevée », présenté par E. Barbaras dans ReSpublica n° 716, donne les chiffres d’écarts hommes-femmes sur les salaires ou les pensions de retraite. Mais ces chiffres sont piégés, car ils sont calculés du point de vue des hommes !
En effet, selon l’Insee, l’écart hommes-femmes est de 27 % pour les salaires et de 38 % pour les pensions de retraite. Mais cela n’est pas précis, et donc sujet à manipulation, car un écart de 27 % peut s’interpréter de deux façons différentes : il peut signifier, soit que quand un homme gagne 100, une femme gagne 73, c’est-à-dire 27 %
de moins que l’homme ; soit que quand une femme gagne 100, un homme gagne 127, soit 27 % de plus. Et cela change tout, car dans le cas, par exemple, où l’homme gagne 100 et la femme 73, soit 27 % de moins, il est tout aussi possible et légitime de dire que l’homme gagne 27 de plus que les 73 de la femme, soit 27/73*100 = 37 % de plus que la femme. Dans ce cas, quand la femme gagne 100, l’homme gagne 137, et non 127, soit 10 points de % de plus.
Avec le chiffre de 38 % pour les retraites, l’écart est plus important encore : quand l’homme perçoit 100, la femme perçoit 62 s’il s’agit de 38 % de moins pour la femme, ou 72,5 si c’est 38 % de plus pour l’homme. S’il s’agit bien de 62 pour les femmes quand les hommes perçoivent 100, annoncer 38 % de moins pour les femmes est clairement le point de vue des hommes, dont on peut tout aussi bien dire qu’ils perçoivent 61,3 % de plus que les femmes.
Annoncer un pourcentage d’écart calculé par rapport à la valeur la plus élevée permet donc de minimiser ledit pourcentage. Ainsi, mieux vaut pour le fisc annoncer une TVA à 20 % du prix TTC qu’une TVA à 25 % du prix hors taxe. En fait, le chiffre de 27 % que l’on retient généralement tel qu’il est donné par l’INSEE, est le pourcentage de salaire
en moins pour les femmes, et non le pourcentage de salaire en plus pour les hommes. Autrement dit, le chiffre de 27 % est l’écart du point de vue de l’homme, tandis que du point de vue de la femme, l’écart est de 37 %.

Quel chiffre retenir, alors ?

Il n’y a pas de règle absolue, et dans la pratique, le choix dépend de ce que l’on veut faire apparaître avec toujours le risque de manipulation, donc. S’il y a dans le phénomène étudié une norme, sociale ou physique, on calculera le pourcentage par rapport à ladite norme (ce peut être la moyenne). S’il peut paraître naturel de calculer une inégalité de taille par rapport au plus grand, car cela fait moins de peine au plus petit, cela ne l’est pas dans la sphère sociale, dans laquelle la manière de constater une inégalité est aussi une prise de position sur la justice sociale.
Les chiffres de 27 % ou 38 % donnés par les statistiques sont rarement discutés (à l’exception notable de l’
Observatoire des inégalités) car ils se sont quasi naturellement imposés dans les débats, mais ce n’est que par pure convention. Si la norme implicite est de prendre la base hommes, c’est que l’on considère que si la femme gagne moins, ce n’est pas normal, et on mesure l’écart à la norme, qui est ici l’homme. L’homme, parce que la femme est entrée plus tard dans le monde du travail, parce que l’on considère trop souvent encore que le travail est accessoire pour elle, etc. Bref, la femme est en rattrapage, comme on disait des pays en voie de développement par rapport à la norme des pays développés. Ceux qui utilisent consciemment cette norme sans le dire font un mensonge par omission qui camoufle une habitude qui arrange. Ici, ça arrange la “société” de prendre la base hommes, parce qu’en minimisant le % d’écart et donc la mesure de l’inégalité sociale, elle contient le sentiment d’injustice.
Cependant, retenir le seul point de vue de la femme aurait l’avantage de faire apparaître l’injustice de façon plus criante, mais aussi l’inconvénient de la poser en référence implicite, ce qui ne serait pas de bon féminisme. Car un féminisme conséquent ne pose pas la femme en égale de l’homme dans la manipulation, mais dans son humanité. La vérité libératrice est que l’on peut également dire que l’homme perçoit x % de plus que la femme ou que la femme perçoit y % de moins, elle est d’expliquer que l’écart de salaire de 27 % en
défaveur de la femme est un écart de 37 % en faveur de l’homme.
En matière de salaires, donc, les femmes devraient donc ne pas hésiter à avancer le chiffre de 37 % au lieu de l’habituel 27 %, mais à l’avancer honnêtement (ce qui marquera leur supériorité), en disant non pas que l’écart hommes-femmes est de 37 % (manipulation qui les rabaisserait), mais bien que “les hommes gagnent 37 % de plus que les femmes”, proposition absolument vraie, que nul ne pourra contester, et qui obligera à réfléchir ceux qui voudraient s’y essayer.
Pour un débat sérieux et pour des comparaisons dans le temps ou dans l’espace, il faut simplement renoncer à l’expression ” un écart de x %”, qui ne dit pas quelle est la référence (sauf aux initiés), mais toujours dire “les uns gagnent x % de plus” ou “les autres gagnent y % de moins”. Il n’y a alors aucune ambiguïté ni difficulté.
Il est une autre inégalité, celle de l’espérance de vie, dont chacun sait que celle des femmes est plus élevée que celle des hommes : en 2011, 85 ans à la naissance contre 78,4 ; mais de 1981 à 2011, les hommes ont gagné 8 ans et les femmes 6,5 seulement, au moins un domaine dans lequel l’égalité progresse ! Ces 6,6 années de plus correspondent à un écart de 7,76 % si on rapporte à 85, ou de 8,42 % si on rapporte à 78,4 : l’espérance de vie des femmes est supérieure de 7,76 % à celle des hommes, mais celle des hommes est inférieure de 8,42 % à celle des femmes. Il est clair que 8,42 % est le bon chiffre… pour l’homme !

