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Comprendre l'attaque 2013 contre les retraites

par Évariste
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Comprenons d’abord qu’elle s’inscrit dans le droit fil des attaques ordolibérales que nous connaissons depuis le tournant de 1983. Mais ce trentième anniversaire le premier où tous les secteurs de la protection sociale (santé, famille, retraites, droit du travail, etc.) seront touchés et amoindris. Par ailleurs, cela se fera avec une violence inouïe compte tenu de l’importance des reculs sociaux opérés, et du fait que la droite et l’extrême droite sont en mutation culturelle (on l’a vu avec la vigueur des mobilisations contre le mariage pour tous) dans la voie d’un durcissement réactionnaire rarement atteint en France. Cette évolution redonne de la pertinence à l’analogie avec les années 30.

Malheureusement, la gauche solférinienne, qui tient le cap du progrès dans les domaines sociétaux (avec notre soutien sur ce point…), est sur les questions économiques et sociales complètement gagnée aux intérêts du patronat et de l’oligarchie.

Elle nous fait croire que le fait de passer d’un ratio de 6 retraités pour 10 actifs à un ratio de 9 retraités pour 10 actifs oblige à augmenter le nombre d’annuités. C’est comme si la diminution par 10 du nombre de paysans et la multiplication par 2,5 du nombre de bouches à nourrir nous emmenaient à la famine. Eh bien, non ! Tout simplement par ce que la production de nourriture a été augmentée d’un rapport beaucoup plus fort encore. Pour les retraites comme pour la nourriture, ce qui compte, ce n’est pas le rapport des actifs et des retraités mais le rapport entre le nombre d’actifs et le nombre de retraités d’une part et la production de richesse d’autre part. Or ce rapport, la productivité du travail, est en France le plus élevé dans le monde.

Le gouvernement solférinien nous enfume ! En prenant les chiffres du COR, en 2050, le salaire moyen global (en globalisant les retraites et les salaires) serait plus de 60 % plus élevé qu’en 2010. Le problème est donc la répartition des richesses que l’oligarchie ne veut pas changer ! Et même si on table sur un développement des richesses moins importante, il suffit d’une augmentation de 18,75 % pour maintenir le salaire moyen global (retraites comprises). Or moins la croissance est forte, plus il faut réformer le partage de la valeur ajoutée au profit des salariés.

Dans quels termes poser la question

Beaucoup de discours d’intellectuels ou de responsables politiques de la « gauche de la gauche » sont des discours inopérants. Pourquoi ? Ils développent l’idée que la politique suivie par nos gouvernants est mauvaise (sous-entendu pour résoudre la crise !) et que tout pourrait être réglé par une mesure et une seule. En fait, d’après eux, il suffirait de les écouter, d’appliquer la mesure miracle et nous serions dans le nirvana politique. Bien sûr, chacun d’entre eux a une idée de mesure simple, spécifique, singulière (la fameuse cacophonie des différentes « prééminences surplombantes ») qui résoudrait tous les problèmes et aurait comme par enchantement un effet d’entraînement immédiat sur tous les autres domaines.

En réalité, ils essayent d’esquiver aujourd’hui les deux questions centrales à savoir :

- que les couches populaires (ouvriers et employés représentant 53 % de la population française) ne sont pas globalement convaincues de l’utilité de voter Front de gauche et n’utilisent ce vote Front de gauche qu’en 5e choix (après, dans l’ordre, l’abstention, le vote FN, le vote PS et le vote UMP) ;
- que le niveau atteint par la crise systémique du modèle politique ordolibéral ne demande pas de se persuader de prendre la simple et bonne mesure qui entraînerait toutes les autres mais bien de commencer à penser la complexité et la nécessaire globalisation des combats et donc des mesures politiques conséquentes pour produire un nouveau modèle politique alternatif. Et dans ce cas, l’efficacité demande d’articuler dès aujourd’hui les politiques de temps court et les politiques de temps long.

Notre analyse conclut qu’il faut passer aujourd’hui de « la gauche de la gauche » à « la gauche de gauche » au sens de Bourdieu. Comment ? En considérant que nos gouvernants ne font pas une mauvaise politique mais font une excellente politique qui va à court terme de réussite en réussite… dans l’intérêt de l’oligarchie ! Notre proposition consiste donc à remettre au poste de commande non pas une solution technique ou économiciste qui entraînerait le nirvana politique mais la lutte des classes qui est et reste… le moteur central de l’histoire.

Nous sommes entrés dans une contradiction principale antagonique entre les intérêts objectifs des couches populaires et des couches moyennes intermédiaires (24 % de la population française pour ces dernières) d’une part et l’oligarchie d’autre part. Il ne peut plus y avoir de compromis dynamique de type fordiste ou social-démocrate lorsque nous sommes dans une contradiction de type antagonique. La guerre sociale est donc l’horizon de la politique menée par l’oligarchie. Voilà pourquoi il vaut mieux se préparer à des situations chaudes que de proposer des solutions techniques et économicistes réalisées à froid. C’est la globalisation des combats (sans en oublier un seul !) qui est à l’ordre du jour. Ou, dit autrement, ce qui est à m’ordre du jour c’est un nouveau modèle politique, culturel et social et non l’application d’un précepte technique ou économiciste dans le cadre actuel du capitalisme.

Les intentions proclamées

La compilation des douze rapports du Conseil d’orientation des retraites (COR) qui se sont succédé depuis moins de 20 ans permet de mesurer la constance et l’opiniâtreté des dirigeants ordolibéraux de droite et de gauche. A chaque alternance, malgré les changements de personnes au sein du COR, les douze rapports vont dans le même sens.
Une fois encore, appliquant la stratégie de la « société du spectacle », le gouvernement jette une poudre aux yeux dont les ingrédients sont :
- la volonté du retour à l’équilibre, à la fois rapide et durable, en jouant sur la durée d’activité, le niveau des ressources, le niveau relatif des retraites ;
- l’objectif de rendre le système plus juste, en particulier du point de vue des femmes, des carrières courtes, de la pénibilité ;
- la volonté d’assurer la cohérence entre les régimes.

En fait, les dirigeants de la gauche solférinienne ont intégré l’oligarchie et ne diffèrent de la droite néo-libérale que pour les questions sociétales et sur la marque de la poudre aux yeux proposée pour faire passer la pilule ! Leur véritable objectif n’est pas de s’appuyer sur une analyse des besoins utiles, nécessaires et finançables (par une reformation du partage de la valeur ajoutée), mais de diminuer la protection sociale solidaire (ici les retraites), en diminuant le montant des retraites, soit par allongement de la durée de cotisation, qui ne fera qu’augmenter le chômage et réduire les pensions, car la majorité des salariés de plus de 55 ans sont déjà sans emploi, soit en diminuant directement le montant nominal des retraites. Qui peut croire à l’objectif annoncé de rendre le système plus juste ?

