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Sortie de la crise ou crise dans la sortie du capitalisme ?

par Évariste
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Ou : Pour passer de la « gauche de la gauche » à la « gauche de gauche »1

Nous avons eu droit à l’intensification des politiques néolibérales depuis plus de 30 ans en Europe, suivant une séquence de poupées russes : « baisse du profit en Europe dans l’économie réelle », « déformation du partage de la valeur ajoutée », « désindustrialisation de toutes les économies européennes consécutive à la chute de la R&D », « fuite en avant des capitalistes dans la financiarisation de l’économie et la spéculation financière internationale », « cadeaux fiscaux aux couches riches et aux couches moyennes supérieures », « éclatement des bulles financières », « remplacement des dettes privées par de la dette publique », « crise de la dette publique », « spirale des politiques d’austérité ». Devant ce déferlement du mal-vivre consécutif aux politiques néolibérales de l’oligarchie, les résistances et les formes de l’éducation populaire se développent. Mais la question du « que faire ? » taraude les responsables et les militants des organisations politiques, syndicales ou associatives.
Alors se développent dans la « gauche de la gauche », toutes les impasses des prééminences surplombantes, ces simplifications théoriques et idéologiques produisant des idées simples et uniques censées nous ouvrir d’un coup de baguette magique, le chemin du nirvana.
Il en est ainsi pour les deux types de réponse simplificatrices dominantes aujourd’hui dans la « gauche de la gauche ». Comme le disent Michel Husson et ses amis dans une note récente : « Le dilemme semble donc être entre une sortie risquée de la zone euro et une hypothétique harmonisation européenne qui devrait émerger des luttes sociales. Il s’agit à notre avis d’une fausse opposition : il est au contraire décisif d’élaborer une stratégie politique viable de confrontation immédiate. » Mais, si ces deux branches de l’alternative ne forment bien qu’une « fausse opposition », ce sont deux vraies impasses.

1/ Impasse de la réponse du type « Sortons de l’euro et de l’union européenne unilatéralement à froid ». Dans ce type de réponse, il y a à la fois une sous-estimation des conséquences de cette idée simpliste qui consiste à revenir aux conditions d’avant l’intégration monétaire et une sous-estimation du rapport des forces nécessaire à sa mise en pratique. L’oubli de la crise réelle qui les a mises à mal permet de proposer cette voie en ne parlant que des bienfaits attendus. Cette impasse est défendue dans de nombreux petits groupes souvent organisés autour d’un économiste de proue et de façon minoritaire dans le Front de gauche, le mouvement altermondialiste ou dans l’extrême gauche organisée. L’invocation de l’Islande et de l’Équateur sert alors de modèle alors que toutes choses sont inégales par ailleurs.
2/ Impasse de la réponse du type « Europe sociale ». Il s’agit dans ce type de réponse de croire que le mouvement social peut par sa seule mobilisation populaire renverser le système européen actuel, en ne proposant que des mesures techniques, quoique nécessaires, mais insuffisantes. Du type « supprimer l’article 123 du traité de Lisbonne pour monétiser la dette publique ». Cette impasse est fréquemment défendue dans une partie du Front de gauche, du mouvement altermondialiste, de l’extrême gauche organisée et minoritairement dans le mouvement syndical revendicatif. Une variante de cette impasse est celle de la fédéralisation de l’Union européenne et d’une relance monokeynésienne européenne. Cette dernière variante est fréquemment défendue dans l’aile gauche du PS, et minoritairement dans le mouvement altermondialiste et dans le Front de gauche ainsi que dans le mouvement syndical revendicatif, celui qui n’est pas dans la politique d’accompagnement de l’ordolibéralisme, à savoir la CGT, la FSU et Solidaires pour les syndicats non catégoriels.>
Ces deux types de réponses, qui visent finalement toutes deux à restaurer la capacité d’intervention conjoncturelle de l’État des Trente glorieuses, sont des impasses, parce qu’elles n’ont pas encore pris la mesure de l’échec de la politique mitterrandienne des années 1981-82 à l’intérieur de la mondialisation néolibérale. Cet échec est interprété comme principalement dû à la contrainte extérieure (rappelons-nous de l’épisode des magnétoscopes à Poitiers !), alors qu’il était en réalité la conséquence de la crise économique réelle qui touchait le monde capitaliste dans son ensemble. Le fait de reprendre cette même politique sur un ensemble européen coordonné et solidaire n’aura pas davantage les vertus que lui attribuent ses thuriféraires.