Cinéma
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La chronique de "0 de Conduite"

par Odette Mitterrand, Jean-Jacques Mitterrand

 

NDLR : Nous inaugurons dans ce numéro une rubrique régulière consacrée au cinéma, avec la collaboration de  “0 de Conduite”, partenaire du Réseau Education Populaire. On trouvera sur le site du REP la charte de l’association qui « défend toutes les formes cinématographiques, pourvu qu’elles donnent à (sa)voir, par leur singularité critique et leur exigence esthétique, le monde tel qu’il (ne) va (pas) dans ses dimensions politiques et sociales ».
Nous poursuivrons  dans le prochain numéro de Respublica par le compte rendu de deux films sur le conflit israélo-palestinien, par J. Rabinovici.

Les Rencontres cinématographiques de Manosque

« Du réel à l’imaginaire », sous-titre attirant de ces rencontres, rêve d’un lieu à l’acte cinématographique sans complaisance.
Dans une présentation au titre déjà merveilleux, « Comme l’épine sur la soie », Pascal  Privet, réalisateur et programmateur orfèvre des instants que nous allions vivre, écrit « Il s’agit de rendre compte des manières sans cesse réinventées par les cinéastes afin de porter un regard critique sur la vie et peindre ces sentiments parfois si enfouis et complexes qui exaltent ou tourmentent l’humanité. »
L’épine sur la soie, expression de délicatesse épique et fragile illustrant un cinéma aux antipodes d’une industrie mercantile nous offre par l’intime une écriture sans cesse nouvelle de la société.
Chaque film est suivi d’un réel débat où artistes et spectateurs partagent leurs impressions : « Cette réflexion collective devient acte de résistance à la consommation individuelle et indifférente et accorde d’abord du prix au sens de l’acte créatif en respectant les réactions de chacun. »
Aujourd’hui où les salles, même avec les labels Arts et essai et Recherche, sont contraintes par nécessité d’équilibre commercial de programmer un nombre de plus en plus grand de films sans réel souci cinématographique, ce lieu où le temps reste un espace de liberté et de découverte attire et retient notre attention.
Nous avons, dans ce programme passionnant, découvert le réalisateur égyptien Ibrahim El Batout dont nous vous parlerons dès la sortie de ses films et vu le dernier film de Pascale Diez, D’une école à l’autre (ci-après).