La régression du droit social

Sur le plan théorique, la contre-révolution néo-libérale consiste à faire baisser le coût du travail, c’est-à-dire les salaires. Dans l’impossibilité politique (pour l’instant) de s’attaquer au salaire direct, elle s’attaque au salaire socialisé et s’attache donc à faire régresser le champ du droit social (celui qui regroupe les prestations universelles dépendantes des droits politiques et sociaux pour tous, comme le remboursement assurance-maladie, les allocations familiales, les pensions à prestations définies, etc.) au profit de deux champs privés, à savoir le champ du privé lucratif et celui de l’assistance aux pauvres (emprunté à la doctrine sociale de l’Eglise). Dans toutes nos conférences publiques d’éducation populaire, nous montrons que le développement concomitant de ces deux derniers champs en France n’a fait qu’augmenter les inégalités sociales de santé et de protection sociale, alors que seul le développement du champ du droit social a permis de les diminuer.
Par exemple, depuis l’instauration de la CMU-C par le gouvernement Jospin, les inégalités sociales de santé n’ont fait que croître alors que pour les faire diminuer, il faudrait un nouveau droit à caractère universel, à savoir l’accès égalitaire aux soins de qualité partout et pour tous avec remboursement à 100 % par la Sécurité sociale.

On comprend par là comment une partie de « la gauche de la gauche » totalement étrangère à « la gauche de gauche » a troqué la nécessaire lutte de classe des exploités contre les exploiteurs pour la lutte des pauvres contre les riches, chère à la doctrine sociale de l’Eglise. Cette mutation permet au turbocapitalisme actuel et à ses thuriféraires de cantonner les « pauvres » dans un statut juridique dérogatoire à la citoyenneté culturelle, politique, économique et sociale.1

L’argument de l’équilibre budgétaire

François Hollande nous a dit qu’il faut parvenir à l’équilibre de la Sécurité sociale sans augmenter les recettes de la Sécurité sociale, et parvenir à supprimer la dette publique en 2017 après avoir dès 2015 mis le déficit public sous la barre des 3 %.
Alors, disons le tout net, il faut supprimer plus de 7 % des dépenses publiques, soient plus de 70 milliards d’euros. Rien que cela ! Mais alors pourquoi les retraites ? Parce que les retraites représentent le quart des dépenses publiques !
Alors que le mouvement réformateur néo-libéral a déjà fait baisser le niveau des retraites de plus de 20 % grâce aux contre-réformes régressives de 1987 et 1993 de la droite et que la gauche solférinienne n’a jamais remises en cause, nous en sommes aujourd’hui à un déficit des régimes de retraite et de chômage de 17,5 milliards d’euros. Selon l’OFCE, la dépression due à la crise représenterait à elle seule 23,5 milliards d’euros (ce qui coûte 5 % des emplois et donc des cotisations, toujours selon l’OFCE). On voit donc bien que l’oligarchie qui est avec une partie importante des couches moyennes supérieures la seule bénéficiaire du système capitaliste actuel et de sa crise est donc directement responsable de ce déficit des régimes de retraite et de chômage.
S’ajoute à cela que les cadeaux fiscaux et sociaux donnés par la droite et la gauche solférinienne à l’oligarchie (on n’est jamais si bien servi que par soi-même) et à la majorité des couches moyennes supérieures, leur ont permis d’avoir des régimes de retraite par capitalisation qui aujourd’hui ont un excédent de 6,8 milliards d’euros.

Combler aujourd’hui le déficit du régime des retraites impliquerait une hausse de 2,2 % des cotisations ou une baisse des prestations de chômage et de retraites de 5,4 %. Tout le monde comprend bien que cela aurait comme conséquence de faire baisser la consommation, donc le PIB, et ferait s’enfoncer notre pays dans une spirale récessive d’austérité de plus en plus forte et sans fin.
Selon les dernières projections du COR  dans son scénario médian B, le déficit actuel de 0,6 % du PIB deviendrait 1 % en 2020 et 0,9 % en 2040. Ensuite, le COR prévoit à terme une baisse arithmétique du chômage, due à l’inversion de la courbe démographique, qui garantirait les retraites qui suivraient. La difficulté étant donc, d’après l’OFCE, principalement conjoncturelle, il n’y a donc pas de quoi alarmer tous les Landernau de France et de Navarre !

Pourquoi nous contestons les hypothèses du COR

Nous sommes partis des prévisions du COR car celui-ci est formé par les économistes choisis par l’oligarchie et par les gouvernements. Donc ceux qui sont soumis à l’idéologie de l’oligarchie et des médias dominants ne peuvent pas en nous lisant contester ce début de discours. Ouf ! Mais en fait, nous sommes incorrigibles et nous contestons :

  • l’hypothèse de croissance de 1,6  l’an en moyenne de 2011 à 2020, parce qu’elle a toutes les chances d’être nulle, au moins jusqu’en 2014 compris ! Il faudrait qu’elle soit ensuite de 2,4% l’an !
  • l’hypothèse de croissance de 1,6 % jusqu’en 2060 en moyenne. L’économie française retrouve durablement la croissance moyenne de 1,6 % avec une hausse de la productivité du travail de 1,5 % par an ; le PIB de 2040 serait de 1,6 fois celui de 2011 ; celui de 2060, 2,25 fois (!) : les contraintes écologiques sont totalement oubliées ;
  • l’acceptation d’une baisse importante du niveau relatif des retraites : le ratio pension moyenne/salaire moyen baisserait de 15,4 % de 2011 à 2040, puisque les salaires réels progresseraient de 1,5 % par an tandis que les salaires pris en compte et les retraites déjà liquidées, le minimum vieillesse et le minimum contributif seraient fixes en pouvoir d’achat. Sans cette baisse, le déficit en 2040 serait de 3,4 % du PIB. En fait, pour le COR, et pour les néo-libéraux de droite et de gauche, les retraites sont la variable d’ajustement implicite du budget.