Parmi les propositions conscientes des limites que nous venons d’indiquer, et qui tentent de les dépasser, on notera celle de la Commission économie du Parti de gauche (que Respublica a publiée et que le Parti de gauche lui-même n’a pas reprise !) ou celle d’un groupe d’économistes européens autour de Michel Husson qui soumettent actuellement leur texte à la signature. Dans ce dernier texte, on voit poindre un début de critique des impasses précitées. Mais il se fonde sur une analyse insuffisante de la crise, simplement attribuée à une mauvais contrôle de l’excroissance financière, et reste, de ce fait, dans le schéma global précédemment dénoncé.
Quoi qu’il en soit, toutes ces tentatives intellectuelles ont en commun de faire l’impasse sur l’explicitation stratégique du chemin à parcourir à partir de l’état de la lutte des classes aujourd’hui jusqu’à l’état qu’elle devrait prendre pour avoir une chance de pouvoir proposer telle ou telle mesure. La simple croyance que les effroyables politiques d’austérité vont suffire à déplacer le rapport des forces en faveur des couches populaires ouvriers et employés (alors que ces dernières n’ont mis, au premier tour de la présidentielle, qu’en 5e choix celui du Front de gauche !) et des couches moyennes intermédiaires au niveau souhaité nous paraît relever de la profession de foi.
Contrairement au mythe toujours vivant, le New Deal de Roosevelt n’a pas réussi à sortir les États-Unis de la crise des années 30 (comme le rappelait déjà notre dernier éditorial), c’est bien la Deuxième guerre mondiale, avec ses effroyables conséquences, qui y est parvenue. Aujourd’hui, le niveau des armements ne permet plus une troisième guerre du même type, mais des guerres sociales, dont on voit poindre les prémices au sein des pays concurrents, pourraient en tenir lieu. Tout simplement parce que ceux qui sont « aux manettes » ne se laisseront pas déposséder de leurs pouvoirs et de leurs intérêts sur la base d’un débat intellectuel. Sauf à croire qu’ils s’accrochent parce qu’ils sont bêtes et s’entêtent dans l’erreur parce qu’ils ne comprennent pas les idées géniales des intellectuels avancés et de leurs fan-clubs militants dévots.
Nous considérons que nous sommes à la fin d’un pli historique, que la zone euro n’est pas viable, et nous pensons donc que la ligne de plus grande pente nous entraîne vers l’éclatement de la zone euro à chaud. Les conséquences pourront être effroyables ici et là, et il faut s’y préparer, par une éducation populaire de masse des responsables, militants et citoyens, pour agir dès maintenant, certes, dans la confrontation immédiate, mais aussi dans la perspective de « l’après-éclatement à chaud de la zone euro ».
A moins qu’une prise de conscience globale nous fasse passer rapidement d’une « gauche de la gauche » à une « gauche de gauche » à la hauteur des enjeux : globaliser les combats sans prééminence surplombante, produire un modèle culturel, social et politique vraiment alternatif2, articuler les deux jambes des résistances et de l’éducation populaire de masse, engager une stratégie de l’évolution révolutionnaire.  Mais ce n’est pas le chemin principal que prend aujourd’hui la “gauche de la gauche”. Alors, on ouvre le débat3 ?

  1. Nous reprenons ici la définition de la « gauche de gauche » de Pierre Bourdieu. C’est bien parce que des élus de gauche ont trahi leur engagement à partir de la fin des années 70 (en France à partir du tournant néolibéral de 1983), que nous devons parler de « gauche de gauche », mais il ne s’agit pas pour autant de nous complaire dans une « gauche de la gauche » définitivement minoritaire et extrémisée. Le Front de gauche devrait avoir comme objectif de construire une « gauche de gauche » appuyée majoritairement par les couches populaires ouvriers et employés et par les couches moyennes intermédiaires. []
  2. Il ne suffit pas d’avoir un catalogue pour programme, de dire « l’humain d’abord » et vouloir une révolution ou une 6e république. Pour construire un nouveau modèle culturel, social et politique, il faut en préciser le contenu en termes de globalisation des principes constitutifs, des ruptures nécessaires, des exigences indispensables et produire une stratégie de l’évolution révolutionnaire définissant pour chaque sujet les politiques de temps court et celles de temps long. []
  3. Les conférenciers de Respublica et du ]
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Prostitution : encore un effort pour être abolitionnistes !

par Monique Vézinet, Emmanuelle Barbaras

 

NDLR - Dans son numéro du 12 juillet 2012 Respublica publiait sans prendre parti deux poins de vue respectivement favorable (Abolition 2012) et hostile (le Planning) à la pénalisation du client en invitant le lecteur à se faire une opinion. Avec ce texte, nous relançons le débat auprès de nos lecteurs.

Pourquoi revenir aujourd’hui sur la question de l’abolition alors que tous les arguments possibles « pour », « contre » et « comment » semblent avoir été déjà mille fois exposés ? Disons d’emblée que nous ne discuterons ici ni des positions prohibitionnistes, ni des positions règlementaristes. En revanche la position abolitionniste officielle de la France – où le scepticisme fait bon ménage avec la résignation - se voit interrogée de deux façons : le calendrier parlementaire annoncé par Najat Vallaud-Belkacem amène les partis politiques et le mouvement associatif et citoyen à se positionner, tandis que les médias favorisent jusqu’ici l’expression du scepticisme à l’égard d’un changement législatif ; des schémas de pensée anciens et des résistances demeurent dans l’esprit de nombreux camarades, qu’il est temps de lever pour que le débat progresse et soit porté devant le public de façon raisonnée, sans se cacher qu’il est difficile pour chacun de s’abstraire de la dimension intime de la sexualité que la question implique.