1. « D’une école à l’autre »

Et d’une classe à l’autre : des élèves d’une classe de Belleville, des élèves d’une classe du Ve arrondissement, deux mondes s’abordent. Pascale Diez, la réalisatrice, qui a maintes fois expérimenté la vie scolaire, nous livre un film d’une grande sensibilité, d’une grande perspicacité sur ces enfants dont les parcours avaient peu de chance de se croiser sans ce projet quelle a conçu et dont elle a cherché les financements. A travers de beaux plans serrés, elle nous fait ressentir avec émotion ces expressions d’enfants où les mots, retenus, furtifs, dévoilent sobrement une identité sociale tandis que les enfants du Ve, attachants également, reflètent plus librement leur ressenti et leur milieu
Les deux institutrices, Cécile Gérard pour l’école St-Jacques et Karine Durand pour l’école de Belleville mènent ce projet avec une discrète et pertinente pédagogie. Les élèves laissent transparaître leur intérêt et leur bien-être tout au long du film. C’est aussi pour ces enfants la découverte commune, chacun avec ses propres acquis, d’un activité de soundpainting.

Christophe Cagnolari les initie à cet art multidisciplinaire qui allie expression corporelle, voix, peinture… permettant une improvisation où chacun peut communiquer à sa façon et se faire comprendre de l’autre. Le soundpainter Christophe a ainsi pu les mener à un spectacle collectif qui a été présenté à la Maison des Métallos à Paris.
Toute la richesse d’une mixité sociale rayonne dans ce film, le temps d’une expérience, d’un projet et ce film avec une grande qualité cinématographique nous prouve bien que l’échec scolaire n’est pas une fatalité.

D’une école à l’autre
Réalisatrice : Pascale Diez
France, 2012, 1h 35
Distributeur : Les films du Paradoxe

2. « La saga des Conti » : en roue libre

Le film débute sur une fin programmée. Celle du site « Continental » de Clairoix (Oise) annoncée en mars 2009 par les lettres de licenciement lues par des voix mêlées d’ouvriers qui accusent le coup, la colère rentrée. Mais ces voix qui se mêlent deviennent bientôt un groupe qui s’élève. Car contre toute attente au regard de la résignation ambiante, c’est le début d’une lutte de longue haleine que vont mener les salariés du site et que le film relate de manière chronologique, sobrement, sans trémolos ni violons, au plus près des ouvriers. Ces derniers font montre d’indépendance avec la création d’un comité de lutte dépassant le cadre syndical, d’imagination, on pense alors à la participation symbolique du Paris-Roubaix, et de mobilité car les déplacements sont nombreux entre Paris et Hanovre, les rendant dangereusement imprévisibles aux yeux de l’entreprise, de l’État et des centrales syndicales.

Même si des figures émergent, le syndicaliste Xavier Mathieu ou le conseiller Roland Szpirko notamment, Jérôme Palteau s’attache avant tout à filmer un collectif qui prend peu à peu conscience de sa capacité d’agir et de créer des situations, en un mot de se retrouver. Occupation surprise du site de Sarreguemines ou de la sous-préfecture de Compiègne, manifestation unitaire avec les « Conti » allemands à Hanovre, autant de coups d’éclat d’une guerre de mouvement pour se faire entendre auprès de ceux d’en face qui cultivent l’évitement.

L’autre valeur de ce documentaire réside dans ce qu’il évoque sans le montrer frontalement, à savoir le contre-champ médiatique et le hors-champ syndical. En effet, on ne peut s’empêcher de mesurer tout le décalage existant entre l’expérience humaine vécue dont le film réactive la mémoire et la réduction stéréotypée télévisuelle qui en avait été faite à l’époque, préférant les feux de pneumatiques et les ordinateurs renversés aux visages animés d’ouvriers. Enfin le film révèle la gêne des centrales syndicales dans ce mouvement par leur absence et leur mutisme, et signe l’écart existant entre la base et les directions. Le film réactive ainsi la question de la nécessité de s’affranchir des cadres pour redonner sens à la lutte sociale dans ce contexte de désorientation généralisée.