La question de l’emploi

Les dépenses de retraite correspondent aujourd’hui à 13,8 % du PIB pour des recettes comptant pour 13,2 % du PIB. À noter que sans la crise, les dépenses actuelles ne représenteraient que 12,8 % du PIB, d’après l’OFCE. Retarder l’âge de la retraite ou augmenter la durée de cotisation en période de crise et d’augmentation du chômage, revient d’une part, on l’a déjà dit, à accroître le chômage, puisque aujourd’hui la majorité des seniors de plus de 55 ans sont déjà chômeurs. Et d’autre part, à reporter sur la précarité et le chômage des jeunes le poids de l’augmentation du taux d’emploi des seniors prévue par le COR, et souhaitée par les néo-libéraux de droite et de gauche.

François Hollande répond à cela par le contrat de génération permettant selon lui une aide pour tout tutorat d’un jeune par un ancien dans l’entreprise. Nous prenons date en disant que cela ne fera que développer un effet d’aubaine pour les employeurs, déjà « fortement choyés », sans que cela procure un retour sur l’emploi. Toutes ces gesticulations ordolibérales de la gauche solférinienne n’auront donc que peu d’impact sur le chômage et la précarité, parce que le « système » ne donne des taux de profit élevés que dans la spéculation financière internationale, pour le plus grand intérêt des « employeurs rentiers » qui dirigent le système avec la technostructure néo-libérale.

Son règne sans partage se transpose d’ailleurs au niveau mondial avec la lutte qui oppose les peuples à l’oligarchie de la gouvernance mondiale, formée du patronat multinational rentier, alliée à la technostructure néo-libérale et appuyée par les armées impérialistes.

Voilà pourquoi dans la politique de temps long, la solution alternative réside dans l’articulation globalisée entre :

- une politique de fort développement industriel dans le cadre d’une transition écologique,
- une politique volontariste de développement de la Recherche développement (R&D) industrielle,
- la promotion d’une armée d’entrepreneurs publics et privés allant de pair avec une politique chère à Keynes : l’euthanasie rapide des rentiers,
- le rétablissement d’une volonté politique centrale pour organiser ce virage alternatif,
- de nouveaux droits pour les salariés citoyens dans la démocratie politique, dans la démocratie sociale et dans la démocratie dans l’entreprise,
- le développement concomitant d’une sphère de constitution des libertés (école, services publics, santé et protection sociale) totalement dégagée des lois du marché capitaliste et organisée selon une démocratie sociale qui aille très au-delà des propositions du programme du Conseil national de la Résistance du 15 mars 1944 (« Les jours heureux »)

C’est la concomitance de ces principes (sans en oublier un seul !) qui peut assurer une transition vers la République sociale afin de développer les intérêts bien compris des couches populaires ouvrières et employées et des couches moyennes intermédiaires (soit 77 % de la population française). Pour les couches moyennes supérieures, cela implique de rompre avec l’oligarchie ordolibérale et l’économie rentière pour devenir des cadres salariés insérés dans les nouveaux processus de démocratie dans l’entreprise et même des entrepreneurs strictement dégagés de l’économie rentière, qui pourraient même se concevoir hors du pouvoir actuel de l’employeur.

Le modèle néo-libéral programme une baisse sans fin des retraites et des salaires. La seule question de stratégie politique est de savoir jusqu’à quand les citoyens salariésvont accepter cette évolution régressive. Que ce modèle soit renversé un jour est une nécessité historique.

Caractérisitiques de la phase néo-libérale actuelle

Aujourd’hui, conséquences de la crise structurelle du capitalisme, elles sont les suivantes :

- spirale sans fin des politiques d’austérité par processus continu de déformation du partage de la valeur ajoutée,
- privatisation des profits et socialisation des pertes,
- harmonisation par le bas de l’ensemble de la sphère de constitution des libertés, avec une hargne renouvelée contre le principe de solidarité du secteur de la santé et de la protection sociale - qui est de loin le principal budget humain public ;
- alliance néo-libérale entre l’oligarchie et les communautarismes et intégrismes ethniques, religieux et sociaux.

La spirale sans fin des politiques d’austérité par processus continu de déformation du partage de la valeur ajoutée se réalise d’abord par une baisse relative des salaires et des prestations sociales (dont les retraites), puis, lorsque ce n’est plus suffisant pour la survie du système (et nous y arrivons), par une baisse absolue des salaires et des prestations sociales.
La désindexation des retraites sur les salaires (remplacée par l’indexation sur l’inflation, moins favorable pour les retraites) engagée par Philippe Seguin, ministre dans le gouvernement Chirac 1986-1988, et entrée dans la loi Chirac-Balladur de 1993, est déjà responsable de plus de 30 % de baisse des retraites aujourd’hui.2
Ainsi va l’Europe ordolibérale, qui tente d’augmenter le taux d’emploi des seniors et de diminuer le montant des retraites : les pays à fort taux d’emploi des seniors ont un faible taux de remplacement, et vice versa.

2013 est donc l’année où le gouvernement solférinien a décidé d’adouber la proposition du Medef de sous-indexer par rapport à l’évolution des prix, les régimes ARRCO et AGIRC, c’est-à-dire les retraites complémentaires pour le privé qui concernent la majorité de la population. On sait déjà que le gouvernement s’apprête, dès la publication du rapport Moreau le 14 juin, de faire de même pour les retraites de base de la Sécurité sociale et pour les fonctionnaires et les régimes spéciaux.
Alors que la déformation du partage de la valeur ajoutée fait perdre plus de 180 milliards d’euros par an aux salaires et aux prestations sociales pour que l’oligarchie puisse spéculer dans la finance internationale, ils osent dire qu’il faut baisser les retraites pour que le système puisse fonctionner. Mais ce système n’est pas le nôtre. Ce système ne défend pas notre intérêt.

Voilà pourquoi nous devons nous préparer à soutenir la mobilisation que le mouvement syndical revendicatif est en train de préparer pour la rentrée.

Voilà pourquoi nous devons nous préparer à développer les initiatives d’éducation populaire en soutien au mouvement syndical et social, par la multiplication des conférences interactives, du ciné-débat, du théâtre-forum, des conférences théâtralisées. Nous avions répondu au mouvement social et politique en 2010 par la fourniture de conférenciers pour plusieurs dizaines d’initiatives. Nous sommes prêts à aujourd’hui à tripler la mise et à diversifier les formes de l’éducation populaire.

Trois millions de manifestants ont suffit pour se débarrasser de Nicolas Sarkozy sans nous permettre de bloquer la réforme des retraites. Eh bien là, il va falloir faire plus et plus fort en convaincant le plus grand nombre de nous rejoindre dans cette lutte centrale.

Unifions nos énergies dans cette bataille dès la rentrée de septembre en s’y préparant dès maintenant. Contactez le REP ou ReSPUBLICA !