L’abolition de la prostitution (du « système prostitueur », voir plus loin) n’est plus un sujet réservé aux cercles féministes, il doit devenir :

  • un sujet citoyen « transgenre » dans la mesure où la prostitution masculine n’est pas négligeable (principalement homosexuelle mais aussi au bénéfice de « clientes »1, sans parler des bi- et trans-) et dans la mesure où le client (la cliente) acheteur de services sexuels se verrait lui aussi désormais mis en accusation ;
  • un sujet républicain, dans la mesure où doivent s’équilibrer la défense des libertés et les nécessités de l’ordre public, les impératifs de santé publique, de protection des personnes, etc ;
  • une problématique liée à la critique de l’ordre néolibéral qui conjugue à la marchandisation généralisée de nos sociétés un développement de la traite lié à la mondialisation, soit l’entrée sur le territoire, chaque année, de centaines de femmes au statut  précaire, qui viennent alimenter l’économie clandestine…

Evitant à la fois les dogmes de l’ordre moral et les « bons sentiments » se bornant à déplorer le sort des victimes, nous examinerons les arguments qui peuvent fonder une opinion et des mesures progressistes en faveur de l’abolition du système prostitueur (notion qui a l’avantage par rapport à celle de prostitution, d’ailleurs mal définie sinon par la jurisprudence, de prendre une vue d’ensemble des mécanismes et d’inclure désormais la totalité des acteurs, y compris les clients et les pouvoirs publics éventuellement complices).

1/ « L’objectif est, à terme, une société sans prostitution »

Sans reprendre l’historique des conventions internationales, des textes et des politiques publiques en France, on rappellera que la reconnaissance de la prostitution comme violence faite aux femmes ne date que de la loi du 9 janvier 2009, qu’une résolution unanime a été votée à l’Assemblée nationale le 6 décembre 2011 « réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution » et se concluant ainsi : « la prostitution ne pourra régresser que grâce à un changement progressif des mentalités et un patient travail de prévention, d’éducation et de responsabilisation des clients et de la société tout entière ». L’unanimité fut à ce prix, reporter à un terme non défini l’abolition de la prostitution. Non défini dans le temps et quant aux moyens d’y parvenir.

De ce point de vue, la résolution était (de notre point de vue) en recul par rapport au document sur lequel elle se basait, le rapport remis en avril de la même année par des députés de droite et de gauche et connu comme le rapport Guy Geoffroy (UMP)/Danielle Bousquet (PS). Car, parmi les 30 mesures qu’il préconisait, ce texte retenait la pénalisation du client.
Pour le reste, il était aisé de convenir que la traite et le proxénétisme étaient l’ennemi principal.

Agir sur la « demande » est une idée relativement récente, qui découle de l’incapacité des politiques nationales à enrayer la mondialisation de l’« offre », et de la prise de conscience de la nécessité de traiter les prostitué(e)s avant tout comme des victimes et non des délinquant(e)s. Une idée qu’exprime en 2000 le protocole de Palerme de l’ONU.

2/ Insuffisance des incriminations actuelles : proxénétisme et racolage

- Sur le proxénétisme tout ou presque a été dit : la police, le parquet, les magistrats disposent d’un arsenal juridique complété en 2003 par la prise en compte de la traite. Le rapport Geoffroy/Bousquet notait déjà que les moyens ouverts par les incriminations désormais prévues à l’art. 225 du Code pénal sont globalement satisfaisants mais que – dans le cas de la traite – ils restent moins bien connus et insuffisamment utilisés, enfin que les droits ouverts aux victimes sont insuffisamment mis en œuvre (en particulier pour les étrangères2.
Dans le cas du crime organisé par ailleurs, la possibilité d’atteindre les têtes de réseau de la traite est hors de portée des polices nationales. Même en coopérant davantage, celles-ci continueront à buter sur le blanchiment de l’argent sale et sur la corruption de fonctionnaires (pour la délivrance de visas en particulier).

- Dans la perspective traditionnelle de la pénalisation de l’offre, la loi sur la sécurité intérieure de 2003, à l’époque où Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur, a renforcé l’incrimination en instaurant le racolage « passif ». Sur le plan contentieux, l’utilité de ce délit a été d’une utilité limitée, car il n’est utilisé que lorsque le dossier ne permet pas de prouver le racolage actif.
De fait, déplacer la prostitution dans les bois, le long des routes secondaires, etc. n’a pas constitué un progrès
De plus la notion de racolage révèle une vision obsolète, une méconnaissance, de ce qu’est la prostitution aujourd’hui où internet, salons de massage, “escorts” et tourisme sexuel prennent une place grandissante

D’où une proposition de loi adoptée au Sénat le 29 mars dernier3. Mais quel sera le calendrier par rapport aux annonces de la ministre des Droits des femmes et dont Maud Olivier, députée PS de l’Essonne, entend faire une proposition de loi pour mise à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale en novembre 2013 ? Faut-il laisser subsister le délit de racolage « en attendant » (comme le suggérait le rapport Geoffroy/Bousquet) ou pousser à son adoption par l’Assemblée dans la foulée, indépendamment de la révision plus globale à venir ? On l’ignore encore.

3/ Le point de clivage

Entre la « responsabilisation des clients » évoquée par la résolution du 6 décembre 2011 et la pénalisation des clients, il y a un fossé à franchir. C’est au nom des libertés que se dressent les adversaires de la pénalisation de l’achat de services sexuels.