La saga des Conti
Réalisateur : Jérôme Palteau
France, 2013. 97 mn
Distributeur: Les Films des Deux Rives

Rubriques :
  • Cinéma
  • Culture

De quoi le cinéma Le Méliès à Montreuil est-il le signe ?

par un collectif

 

Après 46 jours de grève contre les sanctions/mutations, le non renouvellement du contrat de sa programmatrice et le licenciement de son directeur artistique, Stéphane Goudet, l’équipe du cinéma municipal a dû reprendre le travail, contrainte et forcée. La mobilisation d’une très large partie du public et de très nombreux cinéastes n’est pas parvenue à faire revenir Dominique Voynet à la raison, Madame le maire préférant demeurer dans une posture d’autorité aussi ridicule que mortifère, après la campagne de diffamation sans précédent qu’elle a menée contre l’équipe du Méliès : « détournements de fonds », « enrichissement personnel », « caisse noire », « drogue pour réalisateurs invités »… avec enquête administrative « à charge » (sans témoin, ni contradiction réelle), dont 2 enquêteurs sur 4 (directeurs généraux adjoints des services) avaient été missionnés en 2012 comme directeurs par intérim du cinéma (donc juges et parties !)… Et pour clore ce mauvais feuilleton : lettre de licenciement (sans préavis, ni indemnité) omettant les « détournements de fonds » pour ne plus retenir prudemment qu’une « non dénonciation d’une irrégularité comptable » et « manquement au devoir de réserve » ; en somme le seul vrai tort de Stéphane Goudet et de son équipe aura été de défendre leur honneur en répliquant aux mensonges éhontés colportés par la municipalité… Et clou du feuilleton : intervention policière, samedi 18 mars, pour vider manu militari les 80 spectateurs qui avaient décidé, pour la Fête du cinéma, d’occuper la salle en guise de protestation. Triste symbole d’un lieu de culture contraint de fonctionner sous la protection de vigiles.
Comment en est-on arrivé là et que révèle ce gâchis monumental ? Nous, cinéastes, avons été complètement impliqués dans le soutien à l’équipe du Méliès pour témoigner de notre reconnaissance au travail réalisé, depuis des années, par cette salle fleuron des salles classées Art & Essai, Recherche et Jeune public en banlieues. Nous avons constamment tenté des médiations et, durant le conflit, nous n’avons cessé d’interpeller la maire et les autorités de tutelle.