  1. C’est le développement du communautarisme social tout aussi néfaste que le communautarisme ethnique et religieux ! Alors, où sont les laïques qui pratiquent la prééminence surplombante et qui veulent combattre certains communautarismes, mais pas tous les communautarismes ? []
  2. Henri Sterdyniak précise ]
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Réforme des rythmes scolaires : le Conseil d'Etat ne suit pas

par Tristan Béal

 

Le Conseil d’Etat vient de rejeter le projet de décret visant à permettre un assouplissement des taux d’encadrement des activités périscolaires

Le but affiché de la réforme des rythmes scolaires mise en œuvre par notre gouvernement socialiste est d’écourter la journée de classe des élèves. De mauvais esprits eurent tôt fait de remarquer que si, dans le cadre de cette réforme, la journée de classe diminuait, la journée à l’école, elle, restait aussi longue, voire plus longue : des enfants qui, jusqu’à présent, pouvaient vaquer à la maison le mercredi, ne le pourront plus. Mais passons…

Dès la rentrée prochaine, dans quelques communes courageuses, des élèves termineront donc la classe plus tôt et, s’ils ne rentrent pas chez eux, pourront rester à l’école et, grâce aux TAP (temps d’activités périscolaires), profiter d’activités à visée sportive et/ou culturelle. Les mêmes mauvais esprits osent encore appeler cela une garderie tous azimuts : comme si un gouvernement socialiste qui a souci des enfants et de leur “fatigabilité”, un gouvernement qui, de par son héritage politique sait combien l’école est importante pour le salut de la République, comme si un tel gouvernement acceptait que des enfants s’épuisent de quatre heures de l’après-midi jusqu’à sept heures du soir dans le bruit et l’agitation d’une garderie sans fin, au lieu de s’instruire et de s’enrichir par la pratique d’un sport, d’un instrument de musique ou la découverte de lieux culturels ? Pourtant, ce qui n’avait pas laissé d’étonner certains, c’est que la réforme des rythmes scolaires s’accompagnait d’une volonté d’abaisser le taux d’encadrement des enfants dans les centres postscolaires ; on sentait là comme une navrante contradiction : déplorer la longueur des journées scolaires des élèves, vouloir leur proposer des activités postscolaires de qualité et, en même temps, faire en sorte qu’il y ait moins d’adultes pour s’occuper des enfants !

Heureusement, le Conseil d’État vient de refuser l’assouplissement des normes d’encadrement dans le cadre d’un projet éducatif territorial (ou PEdT). Cette baisse du taux d’encadrement annoncée comme allant de soi par la circulaire du 20 mars 2013 relative au PEdT n’avait, avouons-le, qu’une raison financière : elle permettait aux municipalités de contrebalancer les dépenses liées à l’explosion du temps postscolaire par la baisse du coût humain, moins d’animateurs étant nécessaires pour surveiller une jeunesse déscolarisée de force. L’une des raisons de ce rejet est ainsi motivée : « on ne peut expérimenter une réforme en réduisant une règle qui induirait une baisse de sécurité des mineurs ». Comment ne pas se réjouir que le Conseil d’Etat ait rejeté cette insidieuse volonté d’assouplir les taux de l’encadrement périscolaire ? Et même, comment ne pas se prendre à espérer beaucoup plus de ce refus du Conseil d’Etat ? Si en effet l’on ne saurait expérimenter lorsqu’il s’agit de la protection des mineurs, à plus forte raison doit-on se l’interdire lorsqu’il y va de l’instruction de ces mêmes mineurs. Autrement dit, le Conseil d’Etat, dont le premier rôle est de conseiller le gouvernement, devrait continuer sur sa lancée et pointer le danger du projet de loi sur la refondation de l’école (dont la réforme des rythmes scolaires est un avatar), lequel projet pense qu’avec moins d’heures de classe les élèves pourront mieux apprendre (le gouvernement ne revient pas à 26 heures ou plus de classe hebdomadaires).

Rappelons que la vertu de l’école républicaine est émancipatrice : l’école, qui par la discipline propre à l’étude donne l’habitude de rendre raison de ce qui s’y enseigne et ainsi de faire la différence entre le vrai et le faux pour n’accueillir en son esprit que ce qui est indubitable, une telle école instruisant véritablement l’élève laisse advenir en lui un futur citoyen vigilant et peu enclin à se laisser abuser par les rhéteurs politiques. Que le Conseil d’Etat adresse à notre gouvernement un avis de la même teneur que ce qu’écrivait Condorcet dans son Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique 1792 : « Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à la raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain ces opinions de commande seraient d’utiles vérités ; le genre humain n’en resterait pas moins partagé en deux classes : celle des hommes qui raisonnent, et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves. »

Il n’est pas interdit d’espérer des membres du Conseil d’Etat un tel salutaire rappel du lien de principe entre Ecole et République…

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Deux jours à Madrid : rencontre des gauches de la gauche

par Juliette Estivill

 

Le meeting avec Cayo Lara et Izquierda Unida

Au Circulo de Bellas Arte nous attendent nos camarades de Izquierda Unida. Mireia Rovira, l’attachée parlementaire du député européen Willy Meyer nous accueille chaleureusement. C’est elle qui avec François Ralle a préparé l’événement. Nous visitons la salle, il y a 300 places, on se figure bien qu’elle sera bien trop petite au vu des échos qui nous parviennent, que ce soit de l’affluence des Français vivant en Espagne, que des camarades espagnols qui viendront à 19h pour cet événement commun de nos deux organisations soeurs « Unis contre la Troïka ». Une autre salle annexe est donc montée avec deux écrans, avec elle aussi 300 places. Heureusement ! Car il y aura effectivement plus de 600 personnes réunies ce soir-là.

Mireia nous amène alors voir la loge de Jean-Luc Mélenchon. Là-bas, nous attendent Willy Meyer, député européen et Cayo Lara, coordinateur général de l’organisation depuis 2008, il a été renouvelé dans ses fonctions en décembre dernier lors de leur Xe Assemblée Générale. Les interventions de l’un et de l’autre se complèteront parfaitement lors du meeting, parlant d’une même voix vers un même objectif commun, celui de mettre un terme aux politiques austéritaires qui plongent les peuples d’Europe vers le chaos. Vendredi, ils invitaient Alexis Tsipras de Syriza qui sera dans le cortège du 1er juin à Madrid.