Prenons deux exemples récents de telles positions libertariennes. Au-delà du talent de leurs promoteurs, et de la sympathie qu’on peut avoir par ailleurs pour eux, elles nous paraissent aujourd’hui totalement dépassées :

- Extrait d’un texte paru le 22 août 2012 dans le Nouvel Observateur et dont Elisabeth Badinter est la première signataire (“L’interdiction de la prostitution est une chimère”) : « Chaque adulte doit être libre de ce qu’il veut faire ou ne pas faire de son corps. Décréter illégal ce qu’on trouve immoral n’est pas un grand pas vers le Bien, c’est une dérive despotique. Le pouvoir politique n’a pas à intervenir dans les pratiques sexuelles des adultes consentants. »

- Dominique Noguez, le 1er septembre 2012 dans le Monde, encore plus odieux, suspecte : « l’antique et increvable armada des fouille-culottes, de ceux qui s’intéressent passionnément à la sexualité d’autrui, toujours pour la surveiller, si possible pour l’interdire, un peu pour la voir » !

Patric Jean (représentant la jeune association d’hommes pro-féministe Zéro Macho, réalisateur du film La domination masculine que nous avons salué à sa sortie4 et Grégoire Théry (représentant du mouvement plus ancien Le Nid) ont répondu immédiatement : « Nous sommes d’une autre génération, ce dont témoignent ces quelques chiffres : non seulement 59% des femmes - contre 32 % des hommes – mais aussi 57 % des moins des 25-35 ans, contre 33 des 50-64 ans, souhaitent que la loi sanctionne le client qui a recours à une prestation sexuelle tarifée. Nous sommes pro-féministes, pour le plaisir et le désir partagés, et à ce titre, nous refusons d’utiliser les femmes comme des objets et d’avoir des rapports sexuels tarifés. »

Si nous nous rangeons à l’idée de pénaliser le client, au risque de brider pour quelques-uns le libre choix de leurs pratiques sexuelles et la libre « disposition » de leur corps, nous ne pouvons la défendre qu’au nom d’un principe suffisamment général pour l’emporter sur cette atteinte aux libertés et, bien sûr avec le soutien de l’opinion qui, on le voit, est inégalement acquise. Rappelons que la pénalisation du client en France est déjà admise dans le cas de mineurs ou de personnes en état de faiblesse.
Alors, peut-on envisager de ne pénaliser que les clients de personnes non autonomes, autrement dit définir des « indépendant(e)s » (du proxénétisme) auxquelles le recours resterait licite ? Nous ne le pensons pas d’abord pour des raisons pratiques, car comment savoir qui dépend ou non d’un proxénète et s’il s’agit d’une situation durable (il a été montré par exemple dans le cas des Asiatiques en France que des « individuelles » tombaient rapidement sous l’emprise de réseaux) ?
Rappelons aussi que le consentement qui serait recherché en l’occurrence peut être entaché de toutes sortes de vices5. Mais surtout ne serait-ce pas ouvrir la route à une prostitution à deux vitesses : celle du « commun », pourchassée, et celle d’une classe qui saura maintenir ses privilèges en la matière !
Avant d’examiner les justifications avancées pour proposer la pénalisation, faisons justice à une autre idée reçue pour la combattre : la mesure sera inefficace puisque le client n’aura qu’à franchir les frontières (et d’ailleurs, il n’y a même plus besoin d’aller en Thaïlande…), etc. L’argument est faible : souhaitons au contraire que – comme la Suède a fait école dans des pays voisins (Norvège, Islande à ce jour) – la France soit dans le peloton de tête des pays européens abolitionnistes malgré la présence sur une grande partie de ses frontières de la tolérance belge et de l’industrialisation allemande de la prostitution.
Quant au scepticisme lié au manque de moyens, nous ne pouvons pas davantage l’accepter comme argument général, nous y reviendrons.

Enfin ajoutons un argument d’ordre pratique, au bénéfice des prostitué(e)s faisant l’objet de pressions ou de violences de la part de clients qui réclament des prestations non souhaitées : le fait de pouvoir invoquer le caractère délictueux de la situation constituera une (relative) protection pour elles.

4/ Comment fonder aujourd’hui notre position abolitionniste ?

Fondements anthropologiques et historiques - Françoise Héritier (présente en vidéo lors de la manifestation du 13 mars et entendue par ailleurs, deux jours avant au colloque organisé par Femmes pour le Dire Femmes pour Agir) nous rappelle utilement que le « plus vieux métier du monde » ne saurait l’être que depuis qu’il existe des professions, c’est-à-dire bien peu de siècles… Qu’en revanche les hommes aient depuis l’origine des sociétés considéré que le corps de femmes leur appartenait collectivement, oui. A l’exception de celles qui sont appropriées individuellement en fonction des règles sociales, par le père, l’oncle, le mari…
La prostitution se situe ainsi dans un continuum de domination masculine qui intègre à doses variables l’exploitation et la violence ; le mariage y a sa place et on peut le décrire - entre autres, car il y a la mise en commun d’intérêts réciproques dont la mise au monde et l’éducation d’enfants – comme un achat de “services sexuels” et/ou de services domestiques ; on peut également arguer d’un consentement nécessaire, de la possibilité d’en sortir.
Le parallèle a pourtant ses limites : si la famille (incluant classiquement des formes dans lesquelles la paternité est inconnue ou indifférente, et où demain elle pourra revêtir des formes inédites grâce aux techniques biomédicales) est une institution sociale, la prostitution n’est pas une nécessité, ses formes historiques ont beaucoup varié, le regard que lui porte la société évolue.