Ce qui vient de se passer à Montreuil doit être replacé dans un contexte national : comment ne pas voir combien les salles indépendantes - les seules diffusant la diversité du cinéma – sont menacées par la concentration de l’exploitation distribution qui construit sans cesse à leurs portes des « multiplexes », leur faisant une concurrence impitoyable et leur retirant les films Art & Essai « porteurs »qui jusqu’ici leur assuraient une gestion équilibrée et leur permettaient de programmer - à côté - les 400 autres films aux sorties plus modestes : citons les menaces contre les Studios de Tours (salle historique fêtant récemment ses 50 ans) soutenus par une pétition de 12 000 spectateurs ; le Sémaphore de Nîmes… comme jadis le CNP Odéon, joyau de l’Art & Essai lyonnais, vendu en 2009 à un fonds de pension américain par un « patron voyou » qui déménagea sièges et projecteurs durant la fermeture d’août et licencia son directeur pour « manquement au devoir de réserve » !… Sans omettre le combat du public qui soutint en 2008 l’extension du Méliès de Grenoble auquel la commission d’aide sélective à la rénovation de salles refusa son soutien parce que ce projet - passant de 96 à 524 places - risquait sans doute de faire « concurrence déloyale » à Europalace totalisant 82 % des entrées grenobloises !
L’abus de position dominante des 3 grands circuits d’exploitation aboutit à ce qu’une grande majorité de films (premiers films, documentaires, films d’auteurs peu médiatisés) sont ghettoïsés dans une marginalité qui leur interdit de fait de rencontrer leur public. Et étrangle leurs producteurs.
Ce qui s’est joué à Montreuil c’est la sanction d’une équipe qui avait osé dès 2006 résister (« avec arrogance » dira Voynet !) au recours d’UGC/MK2 pour « concurrence déloyale » contre le projet d’extension du Méliès de 3 à 6 écrans.
Aujourd’hui, avec la généralisation de la projection numérique, on assiste à une inflation ahurissante des écrans occupés par les mêmes blockbusters français ou hollywoodiens : certaines semaines 5 films occupent - à eux seuls – 4 000 écrans sur les 5 200 existants ! Les autres films embouteillent les salles indépendantes qui résistent, avec un vrai effet entonnoir qui aboutit à un turn over assassin. Les films sont retirés de l’affiche avant même que le bouche à oreille n’ait eu le temps de s’installer et le public de les voir.
C’est toute l’économie du cinéma qui est menacée : et, à travers elle, la sauvegarde de la diversité et le renouvellement de la création indispensables à la vitalité du cinéma français. Qu’advient-il du droit du public à voir les films de son choix (et pas seulement ceux promotionnés par la grande industrie) ? Jean-Luc Godard, dans l’une de ses formules célèbres, disait : « La marge et le centre sont liés. La page ne tient que parce qu’elle a une marge. » Or aujourd’hui la marge est en voie d’asphyxie économique.
Les pouvoirs publics disposent pourtant d’une vraie « boîte à outils » pour corriger ce déséquilibre : 860 millions d’euros environ collectés annuellement dans le compte de soutien (cinéma et audiovisuel) par la TSA (taxe prélevée sur le ticket des spectateurs et sur le chiffre d’affaire des chaines de télévision). Il faut aujourd’hui repenser les règles qui président à sa redistribution gérée par le Centre National du Cinéma : depuis 15 ans, elles favorisent les films de plus de 7 millions d’euros et la construction des multiplexespar un avantage exorbitant accordé à la fin des années 80 : la « mise en communauté d’intérêt du soutien automatique » à l’exploitation, c’est-à-dire le droit pour les circuits de cumuler - à l’échelle de leurs centaines de salles en France - les sommes leur permettant de financer la construction des multiplexes pour éliminer, ville par ville, les concurrents qui les gênent.
Dès juin 1989 le rapport du contrôleur d’Etat, Dominique Brault (président de la Commission de la programmation), concluait qu’il fallait « cesser d’encourager la concentration par les modalités de mobilisation des droits à soutien… En permettant de reporter d’une salle à l’autre d’un même groupe les droits à soutiens capitalisés, on favorise l’investissement des exploitants qui sont déjà les plus concentrés(…) Le double effet de la concentration et de l’iniquité de ce système purement prétorien justifie qu’il soit réformé pour ne plus accentuer le déséquilibre des forces sur le marché cinématographique,sans compromettre pour autant son soutien à la modernisation du réseau ». Les pouvoirs publics n’y donnèrent pas suite et Dominique Brault a dû démissionner de la Commission qu’il présidait.

Aujourd’hui il est temps de réformer le compte de soutien cinéma dans la perspective d’une redistribution conditionnée (pour toutes les aides) par des obligations publiques favorisant diversité et création, avec une augmentation des soutiens sélectifs aux salles et aux distributeurs indépendants qui exposent réellement la diversité des œuvres.
La question posée aux pouvoirs publics est de savoir si une politique culturelle peut se contenter de n’offrir aux spectateurs que des films « porteurs» promotionnés par la grande industrie ? En période de crise des dettes publiques, Régions et Collectivités Territoriales auraient tort de croire avoir trouvé là comment faire des économies substantielles : se désinvestir des salles publiques pour les laisser programmer par « le privé qui ferait aussi bien le boulot » ?!
Cette politique des « blockbusters pour tous », est la négation même de l’idée de culture. C’est ce que Mac Donald est à la gastronomie : la tyrannie du gras, du mou, du tiède, du sucré… Nous posons la question : est-ce que la culture, est-ce que l’art, sont des marchandises comme les autres ? Non ! Ce sont des « biens publics » nécessaires à notre vie à tous, pour le plaisir de la création, pour l’intelligence de soi et du monde, pour la cohésion sociale, l’éducation de nos enfants, pour l’exercice de la démocratie… Rappelons les mots de Jean Vilar parlant de son action pour le théâtre populaire : « Il faut avoir le courage de présenter au spectateur ce qu’il ne sait pas qu’il désire ».

Par : Solveig Anspach - Dominique Cabrera - Robert Guédiguian - Dominik Moll - Gérard Mordillat - Chantal Richard - Bertrand Tavernier - Jean-Pierre Thorn (cinéastes)

Pour s’informer et soutenir le Méliès, le site de l’association Renc’Art au Méliès