Pour Cayo Lara, il s’agit de « construire un même chemin pour en finir avec cette folie », pour Jean-Luc Mélenchon, « nous devons construire une force alternative, pas seulement un parti, mais un mouvement social parce qu’il faudra reconstruire l’Europe ». En ligne de mire, les prochaines élections européennes et créer un Front de gauche en Europe qui passera devant les « partis socialistes »européens. « Nous devons être prêts pour gouverner. Cette préparation est notre tâche, celle des peuples du sud », expliquera Jean-Luc Mélenchon lors du meeting, “hommes et femmes, le bulletin de vote est ton pouvoir. La résignation, le pire des ennemis” ; « la chaîne du libéralisme va se rompre, nous ne savons ni où ni quand, mais cela arrivera comme cela s’est passé en Amérique Latine », continuera-t-il. Pour Cayo Lara, nous devons « réunir les suffrages de tous les citoyens qui se sentent bafoués” par cette Europe “muselée par les marchés financiers ». Cela ne passera que par l’implication des citoyens rappelle Jean-Luc Mélenchon, « car sinon demain sera pire que hier, c’est ce que nous enseigne l’Histoire » et Cayo Lara de rappeler que la sortie de la crise « se fera par la gauche ou alors il n’y aura pas de sortie sociale à la crise ».

Arriver devant les PS aux élections européennes, tel est le but des prochaines échéances et continuer à être dans les luttes et les mouvements sociaux et faire confluer les luttes européennes et l’alternative politique au régime actuel dans toute l’Europe. Tous les deux finissent en rappelant le sens de l’appel du 1er juin, après la marche du 5 mai en France pour la 6e République, nous serons dans les rues partout en Europe et en France pour dire ensemble “La Troïka dehors!”, le Front de Gauche répondant à l’appel des camarades portugais et espagnols en construisant les répliques du 5 mai.

Cayo Lara revient ensuite sur les prochaines réformes annoncées par Rajoy : des coupes dans les pensions de retraites et l’allongement de l’âge de départ à la retraite mais il souligne que ce que ne dira pas Rajoy c’est que le but est en fait d’augmenter les fonds de pensions privés pour les banques. Il rappelle que tout est écrit depuis le “consensus de Washington” et que la crise est le prétexte à la mise en place de toutes ces politiques pour en finir avec tous les droits des travailleurs arrachés par les luttes par les précédentes générations. Tous les deux parlent à nouveaux d’une même voix : pour Jean-Luc Mélenchon « Rajoy et Hollande n’ont qu’un mot à la bouche qu’il faut payer la dette, mais qu’avec les méthodes de la sociale-démocratie et de la droite il n’y pas pas d’issue et l’on court à l’échec” “la dette ne sera pas payée, elle ne peut pas l’être. » Cette intervention est fortement applaudie, la dette en Espagne est de toutes les luttes « Nous ne devons rien ! Nous ne payons rien ! » tel est le slogan repris dans les manifestations. Cayo Lara revient sur le budget des Autonomies espagnoles, soumis à l’impossible déficit de 3 % qui ne signifie qu’une seule chose  « couper encore davantage dans les droits en matière de santé, d’éducation, les droits sociaux des citoyens ».
Sur scène, deux hommes et tout un peuple derrière qui ont décidé de tenir tête à l’oligarchie et qui portent en eux le courage de dire non aux politiques destructrices de la Troïka. Unis contre la Troika ! Oui nous pouvons! Ensemble nous pouvons ! et Nous n’avons pas peur ! pour reprendre trois des slogans des mouvements sociaux espagnols.

Le soir en compagnie de Cayo Lara et de Willy Meyer la discussion se poursuit, il est aussi question des médias. Jean-Luc Mélenchon raconte comment cela se passe en France ;  en Espagne IU a dû mal a faire venir la presse mais aujourd’hui elle était là, les relais sont bons. Les dernières enquêtes d’opinions placent IU de 13 à 15% des intentions de vote, ils passeraient alors de 10 députés à, entre, 30 et 52 députés aux élections générales qui auront lieu dans deux ans. Comme en France lors des présidentielles, il faudra bien que les grands médias leur laissent une place, l’évidence de leur légitimité finira bien par les obliger à cesser de les cacher.

En Espagne, le bipartisme est à bout de souffle (une dernière enquête place le PSOE et le PP à moins de 50% d’opinions favorables), Rajoy et le PP sont au pouvoir depuis novembre 2011, le PSOE connaissant alors une défaite historique (perdant 4,5 millions de voix), la seule alternative à gauche est celle que représente IU : le 15-M (les « indignés ») ont porté les revendications dans la rue (défense des services publics, audit de la dette, processus constituant..) , l’issue politique est portée par IU présente et bien accueillie lors des toutes les manifestations et à l’Assemblée portant la voix des citoyens contre la contre-réforme du travail, contre les coupes, lors des deux dernières grèves générales du 29 mars, l’année dernière, et du 14 novembre dernier.

Conférence sur l’écosocialisme à l’Université

Le lendemain , nous avons rendez-vous à l’université de Complutense, l’une des plus anciennes de l’Espagne, fondée par la cardinal Cisneros en 1499, pour une conférence sur l’écosocialisme.
L’ambiance y est celle d’une fac où des luttes sont en cours car dans le hall et le couloir que nous traversons le regard ne sait pas où se poser tellement les panneaux et les murs sont recouverts de pamfletos (= de tracts), de lemas y esloganes (= de slogans) écrits au feutre directement sur les murs ou au contraires plus stylisés sur des feuilles blanches ; une fac grouillante d’activités, engagée depuis déjà plus d’un an dans un mouvemen brassant des revendications très globales et aussi l’opposition aux dernières contre-réformes du gouvernement. Doit-on dire du gouvernement ?  Oui, car c’est lui qui tente de les imposer, mais on devrait plutôt à nouveau parler d’Europe : toutes les réformes que connaissent les facs viennent du même endroit, ce sont celles des recommandations de la Commission européenne, institution non-démocratique s’il en est, le modèle d’une Europe de technocrates où c’est le principe de subsidiarité qui l’a emporté.

Le processus en cours dans les Universités est celui de Bologne et de la libéralisation et marchandisation de l’Education pour laisser la place à ce « vaste marché de la connaissance » tant voulu par les rapaces du capitalisme. Celui-ci s’accompagne en Espagne de coupes sombres dans les budgets, l’autonomie à tout-va, la rentabilité comme maître mot et des étudiants pressés comme des citrons. Malheur aux précaires ! Réforme Wert, réforme LOMCE le tout s’inscrivant dans la même dynamique mortelle que les contre-réformes universitaires françaises, autonomie et coupes budgétaires et sociales, et les étudiants les moins fortunés qui auront bien du mal à poursuivre leurs études.