Nous adhérons aux motifs principaux posés en faveur de l’abolition que sont la lutte contre la violence et l’exploitation économique dont sont victimes les personnes prostituées6. Nous sommes conscient(e)s de la place de ce combat dans celui pour l’égalité des hommes et des femmes et dans la perspective de la fin de la domination masculine, mais nous ne voulons pas attendre que celles-ci soient accomplies pour combattre la prostitution car il est un argument qui monte dans l’opinion et que le droit tarde à reconnaître : celui de la dignité de la personne prostituée, qui est aussi (ou devrait être) la dignité de son client (voir plus bas).

Nous pensons que la mondialisation et le consumérisme ont conféré aux formes actuelles de prostitution un degré supplémentaire à tous ces égards : exploitation élargie par les réseaux transnationaux à de nouvelles catégories, violence accrue par la traite. A la domination de genre, se combinent celles de classe et de race.

Mais le caractère particulier de la prostitution d’aujourd’hui est d’être un rapport marchand pauvre en contenus, basé sur des prestations standardisées éloignées des rapports humains et sociaux : absence d’échanges verbaux lorsque les partenaires n’ont que quelques mots en commun, absence même de contacts physiques réciproques (le cas des massages « complets »). Dans le prolongement de la virtualité pornographique (qui doit cependant être traité de façon différenciée de la prostitution), ce sexe tarifé traduit les pires aspects d’un capitalisme qui nie l’individu au profit d’un rapport de plus en plus dématérialisé avec la marchandise.

Dignité/indignité : un cran de plus dans l’affirmation des Droits de de l’Homme - Sans nous lancer dans un débat juridique complet, nous renvoyons à la résolution du 6 décembre 2011 déjà citée qui énumère l’ensemble des textes applicables (nationaux et internationaux) et trois considérants : le respect du corps humain, la violence présente la plupart du temps dans la prostitution, le non-respect du principe d’égalité femme/homme.

A ce jour, nous ne pensons pas que l’argument de la non patrimonialité du corps humain (loi de 1994 et loi de bioéthique de juin 2011) soit d’une portée assez générale et affirmée pour servir de socle à la condamnation de la prostitution ; on voit d’ailleurs comment il est questionné dans le cas de la gestation pour autrui.

Les arguments de la violence et de l’égalité des sexes sont d’une portée plus relative et nous suggérons de placer en tête le principe de dignité (qui n’est pas dépourvu de textes de référence, depuis la Convention de 1949). Pourquoi ? Parce qu’il permettrait une avancée dans l’élargissement de la qualification de la prostitution : si celle-ci attente à la dignité de la personne prostitu(é)e, elle englobe tous les acteurs du système prostitueur, dont le client-acheteur.

Nous savons l’ambivalence de la notion de dignité pointée par les philosophes et les juristes : à l’occasion du débat sur la dissimulation du visage dans l’espace public (port du voile intégral) que le gouvernement avait placé sous l’invocation de la dignité de la femme (et qui fut d’ailleurs « retoqué » par le Conseil d’Etat), le rapport Gérin avait bien énoncé le pour et le contre7. La marchandisation des services sexuels est cependant d’une tout autre portée que la dissimulation du visage ! Nous espérons donc que la prise en compte de ce motif ne soit pas escamotée.

5/ Le mouvement Abolition 2012 et le 13 avril 2013 : le curseur se déplace

Le 13 avril à la Machine du Moulin Rouge (Paris 19e), 500 personnes étaient réunies pour soutenir la Déclaration citoyenne d’abolition incluant la pénalisation des clients (voir www.abolition2012.fr), aux côtés de la cinquantaine d’organisations appelantes, auxquelles le Planning Familial de Paris s’est joint en dernière minute. Du côté des partis politiques, on compte désormais le Parti socialiste, le Parti communiste, le Parti de gauche, EE-LV et l’UDI.
Le Planning Familial national et Act Up restent parmi les principaux opposants à cette révision de la loi, pour des motifs tenant aux risques de dégradation de la condition des prostitu(é)s poussés dans la clandestinité. Nous entendons leurs raisons et y revenons en conclusion.

6/ Conclusion : une loi mais pas seulement…

Ce débat rappelle d’une certaine façon celui dont fut précédé le vote sur la parité et appelle les mêmes conclusions : une loi ne règlera pas tout ; mais la loi accompagne des changements de société et de mentalité de temps long ; elle peut donner une impulsion forte et accélérer les changements en question ; en concrétisant un principe, une loi peut comporter des limitations à l’égard d’autres principes républicains. Pour nous, il convient d’y consentir en souhaitant qu’elles deviennent un jour inutiles…

Nous avons dans ce texte mis l’accent sur ce qui relève du droit pénal parce que la proposition de pénalisation du client est l’élément fort d’une politique nouvelle, et que c’est celui qui sera le plus controversé. Tout le reste mérite d’être détaillé dans des textes ultérieurs, en particulier :

  • la nécessité de renforcer les moyens, financiers et autres, dont sont dotés les responsables de la répression, et en particulier au plan international ;
  • la définition de véritables politiques publiques en amont : éducation à une sexualité respectueuse, prévention en particulier dans le cas des jeunes en difficulté qui pratiquent la prostitution de façon occasionnelle et sont mal repérés ;
  • accompagnement social sans stigmatisation des personnes prostitué(e)s permettant la réversibilité de leurs choix et la récupération de l’estime d’elles-mêmes, d’où un suivi durable;
  • de façon essentielle, l’accompagnement spécifique à l’insertion sociale et tout particulièrement professionnelle ;
  • avec une mention particulière à l’octroi d’un titre de séjour pour les victimes étrangères de la traite et du proxénétisme, puisqu’il conditionne l’obtention de nombreux autres droits (comme la protection des forces de l’ordre ou le versement d’allocations).

Terminons avec John Stoltenberg, auteur d’un livre paru en 1989, dont la traduction française chez Syllepse ne date que d’avril 2013 (Refuser d’être un homme. Pour en finir avec la virilité) :

La prostitution est rarement un choix, toujours une violence. Sans client, pas de prostitution : il appartient maintenant aux hommes de bien de ne pas se réfugier derrière la soi-disante inanité d’un discours utopique, mais d’être cohérents vis-à-vis d’eux-même. La prostitution est une des formes de violence la plus ancienne et la plus meurtrière exercée contre les femmes : je refuse d’en être complice. Je considère que les hommes qui ne se battent pas contre la prostitution sont les ennemis objectifs des femmes et de l’humanité.

 

Sources principales

Attac  : Mondialisation de la prostitution, atteinte globale à la dignité humaine, Mille et une nuits, 2008
http://www.fondationscelles.org/

www. Mouvementdu nid.org
(mal connu, il a un véritable travail de terrain : bus de nuit de prévention auprès des prostituées, groupes de parole, aide juridique, équipes d’anciennes prostituées qui prennent en charge celles qui le demandent).
http://Zeromacho.wordpress.com/

Le livre noir des violences sexuelles, éditions Dunod
L’être et la marchandise, par Kajsa Ekis Ekman, M éditeur (voir http://sisyphe.org/spip.php?article4415

  1. Le « droit au gigolo » est un argument de certaines féministes que nous ne reprenons pas à notre compte… []
  2. En provenance principalement d’Europe de l’Est et des Balkans, d’Afrique subsaharienne et d’Asie, elles représenteraient plus des deux tiers des 18 000 à 20 000 prostitué(e)s exerçant en France ; elle sont surtout présentes dans la rue. []
  3. Voir le rapport http://www.senat.fr/rap/l12-439/l12-439.html []
  4. Lire sur UFAL Flash ]
  5. Le rapport Geoffroy/Bousquet y consacre un long développement : consentement obtenu par violence, dol, erreur ; outre celui de la victime, il y a celui des auxiliaires du système qui incluent des femmes.Il en découle, en vertu de la Convention internationale de 1949, qu’il n’y a pas de base juridique possible à la prostitution, en particulier qu’on ne peut arguer d’un contrat : comme pour l’esclavage, celui-ci serait nul même avec consentement des parties. []
  6. Si la violence physique reste quotidienne, on est de plus en plus conscient des dégâts psychiques associé à la prostitution (voir par exemple les travaux de Muriel Salmona, Julie Trinquart et Christophe André). A tel point que les traumatismes liés à cette activité ]
  7. « Dans un cas, elle autorise l’Etat à restreindre la liberté individuelle, au nom de la protection de la liberté, dans l’autre, elle protège la liberté individuelle contre les restrictions qui pourraient l’atténuer. » Voir]
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Le krach du système de santé

par André Grimaldi, Frédéric Pierru

Source de l'article

 