La salle où nous arrivons et où se déroulera la conférence contraste avec l’ambiance enfumée, au sens propre, du reste de la fac, ambiance feutrée, tout est neuf. L’amphi est bien plein, non il n’était pas trop grand même si le pari était risqué, près de 300 étudiant sont là. C’est Juan Carlos Monedero, professeur de Sciences politiques à l’université de Complutense, qui présente la conférence.

Ce public étudiant en sciences politiques est attentif mais comment savoir ce qu’ils en retiendront ? Restons-en à penser que des clefs leur sont données, à eux maintenant de se transformer en rats de bibliothèques et que d’une question en amenant à une autre, ils se gorgent d’un savoir construit et politique. Jean-Luc Mélenchon leur a ouvert des portes, à eux de s’en saisir et de poursuivre la réflexion.
Nous quittons l’Université au pas de course pour rejoindre notre prochaine rencontre dans le centre de Madrid.

La rencontre avec les « Mareas »

L’après-midi, nous rencontrons dans un café des représentants des différentes « Marées Citoyennes » qui font le mouvement social espagnol. Un condensé de la mémoire du 15-M avec des activistes et des militants qui continuent à se battre et qui sont entrés en résistance et qui se trouvent dans cette salle réunis, venus échanger avec Jean-Luc Mélenchon.
Il y a Lola qui nous parle de la Marea Verde (= Marée Verte) des luttes dans l’éducation ; Elena et son compagnon, tous les deux engagés dans le mouvement Bomberos Quemados que je traduirais par “pompiers cramés” (quemados en espagnol signifiant “brûlés” au sens propre et en langage populaire le quemado, c’est celui qui est “fatigué”, “usé”) ; Ramon de la plate-forme Juventud sin futuro (= Jeunesse sans futur) ; Alex qui a lancé avec un groupe de camarades le mouvement Yo no pago (= Je ne paie pas) ; Julio de la PAH (= Plataforma de Afectados por las Hipotecas – Plateforme pour les victimes des crédits immobiliers) ; Pablo qui a contribué au lancement du mouvement du 15-M et qui est maintenant engagé dans un nouveau mouvement Ahora tu decides! – ATD! (= Maintenant c’est toi qui décides !) initiative de vote populaire ; ainsi qu’un camarade de “Ecologistas en accion”. Deux membres de IU sont aussi là, l’un responsable de la commission LGBT de son organisation et le jeune député Alberto Garzon de IU.

Lors de cette rencontre il sera question du rôle des syndicats, plus ou moins fort selon les branches professionnelles et de leur rôle dans ces mouvements.
Il sera aussi question de la désobéissance civile. Deux exemples : celui du mouvement Yo no pago, né suite à l’augmentation de 50 % du ticket de métro à Madrid l’année dernière, des citoyens ont envahi le métro madrilène avec de faux billets de métro, la répression a été brutale mais ce mouvement se poursuit, luttant dorénavant pour une “révolution intégrale” et “l’insoumission fiscale”. Une autre désobéissance civile est celle de ces pompiers quemados qui ont refusé leur réquisition lors des expulsions. Leur résistance a payé.

Il est aussi question de la naissance du 15-M, et des suites du mouvement.
La plupart de ces plateformes existaient avant l’explosion du 15-M mais elles ont depuis connu un essor et se sont trouvées réunies le 23 mai dernier  lors de la journée Mareas Unidas (= Marées Unies). La discussion devient aussi philosophique, lorsque Elena revient sur ces exemples de désobéissance civile : « le sens du collectif qui était abandonné est revenu avec le 15-M, avant l’explosion de la bulle immobilière en 2008, c’est comme si les citoyens avaient cessé d’être. A nouveau on se responsabilise ». Ou encore Lola, enseignante, de la plateforme en défense de l’école publique née en 2008 lorsque les coupes ont commencé s’accompagnant de suppression de postes : « On a senti que que ce que nous avions au dessus de nos têtes était si puissant qu’il fallait s’organiser, nous sommes dans un processus de prise de pouvoir citoyen. » Sur les suites du mouvement, elle explique :  « Nous sommes épuisés mais nous gardons la même envie de lutter. »

On parle politique et organisation aussi. Jean-Luc Mélenchon intervient sur l’importance fondamentale de trouver une issue politique à ces luttes sociales, de s’organiser et en quoi les échéances électorales sont importantes dont la politisation qui a lieu dans ces moments-là. Il revient aussi sur la situation italienne et sur les mouvements sociaux historiques et très puissants qu’a connu le pays et qui n’ont débouché sur aucune alternative, l’issue politique ayant manqué.
C’est Ramon qui semble en faire la synthèse : « Nous avons deux outils, l’un politique et l’autre social, l’outil politique seul n’est pas suffisant, l’outil des luttes sociales seul n’est pas suffisant non plus, il faut les deux. »

C’est comme une histoire en miroir qui se dessine sous nos yeux, celle de l’Espagne et celle de la France : si en Espagne, c’est le mouvement social qui impulse contestation , en France cela semble être l’inverse, les Mareas espagnoles sont nées des mouvements sociaux et les partis politiques de l’autre gauche les ont rejoints ; en France, c’est la Front de Gauche qui a initié ces marches, celle du 18 mars, puis celle du 5 mai et maintenant ses répliques des 1er et 2 juin.

Echange mutuel d’expériences d’un futur qui se construit ensemble mais où le rythme des luttes sociales et politiques se construisent en parallèle, la France n’étant pas l’Espagne, les chemins se croisent, mais toutes convergent vers un même but mettre à bas l’oligarchie en trouvant une issue politique à la crise sociale que connaît l’Europe entière. Moi ce qui me marque dans cette Espagne où je vais souvent, c’est ce haut degré de conscientisation et de politisation des Espagnols : services publics, dette, processus constituant, volonté de renverser l’ordre libéral… un cocktail révolutionnaire est prêt, il doit trouver sa voie, les Espagnols semblent prêts.