L’approfondissement des politiques d’austérité va-t-il provoquer un krach sanitaire ? Au moment où l’OCDE estime qu’il serait possible de baisser, en France, les dépenses de santé à hauteur de 1,3 point de PIB sans nuire à la « qualité » des soins, une étude publiée dans la prestigieuse revue médicale The Lancet tire la sonnette d’alarme sur les effets sanitaires dramatiques de la remise en cause des systèmes publics de santé européens : recrudescence des suicides, résurgence de fléaux infectieux que l’on pensait éradiqués (dengue, malaria, tuberculose) ou maîtrisés (VIH), explosion des inégalités d’accès aux soins, le bilan pourrait devenir catastrophique. Il l’est déjà en Grèce. Les spécialistes de santé publique dénoncent le silence des autorités sanitaires face aux tenants de l’« assainissement » des comptes publics à tout prix. La France ne semble pas faire exception.
Prenons l’exemple de l’accord national inter-entreprise (ANI), actuellement en débat au Parlement. Ses promoteurs mettent en avant la « grande avancée » que constituerait la généralisation de la complémentaire santé d’entreprise. Son extension à l’ensemble des citoyens promise par le président Hollande au dernier congrès de la Mutualité française signifierait en réalité une accélération de la privatisation rampante du système de santé, la Sécurité sociale se « recentrant » sur les plus pauvres et sur les coûts de santé les plus élevés.
Un tel « recentrage » est sous-tendu par un choix politique implicite: la France n’a plus les moyens, via les prélèvements obligatoires, de faire en sorte qu’en matière de soins, chacun paie selon ses moyens et reçoive selon ses besoins. Et elle en a d’autant moins les moyens que le gouvernement n’ose pas affronter les différents lobbies de la santé à l’origine de gaspillages importants.
Reste la solution d’un transfert de prise en charge vers les assurances privées (mutuelles, instituts de prévoyance et assureurs à but lucratif). Or tout euro transféré de la Sécurité sociale vers les complémentaires santé est un euro inégalitaire, et ce pour au moins trois raisons.
La première est que les contrats de complémentaire santé sont de qualité fort variable : ceux qui les souscrivent à titre individuel optent pour des contrats d’entrée ou de moyenne gamme, couvrant mal les soins dentaires, d’optique ou
les dépassements d’honoraires tandis que les cadres des grandes entreprises ont accès à des contrats haut de gamme, financés pour moitié par l’employeur.
La seconde raison tient en deux chiffres : pour un ménage modeste, l’acquisition d’une complémentaire santé représente près de 13 % de son budget, contre moins de 4 % pour un ménage aisé. Dit autrement, avec ce désengagement programmé de la Sécurité sociale, les plus modestes paieront plus pour avoir moins et les plus riches paieront moins pour avoir plus.
La troisième raison est due à la majoration des primes non pas en fonction des revenus mais en fonction des risques médicaux, les personnes âgées payant 2 à 3 fois plus que les personnes jeunes. Moins égalitaires, moins solidaires, les assurances complémentaires sont aussi moins efficientes avec des frais de gestion pouvant dépasser 20 % du chiffre d’affaires contre moins de 5 % pour la Sécu.
Cerise sur le gâteau, ces accords d’entreprise bénéficient d’une aide de l’Etat sous forme de déductions fiscales et sociales (actuellement de 4 milliards auxquels l’AMI va rajouter 2 milliards) payées par les contribuables y compris par ceux qui n’ont pas de mutuelles ! L’ironie veut que ce ne soient pas les mutuelles qui sortent victorieuses de l’accord ANI, mais les instituts de prévoyance et, à leur suite, les assureurs privés lucratifs. Parce que les premiers sont liés aux organisations syndicales et les seconds sont défendus par le Medef. Les premiers veulent des accords de branche et les seconds des accords d’entreprise. On aurait pu les mettre d’accord en proposant que la Sécurité sociale soit non seulement l’assureur principal obligatoire mais aussi l’assureur complémentaire comme cela est le cas en Alsace-Moselle. Cette proposition a hélas été jugée non recevable. Vous avez dit lutte contre les conflits d’intérêts, transparence, rigueur ?

Paru dans Marianne, 18 – 24 mai 2013, pp. 58 – 59

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A. Planche : "L'imposture scolaire"

par ReSPUBLICA

 

Alain Planche - L’imposture scolaire. La destruction organisée de notre système éducatif par la doctrine des (in)compétences, Presses universitaires de Bordeaux, sept. 2012.

Texte de 4e de couverture :

Il est aujourd’hui communément admis que notre système éducatif est en crise. Mais les diagnostics inquiétants ne datent pas d’hier. Les remèdes qui ont été administrés au malade n’ont fait qu’accélérer son délabrement. Pourtant, malgré ces échecs répétés, toute remise en cause du discours dominant est systématiquement dénigrée et son auteur se voit qualifié de vil réactionnaire : il ne serait qu’un barbare qui refuse de se convertir à la vraie foi.
Car il s’agit bien d’une foi, comme l’auteur le met ici en évidence. La doctrine qui a présidé à la destruction organisée de l’école républicaine, dont les principes ne subsistent plus qu’à l’état d’incantations, ne repose en effet sur aucune assise rationnelle. Il s’agit même d’une véritable mystification puisque ces fameuses compétences évaluables dont on nous rebat aujourd’hui les oreilles n’ont aucune existence vérifiable, que ce soit dans les enquêtes internationales PISA ou dans les évaluations nationales de la direction statistique du ministère.
Née d’une union contre-nature entre des néolibéraux dont l’objectif est de « marchandiser » l’éducation et des défenseurs d’une démocratisation de l’école assimilée à tort à sa massification, la doctrine n’a conduit qu’à une dévalorisation intrinsèque des diplômes, à la conservation artificielle dans le système des élèves en échec et, finalement, à une aggravation des inégalités sociales de la réussite scolaire.
En succombant à la tentation, redoutée par Bourdieu et Passeron dans Les héritiers, « d’utiliser l’évocation du handicap social comme alibi ou excuse, c’est-à-dire comme raison suffisante d’abdiquer les exigences formelles du système d’enseignement », les défenseurs de la massification ont contribué à la disqualification de l’élitisme républicain comme principe régulateur. Ils ont malheureusement ainsi ouvert la voie à une école néolibérale soumise à la seule loi de la concurrence, inacceptable car délibérément inégalitaire.

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« Entrée du personnel » (M. Frésil)

par Vincent Denorme
0 de Conduite

 
Rubrique “Cinéma” en collaboration avec l’association 0 de Conduite

En pénétrant dans les différents abattoirs industriels de Bretagne et de Normandie, Manuela Frésil s’est attelée à une des tâches les plus périlleuses et aussi l’une des plus tabous du cinéma, celle de filmer le travail, et pas n’importe quel travail. Le travail à la chaîne qui impose à un prolétariat, dont les démocraties modernes et éclairées proclament fièrement qu’il n’existe plus, des gestes mécaniques, à la cadence effrénée et sans temps mort1. Car si la bête entre dans ces usines pour y être tuée, désossée, découpée et emballée, l’ouvrier, quant à lui, y pénètre pour y être modelé par un mouvement unique, conditionné par le rythme imposé de la machine pour finir usé dans un quotidien hanté par un travail qui ne trouve aucun sens, si ce n’est celui de survivre avec le vague espoir d’en sortir.
Sans tomber dans un rapprochement simpliste et insensé entre les conditions de l’animal et de l’ouvrier, la réalisatrice révèle un au-delà de l’exploitation résidant dans la destruction même de la force de travail. Pour cela, le film repose essentiellement sur les contrastes.
A l’image, c’est un regard qui prend son temps face à l’agitation du travail. Le temps long des plans permet de fouiller les lieux confinés, de glisser d’un corps animé à un visage concentré ou à un geste répétitif. Ce temps qui dure permet à l’image de dépasser son caractère descriptif pour débusquer la cruelle absurdité des situations. De ces images émane le bruit assourdissant des machines, enfermant chaque ouvrier dans son propre silence, nul moyen d’échanger sur leur destin commun sans horizon, miné par les maladies musculo-squelettiques auxquelles personne n’échappe et dont il est fait régulièrement mention dans les témoignages. Car aux images muettes répondent en contre-point des voix off constituées à partir d’entretiens recueillis auprès d’ouvriers qui mettent des mots sur leur souffrance. Expurgés des hésitations et des méandres de la pensée propres aux entretiens, ils deviennent des textes lus par des comédiens. Cette mise à distance par le ton posé des voix accroît la violence de l’image sans tomber dans le piège de la dramatisation.

En recollant les morceaux de ces vies en miettes par un montage exigeant et rigoureux, Entrée du personnel recompose un unique et même récit aujourd’hui nié, celui de la brutalité d’un système économique mortifère.

Entrée du personnel
Réalisatrice : Manuela Frésil
France, 2011. 59 min.

Distributeur : Shellac

  1. Historiquement, l’abattoir a joué un rôle important dans la mise en place du taylorisme. Ford confiera plus tard qu’il s’était inspiré des abattoirs de Chicago pour instaurer cette « organisation scientifique » sur ses chaînes de montage automobile. []
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Sanofi-Bercy complicité contre les salariés

 

Interview de Laurent Ziegelmeyer, délégué syndical CGT de Sanofi.

A voir également, l’interview donnée par Laurent Ziegelmeyer sur les licenciements boursiers à Sanofi (Octobre 2012).

http://www.dailymotion.com/video/x1000ef
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Habib Kazdaghli acquitté : la FHE salue la victoire de l’Etat de droit en Tunisie

par Fédération Humaniste Européenne

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Habib Kazdaghli, le doyen de Faculté des Lettres de l’Université de la Manouba, à Tunis, est sorti gagnant, hier, du procès qui l’opposait plusieurs mois à deux étudiantes proches de la mouvance salafiste. Accusé par l’une des deux jeunes femmes de l’avoir giflée alors qu’elle mettait son bureau à sac, vêtue de niqab, en mars 2012, le doyen était poursuivi pour « actes de violence commis par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions ». Bien qu’il ait toujours farouchement nié les accusations dont il faisait l’objet, Habib Kazdaghli encourait une peine de cinq années de prison.
Pierre Galand, le président de la Fédération Humaniste Européenne, s’est rendu à Tunis à plusieurs reprises afin de marquer sa solidarité avec le doyen. Le 25 octobre 2012, il était présent aux côtés de Habib Kazdaghli lors de sa comparution devant le tribunal et le 28 mars 2013, il participait à la conférence de presse de soutien au professeur incriminé organisée à l’occasion du Forum Social Mondial de Tunis.
« Même si ce n’est que justice, la décision d’acquitter Habib Kazdaghli est un grand soulagement pour les nombreux démocrates qui l’ont soutenu, en Tunisie comme à l’étranger, tout au long de son procès », a commenté Pierre Galand, à la lecture du verdict.
Ce procès s’est inscrit dans un contexte continu d’intimidations que le professeur Kazdaghli a subies depuis octobre 2011. Victime d’agressions et de menaces, jusqu’à l’occupation violente de la Faculté de la Manouba par des militants salafistes, le doyen s’est toujours opposé au port du voile intégral sur les bancs de son université, considérée comme l’un des foyers de résistance à la poussée fondamentaliste en Tunisie. Les deux étudiantes ont été respectivement condamnées à quatre et deux mois de prison avec sursis pour «atteinte aux biens d’autrui » et «préjudice à un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions ».
« Je suis ravi du rôle joué par les magistrats qui ont pris le parti de la justice, a déclaré Habib Kazdaghli à la sortie du tribunal. Cela veut dire que la lutte pour l’Etat de droit est encore possible en Tunisie. »