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Conférence-débat de ReSPUBLICA sur la crise, samedi 15 juin (Paris)

par ReSPUBLICA

 

Associé au Réseau Education Populaire (REP), ReSPUBLICA organise une importante journée à laquelle tous nos lecteurs sont conviés (sous réserve des places disponibles), le samedi 15 juin 2013 à Paris, au siège du REP :

  • 9h15 Accueil au 108 bis avenue de Flandre PARIS 19e (M° Crimée, sortie CNAV) au 3e étage
  • 9h 30-12h 30 Conférence-débat avec Michel Zerbato, économiste, universitaire émérite, co-auteur de Néolibéralisme et crise de la dette sur le thème « Comprendre la crise économique actuelle du capitalisme pour définir une stratégie politique ».
    Voir ci-dessous la présentation. Il dédicacera son livre à l’issue de cette conférence
  • 12h 45-14h 15 Buffet (participation 10 €) et discussion sur le thème « Quel agenda stratégique ? » introduite par Monique Vézinet
  • 14h 30-16h 30 Débat sur le thème « Que faire dans cette situation politique et sociale ? » Bernard Teper introduira ce débat
  • 16h 30 Fin de la journée

ATTENTION : l’inscription est obligatoire pour des raisons logistiques. Répondre par retour de mél à respublica@gaucherepublicaine.org

 

Michel ZERBATO - Comprendre la crise économique actuelle du capitalisme pour définir une stratégie politique

Depuis le krach de 2008, les politiques anti-crise ont semblé naviguer à vue : on a d’abord considéré que c’était une crise financière, à traiter à part de l’économie réelle, qu’il fallait cependant libérer. D’un côté, donc, haro sur les paradis fiscaux, la cupidité des financiers, etc., et de l’autre, loi TEPA et RGPP, c’est-à-dire baisse des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques.

Les paradis fiscaux sont toujours présents et la finance toujours profitable, tandis que la crise de la dette souveraine est advenue. Il a donc fallu augmenter les impôts, mais l’aggravation des politiques d’austérité pèse sur le pouvoir d’achat et concourt à la généralisation de la récession.

La montée des déséquilibres, chômage et déficits publics, suscite des appels à une autre politique. Tandis qu’après avoir espéré pouvoir faire adopter une autre voie à l’Europe, le nouveau gouvernement entérine l’ANI et salue l’action de G. Schröder, semblant ainsi prendre acte de la situation et se résoudre aux réformes structurelles depuis longtemps évoquées mais toujours plus ou moins éludées. Ainsi, après les années de casse du salaire socialisé (services publics, sécurité sociale), viendrait l’heure des réformes structurelles, c’est-à-dire de la casse du salaire direct.

N’y aurait-il donc pas d’alternative au néo-libéralisme, comme le prétendait M. Thatcher, ou peut-on en fonder une sur une autre analyse de la crise, comme le tentent de nombreux appels pour une autre politique : Attac, Atterrés, Copernic, etc. ? Le fond théorique et doctrinal commun à ces propositions est le keynésianisme, qui aurait sorti le capitalisme de la crise des années 30 et si bien géré les 30 glorieuses.

Le keynésianisme a construit les outils monétaire et budgétaire de l’intervention de l’État. Il suppose la souveraineté nationale et la capacité de l’appareil productif à répondre à la demande générée par une distribution supplémentaire de revenu. C’était le cas pendant les trente glorieuses, parce que les gains de productivité permettaient à la fois la hausse des salaires et le remboursement de la dette publique. La crise du profit des années 70, qui a abouti à la crise de 2007, a mis à bas cette belle construction et disqualifié le keynésianisme. Aujourd’hui, deux voies sont proposées pour le requalifier : une voie européiste, selon laquelle nul salut hors de l’UE, dont il suffit de redéfinir la gouvernance pour plus de solidarité, vers une UE fédérale et sociale ; une voie souverainiste, au sens où seule la restauration de la nation comme centre de pouvoir permettra une sortie de crise par le haut, via une Europe des nations.

Ces deux voies sont autant d’impasses, car toutes deux reposent sur le déni de la vraie nature de la crise actuelle du capitalisme, crise tout à fait comparable à celles des années 30, contre laquelle, contrairement au mythe, le New Deal de Roosevelt ne fut en rien keynésianiste et échoua totalement. Le keynésianisme n’est pas praticable dans une UE construite depuis Maastricht pour le neutraliser, en dissolvant les pouvoirs nationaux ; il ne l’est pas davantage dans des nations d’Europe que la crise réelle qu’elles vivent rend impuissantes dans le jeu de la mondialisation et qui auraient donc tort de placer leurs espoirs dans la sortie à froid de l’euro que proposent J. Sapir, le MPEP et quelques autres. Une fédération européenne sera donc bien nécessaire, pour gérer l’inéluctable sortie à chaud de l’après-implosion, mais pas une fédération de nations, qui ne saurait être une unité politique souveraine maîtresse de son destin, comme pourrait l’être une fédération d’États, c’est-à-dire des États-Unis d’Europe. Reste à définir la voie à suivre.

 

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« Témoigner, mourir », exposition des photographies d’Olivier Voisin

par Brigitte Remer

 
En collaboration avec l’association 0 de Conduite


Olivier Voisin s’était rendu en Syrie l’été dernier, puis début janvier. Il est entré pour la troisième fois dans ce pays en guerre à la mi-février, afin d’accompagner un groupe de rebelles. Mortellement blessé par des éclats d’obus à Idlib, son dernier reportage est interrompu le 21 février. Les photos retrouvées dans son appareil témoignent de ses dernières heures de travail de photojournalisme.
C’est son acte de foi, sorte de manifeste, qui introduit l’exposition : « Je suis photographe. C’est mon boulot d’aller voir et d’appuyer sur le déclencheur. L’idée de rejoindre une guerre est insensée, terrible. Qu’est-ce qui pousse une personne à aller voir la guerre et la rapporter ? Avant tout la rencontre de l’autre, chez lui, dans son contexte de ruptures multiples, et se laisser habiter par cette réalité, simplement, humblement. Commencer une aventure humaine avant toute chose et aimer les gens que je vais rencontrer, même les barbus… et là, enfin, commencer à TÉMOIGNER ».
Une photo d’Ethel Bonet le montre sur la scène de guerre, en train de photographier un soldat. Plus loin, Edouard Elias le prend en photo, parlant avec des soldats. Humaniste, révolté, après un parcours atypique, Olivier Voisin avait repris la photo à trente-six ans pour se rapprocher de ce qu’il jugeait essentiel, et accepté de risquer sa vie pour témoigner et interroger la condition humaine. Aujourd’hui, par cette exposition, ses amis lui rendent hommage.

La plupart des photographies sont en couleurs, quelques-unes en noir et blanc, elles remontent le temps dans des villes fantômes et figées où les rideaux de fer sont baissés. Gravats, empilements de sacs barrant la route, impacts de balles, silence glacé, tentures pour cacher, kalachnikov, mortiers et obus, sont l’alphabet du quotidien dans ces bouteilles à la mer d’Olivier Voisin.

Alep, août 2012, puis janvier 2013, quelques photos : un combattant en contre plongée, kalachnikov à la main, devant un hôtel au rideau métallique fermé, barbe taillée, foulard autour de la tête, le regard dur, posté aux aguets, prêt à tirer, petit coin pâle d’un ciel, bleu des vêtements jean et polo. Dans une rue aux boutiques effacées, debout et de dos, deux tireurs froids en action, l’un portant gilet de camouflage et pistolet à la ceinture, l’autre, costume et lunettes de soleil, pointant son arme d’une main, cigarette dans l’autre. Un homme jeune menace le photographe et barre la photo, main provocante face à l’objectif, derrière, un semblant de normalité, quelques silhouettes et deux camionnettes semblant faire l’inventaire. Un morceau de drap, du sang ; un homme assis dans les rues qui n’en sont plus, seul et blessé ; un sens interdit ; une enseigne écroulée ; un reste d’ogive, une église ? de l’acharnement.

Idlib, février 2013, trois dernières photos et la chronologie des derniers moments : 6h 33, le petit matin, les lumières passent par une fente.
7h 02, les combattants sont en action, fusils à la main, ils font le V de la victoire.
8h, les balles se rapprochent.
8h 11, (photo) quatre combattants enfouis dans une tranchée, autour, une nature calme et quelques nuages, tension, inquiétude, écoute.
8h 21, (photo) au centre, un arbre mort, un combattant, de dos, regarde dans la lunette de son fusil, près d’une tranchée, autour, terre, pierres, solitude, observation, attente. Le chaos à l’horizon. Au loin, à droite, un toit dépassant de la végétation, à gauche, un reste de maison écroulée.
8h 23, (dernière photo) deux groupes de deux jeunes hommes, en embuscade, leurs sacs posés devant eux, derrière un taillis recouverts d’un tissu noir. Peu après, les obus tombent. Un éclat touche Olivier Voisin à la tête et au bras. Et le temps se suspend.

« Voilà, c’est le début et la fin d’un nouveau voyage. Vivre de l’intérieur, profondément, les rencontres que nous faisons, voilà mon destin. Il ne s’agit pas d’être le meilleur photographe de mode, mais bien de cette rencontre de l’infini humain. Parfois c’est très moche. Parfois c’est très beau ». Ecrit d’un carnet de reportage, Antakya (Turquie) le 16 janvier 2013.
Au-delà de ces clichés, témoignages chargés d’une guerre qui s’étire et d’un métier risqué, une seconde séquence s’organise autour de quelques photographies d’Olivier Voisin, issues de ses reportages à la frontière entre le Liban et Israël (96), entre la Somalie et le Kenya (2011), au Brésil, en Libye et en Haïti. Homme des frontières, il nous conduit face au réel.
La justesse et la simplicité de son travail, ni voyeur ni grandiloquent, fait battre le cœur de la Syrie et le nôtre avec, en ce dernier voyage accompli, sans retour.

◊ Société Civile des Auteurs Multimédias (SCAM), 5 avenue Vélasquez 75008. Métro : Villiers.
Du 8 avril au 14 juillet, du lundi au vendredi de 9h à 17h. T : 01-56-69-58-58.
Exposition réalisée avec le soutien de France 24, de la Scam et de Paris Match.

Courrier des lecteurs
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Actualité de Guy Debord

par ReSPUBLICA

 

Cher Evariste,

J’ai cru voir que vous mentionnez de temps à autres la « société du spectacle », ce qui est banal : on ne mettra bientôt plus de guillemets. Mais je m’interroge sur ce que Guy Debord peut avoir, en 2013, à dire à une gauche républicaine française, d’autant que l’exposition en cours à la Bibliothèque François-Mitterand a remis le personnage au devant de la scène.

Bien sûr, on a droit à toute la gamme des commentaires : « Debord n’est pas un théoricien », « Il n’a jamais voulu se rallier à un courant ni en fonder un », « Il rirait bien d’être récupéré »… ce qui permet de mettre un individu hors-norme à distance, tout en affirmant « l’apport le plus essentiel de l’IS [Internationale situationniste] aux combats politiques des années 1960 et 1970 aura été de réconcilier Marx et Bakounine », ou encore, sur un autre terrain, de « revenir au dadaïsme pour tenter de dépasser l’art par le détournement ».

La première chose qui surprend dans cette affaire de « spectacle au deuxième degré », c’est que la dimension réelle de l’Internationale situationniste effective dans plusieurs pays dans les années 60-70 (et très bien illustrée à la BNF) s’est prolongée au cours des décennies suivantes par les traductions de ces textes dans de très nombreuses langues.

Guy Debord patrimoine national ? Oui ! Il y a dix ans déjà (2003) le ministère des Affaires étrangères publiait un excellent dossier (sous la responsabilité de Vincent Kaufmann, via l’Association pour le développement de la pensée française, ADLPF). Après tout, la France a récupéré quelques devises grâce à des penseurs à la mode bien moins lisibles !

Car Guy Debord est un écrivain admirable de style et de raisonnement classiques (ce qui n’est pas le cas de la plupart des textes auxquels il est associé… ;  l’exposition montre les directions dans lesquelles s’est déployée son érudition) et il n’est pas étonnant que des enseignants utilisent cet auteur.

On retient du situationnisme des éléments caricaturaux ou partiels (le fameux manifeste de 1966  sur « La misère en milieu étudiant » qui est en réalité une critique de la misère globale, y compris intellectuelle, des étudiants et de leur insignifiance en temps que catégorie dans le champ social… le « jouir sans entraves » dont on sait le succès ambigu à partir de mars 68…)

Comme d’autres penseurs majeurs qui n’ont pas pu ou voulu être des magisters (Nietzsche…), Debord a probablement été inhibé dans le passage à l’action par une profonde mélancolie (thèmes de « l’âge d’or », du « deuil de la vie »). Il est à cet égard un auteur destiné au dialogue intime.

Mais, face à une notoriété paradoxale et rebelle, la lecture des principaux textes de Debord (La société du spectacle et Commentaires sur la société du spectacle, auxquels pour peu cher on peut adjoindre Rapport sur la construction des situations… Ed. Mille et Une Nuits) est une invitation à prolonger des réflexions devenues par trop évidentes mais dont les conclusions ne sont pas encore tirées. J’espère que des non-soixantenaires y trouveront matière à alimenter leurs luttes…

Un seul exemple à propos du terrorisme (Commentaires… p. 33) : « Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut en effet être jugée plutôt sur ses ennemis que sur ses résultats. L’histoire du terrorisme est écrite par l’Etat : elle est donc éducative. Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler plutôt acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique. » Suit une démonstration à partir des actions violentes en Italie à l’époque (1988) et de la politique des « repentis ».

Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec les événements qui traversent l’Occident depuis 2001…

Bien à vous

Lucie GIL